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Stigma Diaboli | Zimmer & Zimmer

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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
Alexandra Zimmer
Alexandra Zimmer
NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
FULL DARK NO STARS
En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

Thème : Nick Cave & The Bad Seeds : Red Right Hand
You'll see him in your nightmares
You'll see him in your dreams
He'll appear out of nowhere but
He ain't what he seems
You'll see him in your head
On the TV screen
Hey buddy, I'm warning
You to turn it off
He's a ghost, he's a god
He's a man, he's a guru
You're one microscopic cog
In his catastrophic plan
Designed and directed by
His red right hand

Pseudo : Achab
Célébrité : Rooney Mara
Double compte : Elinor V. Lanuit & Inna Archos
Messages : 1559
Date d'inscription : 28/03/2019
Crédits : Lyrics: Nick Cave & The Bad Seeds ; Avatar: @vestae-vocivus
Dim 3 Avr - 23:04 (#)



« Ris et le monde rira avec toi. Pleure, et tu pleureras tout seul. »

Les mots m’étaient revenus, comme ça. Du fin fond de cette mémoire morcelée, coincés entre ma nouvelle existence et une ancienne humanité, qui n’en avait jamais été une. Cette dernière me semblait loin et floue, une tâche boursouflée comme un rêve fiévreux. Les humains enrobaient souvent leurs souvenirs d’une nostalgie rose, un mensonge de coton, qui les sublimaient alors. Les miens étaient desséchés ; passés au filtre de mon indifférence, cette moi d’autrefois me semblait ratatinée, veule et pitoyable.
Ou bien m’aveuglai-je encore aujourd’hui. Accroupie sur ce banc universitaire, le cul sur le dossier et mes baskets élimées sur le siège, j’ai remâché ces pensées sans y découvrir de réponses voire même un quelconque intérêt. L’Alexandra d’hier était morte, alors à quoi bon ? J’ai levé les yeux vers les étudiants vaquant à leurs occupations scolaires, sous ce timide soleil de Février, avec ces incessants bourdonnements de conversations et d’éclats de rire. Trop de monde, me suis-je dit, en passant une main dans cette chevelure trop longue, trop propre, qui me retombait follement sur les épaules.
Cette vision m’aurait donné la nausée, avant. Cet amas de viande qui crapahutait sur le béton neuf et brillant de l’esplanade, en caquetant comme des pintades, en suintant la vie, l’après-rasage et le gel douche bon marché. Pourtant, je n’ai rien ressenti me tordre le ventre. La répulsion était bien là, au fond de mes entrailles, lovée sur elle-même telle une vipère, mais elle ne me touchait pas ; quelque chose, une nouvelle force d’âme dirons-nous, l’empêchait de dérouler ses anneaux. Une sensation plaisante, à vrai dire. Je me sentais enfin capable de maitriser mes émotions, de les écraser avec une nette indifférence, et de les tasser en un petit tas de déchets qui ne me gênait plus.

Être un monstre avait du bon. Je me suis sentie sourire à cette idée.

Loin devant moi, brillaient les fenêtres immaculées de l’université de Shreveport, avec leurs stores hachurant salement le reflet du ciel d’hiver, encore moribond des frimas nocturne. De fins nuages erraient par-dessus la vaste bâtisse, autant de traits cotonneux et imprécis qui se trainaient jusqu’à l’horizon pollué de la ville. J’ai observé sans but leurs ombres s’allonger sur le sol ; elles n’étaient pas larges comme en été, faute de feuilles sur les arbres pour leur donner de l’épaisseur. Elles n’étaient rien que des ombres maigres, avides et filandreuses, qui mordaient la terre comme des dents.
J’ai chassé ces détails de mon crâne. Cette manie continuait de me suivre. J’ai fouillé mon sac troué passé en bandoulière et vérifié l’heure sur le téléphone ; son cours allait bientôt commencer. Je n’ai rien ressenti de plus face à ce fait. Aucun stress, aucune angoisse, aucun tremblement ne m’a trahi lorsque je suis descendu du banc, et suis partie vers les vastes portes derrière lesquelles la professeur Zimmer préparait son cours magistral. Ma mère adorée. Elle aussi, de la même manière que mes souvenirs, était entourée de cette brume imprécise nimbant toute mon ancienne existence. Celle de l’Alexandra dépressive, suicidaire même, qui ne savait rien des réalités de son âme.

Rien de moi. Rien de ma forme. Rien de cette nouvelle vie. Et maintenant, c’est presque plaisant, me suis-je dit, en réajustant mon sac sur l’épaule, en quittant le banc les mains dans les poches.

Une brise aux senteurs d’essence et de café m’a chahuté les cheveux. Par un vieil automatisme, je les ai rejetés derrière mon oreille, en cherchant du bout des doigts mes piercings. En vain, bien sûr. Cet éveil me les avait retirés, je ne sais comment, et je n’avais aucunement ressenti l’envie de les refaire, tout comme le reste de mon ancien style. Mes bras étaient lisses de tatouages, mes cheveux longs, et mes poumons probablement décrassés de la nicotine. Parfois mes réflexes de fumeuse revenaient de manière inopinée, mais je ne ressentais plus le besoin d’allumer une clope désormais.

Est-ce que tout cela me manquait ? Pas vraiment. Je me sentais détachée du matériel. Je me sentais enfin libre, débarrassée et fortifiée des tourments de l’ignorance, de cette lutte contre ma véritable nature. Aujourd’hui, je me sentais enfin apte à faire l’effort de respirer tous les jours.

La tête baissée, j’ai louvoyé entre les trajectoires rapides et idiotes de la volaille estudiantine, et j’ai finalement poussé les portes du hall central. L’endroit était une véritable fourmilière. Des escaliers escaladaient des murs recouverts d’affiches diverses et multicolores ; autant de causes humanitaires inutiles censées rallonger la vie de quelques rebus, et un amas de propagande politique toutes plus hypocrites les unes que les autres. Le harcèlement visuel était bien là. Et comme tout bon endroit censé être éducatif, tout le monde s’en foutait, et bien sûr moi la première.
Je me suis répétée machinalement le numéro du bâtiment, le nom idiot de la salle et l’étage, avant de prendre la direction de l’escalier. L’ascenseur ne me disait rien. Ça devait sentir bien trop la sueur et la pommade contre l’acné. J’ai monté les marches les mains toujours dans les poches, subitement occupée à décortiquer les raisons qui m’avaient poussé à venir ici ; ce n’était certes ni l’amour pour ma mère, encore moins le besoin de me cultiver sur des civilisations mortes depuis longtemps. Non, c’était bien quelque chose d’autre, un sentiment indéfinissable de me confronter à une vieille peur viscérale, profondément enterrée dans le subconscient d’une ancienne Alexandra.

Je voulais revoir ses traits. Je voulais essayer d’y trouver cette sainte terreur qui avait régné sur mon enfance. Je voulais confronter mon âme d’aujourd’hui à cette chose. Je voulais m’éprouver, moi.

Je me suis finalement retrouvée devant les doubles battants de l’amphithéâtre. À droite, une plaque rutilante comportait le nom d’un connard du siècle dernier qui avait, parait-il, contribué à abolir une inégalité toujours bien d’actualité aujourd’hui. Une université typique. J’ai poussé les portes sans m’en préoccuper. J’ai tourné sur la droite, en évitant les sacs d’étudiants trainant à moitié au milieu de l’allée, et j’ai gagné les premiers rangs ; tant qu’à faire, autant être au plus près de la bête. Je me suis vautrée dans un fauteuil au tout premier rang, accoudée nonchalamment, le menton dans la paume, les jambes croisées et mon sac troué par les mites dans mon giron.
La salle était encore en train de se remplir. Les discussions créaient un brouhaha strident, entre les jacassements féminins et les stridulations pseudo-viriles, tandis que, sur l’estrade en face, le pupitre de l’oratrice était encore vide. La chose était encore terrée dans son antre. Le cours était censé durant des heures, comme on me l’avait spécifié quand je m’étais inscrite en auditrice libre. J’ai essayé de l’imaginer à nouveau, d’imaginer les sentiments qui naitraient en moi face à cette figure sévère, face aux mains qui m’avaient claqué la figure des années durant. Je n’y suis pas parvenue.

J’ai soupiré, avachie dans le creux du fauteuil. J’espérai au moins retrouver un peu de ma terreur d’enfance, sans quoi j’allais très certainement me faire chier.

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Lun 4 Avr - 12:20 (#)

Les courbes archaïques des gravures en vieille terre semblent répondre à la même technicité. La rugosité des matériaux s’égrène différemment sous les doigts, mais les trois objets semblent bien avoir une origine commune, comme des dessins faits par le même artiste mais sur des papiers différents. Penchées au-dessus de ces trois reliques envoyées par des collègues d’une autre université, nous décortiquons sans précipitation les représentations marquant l’argile. La lumière forte et blanche du laboratoire donne au docteure Jones un teint étonnamment blafard pour sa peau très sombre et rend les ombres alentours presque tranchantes. Dans un silence concentré, nous fixons les représentations si semblables les unes aux autres de cet insecte d’une taille démesurées et d’une nuée qui l’entoure et se mêle aux représentations d’humains.

« En êtes-vous sûre ?
- Oui. Regardez. » Avec précaution et d’une main gantée de latex, l’archéologue saisit un des bas-reliefs arrachés à une sépulture lointaine et le porte au plus proche de la lumière de la lampe. « L’argile utilisé n’est pas le même, mais la technique est identique. »

Mon regard se fixe et se perd dans les courbes représentant de nouveau cette invasion d’insectes s’étalant sur cette civilisation antique. Ces trois gravures ont été trouvées si loin les unes des autres, ce conte s’étale bien plus que ce que nous avions imaginé jusque lors. Mes iris obsédées ne parviennent pas à lâcher le morceau de terre cuite friable tandis que mes pensées s’embourbent dans l’idée grandiose que le culte aux insectes s’est répandu avec bien plus d’envergure que ce que je pensais. Ne parvenant pas à relâcher mon attention des aspérités de la terre sculptée, c’est sans un regard pour ma collègue archéologue que je demande :

« Sont-elles contemporaines ?
- C’est possible. Mais on doit faire plus de tests pour en être assurées. »

Une datation permettra de mieux comprendre s’il s’agit d’une propagation lente ou d’une invasion subite et violente. Un déferlement terrible et inarrêtable qui engloutit ce peuple antique en un temps si restreint que nul n’a dû comprendre ce qu’il se passait. Une vibration brusque accompagnée d’une sonnerie m’arrache à cette idée extatique d’une marée d’insectes dévorant le monde qui se fait de plus en plus envahissante de mon esprit. Je tire le téléphone bruyant de ma poche et constate qu’il s’agit de l’alarme me rappelant que je dois aller instruire des primates incultes. L’agacement d’être ainsi arrachée à cette découverte ne parvient pas tout à fait à percer le froid désintéressé qui m’habite constamment. Je coupe l’alarme et ramasse mes affaires sans hâte avant de me diriger vers la sortie de la salle d’étude du laboratoire. Sans un regard en arrière pour l’archéologue, je lui enjoins d’un ton neutre ne trahissant en rien l’obsession qui me tient :

« Tenez-moi au courant. »

La tête remplie d’hypothèses sur la signification de ces reliques, j’arpente les couloirs de l’université. Ces couloirs que je juge trop étroits et étouffants grouillent d’étudiants excités et aux pépiements désagréables. C’est dans ces moments que la jungle et son calme tonitruant me manquent. Arrivée dans l’amphithéâtre, c’est sans un mot ni un regard pour les jeunes adultes déjà assis que je descends les marches pour rejoindre le bureau et y déposer mes affaires. Sans une once d’intérêt pour le public devenu subitement silencieux à mon arrivée, j’extirpe mon ordinateur portable de mon sac et le branche au système audiovisuel pour projeter les diapositives du jour : « Cultes antiques : l’importance et l’étude des reliques. » Le calme s’est fait absolu, avalant sans pitié les légers bavardages qui régnaient jusque lors. Au premier cours j’ai clairement fait comprendre aux étudiants que je n’aurais aucun état d’âme à les faire sortir ou à leur attribuer la note minimale s’ils m’ennuyaient. Beaucoup ont subitement décidé de trouver une autre option. Jusqu’ici l’anthropologie était vue pour la plupart comme une option facile ou un second choix pour celles et ceux n’ayant pas été assez efficaces pour s’inscrire en temps et en heure aux cours qu’ils désiraient vraiment. Les vrais passionnés sont rares, fort heureusement quelques-uns d’entre eux sont présent et ont l’air d’avoir un vrai potentiel.

Mon regard se lève finalement vers les étudiants présents. L’amphithéâtre déjà petit est clairsemé mais le calme et l’assiduité règnent sans partage. Plusieurs visages commencent à me sembler familiers, notamment ceux des plus investis et travailleurs qui, contre toutes attentes, ont parfois des questions pertinentes. Et dans cet environnement grandiloquent et inutilement pompeux devenu ordinaire, un visage que je ne pensais pas revoir se dessine au premier rang. Un visage que j’espérais même ne pas revoir. Le choc de l’inattendu m’immobilise dans un instant glaçant. Une colère et un dégout indicible submergent mes entrailles et parviennent à percer l’enveloppe figée que m’a offerte l’araignée. L’incarnation de l’infamie sous les traits d’une banalité impertinente. La conséquence putride et nauséabonde d’évènements destructeurs et inoubliables. Impardonnables. Il me faut quelques secondes à fixer cette fille indésirée en enfonçant mes doigts dans le bois du bureau comme si je voulais le transpercer pour enfin laisser cette colère tenace et dévorante se faire absorber par un calme surnaturel. Nul autre, jamais, ne me fait cet effet. Mon regard incisif découpe son image et l’analyse comme le ferait l’araignée avec un cadavre curieux et abscond. Où est donc passé ce look d’adolescente en colère que tu arborais la dernière fois que je t’ai vu, petite ? Tapie sous la surface, la répugnante sensation collante et poisseuse de la haine demeure, générant un soubresaut mécanique de l’arachnide qui ne souhaiterais que la dévorer pour régler un problème inconfortable. Pourtant je ne peux rien faire ici. Je ne peux pas la faire sortir dans la salle sans heurts, et je ne tiens pas à me justifier d’un comportement qui, je le sais, sera violent. Tu me paieras cet affront, Alexandra. Au prix d’un gros effort, mon regard qui fut enragée le temps d’un battement de paupières redevient polaire, et je reporte mon attention sur l’écran de mon ordinateur à la manière d’un engin mécanique rouillé par une usure subite. Comme un script habituel et excluant cet accroc, je commence :

« Aujourd’hui nous parlerons de la précaution nécessaire pour étudier les reliques. »

Un ton neutre à la cadence rapide. Habitués, les étudiants stylo en main se tiennent prêts à noter les informations importantes, sachant que je ne les attendrai pas. Le long cours oscille entre les moments où mon attention est tout entière à mon récit sur les reliques, et ceux où, à la suite d’un malheureux regard vers l’infernal être issu de mes entrailles, mon ton se fait tranchant et saccadé, abrupt et peu lisse. Comment as-tu osé venir jusqu’ici ? Comment même as-tu su que j’étais là ? Une heure défile puis une autre dans cet équilibre précaire dans lequel la froideur et la hargne s’alternent et s’enchainent, agitant une arachnide rancunière trop violente pour un moment si banal. Les réponses aux questions se font sèches, les demandes d’une pause dans les trois longues heures de cours sont rejetées sans douceur. Les diapositives s’enchainent, montrant des photos de reliques dans des temples, d’autres qui ont été récupérées et transportées, d’autres encore étiquetées et soigneusement conservées dans la collection d’un laboratoire qui en prend grand soin. Chaque détail est spécifié avec précision et seul le crissement des stylos accompagnent ma voix, agrémenté parfois de quelques bavardages vite étouffés d’un regard assassin. Enfin, j’arrive au bout de mon long exposé quelques minutes après l’heure de délivrance. Une seconde ou deux s’écoulent dans cette tension caractéristique d’une fin de cours où les étudiants attendent l’autorisation de ranger leurs affaires et de se disperser dans les couloirs tel un troupeau face à un prédateur.

« Vous pouvez y aller. »

Dans un fracas d’affaires, de bavardages et de fauteuils qui se tirent et raclent le sol, l’amphithéâtre devient vivant d’une masse grouillante désordonnée. Déjà en retard pour leur prochain cours, aucun ne prend la peine de venir poser une question et la plupart s’activent pour remonter les escaliers et disparaitre dans l’embrasure de la porte imposante. Hélas, l’horrible enfant ne disparait pas avec le flot des étudiants, s’attardant sans gêne dans mon antre du jour. Seule, et silencieuse. Mon regard la fixe et la transperce depuis le bureau sur l’estrade de la salle.

« Alexandra. » Le simple nom parait résonner dans l’amphithéâtre désormais vide et le remplir d’un froid inhospitalier. « Tu as changé. »  Une simple constatation n’amenant ni soulagement ni dépréciation. Peut-être tout juste une curiosité que se noie aussitôt dans le dégout que m’inspire ma propre enfant. « Tu n’as rien à faire ici. »

Avec des gestes trop vifs trahissant ceux trop violents que j’ai eu envers elle, je referme l’ordinateur portable et range mes affaires sans douceur ni précaution. Les trois reliques et leurs secrets m’attendent. Mon temps et mon attention valent mieux que cet être inepte qui n’est que le résidu d’un souvenir honnis.
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- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
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- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

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You'll see him in your nightmares
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Dim 10 Avr - 23:31 (#)



Qui sommes-nous l’une envers l’autre ?

Une énervante charade. Trois mots à la fois innocents et lourds de sens flottaient dans mon crâne et se battaient entre eux, comme deux chiens en colère. Les minutes d’attente devinrent un brouillard incohérent, durant lequel mes pensées se firent distantes et ignorantes du reste de l’amphithéâtre qui bruissait encore de conversations. De nombreux souvenirs me hantaient alors, en jetant un voile troublant, presque méditatif, sur les questions que je me posais encore. C’était les couleurs mortes d’une éclipse au-dessus d’un désert de sable noir, c’était l’abomination derrière un visage familier.

Ou bien était-ce moi, cet être encore mou, tout juste sortie de son cocon et qui découvrait le monde tel qu’il était avec une certaine candeur. Touchante et écœurante à la fois. Un vrai conte de fée.

Je me suis extirpé de ces réflexions au moment où le silence tombait sur la salle toute entière, aussi brutal qu’un couperet. J’ai cru sentir sa présence avant de l’apercevoir. Ou bien, était-ce encore l’une de mes intuitions étranges, dont je n’avais pas encore apprivoisé le fonctionnement. Un courant d’air froid m’a chatouillé la nuque, et la rumeur de sa présence a fait taire le troupeau d’étudiants. Le son de ses pas descendant les marches s’est fait entendre et, de manière totalement inconsciente, je me suis faite violence pour fixer la scène droit devant moi, au lieu de tourner la tête vers ma mère.
Car, c’était bien elle. Un frisson m’a escaladé l’échine en l’observant rejoindre l’estrade, et ce bureau bien rangé. J’en ai ressenti une vive pointe d’agacement. Comme s’il subsistait en moi, bien au fond de mon âme, une tenace once d’humanité qui était encore capable de s’effrayer de sa présence. Un résidu de mon ancienne vie, seulement une exaspérante relique. Un déchet.

‘Fait chier, me suis-je sermonnée en remuant dans mon siège et en récupérant un sachet de chewing-gum dans la poche intérieure de ma veste.

J’ai alors levé le regard vers la raison de ma visite. Elle se tenait à quelques mètres de moi, bien droite, glaciale et austère, comme une idole maléfique qui m’avait surplombé toute mon enfance. Ma mère n’avait pas changé. Et c’était bien un véritable constat de ma part, non une stupide formule de politesse humaine ; elle ne semblait pas avoir pris une ride, et j’en ai aussitôt ressenti une pointe d’étonnement. Elle a organisé avec parcimonie ses affaires sur le bureau de l’estrade, et j’ai reconnu dans ses manières la même économie de mouvement, cette même discipline implacable et froide qui avait rythmé mon enfance de claques bien senties. J’en aurais presque été nostalgique.
J’ai remué à nouveau dans ma chaise. J’ai déchiré le sachet de chewing-gum et m’en suis enfilé un ; le bruit du papier, parmi ce silence respectueux, a brièvement attiré son attention. Nos regards se sont croisés. Je n’ai rien fait. J’ai envoyé le chewing-gum dans ma bouche d’une pichenette, tandis que le regard incroyablement tranchant de ma mère s’est posé sur moi durant d’interminables secondes. Un frisson d’excitation m’a traversé. J’ai eu l’impression de fixer un prédateur les yeux dans les yeux, de plonger ma conscience dans un puit de glace ; c’était regarder la mort en face, ni plus, ni moins.

Salut m’man, ai-je pensé dans ma tête. J’aurais aimé le dire tout haut, mais bien sûr, je n’aurais pas voulu lui donner la moindre excuse pour me virer de la salle. Les secondes se sont étirées, durant lesquelles nos regards se sont accrochés l’un à l’autre ; moi indifférente, elle, brûlants de haine ai-je cru discerner. J’ai commencé à mâcher mon chewing-gum. Le professeur Zimmer s’est détourné de moi, en commençant à afficher ses diaporamas qui marquaient le début de son cours de la journée.

Trois heures d’ennui. Trois heures à subir des échardes de haine dans ma direction. Trois heures à mâcher des chewing-gum les uns après les autres pour l’agacer. Trois heures à réfléchir sur son cas.

J’ai alors assisté à ce cours avec un intérêt distant. Comme les diapo figurant d’antiques sculptures, des bas-reliefs poussiéreux et de peintures écaillées défilaient sur le mur d’en face, mes pensées ont commencé à prendre forme. Quelques éléments insidieux se sont mis en place comme les pièces d’un puzzle malsain, qui n’avait de socle que mes simples intuitions ; souvent justes d’ailleurs. Des cultes précolombiens, des idoles d’insectes, voilà quels étaient les sujets de prédilection de ma mère dont j’avais réussi à trouver quelques travaux et articles sur Internet. C’était intéressant.
La coïncidence l’était surtout. Plus je m’étais attardée sur ces sujets d’études, plus les similarités entre ses intérêts et ma propre ascendance paraissaient trop grandes. Des questions aux monstrueux enjeux sont nés dans mon esprit. Avait-elle aperçu ce que moi j’avais vu dans cette autre réalité, ce rêve qui n’en était pas un ? L’avait-elle vu Lui ? Lui avait-elle parlé ? Car, j’avais bien été conçue d’une manière ou d’une autre, aussi répugnantes que soient les possibilités de ma conception, et même si je préférai sans doute éviter d’en connaitre les détails, cela méritait de s’attarder sur ces questions.

J’ai fixé à nouveau la silhouette austère de ma mère et ressenti un lointain malaise. Ou bien était-ce autre chose, un infime mouvement au fond de mon âme, un respect bizarre et déformé devant cette implacable figure maternelle, qui réagissait à son aura écrasante. Aux derniers nouvelles, elle n’était qu’une humaine, et les raisons de ces sentiments m’ont échappé. Cela me filait entre les doigts. Le temps lui aussi a filé tandis que je m’absorbai dans mes conjectures, et ce fut le vacarme général des étudiants qui me tira hors de cet état profondément perplexe. J’ai levé la tête pour voir les jeunes disparaitre les uns après les autres, me laissant seule avec ma propre mère.
Nous nous sommes fixés en silence. Cherchez un être dont le regard était suffisamment venimeux pour faire comprendre combien vous étiez une erreur, combien elle aimerait vous voir disparaitre de la surface de la Terre ; vous ne trouverez jamais mieux qu’elle. Pourtant, au lieu de baisser les yeux et de prier pour éviter la violence, je l’ai regardé avec détachement, comme si un baume noir avait étreint mon âme et me préservait de cette terreur qui m’aurait autrefois cloué sur place.

Puis, mon nom est sorti de sa bouche. Chaque syllabe s’est détachée avec une telle froideur, un tel dégoût, que les lettres semblaient autant de billes de plomb chutant dans un puit sans fond. Son ton a résonné dans le vide de l’amphithéâtre comme un glas sinistre et, étrangement, j’ai encore senti cette pointe d’excitation remuer dans les tréfonds de mon être. Quelque chose d’encore indéfini. À la fois une fièvre d’excitation face à la confrontation à venir, et un lointain sentiment de respect, qui m’a paru aussi diffus que stupide. Je me suis mollement redressée sur ma chaise.

« Salut, » ai-je simplement dit, avant qu’elle ne me coupe la parole.

J’ai ressenti un soudain besoin de me justifier. Comme cette gamine d’autrefois cherchant à tout prix à satisfaire les exigences impossibles d’une mère sans une once d’amour. Une colère vicieuse et vive l’a immédiatement remplacé, comme une soudaine injection d’adrénaline. Faussement relaxée, je me suis appuyée nonchalamment sur l’accoudoir en l’observant ranger précipitamment ses affaires dans l’idée de me planter là ; en réalité, tous mes muscles étaient tendus sous la tension.
J’ai été saisie d’une cruelle envie de lâcher une bombe d’encre bien grasse sur la toile immaculée de son calme olympien. Mes mots étaient à l’opposé de sa voix tranchante et méthodique ; succincts et lents, comme une lame doucement glissée entre les côtes.

« Papa te passe le bonjour. »

Ma voix elle aussi a résonné entre les murs vides. Mon timbre avait des accents secs et subtilement moqueurs, tel un vicieux murmure que j’espérais douloureux. Je ne l’avais pas fait consciemment en réalité, mais je n’ai eu aucun regret, bien au contraire, en poursuivant sur le même ton.

« ‘Parait que tu as gardé quelques gravures de lui, d’ailleurs. C’est romantique. »

Le bluff avait été lancé, lourd comme un pavé dans une flaque. Je ne savais rien de son passé, rien de ses souvenirs de Lui, ou même si elle l’avait vu. Je nouais les conjectures les unes aux autres, et cela me procurait une délicieuse montée d’adrénaline. Mon cœur battait follement. Mes veines vibraient d’une brûlante ivresse. C’était bien là, ce plaisir vicieux de lui faire mal, de chercher à trancher là où la chair était à vif, de s’insinuer dans son esprit d’y répandre la peste. Je m’en délectais d’avance.

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Jeu 14 Avr - 15:41 (#)

L’amphithéâtre abandonné semble être la gueule béante d’une bête ne souhaitant que nous dévorer toutes les deux, minuscules bipèdes perdus dans sa grandeur écrasante. Dans cette arène dépeuplée reprend le combat que nous avions abandonné il y a de cela quelques années avec le départ d’Alexandra. Pourquoi donc est-elle ici ? Dans cette ville ? Dans ce cours ? Peu importe, j’ai trop à faire pour m’occuper d’un tel fardeau. Une colonie à construire, des mystères à percer, et tant d’expériences excitantes à mener pour comprendre ces œufs qui déversent des araignées étranges, et ce venin bénie aux vertus encore peu claires. Il n’existe aucune place pour une personne qui entache ma vie et mes ambitions. Je continue de ranger mes affaires sans prêter attention à la fille aux intentions troubles alors qu’elle lâche à peine un pitoyable salut dans l’attitude faussement décontractée des provocations adolescentes. N’as-tu donc pas grandi pendant toutes ces années, petite ? Le chargeur de l’ordinateur disparait, avalé par le sac en toile. D’une voix railleuse, elle distille quelques mots comme un écho grave et fracassant, semblant givrer l’amphithéâtre. Mes gestes se figent et mes yeux s’écarquillent de stupeur. Subitement immobilisée en tenant l’ordinateur que je rangeais, toute mon attention est violemment capturée par ce qu’elle vient de dire.

Papa ?

Soudainement, je tourne la tête dans sa direction, brusquerie entre deux instants de parfaite immobilité. Mon regard s’accroche à elle dans un calme brisé laissant entrapercevoir cet étrange mélange de sentiments entre rage, rancune, dégout et vénération de son abominable géniteur. Les souvenirs de l’horreur, les multiples visions m’enjoignant à le retrouver, toutes ces découvertes dans un passé si lointain qui n’existe plus qu’à travers quelques vieilleries précieuses. Une litanie de souvenirs qui s’emmêlent, se mélangent et se déchainent dans un fracas bien trop inhabituel pour un esprit si placide. Mais face à elle, c’est bien la rage qui prend le pas, qui grossit, s’étend et brûle tout le reste. Je me rappelle encore son visage enfantin à la joue rendue écarlate par un coup bien mérité à chaque fois qu’elle osait évoquer l’existence même de son géniteur maudit. Questions superflues, réponses qu’elle ne mérite en rien. Hélas les quelques mètres qui nous séparent à cet instant m’empêchent de réitérer cette tradition familiale qui aurait dû lui faire passer l’envie de parler de lui à tout jamais. Que veut-elle donc dire par ses mots ? Probablement rien d’autre qu’une basse provocation inepte. Elle ne peut pas l’avoir rencontré. C’est impossible. Sale enfant impertinente qui n’a jamais su se taire. Peut-être aurais-je du la frapper plus fort quand elle était enfant pour qu’elle apprenne sa leçon. Le feu brulant de ma haine qui ne cherche qu’à me consumer s’estompe face à la nécessité de na pas la faire fuir avant que je puisse l’atteindre et lui offrir la correction qu’elle mérite. La rage se fait recouvrir par le froid de l’exigence de la chasse, mais elle demeure bien ancrée dans l’attente d’une libération violente et inespérée.

Je commence tout juste à quitter cette immobilité de surprise pour glisser l’ordinateur dans la poche du sac quand Alexandra enchaine d’une façon des plus surprenantes. La stupeur, le dégout, la colère ravivée et l’incompréhension s’entrechoquent dans un chaos terrible. Une ombre de vérité se glisse dans ses paroles. Fait-elle référence aux multiples reliques que j’étudie ? Est-ce qu’elle sait réellement pour ses origines abominables ? Comment pourrait-elle savoir ce qu’est son père ? C’est impossible. Inimaginable.
Je délaisse brusquement mon sac comme s’il n’était plus qu’une vieille charogne froide et trop éventrée pour être d’intérêt. Le sac retombe mollement sur le bureau, ne se maintenant pas tout seul dans cet équilibre précaire et le bruit étouffé du tissu contre le bois du bureau semble presque assourdissant dans le silence terrible qui a suivi la déclaration d’Alexandra. Mon attention est toute entière pour la fille devenue proie mouvante et bien vivante. Redevenue froide et scrutatrice, l’araignée s’est mise en chasse. C’est une sensation étranges de sentir l’arachnide fixer quelqu’un de ses yeux bien trop nombreux, les mandibules mouvantes, puis déployer ses pattes monstrueuses dans un espace mental intangible et inexistant aux yeux du reste du monde. En quelques pas je descends de l’estrade et m’approche de la progéniture viciée dans une démarche lente et mécanique, en retenue comme si je craignais de ne pas pouvoir contenir la brutalité de la violence qui me ronge les entrailles comme une faim terrible qui ne demande qu’à être assouvie. Mais ce n’est pas le lieu pour se laisser aller à de telles choses. Ma rage contenue est tapie sous un masque neutre qui saurait tromper tout le monde, à l’exception peut être de cette fille qui sait fort bien ce qu’il peut dissimuler. Mes pas qui rythment le silence ambiant s’arrêtent face l’enfant honnie et avec une rapidité tout inhumaine la tradition familiale fut rétablie. Le claquement de la gifle brutale retentit dans toute la pièce. La peau de ma paume chauffe sous la violence du coup qui apaise quelque peu la colère dévorante que la petite a fait naitre dans mon ventre. Elle n’est pas censée parler de lui. Jamais. Et pourtant, je veux savoir ce qu’elle sait. Quels étaient ces sous-entendus ? Sait-elle réellement quelque chose ? Qui donc lui a parlé ? D’une voix tranchante masquant mal l’avidité et la rage dévorante qui me tenaillent, j’exige :

« Explique-toi. »

Mes prunelles sont fixées dans les siennes comme si j’essayais de transpercer son esprit pour y voir directement la vérité. A défaut de pouvoir réellement faire une telle chose, j’observe ses expressions encore si familières malgré les années sans les avoir aperçues, la tension de ses muscles si coutumière qui me rappelle un passé révolu. Avec une concentration terrible, je décortique la moindre modification de ses expressions ou de ses mouvements. Les sémiologies du mensonge et de la peur sont bien trop semblables pour que j’y puisse décerner le vrai du faux chez elle tant elle a grandi dans la crainte de sa mère. A-t-elle encore peur de moi après tout ce temps ? Peut-être devrais-je lui rappeler qu’il n’est pas bon de me faire attendre de trop. D’une patience moindre, presque anéantie, je l’enjoins :

« Maintenant. »

Peut-être qu’une nouvelle gifle l’aiderait à lui délier la langue. Nous avons tout notre temps pour ça, mon cours était le dernier de la journée dans cet amphithéâtre et nul autre ne viendra. Nous ne serons pas interrompues, cette arène nous appartient pour notre débâcle familiale. Maintenant qu’elle est grande, peut-être qu’une correction plus sévère serait nécessaire. Voilà qui serait un bon moyen de rattraper le temps perdu.
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
Alexandra Zimmer
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En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

Thème : Nick Cave & The Bad Seeds : Red Right Hand
You'll see him in your nightmares
You'll see him in your dreams
He'll appear out of nowhere but
He ain't what he seems
You'll see him in your head
On the TV screen
Hey buddy, I'm warning
You to turn it off
He's a ghost, he's a god
He's a man, he's a guru
You're one microscopic cog
In his catastrophic plan
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Pseudo : Achab
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Dim 17 Avr - 19:14 (#)



Qu’était devenue mon enfance ? Où était désormais ma terreur d’antan ? Avait-elle sombré à son tour, dissoute dans ces mêmes abimes ayant fait de moi l’être que j’étais aujourd’hui ?

Elle était morte, voilà tout. Je la sentais encore flotter au fond de mon âme, une forme indistincte et sans consistance, qui n’avait plus aucune emprise sur mes sentiments. Un résidu de rien. Je l’ai alors soupesé derrière l’abri de mes paupières, comme l’on examine un curieux insecte moribond dont on a arraché les pattes une à une. Et dans cette introspection inutile, la voix de ma mère, sa silhouette jadis si terrifiante, dérivait encore avec son aura écrasante et ses yeux de glace.

Pourtant, il n’y avait plus rien. La vacuité s’était étendue dans mon domaine, une chape aussi lourde et impénétrable qu’une pierre tombale qui fermait à jamais ce chapitre de ma vie. Tout était mort. Tout était vain. Tout était vide. Je l’ai scruté à la recherche de son âme à elle, en vain. Elle n’avait toutefois rien perdu de sa superbe ; c’était moi et nulle autre qui était morte et revenue à la vie.

Oui, regarde-moi, ai-je ruminé en l’observant s’affairer à son bureau. Regarde dans mes yeux, regarde bien le paquet entaché de poisse que je t’ai apporté. Ma mère a violemment braqué son attention sur moi. J’en ai ressenti une vive jubilation de l’appâter ainsi, d’avoir attiré sur moi l’œil du cyclone et de voir le maelstrom d’émotions contenu derrière cette façade de marbre. La voilà qui se tourne aussi brusquement que de coutume, ses pupilles arrondies d’une stupeur qu’elle ne peut entièrement me cacher à moi, qui l’ai si bien connu des années durant. Voilà ses mains qui retombent, voilà le sac qui chute et le faisceau brûlant de sa haine qui me traverse toute entière, à la manière d’un pieu acéré.
J’en ai ressenti un frisson acide. À mi-chemin entre le contentement mesquin d’avoir atteint ma cible, et une brûlante envie d’assister à sa réaction. Addictif comme une injection d’héroïne. J’ai ressenti ce conflit épaissir l’air immobile et silencieux de l’amphithéâtre, couver derrière sa silhouette austère et bien droite qui me fixait sans mot dire. Pourtant, quelque chose d’autre a capté mon attention. À la manière d’un voile grandissant autour de ma mère, s’élevait une ombre invisible et monstrueuse qui éveillait chez moi une intuition indéfinissable. Quelque chose de profondément enfoui en moi a frémi à cette sensation, et je me suis inconsciemment redressée sur ma chaise, mue par la curiosité.

Ma terreur s’en était bien allée. Je l’ai alors observé délaisser ses affaires et s’avancer vers moi, l’œil mauvais et fixe, ses mouvements secs dissimulant une colère que je devinais sous cette carapace de froideur. Elle était sur moi en un instant, et tout ce qu’elle m’a inspiré, ce fut un intérêt paresseux. Car tous mes sens, ces intuitions profondes qui m’avaient poursuivi toute ma vie, se hérissaient à son approche, et dessinaient autour des épaules de ma mère une forme immense. Quelque chose allant bien au-delà d’une simple peur d’enfance, et bien différent de son apparence humaine.
La révélation sur Emma Zimmer me frappa bien plus fort que sa claque. Celle-ci heurta ma joue à la vitesse de l’éclair, et le bruit sec creva violemment le silence de l’amphithéâtre. Toute ma tête a pivoté sous l’impact, que j’ai ressenti distinctement malgré l’épaisseur de ma peau et une absence totale de douleur. Oh, celle-là je l’ai senti un peu, ai-je songé, encore étourdie non à cause de cette gifle, mais par la vérité que je venais tout juste de comprendre après toutes ces années.

Je me suis de nouveau tournée vers elle. Un sourire mauvais a commencé à naitre sur mes lèvres, avant d’être interrompu par une quinte de toux.

« Rah putain, tu m’as fait avaler mon chewing-gum, c’est malin. » ai-je lâché, en me tapotant le haut du torse pour récupérer ma diction.

Quelle rapidité, pourquoi je l’ai jamais remarquée, me suis-je alors interrogée, en scrutant ma mère d’un œil nouveau. Mon intérêt s’est éveillé de son charnier d’indifférence. Elle n’était pas humaine. Ses quelques mots ont résonné dans mon esprit, avec toute la jubilation d’avoir découvert ce petit secret honteux qui vous permettrait de faire chanter votre tyran favori. C’était délicieux. Cela avait la saveur du mal quotidien, de l’acide que l’on peut verser goutte à goutte sur le cœur de sa famille.
Je me suis laissée retomber contre le dossier, totalement imperméable au volcan de rage que je savais pertinemment couver derrière sa maitrise impeccable. Ma joue avait à peine rougi. Je me suis autorisée quelques instants de silence pensif, à l’observer de la tête aux pieds, en arborant un air à la fois ennuyé et peiné. Je l’ai dévisagé sans m’en cacher, libérée de cette frayeur de jadis.

« T’es décevante. » J’ai fait un geste évasif de la main. « Toute ta violence est superflue t’sais, depuis l’temps t’aurais pu trouver une meilleure approche. »

Le silence est revenu nous hanter. Le vide de l’amphithéâtre a mimé celui que je ressentais pour elle, malgré cette minuscule lueur de curiosité subsistante vis-à-vis de sa nature. Qu’était-elle ? C’était là les trois mots qui ne cessaient de rebondir dans mon crâne, alors que mes yeux l’examinaient avec attention, et que tout mon être ressentait cette aura écrasante, étouffante et malsaine.

J’ai attendu une dizaine de secondes, suffisamment pour que mots chutent dans le silence comme un sac de plomb. « Qu’est-ce que j’gagne à t’expliquer ? »

Bien sûr, la brutalité allait venir. Je la connaissais terriblement bien, et tout mon corps se tendait à présent, un simple réflexe naturel, en attendant la flambée de violence qui allait venir. J’ai enchainé pourtant, désormais bien plus sûre de mes atouts que je ne l’aurais été, voilà un an de cela.

« J’sais, tu vas me dire… » J’ai commencé à singer ses manières, son attitude autoritaire, en me redressant sur ma chaise pour imiter sa façon de parler. Les yeux dans les yeux. Odieuse.

« Alexandra, tu n’as aucune information qui m’intéresse. Tu me fais perdre mon temps. Tu mens. Pathétique. Retourne dans ta chambre. » ai-je dit d’une voix exagérément grave.

Sa sainte terreur était bien morte en moi. Je fixais son port altier, ses prunelles de glace, et je n’ai rien vu d’autre qu’une ombre de mon passé humain, un résidu lointain qui me m’atteignait plus. Seul un rictus narquois a brièvement trahi mes pensées, avant de m’affaler de nouveau dans la chaise.

« Pourtant, j’sais. Tout comme j’sais que tu n’es pas humaine. »

Nouvelle tâche d’encre sur la belle toile de son assurance. Je me sentais artiste soudainement. Prête à peindre une belle d’œuvre de haine et de blessure sur l’âme de ma propre mère, pour autant qu’il lui en resta une. Je me suis appuyée sur l’accoudoir, non sans l’observer avec dédain, en m’attendant au déchainement du monstre familier campée au-dessus de moi. Nous n’avions jamais été aussi proches.

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Mar 19 Avr - 10:38 (#)

Ses quelques provocations résonnent et se déforment dans l’immense salle creuse et silencieuse dans un effet d’écho me crachant son venin au visage. Une posture désinvolte, libre de toute cette peur qui emplissait pourtant ses yeux d’enfant et d’adolescente les dernières fois où l’on s’était vues. Il ne subsiste en elle plus que ces élans narquois de défi. Odieuse gamine qui me présente des informations capitales tout en les maintenant hors de ma portée avec un plaisir malin. Est-ce donc cela d’avoir une enfant devenue adulte, un comportement immature mais l’absence de crainte envers ses parents ?

Ses mots revêches s’éteignent dans l’air en ayant un peu plus nourri cette rancœur qui bout en moi rien que pour elle. Ses rebuffades habituelles sont avalées par le vaste continent de mon dégout pour sa personne et viennent le faire croitre de plus en plus. Sa pathétique tentative de négociation réveille d’autant ce gouffre terrible de colère que son existence même a creusé et alimenté durant toute sa vie, perçant à nouveau l’océan de calme poisseux entourant mon esprit, comme un meurtrier enragé poignardant encore et encore un cadavre déjà froid et paisible. Je ne saurais tolérer qu’elle m’éloigne de ce que je brûle tant de savoir. Oscillant entre le vide glacial et la colère ardente et dévorante, mon être hésite dans un équilibre inconfortable et brutal qu’elle seule parvient à m’arracher, même après toutes ces années. Pourquoi encore après tout ce temps cette enfant maudite me déchire les entrailles comme si c’était la première fois ?

La colère agite de nouveau l’araignée qui ne rêve que de sortir ses larges mandibules pour faire taire ce problème, mais à cette heure elle est enchainée. La rage froide et grouillante de l’arachnide se répand, haineuse d’être ainsi captive du jour, emprisonnée par un soleil encore trop brillant bien qu’invisible depuis cet amphithéâtre sombre et sans autre luminosité que la lueur blanche froide projetée par les plafonniers. La douleur étrange de l’araignée qui se débat dans sa prison de chair ne fait qu’attiser la haine de cette fille indésirable. Ce sentiment étrange en vient même déformer mes traits laissant entrapercevoir ça et là l’aversion qui craquèle de manière chaotique ma placidité habituelle à mesure où elle singe sans honte mon comportement. Sa dernière estocade me désarçonne. Elle m’a déjà traité de monstre par le passé, mes ses mots d’aujourd’hui sont portés par une intonation bien différente, leur offrant un contenu bien plus lourd de sens. De nouveau ma main s’abat sur son visage à peine rosie par la gifle précédente, rendant un peu plus légère la colère qu’elle génère.

« Si tu ne réponds pas à mes questions, alors tais-toi. »

Je doute qu’elle le fera. Elle n’est pas ici pour me dire quoi que ce soit, seulement pour me narguer. J’ai beau le savoir, tant de choses dans ses mots, son attitude et son être font grandir en moi une faim terrible. Un appétit violent pour les informations qu’elle dissimule dans son crâne et qu’il va falloir extirper comme on le ferait avec des organes. Hélas, il est bien plus difficile d’arracher des informations à quelqu’un plutôt que de lui arracher ses entrailles. Voilà pourquoi je préfère les reliques, elles sont simples, inertes, silencieuses. Un regard affuté et des connaissances préalables suffisent à tirer leurs secrets, sans un mot, sans une négociation. Peut-être est-ce là la clef. En un instant je réunis les informations qu’elle m’a déjà données pour les recouper et prend garde à ne pas surinterpréter. Elle a parlé de son père et de gravures. Voila qui est bien trop spécifique pour être hasardeux. Considérant l’hypothèse qu’elle détient réellement des informations sur son terrible géniteur, de qui les a-t-elle obtenues ? D’un tiers ou du dieu même devenu père ? Une rencontre avec lui ne peut que laisser des traces. D’un œil scrutateur et analytique, je décortique son image. Quelque chose me troublait à son arrivée mais a vite été balayé par la férocité qu’elle m’inspire toujours. Creusant dans la colère et les souvenirs proches, je me rappelle. Vivement, avec force et fermeté, je lui saisis le poignet droit, le plaque rudement contre le pupitre et sans m’intéresser à ses réactions je remonte sa manche avec brusquerie exposant une peau pâle et sans plus aucune encre. Et également sans plus aucune des cicatrices consécutives à ses nombreuses maladresses d’enfant et aux corrections apportées pour ses provocations et pour son existence même. Ses piercings ont également disparu mais ce sont là des choses qui se retirent aisément, à l’inverse des marques noires et blanches de l’encre et des vieilles blessures. Les diverses bêtes d’encre sombre qui recouvraient sa peau ont pourtant bien été effacées dans leur intégralité. A eux seuls, ces signes ne sauraient indiquer une rencontre exceptionnelle avec l’entité redoutable qui lui sert de géniteur, mais ces modifications entérinent ses propos et étayent bien cette hypothèse invraisemblable. Comment est-ce possible ? Lui a-t-il fait la même chose qu’à moi ?

Je la maintiens avec rudesse et sans considération dans une position qui pourrait être douloureuse, la manipulant comme un objet curieux. Sans prendre de temps superflu pour répondre à ses provocations, je lui demande d’un air exigeant :

« Que s’est-il passé Alexandra ? Où sont passés tous tes tatouages et tes cicatrices ? »

Je n’ai aucune intention de négocier avec elle pour qu’elle réponde à mes questions et l’endroit n’est pas adéquat pour tenter de la faire parler en usant de violence. A défaut de pouvoir obtenir des réponses articulées de sa part, peut-être pourrais-je les arracher à son corps. Est-ce qu’un laborantin spécialisé pourrait tirer des informations d’un échantillon de sa personne ? Ou peut-être qu’un sorcier pourrait le faire. Les analyses ne peuvent ni mentir, ni négocier, ni se rebeller. La maintenant toujours, je me penche vers elle comme le ferait un prédateur au-dessus d’une proie avant de lui arracher la gorge. L’essence de l’araignée s’étend en moi en la fixant de ses yeux multiples comme si elle n’était qu’un moucheron immobilisé dans sa toile. D’une voix suffisamment basse pour qu’elle ne ricoche pas dans toute la pièce, j’ajoute :

« Et toi ? Penses-tu avoir été humaine ne serait-ce qu’un seul jour de ta vie ? »
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Qui es-tu ? :
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- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
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Mar 26 Avr - 18:24 (#)



Fissures, fissures, fissures.
Fissures dans l’immobilisme de ses traits. Avec délectation, une saveur malsaine sur la langue, j’ai vu son impassibilité se fendre, et s’écrouler lentement, comme une vilaine croûte. Un château de sable atteint désormais par des vagues impitoyables ; son expression s’est déformée, devenant un masque de haine et de rage refoulée. Je m’en suis repais, avide, attentive à la chute de son empire sur moi.
Fissures dans son ombre. Mes intuitions auscultaient alors les ombres inconnues évoluant autour de ma mère, à la manière d’un mauvais œil effleurant mes instincts. Elles croissaient encore. Je les ai ressentis m’envelopper, un voile froid et duveteux qui m’a plongé davantage dans la perplexité. Et cette question résonnait encore dans mon crâne, insatiable : qu’est-ce qu’elle était ?
Fissures dans l’âme. La mienne et la sienne, la première suintant tout autour d’elle, comme un jet de goudron tâchant celle de ma mère. Étais-je devenue contagieuse aujourd’hui ? Je la vis abandonner durant quelques secondes ce précieux contrôle, cette poigne d’acier qu’elle avait maintenue toute sa vie sur moi. Et tous mes instincts me hurlaient ainsi : regarde-la bien vaciller, ton idole de jadis.

La claque a alors résonné comme un gong.

Ma tête a pivoté de nouveau sous la violence de l’impact, et si la dureté de cette chair monstrueuse me préservait de la douleur, l’affront restait le même. Cela devenait irritant. Durant une fraction de seconde, mon regard s’est rivé au sien, et un filament de haine pure s’est tendu entre nous ; des mandibules, invisibles, ont remué d’agacement au fond de moi. Cela n’a guère duré. J’ai ressenti de nouveau cette indifférence s’appesantir sur moi, et mon regard s’est terni lentement de nouveau, comme une bête mourante. La chitine est retournée dans son antre, loin très loin.
Alors, nous nous sommes observées en silence. Je l’ai scruté tout mon soûl. Cette idole macabre de mon enfance, dont l’air impénétrable masquait mal ses intenses réflexions. Quel effet ça fait hein, ai-je jubilé, de perdre la face et d’être menée comme une idiote. J’aurais pu faire davantage. Lui cracher au visage, littéralement peut-être. Lui enfoncer des réflexions pernicieuses dans le cœur, autant de lames que je savais aussi douloureuses que vraies. Déchirer sa chair et saisir son cœur, l’enserrer dans ma paume, encore et encore, jusqu’à la faire supplier et pardonner ce qu’elle m’avait fait subir.

Je me suis sentie dériver vers ces élans de violence et haine, que je n’avais jamais connu auparavant, et qui aujourd’hui ne cessaient de revenir. Ils étaient froids et pénétrants. Ils m’ont engourdi à nouveau durant quelques instants, et ce fut le contact chaud de sa main qui m’extirpa de cet état.

Putain mais je t’ai pas demandé de me toucher, me suis-je écriée dans ma tête, alors que ma mère s’était saisie rudement de mon bras, et l’avait plaqué contre le pupitre. J’ai entrouvert la bouche un court instant, mais la protestation s’est éteinte au fond de ma gorge, au milieu des sacs d’insultes que je préparai. J’ai rivé mon regard au sien avec un rictus mauvais. Elle désirait ardemment une vérité que j’étais la seule à détenir, et que j’allais lui livrer par morceaux, selon mon bon vouloir.

« Effacés, » ai-je déclaré simplement, d’une voix pleine de fiel. « Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Mon ancien look te manque tant que ça ? »

Ma mère me tordait l’articulation du bras, et elle le savait. Je ne lui ai pas offert la satisfaction de me faire gémir de douleur, même si la contorsion au niveau de mon épaule commençait à me faire mal. Elle s’est penchée vers moi, telle une déesse de mort murmurant à l’oreille du condamné, et j’ai soutenu son regard meurtrier sans fléchir, ni chercher à m’échapper. Pourquoi le voudrais-je ? Car c’était bien moi, et non elle, qui l’avait attiré près de moi, dans mon petit cocon tissu de maléfice.

« Tu m’as fait assez comprendre que j’étais une sous-merde de la nature, t’as sérieusement besoin de reparler d’ma vie d’avant ? Et toi, t’en as pas marre de prétendre au milieu du troupeau ? »

La douleur a commencé à m’irriter sérieusement. Elle m’avait retourné et tiré le bras, paume vers le haut, l’épaule tordue, et dans ma position assise, mes tendons commençaient à hurler d’inconfort. Tu veux savoir si j’suis humaine ? ai-je pensé, tandis qu’une idée bien noire a germé dans mon crâne, pleine de ressentiment envers cette mère encore ancrée dans le passé. J’ai continué à la fixer droit dans les yeux, une flamme de malice luisant lentement au fond de moi, tel un serpent prêt à mordre.

J’ai remué. J’ai vraiment remué sous sa main. Mais le reste de mon être est resté immobile.

Dessous la main de ma mère, l’intérieur de mon bras s’est contracté un court instant. Tel un muscle soudain traversé de spasmes, ma peau a ondulé distinctement, soulevé dans les profondeurs de ma chair par une anatomie inhumaine. Comme le dessous d’une membrane qui s’étire, souple et rigide à la fois, où convulsaient dans toute la longueur de mon bras, deux articulations innommables animées d’une vie propre ; celles-ci ressemblaient à deux câbles fermes qui ont remué indépendamment l’un de l’autre. Mon épaule a craqué. Mon bras a remué tout seul, tandis que je fixais ma mère.
Je me suis redressée légèrement. Ma peau s’est tendue à l’extrême, et toute l’articulation du coude a adopté un angle impossible en pivotant indépendamment de mon poignet. Sous la paume puissante de ma mère, mon avant-bras est devenu flasque, comme un ballon qui se dégonfle ; seul remuait dessous ces choses, ces câbles immondes. J’ai redressé ma paume vers le haut. Mon poignet a émis un craquement sinistre en tournant sur lui-même, tandis que le reste de mon bras se réalignait dans l’autre sens. L’ensemble a lentement reprit une logique anatomique et une fermeté humaine.

Ma mère tenait toujours mon bras, cette fois paume vers le bas. J’ai arrêté de remuer. Ma chair a de nouveau mimé l’humanité, les câbles ont disparu au fond de moi, et le temps a repris son court.

« Alors, on continue à se balancer des merdes à la tronche, ou t’es enfin prête à partager de vraies confidences ? » ai-je balancé pour briser le moment de silence.

Un air las et ennuyé a creusé mes traits. En profitant de l’indécision suivant mon petit spectacle, je me suis redressée plus encore, approchant mon visage du sien comme elle l’avait fait auparavant. J’ai rapidement levé mon bras libre pour entourer ses épaules, m’agripper à elle, et m’accrocher à ce monstre qu’était ma mère. J’ai ressenti cette chaleur jamais offerte, ce parfum familier synonyme de terreur et de violence ; nous n’avions jamais été aussi proches l’une de l’autre.
J’ai approché ma bouche à la hauteur de son oreille pour lui murmurer quelques mots doux.

« J’étais venue faire la paix, t’sais. Prends-moi dans tes bras, et tout sera pardonné. » lui ai-je susurré avec un malin plaisir.

Fissures. Fissures malsaines. J’étais désormais ce ver répugnant qui se tortillait sous sa main, et dont elle aurait beau rejeter le contact, il reviendrait toujours à la charge. De creuser mon chemin jusqu’à ses entrailles, de bouleverser son cœur et de la fissurer jusqu’au plus profond de son être. Jusqu’à atteindre mon objectif. Tout contre ma mère adorée, l’ébauche d’un sourire a effleuré mes traits.

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Lun 9 Mai - 9:50 (#)

Insolente, toujours. Où est donc passée la peur que tu avais pour moi quand tu étais enfant, petite ?
A sa réponse risible, mes yeux se plissent en un air suspicieux, réduisant mon regard à deux fentes haineuses fixées sur l’indolente jeune adulte qui n’a rien perdu de sa mesquinerie puérile. Elle ne donne aucune réponse, se contentant d’esquives railleuses. Voilà donc le but de sa venue en ce jour ? M’appâter avec des informations brûlantes et me les refuser d’une pirouette moqueuse ? Peu à peu, je comprends que nulle réponse ne viendra d’elle, il me faudra les lui arracher une à une, comme on arracherait les ailes d’une mouche assez stupide pour s’abstenir de rentrer dans une maison. Les propos qu’elle crache ne m’atteignent que très peu. Son intention de ne donner aucun réponse est de plus en plus manifeste. Je la toise comme on le ferait avec une enfant stupide posant des questions ineptes. Cet air qui lui était sans doute si familier il y a de cela plusieurs années, lui laissant comprendre que ses questions ne me sont rien et que je ne prendrai nulle peine à y répondre. Subitement, un mouvement inattendu atteint ma paume crispé sur son bras. Des mouvements impossibles modèlent sa peau et je m’agrippe à elle, rejetant cet instinct voulant la relâcher. La surprise cède rapidement à une curiosité morbide. Avec un regard dévorant, je fixe avec attention et fascination la danse macabre et inhumaine se jouant dans le bras de la fille. Une métamorphose lié à la thérianthropie ? Impossible, le soleil est encore en train d’inonder la ville de sa lumière. Rapidement, tout en fixant d’un air extatique la mouvance de son bras et disséquant chaque vibration et mouvement que je ressens à travers ma main, j’élabore de nombreuses théories dont aucune ne parvient tout à fait à expliquer l’origine de ce phénomène horrifique. L’espace d’une seconde ou deux, j’envisage même qu’il ne s’agisse là que d’une nouvelle vision semblable à milles autres qui se sont offertes à mon esprit, mais le regard satisfait de la petite et son arrogance crasse me laissent penser que tout cela est bien tangible et relevant du réel. Son bras s’est retourné, et à présent la posture dans laquelle elle se trouve ne doit plus lui faire aucun mal. Tout cela est mortellement intéressant. Sa voix brise le silence épais qui s’était installé et mon regard quitte lentement le bras redevenu normal pour s’ancrer dans les prunelles d’Alexandra. Ce qu’il vient de se passer a-t-il un lien avec le fait qu’elle semble en savoir davantage sur son père ? C’est possible, autrement la coïncidence serait trop grande. D’un geste inattendu, l’enfant maudite se rapproche dans un simulacre d’accolade qui aurait pu me faire bondir en arrière si le vide de l’araignée n’avait pas remplacé mes propres instincts il y a bien longtemps de cela. A peine quelques dizaines de centimètres nous séparent alors qu’elle crache un venin nouveau et sirupeux. Ses quelques mots font taire le flot ininterrompu et ravageur de questions qui hurlent et me saccagent l’âme depuis son arrivée. Ma curiosité maladive et ma quête de s’avoir s’étiolent subitement. Un silence blanc se fait dans mon esprit tandis que mes yeux fixés dans les siens ne lui renvoient qu’un instant de surprise, vite remplacé par un dégout profond, ravivé par un souvenir que j’avais réussi à enterrer et oublier dans un coin escarpé de ma mémoire. Son souvenir. D’une voix vide, si près de mon engeance, je répète :

« La paix ? » Son existence même a anéanti toute paix qui pourrait résider dans ma vie. Elle a tout détruit, tout anéantie dans un fracas tel que même une malédiction terrible semble être une bénédiction. Les circonstances de sa venue au monde ont embrasé ma vie et mon être, ne laissant plus que des restes calcinés d’espoir et de rêves pour accueillir cette enfant maudite, en faire son berceau et mon linceul. Le socle de ma vie actuelle s’est construit sur une terre battue de cendres froides, sans espoir ni joie. Le silence n’est pas l’apaisement. L’araignée n’est pas la paix. « Ma paix, c’était quand tu n’existais pas. »

Chaque mot est lentement détaché, emplie d’une brûlure glaciale haineuse ne parvenant pas tout à fait à remplir la pièce et s’étouffant dans un murmure hanté. Soudainement, je relâche ma prise, constatant que pendant l’espace de quelques secondes ma poigne s’était faite plus abrupte et mordante sur le bras de l’insolente et que je n’aimerais pas expliquer pourquoi une des étudiantes du cours ressort de l’amphithéâtre avec une fracture. Je la repousse avec violence et brutalité puis lui tourne le dos avant de m’éloigner à grand pas résonnants dans le large amphithéâtre afin de rejoindre mes affaires. Une fois les quelques marches de l’estrade gravies, je me retourne vers elle avec une expression impassible tout juste brisée par une éclat de haine et de rancœur vrillant mon regard. Avec la voix tonnante d’une professeure donnant son cours ou d’une reine donnant ses ordres, je lui enjoins :

« Si tu ne comptes pas me donner de réponses, alors pars. »

Ses provocations, ses réponses évasives soulignant l’évidence sans jamais n’atteindre la cause des phénomènes, les mentions de son père, l’étrange réorganisation de son bras et la disparition des pitoyables dessins qui la recouvraient. Tant d’indices brûlant ma curiosité, attisant ma faim insatiable de découvertes et de réponses, mais il ne fait aucun doute qu’elle n’est venue ici que pour me narguer. En ce lieu, en ce jour, elle a l’avantage et elle le sait. Le soleil contraint la bête à sa prison de chair et l’université contraint mes actes mêmes. Mais il y aura d’autres moments où je pourrai lui arracher des réponses et lui faire payer son insolence, sa présence, sa venue au monde. A cette pensée, la colère vengeresse de l’arachnide se laissa couler dans le calme gelé de la patience prédatrice. L’araignée chasseresse sait laisser filer une proie sur un mauvais terrain pour mieux la traquer plus tard. Scrutant l'enfant maudite d'un seul et même regard, l'araignée et moi-même partageons cette impatience terrible de la capturer dans notre toile pour la dévorer.
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
Alexandra Zimmer
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
FULL DARK NO STARS
En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

Thème : Nick Cave & The Bad Seeds : Red Right Hand
You'll see him in your nightmares
You'll see him in your dreams
He'll appear out of nowhere but
He ain't what he seems
You'll see him in your head
On the TV screen
Hey buddy, I'm warning
You to turn it off
He's a ghost, he's a god
He's a man, he's a guru
You're one microscopic cog
In his catastrophic plan
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Pseudo : Achab
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Crédits : Lyrics: Nick Cave & The Bad Seeds ; Avatar: @vestae-vocivus
Ven 20 Mai - 23:48 (#)



Quelle ironie.
Érodée d’amertume, dévorée de mites et saturée de haine, mais une ironie tout de même. Minable et indéniable. Je l’ai aperçu dans les traits crispés de curiosité d’Emma Zimmer, cette mère si tordue de rage quelques instants auparavant, et qui observait maintenant, avec une admiration morbide, les convulsions de mon bras. N’était-ce pas cela, le sommet de l’ironie ? Démente et monstrueuse, bien entendu, grotesque et cauchemardesque, mais n’était-ce pas à l’image de notre famille ? Mon idole maternelle venait enfin de poser un premier regard attendri, ou au moins curieux, sur sa propre fille.

Fallait juste crever et revenir épurée, me suis-je dit, mais ce constat pourtant amer n’a fait naitre ni sentiment de regret, ni rancune, au fond de moi. Seulement des souvenirs.

Et quelque chose d’autre. Un rictus invisible. Un torsion de mon âme, alors grimée en un ricanement malsain et silencieux, qui a traversé mes pensées durant notre étreinte. J’ai senti ma mère se tendre contre moi. J’ai senti ses muscles rouler autour de ses épaules, son dos se raidir, et sa respiration hoqueter, puis s’accélérer sous la surprise. C’était délicieux de la toucher enfin au fond de son cœur. Excitant même, d’être parvenue à l’atteindre, d’exercer une emprise après toutes ces années à n’être moi-même qu’un défouloir pour une colère et un dégoût que je n’ai compris que trop tard.

« Je sais, » lui ai-je murmuré, mais cette fois-ci, sans parvenir à trouver les mots exacts pour élargir la plaie déjà ouverte.

Alors, tout m’est retombé dessus. Ma mère m’a repoussé d’une bourrade dans la chaise dure, dont les pieds ont claqué contre le sol, en résonnant dans l’espace vide de l’amphithéâtre comme un glas. Une rebuffade si similaire à tant d’autres qui a éveillé au fond de moi ces souvenirs d’une humanité crasseuse, si bourrés de vieux sentiments larmoyants, désormais tous morts. Un écho émotionnel qui m’a prise au dépourvu. Des visions ont défilé subitement devant mes yeux éveillés, comme un essaim de papillons affolés et indésirables, que je croyais enterrés au fond d’une mare de pétrole.
Notre cuisine étroite aux odeurs de friture. Moi, devant cette table, l’assaillant de questions, et son dos tourné, avant qu’elle ne fasse volteface pour me frapper. Cette spatule en bois résonnant contre ma joue, et cette brûlure, cette douleur, lorsque ma chair s’ouvre et se déchire sous la violence. Mon vieux lit d’enfant où elle m’avait repoussé de la même manière, dans un excès de rage. Le déluge de coups qui avait suivi, le bruit de ses paumes contre mes bras érigés en défense pathétique, et mes hurlements la suppliant d’arrêter. Le miroir de la salle de bain et mes joues tuméfiées le lendemain.

Pas de paix en enfer, ai-je pensé en la voyant se détourner de moi, et remonter les marches, comme un effort subjectif et inconscient de reprendre un ascendant que notre affrontement avait brisé.

Je me suis levée à mon tour. Les mains fourrées au fond de mes poches, et la bouche pleine de mots fielleux qui n’auraient rien avancé de mes intérêts. Encore moins des siens, à Lui. J’ai jeté un regard indifférent vers cette salle immense, où tonnait l’écho de sa voix, en fixant les battants de la sortie avec un intérêt distant. Cela aurait été si facile de franchir ces portes et de l’abandonner là, comme elle l’avait fait avec moi. En lui laissant ces questionnements et son mal-être qui la rongeraient au moins durant un temps. Je me suis ravisée tant bien que mal. J’avais encore des choses à faire ici.
J’ai déambulé à sa suite, sans mot dire, monté les marches de l’estrade sur lequel elle tentait de se dérober à la conversation, sans demander la moindre autorisation, sans lui accorder d’attention ou d’explication sur mes intentions. L’endroit sentait le vieux bois et la sueur, comme le formol d’une éducation humaine, macérée dans la complaisance et imbue de sa connaissance limitée. Je me suis tenue sur le bord de cette arche de l’humanité, qui commençait à prendre l’eau de toute part, et j’ai observé cette salle vide, de ce point de vue surélevé censé représenter l’autorité.

Je n’ai rien ressenti. C’était vide et minable.

« Je l’ai rencontré. Pas été facile, » ai-je commencé en lui tournant le dos, le regard braqué sur la salle. « Un peu par hasard en fait, c’est une longue histoire. »

Je faisais cours. Apprenez donc, vous tous, que vous n’êtes rien. Des cloportes errants sur la surface de la Terre, dont les âmes sont autant de petits pets vains s’évaporant dans l’immensité d’un désert de sable noir. Ridicules. La perspective me donnait le tournis aujourd’hui encore, et ce malgré toute mon indifférence, tout le recul que cette expérience hors norme m’avait donné.

« Dans un endroit au-delà de la réalité. J’sais que c’est une explication de merde, mais c’est comme ça. Un rêve de sorcière, littéralement, mais il faudrait un livre entier pour en parler. »

Un putain de livre. L’idée m’a fait sourire. Un rictus discret décorant mon air rêveur, absorbé par la vacuité de cette salle, et son estrade en guise de trône minuscule. J’ai continué à semer quelques informations d’une voix atone, comme si l’on récitait une recette de cuisine.

« Il a un plan pour toi. » J’ai haussé les épaules. « J’ai pas été d’accord. Je lui ai dit que tu ne valais rien, juste une petite prof qui défoule la frustration de sa vie merdique sur sa gosse. Mais bon. »

Je me suis retournée vers elle, l’air indifférente de l’insulter ainsi. En réalité, cela ne me procurait aucun plaisir désormais, car j’en étais venue à préférer voir se fendiller son masque de froideur devant moi, à la voir bouillir, à me frapper inutilement, impuissante, dans son humanité feinte.

« Il a son idée, quoi. Perso, j’pense que c’est une connerie, mais j’ai pas trop mon mot à dire, et puis le coup du temple, c’était pas tant que ça une connerie. Ou bien, j’serai pas née, non ? »

L’idée me soulevait encore l’estomac. Les détails, j’étais heureuse de les ignorer. Sans doute était-ce parce que cette histoire impliquait intimement ma mère, envers laquelle je ressentais toujours une haine aussi grande que la sienne. J’ai recommencé à déambuler autour de son bureau, sur l’estrade, en observant d’un œil curieux les documents encore éparpillés à côté de ses affaires.

« Bref, c’est de la vieille histoire. Là maintenant, ce qui compte, c’est que t’es à la jonction de deux chemins. Le premier, soit tu poses tes questions, j’y réponds, et tu acceptes ce qu’il a planifié pour toi. Pas de retour possible. Ou bien tu te casses maintenant, tu retournes gratter tes p’tits pots cassés en te demandant à quel moment t’as raté ta vie, et j’te foutrai la paix pour toujours. »

J’ai laissé le silence nous entourer un court instant. Le timbre de ma voix était resté calme, loin de détenir l’écho de la sienne, cette intonation sévère du professeur Zimmer qui résonnait violemment entre ces murs. Non, mes mots étaient dénués de tout désir impérieux, de tout piédestal, ils étaient sinueux, patients et infatigables. Ils attendaient le bon moment. Ils reviendraient sans cesse.

« Choisis, » ai-je finalement murmuré, et ce dernier mot a semblé ramper autour de nous, partout, dans les interstices des planches, des murs et de tout son univers.

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Sam 28 Mai - 8:56 (#)

Petite fourmi dans l’immensité de la pièce, l’importune quitte enfin son siège, à l’image de la masse d’étudiants ayant déjà vidé les lieux depuis longtemps. Mais contrairement à ce que je pensais, elle ne prend pas le chemin de la sortie. Ses pas résonnent dans la salle et je constate que la petite perdue me suit comme quand elle n’était encore qu’une enfant incapable de faire autre chose que de me gêner. Notre conversation s’est décalée du bas de l’amphithéâtre, là où siègent les étudiants grattant le papier en quête de réponses, pour s’élever sur l’estrade censée symboliser le savoir et la connaissance, présage de la suite de notre échange. Derrière le bureau, figée, je la toise. Elle est si mobile, si semblable à ces primates qui peuplent cette forêt de béton, si différente de ce que je suis. Une de mes mains se pose sur mes affaires, prête à saisir le sac pour partir et abandonner de nouveau l'enfant non désirée. D’un regard tranchant, j’essaie de déterminer quelles sont ses intentions, mais rapidement elle me les révèle d’elle-même. Sa voix échappe quelques mots qui auraient pu me figer si je n’avais pas déjà été si placide. Comment ? Comment est-ce possible ? Son profil se tourne vers moi alors qu’elle est parvenue à capter toute mon attention pleine et entière, comme cela ne fut jamais le cas jusqu’à présent. Un fracas d’hypothèses et de questions emplissent mon esprit comme un flot brutal venant réduire à néant le calme froid d’une mer d’huile. Elle l’a rencontrée. Elle n’en a pourtant pas l’air. S’il lui avait fait la même chose qu’à moi, il ne fait nul doute qu’elle n’aurait pas cette décontraction lasse. Si elle aussi avait reçu la malédiction innommable de se voir forcée à porter dans ses entrailles un être infâme, alors son comportement aurait été tout autre. Sans un mot, je l’écoute et l’observe, plissant les yeux de concentration en cherchant à assembler les éléments qu'elle étale devant moi. Que lui a-t-il dit au juste ? Que sait-elle de ce que je suis, ou même des circonstances de sa naissance ? J’aurais dû depuis longtemps lui dire qu’elle n’est que le fruit d’une odieuse profanation, d’un viol et d’un massacre, peut-être aurait-elle alors compris l’ignominie qu’elle est. Ce qu’elle représente. Que son essence est viciée et souillée depuis le premier jour.

Aussi mouvante que je suis immobile, elle arpente l’estrade, présente les éléments qu’elle gardait jusque là dissimulés en un jeu que je devine enfantin. Lavée de son ancienne peur, elle nargue, moque, sans crainte ni inquiétude. Comment pourrait-elle avoir encore peur de moi après avoir rencontré le dieu infernal qui m’a faite monstre ? Un venin insidieux, mutin et intangible se distille dans ses mots qui se veulent acerbes sans jamais réellement atteindre l’océan glaciale qui constitue mon âme, déjà bien trop secoué par ses révélations pour être davantage troublé par ses attaques ineptes. Ses mots ne sont que persifflages ne cherchant qu’à attiser la colère que je nourris déjà à son encontre, mais ce poison là en particulier ne m’atteint pas. Pour l’heure, seule une curiosité dévorante m’habite. Elle a parlé d’un plan. Elle tient entre ses mains des réponses que je cherche depuis longtemps, qui me hantent et m’envahissent, réduisant l’espace tangible autour de moi à des songes autoritaires exigeant la vérité. Mon regard s’est fait perçant, presque une promesse de brutalité terrible si jamais ce qu’elle a à offrir n’est pas à la hauteur de ses promesses. Tous ces mots ne pourraient être que des mensonges dans sa bouche, mais elle n’aurait pas pu apprendre ce qu’il s’est passé dans ce temple par d’autres moyens. Ou peut-être que si ? Elle a évoqué une sorcière. Tout cela pourrait-il n’être qu’un piège dessiné spécialement pour me torturer ? Me pousser à la faute ? Cette idée des plus prudentes est massacrée par l’intense obsession qui me pousse à trouver du sens à mon enfer. Tout cela n’a pas été vain. Ne doit pas être vain. Il y a forcément quelque chose. Et si jamais elle me ment, elle fabule, se jouant de moi, alors je ferai ce que j’aurais dû faire il y a bien longtemps. Je ferai en sorte de ne plus avoir de fille. D’un ton impérieux, affamé de réponses, je lui enjoins :

« Alors parle. » Et ne joue plus avec moi, gamine. Ma patience n’a jamais été infinie face à toi. « Que sais-tu ? Que veut-il ? » Dis-moi tout ce que tu sais, tout ce que tu crois savoir. Dis-moi ce que mes visions s’évertuent à me faire trouver. Donne un sens à tout ce qui m’est arrivé. A tout ce qui nous est arrivé. « Que s’est-il passé pour que tu sois ainsi changée ? » Es-tu comme moi ? Aurais-je donc été incapable de le sentir ? De toutes les personnes existantes, faudrait-il que ce soit celle que je honnis qui soit finalement ma première camarade ? Ce serait une cruauté qui lui ressemblerait bien. « Et ne joue pas avec moi. »

Au fil de mes mots, mon regard scrutateur est devenu affamé, avide, laissant transparaitre cette obsession qui remplit mon âme depuis si longtemps. Un esprit rationnel me soufflerait que ce n’est pas le lieu pour de telles révélations, mais ma soif absolue de réponses à la limite de la démence oblitère tout autre jugement, craquèle la glace, éveille cet autre aspect de l’arachnide qui anéantie l’immobilisme pour l’obsession brutale. Une chasse à la vérité commencée de puis bien des années, moins sanglante mais plus terrible. Une chasse féconde, porteuse d'un futur monstrueux.
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
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En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
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- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
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Dim 5 Juin - 23:42 (#)



Tout cela a une saveur amère. Toute cette mise en scène. Toutes ces retrouvailles.
Toute cette merde. Rien n’aurait dû se dérouler ainsi. Ma venue aurait dû être fidèle à mes nouveaux fantasmes, ces sombres rêves que ma nature révélée faisait naitre ces dernières nuits ; je l’aurais tué. Mise à terre. Démembrée. Je serai entrée dans cette salle vide, seule à seule avec ma mère, j’aurais réanimé un à un ses espoirs, avant de les étouffer méthodiquement, comme l’on crève un oisillon à peine balbutiant. Je l’aurais faite ramper à mes pieds. J’aurais éprouvé la saveur de la revanche, et la satisfaction d’avoir enfin achevé, étranglé littéralement, le dernier résidu de mon ancienne vie.

Mais non. Elle était là. Elle était toujours là. À respirer et à parler. Insupportable.

Tout cela à cause de Lui. De ce marché que nous avions scellé, et de ses directives, de son foutu plan qui l’enrôlait elle aussi dans ses monstrueux rouages. Autant pour dire merde à l’autorité, ai-je pensé et ça n’a fait que me remettre un goût dégueulasse sur le bout de la langue. Ça puait l’impuissance. J’ai eu envie de lui hurler de la fermer, et de lui arracher toute cette suffisance immobile, l’assurance digne qui irradiait de tout son être ; de lui ôter tout ce qu’il lui restait pour supporter de vivre. Une boule de colère bien noire s’est coincée au fond de ma gorge, et j’ai ressenti une violence tout juste contenue remuer au fond de moi, escalader mes entrailles comme une arachnide méthodique.

Douche froide. Indifférence. Ces deux-là, j’ai dû les ramener du fond de mon âme, lorsque j’ai tourné la tête vers ma mère, alors placidement assise derrière le bureau.

« Il veut que tu lui fasses un autre gosse, » ai-je sifflé, en sachant pertinemment le caractère odieux de cette réplique. « J’ai envie d’un petit frère ou d’une petite sœur. »

J’ai haussé les épaules. Les filaments de violence se sont délités au fond de moi, comme les antennes d’une créature se repliant dans sa cachette. J’avais un objectif à accomplir en venant ici, et même si l’on m’avait donné une certaine liberté d’interprétation des directives, les conséquences planaient autour de moi, comme un couperet. Ces dernières n’avaient ni nom, ni forme, seulement l’intention et la volonté d’un Être qui était sans doute capable de surveiller mes faits et gestes à volonté.
Tout cela rendait les choses pire encore. Ouais, suivons le plan alors. Jusqu’à un certain point.

« Non, je déconne. » J’ai soupiré. Les mains dans les poches, cet air décontracté et las au coin de la bouche, je suis venue m’asseoir sur le bord de son bureau, sans me préoccuper des documents ou des affaires susceptibles d’être écornées. Piètre revanche, Zimmer. Je me suis éclaircie la voix.

« J’sais que toute cette ville est un énorme échiquier, où des êtres au-delà de notre compréhension y font avancer leurs pions. Appelle-les comme tu veux. Des dieux, des monstres, peu importe, ils ont toujours existé quel que soit leur nom. »

C’est con. Je ne m’étais jamais intéressée à la religion, à l’histoire des sociétés, et me voilà au beau milieu d’une université à déblatérer au sujet de croyances et des divinités. Je me serrai trouvée sans doute stupide autrefois, avant d’avoir reçu la vérité infernale en pleine figure. Avec un supplément monstruosités cauchemardesques et fantasmes de matricides en prime, s’il vous plait.

« Malheureusement, toi et moi on se retrouve dans la même équipe, » ai-je continué, avec la nette impression que cette déclaration me brûlait la langue. « Avec tu-sais-qui. Enfin, j’espère que tu sais qui c’est, sinon j’me demande bien à quoi ça sert d’être autant le nez dans tes bouquins. »

Avais-je réellement envie de l’exprimer à haute voix ? De clamer haut et fort l’identité de mon père, de celui qui dormait d’un sommeil de mort dans ce désert de sable noir ? Les mots me semblèrent à la fois absurdes et terrifiants. Un délire ridicule, qui ne pouvait exister que dans l’imagination d’une secte ou bien d’une romancière obsédée par les ténèbres. Et pourtant, la réalité de cette existence innommable souillait toute tentative d’explication d’une horreur sans nom, d’une sensation de folie et d’étouffement, comme si les mots cherchant à Le décrire suffisaient à l’attirer dans cette réalité.
J’ai observé l’immense amphithéâtre. J’ai essayé de concevoir les mots adéquats pour décrire ce Père qui n’en était pas vraiment un. Je les ai senti ramper autour de moi, dans ma gorge, dans ma tête, et attirer l’attention de quelque chose d’immense, qui fouaille et étreint froidement l’âme par sa seule présence. J’ai eu l’impression de voir cette salle vide, ces fauteuils et ces chaises, se remplir, palpiter et se gorger de masses grouillantes, de formes visqueuses, qui auraient toutes inspirées et expirées en rythme, comme un cœur souffreteux et pourri. J’ai eu la sensation d’en avoir plein la bouche.

J’ai frissonné. Non, je refusais de décrire ça. Le langage n’y était pas accordé.

« Bref, » ai-je fait, en chassant cet étourdissement qui m’avait saisi un court instant. « Aujourd’hui, il nous appelle. Toi, moi. D’autres, peut-être. On a chacune des choses à faire pour Lui, tu peux appeler ça comme tu veux, le destin ou autre chose, peu importe. »

Inconsciemment, ma jambe s’est mise à osciller dans le vide. L’idée de servir ne me plaisait pas. Elle allait à l’encontre de mon caractère, mais plus encore, elle contrariait cette nouvelle volonté maline qui demeurait encore cachée bien au fond de moi. J’obéissais, en attendant mieux.

« Il te veut toi aussi avec lui, j’suis juste là pour faire la commission. » Je me suis massée la nuque. La pilule passait mal, et un rictus contrarié a déformé mes traits un court instant, avant de reprendre.

« J’étais au bout de ma vie, avant ça. C’était comme un combat intérieur permanent, où j’comprenais rien à rien, seulement des sensations, des couleurs et des voix. Toujours des voix. J’me sentais tout le temps en train de tomber, à être constamment sur le point d’éclater d’une manière ou d’une autre. Impossible de me reposer. Impossible de réfléchir. Toujours à voir des trucs, entendre des trucs, avec toujours une putain de sensation de malaise au fond de moi. »

Tout m’est sorti d’un seul tenant, à la manière d’une enclume chutant au fond d’un puits. Non que l’évocation de mon ancienne moi réveille la moindre douleur ; ça revenait à évoquer la vie d’une autre personne, celle d’une exuvie qui ne représentait plus rien aujourd’hui. J’ai repris d’une voix atone, le regard perdu vers cette salle dépouillée de vie, en déroulant le fil d’une Alexandra morte.

« J’sais bien que t’en as rien à foutre, alors j’vais faire court, » ai-je continué. « Quand les symptômes physiques sont apparus, j’étais prête à en finir. Puis ma pote s’est ramenée d’un coup, elle a tout vu et m’a proposé de l’aide. Elle m’a aussi révélée que c’était une sorcière. Elle a commencé ses machins, ses rituels magiques ou j’sais pas quoi, mais rien ne s’est passé comme prévu. »

Je me suis frottée une seconde fois la nuque sans tourner la tête vers ma mère qui m’écoutait, sans doute. Ça m’était égal. Elle m’avait demandé des réponses, elle les aurait. Des vérités dépouillées de tout artifice, à l’apparence bien vilaine, comme des blessures purulentes.

« Parce qu’il nous a trouvé. Parce qu’il était déjà dans ma tête. Peut-être qu’il a toujours été là, j’en sais trop rien comment ça fonctionne. Mais il était là, et on a parlé. Longtemps. »

J’ai tourné la tête vers Emma Zimmer, ma mère adorée, qui découvrait sans doute avec une placidité et une indifférence froide tous les malheurs que sa fille avait traversés. Un rictus narquois a déformé mes traits. J’ai croisé les bras sur ma poitrine, en la dévisageant de la tête aux pieds.

« Peut-être qu’à travers moi, il t’écoute en ce moment, » ai-je ajouté d’un ton détaché. « Ta curiosité est satisfaite ? J’imagine que non, madame est une scientifique renommée maintenant, tu dois bien tout gratter jusqu’à l’os avant d’être repue. »

Un vrai vautour, n’est-ce pas. Je n’avais aucune envie de poursuivre cette conversation, et pourtant, je me savais liée à elle, hélas, tout comme j’étais enchainée à cet accord avec un autre. Pour l’instant.

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Mar 21 Juin - 7:42 (#)

Ses mots résonnent comme un coup de tonnerre dans le ciel artificiel de l’amphithéâtre. Aussi vite qu’il fut brisé, le silence retombe autour de nous comme une chappe de plomb cherchant à m’écraser. D’autre enfants. Comme si celle-ci n’était pas déjà l’incarnation d’un échec spectaculaire. Dans l’esprit de l’arachnide s’éveille la mémoire de ces nombreux enfants abscons abandonnés dans les bois pour qu’ils y viennent au monde, êtres déformés sans âme ni humanité, simulacres d’araignées grotesques aux vibrations infernales. Ces engeances-là ne sont-elle pas toutes ses enfants, déjà ?

Mon visage est gelé en un mutisme habituel, mais j’en sentirais presque chaque muscle douloureusement figé en un masque immuable. Un mur de marbre dissimulant l’étonnant fracas de cette révélation. Comme toujours, le vide de l’araignée noie toutes émotions que pourraient susciter l’évocation même de cette nuit honnie où ma fille fut conçue. Des images lointaines et le souvenir de l’horreur et de la douleur, un sentiment qui n’est plus qu’une vague réminiscence du gout de la peur dans ma bouche, de l’horreur dans mon âme et de l’envie de mourir dans mon cœur. Mais ces souvenirs odieux se mêlent à l’espoir entêté et brutalement ambitieux d’avoir raison. Un besoin insatiable de savoir, de comprendre, de donner un sens à tout ça. Une nécessité de prouver à tous que j’avais raison. Que j’ai raison. Une obsession perfide et tenace, loin des accusations de folies et des dénigrements. Seule et minuscule dans la grande salle qui me surplombe et m’écrase, mon esprit se démène dans un combat intérieur. Le vieux reste d’humanité terrorisé n’existant plus que dans quelques souvenirs et l’implacabilité de l’arachnide prête à tout pour conquérir ce royaume cimenté et pollué. La voix d’Alexandra supplante cette opposition humaine et inhumaine, révélant sa supercherie et une fois encore sa nature perfide. Mais alors même qu’un soulagement aurait dû naitre dans la petite parcelle encore vaguement primate qu’il me reste, je comprends tout de même quel aurait été mon choix. Celle que j’ai été, perdue et terrifiée, est morte depuis longtemps. Il ne reste plus qu’une version de moi supérieure, prête à tout, capable de tout. Perdue dans ses moqueries infantiles, sait-elle qu’elle vient de me détacher d’une de mes dernières part d’humanité ?

Elle reprend tandis que je l’épie avec le regard aiguisé d’un chasseur identifiant sa proie. Je plisse les yeux, cherchant à déterminer si ce qu’elle dit est vrai ou bien encore une de ses manigances ineptes. Mon regard découpe chaque frémissement de son visage, cherchant un rictus trahissant un amusement, un plissement des yeux, quelque chose, n’importe quoi pouvait la trahir. Malgré tout, cette plaisanterie aurait été bien trop longue pour la patience plus que modérée de cette gamine. Elle dessine dans ses mots l’image d’un vaste champ de bataille caché, secret, superposé à ce monde d’une futilité excessive. Dans ma concentration terrible pour intégrer toutes les informations utiles, je sens percer cette sensation d’étrangeté. J’entends enfin tout ce que je voulais entendre depuis des années, peut-être même depuis le début de mon existence, mais ces mots sont portés par celle-là même qui était le moins susceptible de me les amener. Qui aurait pensé que cette révélation viendrait de cette si pitoyable enfant ? Et pourtant, quand on y songe, cela semble logique. Un plan, un projet, voilà ce qu’elle. Un pion, comme elle le dit. Pantin crée dans l’horreur, petite marionnette qui semble à présent répondre si docilement aux ordres.

Elle conte son histoire horrifique et l’université pourrait s’effondrer autour de nous sans que je le remarque tant sont récit retient mon attention. Un étonnement s’éveille, vite avalé par une concentration terrible. A-t-elle donc le même genre de visions que moi ? Les miennes sont-elles également le fruit de cette entité qui a si largement marqué nos vies ? Mon regard tressaille un instant devant cette information qui apporte un éclairage nouveau, mais rapidement mon attention se reporte sur la petite qui n’a pas terminé son récit. A entendre son enfant raconter sa souffrance ainsi, n’importe quelle mère aurait dû s’en inquiéter, mais ce n’est qu’une pointe de curiosité macabre qui grandit dans mes yeux. Peut-être même un peu de satisfaction de savoir que la source de mon enfer a également souffert dans cette vie. Je grave scrupuleusement dans ma mémoire toute information qui pourrait être utile, ne l’interrompant pas. Peut-être s’agit-il là de la plus longue conversation que nous ayons eue jusqu’ici. Elle termine son conte par une raillerie attendue, presque prévisible, incapable de réfréner ses instincts quand même elle prétend être là pour une raison plus grande qu’elle. Il y a toujours plus à savoir. Chaque révélation amène une multitude de nouvelles questions. Chaque évènement, chaque phénomène, les causes et conséquences, tout cela mériterait d’être étudié, ausculté, décortiqué méthodiquement et avec ardeur, mais l’heure n’est pas à la vivisection de la réalité. Malgré tout, un élément de son histoire retient mon attention.

« Quelles manifestations physiques ? »

Quelque chose d’aussi ennuyeux qu’une banale maladie ou d’aussi horrifique que les phénomènes qui m’assaillent à chaque pleine lune depuis de nombreuses années ? Elle est bien également la fille de cet être monstrueux, en a-t-elle aussi les traits ? Fixant mon regard sur son visage que souvent je refusais de voir, je cherche quelque chose indiquant sa terrible ascendance, sans rien y trouver de particulier, sinon peut-être ce reflet de moi-même que je refuse de voir. Rapidement, mon intérêt se détourne de cette enfant, mon esprit se perdant dans des implications plus larges, plus grandes. Une myriade de questions impatientes et grinçantes se chevauchent et s’entremêlent, mais une seule s’élève au-dessus de toutes les autres. Une question qui semble relever d’une importance capitale. Une qui semble impossible à poser tant la réponse est risible. Pourquoi moi ? Hélas, c’est le genre de question qui ne trouve jamais de réponse satisfaisante quand elle est posée à des entités divines. Pourquoi un pion plutôt qu’un autre ? Parce que c’est comme ça. Cette volonté toute humaine et égoïste de chercher à comprendre pourquoi on est choisi s’écrase devant la compréhension rudement logique, froide et mécanique de l’insecte vivant en colonie : c’est toi comme ça aurait pu être un autre. Un individu seul n’est rien qu’un minuscule rouage d’une toile plus large. Toute tentative d’y donner un sens est vain.
Finalement il n'y a qu’une seule question qui importe. L’araignée, d’habitude si placide, s’est agité comme pour le début d’une chasse grandiose. Un instinct irrépressible l’animant dans mon âme, impatiente. Une envie, une hâte de voir un large plan prendre forme dans cette ville si miséreuse et solitaire.

« Qu’attend-il de moi ? »

Le sais-tu réellement, Alexandra ? Quel étrange émissaire tu fais, toute dégingandée et détachée, l’apparence d’une personne n’ayant aucun intérêt notable pour ce qui est en train de se passer. Pourquoi es-tu toujours si décevante, même quand tu fais face à quelque chose d’aussi prodigieux ?
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
Alexandra Zimmer
Alexandra Zimmer
NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
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En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

Thème : Nick Cave & The Bad Seeds : Red Right Hand
You'll see him in your nightmares
You'll see him in your dreams
He'll appear out of nowhere but
He ain't what he seems
You'll see him in your head
On the TV screen
Hey buddy, I'm warning
You to turn it off
He's a ghost, he's a god
He's a man, he's a guru
You're one microscopic cog
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His red right hand

Pseudo : Achab
Célébrité : Rooney Mara
Double compte : Elinor V. Lanuit & Inna Archos
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Crédits : Lyrics: Nick Cave & The Bad Seeds ; Avatar: @vestae-vocivus
Lun 27 Juin - 17:49 (#)



Blackout. Qu’attend-il de moi ? Qu’attend-il de nous ?
J’ai fixé le vide en face de moi, atone et détachée des mots. Voilà tout l’effet de cette conversation avec elle, si éternellement immobile, intouchable et immuable ; elle qui ne m’offrait que d’infimes variations de l’ennui. Je hurlais à la face d’une sourde. Je me débattais dans des sables mouvants d’un désert, celui d’un cauchemar filandreux et visqueux d’un moucheron collé dans une toile, où toute fuite se révélait forcément vaine. Je frappai dans le marbre. Je tuais ce qui était déjà mort.

« T’sais, les vies violentes ont des fins violentes. Les vies merdiques aussi. » ai-je murmuré, surtout pour moi-même, comme rien d’autre ne l’intéressait sinon sa propre histoire.

J’ai éludé ses dernières questions. Elles se sont dissoutes dans le silence des lieux, minuscules rubans de bruit qui n’étaient rien d’autre que les supplications ténues d’une créature déjà morte depuis des années. Je n’ai rien dit immédiatement. J’ai entendu sa respiration dans mon dos, qui m’a paru alors terriblement forte, pulsante tels des échos remplissant les murs de cette immense salle. Ils se sont mis à escalader les chaises et les tables, les tubes et les creux du plafond, telles des nuées grouillantes venues m’observer. J’ai frissonné, assise sur ce bout de bureau en forme d’ilot perdu.
J’ai tenté de réfléchir à la manière d’aborder les choses, de l’entrainer avec moi dans cette folie et cette chute inexorable qui nous attendait toutes deux. J’ai ouvert et fermé la bouche sans trouver les mots adéquats ; mes lèvres étaient saturées de cet écho parasite qui emplissait tout l’espace, telles des millions de millions d’élytres se heurtant les unes aux autres. Ce cauchemar-ci ne m’avait pas non plus déserté aujourd’hui, et je me suis retrouvée ainsi, à nouveau pensive et indécise, à être tiraillée par cette tension de toujours. Je me suis levée alors, soudain saisie d’un besoin de mouvement.

Blackout, encore. La tête m’a tourné. Les visions étaient bien là, toujours vives et grouillantes.

Les feuilles sur le bureau ont bruissé. Un véritable vacarme qui a brisé le silence comme le tonnerre, et je me suis levée, dans un état second, mes chaussures heurtant avec le même fracas le bois de l’estrade. J’ai traversé l’espace sans dire un mot, descendu les marches et louvoyé entre les chaises pour récupérer mon vieux sac. Il était lourd. Trop lourd. J’ai ressenti le poids de l’objet à l’intérieur avec une acuité anormale, comme si tout ici, toute cette mascarade, ces retrouvailles, n’étaient qu’une huile bien sale et suppliante, servant à entrainer les rouages d’une immonde machinerie.

Je l’ai récupéré néanmoins ; c’était ma fatalité et rien d’autre. Ce serait la sienne, bientôt.
J’ai remonté les marches une à une. Une main fourrée dans une poche, l’autre sur ce sac. Apathique et désormais dénuée de toute envie de jouer. Elle avait douché ma méchanceté.

« Manifestations physiques, ouais. Qu’est-ce que tu crois qu’il y a sous la peau de ta fille, hein ? » ai-je fait en me plantant en face de son bureau. « J’suis aussi la sienne, j’suis comme lui dessous. Tout le reste, c’est juste un habit. Un jour ou l’autre, tout ça a fini par ressortir. »

Désert noir et main difforme. Et le murmure des monarques. Ces souvenirs étaient encore vifs, et je les ai pourtant rejetés avec une facilité terriblement déconcertante, toute imbue de cette nouvelle force si avide de me débarrasser des derniers résidus d’humanité. Alors, j’ai balancé mon sac sur la table sans égard pour les affaires de ma mère, l’ai ouvert et tâtonné à l’intérieur à la recherche de ce fichu livre. Je l’ai senti sous mes doigts immédiatement. Une sensation électrisante de froid, comme le toucher d’un serpent, qui résonnait à travers à ma chair à chaque fois que je le touchai.
Je semblais être la seule à ressentir ce frisson. Merci du cadeau, connard, ai-je pensé, en extirpant le livre, que j’ai déposé sur son bureau devant elle. La lourdeur des mille cinq cent pages a résonné sur le bois lisse, comme un coup de poing dans le ventre. Les Innommables, son œuvre, la mienne, peut-être mon seul et dernier livre, tant son écriture m’avait laissé exsangue de toute inspiration littéraire.

« Cadeau pour toi. Mon tout premier d’ailleurs, non ? » J’ai haussé les épaules. « Je l'ai écrit, mais pas toute seule. Tu devrais y découvrir quelques ressemblances avec tes découvertes, si j’ai bien compris. Des choses familières, oui… Des langues, des civilisations, ces trucs-là. »

J’ai refermé mon sac sèchement, l’ai laissé choir à mes pieds, et croisé les bras, debout à observer ses réactions. « Lis-le. C’est d’la fiction. ‘Fin, toi t’auras pas de mal à trouver le vrai dedans. »

Yeux bleus et froids. Cheveux bien ordonnés. Pâle et immobile. Je l’ai scruté avec intérêt, cherchant à découvrir dans cette fausse idole maternelle, une once de vie ; et plus encore, je cherchais à savoir si je pouvais lui faire confiance. Elle avait été claire ; elle voulait des réponses. Et rien d’autre ? Au fond, je l’avais appris dans la douleur, ma mère n’était intéressée que par elle-même et ses propres délires, quoi qu’ils puissent être. Je me suis accroupie devant le bureau, les bras sur le rebord, en cherchant à sonder ce regard si froid, si tranchant, à la recherche de quelque chose qui n’existait sûrement pas.

« Tu trouves pas ce marché déséquilibré ? J’te file les réponses que tu as attendu toute ta vie, j’te file même un cadeau, et moi j’ai quoi en retour ? Encore plus de foutues questions. »

J’ai appuyé mon menton sur le dessus de mes mains, entrelacées sur le bois dur, et mes yeux se sont rivés aux siens, à ceux de la bête. Qu’est-elle ? Ça, c’était une question qui me taraudait encore. Ça, c’était une réponse potentielle qui faisait remuer cet appétit au fond de moi, encore bien patient.

« La bonne question aussi, c’est qu’est-ce que t’es prête à faire pour Lui ? Et moi j’veux savoir de quoi t’es capable, pas seulement moralement, t’as pas de morale, mais physiquement. T’es quoi au juste ? T’es devenue quoi ? Parce que j’suis sûre que je l’aurais remarqué avant. »

Rictus. Je l’ai senti se faufiler au coin de mes lèvres. L’idée que ma mère soit devenue physiquement le monstre qu’elle avait toujours été dans sa tête, l’une de ces créatures de Grimm, était carrément une ironie capable de me faire éclater de rire. J’ai tapoté le bois du bout de l’index avec impatience.

« Aller, dis-moi quel monstre tu es, et j’te dirais quel monstre tu peux devenir. On est en famille hein, ça restera encore nous. »

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Ven 8 Juil - 9:02 (#)

Le silence cassant nous dévore entre chaque phrase de cette conversation où les mots sont porteurs de bien sombres présages pour cette pauvre pathétique petite ville. Avec une attention défaillante et désintéressée, je suis ses mouvements du regard en m’attendant encore à une de ses pitreries puériles. Trainant son sac, elle m’octroie enfin une réponse. A ses mots, mon regard affuté glisse sur elle en scrutant la moindre aspérité de sa peau qui pourrait laisser entrevoir le sombre cauchemar qui se dissimule en dessus. Les images abominables de cette nuit dans ce temple se superposent à la frêle silhouette pâle de cette enfant maudite, me laissant présager une monstruosité innommable et horrifique pour laquelle cette terre n’est en rien préparée. Peut-être n’est-elle-même pas ma fille, pas même un peu, descendance tout entière d’un dieu grouillant et impitoyable. Ces idées se noient dans l’observation de ses gestes brusques, trop vifs pour le calme inégalable de cette vaste pièce nous servant de scène pour ce soir. J’observe un instant le livre ainsi déposé sans comprendre le pourquoi de sa présence avant que la voix éreintante de l’enfant ne tente d’expliquer son origine. Un nouvel intérêt empli mes prunelles tandis que je scrute la couverture de l’épais ouvrage, mais mon inspection sommaire se voit déjà interrompu par de nouvelles questions ennuyeuses. Il n’y a pas assez de gifles en ce monde pour faire taire cette petite. Ses mots vrillent le silence, m’agacent et réveillent cette haine qu’elle m’évoque depuis toujours. Une gêne persistante, telle une mouche irritante qui bourdonne sans cesse aux alentours et que l’on rêve de chasser d’un geste sec et mortel de la main. A l’issue de ses questions, j’entrevois subitement une possibilité qui m’arracherait presque un sourire cynique, mais les commissures de mes lèvres restent inexorablement inertes. Ici, pour la première fois de ma vie, je peux prononcer cette phrase si habituelle pour d’autres, si banale, si normale. Cette phrase qui parfois provoque des rires enregistrés dans de mauvaises émissions de télé si elle est prononcée au bon moment. Un ensemble de mot de que je n’aurais jamais pensé dire un jour ensemble. L’écho de ma voix indifférente se répercute dans l’amphithéâtre pour y porter ces mots des plus inédits :

« Demande à ton père. »

N’est-ce pas là sa propre malédiction salvatrice ? Qu’il est intéressant de voir que finalement, elle ne sait que peu de choses. N’a-t-il pas pris le temps de te parler de ta propre histoire ? Petit soldat docile auquel aucun de ses ascendant ne souhaite parler pour lui offrir des réponses. Sur le même ton placide, je poursuis :

« Tout est de son fait. » De ta propre existence jusqu’à ma décadence. Peut-être ne sommes-nous que des pièces taillées sur mesure dans l’horreur et la douleur pour son jeu d’échec obscur. « C’est toi qui es venue me trouver. Je ne te dois rien. »

Ne m’as-tu pas dit n’être qu’un pion ? Qu’aurais-je à gagner à satisfaire ta curiosité ? Je ne l’ai jamais fait jusqu’ici, ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer. D’un geste lent, je saisis le livre posé sur le bureau. Son apparence banale réveille pourtant un sentiment diffus, à la fois de malaise et de familiarité. Je feuillette l’ouvrage, sautant les pages par dizaines puis centaines, parcourant le récit en n’attrapant que quelques mots de-ci de-là. La blancheurs des pages se tournant rapidement semble s’emmêler en une toile d’araignée fine et résistante, brouillant un instant mes perceptions comme cela arrive bien souvent. Mon attention est capturée par quelques phrases écrites en une langue étrangère que je n’ai jamais lues jusque-là. Je m’y attarde un instant, décortiquant les caractères d’imprimerie. Cette langue semble bien trop complexe pour avoir été inventée par la fille qui dit avoir écrit ce roman. D’une brusquerie silencieuse et invisible, l’arachnide s’agite. Impossible de déterminer si elle réagit au livre lui-même ou bien au curieux sentiment qu’il m’arrache à travers cet océan gelé. Ceci n’est pas un livre. C’est un mystère. Un cadavre à autopsier. Une relique à analyse. Je referme l’ouvrage d’un coup sec, créant un bruit étouffé qui se répand dans l’amphithéâtre en un écho sourd, puis glisse le livre dans mon sac. Comme si cette ellipse n’avait pas eu lieu, je reprends :

« Il sait tout ce qu’il a à savoir. Si tu n’as rien de plus à dire, tu peux t’en aller. »

A peine ces mots prononcés, un sentiment rare perce la carapace de mon être. Un immobilisme soudain, une pointe de doute brûlant qui traverse la glace ambiante. Tout ? Sait-il vraiment tout ? Mon esprit s’égare vers ces curieux œufs poisseux abandonnés dans la terre moite de la foret de Mooringsport. Cette multitude de pattes difformes perçant leur enveloppe protectrice pour s’en extraire en un accouchement morbide et se déverser sur le monde des Hommes en un océan noir qui recouvrira bientôt toute la ville et son bitume malodorant. Mon regard se pose un instant dans celui de cette enfant trop curieuse. Interdite un instant, je finis par lui abandonner quelques mots :

« Viens dans trois jours. » J’extirpe de mon sac une feuille volante et en découpe un bout pour y noter mon adresse. « A vingt-deux heures. »

Elle veut savoir ? Alors qu’elle ait le courage de voir plutôt que d’entendre juste quelques mots insensés. Je lui tends le papier en ne lui abandonnant pas même un regard. Nul n’a jamais vu l’araignée, peut-être est-ce là un cadeau que je te fais, ou bien une nouvelle punition. Peut-être cela sera-t-il notre premier vrai moment de partage entre une mère et sa fille. Peut-être que ton pauvre petit cœur enlisé ne survivra pas à la vision de la vérité que tu réclames tant.
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
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En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

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Dim 17 Juil - 23:21 (#)



Cela s’éveillait. La colère et la violence. Les mots l’attiraient.

J’ai serré les dents. J’ai entendu sa réflexion résonner dans mon crâne inlassablement. Trois fois. Six fois. Des dizaines de fois. Toutes saturées d’un mépris discordant qui m’écorchait l’âme et faisait naitre une fureur que je n’avais plus ressentie depuis longtemps. Je suis restée immobile. Crispée. Incapable de détourner mon attention de cette face indifférente qui ne me consacrait à présent pas la moindre attention ; ses mains avides étaient accaparées par ce livre maudit devant elle. La colère m’a transi. J’ai senti une force remuer au fond de moi, celle d’une chitine titanesque et avide qui cherchait à s’extraire de son déguisement pour se défouler sur l’affront qu’elle venait de subir.

J’ai tout refoulé. Tant bien que mal. J’ai serré les dents jusqu’à ressentir des élancements douloureux dans les mâchoires. Pourtant l’imagination, elle, travaillait.

Cela remuait. Cela voulait se déchainer sur elle, lui faire ravaler sa moquerie, la faire souffrir, la faire supplier. Cela me susurrait des visions. Des questions. Quel bruit ferait sa tête en l’envoyant rouler sur le plancher ? Quelle teinte aurait le sang de ma mère sur ces murs bien blancs et bien nets ?

L’intention prédatrice était tout juste supportable. Calme-toi, putain, c’est pas prévu dans le plan, me suis-je rabâchée, tandis qu’elle continuait à me cracher au visage, avec son flegme bardé de dédain.

« Ça va, ça va. J’ai compris, tu veux rien m’dire. Va te faire foutre, » fis-je en envoyant un grand coup de pied dans mon sac.

Je me suis détournée d’elle un moment. J’avais besoin d’évacuer cette fureur dévorante, de faire cesser ces frissons de mauvaise augure escaladant mon échine ; loin des yeux, loin de la violence. Je l’ai entendu ouvrir son sac, le froissement des papiers que l’on range, et la chute soyeuse du livre à l’intérieur. Mes mains se sont crispées dans mes poches. L’envie de céder au chaos, d’éclater dans ce silence oppressant, filtrait encore insidieusement dans ma chair par de minuscules tremblements.

Entendre sa voix ne m’aidait pas. Je me suis retournée vers elle, et ce bout de feuille qu’elle venait de déchirer, où elle écrivait son adresse en caractères couchés et rapides. Je n’ai rien dit. Je n’avais que des mots fielleux à la bouche, et je savais pertinemment que les cracher maintenant me desservirait.

J’ai laissé le silence s’étirer. Comme attendu, la voilà qui se détournait de moi, comme elle l’avait fait des dizaines de fois auparavant. Mère qui me déteste. Mère qui m’abandonne. Mère que je hais.

Je n’ai rien éprouvé. Mon attention s’est apposée sur ce coin de papier comme la fureur à l’intérieur de moi se tassait, réfléchissait et piochait dans sa besace de malice à la recherche d’inspiration. Alors j’ai attrapé sans rien dire son adresse, l’ai examiné, indifférente, et la tempête a repris l’apparence de l’eau qui dort. Une idée mauvaise a refait son chemin dans ce jardin en friche qu’était ma nouvelle existence et, tandis que ma mère se détournait de moi, j’ai lâché l’appât dissimulé dans ma manche.

« Morgane Wuntherson. »

Le nom a crevé le silence, comme une bille de plomb dans un puits vide. J’ai plié lentement le papier qu’elle m’avait donné, en sentant mes pensées se dérouler avec la fluidité visqueuse d’un millier de pattes. Je me suis de nouveau appuyée sur le bureau, sans lui accorder un regard, fixant le plafond en fourrant le coin de papier dans la poche de mon pantalon. L’inspiration revenait. Inconsciemment.

« C’est la sorcière qui m’a aidé à le contacter. Elle a disparu. Probablement qu’elle a quitté la ville par peur. Elle sait des choses. La magie c’est la clé pour les contacter, et sûrement pour comprendre un tas de choses sur eux. J’te parle pas de celle des Wiccans. Il existe d’autres magies, comme Morgane, qui font de la sorcellerie pas du tout grand public. »

J’ai croisé les bras en fixant mes chaussures. Qu’est-ce que ça m’fait de balancer mon amie ? me suis-je demandée. Rien. J’aurais dû lui être reconnaissante de m’avoir aidé à atteindre la vérité, mais cette part de moi, cette humanité, avait été dévorée en même temps que ma capacité à aimer.

« Elle a un mentor, un sorcier plus expérimenté dans cette ville. J’sais pas son nom. Mais elle était étudiante à cette même université. Peut-être qu’il payait ses études, ou un truc comme ça, j’en sais rien du tout. Mais il doit savoir des choses, peut-être même sur la partie d’échec qui se trame. »

J’ai tourné lentement la tête vers ma mère. Un rictus indéchiffrable a déformé mes lèvres. À moitié ironique, à moitié sardonique. À moitié malsain. Ces révélations venaient de loin. Trop loin.

« Lui aussi veut savoir ce que savent les sorciers de cette ville. Si t’en trouves, que tu les presses assez pour avoir des réponses, alors c’est… » J’ai mimé une explosion avec mes mains. « Jackpot. »

Je l’ai fixé un moment. Je me suis sentie épuisée. Comme si cette soudaine inspiration malsaine était venue du fond de mes entrailles, de ce lieu clos de mon esprit où reposaient les dunes noires sous un soleil mort. Les mots m’avaient brûlé la langue. Durant ces secondes de délation, je les savais sentis franchir mes lèvres avec l’avidité et l’inexorable force d’une colonne d’insectes en mission, à la façon d’une soudaine transe prophétique. La sensation est revenue à la charge presque aussitôt.

« Tu connais cette citation française ? » lui ai-je dit, alors que ma mémoire remontait d’elle-même dans des tréfonds littéraires, que j’avais moi-même oublié.

« Cependant, du haut de la montagne, arrive à mon balcon, à travers les nuées transparentes du soir, un grand hurlement, composé d’une foule de cris discordants, que l’espace transforme en une lugubre harmonie, comme celle de la marée qui monte ou d’une tempête qui s’éveille. »

Une amertume visqueuse s’est attardée dans ma bouche. J’ai froncé les sourcils. Un souvenir fugace, malaisant, qui échappait encore à mon attention, a frétillé au fond de mon âme avant même que je n’en saisisse la raison. J’ai eu l’impression d’assembler deux pièces d’un puzzle, et de condamner un fragment de mon ancienne existence à la mort. J’ai haussé les épaules. Pas important.

« Bref. Je passerai. J'sais pas pourquoi, mais je passerai. Grouille-toi d’rentrer avant que le temps se gâte, » ai-je conclu en me redressant.

J’ai été ramasser mon sac affalé par terre tel un cadavre éventré, et j’ai tourné finalement le dos à ma mère en commençant à descendre les escaliers de l’estrade, vers cet amphithéâtre silencieux. Il était toujours vide et sans espoir. J’en ai ressenti un frisson de joie.

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