We show our will to go further • Tsukiko

Arkansas, 7 Février 2012.

Un vent mauvais souffle sur les terres de l’Arkansas. Il ne s’agit pas seulement de ces vents habituels sillonnant la rocaille. Partout, dans les esprits échauffés ou refroidis, selon, les mêmes informations tournent, vues et revues sur toutes les télévisions. La magie existe. Il ne suffisait pas seulement que les vampires fassent leur Révélation, déclenchant un véritable tsunami médiatique, une révolution aussi conséquente que celle engendrée par les plus grosses catastrophes de l’Histoire de l’humanité. À présent, les jeteurs de sorts s’y sont mis à leur tour. Les mystères inexplicables ont finalement, quelque part, trouvé leur fondement, leur propre rationalité. La magie existe. Ian Calloway ne peut pas prétendre être véritablement surpris. Initié à bon nombre d’énigmes inaccessibles au commun des mortels, le Vertueux s’est principalement laissé prendre par la foudroyante brutalité avec lesquelles ces autorités mystiques ont levé le voile sur leurs activités. Un voile timide et léger, mais un sacré voile tout de même. Bien sûr que toute communication est contrôlée avec un soin machiavélique. Il n’est pas idiot. Aucune information malencontreuse pour la réputation de ces créatures ne saurait être transmise par leurs bouches habiles à formuler des salamalecs bizarroïdes, avec lesquels Miles est déjà bien plus à l’aise que lui.

Miles, son cadet, n’est pas là ce soir. Miles traîne quelque part en Floride, probablement occupé à se livrer à quelques trafics dont lui seul a le secret. Quant à Sasha, une blessure sérieuse l’a empêché de se joindre à la petite expédition qui s’est enfoncée loin vers l’Ouest, abandonnant la côte de Baltimore pour gagner le comté de Benton, et la petite ville d’Avoca. À peine cinq cents habitants vivent dans la bourgade tranquille, en apparence. Mais par-delà les murs de ses petites maisons et immeubles modestes, une meute a éveillé les convoitises des hommes, pratiquants de la foi ou non, réunis autour des pick-up et 4x4 dernier cri, pour certains. L’actualité assombrit les visages plus qu'à l'ordinaire. Ils sont à peine une dizaine. Ils attendent un élément supplémentaire. Celle qui remplacera Sasha, et qui leur a été recommandée par le bouche-à-oreille.

C’est elle que Ian attend. Bien campé sur ses jambes et un peu à l'écart du groupe, il croise les bras, guettant l’horizon sur lequel la nuit est en train de glisser ; à chaque minute, c’est un peu plus de lumière qui s’en va. La pleine lune arrive. Le cercle pâle est déjà là, ayant régné une bonne partie de la journée, défiant le Soleil de sa présence tranquille, dans le ciel d’un bleu si franc qu’on se serait cru en plein été. Il se sent étonnamment en forme, malgré un emploi du temps particulièrement chargé. Voilà quatre ans qu’il a été recruté dans le Waverly Falls Center. Le Doc a trouvé son rythme, désormais parfaitement adapté à des changements d’horaires et à des amplitudes inédites, qui ne lui font pas peur. Au contraire, cette existence le grise, lui ouvre des portes phénoménales, et lui a surtout permis de développer une relation fructueuse et enrichissante avec Carl Weiss. Ses jours de congé, il les occupe entre les chasses et une vie sociale dont il se gave de tous les bons souvenirs, sans oublier l’entretien physique indispensable à sa vocation, l’une de ses raisons de perpétrer l’héritage. Les lycanthropes, ce n’est pas sa spécialité. Il n’a, à l’origine, accepté de se fondre parmi cette compagnie aux multiples têtes connues que pour couvrir les flancs de son frère aîné, maître en la matière. La blessure de Sasha est une mauvaise nouvelle, mais il ne se voyait pas abandonner les autres. Il s'est engagé. Ils doivent être dix. Les informations qui leur sont parvenues concernant la Meute qu’ils s’apprêtent à traquer les obligent à assurer leur sécurité, et celle-ci passe par le nombre.

Le Vertueux jette un coup d’œil à sa montre, impatient et un peu nerveux. Elle sera la seconde femme seulement à faire partie du groupe. Il ne la connaît pas. Ou seulement son prénom : Tsukiko. Ses origines étrangères aussi, le rendent nerveux. Car du sang nippon coulait déjà dans les veines de June. Depuis, et en dépit de ces préjugés que lui-même juge complètement idiot, il a tendance à se crisper lorsque les souvenirs le reprennent un peu trop vivement, comme ce soir. Il tente de se concentres sur l’espoir qu’elle soit un bon élément, et qu’elle se fonde facilement à leur petite communauté, dont il entend les membres parler entre eux à voix basse, autour des voitures. Il s’attend à tout : à voir un véhicule émerger depuis la ligne par-delà les terres, comme à recevoir un coup de téléphone, si jamais la jeune femme s’était perdue. Il n'est pas d’humeur à bavarder. En tout cas, pas tout de suite. Il se sent barbouillé, n’ayant pas mangé autant que d’ordinaire pour se donner des forces. Il tiendra à l’adrénaline. Il sait qu’une fois lancé dans ce bain d'hormones connu par cœur, toutes ses préoccupations s’envoleront aussi rapidement qu’elles se sont incrustées dans son esprit.

Il l'attend.