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No time to die | Ian

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Anonymous
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Lun 8 Mai - 21:55 (#)


No heaven no hell



7:02

Bloc numéro cinq.
Résection monobloc marginale L4. La tumeur a été détectée quelques semaines plus tôt et l’intervention programmée ce-jour. Une gosse, encore dans les effluves de l’adolescence, qui frôle à peine ses dix-sept printemps. Sur le ventre, dans une nudité protocolaire loin des clichés pudiques que vendent les séries télévisées médicales du genre, dans un silence seulement interrompu par la ventilation du respirateur et les constantes qui bipent à intervalle régulier, rien ne peut troubler la sérénité de la chirurgienne qui s’est toujours sentie plus à l’aise dans cet univers aseptisé qu’en société. Ici, sous le calot, derrière le masque, protégée par les gants, cachée sous la tenue stérile, Maeve est aux commandes. Rien ne peut l’atteindre, sous ce costume, derrière cette assurance, dans ce self control salutaire qu’elle ne retrouve nulle part ailleurs. Accomplie, respectée, elle est le meilleur d’elle-même.
Trois internes pour spectateurs et un résident qui se verra offrir sa première chirurgie solo après celle-ci, si tout se passe correctement. En supervision, elle accompagnera chaque geste, comblera chaque hésitation, répondra à toute interrogation, palliera aux éventuelles complications. La machinerie en appui, le reste de l’équipe opératoire en back-up, chacun connaît son rôle, sa fonction, ses limites. C’est un ballet maintes fois répété où elle le sait, son avis prédomine. Si les lauriers lui sont attribués en cas de réussite, elle assume les conséquences de l’hypothétique échec. C’est sa responsabilité, alors celui-ci n’est tout bonnement pas envisageable.

Les diverses incisions terminées, l’écartement opéré, la colonne vertébrale apparaît enfin, ne laissant deviner qu’une partie de la tumeur, solidement enracinée entre L4 et L5, juste au-dessus du rachis sacré. Le résident inspire sous son masque, les mains sûres, et ferme un instant les yeux. Est-ce qu’il prie? Cooper est-il seulement croyant?

“Oralisez vos gestes, étape après étape” lui souffle la professeure qu’elle demeure en cet instant.
“Séparation des tissus mous, des muscles, des ligaments et des vaisseaux sanguins.” Répète le jeune homme presque machinalement, récitant la partition pour laquelle il s’est entraîné durant ces dernières semaines.
“Bien. Inspirez une dernière fois et ménagez-vous, nous sommes là pour un moment. Procédez, docteur Page, et détendez-vous, c’est votre moment.” Un sourire invisible sous son masque, auquel elle devine un complice par les stries qui plissent brièvement le coin des yeux de son élève.
Ses yeux jonglent entre les constantes de la patiente, les gestes du futur chirurgien, ceux du reste de l’équipe qui éponge, clampe, nettoie d’une solution neutre pour garder une parfaite visibilité. Tout se fait dans un silence presque religieux, rompu parfois par les directives de Maeve ou les informations de l’infirmière en charge du bloc. Acquiescements discrets, prérogatives, conseils, explications en tout genre, questions pour les internes qui se doivent de comprendre les options choisies, la procédure, les conséquences, les risques. La traumatologie est une spécialisation plus générale que certaines autres. Aujourd’hui un dos, demain, une cheville, une épaule, n’importe quel terrain de jeu qui n’empiète pas sur celui d’un collègue. Dévalorisés au rang de menuisiers par les pédants neuros, tout leur apparaît trop mécanique, mais elle s’en fiche. Ce frisson-là lui appartient.

11:18

Laminectomie de L4.
L’absence de côte dans les lombaires leur a facilité la tâche. Tous les tissus ayant été retirés, la partie se complique pour retirer entièrement la vertèbre et ainsi accéder pleinement à la tumeur pour la retirer. Vérifiant que plus aucun vaisseau sanguin irrigue la zone, qu’aucun ligament n’a été oublié, elle acquiesce, vérifiant le temps qui défile trop rapidement à ses yeux.
“Retirez lentement la vertèbre, aidez-vous du laser au besoin pour décoller la tumeur tout en prenant garde à la dure mère.” Une odeur de cochon grillé emplie la pièce et quelques volutes de fumée s’élèvent parfois. Les minutes défilent, inlassablement et elle doit régulièrement relâcher la tension dans son dos et sa nuque. La quarantaine qui approche à grands pas se fait sentir mais elle est habituée à la position statique debout. L’os délogé de son emplacement après quatre heures déjà d’intervention, ils peuvent s’attaquer au dur. Spondylectomie totale monobloc terminée.
“Dîtes-moi ce que vous observez.”
“La tumeur ne semble pas avoir atteint les tissus sains autour de la moelle épinière. On peut donc la retirer entièrement sans les toucher. Je pense que l’aspirateur à ultrasons me permettra de la briser et de la retirer plus facilement.”

Morceau après morceau, cette saloperie est retirée lentement. Pour le moment, les constantes sont stables et rien ne prédit d'éventuelles complications dans leur planning.

15:53

Stabilisation de la colonne vertébrale. Leur réputation d’ouvriers prend enfin sens, quand il leur faut, à l’aide de plaques, de vis, remplacer le rôle central de la L4 retirée. À plusieurs reprises, la chirurgienne prête mains fortes à son collègue mais dans les heures qui suivent, aucun problème ne semble perturber le bon déroulement de l’intervention.

17:47

Dix heures d’intervention.
“Commencez à refermer.”
Ils ont fait le plus dur, ne reste que la dernière partie, celle qui ennuie souvent profondément la doc. Juste ça. Refermer les tissus internes, puis externes, couche après couche. Et puis, la fatigue du docteur Page, un relâchement d’attention après toutes les précédentes étapes validées. Elle n’a pas vu le geste mais avant qu’elle ne puisse réellement réagir, le sac dural est percé et tous les nerfs qui se rejoignent précisément en bas de la colonne vertébrale s’échappent comme des spaghettis, s’agitant sous la coulée du liquide céphalo-rachidien les protégeant. Seul le cœur s’emballe légèrement en quelques bips significatifs sur les appareils, de même que la tension artérielle. Le cerveau, même anesthésié, reste un mystère sur sa faculté à percevoir les traumatismes du corps. Laissant le reste de l’équipe médicale gérer la patiente pour les signes vitaux, elle revient au Docteur Page, dont le souffle s’est accéléré. Ses yeux louchent sur le tissu du masque aspiré à intervalles trop rapides, et, toujours le scalpel en main, elle voit sa main trembler. Non. La main d’un chirurgien ne tremble pas.

Posant sa main sur celle de son collègue, elle lui retire l’instrument délicatement et le confie à l’infirmière la plus proche. “Je… je…”
“Regardez-moi”
“Je n’ai pas…”
“Regardez-moi!” Reprend-elle plus durement, sans animosité pourtant alors qu’il se tourne légèrement vers elle. Entre le masque et le calot, deux billes bleues qui ne cillent pas et ne transmettent rien d’autre qu’une profonde détermination. “Personne n’est jamais mort d’une fuite de LCR Cooper, personne. Fermez les yeux.” Sa main tremble toujours sous la sienne. “Fermez-les yeux!” Quand enfin il obtempère, elle ne perd pas davantage de temps. “Je vais compter jusqu'à trois. Et pendant ce laps de temps, je ne veux pas que vous tentiez de lutter contre la peur. Pendant ces trois secondes, vous allez la laisser vous envahir, pleinement, vous inonder. Trois secondes, c’est tout ce que vous lui offrirez. Ensuite, vous retrouverez votre calme, et poursuivrez l’intervention.” C’était une erreur certes, mais qui lui coûterait moins cher s’il la corrigeait. Abandonner maintenant lui fermerait les portes des blocs pendant un long moment. “Un.” Il inspire profondément. “Deux.” Une expiration, suivie d’une nouvelle bouffée d’air alors qu’elle le sent légèrement se relâcher. “Trois.” Il se dégonfle tel un ballon de baudruche, rouvre ses paupières pour la fixer, acquiesce lentement, incertain. Mais sa main ne tremble plus. “C’est à vous, Docteur Page.” Et avisant les dégâts, il lui faut quelques secondes supplémentaires pour commencer à rassembler les nerfs pour les replacer dans le sac dural et demander ce qu’il lui faut pour débuter les sutures.

18:29

La surblouse et les surchaussures retirées, libérée du masque et du calot, elle s’écroule sur le premier lit que la salle de repos lui offre, épuisée. La gosse va bien, c’est tout ce qui compte. Oui, tout ce qui….

20:07

“Docteur Wheelan, Docteur Wheelan!”
Dans un sursaut elle se réveille et d’un réflexe de la main empêche sa tête de cogner dans le montant du lit situé au-dessus d’elle. Papillonnant des yeux, elle relève enfin son visage vers un interne dont elle a oublié le nom.
“Une jeune femme vient d’arriver aux urgences, multiples contusions et fractures, on a besoin de vous.” Bon sang, cette garde ne se terminerait donc jamais? Jetant un coup d’oeil à l’horloge murale, elle peste intérieurement devant le peu de répit que lui accorde cette journée.
“J’arrive…” Marmonne cette dernière en se relevant déjà.
Devant le miroir, le visage aspergé d’eau froide, les yeux cernés, elle maudit son reflet avant de s’essuyer et de quitter la pièce dans un souffle. La fatigue attendrait.

20:12

Urgences.
Box numéro 3.

La patiente est déjà prise en charge par l’équipe de garde mais face aux vêtements tâchés de sang et aux diverses contusions déjà violacées sur sa peau blême, la chirurgienne a un instant d’arrêt. Une seconde, peut-être deux, avant que le charabia d’usage la replace brutalement dans la réalité. “Appel au 911 il y a quarante-cinq minutes. Elle a été trouvée dans une ruelle du Downtown, inconsciente. Contusions sur le haut du corps, possibles côtes cassées, saignements bénins, épaule disloquée, pouls très lent et bradycardie avérée, ne répond pas aux stimulis.” Le pré-diagnostic continue alors qu’elle se rapproche, faisant suffisamment confiance à l’équipe en place pour ne pas vérifier une seconde fois. Le reste de son pull est découpé et un renflement au niveau de l’abdomen, côté droit, sourire une grimace à la doc. Il fallait vérifier cela rapidement et elle ne pourrait, en l’état, rien faire de plus que les machines. Testant ses réflexes rétiniens rapidement alors que la respiration est certes lente mais régulière, la seule articulation sur laquelle Maeve peut intervenir est l’épaule. Il lui faut trois tentatives, même après ses nombreuses années d’expérience, pour replacer l’humérus dans son axe, presque soulagée que la jeune femme ne soit pas en mesure de ressentir quoi que ce soit.

“Prévoyez un scan complet et une IRM pour vérifier un possible trauma crânien. C’est ce qui me préoccupe le plus en l’état. Un bilan sérologique est déjà en cours?”
“Oui, le labo nous tient au courant.”
Acquiesçant, elle ne détecte rien d’apparent mais craint que les traumatismes ne soient pas forcément visibles. Descendant, elle arrive au niveau des jambes, relève sans grande pudeur sa jupe et… là, vers la fémorale, deux lignes de sang s’écoulent d’une morsure bien particulière. Tous marquent une seconde d’arrêt, jette un coup au voisin pour confirmer ses craintes et reste hypnotisé par la découverte, sordide. Tous le savaient, ils étaient nombreux à se faire volontaire pour de telles pratiques, mais peu arrivaient dans cet état dans leur service. “Et deux culots de sang, après avoir vérifié son groupe.”
“AB négatif.”
Relevant un regard interrogatif vers l’un des internes, ce dernier pointe le sac et le portefeuille de la patiente.
“Rebecca Foreman. J’ai vérifié, elle a déjà un dossier médical ici. Elle est suivie par le Docteur Calloway.”
“Il travaille, ce soir?”
“Hum… je peux vérifier si vous voulez.”
Elle acquiesce, autant que son collègue soit mis au courant le plus rapidement possible.
“Attendons les résultats du scan et de l’IRM, c’est le plus vital. Et…” Déglutissant, elle ajoute. “Trouvez-moi un gynécologue, au cas où…”

Les recommandations données, le brancard grince sur le linoléum alors que tous se coordonnent pour une prise en charge rapide et efficace. Soufflant, c’est vers le distributeur que la toubib se dirige. Plaquant sa carte contre celle-ci en attente du bip, elle sélectionne par automatisme A9 et un twinkies tombe dans le bac qu’elle récupère machinalement. En presque vingt ans, Maeve Wheelan avait aisément dépensé des centaines de dollars pour ces cochonneries caloriques et ses pas la traînent le long d’un couloir, en direction du service de radiologie. S’écroulant plus qu’elle ne s’assoit sur un siège inconfortable au possible, elle déchire l’emballage et s’octroie la seule consolation que daignera lui offrir, visiblement, cette journée. Pourtant, pourtant, ce qu’elle pouvait aimer ça, masochiste qui s’ignorait.

Elle n’ose plus poser les yeux sur le temps qui semble se jouer d’elle. Le chignon brouillon, les joues creuses, le regard cerné, sans avoir pris la peine de revêtir sa blouse blanche, dans une tenue stérile qui a fait son temps, la chirurgienne souffle, pour décharger la fatigue, la pression de la journée. Les deux marques rouges sur l’intérieur de la cuisse de la patiente la troublent plus que n’importe quelle autre blessure apparente ou celles, encore hypothétiques, que les examens en cours révéleront. En son fort intérieur, elle comprenait la nécessité pour eux de se nourrir, même avec le sang synthétique. Mais cette bestialité, cette sauvagerie, les stigmates de l’agression, l’état dans lequel était arrivé la jeune femme, ça, elle ne parvient pas à le concevoir. Son regard se perd dans le vague alors que l’image du seul vampire jamais croisé, en tout connaissance de cause en tout cas, lui revient en mémoire. Ses yeux, cette froideur, cette placidité, le baise main désuet, l’absence de mot mais la charge électrique que l’instant avait porté avec lui. Une telle tranquillité, eau calme de surface, qui contrastait avec ce qu’elle venait de voir. La brune n’ose imaginer ce qu’a vécu cette… Rebecca, la peur, ne veut d’ailleurs que l’envisager. Et après… après… une fois les blessures guéries, une fois les plaies cicatrisées, que resterait-il? Celles, invisibles, qui vous bouffent de l’intérieur.

Elle en savait quelque chose, la brillante petite chirurgienne.


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