« Tu dois faire confiance à personne, sauf à toi-même. Sinon les gens profitent, te plument à la première occasion. Moi, j’me laisse pas faire parce que j’ai pas l’temps d’me laisser faire et puis les gens osent pas parce que quand ils m’voient, ils font d’mi tour de toute manière. Toi, c’est pareil, faut que tu t’blindes à fond, tu vois ? » Au bout d’une demi-heure ponctuées des mêmes questions-réponses et d’un monde dessiné en noir par Felix, l’adjoint du motel, Sage retient un soupir agacé, lorgnant son supérieur du coin de l’œil, le manche d’un aspirateur impossible à mettre en marche entre les mains. Il ne fallait jamais perturber le discours de Felix aux risques de le voir vous bouder un jour ou l’autre. Si ce n’était pas demain, ce serait dans trois ou quatre jours et pour le voir vous pardonner, il fallait une bonne grosse dispute inutile. Elle ne voulait pas d’emmerdes ici, tentant de se faire la plus petite possible. Mais Felix l’appréciait et même s’il lui engorgeait les oreilles d’une histoire entendue tant de fois qu’elle en connaissait tous les détails, elle refusait de se le mettre à dos. Ses yeux doux, sa blondeur, son nez cabossé, ses mains dont les poings avaient certainement connues des écorchures terribles, sa haute taille la dominant d’une vingtaine de centimètres de plus, tout chez lui aurait pu l’effrayer comme la rassurer et c’était le cas. Non, Sage n’était pas de celles qui avaient peur. Elle n’avait tout simplement pas le temps d’avoir peur. Mettre de l’argent sur son compte, payer son loyer, rire avec les quelques amis fait dans les parages, aller à la fac, manger de bons plats, fumer, flirter, dormir, glander. Elle aimait les choses simples et elle prenait en pitié ceux qui, comme Felix, avaient l’air de se compliquer la vie pour des choses sorties tout droit d’un lourd passé, hantés par leurs démons, prisonniers de hantises que tous avaient à porter, finalement. Elle ne voulait simplement pas en faire un fardeau ni une excuse pour ne rien faire d’autres que se plaindre et pleurer. « Ouais, ouais, je vois. T’inquiète pas pour moi, va. » Il fronce les sourcils, ses yeux clairs décrivant un aller-retour sur sa tenue des plus simples, ses cheveux bruns attachés en queue de cheval avant de revenir croiser l’érable de son immense regard. « T’es l’genre de fille qu’une ville comme Shreveport mangerait toute crue. T’habites où déjà ? » « Western Hill … Pourquoi ? » Un rire sec lui échappe, soufflé dans l’air d’une chambre à peine abandonnée par un couple dont les draps du lit sont encore froissés. « Et t’y habites seule ? » « Tes questions deviennent creepy là. Mais oui, seule et ça me va comme ça. » « Non, non ! T’emballes pas, j’veux pas … ‘Fin j’veux dire, c’est juste … Rah laisse tomber. » Elle sourcille face à ces balbutiements sortis de nul part, l’observant se gratter la nuque d’une main, le front baissé, ses propres mains faisant doucement danser le manche de l’aspirateur de droite à gauche, comme le tic-tac inconscient d’une horloge. « Bah non, dis moi. » « Fais gaffe à toi, c’est tout. Tout ce que je t’ai dit avant, c’est pas du flan, tu comprends. Et après la nuit d’merde que y’a eu y’a presque deux mois je m’inquiète, c’est tout … » Elle se fige, arrêtant son manège avec l’aspirateur. Pour la première fois, elle sent revenir un vent de panique, l’affreux sentiment de se faire happer par ses souvenirs. Sans qu’il ne le voit, elle blêmit et abaisse un peu la tête. « Ouais c’est … c’est clair. » Elle n’ose toujours pas l’interrompre, peut-être trop timide, ses yeux perdus sur les chaussures noires de Felix et ses vieilles converses où persistent encore les dessins idiots d’amis perdus de vue depuis longtemps, son jean noir cachant ses chaussettes montantes et dépareillées. Prête à prendre son courage à deux mains pour interrompre une conversation qui s’allonge et prend un chemin trop dangereux pour elle, elle relève la tête, les lèvres prêtes à laisser échapper une excuse bidon quand elle se fait interrompre. « Felix, y’a quelqu’un pour toi en bas. » Comme chaque fois qu’elle apparait, Sage voit le visage de l’adjoint se couvrir d’ombres et de froideur. D’un seul coup, il perd toute envie de discuter, sa langue s’assèche et son regard se fond dans la glace pour lorgner bien au-delà d’elle. Elle n’a pas besoin de se retourner pour savoir à qui appartient cette voix blasée mais elle le fait tout de même pour voir apparaître la silhouette élancée d’Astaad. Là encore, comme à son arrivée ce matin, elle perçoit les cernes qui bordent les yeux étranges de celle qu’elle pense, parfois, être bien plus qu’une collègue de travail. « Ouais, ok. » Felix la dépasse en coup de vent, n’accordant pas plus de paroles à Astaad qui a à peine le temps de reculer d’un ou deux pas pour laisser passer la haute silhouette de l’ancien agent de sécurité. Il laisse derrière lui un étrange silence mais Sage reporte bien vite toute son attention sur Astaad qui est prête à repartir, la mine grise et pâle, la bouche presque cernée d’un pli amer, la mâchoire contractée. Là elle lâche rapidement l’aspirateur, abandonnant l’idée d’être productive tout de suite pour se lancer hors de la chambre à la moquette usée. « Hey ! T’es sûre que ça va ? » Elle se retourne, quelques mèches de ses cheveux balayant reins et épaules, un sourcil haussé, l’air de rien. « Oui, tout va bien. » « J’sais pas, t’as l’air … euh … » « Quoi ? » « Fatiguée ? Et depuis plusieurs jours j’ai l’impression. Tu devrais prendre quelques cong… » « Ca ira, t’en fais pas pour moi. Mais je devais m’en aller là, j’ai un truc à faire en ville. »
Elle n’apprécie pas le ton distant, l’air absent, cette impression qu’à chaque pas, elle trébuchera pour ne pas se relever. Un pas en avant qui semble faire se raidir Astaad dont les yeux manquent de la fusiller. « T’es malade ? » Là, le regard la fusille franchement, un tic nerveux agitant ses lèvres. « Non, arrête de t’inquiéter, tout va très bien, bon sang ! » L’écho de sa voix résonne entre elles comme un couperet sauvage abattu et Sage se crispe, prête à s’excuser alors qu’elle remarque déjà Astaad secouer la tête, les yeux fermés, une main rôdant tout près de son front avant qu’elle ne rouvre les paupières, un éclat étrange dans les prunelles. « Excuse moi. On s’parle plus tard, là j’suis pas … Je t’envoie un message ce soir, ok ? » « Ok … » Peut-être que sa timide réponse n’est même pas attendue car la jeune femme s’écarte déjà pour reprendre le chemin des escaliers menant à la réception où des voix bruissent encore un instant. La gorge serrée par l’inquiétude, elle fixe encore un temps l’endroit où Astaad a disparue, unique silhouette dans le couloir désert et à peine illuminée par une lumière tamisée avant qu’elle ne soupire, mettant de côté ses soucis pour mieux se laisser avaler par la chambre, le sifflement de l’aspirateur finissant enfin par encombrer le silence.
***
Le soleil est encore haut dans un ciel azuré lorsque son dos percute le flanc d’une bagnole dans le parking faisant face au Shreveport Hospital. La danse des passants et des voitures non loin l’apaise à peine. Tout est étrange, comme si Shreveport s’était fait timide, tremblant, ayant peur de faire le moindre bruit aux risques d’éveiller à nouveau un courroux mystique et mesquin. La lueur impitoyable de l’astre d’or souligne la pâleur de son visage, la nervosité de ses mains menant jusqu’à ses lèvres une énième cigarette qu’une flamme langoureuse vient lécher pour mieux l’allumer. Premier soupir, une nuée grise traversant ses lèvres loin d’être peintes pour l’occasion. Voilà longtemps qu’elle n’a pas eu à foutre ne serait-ce que la pointe d’une botte dans le hall d’un hôpital. Au Caire, on la soignait toujours depuis le Temple, sauf pour les cas les plus graves, bien qu’elle soupçonne toujours Youssef d’avoir laissé volontairement crever quelques uns de ses adeptes, prêchant éternellement ce mantra : L’extérieur est un éternel Enfer, ne vous fiez jamais. Ses phalanges dont les ongles sont vernis d’un mauve profond entourent de nouveau la clope prise au piège de ses lèvres, ses yeux aux pupilles semblables à des lunes noires observant le bâtiment dans lequel elle devra se lancer bientôt. Il le faut. C’est habillée plus de désespoir que d’autre chose qu’elle se prépare à débarquer. La veille a été une horreur et les nuits d’avant aussi. Tout lui soupir que la pleine lune est proche. Nejma et Nadja la voient déjà forcer sur la moindre bouteille dormant tant dans le frigo que dans les placards. Et si l’ivresse est là, elle n’apaise en rien les frissons de douleurs, ni les murmures incessants de la Bête grondant au loin, comme cachée dans une crevasse de son esprit détruit, promettant l’horreur.
Le Mal est proche. Prépare toi à te faire embrasser par lui. Par eux. Par nous. Par Moi.
Elle tremble de hâte de la voir encore hurler, elle le sait plus que quiconque. Ses propres membres vibrent sous l’onde incessante de la terreur, ses genoux s’entrechoquant presque derrière le comptoir du motel et même ici alors qu’elle s’appuie un peu plus fort contre la voiture qui n’est même pas à elle, sa veste en jean imprimée révélant à peine l’audace d’un haut rouge à bretelle, offrant entre l’ourlet et la ceinture de son jean la peau d’ambre de son ventre. La cendre tombe dans un claquement de pouce automatique contre le filtre, le goût amer planant sur sa langue et l’impression de sentir glisser un affreux poison dans ses poumons l’apaisant à peine. Son pied botté de cuir tamponne fiévreusement le béton dont les lignes blanches de peintures séparant les places de parking s’effacent presque. Une brise à peine perceptible, chaude, moite, terrible, bouscule un temps les mèches de ses cheveux rattachés en queue de cheval, épousant la ligne d’une mâchoire toujours trop serrée, comme pour retenir un cri de douleur ou une salve de mots enragés et désespérés. Il faut que ça cesse, que la Bête se taise, que la douleur cesse de l’achever comme elle le fait chaque fois. Un long frisson remonte de ses reins à son échine jusqu’à ses épaules, l’air expiré se faisant presque irrégulier. Elle se souvient de tout, des moindres détails, de ses os cassés, fondus, disparus, de ses muscles crispés, brûlés, ouverts et à vif, de son crâne se brisant en mille morceaux pour mieux prendre la forme d’un animal auquel on l’a toujours comparé. Vipérine, insatiable, toxique. « Tu n’es qu’une immonde salope, Astaad. » crachaient des hommes et des femmes frustrés de son comportement. Elle acceptait sans ciller, ne pensant qu’à une chose : Survivre. Le reste n’a jamais plus importé. Survivre, oublier, aimer, juste un peu, la vie qui lui avait été offerte, prier les bons dieux, s’occuper les mains, l’esprit et le corps. Il fallait tout vivre et faire mal, parfois, oui. Faire mal et se faire mal surtout. Faire mal au point de laisser mourir … Elle cille, soupir encore et se décale de la voiture squattée, écrasant le mégot sous son pied comme elle écrase ses pensées qui s’égarent un peu trop.
En chemin, elle prend le temps de répondre à l’unique message de Nejma réclamant quelques gourmandises pour le soir-même. Levant les yeux au ciel, elle manque d’esquisser un sourire que la tendresse laisse toujours éclore, heureuse de la voir reprendre un peu goût à l’envie de boire et de manger, même si sortir demeure difficile pour elle. Les rues ne ressemblent plus qu’à un champ de bataille un peu étrange, une sorte de photo d’après-guerre où on remarque toujours des bandelettes interdisants l’accès à certains lieux, un tronc d’arbre calciné non loin de là rappelant l’affreuse nuit où tant de gens ont trouvés la mort et fait face à des chimères effrayantes. Détournant les yeux de ce détail sombre et macabre, elle traverse la rue pour mieux accéder à un hall en pleine effervescence. Cà et là les blouses blanches de médecins, le vert des chirurgiens, le rose pâle des aides-soignantes et les simples tenues des patients se confondent en un kaléidoscope de couleurs toujours aussi déprimant, à peine mis en valeur par les lumières du plafond, blafardes, blanches et banales.
Un instant, elle reste sonnée par les bruits qui perlent de toute part, cherchant l’endroit où elle doit se diriger. Quelques mots échangés à l’accueil suffisent à l’aiguiller, croisant à peine le regard d’une infirmière à l’air avenant mais ouvertement épuisée. Elle ne sait pas grand chose du médecin qu’elle s’apprête à voir si ce n’est son prénom et son nom : Dr. Ian Calloway. Les lettres et leurs consonances se répètent inlassablement dans sa tête. Lorsqu’elle a appelé, elle a simplement espéré qu’il soit son coup de chance. Celui qui, peut-être, pourra l’aider à adoucir les transformations, à les briser peut-être ? Mais elle n’est pas assez naïve pour espérer qu’un simple humain pourra la sauver du baiser mortel d’une chamane dont la rage et la jalousie sont désormais ancrées en elle. Sous la peau, dans les veines, dans le néant de ses yeux, parfois derrière ses lèvres aux sourires dérangeants, la Bête est partout et ne lui laisse aucun répit. Dans l’ascenseur, elle se laisse aller à à peine fredonner un air sorti de nul part, sa main remontant jusqu’à sa gorge où elle trouve un pouls paniqué. Elle se met à prier que l’attente ne soit pas trop longue, que l’homme qui lui fera face ne pose pas trop de questions et qu’il lui délivre quelques cachets sans faire la moue.
Son chant cesse et ses pas crissent dans le couloir en une musique agaçante et ridicule jusqu’à ce qu’elle parvienne jusqu’au comptoir où une femme ayant peut-être un peu plus que son âge discute déjà au téléphone. Si celle-ci lui offre un sourire avenant, elle ne parvient qu’à en esquisser un maigre qui sombre bien vite pour retrouver son dessin amer. Étrangement, elle se sent toujours plus nerveuse et déteste cette phrase qui l’invite bien gentiment à patienter dans une salle d’attente. Brèves salutations disséminées aux trois personnes ayant bien mérités le nom de « patients » quand elle-même brûle d’une impatience qui se sent dans ses moindres mouvements. Dans la danse qui voit entrer puis sortir des silhouettes parfois secouées par une toux sèche ou grasse ou par des gens ayant l’air d’aller plus que bien, elle s’essaie à s’occuper de bien des façons, chipant un magazine de mode absolument soporifique, fouillant son sac pour y trouver un stylo l’aidant à faire un test déjà souillé par des traces d’encre noire et d’affreux gribouillis. Une fois le test terminé, elle balance à nouveau le magazine sur la table basse, écoutant à peine les conversations à voix basses, le ventre noué. Une trentaine de minutes plus tard, ses jambes largement allongées devant elle, redessinnant les pourtours d’un bracelet, elle manque de sursauter quand la porte se rouvre sur le visage de la secrétaire l’invitant enfin à entrer dans le cabinet. Le cœur rate un battement alors qu’elle se relève, fonçant vers la pièce dans laquelle elle finit par s’arrêter. Ses yeux tournent un temps avant de tomber sur un visage auquel elle ne s’attendait pas réellement. Les traits sont moins marqués par la vieillesse qu’elle ne l’imaginait, pas de barbe blanche, de lunettes à doubles foyers, de mains tremblotantes, de dos courb ou d’odeurs désagréables comme elle pouvait parfois en sentir lorsque sa mère l’emmenait chez le pédiatre. Face à lui, elle demeure muette avant qu’un bref « Bonjour. » ne lui échappe. La voix s’étrangle, la peur arrivant enfin à laisser remonter son lierre le long de son ventre et de sa poitrine jusqu’à trouver sa gorge serrée. Une belle connerie qu’elle a initiée. Ce n’est pas une solution. Elle devrait repartir, s’ouvrir une énième bouteille et attendre que les choses passent, comme d’habitude.
Mais elle n’est pas lâche et se refuse à fuir une conversation où elle devra chanter quelques mensonges. Ce n’est rien. Ce n’est pas grand chose. Détournant le regard pour observer les lieux, elle s’éclaircit la gorge, chaque mouvement se remplissant de raideur alors qu’elle échoue sur l’une des chaises qui fait face au bureau. Son sac glisse bien vite de son épaule jusqu’à ses pieds, étudiant encore et toujours l’homme qu’elle a face à elle sans savoir comment l’aborder, comment lui avouer le plus convenablement possible qu’elle a besoin de se shooter au plus vite. Se giflant intérieurement, elle broie la moindre trace de peur pour lui offrir son plus charmant sourire, laissant son dos trouver le dossier de la chaise grinçant à peine, ses jambes se croiser entre elles dans un bruissement que son jean pâle laisse venir dans le silence à peine perturbé. Comme on revêt une armure, elle s’enroule dans le drap d’une nonchalance incassable, se jouant de ceux dont elle doit se jouer. Malgré sa mine épuisée, malgré ses muscles gémissants et sa peau trop sensible, elle ne fléchit pas, tombant dans le ruisseau bleu clair d’un regard qu’elle peine à déchiffrer.
« J’dois avouer que je m’attendais à une sorte de vieux croulant proche de la retraite. Mais là … Vous me donnez presque envie de reprendre tout de suite rendez-vous. »
Du velours plein la langue et du bout des lèvres, elle se tend vers lui comme elle se tendrait à quelqu’un à qui on devrait offrir un verre sans pourtant le promettre. Rester prudente, ne pas tomber dans le bain du charme lourd et inutile, elle tente de trouver son équilibre. Lentement, dans un suintement terrible mais inaudible, elle tentera de lui arracher ce qu’elle veut de la plus douce des manières. Il ne faut plus qu’elle souffre. Plus de cris, plus d’os brisés, plus de nuits de cauchemars, plus d’endroits déserts où elle se retrouve prise au piège et plus nue que jamais, plus d’ivresses pleine désespoirs, plus de solitude, plus de Bête. Il faut cesser de souffrir, à présent.
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Ian C. Calloway
ADMIN ۰ Fear is the mind killer
✞ PAINT IT BLACK ✞
"Tomorrow is another day,
Today is another bomb."
En un mot : Chasseur et Fils d'Abraham. Foi, Ferveur, Fardeau.
Qui es-tu ? :
"You never thought we'd go to war,
after all the things we saw."
✞ Deuxième fils d'une fratrie de trois. Cadet d'une famille de chasseurs aux traditions transmises par les pères d'aussi loin que la mémoire puisse remonter, dans les forêts d'Europe de l'Est ; racines plantées aux environs de Prague.
✞ Il tue les monstres, et particulièrement les Longue-Vies, Grandes-Dents ou fils de Caïn, qu'importe le nom qu'on leur donne : ennemi des vampires comme des lycanthropes, lorsque son frère aîné requiert son aide.
✞ Naissance à Boston, la cité-bloc balayée par les vents de l'Atlantique. Ville délaissée pour la chaude et discrète Baltimore, dans le giron des brumes de Poe. Ville adoptée, chérie comme Washington D.C.
✞ Sportif de toujours, ancien étudiant modelé par les matchs, les courses et les sauts ; a décroché une bourse pour l'université et n'a jamais cessé de tailler ce corps solide et agile lorsqu'il le faut.
✞ Il a prêté serment : docteur vouant son existence au soin des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants. Confident de tant d'inconnus qu'il en a parfois le tournis, rassure et prescrit, soutient infirmières et collègues. Mains assez robustes pour soutenir un grand gaillard mais assez tendres pour préserver un nouveau-né.
✞ Pilier des Calloway ; homme réputé pour sa dignité, sa réserve et ses colères froides. Gardien de tous les secrets, jusqu'au plus purulent. Cherche à préserver les fondations du clan par tous les moyens, malgré les humeurs des uns et des autres.
✞ Médecin de mort, employé pendant plus de dix ans au WFC, organisme financé par les bourses du PASUA pour expérimenter sur les hommes abandonnés par leur raison, comme sur quelques CESS (les limites de l'esprit et du corps). Vie de fuyard depuis l'effondrement du site et la mort de son collègue et ami, assassiné par leur Némésis.
✞ A recueilli sa nièce Nova Calloway, en conflit permanent avec un père vétéran du 11 septembre et une mère aux abonnés absents. L'a arraché aux gratte-ciel de New York pour Baltimore, et désormais Shreveport. Non-dits, et silences douteux.
✞ Espère trouver anonymat, soutien et protection à Shreveport, entouré d'anti-surnats, et passe sa vie à esquiver les conséquences d'une décennie de péchés, que son Dieu est pourtant censé tolérer. En attente du regroupement des Calloway en Louisiane.
✞ N'aime que la ville. Il hait le soleil et l'humidité permanente qui s'abattent sur tous les États du Sud, pour lesquels il ne voue absolument aucune affection. En recherche de repères, passant d'un quotidien presque insouciant à un bras de fer de tous les instants.
✞ Tempérance et liberté. Aime le genre humain, de ses défauts les plus anodins aux tordus dont il questionne les esprits (poursuivre l'œuvre commune le liant à Carl Weiss). Horrifié par le monde dans lequel il vit, sans se résoudre à lâcher prise sur les démons à combattre.
✞LAST MAN STANDING✞
"Tomorrow never comes until it's too late."
Facultés : ✞ Formé au maniement des armes à feu en tout genre : armes de poing comme armes lourdes, si les circonstances l'exigent.
✞ Ne craint pas le corps-à-corps ni les combats à l'arme blanche, même s'ils ne suscitent aucune appétence en lui.
✞ Chasseur respectueux des traditions de son clan. Arme traditionnelle : arbalète aux carreaux d'argent. Terrain de prédilection via les chasses en hauteur et les pérégrinations casse-gueules sur les toits.
✞ Porteur d'une Foi qui guide son bras et protège sa chair vulnérable. Croyant tâchant de ne pas trébucher.
Thème : Unbreakable ✞ James Newton Howard.
✞ I AM A GOD ✞
"That's our cosa nostra."
Pseudo : Nero
Célébrité : Thomas Kretschmann.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Gautièr Montignac.
Le dernier mois d’une année terrible. Il a beau faire le compte, inlassablement, il ne réalise pas les ruines fumantes qu’il abandonne derrière lui. Le Doc commence à fatiguer. Sous sa blouse blanche qui remonte les couloirs d’un hôpital encore en partie en travaux, c’est le teint non pas blême, mais portant le signes des mauvais jours, qu’il affiche librement, tant qu’il n’y a pas encore de patients à affronter. Il se sent chanceux, pourtant, chaque fois qu’il croise ses collègues chirurgiens. Il ne se passe pas un jour, ou au moins une semaine, sans qu’il ne se remercie d’avoir botté en touche. D’avoir choisi ce que certains estiment être la facilité. Ça ne l’est pas. Il n’a pas honte de refuser les conditions de travail telles qu’elles obligent les équipes réparatrices à des rythmes incessants, et intolérables. Depuis un an maintenant qu’il « fête » son arrivée au Shreveport Hospital, certains visages commencent à lui être familiers. Une poignée plus que d’autres. Justement, comme en réponse à ses errances anarchiques, en voilà un qui s’amène. Lui a déjà quitté la blouse. Il marche dans le corridor, et ils s’apprêtent à se croiser. Ils échangent un regard. Un bref regard : clair contre océan. Son comparse a les cheveux déjà blanchis, les rides dessinant pattes d’oie et crevasses harmonieuses là où les bajoues se distinguent. Il a dû être bel homme, dans le temps. Il l’est toujours, d’ailleurs. Le sourire partagé est hésitant, des deux côtés. Ils se croisent bel et bien, et son aîné se montre même finalement un brin plus chaleureux que lui. Certaines choses passent, à travers ce sourire, et il s’en veut d’en manquer le sens profond. Il s'en faut de peu pour qu'il ralentisse lui-même, comme pour prolonger de quelques secondes cet échange qui ne dit pas son nom. La compassion est présente. L’approche des fêtes de Noël ne distille pas cette atmosphère un tant soit peu légère, et les rares guirlandes qui ont été accrochées çà et là pour agrémenter les bureaux d’accueil et celui des infirmières se contentent de pendouiller tristement. Bientôt, ce collègue dont il ne connaît même pas le nom (ou du moins, il n’en est pas certain), disparaît de son champ de vision, les rendant chacun à leur solitude. Il enfonce les paumes dans ses poches trop amples, ou se baladent stylos, post-it et même un peu de monnaie. Il se retient de se retourner, et poursuit sa route en faisant le bilan de l’année écoulée. Une année sordide. Sans qu’il ne puisse s’en empêcher, le verdict se déroule, comme un mauvais générique, un générique trop long, bourré de noms qui, si on ne s’en moquait carrément pas, avaient l’art de lui faire mal aux reins.
Une installation foireuse, dans un État, une ville, un quartier qu’il n’aime pas. Une nièce dont il s’essaye encore à gérer les humeurs et les non-dits. Un retour dans l’antre du Mal, mettant en danger une quasi-inconnue par le même biais. Une attaque vampirique. Deux attaques vampiriques. La mort des Gregson. La douleur de Sasha. Ses blessures à lui. Les cicatrices, galopant de son bras jusqu’à sa hanche et ses cuisses. Halloween et son apocalypse parfaitement réussie.
Et ça n’en finit pas. Ça n’en finit pas de finir. Il fronce le nez, surpris, fauché en pleines divagations. Cette expression ne vient pas de lui. Il sait quand ses réflexions émanent d’une pensée propre ou s’il l’a piqué à quelqu’un, dans une soirée, depuis un passé enfoui. Mais là, rien. Juste une apparition brève de quelques mots faits pour sonner justes. Mais ils ne lui appartiennent pas. Ça n’en finit pas de finir. Tant pis. L’année, elle, s’apprête bien à conclure ce dernier chapitre pour, il l’espère, s’ouvrir sur un pan d’histoire plus reluisant. Il envisage déjà de poser des congés, une disponibilité pour quelques mois. L’horizon paraît s’éclaircir, et le statut quo se profile. Il pourrait remonter dans le nord, quelque temps. Retourner à Baltimore. Reprendre possession des lieux. Il pourrait de nouveau goûter à l’air de la marina, fleurant bon le sel, le soleil sans l’accablement régnant en Louisiane en permanence. Il savourerait même le ballet de touristes à quelques mètres, sous sa fenêtre, la Fleet Week annuelle, chaque mois d’octobre, voyant tout un immense bordel se rappliquer immanquablement. Les navires de guerre, les haut-parleurs diffusant musique, commentaires abrutissants, et puis toujours et encore la danse des avions de chasse dessinant des volutes blanches, cotonneuses et épaisses, dans un ciel si bleu qu’il en paraîtrait faux. Oui. Baltimore lui manque, et il se prend à rêver. Il pense à la vie d’avant, et à la nouvelle, capable de se profiler. Il pense à un départ définitif. Il pense à une retraite, une vraie. Cesser la chasse. Cesser de côtoyer la mort, de la tutoyer au risque de se montrer impoli, un jour. Le pas de trop. Le sème de trop.
Ian Calloway s’apprête à reprendre son poste pour rencontrer, patient après patient, un peu de cette misère, de ces espérances et de ces moments de chaleur humaine qui l’ont poussé à embrasser une carrière dont il n’aurait pas dû s’écarter. Brebis rendue un instant galeuse, s’éloignant du droit chemin, il en venait à prier, à quêter un désir, un besoin et un salut, une voie de repentance qu’il aurait baisée à genoux, si on lui en donnait l’occasion.
Les patients aussi, défilent. Ils entrent, étalent leurs soucis, palabrent. Le médecin les réconforte et les conseille comme il le peut, les ausculte avec rigueur, même quand il se sent fatigué de rabâcher éternellement les mêmes recommandations. C’est son travail. Et il est heureux de ne pas avoir à tremper ses doigts dans le sang, les organes, rafistoler ce qui peut l’être et ce qui ne l’est pas, débusquer les tumeurs, extirper les kystes, vider les abcès, recoudre les chairs. Les tumeurs, il ne les voit toujours que de loin. Sur des radios au papier lisse et sombre, où les os et les membres se dessinent en des lésions d’un bleu presque blanc, comme les banquises des Pôles luisent sous la mer sombre. Lui, il voit de près les symptômes. Les conclusions. Les résultats. La fin proche, ou la guérison à portée, tout près. Les patients défilent.
Lorsqu’une femme entre à son tour, il ignore tout ce que dissimule cette carne, ce corps encore jeune, mais ayant déjà vécu. Il le sent. Il a toujours pu sentir ces choses-là. June, elle, n’avait pas assez vécu. Et c’était peut-être bien ça le problème. Il a vu la précipitation avec laquelle elle est entrée, qui l’a surpris lui-même. D’ordinaire, on ne se précipite pas ainsi dans son cabinet, hormis les hypocondriaques sévères. En est-elle une ? Lui debout, elle aussi, ils semblent aussi étonnés l’un que l’autre, et le souvenir du chirurgien ayant terminé son service et croisé un peu plus tôt lui revient en bloc. Pourquoi ? Que se passe-t-il donc, aujourd’hui ? Pourquoi bute-t-il sur des détails qu’il ne verrait même pas, d’ordinaire ? Il la regarde, de la tête aux pieds. À priori rien ne cloche, hormis cette possible nervosité, cet empressement qu’il ne s’explique pas encore. Même la salutation n’a rien de commun. Ils viennent de se fracasser l’un contre l’autre là où, précédemment, sa conscience avait effleuré avec aménité celle d’un confrère inconnu. Une grande force, mais aussi une grande violence se dégagent d’elle. C’est le souvenir qu’il emportera d’Astaad Sayegh. L’air paraît vibrer autour d’elle, et ses humbles sens humains perçoivent un caractère affirmé, une puissance qui, il en est sûr, pourrait se sentir rien qu’à poser la main sur elle. Un simple mot, et un accent distingué. Elle ne vient pas d’ici. Lui non plus. Il ne possède pas cette méfiance propre aux locaux du coin, parfois égratignés dans leur orgueil et leurs habitudes, par la transformation de la ville et de ses alentours.
« Bonjour. »
Parler lui semble étrange. Quant à elle, elle a du mal à respirer. Sa cage thoracique s’emballe, il remarque aussitôt les soubresauts discrets, mais qui ne trompent pas son expérience. Peut-être le stress ? Peut-être l’angoisse ? Est-elle enceinte ? Est-elle malade ? Porteuse d’un germe, d’une bactérie, d’un virus ne laissant aucune (pas encore) marque, aucun stigmate sur ce teint bien plus frais que le sien ? À bien y réfléchir néanmoins, il se voit incapable de lui donner un âge. Il n’a jamais été doué pour cela. Ils restent encore un peu là, empruntés, elle balayant d’une attention surprenante le cabinet qui n’a rien de très personnel. Il n’y a pas une photo. Pas un cliché. Toujours pas. Ne jamais mélanger professionnel et privé. Jamais. Elle semble repérer les lieux, la disposition des meubles, de la table qu’il utilise pour ausculter chaque malade. Il s’assied en imitant son exemple, et s’aperçoit alors qu’il ne le lui a même pas proposé, d'ailleurs. Il doit se secouer, s’extraire de cette curieuse impression lui chuchotant que quelque chose d’étrange est à l’œuvre.
Et puis le choc. La cassure. La flatterie inutile, dont il ne comprend pas l’ambition. La manière de se pencher, de dévoiler l’échancrure d’un corsage généreux, remarquant la peau bronzée résultant d’un assemblage vestimentaire savamment réfléchi. Piqué, il la fixe avec plus de sévérité, et sa main se juche sur la souris de son ordinateur, pour secouer l’écran tombé en veille. Il marque sa désapprobation d'un mouvement de tête, se détachant enfin d’un visage trop charmeur encore pour l’humeur qui est la sienne. « Vraiment ? »
Calloway est piqué. Calloway est en colère. « C’est votre manière à vous de prendre contact avec le personnel soignant, ou ça m’est juste réservé ? Je ne saisis pas bien. » La réplique sonne cinglante, claque dans l’air exactement comme le plastique dur claque contre le bois lisse du bureau, tandis qu’il affiche sur son logiciel les nom et prénom de la jeune femme. Il articule : « Astaad Sayegh… » Définitivement pas un nom du cru. Il parcourt rapidement les informations à sa portée : le dossier est plutôt maigre. « Vous habitez à Shreveport depuis longtemps ? Je vois que vous ne référencez aucun médecin généraliste en Louisiane, ni… ni ailleurs. Aucun suivi médical sur le territoire… Vous avez la nationalité américaine ? » Il a repris un ton plus froid, plus neutre. Il se sent aussitôt idiot d’avoir comme buté sur cette apparition qui, il en est certain, n’est finalement rien de plus qu’une couche de charisme supplémentaire, capable de faire mouche grâce à une belle plastique, la séduction née de l’exotisme, et un brin d’intelligence quand il le faut. « Avec le peu de données dont je dispose, moi, personnellement, je ne m’attends pas à grand-chose, en revanche. » Il se détourne de l’écran et joint ses mains et ses phalanges, posément installé face à elle. Il contient un soupir, n’ayant pas envie de se montrer particulièrement désagréable pour autant. « Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous semblez nerveuse. Ou bien vous portez une affection toute particulière aux visites médicales, ce qui m’étonnerait un peu, je ne vous le cache pas. Et ce ne serait pas très cohérent avec ce que je viens de lire ici. » Il désigne l’ordinateur, le pointant du bout de son index. « Je vous écoute. Dites-moi tout. »
Nerveuse, elle s’agite sur le siège sur lequel elle a prit place. Elle découvre que son charme laisse froid celui qui lui fait face et son erreur lui revient en pleine face, la faisant se tendre bien davantage. Ses phalanges se resserrent peu à peu sur son sac, faisant grincer le cuir et la peau, abaissant un instant son regard comme pour trouver entre là et le sol, un résidu de courage pour ce qu’elle s’apprête à demander. Était-ce idiot de venir ici ? De venir à lui ? L’homme aux yeux cernés de quelques ridules ne lui offre que ce regard froid et médical, indifférent à sa bêtise maladive lorsque la nervosité la surprend, qu’elle se sait obligée de se mettre rien qu’un peu à nu. Le seul médecin qu’elle n’ait jamais vu était celui de l’Ordre. Vieux croulant aux mains rêches la forçant trop souvent à se dévêtir, faisant fi de sa pudeur et de son intimité, la criblant d’œillades perfides. Elle se retenait chaque fois d’envoyer valser son pied dans son visage pour lui faire regretter ses gestes abjectes qu’il disait être fait pour s’assurer qu’elle demeurait pure et saine pour le grand Maître. Hathor se devait d'être adulée de bien des façons, disait-il. Des conneries qui délaissent leurs traces dans son esprit strié de malheurs, se souvenant bien trop de l'adolescente aux traits juvéniles, aux formes encore timides, ne comprenant pas que l'on ose laisser filer ses doigts sur les ergs de ses seins ou descendant plus bas qu'il ne le fallait par-delà son nombril. Revenant au moment présent, elle demeure silencieuse, cillant face à la réponse déchirant ce silence stérile, le fixant avec davantage de sérieux, le masque du charme fondant comme la cire d’un masque qu’elle aurait voulu continuer de porter pour protéger ses secrets et son orgueil piqué. Le dos se détend peu à peu contre le dossier tandis que ses jambes se croisent et se décroisent. Enfin, l’Astaad antipathique remonte peu à peu à la surface, comme la Bête le ferait, persifflant de son ruban noir ceux qui oseraient l’attaquer.
Elle retient elle-même l’acide qui s’étale au bout de sa langue humaine, la mordant à peine d’une incisive d’ivoire, inspirant lentement avant de détourner un instant son visage vers l’une des fenêtres donnant sur la ville qu’elle vient de quitter. Un Shreveport encore plein de ses stigmates et la nuit de chaos hante encore ses prunelles qui finissent par lentement revenir vers lui. « Veuillez m’excuser. C’est vrai que j’suis un peu nerveuse. C’est pas simple… Tout ce… truc de rendez-vous médicaux. De venir ici, devant vous. Même si c’est pas vous particulièrement qui me rendait nerveuse, rassurez-vous, Docteur. » S’élève à peine la commissure d’une lèvre en un sourire jaunie à l’amertume « J’suis pas une habituée de vos cabinets, j’préfère être honnête. » Voilà longtemps qu’elle n’a plus souffert d’aucun maux et il lui vient parfois à l’idée que l’élixir impudent fondant sous sa peau en est le coupable. Rien qui ne la fasse réellement frissonner de fièvre si ce n’est lorsque la lune se renouvelle et que le froid l’accapare dans un giron glaçant.
La questionne la ramène à ce long périple, exode épuisante faite de sables, de tempêtes et de douleurs, des blessures de Raphael, des murmures craintifs de Nejma et Nadja, de sa propre haine tenace. De mauvais souvenirs qui la laisse plonger de nouveau son regard dans le vide, comme pour revivre, rien qu’un petit instant, ce qui l’a mené jusqu’ici. « J’y suis depuis quelques années déjà. Mais j’ai jamais eu trop besoin de voir de médecins. J’suis plutôt bien portante. » Elle ne parvient plus à sourire, plongeant l’iris dans celle plus bleutée de l’homme qui lui fait face et la toise avec un sérieux qui la met davantage mal à l’aise. Elle aurait aimé, bêtement, faire meilleure impression, ne passant pas pour l’idiote tentant naïvement de le charmer. La question sur ses papelards la laissent un instant muette, plissant à peine les yeux, comme pour le défier de porter un quelconque jugement sur elle. Qu’il n’ose pas car le charme ne sera plus son arme cette fois. « Que je le sois ou pas, ça changera votre manière d’me soigner ? » Elle se veut calme et dilapide ses mots d’une voix sans timbre, comme pour ne pas se faire attaquer en retour. Elle a deviné dans cette réserve glaciale, un acide aussi puissant que le sien s’il le voulait. Sa parure de médecin n’est qu’une lisière les séparant d’un respect bon à être violenté par leurs mots violents. Elle cille encore, plus nerveuse au fil du temps, replace une mèche derrière une oreille, frotte sa gorge dégagée et masse sa nuque aux muscles crispés. Ses dernières palabres arrivent à la faire se tendre plus encore qu’elle n’aurait pu l’imaginer, guettant à peine la porte par laquelle elle est passée. Il lui semble être une camée venue demander une dose plus forte à un dealer dans sa haute tour d’ivoire. N’ête pas plus à sa place qu’elle n’est l’est dans les rues d’un Shreveport éventré par un Halloween sordide. « Tout hein ? » L’esquisse de son sourire est sans joie, le soleil ayant quitté les terres de son visage pour irradier dans sa poitrine où tremble son cœur. « Ca va pas être long. J’ai… Je souffre énormément. Souvent, en fait. J’ai des douleurs musculaires, osseuses, très importantes. » Elle le fixe, essayant de tisser la toile d’un mensonge qui n’en est pas vraiment un. Peindre un tableau avec quelques aquarelles de vérité et laisser l’illusion faire son œuvre. « J’ai essayé beaucoup d’choses, j’vous avoue. Que ça aille des anti-inflammatoires jusqu’à… » Un rire lui échappe, se moquant d’elle-même. « Jusqu’à l’alcool. Beaucoup d’alcool. » C’est invraisemblable. La voilà réellement en train de confier une partie de son existence qu’elle aurait aimé laissée dans l’obscur coin de sa psyché. Qu’elle soit la seule à savoir. Un simple inconnu peut-il seulement l’aider ? Qu’il soit médecin ou non.
« Faut comprendre que je souffre de ça depuis un paquet d’années. Que j’ai espéré que ça me passerait, que ça irait. Que la souffrance… disparaîtrait, un jour, comme ça. J’ai prié, moi qui ne priait plus vraiment. » Les mots semblent vouloir s’échapper aussi sûrement qu’un filet d’eau à travers une brèche, son timbre s'adoucissant peu à peu sous les ombres de la souffrance profondément enfouie dans ses entrailles. Maintenant que la brèche est ouverte, il lui semble impossible de cesser de parler et qu’importe ce qu’il fera de ce secret cachant sa malédiction… Il ne pourra pas davantage la faire souffrir que la haine de Favashi qui grouille en elle. « Mais j’dois me rendre à l’évidence… J’aurais mal toute ma vie. » Ses yeux ne le sondent plus, perdu dans l’invisible, hanté par les nuits lunaires l’ayant vu se fondre en chimère pour revêtir la peau du monstre. S’il savait, il ne voudrait que la chasser de son cabinet en vociférant de basses insultes et elle ne pourrait le lui reprocher. Un léger sursaut la voit redresser l’échine pour le fixer un instant dans un bref silence où le tic-tac d’une horloge semble se moquer d’elle, où les bruits de la ville sont étouffés par les murs, comme s’ils étaient enfermés dans du coton, si loin de la civilisation. Si loin de son mal. « A moins que vous puissiez m’aider ? » Une épaule se hausse en un mouvement du corps presque timide « Vous êtes un peu mon dernier espoir. Et je le dis pas pour... blaguer, cette fois. » Traquant encore le vide, elle finit par poser les yeux sur la table d’auscultation, déglutissant pour désaltérer sa gorge sèche « Je… Est-ce que je vais devoir me déshabiller ? » Et ce n’est pas la pudeur qui la fait frissonner mais bien la non-envie de lui exposer les gravures de son corps, comme un mur fait de hiéroglyphes laissés par les Hommes pour les Hommes. Et la brûlure au creux des rives qui séparent ses omoplates semble irradier d’une chaleur toujours plus puissante, comme si elle aussi, craignait d’être révélé aux yeux de ce docteur qui, malheureusement, a eu le malheur de croiser son chemin.
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Ian C. Calloway
ADMIN ۰ Fear is the mind killer
✞ PAINT IT BLACK ✞
"Tomorrow is another day,
Today is another bomb."
En un mot : Chasseur et Fils d'Abraham. Foi, Ferveur, Fardeau.
Qui es-tu ? :
"You never thought we'd go to war,
after all the things we saw."
✞ Deuxième fils d'une fratrie de trois. Cadet d'une famille de chasseurs aux traditions transmises par les pères d'aussi loin que la mémoire puisse remonter, dans les forêts d'Europe de l'Est ; racines plantées aux environs de Prague.
✞ Il tue les monstres, et particulièrement les Longue-Vies, Grandes-Dents ou fils de Caïn, qu'importe le nom qu'on leur donne : ennemi des vampires comme des lycanthropes, lorsque son frère aîné requiert son aide.
✞ Naissance à Boston, la cité-bloc balayée par les vents de l'Atlantique. Ville délaissée pour la chaude et discrète Baltimore, dans le giron des brumes de Poe. Ville adoptée, chérie comme Washington D.C.
✞ Sportif de toujours, ancien étudiant modelé par les matchs, les courses et les sauts ; a décroché une bourse pour l'université et n'a jamais cessé de tailler ce corps solide et agile lorsqu'il le faut.
✞ Il a prêté serment : docteur vouant son existence au soin des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants. Confident de tant d'inconnus qu'il en a parfois le tournis, rassure et prescrit, soutient infirmières et collègues. Mains assez robustes pour soutenir un grand gaillard mais assez tendres pour préserver un nouveau-né.
✞ Pilier des Calloway ; homme réputé pour sa dignité, sa réserve et ses colères froides. Gardien de tous les secrets, jusqu'au plus purulent. Cherche à préserver les fondations du clan par tous les moyens, malgré les humeurs des uns et des autres.
✞ Médecin de mort, employé pendant plus de dix ans au WFC, organisme financé par les bourses du PASUA pour expérimenter sur les hommes abandonnés par leur raison, comme sur quelques CESS (les limites de l'esprit et du corps). Vie de fuyard depuis l'effondrement du site et la mort de son collègue et ami, assassiné par leur Némésis.
✞ A recueilli sa nièce Nova Calloway, en conflit permanent avec un père vétéran du 11 septembre et une mère aux abonnés absents. L'a arraché aux gratte-ciel de New York pour Baltimore, et désormais Shreveport. Non-dits, et silences douteux.
✞ Espère trouver anonymat, soutien et protection à Shreveport, entouré d'anti-surnats, et passe sa vie à esquiver les conséquences d'une décennie de péchés, que son Dieu est pourtant censé tolérer. En attente du regroupement des Calloway en Louisiane.
✞ N'aime que la ville. Il hait le soleil et l'humidité permanente qui s'abattent sur tous les États du Sud, pour lesquels il ne voue absolument aucune affection. En recherche de repères, passant d'un quotidien presque insouciant à un bras de fer de tous les instants.
✞ Tempérance et liberté. Aime le genre humain, de ses défauts les plus anodins aux tordus dont il questionne les esprits (poursuivre l'œuvre commune le liant à Carl Weiss). Horrifié par le monde dans lequel il vit, sans se résoudre à lâcher prise sur les démons à combattre.
✞LAST MAN STANDING✞
"Tomorrow never comes until it's too late."
Facultés : ✞ Formé au maniement des armes à feu en tout genre : armes de poing comme armes lourdes, si les circonstances l'exigent.
✞ Ne craint pas le corps-à-corps ni les combats à l'arme blanche, même s'ils ne suscitent aucune appétence en lui.
✞ Chasseur respectueux des traditions de son clan. Arme traditionnelle : arbalète aux carreaux d'argent. Terrain de prédilection via les chasses en hauteur et les pérégrinations casse-gueules sur les toits.
✞ Porteur d'une Foi qui guide son bras et protège sa chair vulnérable. Croyant tâchant de ne pas trébucher.
Thème : Unbreakable ✞ James Newton Howard.
✞ I AM A GOD ✞
"That's our cosa nostra."
Pseudo : Nero
Célébrité : Thomas Kretschmann.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Gautièr Montignac.
On ne leur apprend pas toujours cela, dans leur prime jeunesse. Ce puits vertigineux d’histoires, de destins désabusés. Tant de voies différentes. Tant de parcours, d’épreuves, de basculements possibles. Certains médecins oublient, en prenant de l’âge, d’entretenir l’aménité qui les réchauffait tant, à leurs débuts. Ils étaient préoccupés alors par l’idée de maintenir une certaine humanité, de ne pas se perdre dans ce monde de savoir, de ne pas communiquer trop durement d’une voix péremptoire. À l’inverse, d’autres débutaient sans pitié, pour mieux s’adoucir, les années passant, l’expérience aidant. Lui ? Lui s’estime coincé dans une forme d’entre-deux. Sa conduite est dictée autant par son humeur du moment, par les tourments qui lui dévorent l’esprit et les nerfs, que par la personne qui se trouve assise en face de lui. Astaad Sayegh n’a pas bien commencé. Il se méfie des postures trop séductrices. June avait débuté ainsi son numéro, dans son cabinet de l’époque. Il n’a jamais pu se défaire de cette réminiscence désagréable, chaque fois qu’une jolie femme franchit le seuil de son espace de travail. S’il ne souhaite pas pour autant confondre toutes les créatures un tant soit peu charismatiques pour les fourguer dans le même sac, il se sait habité par un réflexe instinctif qui le dépasse parfois, et il se morigène tout seul de friser avec une misogynie dont il souhaite réchapper. Ainsi, il s’oblige au calme, au non-jugement. L’erreur est possible. Elle ne semble pas d’ici. Autres temps, autres contrées, autres mœurs… De plus, la voir prendre conscience immédiatement du caractère excessif de son comportement suffit à l’apaiser. Il n’est pas insensible aux gens qui apprennent, saisissent et corrigent leurs fautes de parcours avec bonne volonté. C’est ce qui le pousse à regretter de ne jamais avoir pu prendre le temps de transmettre son art. Pas encore. Peut-être qu’un jour, Glenn…
Il s’égare. Il se concentre de nouveau sur l’accent de la jeune femme. Sa gestuelle est typique, révélatrice d’un problème dont il devine le fond sérieux. Ses sourcils sont à peine froncés, mais sa posture suffisamment éloquente pour comprendre qu’il ne ratera pas une miette de ses dérobades et autres tics la transformant en livre ouvert. Peu à peu, le côté outré de sa patiente s’efface, cède la place à une forme de mélancolie qui ne lui est pas inconnue, bien qu’étonnamment arborée, ici.
Quelque chose ne va définitivement pas. Alerté par ses questions, il se demande si ses réactions ne sont pas issues d’un traumatisme expliqué par des manipulations violentes de la part de collègues médecins. Ce n’est pas une hypothèse à prendre à la légère. Il prend une grande inspiration, expire, puis reprend alors :
« Bon. On va prendre les choses une par une. Pour commencer, je vais vous demander une complète transparence sur votre état de santé. Si vous souhaitez que je devienne votre médecin généraliste, il me semble naturel de me donner toutes les informations susceptibles de vous aider. Autrement, ce sera une totale perte de temps pour nous deux, ainsi qu’une perte d’argent de votre côté. Qu’entendez-vous par ‘un paquet d’années’ ? Vous n’avez jamais consulté pour ces douleurs, avant moi ? » Il expose une moue un peu moqueuse. « D’où ma question précédente. Si vous ne venez pas des États-Unis, je ne vous soignerai pas autrement que je le ferais pour mes concitoyens. Cependant… j’ai besoin de savoir si vous disposez d’une assurance avant toute chose. Le prix de la consultation ne sera pas le même, si vous n’êtes pas assurée auprès d’un organisme affilié au Shreveport Hospital. Ma question n’induisait donc rien d’autre que ce point non-négligeable. » Il se recule et se lève ; il remplira le dossier de cette potentielle future soignée ultérieurement. « En outre, savoir qui vous avez consulté, et dans quel pays, peut aussi me donner des indications et me guider pour vous recommander un potentiel traitement ou la prise de rendez-vous vers un spécialiste adéquat. »
Il contourne le bureau de son pas habituel, et ses mains retrouvent brièvement le chemin de ses poches. Il la toise sans hostilité apparente, mais sans empathie excessive non plus. Il est encore en phase de jugement. Il évalue. Il a toujours besoin d’un peu de temps, pour cela. C’est qu’il déteste se fier aux seules apparences. « Je vous déconseille sérieusement l’automédication. Si vous ne voyez pas de médecins, c’est que vous vous les procurez via une méthode que je doute être légale. C’est le meilleur moyen d’ingérer des substances dont rien ne vous garantit qu’elles aient été validées par les agences officielles de santé. À terme, vous risquez de vous empoisonner, voire d’aggraver le problème. Un peu comme les acheteurs imprudents de cocaïne et autres substances qui se retrouvent à sniffer de la lessive ou de la mort au rat. Quant à l’alcool… Pas besoin de développer, hum ? » Il ne s’y ferait jamais. À cette misère sociale, cette solitude dans laquelle s’enferment tant de blessés, de malades, par orgueil ou par désespoir. Il n’a jamais apprécié l’idée de représenter le dernier recours de qui que ce soit. Même lui estime qu’il n’en a pas les épaules. Personne ne devrait jamais avoir à endurer ce genre de poids sur les épaules.
« Tout n’est pas incurable. Si vous me laissez vous examiner et que vous m’en révélez un peu plus, ce serait déjà un meilleur point de départ, d’accord ? » Un sourire. Plus amène, celui-ci. Rassurant. Semblable à celui qu’il adresse aux enfants qui ont peur des piqûres. « Vous n’êtes pas obligée de vous déshabiller si vous ne le souhaitez pas. J’aimerais juste pouvoir accéder à votre dos pour écouter le cœur et faire un bilan tout ce qu’il y a de plus lambda. Mais si vous n’en avez pas envie, je ne vous forcerai en rien. »
Il l’invite à se lever pour rejoindre la table d’auscultation, la laissant s’installer tandis qu’il s’approche de l’évier pour se laver les mains avec son application habituelle. Il observe le savon se diluer sur ses paumes luisantes et parfois abîmées à force de les enduire de gel hydroalcoolique et de produits nettoyants en permanence. Sans se retourner, lui donnant ainsi l’occasion de ne pas répondre si l’interrogation est trop franche, il dépose l’air de rien : « De mauvaises expériences avec des médecins, par le passé ? »
La peur s’invite sous sa peau alors qu’elle écoute ses mots sans savoir comment elle pourra se désembourber du marécage dans lequel elle s’est elle-même invitée. Il lui fallait trouver de quoi se sortir de l’ardeur pestilentielle d’un mal-être qui la ronge depuis trop d’années. Mais alors comment avouer que le mal qui sillonne en elle est née d’une magie rougeoyante qui dissémine en son être un fléau qu’il lui est impossible à contrôler ? Comment lui dire que les nuits où la lune est pleine, ce n’est plus elle qui se présente aux yeux des Hommes mais un vil serpent à la bouche venimeuse ? Que sous sa langue persiffle un venin immonde dont ses mots sont parfois teintés ? Elle le mire sans savoir, laissant s’écouler de longues secondes sans pouvoir trouver les bons mots, s’emmêlant entre sa langue natale et l’anglais qu’il lui faut bien sortir pour se faire comprendre de congénères dont elle se sent pourtant si éloigné parfois. Le corps est nerveux, s’agite, fait grincer la chaise, le regard s’égare vers la rive du vide pour mieux revenir jusqu’à lui, pour mieux avouer « Depuis 2014. Ca a commencé en pleine nuit, j’étais rongée par des douleurs ignobles dans tous les os, dans tous les muscles. C’était impossible pour moi de faire quoi que ce soit pour soulager la douleur. » Et alors, Astaad Sayegh choisit d’enjoliver la vérité d’un mensonge éhonté. La jambe gauche s’agite en aller et venues angoissées tandis qu’elle poursuit, crevant le ciel azuré des prunelles qui lui font face, un rire sans joie lui échappant, sourire jaune s’esquissant sur des lèvres pleines « Disons que j’ai pas eu le temps de venir consulter quiconque jusqu’ici. » Elle ferme les yeux, un bref instant, les rouvrant quand un autre rire se souffle, aride et dénudé de bonheur. « En fait, non. J’avais peur. J’avais peur de venir voir un toubib pour ce genre de choses. » Les souvenirs lui écharpent l’esprit, la mémoire plein des maux qu’on lui infligea de toucher non voulus, de caresses ignobles, de yeux lubriques lorgnant son corps d’adolescente en pleine puberté. Plus les secondes passent et plus le malaise s’installe, lui donnant l’impression d’une stupide erreur qu’elle est en train de commettre. Comment expliquer à un médecin toute la noirceur qui se cache derrière ce qui la lamine ?
Les sourcils se froncent à peine, tentant autant de déchiffrer le sens de tout ce qu’il lui dit que de chercher des mots qui seront les bons. « J’ai pas d’assurance. Désolée. » Elle hausse les épaules, presque honteuse, avouant là qu’elle n’est pas tout à fait en règle, qu’elle n’a jamais eu à venir jusqu’au Shreveport Hospital. Son corps est robuste et elle le sent de plus en plus, ne tombant jamais malade même quand le froid se fait avide de la percuter de son givre, même quand Nejma ou Nadja attrapent quelques microbes, elle, se voit totalement épargné. Elle ne se brise jamais rien, plus depuis que l’enfant a laissé place à une adulte moins maladroite et intrépide qu’elle ne l’était dans des temps plus anciens. Sa dernière réflexion laisse venir un haussement de sourcil, la langue se tordant contre l’ivoire d’une incisive « Qui j’ai consulté ? Pas de vrais médecins, si vous voulez tout savoir. » Elle n’osera lui parler de Mohammed, de ce vieux rabougri aux sourcils broussailleux et à la moustache mal rasée, de ses mains baladeuses et curieuses, de ses yeux sournois, de ses mots aux consonances graveleuses. « Et j’viens d’Égypte, du Caire. J’vois pas en quoi ça peut vous aider mais voilà. » Les épaules se haussent encore, aussi tendue qu’une adolescente face à un directeur là pour la réprimander au moindre mot de travers. Il l’intimide, elle doit l’avouer, sa prestance et son charisme l’étouffent sans qu’elle ne comprenne pourquoi. Peut-être est-ce la blouse blanche qui ne fait que lui rappeler de mauvais souvenirs.
Ses yeux suivent ses moindres mouvements, le regardant s’élever, posture détendue qu’elle ne peut se vanter d’avoir adoptée, ses jambes se croisant et se décroisant sans cesse, élevant son visage vers lui tandis qu’elle écoute, attentive plus que jamais à ce qu’il pourra lui dire car il demeure sa seule solution en cet instant. Elle hoche lentement la tête, un « Ouais, j’vois. » répondant à ses recommandations, sachant parfaitement que les médicaments qu’elle a pu ingérer n’étaient pas les bons, que l’alcool ne l’a jamais sauvé de quoi que ce soit, pas même d’une affreuse gueule de bois le lendemain. Le sourire qu'il lui renvoie, elle y répond du sien qui ne tient pas bien longtemps, trop anxieuse pour parvenir à esquisser la joie sur son visage.
A son tour, elle se relève, délaissant son sac sur la chaise pour le suivre jusqu’à la table d’auscultation. Là, elle hésite. Elle hésite trop longuement sûrement. Quelque chose tremble en elle, lui criant de déguerpir, de ne rien révéler de ce qui se cache sous sa veste en jean. Elle se maudit d’avoir mis un haut ne cachant pas son dos ni le creux entre ses deux seins. Sans le regarder, dos à lui, elle se décide à faire glisser la veste de ses épaules, à délivrer ses bras des manches pour lui dévoiler les stigmates d’Hathor boursoufflant la peau de son dos. « C’est moche, j’sais. » dit-elle, détournant à peine la tête vers lui. S’asseyant sur le papier protégeant la table, elle semble se revoir comme cette fois où elle débarqua dans le laboratoire d’Eoghan Underwood, sans être pourtant aussi nue que ce jour-là, elle se sent tout autant vulnérable, incapable de se détendre. Gardant sa veste chiffonnée contre ses cuisses, elle s’éclaircit la gorge, gênée, le cœur pouvant presque se gerber tant elle en sent les battements jusque dans sa bouche sèche. La question survenant la fait se figer, se tendre. Le ventre se rentre comme s'il venait de lui asséner un coup de phalanges, le cœur se sert et se tord comme s'il venait de tenter de le lui arracher. Elle détourne les yeux vers lui par-dessus son épaule, rencontrant son corps détourné avant que son regard ne se détourne à nouveau, ramenant sa queue de cheval sur une épaule puissante mais gracile. « Ca s’voit tant que ça ? » La question lui semble ridicule, un rire lui échappant à nouveau. « Enfin ouais, ça doit s’voir. J’ai l’air aussi tendue que si j’étais dans une salle de torture. » Elle ignore pourquoi elle parle, pourquoi elle ose lui répondre. Peut-être est-ce lui, peut-être est-ce la franchise dont il ne l’épargne pas, peut-être est-ce ce qu’il dégage qui la pousse à parler. « J’viens pas d’un milieu très conventionnel. Là-bas, les "médecins" … » recrachée comme une insulte « … ont la main trop leste, trop baladeuse. Ils aiment bien les gosses, si vous voyez c’que je veux dire. » Et il a dû en entendre trop d’histoires de ce genre alors elle sait qu’elle ne le choquera peut-être même pas. « 'Fin est-ce qu’on peut dire que j’étais une gosse quand j’avais quoi ? 14-15 ans ? Ouais. J’ressemblais déjà à une femme mais j’avais toujours l’esprit d’une enfant alors on peut dire que oui. » Sa main vient frotter contre son nez en un geste nerveux et habituel, rampant contre sa nuque pour en détendre les cervicales, ses paupières battant lentement, ses yeux dans le vide revivant l’enfer d’une enfant n’ayant rien demandé. « Désolée, j’parle beaucoup. C’est juste… J’ai pas été touchée par un toubib depuis un bail. Et comme vous comprenez, j’en garde pas d’bons souvenirs. Même si j’sais que vous êtes pas tous pareils. C’est totalement con de réagir comme ça. » Un rire se moque d’elle-même, se redressant à peine, secouant la tête tandis qu’elle poursuit « Vous… Vous pouvez y aller. J’suis prête. » Et la tête se hoche comme pour se convaincre elle-même que c’est le cas, comme pour s’enraciner à cette table et ne pas sortir en courant, tuant sa dernière chance de survivre à la prochaine pleine lune.
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Ian C. Calloway
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En un mot : Chasseur et Fils d'Abraham. Foi, Ferveur, Fardeau.
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✞ Deuxième fils d'une fratrie de trois. Cadet d'une famille de chasseurs aux traditions transmises par les pères d'aussi loin que la mémoire puisse remonter, dans les forêts d'Europe de l'Est ; racines plantées aux environs de Prague.
✞ Il tue les monstres, et particulièrement les Longue-Vies, Grandes-Dents ou fils de Caïn, qu'importe le nom qu'on leur donne : ennemi des vampires comme des lycanthropes, lorsque son frère aîné requiert son aide.
✞ Naissance à Boston, la cité-bloc balayée par les vents de l'Atlantique. Ville délaissée pour la chaude et discrète Baltimore, dans le giron des brumes de Poe. Ville adoptée, chérie comme Washington D.C.
✞ Sportif de toujours, ancien étudiant modelé par les matchs, les courses et les sauts ; a décroché une bourse pour l'université et n'a jamais cessé de tailler ce corps solide et agile lorsqu'il le faut.
✞ Il a prêté serment : docteur vouant son existence au soin des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants. Confident de tant d'inconnus qu'il en a parfois le tournis, rassure et prescrit, soutient infirmières et collègues. Mains assez robustes pour soutenir un grand gaillard mais assez tendres pour préserver un nouveau-né.
✞ Pilier des Calloway ; homme réputé pour sa dignité, sa réserve et ses colères froides. Gardien de tous les secrets, jusqu'au plus purulent. Cherche à préserver les fondations du clan par tous les moyens, malgré les humeurs des uns et des autres.
✞ Médecin de mort, employé pendant plus de dix ans au WFC, organisme financé par les bourses du PASUA pour expérimenter sur les hommes abandonnés par leur raison, comme sur quelques CESS (les limites de l'esprit et du corps). Vie de fuyard depuis l'effondrement du site et la mort de son collègue et ami, assassiné par leur Némésis.
✞ A recueilli sa nièce Nova Calloway, en conflit permanent avec un père vétéran du 11 septembre et une mère aux abonnés absents. L'a arraché aux gratte-ciel de New York pour Baltimore, et désormais Shreveport. Non-dits, et silences douteux.
✞ Espère trouver anonymat, soutien et protection à Shreveport, entouré d'anti-surnats, et passe sa vie à esquiver les conséquences d'une décennie de péchés, que son Dieu est pourtant censé tolérer. En attente du regroupement des Calloway en Louisiane.
✞ N'aime que la ville. Il hait le soleil et l'humidité permanente qui s'abattent sur tous les États du Sud, pour lesquels il ne voue absolument aucune affection. En recherche de repères, passant d'un quotidien presque insouciant à un bras de fer de tous les instants.
✞ Tempérance et liberté. Aime le genre humain, de ses défauts les plus anodins aux tordus dont il questionne les esprits (poursuivre l'œuvre commune le liant à Carl Weiss). Horrifié par le monde dans lequel il vit, sans se résoudre à lâcher prise sur les démons à combattre.
✞LAST MAN STANDING✞
"Tomorrow never comes until it's too late."
Facultés : ✞ Formé au maniement des armes à feu en tout genre : armes de poing comme armes lourdes, si les circonstances l'exigent.
✞ Ne craint pas le corps-à-corps ni les combats à l'arme blanche, même s'ils ne suscitent aucune appétence en lui.
✞ Chasseur respectueux des traditions de son clan. Arme traditionnelle : arbalète aux carreaux d'argent. Terrain de prédilection via les chasses en hauteur et les pérégrinations casse-gueules sur les toits.
✞ Porteur d'une Foi qui guide son bras et protège sa chair vulnérable. Croyant tâchant de ne pas trébucher.
Thème : Unbreakable ✞ James Newton Howard.
✞ I AM A GOD ✞
"That's our cosa nostra."
Pseudo : Nero
Célébrité : Thomas Kretschmann.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Gautièr Montignac.
Il laisse l’eau couler plus que nécessaire. Bien plus que nécessaire.
Il écoute une histoire de plus, dont le pathétisme se crante derrière ses rétines. Il se figure le lointain d’un pays étranger, dans lequel il n’a jamais mis les pieds. Avec cette vision, s’agglutinent tous les clichés orientalistes face auxquels il ne peut pas grand-chose. Il n’a aucune idée de comment on vit, au Caire. Il n’a aucune idée de la situation sanitaire concrète, sur le terrain. Il n’a pas envie de se faire des idées. Il ne peut faire qu’avec ce qu’elle veut bien lui en dire : pas grand-chose. Il reçoit la confession avec l’humilité du père à l’église, et observe ses paumes creusées accueillir le filet tiède et humide qui frappe sa peau déjà parfaitement nettoyée. Il finit par arrêter le robinet et se redresse, méditant en silence les propos de la jeune femme. Il se retourne sans geste brusques, récupère son stéthoscope, et s’approche de la table sur laquelle elle s’est assise sagement. Ses prunelles tombent sur la veste un peu en boule qu’elle garde serrée contre son bas-ventre. Un instant, il n’a aucun mal à remplacer le vêtement par une peluche, aucun mal à la diminuer de quelques centimètres, de haut comme de large ; gamine victime d’attouchements si communs de par le monde, qu’il soit oriental ou non. Astaad lui fait de la peine. Il se sent peiné pour elle, oui. Il ne sait pas pourquoi le souvenir des guirlandes qui pendouillent du côté du bureau des infirmières lui apparaît à nouveau maintenant. Tout lui semble lié. La morosité de Shreveport à l’approche de fêtes de Noël que personne n’a envie de célébrer… les travaux, permanents, obstruant le paysage et ramenant systématiquement l’esprit au pourquoi des reconstructions hâtives, partout sur le territoire… les morts que la ville pleure toujours. Les blessés, les disparus. La fatigue. Soudain, le docteur sent ses épaules menacer de s’affaisser. Il ne doit pas céder à ce joug de l’émotion qui contamine tous les habitants. Il se doit de rester fort. Mais, certains jours, la tâche lui paraît impossible. Il humecte à peine ses lèvres et s’approche encore, tandis que les cicatrices zébrant la peau mate ne font qu’en rajouter un peu plus à son sens de l’empathie. Doucement, il répond :
« Pour ce qui est de l’assurance, vous devrez payer la consultation un peu plus chère que si vous en possédiez une. Du peu que vous me dites là, vous n’y couperez pas… Vous allez avoir besoin de passer des examens complets. Ma secrétaire vous fera un devis. Cela devrait vous permettre de vous organiser, côté finances… Je crois vraiment que vous devriez investir, quel que soit le tarif. Si vous souffrez depuis plusieurs années déjà, il n’est pas concevable que vous laissiez la situation s’aggraver encore un peu plus. Mais ce n’est que mon avis, bien sûr. Vous êtes la seule à pouvoir en décider. »
Tout en déroulant le cordon ténu de l’instrument, il commence déjà à fomenter ses premières théories, sans bien comprendre quel mal étrange impacte sa nouvelle patiente. Les noms de plusieurs pathologies s’égrènent dans son cerveau formé à ce type de repérage, mais aucun ne paraît compatible avec l’état physique d’Astaad, qui semble n’avoir aucune difficulté à se déplacer. Quelque chose ne tourne pas rond, ne colle pas. Il redoute déjà de se trouver devant un puzzle gigantesque, un mille pièces aux allures de casse-tête impayable. « C’est normal, d’avoir peur. Si vous avez subi des choses désagréables chaque fois que vous aviez l’intention de venir vous faire soigner, c’est logique d’en garder une sorte de traumatisme. Je crois en effet moi aussi qu’à quatorze ou quinze ans, on peut toujours être considéré comme un enfant. Vous n’auriez pas dû endurer ça, et je ne vous blâmerai jamais pour vos réactions épidermiques. Je sais que ce n’est pas évident. Mais vous êtes là, maintenant. Vous avez surmonté votre peur. C’est tout ce qui compte. En tout cas, vous pouvez me faire confiance. Je ne vous ausculterai jamais sans votre consentement, et vous êtes libre d’y mettre un terme dès que vous ne vous sentirez plus à votre aise. Ça va être un peu froid », s’excusa-t-il. Il remonta légèrement le débardeur, et l’embout métallique trouva rapidement la surface lisse et veloutée. Il fronça les sourcils. Non pas parce qu’il y avait un problème, bien au contraire… « Vous avez un cœur impeccable… Respirez bien à fond, s’il vous plaît. » Concernant le souffle, rien à dire là non plus. Ce n’était pas si étonnant, compte tenu de son âge et de sa forme physique, qui semblait irréprochable. Pourtant, cela ne matchait toujours pas avec l’état qu’elle lui avait décrit et qui, lui, avait l’air plutôt alarmant. « Pour ce qui est de vos cicatrices… vous ne devriez pas en parler ainsi. Elles font partie de vous, d’où qu’elles viennent. Et me concernant, ne vous en faites pas. » Il cita, amusé. « Rien de ce qui est humain ne peut me dégoûter. Les cicatrices sont comme les rides. Elles sont des marqueurs temporels à elles seules. Elles prouvent que vous avez vécu. Il n’y a pas de quoi en avoir honte. »
Il écouta encore un peu, puis se recula et retira l’appareil de ses oreilles. Puis, il saisit de quoi prendre la tension à Astaad. « Tendez votre bras, s’il vous plaît. » Il enferma le membre dans sa gangue de plastique, et entreprit de le faire gonfler, à grands renforts de pompes précises et rapides. « Vous avez une tension un peu élevée, mais je mets ça sur le compte du stress… rien d’inquiétant, là non plus. »
Il la libéra, puis s’écarta d’un pas, croisant les bras contre son torse. Il réfléchissait, tout en considérant la mine penaude de l’étrangère en face de lui. « Vous êtes certaine que vous ne me cachez rien ? Allez-y. Je n’ai pas envie de vous voir débourser une fortune tout ça pour une batterie d’examens dont certains ne seraient pas utiles. Vous me parlez de douleurs chroniques, c’est cela ? Quand est-ce que vous avez mal ? Est-ce qu’elles arrivent subitement, ou est-ce une activité, des mouvements, une pratique sportive, peut-être, qui les réveille ? J’ai besoin que vous m’aidiez un peu. » Pour parachever de la rassurer, il lui offrit le plus gentil sourire dont il était capable, sans avoir à user de manipulation pour autant. Juste un petit coup de pouce, à l’image de ses paumes qui étaient restées douces et bienveillantes, avec elle.