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Dévorer le jour [Inna]

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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
Rhys Archos
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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

Dévorer le jour [Inna] S83t

« Wild men who caught and
sang the sun in flight,
And learn, too late, they
grieved it on its way,
Do not go gentle
into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
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Violation de propriété privée ;
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Dim 13 Sep - 21:48 (#)

DÉVORER LE JOUR

L'HEURE DU CHASSEUR


« L'astre maudit lentement décroît, œil anonyme et aveugle, de cette course insupportablement mesurée, insupportablement triomphante, parcourant les nuées avec la grâce des choses célestes et pleines de l'élégance douloureuse d'une cruelle indifférence. Suspendu là entre deux averses, traversant le ciel comme une lance traverserait les chairs, il brûle. Les yeux, l'esprit, la terre. Tout ce que son odieuse présence touche et imprègne, pénètre, dégueulant sur toutes choses une érubescente lumière qui tombe sur l'horizon comme le sang d'une plaie. Dans les ombres marécageuses, les hautes silhouettes des cyprès crèvent la surface d'une eau tranquille mais traîtresse, dressées dans ce rouge obscur comme autant de côtes perçant la carcasse depuis longtemps pourrie d'un animal mort. Çà et là, des légions entières d’insectes murmurent, vont et viennent, dévorant sans fatigue ni repos tout ce qui a le malheur de vivre.

Se coulant entre deux souches fatiguées, tantôt dans l'ombre, tantôt dans la lumière, la forme agile et silencieuse d'un pelage tacheté louvoie lentement sous la frondaison florissante d'une nature encore sauvage. Alerte, prudent, les pattes se posent avec mesure dans le silence entre deux coassements, mouvement fragile qui semble ne tenir qu'à un fil, tandis que les yeux et les oreilles fouillent la verdure environnante à l'affût de quelque chose, d'un on ne sait trop quoi d'invisible et d'insaisissable qui ne se dévoile qu'aux seuls yeux des bêtes de la nature. S'arrêtant un instant, le corps tacheté d'un complexe motif de lumière découpé par les feuilles des arbres, la tête massive se tourne vers l'éclat aveuglant qui sombre peu à peu, et reste là à assister à la chute inexorable de ce dieu qui s'éteint, se consume et se meurt, avec, dans le regard, l'éclat d'arrogance propre aux félins. Il se tient là, à demi dans la lumière, comme prêt à rugir à la face du jour et à affronter ses rayons, à lui faire l'outrage de se soustraire au cycle que lui impose habituellement l'astre en brisant son immuable loi.

Un frisson parcourt l'aura de l'animal. Une tranquille et familière assurance, loin de la houle d'une vie de raison et ses non-sens douloureux, loin de ces considérations complexes et contre-nature qui se forment sans cesse dans l'esprit humain. Ici, il n'y a plus qu'une succession éternelle d'arbres et de lentilles d'eau, de formes traîtresses à demi immergées, de crocs et de cris, de parasites suceurs de sang et d'envols des oiseaux. Et chaque soir, c'est le même rituel. Chaque crépuscule voit les pattes griffues se mettre en branle, trouver un petit coin tranquille au bord de l'eau. Suffisamment pour se baigner dans la lumière mourante, pas assez pour totalement s'exposer à découvert. C'est un rite, celui du jaguar qui dévore le jour, qui vient assister - toujours fidèle - à la mort d'une étoile, avalée par l'horizon et le désir profondément chthonien de faire mourir le soleil. Il n'y a plus, alors, que ce sinistre crépuscule qui sonne l'heure du chasseur.

Soudain, une oreille pivote, suivie un instant plus tard par la tête toute entière. Là, quelque part, une note discordante se fait entendre. Indiscernable au début, puis de plus en plus certaine à mesure que la chose se rapproche. La bête change de position, entame le mouvement d'un pas de demi tour avant de suspendre son geste en pleine course, méfiante. Elle a senti le danger, anticipe le grincement du métal, le craquement du bois et, surtout, la puanteur désagréable d'effluves âcres et brûlées d'une fumée qui se mélange à l'eau, colle à la peau et agresse les naseaux. Repassant sous le couvert de branches basses, elle se meut à pas feutrés, presque immobile, ses yeux tentant de percer l'obscurité qui s'installe à la recherche du danger destructeur qui s'annonce. Des flashs s'interposent brusquement sur ses rétines. Des sons, des formes, des odeurs... Des concepts insaisissables et étrangers, mais qui évoquent de puissants sentiments contradictoires avant de disparaître et de semer la confusion. De l'agressivité, mais aussi de la peur.

Des humains.

__________

_ 'Cout' moi bin mon p'tit gars, j'te dis qu'c'est une foutue idée de con que t'tu t'es mise dans l'crâne. »

Mâchant ses mots, le mélange de patois créole, français et anglais faisait partie intégrante de la légende de Bobby Joe, le meilleur pêcheur à la mouche de tous les environs. La lueur jaune de la lanterne électrique suspendue dans la barque accentuait encore plus son air sinistre de redneck typique du coin.

_ Sacre foutre, Bobby, y a d'ja parlé d'ça, j'ai vu de mes yeux vu c'que j'ai vu, ça fait pas un rond qu'j'suis pas encore assez vieux pour d'venir fou ! Ni aveugle, bonté d'dieu. »

Crachant sa chique par-dessus bord, Bobby Joe fit passer sa carabine de pêcheur à la mouche de sa main droite à sa main gauche, pour mieux la caler pendant que Henry, son comparse d'aventures de pêche, tenait la barre du petit bateau à moteur.

_ J'parle pas d'ça crétin d'mule. Y fait d'ja noir comme en enfer, c't'y bien stupide de continuer. »

Reniflant d'un air de mépris, Henry ne répondit pas, scrutant les alentours avec l’œil perçant d'un homme ayant l'habitude d'abattre sa machette sur le premier alligator venu.

_ T'sais, j'en ai vu des choses, d'pis l'temps. Si l'big foot y débarque maintenant, va t'briser l'cou avec tes propres tripes. Et crois moi q'se faire arracher l'colon ça doit pas être bin joli joli. »

La note sourde et profonde d'un mugissement étouffé monte d'entre des crocs semi découverts. S'engageant sur un large tronc jeté-là en travers, les muscles roulent comme du métal liquide sous le pelage, épaules ramassées sur elles-même et position basse pour se faire le moins voir possible.

_ Crois moi Bobby, c't'ait pas des putains d'sacs à dents qu'ont fait ça. Crois moi qu't'as jamais vu un cochon d'eau s'faire ouvrir en deux comme ça. Y a un truc pas net dans l'coin et qu'le seigneur me foudroie si ma langue crache des mensonges. Amen. »

_ Amen. »

Avant de cracher tour à tour avec l'aisance des fumeurs de chique par-dessus bord.

_ S'change pas qu'faut s'rentrer Henry. S'tu veux tirer une bête, y a ta femme qui t'attend. Foutuement pu coriace qu'un cochon d'eau, elle. »

Riant aux éclats, l'écho de leur conversation masque le craquement sonore du bois qui craque, se brise, tandis qu'une forme mal identifiée s'abat soudainement sur le pauvre Bobby Joe, alors que des dents de la taille d'un pouce tentent de plonger dans ses cervicales, ripent et ouvrent sa chair en une large plaie à cause d'un mauvais équilibre et que, un juron, un coup de feu et un rugissement hystérique plus tard, un humain et une bête ne tombent à l'eau ensemble, dans un gargouillis de bulles et de sang, laissant Henry seul sur la barque, la lanterne électrique balançant rapidement de droite à gauche et le fusil resté au sec. »




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Mar 15 Sep - 1:16 (#)



L'eau saumâtre la recouvrait jusqu’à la taille. Les nuées mordorées du crépuscule se mouvaient sur ce corps humain reposant à demi sur la rive, des mouches et des vers grouillant sur sa nudité, sans qu’elle ne fit un geste pour les repousser. Un mocassin d’eau ondula entre ses jambes immergées parmi les algues, puis disparut dans les remous nés d’une brise lourde d’humidité. Les jeux de lumière sur son buste trahissaient encore une respiration à peine perceptible. Comme sa chevelure encroutée de terre reposait sur la berge, étalée en cercle comme une couronne païenne, sa peau crasseuse se confondait elle-même avec la vase épaisse qui entourait ses hanches.
Ainsi, la métamorphe évoquait l’abandon d’un cadavre. Une si mince frontière l’en avait séparé ces derniers mois. Tandis que l’astre brûlant se coulait entre les silhouettes déchiquetées des saules et des mousses espagnoles, Inna pouvait déjà ressentir la transformation rigidifier ses membres. Parfois, elle en contrôlait à peine le déroulement. L’appel était désormais si puissant, que les écailles gagnaient ses membres de plus en plus tôt, et la difficulté à s’en arracher devenait croissante.
Bientôt il viendra de lui-même, se figura-t-elle, bientôt cela n’aura plus aucune importance. Elle n’aurait plus ni passé ni avenir. Ni identité, ni souvenirs. Ni souffrance, ni humanité. Aucun regret ne la torturait plus désormais : il était trop tard pour ces sentiments. Inna mobilisa ses forces pour extraire sa main droite de la gangue de boue rigidifiée, et observa une énième fois avec fascination, illuminée par les lueurs rougeoyantes du bayou, son épiderme se modifier lentement.

Cela commençait à chaque fois par de menus détails. L’acuité de sa vision augmentait au point de discerner chaque teinte sauvage, le vert sombre des joncs, et la surface couleur de boue des saules, à l’aspect rugueux. Mais c’était les riches nuances de bleu qu’elle décelait dans les eaux troubles de Louisiane, qui lui faisaient oublier sa seule conscience. Des iris reptiliens avaient alors remplacé ses propres yeux humains à l’azur intense, et suivaient attentivement chaque frémissement aquatique.
Inna avait déjà sombré à ce stade. Elle n’existait plus que par l’intermédiaire d’une conscience dissolue, dominée par des réflexes prédateurs et hantés par des souvenirs humains évanescents. Ces derniers n’étaient guère mieux que des apparitions fantomatiques, des flash de couleurs derrière ses paupières désormais closes. Des ondulations sinueuses gagnèrent les profondeurs de sa chair, produisant des élans nerveux dans ses muscles, pour en faire émerger des motifs symétriques qui se muèrent rapidement en écailles d’un émeraude profond.
Déjà, le faible courant emportait ce corps hybride. L’on n’entendit plus que le craquements des articulations changeant de place, le bruissement sourd des nerfs roulant sous l’épiderme, au milieu du chant des amphibiens et les cris perçants des oiseaux de nuit. Lorsque cet être mystique fut totalement submergé, ses membres commencèrent à prendre des proportions titanesques. Les jambes se lièrent entre elles pour former une queue puissante, et toute sa face humaine se déforma, pour s’étirer d’une manière impossible, en une gueule énorme bardée de dents.

Le crocodile remua vigoureusement sa silhouette massive dans l’eau opaque, comme pour se débarrasser des résidus de membres humains qui perçaient encore çà et là son enveloppe. Les bras musclés aux frêles mains de primate se rétractèrent tandis qu’une nouvelle paire de pattes antérieures griffues percèrent vivement la chair. Comme chaque nuit, Inna était à nouveau elle-même. Bien vite, l’immense crocodile marin se faufila entre les racines gorgées d’eau des saules, laissant derrière son passage, un étonnant calme respectueux.  Sa gueule émergeant à peine à la surface, il traça un sillage habile entre les troncs renversés et les bancs de boue, pour gagner le bras principal du canal, où la profondeur lui permettait de mouvoir plus aisément sa taille massive.
Cependant, l’hésitation le fit cesser son manège au beau milieu du bayou. Le reptile flotta librement quelques instants à la surface, tandis qu’une saveur de sang envahissait son palais sensible. Sa silhouette ondoyante arracha un léger clapotis aquatique, alors qu’il s’orientait sans heurt à contre-courant, vers la source de ce goût. Le reflet de la lune fit briller les plaques cuirassées de son dos. Ombre indistincte parmi les ténèbres crochues des arbres tordus, il progressait sans le moindre bruit, ses écailles miroitantes lançant des étincelles vers l’astre blafard.

« Bobby ?! Cré bon sang, Bobby ?! »

Le vacarme des humains, et le tumulte qui régnait sous la surface lui firent cesser son approche furtive. Le crocodile se coula alors dans les abysses des eaux noires, laissant le reflet de la lune réinstaller sa face placide sur l’étendue marécageuse.

« Bon dieu d’bon dieu ! » Le pont du petit bateau résonna des pas précipités de l’homme. « Bobby ?! Attrape que corde, Bobby ! Accroche z’y toi comme sur l’robe d’la sainte-mère, cré bon sang d'bois ! »

Un lourd objet fut lancé depuis le bateau. En apnée sur le fond de la rivière, le crocodile observa la grande corde couler au milieu d’un énorme amas de sang en suspension. Il vit aussi ce corps humain remuer faiblement, exhaler son dernier soupir en de violents tremblements nerveux, tandis que le pelage tacheté d’un énorme félin apparaissait, pataugeant pour se maintenir à la surface.

« Bobby ?! »

L’humain s’était penché par-dessus le bastingage. Son improbable chevelure y pendait tandis qu’il scrutait les eaux à la recherche de son congénère perdu. Plusieurs longues secondes s’écoulèrent sans que celui-ci ne donna signe de vie. Comprenant enfin la puérilité de lui porter secours, Henry jura méchamment en fixant l’animal coupable qui s’évertuait à nager, et fit volte-face pour attraper un fusil derrière lui.

« Putain d’saloperie… ! Remonte z’y un peu ta gueule, que j’vais t’y refoutre là-dedans, direct en enfer ! » Hurla Henry en pointant son arme vers le jaguar.

Dans les profondeurs, aucun détail n’échappait aux yeux ambrés du crocodile. Le jaguar nageant dans les eaux troubles. Le fusil que l’homme pointait vers lui. En une fraction de seconde, ce geste déclencha le réveil de violents souvenirs qui inondèrent le cortex reptilien, des résidus familiers issus de sa dualité humaine. Il ne pouvait comprendre la signification de ces images, tout comme il ignorait la nature de ce félin étrange, et la signification de sa présence en ces lieux. Toutefois, une rage monstrueuse se déversa dans ses veines. Une soudaine fureur meurtrière envahit ses muscles face à la scène que le crocodile contemplait au-dessus de lui.
La suite se déroula en un clin d’œil. A la périphérie de sa vision, Henry vit à peine la gigantesque forme s’arracher violemment du fond boueux, et crever la surface à une vitesse stupéfiante. Son cerveau de primate enregistra inconsciemment l’éclat de dents de la taille d’un couteau briller sous la clarté lunaire. L’attaque était parfaitement orchestrée. La gueule du crocodile se referma avec une précision terrifiante sur les bras de l’homme dépassant du bateau, et qui tenaient encore le fusil.

Un monstrueux craquement perça le silence du marais. La dernière pensée d’Henry fut un souvenir d’enfance à la scierie familiale, où l’on coupait les troncs séchés des arbres, et le fracas bruyant du bois qui se rompt. Puis, son cerveau coupa sa perception de la réalité pour lui épargner l’intolérable souffrance qui s’ensuivit, lorsque ses os se brisèrent sous la pression des mâchoires. Comme un pantin désarticulé, l’homme fut emporté par près d’une tonne de masse reptilienne, qui envoyèrent valdinguer le petit bateau quand celle-ci retomba contre la surface des eaux.
De violents remous marquèrent l’endroit où le crocodile s’était enfoncé avec le corps disloqué de l’homme, ne laissant qu’une nouvelle tâche de sang et de chair broyée se répandre. Le monstre disparut aussi vite qu’il était apparu. Bien vite, le calme et les bruissements des marais reprirent leur place, comme si le drame ne n’était jamais produit, comme si les restes de deux êtres humains ne flottaient pas entre deux eaux, sous l’œil attentif d’un énorme reptile veillant dans le fond du bayou.


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Mar 22 Sep - 3:22 (#)

DÉVORER LE JOUR

L'HEURE DU CHASSEUR


« Plongeant dans les eaux noires d'un crépuscule agonisant, la masse de griffes, de crocs et de hoquets interloqués s'enfonça sous la surface dans une cacophonie sous-marine brève mais délirante. Dans un mouvement qui n'avait plus ni haut ni bas, le maelström de bulles, de violence et de sang rendait difficilement discernables les formes dans la panique de l'instant. Il n'y avait plus que cet éclat écarlate de cruauté, la pointe de l'instinct chauffée à blanc. Celui de tuer ou de survivre. Celui, mauvais, de rayer la face de l'ennemi d'une série de sillons rouges et impitoyables, grinçant sur l'os de la pommette et du front comme on raclerait la roche. Là, en quelques mouvements brusques de la nuque et autres torsions agiles de la colonne vertébrale, il y avait le puissant et irrationnel désir de tuer pour tuer, une formidable pulsion qui s'ouvrait au-dedans en un espace béant de quelques secondes durant lesquelles souffla un vent de folie et de colère.

La sensation est éphémère, la tension dans les muscles se relâche. La résistance opposée par le corps également. Quelques soubresauts hoquetants plus tard, la silhouette trapue du félin émerge du nuage de fluides en expansion, sa tête tachetée crevant la surface agitée pour venir expulser bruyamment l'air de ses naseaux, inspirer, expirer, le souffle rapide et la gueule entrouverte. Nageant avec aisance la bête entreprit instinctivement de contourner l'embarcation, avec l'intention de se placer dans le champ mort de ce qui serait - peut-être - sa prochaine victime. Mais c'est un tout autre enfer qui attend de cueillir l'animal tandis que se dresse, impavide et froid, le regard aveugle et pourtant brûlant de la gueule d'un canon.

L'instant suffit à semer la confusion. À insérer, dans la grâce naturelle d'un geste sauvage, une hésitation pataude et vacillante, à provoquer un réflexe de recul craintif dans la nage du jaguar qui finit par briser sa course. Enseveli sous des couches de sédiments divers, un quelque chose remue, presque un spasme, provoqué par la douleur fantôme d'une balle tirée dans le flanc. Mes bras s'agitent frénétiquement dans l'eau saumâtre d'un bayou anonyme, les eaux froides n'attendant que d'avaler la carcasse trouée de mon corps. L'odeur du sang invective avec violence les sens, agite le spectre d'une humanité douloureuse et honnie. J'étouffe. La bête est prise au piège, épinglée par ce morceau de métal tendue vers elle comme un papillon sur une planche, l'esprit transpercé par une écharde acérée et pleine de rouille. Une réticence farouche met alors le feu à la conscience, embrase tout ce qui peut avoir du sens pour faire rugir quelques névroses oubliées. Des silhouettes rôdent à la lisière de l'esprit, des cadavres pleins du goût froid du métal et de l'odeur de la poudre. Déjà, elles sont prêtes à le saccager et une douleur fulgurante abime l'intérieur de l'avant patte droite. Le souvenir d'un mal terrible y ronge l'os, irradiant la chair et le nerf comme l'empreinte indélébile d'un fer se mettrait à chauffer de nouveau.

La suite n'est qu'une sorte de folie éphémère, un glissement soudain de la réalité qui suinte les visions fantasmatiques échappées d'un ailleurs qui n'existe plus. Là dans les ténèbres rougeoyantes d'un jour qui se meurt, une hallucination féroce dévoile ses crocs et c'est la rivière elle-même qui semble donner vie à sa colère, crève les flots tel un assourdissant coup de tonnerre et, sans crier gare, explose à la face blême et flageolante du sac de chair bipède. Lancé dans les airs avec la force d'une fusée, le dinosaure semble un instant suspendu dans sa course, de cette majesté fascinante que seuls possèdent les mastodontes. L'éclat fugace d'un millier d'écailles luit dans la pénombre, imprègne les rétines du fauve de cette image indélébile et secrète, tandis que se dessine avec précision le contour d'un quelque chose de familier. Oreilles baissées, crocs à découvert, un fracas assourdissant d'os, de bois et de la chute d'un colosse dans l'eau retentit dans les environs en même temps qu'une vague énervée vient engloutir la tête du jaguar, emportant un instant son corps sous les flots.

Un mouvement sinueux et fugace, quelque chose animé d'une violence aussi inouïe que soudaine disparaît dans l'eau, laissant sa trace dans le corps et l'esprit du félin. L'écho bruyant des battements de cœur bat à tout rompre. L'adrénaline, dans les veines, affûte la conscience et drogue la raison. Un soudain relent d'iode frappe le museau, emporte les sens comme une brise et glace des pensées agitées qui traversent les neurones. Quelque chose cloche. Ça sent le bois de cèdre et le tapis d'aiguilles, l'odeur fauve d'une fourrure et la chaleur du soleil. Quelque part, un grondement lointain perce les cimes, dévale les pentes, roule jusque dans les ravines et se confond dans les ruisseaux. La tête émerge alors de nouveau, éblouie par tant de clarté, semble discerner là dans la forme des arbres un quelque chose de familier, continue d'avancer puis se heurte mollement la mâchoire contre le flanc de l'embarcation vacillante. D'un geste incertain, une patte massive vient agripper le rebord d'un blanc écaillé, ses griffes profondément ancrée y déchirant la peinture. Agité, le félin se presse hors de l'eau, fournit l'effort difficile de franchir - en équilibre précaire - le flanc de la barque avant de se tapir dans le fond de celle-ci.

Oreilles tendues vers l'arrière, la queue recourbée entre les pattes et le corps ramassé sur lui-même, la bête entrouvre la gueule, dévoile l'ivoire de quelques crocs et dégouline d'une eau claire dans le fond de l'embarcation. Le souffle chaud de sa respiration halète encore un moment, accompagné par le plic ploc d'un pelage détrempé. Elle observe, autour d'elle, les silhouettes décharnées des arbres desquels pendent comme des lambeaux les mousses espagnoles. Peu à peu, les nuances de gris remplacent les couleurs, les quelques remous provoqués par le jugement du bayou se calment et, une minute plus tard, ce n'est plus qu'un imperceptible balancement qui habite la construction de bois.

Les corps raidis par la noyade de deux rednecks locaux s'enfoncent sous la surface avec la lenteur solennelle des morts, les yeux ouverts mais aveugles, les membres broyés ou la peau lacérée, laissant se diluer le fluide précieux. Mais quel animal souhaiterait les dévorer ? Ils coulent, défigurés et hagards, et jamais ni Bobby Joe ni Henry n'ont connu une telle paix gracieuse. Déjà, on ne les distingue plus qu'à peine et ils ne resurgiront de la vase que lorsque l'offrande de leurs corps se sera mise à gonfler, putréfiée par l'humidité et les larves nécrophages.

Et entre l'espace d'un millier de croassements nocturnes, il y a le silence. Et dans le silence, l'animal tends la tête pour essayer d'entendre l'écho lointain de ce qui a hurlé pendant quelques instants. Ses yeux vont et viennent, mais ce ne sont pas les frondaisons qu'ils observent. Ses naseaux hument l'air humide du bayou, mais ce sont des effluves bien différentes qu'ils captent. Le bois, la mer, le sable et le soleil. La fourrure. Les cris. Pendant un instant, il y a comme un appel, et entre les fils de la conscience remonte un concept, un nom, une certitude. Ma sœur. Le rythme cardiaque s'accélère, s'il s'était seulement calmé. La gueule entrouverte semble hésiter : expulser ou se retenir ? Il y avait, là dans le cœur, la tenace sensation que tout ceci s'était déjà produit. La bête le sent, flottant à la lisière de sa conscience, songe sauvage sans formes ni contours, rêve terrible qui vient d'exploser de fureur et de crever les eaux noires. Elle est là, quelque part. Est-ce qu'elle observe ? Ses sens s'avancent sur un chemin familier, déjà emprunté auparavant il y a bien des années. Je l'ai vue. Ils ne l'auraient pas cru, mais c'est pour elle que la conscience est revenue. Rhys, les morts ne reviennent pas à la vie. C'est ce qu'ils auraient dit, mais il y a, dans l'air et dans les naseaux, l'exaltation d'une certitude qui ne trompe pas. Le sang, oui, et la vision étincelante d'un crépuscule sur des écailles, d'un soleil sur les vaguelettes de la mer, de la lumière sur des pièces d'argent. Un embryon d'idée se débat à l'intérieur, farouche, refuse cette réalité.

Tout ceci s'est déjà produit.

Ma soeur. Revenue du pays des morts. Les yeux écarquillés par la source d'une terreur qui trouve son origine à l'intérieur, les oreilles hésitent, entre l'arrière et l'avant, entre s'enfoncer et surgir, entre fuir et rester. Terré au fond de la barque, la poitrine exhale alors un râle puissant, une complainte, grave, longue, traînante. Quelques grenouilles alentours se taisent, puis reprennent de plus belle. Quelques secondes, le bruit du silence. Un autre mugissement, plus modulé, plus lancinant, comme le cri d'une bête blessée, la complainte sauvage d'une douleur qui demande à l'aide. Viens. Les réminiscences d'un visage disparu depuis longtemps refont surface, se troublent et se mélangent. Quelle sœur ? Une angoisse, celle de se tromper, celle d'échouer à la ramener. Le long mugissement sonore retentit de nouveau, depuis le fond de la barque, et s'il sonne banal aux oreilles des non initiés, il est pourtant chargé de chagrin, de l'amertume, du regret dont on construit les pierres tombales. C'est l'âme blessée d'une bête qui s'exprime, roule sur la surface et s'enfonce dans le noir des eaux. Il traverse les deux cadavres, insensibles, leurs esprits impuissants déjà arrachés à ce plan de matière et de tangible et retentit au-delà encore.

La silhouette du félin s'extrait péniblement du fond de la barque, se traîne, comme blessée, jusqu'à écraser son flanc contre le rebord de bois, la tête à peine relevée, le bas du corps à l'intérieur. Et encore il mugit, insistant, comme s'il appelait la nature, implorait les esprits pas encore tout à fait morts. Viens. Lui disait-il.

Juste une dernière fois. »




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Jeu 1 Oct - 22:27 (#)



L'impact du colosse déchaina les eaux troubles du fleuve, soulevant des branches submergées, le fond limoneux et les innocents crustacés qui s’y terraient. Des gouttelettes rendues translucides comme des perles sous la clarté lunaire, effleurèrent les branches pendantes des jeunes saules, avant de retomber dans le cœur du maelstrom. Des vaguelettes vinrent agiter les joncs poussant le long des berges abruptes, avant que le tumulte ne s’apaisa lentement, par de fugaces clapotis aquatiques, et les stridulations des grillons. L’apparition monstrueuse s’était enfoncée sous la surface, ne laissant de son passage, qu’une mare grandissante de sang et de boyaux écrasés.
La texture infâme de la chaire humaine lui irradiait la langue. Le colossal reptile remua violemment sur lui-même pour rejeter de sa gueule, les restes du membre brisé coincés entre ses dents, et enfouir dans la vase, cette saveur amère autant que sa rage. En quelques claquements de mâchoire, il souleva un mélange de sang, et de tissus humains qui se mélangèrent dans un vaste bouillonnement avec les sédiments du bayou. Des racines submergées furent brisées sous les impacts répétés de sa queue, tandis que sa gueule hachait, claquait et broyait chaque fragment de corps à sa portée.

Or, la saveur du sang excitait sa colère, et non son appétit. Face à cette frénésie aveugle, le fond du fleuve devint rapidement opaque, et la silhouette du félin nageant entre deux eaux disparut de sa vue. L’impulsion protectrice s’effaça peu à peu. En lieu et place de celle-ci, un torrent de haine spontané se déversait désormais contre les cadavres anonymes de ces hommes. Bientôt, il ne resta plus de rien de ces derniers, réduits alors à l’état de pulpe sanglante flottant parmi les remous.
Dans l’entrelacs des souches, et des eaux troubles, le crocodile se laissa lentement emprisonner dans le labyrinthe de ses instincts. Ceux-ci vociféraient dans son crâne, une hymne sanglante, un appel au massacre aveugle dont les raisons se perdaient dans  la confusion de ses anciens souvenirs.

Ils tuent. Ils gagnent. Ils tentent. Ils meurent. Je suis la rivière. Ils détruisent. Ils perdent. Ils menacent. Ils se noient. Je dois me rappeler. Ils viennent. Ils s’arment. Ils perdent. Ils pourrissent. Je me souviens de lui.

Dans les profondeurs saumâtres, l’œil reptilien s’ouvrit brusquement. Tandis que la boue et le sang en suspension retombaient lentement, la lumière de la lune fit apparaitre l’éclat de sa paupière translucide. Je me souviens, pensa-t-elle au milieu de cette violence contenue, et c’était comme s’arracher d’une épaisse gangue de vase desséchée par le soleil. Un flot mémoriel envahit vivement la conscience du crocodile, ravivant des segments anciens, des espoirs et des erreurs.
La fraicheur d’une contrée lointaine. Le parfum des cèdres, et du terreau humide. Celle onctueuse, et brûlante du sable sous ses pieds. Des voix emplies d’une chaleur oubliée. L’énorme crocodile remua à nouveau. D’abord faiblement, puis vigoureusement, il se débarrassa de l’épaisse couche de sédiments accumulés sur son dos, et cet amas de bois mort soulevé par l’attaque. Bercé par ces fragments de mémoire inopinés, il se laissa paresseusement flotter à la surface des eaux.

La lune l’observait alors. Ces rayons firent briller ses écailles de mille éclats, tandis que le reptile flottait librement, ses yeux aux nuances de jade et d’or se posant sur l’embarcation humaine. L’hésitation avait suspendu ses mouvements. Lorsque l’instinct ne primait plus, lorsque ses pensées se retrouvaient drapées dans un oubli salutaire, il ne savait quoi décider, sinon dériver dans une transe entre deux états sublimés. Comme responsable de son hypnose, l’astre nocturne veillait sur son immense silhouette sinueuse, ondoyant autour de la barque des pêcheurs.

Viens.

L’appel traversa ses écailles de part en part. Le rugissement atteignit les pensées de ce fragment humain enfoui profondément dans l’amnésie d’une étreinte reptilienne. La silhouette du félin s’imposa douloureusement derrière sa rétine. Qu’un crocodile puisse pleurer, celui-ci aurait versé une larme. Au lieu de cela, ce grand corps se tordit brusquement dans la direction du bateau, glissa sous sa flottaison, et émergea de l’autre côté, comme s’il cherchait lui-même à y grimper. Comme si un tout autre instinct s’était éveillé en son sein face à ce rugissement de souffrance.
Frustré d’être incapable d’atteindre cette maudite embarcation, le dinosaure tourna obstinément autour, en frappa les flancs de sa nageoire, plongea dessous pour la secouer de tout son poids. Comme s’il ne connaissait aucun autre langage, et que le bateau constituait un ennemi le séparant de la compréhension, le crocodile effectua un puissant mouvement de torsion, et mordit la proue de celui-ci, creusant alors dans le bois les contours dentés de sa mâchoire.

Viens.

La métamorphe replongea sous la surface. Une agaçante incompréhension parasitait ses pensées, sans qu’elle ne parvint à comprendre ni l’origine, ni le but. Pourquoi, pourquoi, pourquoi, hurla-t-elle en silence, pourquoi je ressens ça. Inna en avait oublié la raison. Le souvenir diffus d’un être cher à son cœur flottait à la lisière de ses instincts, mais elle fut incapable d’en comprendre la signification. Encore moins la raison de cet appel, l’émoi que cela suscitait dans son propre esprit, et les sentiments que cet énorme félin avait éveillé en elle.
D’un vigoureux mouvement, le crocodile se propulsa depuis le fond du bayou sur la berge éloignée, illuminée par la lune montante. De loin, elle pouvait ainsi observer cet accroc dans l’écrin vert des saules, cette barque qui résonnait d’un appel si étrange, et pourtant si familier. Les pattes du reptile creusèrent la boue pour grimper sur la terre ferme, et y maintenir le haut de son énorme corps. L’œil jaunâtre se tourna dans la direction de l’embarcation, tandis que sa nageoire demeurait entièrement dans l’eau, prête à y trouver refuge. Elle resta ainsi, frustrée et attentive, immobile à la vue de tous, guettant le moindre mouvement du jaguar.

Un mensonge humain, songea-t-elle, méfiante, une astuce encore. Un violent soupçon perçait ses espoirs. L’instinct bien naturel d’un prédateur défiant face aux pièges des hommes, aux illusions que l’intelligence retorse de ces derniers pouvait créer afin de mieux s’approprier le monde sauvage. Cependant, l’appel avait accomplit son œuvre. Elle pouvait percevoir sur ses mâchoires, l’essence même d’une fraternité disparue, ce sentiment pur et naturel qui reliait les êtres comme eux.
Alors, sous l’œil de la lune, le crocodile demeura dans l’attente, la gueule entrouverte et encore sanglante de son œuvre, comme une invitation exhalant un dangereux défi primitif.

Viens, si tu l’oses.


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Dévorer le jour [Inna] S83t

« Wild men who caught and
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En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
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Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
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Sam 3 Oct - 16:31 (#)


Les yeux verts cerclés d'or restent fixés sur la surface d'une eau qui n'a de calme que l'allure trompeuse d'une surface docile et cherchent avec un espoir fragile un quelque chose. Un signe, un phénomène surnaturel ou même le surgissement délirant des viscères humaines désintégrées qui se tortilleraient en spasmes serpentins pour tenter de reconstituer un semblant de cohérence. N'importe quoi, tant qu'il y avait quelque chose. Il y avait cet espoir insensé, la certitude irrationnelle que la nature ne pouvait rester insensible à la nature et qu'il suffisait de lui offrir un vecteur d'expression pour qu'elle s'y engouffre, manifeste ces forces insoupçonnées et sans âge desquelles les bêtes humaines s'étaient coupées voilà bien longtemps. Après tout, n'étaient-ils pas, eux les princes sauvages du crépuscule, l'expression de ces mêmes forces ? Quoi de moins étrange, alors, qu'une connexion non rationnelle entre deux âmes frères-sœurs ?

Fouillant les ténèbres, la tête scrute les innombrables perturbations qui agitent les lentilles d'eau et autres branchages, croisent la nage des grenouilles ou le flottement de parties molles et indistinctes, encore fraîches et pleines de sang, qui épandent leurs effluves jusque dans les naseaux avec autant de force qu'un territoire marqué à l'urine. Là, alors, entre deux réflexions éphémères de la lune, le mouvement lent et caractéristique attire l’œil du félin, fige son attention dans un instant où tout son corps se ramasse sur lui-même, réflexe d'un instinct qui lui commande de s'exposer le moins possible. Son regard effleure la crête préhistorique qui fend les eaux avec la fluidité d'une lame qui tranche en silence, reconnaît les formes familières, sait la différence entre un alligator et un crocodile, et suspend sa respiration dans un moment d'épiphanie. Un frisson le long de son échine lui intime de prendre garde, de rester loin des élans sauvages et d'avancer à pas de velours. Toutefois, le reste de sa conscience n'est plus qu'une tempête, un vent violent qui souffle dans une seule et même direction, n'attend que de pouvoir jaillir hors de ce crâne qui la contient et de libérer cette excitation qui l'anime.

Et la réaction du dinosaure marin ne se fait pas attendre. Bien vite, il s'en vient rôder autour de la barque, croiser son chemin ou s'en dissimuler. Tentant d'en suivre les mouvements et de deviner où la tête reptilienne allait resurgir, le jaguar va d'un bout à l'autre du frêle navire, impatient, sautillant presque, et appelle la silhouette familière pour continuer à l'attirer à lui. Jusqu'à ce que la chose devienne colère, frappe les flancs de la barque et ne manque même, à un moment, d'en emporter la moitié entre ses crocs. Une vague de confusion frappe l'esprit semi éveillé du félin qui recule précipitamment, s'interroge sur cet élan et se trouve à hésiter entre l'inquiétude et le reste. Un instant, il est pressé par la sensation de tirer sur une corde au bout de laquelle se trouverait quelque chose. De lourd, de terrible, d'incompréhensible. Ce qu'il va tirer des tréfonds de la vase avec ce petit manège, il n'en sait rien exactement, mais qu'il en extirpe la rivière furieuse elle-même ou les hardes de cadavres d'animaux revenus du pays des morts ne changerait rien. Son obsession est là, imprime au fer quatre lettres dans son esprit qu'il tente de prononcer entre ses crocs, mais qui ne sonnent que comme une lamentation qui n'a ni forme ni syllabe. Qu'elle vienne tenter de le dévorer, il sait ce qu'il voit. C'est elle. Elle. Et lui est lui. Comme toujours, comme avant, tout simplement. Il plongera dans sa gueule pour obtenir ce qu'il veut s'il le faut, mais il ne la laissera pas repartir. Il ne laissera pas le sens d'une vie couler de nouveau entre des doigts fragiles et impuissants.

Une agitation certaine perturbe ses pensées, il tourne en rond dans le fond de la barque, gêné par celle-ci, gêné par les eaux noires et dangereuses, gêné par ce manque qui s'incarne en lui, se creuse presque littéralement dans un poitrail en feu. Il veut la voir, la sentir, la toucher. Il veut écraser sa tête contre la sienne et se frotter sur le cuir rugueux et pratique de ses écailles. Mais tout ça, il ne le peut pas, et l'avertissement donné est clair, la barque oscillant encore de la violence lancée contre elle. Il lui semble, alors, qu'une loi fondamentale de la nature n'est pas complétée, un quelque chose qu'on refuse à l'ordre naturel des choses et qui pourtant l'attire comme la flamme piège le phalène. Ça devrait être comme ça, mais ça ne l'est pas. Pourquoi ?

Le mastodonte disparaît alors. Plus longtemps que les autres fois. L'incessant fond sonore peine à recouvrir le silence laissé par son départ et la tête méfiante finit par se hisser au-dessus de la barque pour scruter la surface noire afin d'en percer les mystères. En vain. L’extrémité blanche et noire de la queue se courbe d'un côté puis de l'autre, avec la lenteur d'un métronome, dans l'expression d'une impatience qui se mue rapidement en frustration. Il continue de l'appeler, à intervalles régulier quoiqu'un peu plus pressant semble-t-il. L'ombre d'une inquiétude passe alors entre ses instincts. Celle de ne plus la revoir, celle d'avoir raté cette fenêtre qu'il lui semblait attendre depuis toujours. Les oreilles à l'affût captent alors le froissement d'éclaboussures, le bruit témoin d'un quelque chose qui entre - ou sort - de l'eau. Relevant la gueule, le jaguar discerne le mouvement pataud mais puissant de centaines de kilogrammes de muscles et d'écailles qui se hissent sur la berge boueuse pour venir s'y planter comme un tronc mort. Dans la pénombre, l'illusion est presque parfaite pour qui ne l'a pas vue se mettre en place, et le piège d'autant plus mortel. Les yeux fouillent l'obscurité pendant quelques secondes, la tête fait quelques va-et-vient de droite à gauche, de gauche à droite, comme pour tenter de s'assurer que la masse immobile est bel et bien présente.

Ses vibrisses frémissent. Un mugissement, encore, soufflé depuis le bout de la gueule presque en un murmure secret lancé vers les arbres et le clair de lune. Il l'appelle, attend. Attend encore. Elle est posée là, immobile, et lui se perche sur le rebord de l'embarcation, les deux pattes griffues jointes l'une contre l'autre sur la tranche humide d'une planche de bois. Étalée là comme un fossile vivant sur la berge, elle semble prendre le soleil, de cette paresse caractéristique qu'ont les grands sauriens à s'enfoncer dans une inertie qui défie même les lois de la physique. Pourtant, l'astre détesté ne brille pas, et seul l'argent de la lune dévoile quelque peu les environs, assiste à la scène dans un silence religieux.

Une minute ou deux passent. Les sédiments se tassent progressivement, à l'instar d'une agitation qui retombe peu à peu mais qui laisse frémissante l'aura du métamorphe. Allant et venant d'un bout à l'autre de l'embarcation comme en cage, il s'arrête de temps à autre, pour mieux observer la géante du bayou, comme si s'arrêter allait changer quelque chose. S'ébrouant pour se débarrasser d'une part de l'humidité, son attention se porte alors sur les troncs massifs qui crèvent, ici et là, la surface des eaux. Estimant la distance le séparant de l'arbre d'un mouvement ou deux de la tête, le jaguar finit par s'élancer avec précaution avant de planter fermement ses griffes dans la vieille écorce. Légèrement repoussée par l'impulsion, la barque bascule en silence et dérive doucement. S'en suit alors un jeu d'escalade acrobatique, une avancée progressive sur les branches tortueuses et encombrées par les mousses espagnoles. Le claquement sec d'une ramure brisée résonne dans l'air nocturne, un rameau tombe à l'eau. Peu importe le silence, peu importe la discrétion. À intervalles réguliers il s'arrête, observe, s'assure que le crocodile est toujours là, et se presse de rejoindre la berge faite d'herbes et de boue.

Dérapant des quatre fers la tête en bas sur un tronc, c'est avec une grâce toute relative que l'animal finit par toucher terre, fait quelques pas qui dégagent un snobisme royal et s'assied pour observer les alentours, s'assurant de ne détecter aucune autre présence avant de quitter son couvert. Humant l'atmosphère, ses naseaux frémissent à plusieurs reprises, y perçoivent le sang, les algues, l'humidité et une multitude d'autres choses. Sa cage thoracique se comprime, il pousse un nouvel appel, dans la continuité de tous les autres, patiente encore quelques instants puis lève finalement son postérieur pour avancer tranquillement sous la lumière de la lune.

Empruntant une trajectoire en zigzag, il s'approche petit à petit sans toutefois marcher frontalement. Il fait un aller puis un retour, comme pour jauger de la chose, comme pour voir sa réaction. Toute son attention est focalisée sur l'énorme crocodile, bête insondable et mystérieuse, et la conscience du félin est partagée entre l'incertitude et l'excitation. Battant l'air tel un serpent menant une bien étrange danse, sa queue reflète son état d'esprit. Sa tête penchée en avant examine la crête, les formes, les motifs, maintenant qu'ils sont exposés sous la chiche lumière, pour dissiper tout doute possible. Son échine frémit alors, son poil semble parcourut par une onde qui fait se hérisser sa fourrure et, durant quelques secondes, les motifs noirs des rosettes et autres tâches s'animent en un mouvement désordonnés et incohérent, anomalie qui s'incruste dans la réalité et semble faire couler une encre sur le pelage avant que tout ne redevienne à la normale. L'instant d'après, c'est presque comme si la foudre s'était abattue sur l'animal, faisant se toucher brusquement les fils ou au contraire fondre tout ça en une masse indistincte. La queue levée bien haute et droite, il s'élance vers le reptile en petits sautillements enthousiastes, dans une posture soudainement amicale, pleine de vigueur et joueuse. Il se redresse une seconde, en équilibre précaire, agite les pattes avant en une invitation qui n'ose toutefois pas aller jusqu'au contact puis recule brusquement d'un bond en arrière quelques mètres plus loin, tapis dans les herbes comme à l'affût.

Dans l'air, la vibration sourde d'un ronronnement puissant se laisse entendre, alors qu'il se roule sur le dos en en se tortillant d'une façon que d'aucuns qualifieraient de « trop choupinou », avant de lancer au dinosaure un mugissement insistant.




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Ven 9 Oct - 18:24 (#)



Dans l’écrin des lentilles d’eau échouées contre la berge, l’œil attentif de l’énorme crocodile reflétait la lumière de la lune, tout comme l’image que celle-ci projetait à la surface des eaux calmes. Figé ainsi, ses pattes encroutées dans la terre meuble, l’animal paraissait assoupi sous la clarté livide qui dessinait alors les contours de son corps musculeux de traits d’argent. Seul le frémissement imperceptible son ventre, le long de ses écailles tendres et lisses, témoignait d’une vie bien réelle.
Cependant, son immobilité sculpturale ne reflétait en rien le conflit intérieur déchirant les profondeurs de son être. Des fragments de son passé ressurgissaient dans sa mémoire, tandis que ses instincts les repoussaient inlassablement, comme une nuisance inutile dans cette vie sauvage. À l’instar du dieu Janus, la lutte interne se déroulait entre les deux faces d’une même entité, qui se débattait avec ses propres choix, et sa vision unique de deux réalités irréconciliables.
Inna se disputait avec Inna. Le crocodile se battait avec le crocodile. La lune observait d’un silence bienveillant cet éternel conflit, qui ne trouvait de réponses véritables que dans le souffle du vent, et la caresse de l’être aimé. Que dois-je faire, murmura-t-elle dans l’étreinte des écailles. Et l’écorce des arbres de lui répondre simplement, de la manière la plus juste qui soit, tout comme les clapotis du fleuve et la fraicheur de la boue le firent à leur tour. Une clameur apaisante qui ne tenait aucunement compte des destructions des hommes, ou de leurs puérils intentions.

Dans le ventre du saurien, un grondement sourd créa des vibrations dans l’eau, et transmis ce son dans les racines des cyprès comme d’immenses instruments. Cette colère contenue n’était pourtant pas adressée au félin gravissant avec agilité les troncs immergés, et les branches gémissantes des arbres. Elle était le résultat de cet équilibre instable dans l’esprit d’une créature au bord de l’abandon tant souhaité, et de cette rage envers l’humanité qui l’habitait encore à cet instant.
Ainsi, quand le fauve émergea des ombres sveltes, le reptile n’eut aucune réaction. De cette immobilité trop parfaite pour être innocente, il observait les gesticulations de cet animal au physique terriblement familier. Les tâches de ce pelage créaient alors le trouble en lui. Jetant à bas l’agressivité territoriale et la fureur des hommes, un torrent de sentiments se déversa de son esprit, un mélange inexplicable de joies et de peines : un élan d’amour terriblement douloureux.
Le crocodile se découvrit incapable de lutter contre cela. Une explosion d’émotions débordait d’une mémoire autrefois rejetée, saturant ses veines, obscurcissant ses pulsions pourtant aiguisées. Il avait mal. Il éprouvait une vive douleur, celle de l’être acculé par ses propres contradictions. Chaque bond du jaguar autour de lui ravivait des plaies supposées cicatrisées, à présent béantes d’un chagrin insurmontable, et d’une liesse toute aussi suffocante.

Pendant de longues minutes, le dinosaure fut incapable de se mouvoir. Comme percé de toute part, il donna l’impression de s’enfoncer dans la boue, de se tasser sur lui-même en une fuite vaine. Bientôt, ses énormes pattes se mirent en mouvement comme il reculait dans l’eau boueuse, vers son refuge aquatique où déjà sa queue s’enfonçait. Tout cela était beaucoup trop pour lui. On ne pourrait jamais surmonter quatre années d’isolement total en seulement quelques minutes.
Inexorablement, le monstre se laissa glisser de nouveau dans l’eau. La clarté lunaire engloutit sa présence comme une étreinte, et bientôt il ne resta sur la berge que l’empreinte de son corps, et le félin abandonné. Je ne peux pas, pensa-t-elle, alors que ce corps reptilien se laissait choir sur le fond limoneux. Elle avait besoin de temps. Elle avait besoin de faire corps avec le fleuve pour affronter cette vision bien vivante de son passé ressurgi en l’espace d’une nuit.
Dans les nuances bleutées que conféraient sa vision, l’immense reptile retourna nager dans le faible courant, en quelques vastes mouvements paresseux. À la lisière de sa perception, il remarqua un mouvement dans l’obscurité d’un trou dans les profondeurs submergées de la terre, et des racines boueuses. C’est dans un automatisme totalement inconscient de prédateur qu’il enfonça sa gueule dans la tanière du large poisson-chat dissimulé à l’intérieur, creusant la vase pour l’atteindre.

Quand le crocodile refermait ses dents sur l’être frétillant, une vision traversa ses sens l’espace d’une seconde, comme si cette chasse improvisée l’avait gratifié d’une décision. Celui-ci serra suffisamment ses mâchoires sur la proie pour mettre fin à la lutte, sans pour autant en broyer le cartilage fragile, avant de remonter à la surface. En quelques mouvements puissants, le saurien se dirigea vers la rive où il avait laissé le jaguar esseulé, et s’extirpa lentement de la gangue de vase et d’algues.
Là sur la terre ferme, exposant ses écailles brillantes à la clarté lunaire, Inna gravit la maigre pente pour mieux admirer cet être familier ressurgi de sa mémoire. L’affection lui poignarda à nouveau le cœur. Toutefois, elle avait pris sa décision. Elle termina de remonter son immense corps du fleuve, puis s’approcha à pas lourds de son frère oublié, avant d’ouvrir largement la gueule vers lui.

Flic, floc. Le cadeau en forme de poisson-chat dégoulinant d’algues dégringola devant les pattes du fauve.

Comme soulagée d’avoir finalement atteint une décision ardue, le crocodile vint s’allonger autour de l’endroit où le poisson avait roulé, faisant de son grand corps un demi-cercle protecteur. Dans ses pupilles couleur du marais se lisait alors un nouvel éclat, plus vif, comme si une conscience neuve épiait à présent les mouvements du félin. Je le vois, se dit-elle tandis qu’un autre élan d’affectueux cisaillait son âme. Tel un spectre timide, le passé de cette créature déchirée refaisait surface, pénétrant et réanimant lentement des segments auparavant négligé de son esprit.
Le phénomène était douloureux. Comme si le sang refluait alors dans un membre desséché par une nécrose. Comme une autre métamorphose modifiant violemment ses pensées. Comme une nouvelle naissance.


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Lun 2 Nov - 23:17 (#)


À l'affût des réactions du dinosaure, la silhouette féline n'a de cesse que d'aller et venir entre invitations au jeu et pauses soudaines, phases pleines d'un mouvement explosif et phases d'observation, où les yeux d'un vert doré épient la lourde masse écailleuse avec un intérêt aigu. Quelques fois distraite par les bruits étranges d'un bayou où jamais la vie ne cesse, son attention n'en revient pas moins toujours très vite sur cette gueule bardée d'un sourire carnassier et plein de crocs, sur les arrêtes effilées d'un profil fait pour la nage et à qui il n'aurait fallu que deux ou trois mouvements puissants pour tenter de gober sec l'animal qui venait le déranger. Parfois, entre deux ronronnements, la bête soudain se tait pour tenter d'apercevoir, là dans l'atmosphère irréelle d'un clair de lune, cette aura frémissante qui bruit entre les silences, mystérieuse et presque sacrée, témoin invisible de la présence familière d'une force bien tangible de la nature.

Mais il y a, très vite, cette interrogation qui agite les pensées du jaguar, accapare ses réflexions et se heurte à ce que l'instinct ne trouve, sans qu'il ne puisse l'exprimer, pas normal. L'immobilisme du saurien est comme un mur, son silence des yeux fermés. Je suis là, voudrait-il lui dire. C'est moi. Luttant contre cet élan chaotique qui brûle en lui, il se retient de se jeter sur le monstre colossal pour frotter son flanc contre le sien, sa tête contre la sienne, tenu à distance par un gouffre dont il ne reste pourtant plus que quelques pas à franchir. Impatience, émotion, joie. Des sentiments simples, qui balaient le reste d'un revers puissant, ravivent une chaleur qui semblait s'être éteinte en même temps que la solitude avait fait son nid. Des fragments de souvenirs épars s'agitent, échos faits d'images et de sons, d'odeurs, qui éclosent ici et là, comme pour rappeler ces liens qui façonnent la vie et lui donnent un sens. Un putain de sens.

Et soudain le reptile réagit, provoquant l'affût du félin qui se fige brusquement, prêt à tout sauf à voir le colosse lentement reculer dans les eaux. Il ne comprend pas, au début, s'attend à le voir se mettre tranquillement en branle, à venir renifler son semblable comme pour le saluer, mais il n'en est rien et il ne faut qu'une seconde pour que les eaux noires comme la nuit n'engloutissent la carcasse écailleuse de la bête, n'affichant bientôt que le reflet troublé d'une lune nocturne. Un moment d'incompréhension, quelques secondes qui passent sans plus bouger, n'espérant que de la voir de nouveau crever la surface.

Rien.
Seul le silence d'une nature qui a retenu son souffle un instant se fait entendre, bientôt emporté par la cacophonie d'un millier de bruits qui reprennent. Comme pour clôturer cet épisode. Comme pour achever l'impitoyable illusion.

La gueule entrouverte, le jaguar scrute toujours l'étendue d'eau qui se perd dans les ténèbres entre les cyprès, tourne la tête à droite, puis à gauche, presque comme pour surveiller les alentours, pris au dépourvu devant une telle situation.

Il comprend.
Il comprend alors ce que ça signifie, que cette réalité qu'il a tant de fois tenté d'extraire du néant au point de s'en écorcher l'intérieur vient de se dérober à lui, glissant hors des possibles et ne laissant que l'amertume froide d'un échec retomber sur la conscience avec la lourdeur d'un bloc de béton. Il l'appelle, encore une fois, d'un ton presque suppliant, qu'en lui quelque chose tente désespérément de retenir, quelque chose qui confine à cette folie dont il pensait s'être soudainement extrait.

Pourquoi ? L'interrogation muette plane là quelque part, pas vraiment formulée, pas vraiment comprise, mais criblant néanmoins les côtes de ses épines cruelles. Là soudain sous le clair de lune il n'y a plus rien. Il hésite, piétine, gronde, n'avance ni ne recule mais devine ces choses qui à l'intérieur menacent de s'effondrer. Il renâcle, comme pris au piège, et son esprit doute terriblement, remettant en cause jusqu'à l'existence même de ce qu'il vient de se passer. Halluciné, comme un animal prêt à tout accepter pour combler ses failles, trompé par l'éclat versatile d'une lune qu'on qualifie de capricieuse, dans des signes qu'il ne saisit pas.

Il s'avance alors, franchissant d'un bond la distance qui le séparait de ce fantasme qui s'en est allé, cherche dans la vase les traces de pattes, le large sillon laissé par le passage d'un bulldozer animal. Il renifle, inspecte, tente de s'approprier les relents humide d'effluves difficiles à trier. Ça sent l'algue et le limon, la vase et les choses en décomposition. Mais n'est-ce pas là tout ce qui constitue l'odeur des crocodiles ? Visiblement confus, il s'accroche désespérément à ce qu'il lui est encore possible de retenir, l’appelant encore deux ou trois fois, presque difficilement, dans un automatisme qui tient plus du miaulement éteint que d'un quelconque mugissement.

Après ce qui semble être une éternité d'attente, il se recule vivement face à la masse qui s'extirpe des eaux sombres et s'avance sur la berge. Pris au dépourvu, n'osant pas y croire trop fort, le félin reste figé devant la créature jusqu'à ce qu'elle libère le présent ramené de la rivière. Frétillant, le corps parcourus de spasmes incontrôlés, l'agitation du poisson provoque le réflexe instinctif d'une patte griffue qui vient s'écraser lourdement dessus, mais ne suffit toutefois pas à garder bien longtemps l'attention du fauve. Face à celui-ci, arqué dans un demi cercle aux écailles luisantes d'un reflet argent, il y a quelque chose qui a changé. Alors il lui semble l'entendre, le frémissement familier de cet écho propre aux siens, le bourdonnement de cette présence qui catalyse un peu plus la sienne et vice versa. Enfin le gouffre n'est plus et c'est comme si la rivière coulait de nouveau dans le bon sens.

Ne retenant alors plus la bride de ces élans de chaos et d'impatience qui n'attendaient que d'être libérés, le jaguar se rue alors sur le reptile, obnubilé par celui-ci, faisant fi de la plus élémentaire des prudences face à un tel prédateur. Dans un état intense d'excitation, il écrase à demi son corps contre la masse écailleuse, cherche activement le contact, presse son flanc contre le sien et frotte sa tête contre l'arrête bien pratique de ses écailles. Un grattoir. L'idée fugace traverse ses pensées d'un ton familier, ne fait qu'accentuer l'irrésistible besoin de proximité physique, dans des gestes quelque peu brusques mais qui ne risquent pas d'importuner un crocodile. Impulsif, le félin saute d'un bond sur le côté avant de revenir à la charge en sautillant, manifestant une joie démesurée par des petits cris de contentement. Faisant buter son front contre le crâne du crocodile, à l'endroit proche des yeux, il se frotte dessus en émettant un bruyant ronronnement. Le corps humide et froid du reptile ne l'incommode pas, poussant un peu plus sa tête contre la sienne comme s'il essayait de se rouler dessus à la façon des chats les uns contre les autres.

Quelque part, il y avait quelque chose qui avait changé. Une vibration, peut-être, ou l'impression retrouvée de se sentir à sa place, rien qu'une seconde, auprès d'une personne qui compte. Une chaleur bienveillante montait à l'intérieur, irradiait à la façon d'un radiateur qu'on allumait. En cet instant, il n'y avait rien qui aurait pu troubler le plaisir innocent et sincère de cette retrouvaille. Se pelotonnant près de la tête du crocodile, le jaguar grimpa à demi dessus, posant ses pattes sur son cou comme pour mieux l'attirer à lui et le renifla plusieurs fois, y retrouvant l'odeur de limon et d'algues mouillées. Léchant le côté de son crâne, ça avait le goût de la rivière et des lentilles végétale. Le goût amer d'une eau dans laquelle flottent des microparticules de boue et des petites bêtes un peu partout.

Ainsi collé à ce qui passerait facilement pour un gros rocher, il se souvint alors de la chose qui mourait en frétillant dans l'herbe juste à côté d'eux. Il s'éloigna un instant pour s'en saisir de ses crocs et le tirer dans l'herbe boueuse. Ramenant le poisson jusque vers le mastodonte, le jaguar s'installa à ses côtés, sa friandise coincée entre ses pattes avant et entreprit de le déchirer consciencieusement de tout son long pour mettre un terme définitif aux soubresauts de vie qui l'agitaient. Léchant le sang de cette proie avec application, ce n'était pas tant la faim qui le taraudait qu'un automatisme lorsqu'une petite chose remuait devant lui. Croquant dans le cartilage croustillant, il mâchait d'un air nonchalant les chairs entre deux coups de tête contre le reptile, léchant tour à tour l'un puis l'autre, ne quittant plus d'un pouce le flanc de sa bête-sœur.




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Mer 4 Nov - 18:09 (#)



La clarté lunaire donnait aux écailles du crocodile un aspect miroitant, quand l’immense demi-cercle de sa masse reptilienne qui entourait harmonieusement le grand félin, rappelait alors le croissant de l’astre nocturne. Dans la symphonie animale du bayou, le tableau devenait alors tout un symbole, comme la clôture d’un cycle. Un cercle dans un cercle. Le reflet d’une mère astrale berçant ses enfants au milieu des stridulations des insectes, et la mélodie des amphibiens, une sphère d’écailles et de fourrures mêlées, en quête d’un soupçon de paix sous un œil protecteur.
L’énorme crocodile remua docilement son crâne sous les assauts affectueux du félin, ouvrant sa gueule de temps à autre, comme pour manifester une expressivité qu’il ne possédait guère. Le rempart de son monstrueux corps autour de son frère était suffisant à ses yeux. Une marque de protection et d’amour, l’acceptation finale d’un passé oublié comme une plaie ouverte depuis trop longtemps. Cet œil reptilien demeura ainsi fixé sur les crocs animales déchiquetant son cadeau vivant, à mesure que les liens se renouaient dans l’inconscient de la métamorphe.
Il est là. C’était là l’essentiel, son unique obsession. Le monde des hommes pouvait désormais brûler, jamais elle ne commettrait à nouveau cette erreur. Jamais elle ne le laisserait à nouveau disparaitre de sa mémoire. Comme souvent dans ce lieu indompté, où le temps lui-même n’exerçait guère de prise, le crocodile en oublia le mouvement, obnubilé par le grand jaguar reposant à ses côtés. Elle oscillait alors dans un état entre le sommeil et la conscience, ouvrant régulièrement ses pupilles comme pour s’assurer que l’être ronronnant blotti contre elle était encore là. Que celui-ci n’était pas un simple rêve.

Bientôt, la mélopée nocturne se métamorphosa en une cacophonie de plus en plus bruyante, à mesure que l’aube maudite dardait ses premiers rayons entre les écharpes de brouillard flânant à la surface des eaux. De vigoureux oiseaux matinaux vinrent mêler leurs trilles criardes aux bruissements fuyants des êtres nocturnes gagnant leurs terriers, et la lune tira à son tour sa révérence, s’effaçant derrière les nuages tâchés d’orange par le soleil croissant. Une saveur nouvelle se mêla à la brise, celle annonciatrice d’une chaleur lourde, aux parfums de tourbe et de mousse épaisse.
Dès lors, le crocodile perçut le changement. Celui-ci ouvrit largement sa gueule vers l’horizon blêmissant comme un défi envers le soleil qui venait le déranger dans cette nouvelle fraternité retrouvée. Comme à chaque fois, il refusait cette contrainte insultante de recouvrer un corps bipède et pataud, si diamétralement éloigné de sa nature profonde. En cette occasion toutefois, cette obligation prenait une toute autre dimension, alors que prêt du reptile se reposait cette masse de fourrure et de griffes, que la métamorphe avait si peur de voir disparaitre sous l’éclat du jour.
De minuscules soubresauts vinrent agiter les écailles du monstre. Tandis que la lumière solaire croissait en force, l’inconscient de la métamorphe s’avoua vaincu et se prépara à accepter à nouveau cette humiliation. Pour cette fois. Le mantra tant répété avait jusqu’à présent gagné en puissance chaque nuit. Cependant, alors que ses muscles roulaient sous sa peau pour entamer le processus de la métamorphose, le refus de celle-ci suintait d’une saveur désagréable dans son esprit. Quelque chose au fond d’elle avait besoin de davantage, de communiquer avec ce frère si longtemps perdu.
Aussitôt l’acceptation consommée, des centaines de kilos de muscles et d’écailles commencèrent à se compresser de manière impossible. Cela débuta par la terrifiante gueule qui semblait s’enfoncer dans la chair, en même temps que sa nageoire se scindait en deux, et que le ventre paraissait fondre sous la lumière du jour. En une dizaine de secondes, la taille du reptile avait chuté de moitié, lui donnant l’aspect d’un énorme têtard en pleine contorsion. Ses pattes griffues s’allongèrent pour devenir des bras et des jambes, alors que l’épine dorsale s’arquait pour former un dos terminé en une tête de plus en plus réduite. Les écailles elles, semblèrent s’obstiner à rester.

Comme miné par l’impatience sans doute, la métamorphe prit une forme humaine incomplète, silhouette hybride retrouvant celle du bipède mais encore pourvu d’étonnant signes animales. Des plaques cuirassées recouvraient encore la majeure partie de son corps, où çà et là se distinguait une partie de la peau rose, tandis que ses ongles conservaient encore la noirceur des griffes, et ses yeux, l’aspect doré des pupilles de reptiles. Comme sa bouche aux lèvres fragiles demeurait encore déformée par des dents énormes, Inna mobilisa sa volonté pour les effacer, et repousser les derniers lambeaux animales.
C’est mal, songea-t-elle. Oui, cela lui paraissait si contraire à la nature de repousser un tel miracle et pourtant, elle se persuada de suivre une nécessité ancestrale inscrite dans sa chair. Les écailles refluèrent sous sa peau, ses doigts reprirent leur finesse humaine, et bientôt elle redevint cette créature si fragile, si maladroite, malgré quelques omissions dispersées ici et là. Son dos était encore trop déformé par une arête saillante, des sillons géométriques se dessinaient sur son ventre, vestige d’une peau reptilienne, et cependant, elle s’en fichait éperdument.
Inna redressa sa silhouette malhabile, à genoux dans la terre meuble du bayou. Les rayons haïs réchauffèrent sa peau nue tandis qu’elle contemplait face à elle, sans oser bouger, ce frère si longtemps perdu. Une immense souffrance vrilla sa poitrine. Des milliers de pieux invisibles s’enfonçaient dans sa chair, démembraient son être tout entier, d’un mélange de bonheur et de désespoir. Impossible, il ne peut pas être ici, se dit-elle, et pourtant, pourtant… La métamorphe tâcha d’ouvrir la bouche pour en extirper ses questions, mais aucun mot n’en sortit, seulement un vague hoquet asphyxié formant le spectre d’une seule lettre.

« R… »

Cela faisait si mal. La souffrance semblait provenir des profondeurs de son âme, pour se propager dans un cœur pris de frénésie, et cimentait sa langue dans une immobilité atroce. Elle voulait prononcer ces mots. Elle voulait l’appeler. Elle voulait serrer cet être aimé de crainte qu’il ne s’échappe à nouveau. Mais les sons s’étranglaient dans sa gorge atrophiée par des années de silence, en un crescendo douloureux qui résonnait jusqu’aux confins de son esprit vrillé par la tristesse.

« Rh… »

De nouveau, elle s’essaya au langage des hommes. De nouveau, elle échoua. Comme la peine devenait insupportable, elle eut l’impression d’étouffer, de mourir lentement sous cet afflux de violents sentiments qui terrassaient son univers, jusqu’alors réduit à la mélancolie du marais. Des larmes inondèrent ses yeux dorés de crocodile sans qu’elle ne chercha à les retenir, et celles-ci tracèrent des sillons sur la surface de ses joues sales.

« Rhys ?... »

Si mal. Cela faisait si mal de prononcer ce nom. Inna crispa ses mains sur ses cuisses au point de s’entailler la chair, alors que ses pleurs chutaient dans la boue tiède du bayou. Son regard embué de larmes ne cessait de fixer son frère, avec qui elle avait encore tant de choses à partager, tant de chaleur à retrouver, que les expressions humaines étaient incapables de retranscrire. Alors, elle demeura là devant lui, paralysée par la joie mêlée de douleur qui l’empêchait de le serrer contre elle. Un autre miracle. Jamais elle n’aurait cru le revoir. Jamais elle n’aurait cru tant souffrir de bonheur.


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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
Rhys Archos
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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

Dévorer le jour [Inna] S83t

« Wild men who caught and
sang the sun in flight,
And learn, too late, they
grieved it on its way,
Do not go gentle
into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
Ivresse sur voie publique ;
Expert du pistolet à clous ;
Vol de voitures ;
Briseur de vitrines ;
Bagarres ;
Vol de poules ;
Thème : /watch?v=L7a8hmoOsx0
SOONER OR LATER
YOUR HUMAN SIDE LOSES.
IT HAS TO

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Dim 6 Déc - 3:02 (#)


L'excitation peu à peu retombe, mer agitée qui sous des vents doux et invisibles s'apaise. Lentement, sans impatience, il y a cette tranquillité propre à la nuit qui s'installe, un quelque chose qui fait apprécier l'instant présent sans se poser de questions. Comme un réflexe retrouvé, l'esprit puise dans le rayonnement invisible qui baigne la scène, s'harmonise avec ce qui l'entoure pour ne plus faire qu'un avec ce paysage. Il reprend cette forme primordiale qui se contente d'exister et qui s'en satisfait pleinement, la certitude intemporelle de faire partie de ce tout aux côtés du crocodile étant plus solide que les doutes et autres artifices semés ici et là par les constructions complexes d'une société absente. Il y a le bruissement plein de langueur des branches tombantes, quelques clapotis épars qui viennent perturber la surface de l'eau, ou bien l'effluve puissante d'herbe mouillée et de crocodile. Le monde est bordé par le mystère d'une chape de nuit aux senteurs de sauvage, et personne n'est là pour assister au singulier spectacle qui s'offre aux étoiles. Bientôt, il ne reste plus que le rythme de ces respirations discrètes, berçant un sommeil réparateur et entrecoupé de quelques phases d'éveil. Rien ne reste du poisson offert et les heures égrènent chaque seconde dans une indifférence totale, passent en silence et finissent par laisser poindre un clair de jour timide après ce qui semble être une éternité.

L'instant est semblable à un commencement, un de ces moments suspendus qui n'existent que parce que la lumière les dévoile, tirés de l'obscurité et paraissant vierges de tout antécédent. On se surprend, alors, à se demander ce qu'il y avait avant ça. Est-ce seulement important ?

La bête redresse la tête, la gueule tournée vers l'aube qui naît. Elle aussi, l'a sentie, la venue de la plus terrible des épreuves, qui s'en vient monter à l'assaut de l'instinct et du droit d'exister. Le frisson caractéristique roule sous la peau, répand une rumeur silencieuse sur le pelage qui frémit, imperceptible. L'astre solaire se lève et avec lui vient l'heure de la guerre, l'instant de ce combat éternel et sans relâche où la chair est condamnée à se faire déchirer par la morsure brûlante d'une gigantesque boule de feu flottant dans l'espace. L'injustice d'une telle condition agite le jaguar qui brusquement se lève, sans pour autant quitter le flanc de son semblable. Il est temps d'affronter le soleil, encore une fois, de s'enfoncer dans cette permanence interdite et refusée qui, à chaque occurrence, imprime un peu plus ses marques dans la chair.

Il est temps de dévorer le Jour.

La tension monte à mesure que l'astre tente de s'arracher du sol, irradie l'esprit d'un vent solaire invisible mais impitoyable et met à rude épreuve les muscles et les tendons. C'est l'existence même qui semble vouloir s'arracher à sa propre substance pour se retourner, dissimuler ce qui ne doit pas sortir de la nuit et repartir dans cette coquille maladroite et fragile. Cette peau honnie. Cambrés dans une position douloureuse d'étirement les membres se crispent. Les muscles des doigts pressent si fort les griffes de sortir qu'ils s'en provoquent des crampes. La fureur d'une lutte sans merci embrase les pupilles de l'animal, une rage faite de violence et de déni, prête à s'arracher lui-même cette  peau qui tente de fondre le pelage en un quelque chose de rose et de glabre. Sans pitié, cet instant tente de briser la volonté de l'esprit avec la force de marteaux jetés sur un miroir. Et l'animal gronde, défie avec hargne la face même du jour.

Mais le regard se détourne et tombe sur la masse écailleuse de cette sœur qui déjà mute, se déforme dans des proportions qui n'ont rien de normales et qui, petit à petit, laissent deviner la silhouette plus délicate d'une forme humaine. L'angoisse soudain surgit dans le cœur, le doute, terrible et destructeur, qui sème les graines de la discorde et sape les efforts. Pourquoi fait-elle ça ? Un instant, le fauve lui adresse un regard d'incompréhension, gueule entrouverte et visage confus. Il reconnaît cette sorcellerie, cette malédiction, et meugle une note à son adresse pour l'encourager à quelque chose, à tout sauf à abandonner.

Or déjà l'astre prend le dessus et le jaguar sent qu'il glisse malgré lui. Il a beau freiner des quatre fers, il ne peut pas à la fois se laisser ronger par l'incertitude et à la fois se concentrer sur cette guerre. Lentement, à l'image d'une glaise qui s'affaisse doucement sur elle-même, il sent l'image de sa véritable nature se faire balayer par l'aura puissante de cette étoile détestée. Un instant, il montre les crocs, farouche, tente de reculer face aux rayons qui traversent son aura et sa chair, de faire reculer cette emprise qui exhume la conscience éveillée de sous les sédiments et dont le sable coule entre des doigts grossiers.

Je ne veux pas mourir. C'est cette supplique que hurle tout mon corps, les oreilles rabattues et la queue ramenée contre mon moi. Mais c'est trop tard, je sens les os qui se déforment et s'allongent, se flétrissent ou craquent comme du bois sec dans une cheminée. C'est un autre visage qui se dessine dans les traits, qui petit à petit émerge. Ma main droite me brûle, l'avant-bras droit me brûle. Il y a dans la moelle un feu mauvais qui s'éveille et repart, qui tourne ce pelage en peau, fait disparaître les taches et amenuisent les griffes en ongles ridicules et faibles. J'aspire plus d'air, comme si je pouvais en manquer. Bientôt, la main droite est presque humaine et les différences anatomiques sont subtiles, ce qui n'est pas le cas du reste du corps. Une angoisse s'éveille rapidement, la conscience se rallume peu à peu. Les yeux vont et viennent alentours, tentent de deviner l'endroit où je suis. Toujours ils finissent par se fixer de nouveau sur le crocodile Inna ! et roulent dans leurs orbites comme ne sachant où donner de la tête. Des sensations multiples et diverses refont surface, l'impression d'un danger qui rôde quelque part, le déjà-vu de cette résurgence d'entre l'animalité, cette sensation vaseuse comme prêt à vomir, déboussolé, où je ne sais ni quel jour ni où nous sommes et qui baigne dans un mal-être ambiant.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Soudain, ça me heurte avec la force d'une gifle. Il y a, dans cette scène, un quelque chose de terriblement familier. Ma sœur. Je reste hébété. Le souvenir d'une vision floue remonte en mémoire, la forme d'une sœur disparue qui, alors, m'avait provoqué l'illumination précédente et m'avait tiré hors des griffes de l'oubli. Et là... Je la regarde sans trop comprendre, saisissant à peine le contexte de ce qu'il se passe. Il n'y a plus aucune lutte contre le soleil, juste un abandon désespéré. Inna. Mes yeux s'agrandissent, j'observe la silhouette reptilienne sans vraiment voir. À son image, mon corps porte les stigmate d'un temps trop long passé sans retrouver sa forme humaine. Mes membres sont étrangement dénaturés, les bras trop grands, les mains déformées et terminées  par des ersatz de griffes. Les crocs ne sont pas tout à fait des dents, comme il est difficile de déterminer si ce sont des cheveux ou du pelage, sûrement un peu des deux. L'intérieur des lèvres et de la bouche n'est pas tout à faire rose, pas tout à fait noir. Ça et là, une pilosité étrange souligne l'aspect d'une colonne vertébrale trop souple et élongée. La transformation ralentit et bientôt s'arrête. Car elle n'ira pas plus loin et cette allure d'humanoïde aux traits mêlés, fascinante horreur surnaturelle, est le prix à payer pour avoir transgressé le cycle immuable du jour et de la nuit.

Je reste un moment paralysé dans cet état, bête stupide coincée entre les phares d'une voiture ou poisson ramené hors de l'eau. Face à moi, à genoux dans la boue, cette étrange vision. J'ai du mal à la quitter des yeux, mais mon attention morcelée s'oppose à la construction de pensées élaborées. Des impressions, des mots, qui lentement prennent forme. Une panique irrationnelle monte de plus en plus, qui part soudain en exponentielle quand les mots franchissent ses lèvres avec difficulté. C'est moi. J'ai envie de le lui crier. C'est moi ! Chat stupide qui réagit à son propre nom. J'hoche la tête comme pour dire oui, mais ce sont ses larmes qui me tirent de cette léthargie, poignardent ma poitrine avec violence. Pourquoi ? Pourquoi ? Une peur informe coule dans le fond de ma boîte crânienne devant cette image. Il y a un instant, un terrible instant qui passe sans que je ne semble réagir.

Ce n'est pas un rêve.

Ce n'est pas un mensonge.


L'orange solaire souligne les traits d'une gravité surréaliste. Je me tire de cette folie, porté par une raison encore trouble mais qui comprend peu à peu ce dont il s'agit. Mes mains tremblent, fébriles, je ne peux pas décoller mes yeux humides de sa présence, et ma tête se rapproche jusqu'à ce que mon front heurte le sien. Il est dur, tangible, réel. Elle est là.

Je me jette alors à son cou pour l'enserrer dans ces bras à l'allure déformée, inspirant brusquement et la serrant avec force, manquant de nous faire tomber dans la boue froide. Frottant ma tête contre la sienne par de petits coups inoffensifs, je l'agrippe comme si elle allait disparaître, déglutis devant l'accélération vertigineuse du rythme cardiaque. Une certaine rationalité se fraie difficilement un chemin dans toute cette émotion, suffisamment, en tout cas, pour reprendre une conscience pertinente des choses. Quatre. Ans. Ma poitrine se soulève rapidement devant le gouffre de cette pensée. Comment ? Pourquoi ? La chose semble inconcevable, porte l'allure du caprice d'un destin qui n'en fait qu'à sa tête, donne comme il reprend tout aussitôt. Ici, à l'autre bout du monde, perdu dans un bayou isolé... Deux sillons plus clairs tracent leurs chemins sous mes yeux, alors que les mots restent bloqués. Pris au dépourvu, je ne sais pas quoi dire.

_ Inna !

Un éclat de rire s'échappe soudainement d'entre mes lèvres.

_ Inna !!

Je la soulève à moitié pour mieux la serrer contre moi, faisant fi des lentilles d'eau, de la boue, de la crasse ou de n'importe quelle autre considération aussi bassement matérielle et insignifiante. Je veux juste entendre son cœur battre dans mes oreilles à travers la veine de son cou, sentir l'amas broussailleux de ses cheveux contre les miens, tenir entre mes bras l'image de ce crocodile immense, colosse immobile et patient, terrible, admiré à bien des égards.

Le rire se transforme en larmes. Un craquage psychologique, un soulagement qu'on n'attendait plus, un espoir dont on avait presque fait le deuil et qu'il valait mieux tenir éloigné pour ne plus s'y écorcher dessus.

Je me décolle un peu d'elle, pour pouvoir observer - incrédule - cette vision troublante du visage en larmes d'une personne qui a toujours été une figure impassible et incroyablement placide, pleine de cette force prodigieuse capable d'exploser en une seconde. Un roc. Un putain de roc. L'instinct me hurle soudain de ne pas la quitter, de rester avec elle, comme si s'éloigner ne serait-ce que d'une seconde pouvait conduire à la catastrophe.

J'essuie ses larmes d'un geste du pouce, étalant un peu de boue au passage sur le rugueux subtil de sa peau. La nuit passée ensemble me revient alors, presque comme un rêve lointain. Cette chaleur ressentie, l'intemporalité du moment... Finalement, ce sont quelques mots presque idiots qui sortent, mais chargés de tant d'émotions qu'ils paraissent presque porter tout un sens symbolique, là où ils n'auraient rien été dans n'importe quelle autre situation, soufflés avec la faiblesse d'un sanglot.

_ M... Merci pour le poisson.

Je baisse à demi les yeux jusque vers le sol, presque emporté par cette vague vertigineuse, les lèvres scellées dans un effort tremblant pour ne pas simplement éclater comme un enfant.




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Jeu 17 Déc - 22:53 (#)



Rhys. Ce nom résonnait inlassablement à l’orée de ses sens. Rhys, son frère. Ce nom battait à l’unisson de son cœur, lui insufflant une ivresse merveilleuse qui l’ébranla toute entière. L’écho de ce nom éveilla des frissons incontrôlables qui s’emparèrent de ses membres, et de son échine encore saillante. Le cœur d’Inna s’emballa. Par un jeu d’illusions insaisissables, et de souvenirs rendus confus par l’espoir naissant, sa vision substitua instinctivement un profil d’humain familier aux courbes asymétriques du jaguar. Dans la lumière ténue de l’aube naissante, la mémoire d’Inna s’éveillait au même rythme paresseux, comme l’éclosion d’une fleur à l’appel du jour.
Les rayons mordorés caressaient sa peau nue et encroutée de boue, jusqu’à ses pupilles qui ne cillaient plus, fixées sur l’énorme félin en pleine métamorphose. L’astre haï n’avait plus aucune importance. Inna demeurait suspendue aux craquements et aux gémissements de l’être précieux évoluant non loin d’elle. Dans les secrets des lentilles d’eau et des jacinthes éveillées par l’aube, la vie remuait, tandis que les graviers mordaient les genoux de la jeune femme sans éveiller la moindre réaction de sa part. Seul le jaguar comptait à cet instant. Seul son frère comptait.

Rhys, se répéta-t-elle tandis que leurs regards se croisèrent enfin, créant un lien brutal entre leurs pupilles hagardes. Comme une décharge électrique faite d’une telle espérance, d’affection et d’incrédulité, qu’elle ébranla douloureusement Inna de la tête aux pieds. Ce nom dont elle venait d’extraire les sonorités de sa mémoire brisée lui arracha des larmes supplémentaires qui perlèrent sur ses joues sales. Ce nom auquel elle s’accrochait comme à une bouée de sauvetage, au milieu d’un torrent en furie fait de souvenirs amers et d’abandons contre un monde qui la rejetait.
Le voici alors qui s’approcha, et la métamorphe de humer son odeur. De bête et d’homme mêlés, ce parfum se parait de mille nuances aquatiques, de sueur et d’une terrible familiarité qui lui enserra les tripes d’un étau douloureux. Il est là, se dit-elle lorsque leurs fronts se heurtèrent. Inna ressentait sa chaleur contre elle, auréolée de senteurs éveillées par sa mémoire, de rocailles et d’exhalaisons de pins d’une lointaine Arménie. Par-delà les traits de son frère déformés par une humanité fragile, le chant du bayou se faisait distant, comme une douce mélodie les berçant l’un contre l’autre.
Je me souviens, s’interrogea-t-elle, je crois. Des visages, des paysages, des murs. Des forêts sèches de cèdres où les aiguilles craquaient sous vos pas, où les sangliers fouissaient un sol dur. Des lacs secrets cerclés de montagnes inaccessibles peintes de nacre et d’azur, emplies d’un air piquant. Des roulottes exiguës mais confortables où évoluaient des silhouettes aux traits intimes, qui s’étaient lentement effacées de sa mémoire. Ces éclats virevoltaient dans son crâne comme un miroir brisé : des couleurs sans structures, des voix sans lèvres pour les prononcer, des odeurs sans origine.

Tout cet univers lui semblait contenu dans la chevelure de son frère. Le choc de son corps contre le sien l’éveilla cependant à la réalité. Une avalanche de sentiments s’accumula dans son esprit en lambeaux, tandis que les bras d’Inna se soulevèrent d’instinct pour entourer les épaules de son frère. Enfin lui, il est ici, se répéta-t-elle avec incohérence. Les mots ne suffisaient plus à ce stade. Prise d’une douce folie d’amour, elle enserra avec force son petit frère dans ses bras tremblants. Dès lors, elle s’imprégna de sa chaleur et de son odeur, comme un fil qui la reliait encore à un passé perdu.
L’éclat de rire résonna dans ses entrailles. Inna se surprit à le serrer encore plus fort, tandis qu’il la soulevait en clamant son prénom, leurs chevelures mêlées dans un fatras sauvage. Sa voix est là aussi, tout entier, pensa-t-elle. Et sans cesser de le tenir précieusement contre elle, comme un trésor inestimable, de soulever à son tour cet être abimé par la vie, son petit frère tant aimé. Elle ferma les yeux tandis que leurs crasses vaseuses se mélangèrent dans une étreinte euphorique, à peine consciente de la réalité, tant la fureur des sentiments brassait son âme.
L’incrédulité se mêlait toutefois à un réconfort suffocant, un amour si vif qui semblait sur le point de faire éclater son cœur. Inna recula quelques instants pour contempler à nouveau ce visage fraternel qu’elle avait cru perdre à jamais. Des larmes de boue tracèrent aussi des sillons sur celui de Rhys. Un sourire encore hésitant se dessina sur les lèvres de l’esprit-crocodile. Désormais submergée par un bonheur absolu, elle examina ces traits déformés par les reliques d’un affront à l’ordre du jour. Ses yeux d’un bleu pur comme un lac de jadis s’attardèrent sur ces crocs et ce pelage errant çà et là.

« Rhys. »

Aucun autre mot ne fut capable de franchir ses lèvres. Encore bercée d’hésitations, elle caressa les aspérités de son visage, l’arête de ses sourcils, ses joues creusées comme pour s’assurer de la réalité de cette apparition mystique.

« Rhys… »

De nouveau, Inna le serra contre elle. Quelque peu honteuse de se découvrir incapable du moindre mot de consolation, ne serait-ce que pour lui répondre, elle l’enserra d’autant plus fort. Percevoir le battement de son cœur était suffisant à ses yeux, mais l’était-il pour lui ? Une chaleur partagée qui n’avait cure de leur état physique, ni de l’œil scrutateur de l’astre solaire s’élevant dans leur dos.

« Rhys, » répéta-t-elle encore, comme si la bouche d’Inna ne tolérait que ce simple prénom, et non une phrase cohérente.

Le second choc la prit de court. J’ai oublié, se récrimina-t-elle. Dans l’enchevêtrement de sa mémoire saccagée, les mots gisaient encore dans les profondeurs des eaux saumâtres. Elle se sentit incapable de lui répondre. Elle en aurait pleuré de nouveau. Des mains imaginaires de bipède malhabile cherchèrent à repêcher des termes adéquats pour chérir son petit frère au grand jour. Mais hélas, dans son esprit animal ne régnait qu’une férocité vigilante, qui avait pris grand soin de déchiqueter patiemment les reliques des hommes détestés.
Des mots, se supplia-t-elle en silence. N’importe lesquels. Quelques lettres pour dessiner dans l’air un symbole d’amour. Des mots de réconfort. Des questions, des couleurs, de la chaleur peinte en sons doux et délicats. Mais tout cela lui filait entre les doigts. La phonétique des hommes la narguait en dansant la gigue derrière ses prunelles demeurées vides et fixées sur son frère, comme paralysées par les ruines de son esprit. La bouche d’Inna tremblait alors dans un mutisme effroyable, semblait happer l’air pour désespérément composer quelque chose, comme un poisson hors de l’eau.

« Je… Eh… » balbutia-t-elle, visiblement troublée.

La réalité lui asséna une claque en pleine face. Frappée d’horreur, Inna se recula quelque peu de son frère, soudainement consciente des ravages dont elle s’était elle-même infligée. Elle ne pleurait plus désormais. Lorsqu’elle leva son regard vers Rhys, la honte avait jeté une ombre dans l’azur de ses yeux, la déchirant d’une nouvelle et plus cruelle manière. Elle resta ainsi debout en silence, immobile sous la lumière croissante de l’astre solaire, qui semblait à son tour se moquer d’elle.

« A… »

Inna fit un signe de tête vers l’orée du bayou, où les haies vivaces créaient un havre réconfortant à l’ombre des saules. Comprends-moi, hurla-t-elle dans le désespoir de son mutisme. Elle voulait le mettre à l’abri. Lui montrer sa vie et son cœur. Mais ces hommes haïssables l’avaient encore une fois dépouillée. Pire encore était cette colère envers ressentie envers elle-même, et qui bouillait pourtant derrière la surface redevenue placide de son visage. La métamorphe fronça les sourcils en serrant les poings. Elle serra les dents mais parvint tout de même à refluer cette rage contre sa propre personne.
Au lieu de cela, Inna reporta son attention vers Rhys. La vision de son petit frère déformé par le soleil la calma quelque peu, cette illustration saisissante d’une vie tourmentée. Or, quelque part au fond de son âme naissait lentement une volonté nouvelle de rassembler ce qu’elle avait oublié. De mettre un terme à cette fuite en avant, et saisir à pleines mains ce miracle qui venait de s’accomplir. La paume du crocodile vint alors attraper celle du félin pour l’inviter à la suivre dans les profondeurs du marais. Là où les carouges chantaient une mélopée propre à bercer les enfants de la lune, et à panser les erreurs que le monde des humains leur avait infligé. Cette rencontre inespérée ne pouvait être qu’un signe de la nature, la métamorphe en était intimement persuadée.


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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
Rhys Archos
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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

Dévorer le jour [Inna] S83t

« Wild men who caught and
sang the sun in flight,
And learn, too late, they
grieved it on its way,
Do not go gentle
into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
Ivresse sur voie publique ;
Expert du pistolet à clous ;
Vol de voitures ;
Briseur de vitrines ;
Bagarres ;
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Dévorer le jour [Inna] Fdel
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Mer 24 Fév - 22:12 (#)


Plusieurs fois prononcé, mon prénom sonne dans sa bouche avec l'écho d'une voix rauque, la forme de sonorités rouillées mais dans lesquelles je distinguais pourtant ce quelque chose de familier, cette intonation si bien connue que j'aurais retrouvée entre mille et dont l'absence avait sonnée dans mes oreilles avec une sourde cruauté. Ils disent que les mots ont du pouvoir et si nommer les choses revient à les éveiller, rarement plus qu'en cet instant je n'ai été aussi lucide dans la conscience et la perception de moi-même. Ironique paradoxe pour l'esprit qui, quelques minutes auparavant encore, se laissait porter par la simplicité d'une existence libérée des fondements d'une pensée complexe, pleine du mouvement fluide de l'instinct et de cette sagesse silencieuse que possèdent les bêtes. Un frémissement court sur ma nuque, caressée avec insolence par l'étreinte d'un soleil qui s'élève et triomphe. Tout autour sa lumière teinte le paysage d'émotions contradictoires, d'éclats d'oranges et d'ors qui auraient pu être beaux s'ils n'y avait eu cet arrière-goût doux-amer.

Au contact des doigts d'Inna sur mon visage je relève les yeux avec une appréhension presque candide. Peut-être la crainte de découvrir que ce n'était qu'un fantasme, ou la confusion d'avoir à affronter ces émotions perturbées, comme autant de courants s'entrechoquant çà et là et semant dans leur sillage une multitude de tourbillons temporaires mais chaotiques. Pourtant, elle est là, et la sincérité intime qui brille dans ses yeux bleus est plus désarmante qu'un millier de mots. Il y a un quelque chose qui touche au cœur, laisse se dévoiler l'âme dans ce qu'elle a de plus nue face au regard d'une sœur qui voit en moi ce que je suis, et non pas ce que je montre. Trouble puissant causé par la possibilité d'être soi sans devoir sans cesse se draper de l'impérieuse nécessité de se camoufler, de prétendre et de faire semblant, plutôt que d'exister en devant dresser un reflet opaque entre moi et les autres. C'était là une chose à laquelle la conscience n'avait plus touché de la sorte depuis bien trop longtemps.

La liberté.

Je la laisse faire, me laissant volontiers aller contre elle dans l'étreinte de ses bras mêlant chair et écailles, bayou et animal ; quelques instants fragiles qui pourtant semblent contenir l'immensité de deux existences singulières dans l'illusion d'un moment de calme tranquille, éloignées des affres d'un monde qui les tient toujours plus à distance comme des étrangers. Mais il y a quelque chose de plus, une agitation qui trouble le fond de l'air avec la subtilité de non-dits insidieux. Entre mes propres battements de cœur incertains je perçois le désordre qui silencieusement émane de ma sœur. Seulement un doute, au départ, puis une détresse évidente à l'instant où ses yeux se posent de nouveau sur les miens, voilés d'un nuage qui n'aurait jamais dû paraître, d'une douleur inconnue dont la seule existence suffit à raviver ces angoisses étouffées qui n'ont eu de cesse d'aller et venir ces dernières semaines. Mon regard parcourt le sien d'un œil à l'autre et vice versa, à la recherche de l'origine de cette ombre. Je ne la saisis pas, elle m'échappe comme l'eau qui s'écoule d'entre les doigts et je me heurte, à la place, à cette immensité monolithique qui résonne à demi comme un vide, à demi comme un oubli. Il y a là un quelque chose d'immobile et de terrifiant, une brèche qui me semble presque familière et pourtant hors d'atteinte, une barrière qui se dresse, entre elle et moi, incrustée sous la peau du monde en une plaque rigide de fer. Je ne suis pas certain de ce qu'il se passe, mais il m'apparait avec la clarté du jour qu'un mal ronge les flancs de ma sœur, un poison perché là au bord des lèvres mais qui jamais ne s'exprime.

Une angoisse sourde répond à la sienne avec, dans le ventre, le nœud d'une peur aux contours mal définis. J'ignore de quoi exactement mais le cœur bat légèrement plus vite, le visage affiche cette incompréhension attentive et à l'affût de mots qui ne viennent pas. L'impatience me presse, mais je ravale cet élan indiscipliné pour laisser l'espace à Inna. Quelque part, j'ai la terrible impression que je devrais être capable de comprendre ce qu'elle veut me dire, de deviner, instinctivement et par le seul lien du sang, cette affre qui visiblement la ronge et nous sépare. La bouche entrouverte, je me retiens de l'interrompre, de briser cet effort qui se fait difficile.

Je ne saisis pas.

L'espace d'une seconde j'ai peur. Peur de la perdre, peur de l'avoir déjà perdue, ou d'avoir oublié ces choses qui nous lient et tissent nos liens avec la solidité de la pierre. « A... ? ». A quoi ? Attends ? Attention ? Aller ? Les mots manquent de franchir mes lèvres pour compléter ce vide qui la creuse mais j'ai la terrible impression d'être à côté, de ne pas saisir, d'échouer à effacer cette ombre sur son visage. C'est comme si l'esprit tâtonnait dans le noir à la recherche du sien mais sans jamais la trouver. Elle m'emmène alors, emportant ma main qui sert la sienne en retour avec la ferme intention de ne pas la lâcher. Le contact de ses doigts entre les miens ravive ce mal étrange qui pulse à l'intérieur des os du bras, de la chair, qui irradie comme une chaleur mauvaise et insidieuse bien décidée à ne pas s'en aller. Un frisson remonte le long de mon échine, je me laisse emporter. Pourtant, le trouble étrange qui entoure Inna et mes interrogations ne nous quittent néanmoins pas, suivant nos traces comme une ombre dans les empreintes laissées dans la boue.

_ A quoi Inna ? ...Attention ?

Les mots sortent avec précaution, presque au ralenti. Mon regard va et vient entre elle et les obstacles qui parsèment notre chemin, à peine suffisamment concentré pour faire l'effort de les éviter. Je jette toutefois des coups d’œil furtif aux alentours toutes les quelques secondes, talonné par le bruit sourd d'un instinct qui associe la clarté du jour au danger, les bayous aux intrus et la chair difforme à l'aveu terrible de notre nature surnaturelle. L'idée que quelqu'un, maintenant, nous croise, est un fer rouge appliqué sur les pensées et me pousse à me mouvoir dans une posture presque grotesque, à l'image d'une proie à l'affût du prédateur l'échine déjà trop souple courbée encore plus en avant. Mes pas se font plus précautionneux, le cœur plus rapide.

_ ...Abri ?...Archos ?

Le nom sonne presque comme une révélation, pourtant je me sens un peu stupide à le prononcer. Quel rapport avec le reste ? Quelle pertinence avec tout ça ? Je regrette presque de l'avoir échappé quand une idée folle me traverse, submergeant mes neurones dans un afflux électrique soudain.

Archos ?

L'ampleur de ma bêtise m'apparaît alors, si Inna est là, ça signifie probablement que les autres aussi. L'adrénaline pulse alors dans les veines avec l'intensité d'un feu intérieur et je ne suis plus que focalisé sur cette idée, sur cet espoir insensé et violent qui brûle absolument tout le reste au point d'en rendre mes gestes maladroits et presque tremblants. Cent questions se pressent entre mes lèvres pour sortir, ne sachant comment ordonner les mots et exprimer ce ressenti. Parcourant toujours plus avant le bayou, je réussis à contenir cette explosion dans ma poitrine, les yeux presque exorbités à cette idée. Les rouages de l'esprit fonctionnent maintenant à toute vitesse et relancent une pensée qui partait à la dérive depuis un moment, prenant peu à peu conscience de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je me souviens du sang et de la tuerie, de cette folie généralisée qui s'était abattue sur nous ce soir là, le contact moite d'une fourrure poissée par un fluide rouge et cette échappée folle jusque vers cette famille de métamorphes. Quelques pas maladroits plus tard, je ralentis malgré moi, refusant toutefois de lâcher la main de ma sœur.

_ ...Inna ?

Je chuchote, balayant le paysage chaotique et verdoyant, mélange de marrons et de nuances de verts, de lentilles d'eau et de sols traîtres. Je ne peux plus retenir la question, je presse sa main dans un geste fraternel pour attirer son attention et capter son regard, son visage, lui affichant une expression à la fois pleine d'espoirs et d'appréhensions, du genre de ces choses auxquelles on refuse presque de croire tant elles semblent insensées.

_ Les autres... Ils sont là ? Ils vivent... Aussi ici ?

Une bouffée de chaleur, presque un vertige. Comme se trouver poussé par le vent au bord de la falaise, prêt à s'envoler.

_ C'est eux qu'on va voir ?

J'ai besoin de l'entendre me le dire. J'ai besoin de savoir, de toucher le soulagement de ce poids qui pèse depuis quatre ans et d'enfin, enfin trouver une sorte d'absolution.




Adopte ces beaux scénarios !
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Mar 2 Mar - 23:32 (#)



L'instinct animal l’irradiait toute entière. Comme un feu liquide, il la consumait sans trêve. Il affluait dans ses veines, durcissait ses muscles, électrisait ses réflexes et dilatait ses pupilles. Vite, lui criait-il, encore plus vite. Les ombres des arbres défilaient alors sur sa peau nue, les branches lui fouettaient le visage dans sa course, et elle sentait la vase éclater sous le poids de ses pas. Ces gouttes boueuses virevoltaient dans l’air moite, éclaboussant ses jambes humaines, tandis que les bosquets épineux creusaient de temps à autre des sillons sanglants dans sa chair. Les bris de lumière solaire cillaient au travers des frondaisons épaisses, décorant ses traits soucieux de motifs mouvants, et ses narines palpitantes où se précipitaient les parfums puissants de l’aurore, arômes sauvages de mousses, de sève et de fleurs attirées par la chaleur naissante. Et cette exubérance végétale devenait de plus en plus dense au fil de leur course. Mets-le à l’abri, hurlait son instinct, vite. Au beau milieu de ce kaléidoscope de sensations, Inna ressentait cette tendre chaleur au creux de sa main, la douce moiteur de la paume de son frère lovée dans la sienne, un nouvelle espoir introduit dans son univers halluciné et dominé par les instincts. Un lien si ténue. Si facile à égarer. Durant leur course folle à travers l’entrelacs improbable d’écorces et de feuilles, elle se retourna brièvement, comme pour s’assurer de son existence. Elle vit le contour de son visage stigmatisé par l’animal, elle entendit ces mots sans les comprendre. Et elle pria sans croire une seconde au divin, ô combien elle pria, pour que cette main dans la sienne soit bien réelle, et non une chimère de son esprit en lambeaux. Il est là, se dit-elle, ses pensées aussi balbutiantes que son dialecte. Elle redoubla alors d’efforts pour s’enfoncer dans les méandres du bayou Carouge, fuir les horreurs humaines, les miasmes et les bruits de moteur qui vous heurtaient autant que le métal de leurs existences.

Alors, au fil de cette échappée démente, le bayou commença à se transformer autour d’eux, comme si l’on venait de franchir une frontière invisible. Bientôt, l’écran des futaies se fit bien plus dense, quand les bruissements des êtres vivants devinrent plus intenses, et les arbres resserrèrent l’étreinte de leurs branches, comme autant de doigts silencieux. Les odeurs de vase et de mousses saturèrent les lieux jusqu’à l’écœurement, quand les senteurs florales embaumèrent l’air devenu épais, et grisant. Mais Inna continua sans une once d’hésitation. Presque, toujours plus vite. Et le chemin à travers les hautes herbes se modifia, prenant des proportions tortueuses et indomptées, faites de racines dressées vers le ciel, et de roches qui semblaient vous suivre des yeux. Une force primitive s’élevait de cette terre, à la fois accueillante et menaçante, où chaque couleur, chaque arôme prenait une intensité merveilleuse, une pureté sauvage comme après une transe chamanique.
Les deux êtres hagards venaient d’atteindre le cœur du bayou Carouge. Inna l’avait deviné durant sa course, mais elle n’en fit aucune mention, ni ne ralentit le rythme. Elle appartenait à cet endroit, à la manière d’un animal dont les instincts l’attiraient vers sa tanière. L’abri, oui. En ce lieu, les racines de cette terre indomptée transmettaient leurs pulsations mystiques dans la moindre feuille, le moindre fragment de roche, et cette énergie résonnait alors dans le cœur des êtres, ouvrant leurs sens en une violente et merveilleuse exaltation. Et l’on ne savait où tourner son attention tant la nature ici pulsait de vie, quand la lumière créait des cathédrales fluctuantes dans le berceau des arbres, au point d’en éprouver une douleur sourde, et une angoisse viscérale, comme devant une créature venant du fond des âges. Car le bayou Carouge demeurait aussi une conscience primitive. Son souffle se lovait dans les méandres des tourbières traitres, les souches pourrissantes, dans les cœurs des animaux et des enfants de la lune qui venaient s’abreuver de cette énergie sauvage.
Ce fut alors son nom résonnant sous le couvert des cyprès qui l’immobilisa enfin. Inna se retourna pour observer son frère avec une intensité nouvelle. Derrière elle se profilait la silhouette d’un immense gommier, dans l’ombre duquel se blottissait une vétuste cabane vermoulue, saturée par les mousses et les branches mortes de son protecteur. L’un comme l’autre semblait constituer le même être. Comme les contours géométriques de la construction se fondaient dans l’écorce sillonnée de crevasses de l’arbre, leurs bois colorés d’un éternel lichen verdâtre fusionnaient en une étroite symbiose, comme le symbole de l’impossible. Un mince filet d’eau croupie courait alors à leurs côtés, d’où émanait les chants de quelques amphibiens et le bruissement sec des roseaux bercés par une brise timide qui filtrait à peine au travers de l’épais rideau végétal enveloppant l’endroit. Inna désigna l’alcôve isolée du monde d’un geste ample de la main.

« Ab-bri ? » parvint-elle à articuler, à peine essoufflée par la course.

Le feu dans son âme s’était calmé. Il est sauvé ici, se convint-elle. Cette réunion tant désirée fit naitre un maelstrom d’émotions douloureuses, des élans d’amour, de sérénité et de désirs qui n’avaient alors aucun nom, car elle les avait tous oublié. Lui et elle devait être ici, nulle part ailleurs, voilà bien la seule chose dont Inna était convaincue. C’était le destin des siens d’être dans ce berceau inviolé des hommes, empli d’une force sauvage capable de panser des âmes flétries par les souillures humaines. Et d’un élan spontané, elle enserra à nouveau son frère dans ses bras, savourant l’odeur de ses cheveux emmêlés, et la texture rugueuse de sa peau grêlée de cicatrices animales. Au milieu de l’étreinte, elle ressentait enfin ce cœur semblable, et la chaleur d’un être dont elle ne voulait plus jamais supporter l’absence. Elle se recula quelque peu, tenant ses épaules entre ses mains boueuses, pour mieux scruter ses pupilles durant de longues secondes silencieuses.

« Autres ? »

Non, pas encore. Elle reconnaissait cette sensation suffocante. Ses traits se tordirent alors dans une expression étrange. Un mélange de perplexité et de douleur. Des bris de mémoire se mirent à vaciller dans son esprit, comme autant d’éclats tranchants qui blessaient tout son être. Elle tâchait de les saisir de ses doigts cerclés d’écailles, mais les souvenirs sautaient entre ses griffes, et s’évanouissaient dans un océan de souffrance muette. Non, je ne veux pas éprouver ça. Pourtant, Inna persistait encore. Elle rampait vers ce mince filet d’espoir filtrant à travers une jungle touffue de crocs et d’écailles soudées fermement les unes aux autres, sans en comprendre le sens, ni la raison de cette acharnement. En elle, une vérité ne voulait pas mourir. Quelque chose d’important subsistait dans les tréfonds du marais de son âme, et s’obstinait à nager vers la surface.

« Qui ? » demanda-t-elle finalement, d’une voix faible, étonnamment cassante venant d’elle.

Cette chose inoubliable était ancrée dans son être. Aussi fermement que ses instincts. Quelque part, elle le savait parfaitement. Dans les racines de son âme, cette réalité oubliée se démenait pour respirer, et dans sa lutte, elle éveillait malgré le poids des ans, ce vocabulaire tant honnie.

« Qui sont ? » Inna fronça les sourcils sous la concentration. « Personne ici. Sécurité ici. »

Ses mains ne savaient où se fixer. Elles suivaient fébrilement les contours du visage de son frère, se lovaient dans sa chevelure hirsute avec hésitation, tâtonnant sur cette chair familière pour s’assurer de sa présence. Puis, comme un oiseau en équilibre sur une branche cassante, les bras de la métamorphe désignèrent le luxuriant décor d’un mouvement ample, pointant du doigt une réalité que sa langue ne pouvait exprimer. Les mots de Rhys ne cessaient de rebondir dans sa conscience. Les autres, les autres. Comme une blessure ouverte impossible à panser. Un vertige la saisit. Inna recula de quelques pas, ses mains retombant mollement contre ses flancs, et ses grands yeux bleus se mirent à fixer sans raison apparente, la surface boueuse du cours d’eau asséché.
Tout autour d’eux, une tiède brise se leva. Elle remonta entre les troncs des hauts arbres délimitant le cercle de la clairière, et apporta la saveur âcre de la tourbe séchant au soleil. L’écrin de feuilles remua alors mollement sous la caresse du vent, comme la fourrure d’un immense animal attentif, à la respiration mesurée et à l’attention braquée sur les deux êtres nus au creux de son territoire. Des bruissements s’élevèrent d’entre les fourrés et, sous la fine couche de terreau moussue, la terre semblait se mouvoir à la manière de muscles roulant sous la peau d’une énorme conscience sauvage.

« Qui… » répéta toutefois inlassablement Inna, et les bruissements des insectes semblèrent imiter le crissements de crocs animales, comme un lointain ricanement.

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Sam 8 Mai - 0:02 (#)


L'expectative est comme une bombe dans le cœur, consume le sang et l'esprit avec l'ardeur d'une pointe chauffée à blanc. Mon visage n'exprime rien d'autre que cet espoir insensé et muet, qui vit là dans l'éclat d'un regard attentif au moindre signe, à la moindre expression. Finalement, dans un geste qui balaie les alentours et met à rude épreuve l'impatience qui m'habite, elle porte à mon attention un monde extérieur devant lequel ma conscience persiste pourtant à se dérober, glissant sur la réalité proche à la façon des gouttes sur le plumage d'un oiseau. Avec difficulté, je quitte des yeux les traits familiers de ma sœur pour chercher la réponse à ma question dans ce qu'elle me désigne. Qu'y a-t-il, là, qui détienne les secrets de ce qui a été perdu depuis longtemps ? Qui trahisse le passage d'une silhouette familière ou le timbre d'une voix connue ? Une seconde, mes yeux voient sans pourtant la percer cette nature tortueuse dont l'éclat vibre avec plus de force que de raison. Tout n'est qu'un amas de lumière et de couleurs, de verts et de marrons. À mes sens jouent les bruits de l'eau et la senteur de l'humus, du soleil et de la boue. Je hume un instant l'air encore frais de l'aube et mes épaules se hérissent d'un frisson inattendu. Là, les vestiges d'une ruine vermoulue se dressent dans l'écorce d'un tronc, semblent ne plus faire qu'un avec la mousse et marquer aveuglément le passage du temps. L'écho d'une respiration qui n'appartient ni à moi ni à Inna effleure la surface de mes perceptions avec le frisson de ce qui se devine à peine. Une fraction de seconde l'attention est distraite, les pensées sont égarées. L'ombre d'un mystère louvoie avec langueur entre les racines et les troncs, chatouille les orteils et laisse la promesse d'un vertige sur la nuque.

Et dans l'étreinte qui s'ensuit, il y a cette question muette qui jamais ne franchit les lèvres, s'insinue dans la poitrine et émeut le cœur, confondue avec l'odeur d'herbe et de vase de ma sœur. Une interrogation qui me laisse nu et vulnérable, désemparé devant cet écrin où aucun artifice ne peut exister, où les mots eux-mêmes peinent à trouver leur sens tant ils sont gauches face à la sincérité de l'instant présent. Sous mes doigts, la texture rugueuse des écailles tissées dans la peau. Contre ma joue, la broussaille emmêlée des cheveux d'Inna. Il suffit d'écouter pour l'entendre, cette force invisible qui radie tel un soleil, mais les voiles obscurs de considérations étrangères troublent la quiétude du lieu.

Elle esquisse un mouvement de recul et sur son visage fleurit la ronce d'une douleur qui sème la confusion en moi. Qui ? Une perplexité inquiète que mes propres errances reconnaissent comme étant ce mal qui ronge de l'intérieur, dévore avec voracité les idées, les pensées, les envies. Quelque chose qui tue la conscience et ne laisse plus qu'une carcasse vidée d'une part de sa substance, une vacuité qui conduit à un chemin d'oubli de soi-même et des autres. Une renaissance terrible où le repos se trouve dans l'abandon de sa propre essence. Où il n'y a plus rien d'autre que de se fondre, pas après pas, aube après aube, dans la simplicité d'un monde où les choses poussent, vivent et meurent, chassent et fuient. Où la pensée disparaît, et avec elle les souffrances associées.

Une peur primale m'empoisonne alors, l'angoisse de ces moments où on voit une fin arriver mais qu'on sait ne pouvoir éviter. Qui ? J'ai très bien entendu. J'ai très bien compris. Mes yeux vont et viennent rapidement dans les siens, tour à tour, comme pour y déceler quelque chose de caché, de faux, de familier... Quelque chose à quoi se raccrocher. Ma respiration se fait plus rapide, un frisson de chaleur remonte le long des flancs. J'écoute, figé dans l'instant, les rares mots qu'elle m'accorde, craignant presque de la faire fuir d'un geste trop brusque. Une béance s'ouvre à l'intérieur, ou plutôt remonte à la surface, déchirure qui donne l'impression de relier deux horizons tant elle semble douloureuse. Les pupilles dilatées, tout soudain paraît trop intense, trop vrai, trop puissant. Un afflux de sensations qui font presque mal, où le moindre insecte fait un bruit d'enfer, le vent gronde en un râle puissant, la terre craque de ce frémissement et même la sève qui pulse sous l'écorce des arbres se laisse percevoir. Une force qui magnifie tout, pour le meilleur et pour le pire, canalise des lignes primordiales comme pour saturer l'essence de toute chose faite de pierre et de bois, d'instinct et de terre.

Il y a, dans l'atmosphère, une rébellion qui hurle en silence, l'outrage d'une force muselée qui dans un élan de furie ordonne qu'on la libère.

Je m'approche d'elle avec la précaution d'un chagrin qui menace de déborder, à la façon du vent qui n'ose trop secouer les corolles de fleurs fragiles. Le tranchant des brins d'herbes sur la plante des pieds est comme autant de petites aiguilles. Il y a la peur qu'elle disparaisse, l'effroi d'une promesse inattendue qui soudain paraît sur le point de s'effondrer. En moi-même l'urgence tire ma propre conscience hors des sables dans lesquels elle s'était engluée, fébrile.

_ Inna... »

La tête un peu penchée en avant, comme pour quêter son regard par en-dessous, je prononce son prénom, cherchant à raccrocher ses pupilles dans les miennes. Lentement, d'un geste qui se veut d'une douceur bienveillante, je pose une main aux doigts déformés et trop souples sur son avant bras. Je tremble. Mon esprit traverse cette tempête intérieure en excisant tout le reste : les couleurs et la vie, les bruits et les instincts. Je ne reste plus focalisé que sur une seule et unique chose : elle.

Tirant légèrement son bras vers moi, je prends ses doigts entre les miens, cherche sa chaleur de la mienne et presse sa main contre ma poitrine. Mes yeux à mi-chemin entre le vert et le doré brillent d'un éclat humide où se lit un maelström d'émotions contradictoires.

_ Les autres. Tu sais, tes frères, tes sœurs. »

Le cœur bat à toute vitesse, autant qu'il y a quelques minutes lorsque j'ai cru qu'Inna allait m'annoncer la présence des autres. Il en bat à s'en rompre.

Ma main libre vient se poser sur sa joue, essuie avec tendresse un peu de saleté.

_ Thomas... Et Méliné... Lévon aussi. Olena, Vahik... »

Les visages reviennent, des souvenirs qui sont comme des braises sur lesquelles on souffle pour les voir danser entre les morceaux sombres de charbon de bois dans le creux d'une cheminée. La dernière fois que j'ai prononcé ces prénoms, c'était il y a une éternité. La gorge est rauque, la cage thoracique se crispe dans une tentative de contenir un flot profondément enfoui.

Les mots brûlent, la mémoire asphyxie. Je ne saurais même pas me souvenir de la couleur des yeux de chacun.
Une culpabilité terrible, celle de les rendre à Inna alors qu'ils ne sont plus là, et chaque nom me fait comme mourir un peu à l'intérieur.

Mon regard décroche du sien, accablé par un poids qui imprime un peu plus encore sa marque, perdu dans des paysages que seuls eux peuvent voir. Je ne peux pas céder, pas maintenant alors que mes instincts me hurlent ce danger que je perçois. La voix se fait plus basse, un chuchotis, presque un murmure porté aux esprits par le vent. J'énumère, un à un, leur formes sauvages, bien plus parlantes que des mots.

_ Tu te souviens ? Tu te souviens hein ? »

Une incertitude terrible qui infiltre le doute jusqu'en moi. S'il Inna n'était pas là pour s'en souvenir avec moi, comment cette réalité pourrait-elle valoir plus qu'un mensonge vidé de toute substance ?

_ Kaidan. Tu te rappelles sa forme ? »

La figure d'un cochon sauvage s'imprime sur mes rétines. Une vérité qui transperce les nerfs, la chair les os. Ils sont morts. Ils sont tous morts. J'essuie mes yeux d'un revers de la main, je redresse la tête. Dans mon regard, il y a de la colère, une révolte, la sédition. Tout au fond de mes deux yeux, il y a l'éclat d'un chaos prêt à faire brûler un monde entier pour lui arracher ce qu'on nous a pris.

_ May Archos. May et ses baleines. May et ses vieux chants. Et la mer. La mer ! Bleue et salée, avec des poissons... La mer Inna... »

Je n'en connaissais pas tant de ses pérégrinations avec la matriarche, mais je sais, dans le fond, que c'est quelque chose de précieux. Et tout, à l'intérieur, lui hurle reste avec moi.




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Sam 22 Mai - 14:49 (#)



Nommer les êtres, les éveillait. Dans les tréfonds de la tourbe, dans les limbes d’un oubli tendre et naturel, demeuraient assoupies ces consciences éternelles, fourrures ternies et crocs émoussés, qui n’existaient désormais que dans la mémoire des sages, les chants entonnés du bout des lèvres, et le souffle lent émanant du ventre de la terre. Celle-ci bruissait de ces milliers d’apparitions séculaires, évoluant aux frontières de l’imaginaire, innombrables plumes, écailles ou duvet recouvrant les flancs d’un dieu séculaire, et qui brillaient de couleurs passées à chacun de ses mouvements, des éclats fugitifs aperçus à l’aune d’une vision. Et les nommer ainsi, revenait à toucher du doigt le sacré, en provoquant une ridule sur une mer sans fond, la caresse sacrilège sur une échine sauvage, et l’éveil sans lendemain d’une force dépassant de loin la compréhension humaine.
Les noms renfermaient une folle puissance. Inna le savait. Une vieille âme le lui avait enseigné, jadis. Qui ? se répéta-t-elle en son for intérieur, et elle ressentit toute la violence de cette question. Cependant, elle l’énonça à voix haute, dans cette alcôve cachée du monde, en saisissant consciemment toute l’ampleur de son acte. Aussitôt, les bruissements des feuilles devinrent murmures, les clapotis des eaux, des narines flairant un appel invisible, et les herbes se hérissèrent avec hargne, comme le dos d’une bête sauvage. Elle continua pourtant, tant bien que mal. Elle perçut au creux de ses sens, les cliquetis des écailles, et les frottements des crocs, comme les échos des innocents couraient alors dans les nœuds des arbres, à la manière de fluides vitaux traversant les veines d’un être invisible.

Elle l’aimait tant.

Tous. Ceux sans voix, comme celui de chair en face d’elle. Les noms n’éveillèrent rien d’autre que d’autres échos passés, des silhouettes animales apparaissant dans sa mémoire aussi bien que dans les jeux des ombres sous la voûte des chênes. Le cœur d’Inna s’affola. Ces battements résonnaient dans son torse, à la manière folle d’un prédateur à la course, et qui voyait à la périphérie de sa vision des formes et des couleurs défiler, formant des êtres immatériels et translucides. Des serres et des antennes, des iris jaunes et des zébrures noires, des dos d’écailles ou de fourrures, qui convulsaient et s’éveillaient, à la manière d’un banc de poissons innombrables, dessinant un être sans limite. Elle les ressentait dans les sillons de la boue sous ses pieds, dans les senteurs de magnolias filtrant au travers des frondaisons, et le bourdonnement des insectes autour d’un animal mort.

Il l’aimait tant. Ils l’aimaient tant.

Tous étaient avec elle. Inna n’avait jamais été perdue. Dans sa chair torturée par l’humanité, celle-ci ressentait alors les souffles, et les caresses, les touchers et les ronronnements sauvages des absents, qui se lovaient dans l’étreinte du bayou, et autour d’eux. Les siens étaient avec elle. Inna parvenait presque à les toucher à présent, à leur parler directement, il ne lui restait qu’un dernier effort pour communier avec eux. Comme elle l’avait tant voulu. Comme elle l’avait toujours désiré. Et qui avait vraiment besoin de noms pour s’en souvenir ? Qui avait besoin de mots pour les ressentir ?

« Ici ! » déclara-t-elle, d’un timbre trop rapide et brisé par l'émotion, en ouvrant ses bras pour montrer à son frère perdu toute ce refuge merveilleux, immuable.

Elle l’aimait tant, lui aussi.

Ces noms, ces noms. Ceux-ci éveillaient tant de choses. Comme un conte murmuré d’une voix chaleureuse et mélodieuse, autour d’une veillée chamanique, dont le timbre profond attisait les braises d’un feu oublié. Ceux d’esprits des temps passés, une éternelle famille.

« Non… » Et la main d’Inna remonta en tremblant dans sa chevelure désordonnée, croûtée de vase, tandis que sous ses mèches sales, ses yeux humides cherchaient un secours qui n’existait pas.

Les mélodies les entourant allèrent crescendo. Les chants des créatures dissimulées dans les fourrés devinrent hurlements cacophoniques, se mêlant aux branches courbées qui touchaient le sommet des roseaux, comme la cage thoracique d’un énorme animal. Aux abords de la clairière, l’ébauche d’un grondement d’avertissement monta lentement depuis les craquements des troncs asséchés par le soleil, jusqu’aux chants des amphibiens sous la surface des eaux, qui se mêlaient violemment en un chœur exubérant, assourdissant de vitalité. Quelque part, derrière le rideau des hautes herbes, des souches craquèrent brusquement, et la terre elle-même parut gémir à son tour, comme si une énorme masse invisible écrasait la boue molle, en décrivant des cercles scrutateurs autour d’eux.
Ces noms eux-aussi, allèrent crescendo dans la mémoire en miettes d’Inna, une violente marée qui soulevait l’écume de souvenirs tassés dans son subconscient, et sublimait de couleurs trop vives des formes oubliées. Mais ils sont là, se conforta-t-elle. C’était la vérité. Tout comme le bayou ne pouvait mentir en la confortant dans ses bras de lierres, lui racontant à son tour, avec la voix de May, des contes que nul ne connaissait plus, la métamorphe était incapable de tromper. Elle les voyait tous. Dans les dessins de la vase, elle y observait la forme du sanglier de son frère, son odeur et son souffle qu’elle était presque capable de sentir. Elle voyait la forme du jaguar, tout autant que le lynx, et bien d’autres encore qui répondaient à ces noms humains, alors devenus bien inutiles à ses yeux.

Dans la chair du crocodile, caressée par l’étreinte du bayou, s’inscrivait ce lien immatériel, que célébrait les chants d’une vieille chamane, une chaine de sang et de souvenirs. Et Inna avait ouvert encore davantage chaque jour les yeux, en découvrant ici cet autre esprit sans nom, là cet oiseau qui n’existait plus, tant de merveilles des âges passés qui affleuraient depuis un monde lointain. Elle était presque parvenue à les toucher. À les sentir l’effleurer à son tour, cette immense famille qui se passait bien des noms, ou des dénominations puériles humaines, et que le bayou lui apportait avec une authentique simplicité, une compréhension muette qui renfermait absolument tout son univers.

Alors, pourquoi ressentait-elle désormais le besoin de pleurer ?

Inna leva finalement ses yeux hagards vers son frère, celui fait de chair et d’os, qui persistait encore dans un monde, dont elle avait cru pouvoir se débarrasser. Elle l’observa avec tendresse et une boule douloureuse se forma au creux de sa gorge. Comme elle avait tant de choses à lui montrer ! Mais ces mots demeuraient coincés dans ses entrailles, eux si limités, si incapables d’expliquer une évidence qu’elle s’était tant échinée à comprendre, et à leur montrer en vain des années durant.

« Mais ici… ! » Et sa voix se brisait, autant de chagrin que de difficulté à s’exprimer. « Là, ils sont partout ! »

Elle l’aimait tant. Le bayou l’aimait lui aussi.

La vision des immensités marines percuta brièvement sa conscience, et son souffle en fut coupé, tant les couleurs étaient si vives, les senteurs d’iodes et de sel puissantes, comme injectées dans sa tête par une main extérieure. Et cette conscience lovée autour d’eux, à la manière d’un félin blotti dans son terrier, de la bercer à son tour, la déchirant plus encore entre deux mondes si distants.

« La mer… Mer, oui. La mer… » répéta-t-elle en marmonnant, et son buste fut soulevé de hoquets, comme si elle commençait à manquer d’air.

Elle l’aimait tant. Cette mer.

Grisée et tiraillée, Inna recula avec hésitation, tandis qu’un rayon de soleil balaya son teint sale au travers des frondaisons mouvantes, et demeura immobile, le regard perdu vers l’épaisseur verte qui les enfermait tous deux, dans une étreinte étrange. Elle demeura longtemps ainsi. Ses pupilles bleues de mer fixaient un horizon lointain, sans existence tangible, absente momentanément de cette réalité comme elle l’avait fait tant de fois dans son enfance. Et le bayou Carouge continuait à se mouvoir tout autour d’eux, à la façon d’un prédateur attentif, les prenant au centre d’un maelstrom déferlant de vie palpitante, douloureusement magnifique.
Les lèvres d’Inna se mouvèrent sans bruit. Des mots naissaient et mourraient sur sa langue, tout comme les étincelles de vie sur le dos d’un dieu animale, et si son corps humain demeurait statique, la lumière filtrant à travers l’écrin de verdure, révélait autre chose. L’on vit alors sous cette peau humaine croûtée de boue, les dessins des écailles remuer à nouveau sous l’insulte du soleil, et des excroissances reptiliennes dévaler les courbes de son échine. Des bosses remuèrent puis disparurent sous sa peau, des couleurs sombres fleurirent avant de mourir sous ses cheveux, et sa mâchoire se déforma brièvement, éphémère illusion improbable sous la clarté d’une astre intolérant.

Comme révolté, comme tirant sur ses chaines, comme désirant s’abandonner ici et maintenant dans le giron tendre de ce marais, le crocodile se débattait alors sous une gangue de chair humaine. Comme inconsciente de la lutte en elle-même, Inna se mit à déambuler au hasard, effleurant les herbes parfumées de ses mains déformées par des spasmes osseux, sur ses jambes émettant de sonores craquements articulaires. La lumière naturelle jetait alors une clarté crue, comme réprobatrice, sur ce spectacle interdit par les lois du jour, horrible contraste entre une mélancolie à peine humaine, et les saccades violentes d’un immense reptile.
Puis, elle se détourna, et Inna fixa de nouveau son frère, d’un œil au bleu profond, tandis que l’autre apparaissait d’un jaune reptilien, à la pupille fendue. Derrière elle, une rumeur semblait croitre avec la brise sauvage qui se faufilait au travers des mares cachées, et des taillis parfumés de fleurs sauvages, à la manière d’une foule qui acclame, d’un dieu qui tonne ou d’une tempête qui s’éveille. Elle était sereine cette fois-ci. Elle savait quoi faire. Le bayou Carouge l’y encourageait.

« Rhys, viens. »

Le vent murmurait alors une douce complainte. Ses bras se lovaient autour d’eux, mais surtout aux côtés de son frère, qui échappait encore à l’étreinte pourtant naturelle d’une conscience immense. Celle-ci ne mentait pas. Celle-ci offrait simplement la place qui leur était dû à chacun d’entre eux, un refuge chaleureux autant qu’une prédation animale, définitive, la violence d’un oubli salutaire face aux tourments qui les rongeaient.

« Ici ils sont là. Reste avec moi, reste avec nous… »

Dans ces entrelacs d’écorces, de senteurs enivrantes, et de mille autres cœurs battant à l’unisson, les mousses mêlées aux branches des gommiers semblaient dessiner les motifs géométriques d’une gueule bardée de crocs. La délicieuse brise apportait en même temps ce souffle empreint de vase, en soulevant les rideaux de buissons, au rythme d’une ample respiration. Quelques insectes s’éparpillaient dans l’air, créant des motifs impalpables, éphémères illusions de formes évoquant des animaux, des esprits sauvages, à la fois si familiers, et si étrangers aux leurs, des promesses d’innombrables enseignements mystiques.

Inna s’avança vers son frère, le regard encore perdu et larmoyant, où toutefois subsistait un espoir. Elle lui apprendrait à communier. Elle l’aimait tant. Le bayou était prêt à l’aimer lui aussi.

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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
Rhys Archos
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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

Dévorer le jour [Inna] S83t

« Wild men who caught and
sang the sun in flight,
And learn, too late, they
grieved it on its way,
Do not go gentle
into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
Ivresse sur voie publique ;
Expert du pistolet à clous ;
Vol de voitures ;
Briseur de vitrines ;
Bagarres ;
Vol de poules ;
Thème : /watch?v=L7a8hmoOsx0
SOONER OR LATER
YOUR HUMAN SIDE LOSES.
IT HAS TO

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Mar 22 Juin - 4:18 (#)


Il y a une part d'impuissance.
Une part de peur.
Une part de colère.

J'aimerais la secouer, lui crier son nom, percer ce voile étrange qui toujours s'est posé au coin de la conscience et dans les gestes, mais jamais avec autant de prise qu'en ce moment même. Si je lui hurle le nom secret des choses, est-ce qu'il la tirera de ces eaux troubles dans lesquelles son esprit navigue ? Ou sera-t-elle éventrée par la contradiction de deux réalités qui s'opposent ?

Mon essence est tout entière tournée vers elle, attentive au frémissement qui la parcourt, à ces mots silencieux qui tremblent en sa carcasse et qui ne s'expriment qu'en silences déconstruits dans la lumière du jour. Mes narines hument l'air frais du matin, fouillent les effluves de tourbe et de vase à la recherche d'une réponse, explorent le rance d'une décomposition omniprésente et pourtant agrémentée du parfum délicat des fleurs.

Il y a, là, la forme d'un instinct qui se tortille et ruse, courant d'air indolent qui quelques fois s'ébroue. L'intuition animale frémit sur l'échine, s'éveille sous la caresse d'un rayon de soleil aux allures de mise en garde. Le vent bruisse et enveloppe, appuie ces idées que seules les bêtes saisissent et que les mots sont impuissants à décrire. Le tout se mélange : ma sœur, le vent, l'instinct. Un frisson dans les flancs, ma conscience tente de déchiffrer ce qui s'exprime, ce qui vit dans le bourdonnement d'une nature où un million de voix se font entendre, depuis les pas invisibles des fourmis jusqu'à la silhouette lointaine des aigrettes dans le ciel.

J'aimerais lui dire. J'aimerais lui dire que je n'en sais rien, que j'ai aucune foutre idée de ce qu'il se passe et de pourquoi tout se termine comme ça. Où sont les autres ? Ceux-là même dont j'use le nom pour les rappeler à nous ? Je ne sais pas. Je ne sais pas. L'évidence creuse ma poitrine en un vertige fiévreux, j'ai sur la langue le goût amer du mensonge. Et ensuite, qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je lui dis ? La simplicité d'un esprit encore pétri d'instincts dominant une raison molle me laisse coi face à la situation, observant sans comprendre ce qui forme un caillot insoluble. Elle est là, pourtant il me semble qu'elle me glisse entre les doigts.

Tu t'en rappelles ? Dis, tu te souviens de ces gens qui n'ont plus de sens que ce que nos souvenirs leur donnent ? Ces visages désagrégés, figés dans quelques mimiques et moments bien précis qui s'impriment là-dedans, associés à la chaleur d'une odeur ou à la texture d'un son ?
Tu sais, ces gens qui n'existent plus. Ces gens qui sont morts. Qu'on évoque pour convoquer la chaleur de la mémoire mais dont le nom commence à sonner fatalement creux ?

Et il y a cette fureur, sous-jacente, qui enfle et se désintègre dans le mouvement perpétuel d'un quelque chose d'étouffé, de jamais véritablement exprimé, et qui s'effondre avant que ça ne voit jamais le jour. Une angoisse, sournoise, qui se dilue dans les eaux en un courant dense et opaque, une encre depuis laquelle rien ne filtre si ce n'est cette vibration sourde et mauvaise qui annonce la bile et le fiel. Je suis comme la mer, qui hurle à l'aveugle contre ses propres parois, contenant et contenu. Une force sauvage qui s'ébroue, forcenée, à l'encontre même de l'existence, sans plus saisir ni le pourquoi ni le comment, mais qui n'espère rien d'autre que de rugir assez fort pour briser les pieds d'argile du colosse Civilisation et en faire basculer sa réalité.

Prise dans les rais d'une lumière encore fraîche et fragile, la silhouette contrastée de ma sœur se détache dans un tableau d'une singulière composition. Je n'ose l'interrompre, tant ses gestes incertains paraissent éphémères. Et pourtant, un battement de cœur plus tard, c'est un phénomène surréaliste qui s'imprime dans le fond de ma rétine alors que ses chairs mutent, inversent un processus interdit par le Jour avec autant d'efforts qu'une marche champêtre sur une berge claire. Le claquement sec des os résonne dans l'atmosphère neuve de l'aube et c'est comme si elle se jouait du regard monstrueux de l'impitoyable Soleil. Les longues traînées végétales effleurent la cime de roseaux paresseux, bruissent doucement dans une ondulation qui accompagne son mouvement. Il y a, ici, un mystère sous-jacent, invisible et qui pourtant crie sans cesse sa présence. Une rumeur qui prend corps à l'instant où mon regard accroche le sien, mélangé et fascinant, lucide à un niveau qui m'apparaît soudainement. Une bouffée de chaleur remonte le long des flancs et sur la gorge, mes yeux perdus dans cette vérité qui transcende soudain les choses.

Je la vois.

Cette idée que seules les bêtes saisissent et que les mots sont impuissants à décrire. Bayou et bête, instincts et nature, coïncidant dans un tout qui dépasse la simple existence des choses. L’œil clair, l'autre doré, habitant deux formes à la fois elle se tient là, droite et magnifique, si forte et si tranquille. Terrifiante. Et elle m'appelle. Ils m'appellent. Le vent dans les arbres, le chuchotis des fleurs et la paresse du courant. Les grenouilles, partout, hurlent comme pour produire le contour d'un quelque chose de plus grand et plus massif, plus lourd. Une forme sauvage qui imprime son empreinte tout autour, rôde et gronde, s'exprime par le froissement luxuriant d'un millier des cris de la nature.

Le vent se lève, caresse bienveillante qui pourtant porte à mes narines retroussées le fumet rance d'une vase rauque bardée de croc et d'écailles. Un terreau impitoyable de mort où fermente la vie. C'est là, aveugle et saisissant, intangible dans l'esprit mais qui se laisse deviner à la frontière de la perception. Un vertige s'empare de mes sens quand mes yeux vont et viennent de l'un à l'autre de ceux d'Inna. Est-ce seulement encore elle ? Viens. Le monde autour se meut à son rythme, appuie ses mots, comble ses silences. Les odeurs, soudain, ont un sens. Les couleurs, les sons, le goût du limon qui se dépose sur la langue, ils ont tous un nom, une forme.

Ils sont là. Poussé par cette conscience lovée autour de nous, impossible de reculer. Reculer, pourquoi ? Viens. Le rythme de ma respiration se fait plus rapide, moins contrôlé. Par réflexe, je mime un non de la tête, le poil se dressant de plus en plus face à ce qui se trouve ici, formidable et cruel. Ils se dessinent, ils chuchotent, les noms et les formes. Inna s'avance, je me raidis. J'ai peur. Peur ? D'elle ? De Ça ? De voir cette vérité qu'on semble avoir connue depuis toujours mais oubliée sous les sables de l'érosion ? Plus rien ne va, tout est trop clair. J'entends le rythme lent et puissant de la sève qui pulse, des cœurs qui battent, du sang qui circule. Une surcharge des sens et de la conscience, une ouverture qui ne promet rien de plus ou de moins que ce qui a toujours été à nous, pour nous, en nous. En nous. Je le sens à l'intérieur, ça bat en même temps que mon cœur. C'est comme de faire partie d'un tout, être un petit morceau qui s'est détaché et a oublié, qui soudain se voit rappelé par l'aspiration du flot d'un fleuve si grand qu'on n'en voit pas les bords. Un fleuve dans lequel se dissoudre, abandonner tout ce qui peut l'être et toucher du bout des doigts ce qui existe après la réalité. Je me tiens la tête, tente de maintenir celle-ci comme pour l'empêcher de tomber. Un poids qui abat, affaisse les épaules et la nuque.

Tout s'aligne en ce lieu. Étrange instant où l'irraison tente de se dérober à son contact mais que l'instinct réclame. L'humeur suinte de toutes ces pensées contradictoires comme une tentative de purge, ou comme une brûlure au toucher d'un quelque chose de trop pur. Je sens, déjà, la main et l'avant bras droits qui me font mal de l'intérieur. Tout autour, la canopée respire, un monstre qui coule en moi, en nous, et qui ne nous balaie pas uniquement parce qu'il prend garde à ne pas nous marcher dessus. Je le sens, qui réagit presque à la direction de mes pensées. Ce sont là ses entrailles, sa cage thoracique ou peut-être même sa gueule. Et une promesse, terrible, meurtrière. Une intention qui peut nous sauver, mais où nous ne serons plus jamais les mêmes.

Je relève les yeux vers Inna. La fuir n'a pas de sens, est contraire à tout ce que me hurle mon âme. Mais plonger dans tout ça ? Se faire avaler par cette vibration prédatrice et tranchante ? En ce moment plus qu'en tous les autres, je suis déchiré par la terrible réalité qui nous est offerte, une réalité douloureuse et qu'il est si facile de fuir : celle du choix. Quelque soit le côté, quelque chose va mourir, et Inna semble au-delà d'une frontière que la simple idée de franchir me terrifie.

_ Il y a... Trop de bruit. Trop d'idées... »

Mon cœur s'accélère. Raisonner devient de plus en plus confus, pressé de toutes part par une chose dont la simple respiration met à l'épreuve ma propre psyché. Parce qu'elle est puissante, mais aussi peut-être parce qu'y faire face c'est s'affronter soi-même. Toutes  ces traces d'humanité, toute cette souillure, tous ces travers induits et qui ne sont pas normaux. Tout ça semble sur le point d'être soufflé, comme s'il suffisait de le vouloir pour que l'ensemble soit balayé mais que des attaches trop profondes y faisaient encore obstacle.

Dressé là à une distance d'un demi bras d'Inna, mon regard se heurte à cette sérénité tranquille qui perce derrière les larmes, émane d'elle avec une certitude aussi solide qu'une rivière coule. Mais je n'ai pas cette force, ce placide à la patience infinie. Le feu roule sous ma peau et dans mes veines, un élan bondissant qui ne demande qu'à courir pour ne jamais s'arrêter.

_ Je veux pas mourir. »

Mais quelque chose sonne faux. Ce n'est pas la formulation correcte, ce n'est pas...

_ Je veux pas...Disparaître. »

Les mots sont quelque peu distordus, difficilement trouvés. Quelque chose ne tourne pas rond. Je le sais. Ça irradie tel un soleil d'incohérence. Devenir soit, disparaître ? La phrase a le goût acide d'une faiblesse mal assumée, mais l'esprit a du mal à le percevoir. Sous la peau, les muscles grondent, ondulent presque une seconde, mais je suis loin de cette libération entreprise par Inna.

_ Est-ce que tu les entends ? »

L'odeur des pins et des cèdres chatouille mes narines. Le vent parle à mémé. La phrase prend soudain tout son sens, prononcée par une sœur qui n'est plus. Et mémé lui répond. Un pas en arrière, j'essaie de m'arracher à cette emprise, mais c'est comme s'amputer soi-même. Elle est là. Elle est là j'en suis sûr. À côté de toutes ces formes que je reconnais et toutes celles qui me sont inconnues. Je n'ose pas prononcer son nom mais l'adrénaline et l'appréhension se mêlent alors que je tente de deviner ses contours dans le jeu de lumières des feuillages, sur le motif des écailles du crocodile ou dans le bruit de la boue qui clapote. C'est elle. C'est elle.

Je chuchote alors, à destination d'Inna, une certaine incrédulité dans la voix. De la crainte, aussi, peut-être, et très certainement de l'espoir. Je cherche une réponse dans ses yeux, une vérité, un secret.

_ Est-ce que tu entends Wanda ? »




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Ven 2 Juil - 15:13 (#)



Toutes ces voix affluaient en une seule. Un chœur flamboyant de murmures. Comme un mince filet d’eau invisible, le cri silencieux louvoyait entre les ramures ensoleillées des arbres, les tiges lestes des roseaux, et s’infiltrait dans la boue, en remontant dans les veines des êtres égarés dans le bayou. Son essence saturait les cœurs d’un chapelet vivant, et bruissant d’échardes de couleurs, de rires et de souffles, des chants millénaires comme une cacophonie d’appels sauvages, auréolée d’une corolle de serres, d’écailles, de crocs, et de milliers d’autres couleurs vives. L’œil du bayou fouissait dans les entrailles des bêtes conscientes, en éveillant leurs instincts venus du fond des âges, qui dévalaient alors leurs cœurs comme des forces insoupçonnées, une férocité endormie depuis trop longtemps.

Tu vois, maintenant. Et elle lui répondit. Je vois.

Une noyade sous un torrent d’écailles. Celles-ci remontaient contre sa peau hâlée par le soleil de la Louisiane, comme des vagues dévorantes qui cherchaient à déraciner des mollusques parasites. Elles mordaient ses traits dévastés par une tristesse indicible, en provoquant cette lutte au sein de ses os, de ses muscles tendus, et chuintaient un avertissement à la face du soleil. Un œil d’or et un œil bleu. Deux facettes oscillant entre les serres d’une entité invisible, monstrueuse et majestueuse présence qui se moquait bien des règles du jour, en jouant des liens mystiques qui enchainaient sa fille à une soif d’amour. Et sa bouche murmurait ces secrets habilement cachés dans la vase, et sous l’écorce des pins, comme une douce sérénade pour attirer les enfants errants encore dans la crasse humaine.

Je ne suis plus. Et elle eut la sensation de se noyer pour la toute première fois.

Un être immense cascadait dans son ventre vide, se répandait dans ses artères distendues, injectait dans ses membres une force démesurée, à la manière d’un fantasme né d’une transe chamanique. Il crevait les limites d’une surface interdite par le dictat du soleil, réveillait le crocodile assommé par la chaleur du jour, et réduisait les souvenirs humains à un frêle germe d’idée, à peine l’ombre d’une vie. Qui était-elle, à cet instant ? L’œil bleu contre l’œil d’or. Qui vivait alors dans ces prunelles jumelles, et ravivait une force terrible ? Des mâchoires souriantes à l’extrême, tel le sourire à la fois hilare et terrifiant d’une nature détentrice d’un secret écrasant, qui se cachaient derrière une tignasse où la boue avait avalé l’essentiel de sa couleur doré, tout comme le reste de ses traits.

Inna tendit le bras vers son frère. « … disparaitre. » résonna avec une acuité étonnante dans l’alcôve secrète du crocodile, comme si les gommiers s’étaient rapprochés pour créer le centre d’une crypte, ou bien la vaste poitrine d’un fauve. Les aigrettes semblèrent ainsi reprendre le mot à la volée, criant ces syllabes hésitantes au chœurs des crapauds, qui le renvoyèrent dans l’agglomérat insistant des insectes, en une foule d’échos terriblement railleurs et infinis. De frêles jeunes pousses furent agitées d’une soudaine brise aux senteurs florales et putrides à la fois, les cimes des arbres bruissèrent alors simultanément, et toute la clairière fut parcourue de cet immense rire invisible.
Un son lui répondit alors. Le bras tendu d’Inna fut accompagné d’un murmure à la force croissante, qui semblait naitre d’elle, de nulle part, et de partout à la fois. Un incompréhensible condensé de voix sauvages, qui se muèrent alors en un charivari de mots inconnus, de rugissements bestiaux, de croassements, et de milliers de chants animaux. Tel un insupportable faisceau de bruits émanant des entrailles de la terre, ses harmonies impossibles saisissaient les sens d’un torrent de sensations vives, allant du malaise au bord de la folie, d’un doux réconfort, à un amour insurmontable. Puis, la note mourut lentement en se mêlant naturellement dans la clameur de la clairière, laissant les créatures pantoises et sonnées, avides comme effrayées de connaitre les autres secrets de cette conscience.

Je ne sens rien. Et il lui répondit. Tu sens tout.

Inna l’entendit sans même en conserver le souvenir. La fille du bayou flottait au loin à cet instant, dans cet état de semi conscience, propre aux rêves ou aux transes. Le chœur tumultueux des voix sauvages la berçait encore, croissant et décroissant, des ridules évanescentes dans une mare d’eau calme, où perçait de temps à autre la familiarité d’un souvenir. La réalité se confondait alors dans ce tourbillon opaque, comme les paroles de son frère heurtaient celles, anciennes ou récentes, des autres innocents peuplant les veines d’un dieu inconsistant. Des filaments de sa mémoire filèrent au milieu de ce flux puissant, des nuances brillantes et fugaces, les éclats d’une vie révolue où résonnaient les restes d’autres Archos, avant d’être balayés par le courant inextinguible.
L’œil d’or contre l’œil bleu. L’éclatement d’une bulle d’air à la surface d’une eau trouble. Un instant de conscience momentané, où une voix aux accents chaleureux effleura les pensées d’Inna, et chassa quelques secondes ces millions d’idées grouillant au travers d’elle. « En les oubliant ainsi, tu t’oublies toi-même, tu te fais alors du mal, et tu leur fais du mal. » Cette dernière balayait soudainement la clameur des insectes, et les hurlements du vent, une auréole de lumière au travers d’une frondaison étouffante. Les écailles furent soudainement saisies d’un frisson, tout comme l’œil d’or tressauta, et son bras retomba mollement contre son flanc, avant que les soubresauts nerveux ne revinrent parcourir ses muscles. La brise enfla à nouveau comme le sifflement contrarié d’un être immense, faisant osciller les joncs et gémir l’écorce des arbres, tel le grincement de crocs imaginaires.
May. Je m’en souviens. Et à l’intérieur d’Inna, des souvenirs déferlèrent. Des cimes blanchies par la neige, des lacs aux flots d’azur dissimulés aux creux des vallées froides, les senteurs des écorces de forêts de pins, et les innombrables joies d’une époque révolue. Des rires autour d’un feu de camp, jusqu’aux timbres rocailleux de ses frères, les murmures amusées de ses sœurs, et ses figures, oui, tous les visages des Archos. Aux paroles de May succédèrent celles de Lavinia, dont les mots acérés avaient toujours su résonner avec un tranchant redoutable contre les écailles de sa sœur. « On dirait bien que les crocodiles ont du mal à voir ce qui est sous leur museau. » Et le choc n’en fut que plus rude. Inna chancela dans la lumière croissante de l’aurore, tandis que ses mots à elle s’étranglèrent dans sa gorge, et qu’un soudain accès de faiblesse balaya ses membres distordus.

« Je ne sais pas, je ne sais pas, Rhys. »

Et cette éternelle culpabilité de l’étouffer à nouveau. Celle-ci revint, emportée elle aussi avec le flot de sa mémoire, comme un radeau d’amertume où se cramponnait une horrible incompréhension. Le sentiment d’avoir une fois échoué une nouvelle fois. L’échec douloureux d’un animal incapable de comprendre la logique des humains, et les besoins des siens pour survivre au milieu de cette crasse moderne. Elle les avait abandonnés. Inna avait échoué. Une nouvelle fois. En cherchant l’essentiel, elle avait laissé derrière elle, un autre essentiel, un morceau vital de sa propre identité.

« Je ne sais pas, je ne sais pas… » répéta-t-elle dans un mouvement de recul, éveillant encore de lugubres craquements osseux.

L’or mordait le bleu. Inna leva fébrilement ses mains devant ses paupières closes, et derrière celles-ci, se frayaient des apparitions désordonnées, où se mêlaient des souvenirs humains, et des visions issues du bayou sauvage. La réalité heurtait l’illusion. Le futur mordait le passé. Aux voix anonymes se substitua soudainement la voix de son grand frère, dont le nom de Kaidan flottait comme une bannière ployant contre un vent de démence. « Et si j’ai besoin de toi, est-ce que tu viendras ? » lui avait-il dit, quelque part dans un autre lieu, quelque part dans une autre époque, et le souvenir la heurta avec la violence d’une tempête, la laissant à bout de souffle.

« Je ne sais pas, je ne sais plus, » marmonna-t-elle, en chancelant.

Dans les tréfonds de la vase, une rumeur enfla comme une révolte muette, et les trilles des oiseaux devinrent furieuses pour y répondre. Les nuances d’ocre et d’émeraudes fluctuèrent à l’orée de la vision, des ridules troublèrent la mare croupie, tandis que chaque créature cessait tout mouvement, à la manière d’un immense animal qui se ramassait sur lui-même. Des frissons firent frémir la canopée au-dessus d’eux, faisant dévaler sur Inna et son frère, des parfums aux accents acides et affamés, un avertissement muet sous la lumière étrangement vacillante de l’aube. Les palpitations de la terre s’éveillèrent alors lentement, escaladant l’écorce des souches, un grondement inaudible qui résonna dans les racines des arbres, et remonta dans les os de la métamorphe à la dérive.

Je vois. Et il lui répondit. Juste assez.

L’œil d’or perdit lentement de son éclat. L’œil bleu chercha un secours pour exister. Inna ferma les yeux au moment où le nom de Wanda résonna dans ces lieux secrets, la frappant avec toute la violence d’une flèche en plein cœur. Quelque chose céda dans son âme. Une barrière éclata comme du bois sec, laissant se déchainer un torrent de visions successives, qui cascadèrent dans son esprit à la vitesse d’un esprit en fureur. Avec, en guise de rugissement, le vacarme d’une balle de pistolet. Les souvenirs d’un père. Les souvenirs d’une arme. D’une forêt lointaine, d’un corps sans vie, d’un frère en deuil, d’un frère en fureur, d’une saveur de sang, d’une odeur de mort, d’un chagrin intense.

« Non, elle n’est… » Et Inna fut incapable de terminer sa phrase, tant l’impact de la balle résonnait à ses oreilles comme si c’était hier.

Morte. Inna s’immobilisa soudainement. Un voile d’absence nimba ses yeux d’une couleur terne. Des convulsions coururent tout au long de ses membres, sans émietter sa posture patiente, et les écailles de ses épaules nues s’évanouirent sous la lumière du soleil. Un sifflement s’échappa de nulle part. Les prémices de la métamorphose interdite s’évanouirent dans un froissement doux, au milieu des hésitations d’Inna, des murmures désorientés s’échappant d’entre ses lèvres mi-closes.

« Non… »

Inna ferma finalement les yeux. Quelque chose d’immense se retira de son essence, laissant alors déferler les restes de sa mémoire, et le sentiment d’échec latent, de n’avoir jamais pu sauver Wanda. Ne n’avoir jamais pu sauver les Archos de leurs ennemis. De n’avoir jamais pu sauver quiconque.

« … Ils sont trop nombreux. »

Durant un court instant, elle s’évertua à s’ouvrir une fois encore aux innombrables échos peuplant le cœur du bayou, ces innocents qui vivaient dans le cœur de toute chose. Elle est là, sans doute, pensa-t-elle en levant la tête vers les feuilles, devenues scintillantes sous les jeux de lumière de l’aube.  Et cette frêle pensée la transperça d’un accès de souffrance, d’un tel chagrin, que ses jambes furent sur le point de céder sous elle. Aux sens d’Inna, les milliers de voix échangeaient leurs chuchotis aussi vite que des pépiement d’oiseaux, la laissant seule et désemparée, devant l’immensité mystique qui se dressait en un dieu d’écorces, de tourbes, et d’eaux troubles. Une myriade d’esprits courait dans les veines de la terre, ces indénombrables anciennes sagesses mêlées en un flux vertigineux, qui emportait à son tour le nom de Wanda, telle une feuille morte sur un tourbillon de montagne. Sa sœur perdue. Si loin, et si proche à la fois. Une particule d’or cascadant librement dans les flots tumultueux d’un torrent d’eau vive, et qui ne cessait d’échapper aux mains tremblantes d’Inna.

Mais… lui est là. Et il répondit. Oui.

Lui, son frère était encore vivant. Elle était encore capable de le tenir contre elle, de le toucher, de ressentir sa chaleur. Une sérénité invraisemblable l’envahit. Inna leva son regard bleu vers son frère encore hagard, apeuré par les secrets du bayou, et une vague de tendresse emporta les restes de sa culpabilité. Lui, elle pouvait encore le sauver. Le rattraper avant que le courant pollué des hommes ne l’emporte loin des siens, et ne l’abandonne à la poussière, tout comme Wanda l’avait été.

Je vois ce qu’il y a sous mon museau. Et elle hocha machinalement la tête.

À cet instant, une invisible masse se décolla de son échine, comme une chimère lévitant dans l’air frais du matin. Celle-ci se mélangea à nouveau à la poussière vermeil qui descendait des arbres, ou voltigeait depuis le sol, et les clameurs alentours se firent plus tendres, attentives, les inspirations lentes du bayou Carouge. De l’abandon de cette lutte intérieure, Inna ne ressentit ni amertume, ni rancœur, encore moins cette possessivité égoïste propre aux humaines, seulement un semblant de réalité retrouvée, et la certitude ferme d’une décision désormais acquise.

Elle inspira longuement l’air frais. « Rhys, tu as besoin de moi ? »

La terre frémit à cette question. Les bruissements des futaies imitèrent encore des accents hilares, mais la lutte était désormais terminée, elle l’avait deviné. Pourtant, Inna se trompait. Le bayou, lui, connaissait la vérité finale. Nulle lutte n’avait jamais existé entre eux. Elle appartenait à cette terre. Elle lui reviendrait, un jour ou l’autre.

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Rhys Archos
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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

Dévorer le jour [Inna] S83t

« Wild men who caught and
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And learn, too late, they
grieved it on its way,
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into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
Ivresse sur voie publique ;
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Lun 13 Sep - 1:52 (#)


C'est une certitude qui se dégage de la multitude, qui émane, floue, de ces milliers de filaments qui fusent dans l'écorce, les troncs, et forment la trame d'une réalité sous-jacente invisible, un voile que les yeux d'une matérialité morne ne peuvent percer. Un secret, chuchoté dans l'oreille directement pour l'âme, qui fait deviner aux sens la teinte discrète d'une couleur un peu différente dans ce paysage d'un camaïeu de verts et de bruns. C'est lever la tête vers le ciel nocturne et savoir que l'étoile qu'on cherche est là, probablement, peut-être, sans pourtant être à même de la distinguer explicitement et de la saisir.

Il y a cette folie grave qui tombe sur l'esprit, à la façon de ces plongeurs qui se jettent dans le creux d'un gouffre aveugle avec la lenteur d'un silence de mort. Une angoisse qui prend aux flancs avec la pression du froissement de la nature qui forme les allures d'un chœur. C'est une assemblée qui se dévoile, ou plutôt qui se révèle aux sens. Ils ont toujours été là. Et je perçois le malaise latent qui s'en dégage, d'être tiraillé entre le sentiment de découverte et l'impression d'un souvenir qu'on aurait oublié. Ne suffisait-il pas, après tout, d'écouter pour saisir les messages cachés dans l'envolée des oiseaux, l'odeur de tourbe ou le clapotis de l'eau ? Est-ce que nous n'étions pas simplement devenus sourds, avec le temps et l'éloignement ? Il y avait là la formulation muette d'une leçon à retenir, d'un point de vue différent et nouveau qui se défaisait des œillères mortelles apportées par une vie urbaine. Un enseignement qui, s'il n'était pas écouté, ferait de nous petit à petit des étrangers à notre propre héritage, stagnant dans une médiocrité de plus en plus immobile.

Suspendu aux paroles d'Inna, la compréhension se heurte à ce fil décousu qui semble sauter des mots et éluder ses pensées pour ne rendre qu'une idée partielle du sens qu'elle souhaite exprimer. Mes yeux vont et viennent, attentifs à ses réactions, à son langage corporel dans une tentative ardue de décrypter ce qu'il se passe. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine quand elle dit qu'elle ne sait pas. Sa présence semble si naturelle, au milieu du bayou, des gommiers et de l'eau trouble, que cette réponse fait vaciller un peu plus les fondations déjà fragiles d'un retour en trombe à la conscience. Avide de la suite, la formulation ne change pourtant pas. Elle ne sait pas. Elle ne sait plus. L'espoir d'obtenir une confirmation, de toucher au savoir d'Inna qui était sans conteste bien trop loin sur ce chemin qui me laissait farouche d'emprunter, coule soudain entre mes doigts. Si aussi distante et plongée dans l'instinct qu'elle en cet instant, si autant fusionnée avec ces choses desquelles peuvent jaillir le plus pur mais aussi l'oubli, si avec tout ça elle-même ne sait donner une réponse, comment moi le pourrais-je ? En mon fort intérieur la part la plus enfouie et sauvage refuse de lâcher prise, ou d'accepter qu'il puisse en être autrement. Wanda est là, elle doit l'être, quelque part si ce n'est en moi, en nous.

Emmené par cette idée et les sentiments confus de voir les hésitations et le vacillement dans les gestes d'Inna, la majeure partie de moi-même reste cependant concentrée sur ces frémissements qui la parcourent, prêt à la rattraper si elle s'écroule, persuadé qu'elle risque de céder à cette force mystérieuse et glacée qui s’imprègne en nous au moins autant que moi-même. Les vestiges d'une animalité marquant mon corps d'humain hérissent le poil sous l'effet d'un frisson, réflexe de défense face à ces présences invisibles qui nous entourent. Un feulement intérieur tente de les repousser, de les dissuader d'intervenir dans cet instant qui n'appartient qu'à nous et dans lequel tente de s'infiltrer plus, bien plus que ce que les mots peuvent définir.

Il y eu un instant suspendu, quelques secondes où le monde entier semblait libérer un souffle de soulagement paisible, mettant en sourdine la cacophonie harmonieuse des bruits alentours. Une fraction de temps, comme au sommet d'une colline, où il n'y a plus d'efforts à fournir ni pour grimper ni pour ne pas tomber. Un calme étrangement reposant durant lequel une sérénité contagieuse s'insinua en moi pour faire retomber quelque peu l'agitation.

Puis ses mots.

Des mots si fragiles mais capables de formuler en quelques labiales l'étendue de cette douleur contenue à l'intérieur en un océan de colère. Des mots soutenus par un regard duquel on ne peut s'échapper, qui ouvre en deux les fioritures humaines et touchent directement les choses de l'intérieur. Un instant décontenancé, définir cette vérité à voix haute tape dans cette vulnérabilité qui, même si on sait qu'elle existe et qu'on passe sous silence, n'en écorche pas moins l'intérieur avec acharnement. C'est une faiblesse pointée sur un cœur difficilement capable de mentir aux siens. La tentation farouche de qui ne connaît plus que la fuite et le déni pour assurer la survie. Mais il ne reste presque plus rien de cette fierté féline et stupide, celle qui affirme je suis assez fort pour tout et n'importe quoi quitte à s'en mordre les doigts. Il n'y a plus que ce manque destructeur qui a tranché chaque jour ces quatre dernières années, que le besoin maladif de retrouver la chaleur des siens, de disperser la solitude et la terreur de ne pas savoir si les autres existent encore.

Presque étourdi par cette somatisation, je ne peux qu'hocher vaguement la tête à plusieurs reprises, le regard à demi perdu sur un horizon qui n'existe pas ici et affirmer ce qui crève déjà les yeux.

_ Je veux pas rester tout seul.

Murmuré comme une confidence d'une voix rauque, c'est la faille la plus envahissante, la plus terrible, la plus meurtrière, et l'avouer fait descendre toutes ces barrières de défense qui se défient de cette caresse mystique, ancienne et lourde qui nous entoure. L'odeur de la boue et des végétaux en décomposition s'infiltre un peu plus loin en moi, y laisse sa marque, une trace comme un lien ténu mais présent.

_ Je suis fatigué Inna.

Une inertie profonde m'enfonce dans un immobilisme coriace, une tentation de se laisser éteindre ici et maintenant, de fermer les yeux et de ne plus se réveiller que quand le corps et l'esprit auront régénérés. Sur ma face aux traits déformés par les vestiges primaux d'une animalité qui n'arrive pas à disparaître, une lassitude dense comme le granit se laisse percevoir.

Avec une lenteur silencieuse, je clos la distance qui nous sépare, viens poser doucement ma tête contre son épaule, cherchant dans la chaleur de sa peau l'odeur familière cachée derrière les effluves animales du bayou, de la vie et de la mort. C'est un refuge inattendu, probablement le dernier qu'il me reste, et qu'hier encore je ne savais pas exister si proche de moi. Un refuge désespérément regretté pendant quatre années. Mes mains, tremblant presque de cette fébrilité pleine d'adrénaline, viennent timidement chercher celles de ma sœur pour les saisir, geste futile mais cristallisant le besoin de ne plus la lâcher. Blotti dans cette position à demi courbée - à demi monstrueuse - d'un corps déjà marqué par la rupture du cycle, hybride et désaxé, la scène avait un quelque chose de terrible et de beau à la fois : celle d'un monstre dans la lumière.

_ Je pourrais pas continuer si tu repars.

C'est difficile de lui demander de rester. Difficile d'accepter que la réponse puisse être non, que ses instincts la rappellent et qu'elle choisisse le bayou pour y disparaître. En cet instant, la lucidité léthargique qui était reléguée au fond de mon crâne avait la conscience aiguë et cruelle qu'il ne fallait pas grand chose pour que tout bascule. Mais douter d'Inna ? Douter qu'elle ne reste si je lui demandais ? Il y avait quelque chose de solennel dans sa question, et je sais soudain à quel point il n'y a plus rien qui soit à l'abri du doute.

_ Reste avec moi s'il te plaît. J'ai besoin de toi.

Inconsciemment, un ersatz de vibration lointaine s'échappe de ma gorge. Une parodie de ce qui est normalement, mais qui en dit plus long que les mots.
Quelques secondes passent, un laisser aller puissant contre elle où plus rien n'existe que cet instant de lâcher prise total. Je sens, tout autour, la présence du bayou grondant qui vit et vibre, traverse le corps et la conscience comme une main qui tâtonnerait à la recherche de quelque chose, mais ça n'est pas ce qui est important en cet instant.

Après un temps indéterminé, je relève la tête, comme émergeant d'une torpeur mal définie, papillonne des yeux et secoue un peu le chef.

_ Viens. Asseyons-nous. Ça fait... Si longtemps.

Il y a en mon sein la naissance d'une foule de questions, pointant le bout de leur nez à l'horizon de conversations qui prendront beaucoup, beaucoup de temps. Elles n'en demeuraient pas moins lointaines et ce n'était pas, en cette heure, le plus urgent ni le plus important. Je devinais la difficulté des mots dans la bouche d'Inna et laisse couler les choses naturellement. Il n'y a pas besoin d'expliquer, juste de profiter. Mais ces rouages d'interrogations ne disparaitraient pas tant que l'esprit ne serait pas satisfait.

Tirant doucement Inna par la main, je l'entraîne pour aller s'asseoir contre le tronc d'un cyprès tortueux, aux racines larges et aux branches tombant en une voûte majestueuse.

_ C'est quoi... Ça ? Pourquoi tu es là ? Et... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu vas bien ?

Le ça en question désignant l'endroit, la boue, les choses et ce frisson froid, parfois inquiétant, parfois familier, qui imprégnait l'endroit d'une façon bien trop appuyée. Pour sûr, ce qui se manifestait là me faisait peur, mais peut être moins que la réponse à ma dernière question.




Adopte ces beaux scénarios !
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Ven 17 Sep - 22:41 (#)



L'L’accalmie vint avec la force inexorable d’une marée montante. Comme la lumière transperçant les frondaisons verdoyantes des arbres, l’œil de la tempête avait cessé de scruter à travers eux, et son attention, sa vaste conscience à l’échelle d’un univers, s’était évaporée dans les méandres du bayou. Un vide se créa à sa place. Celui d’un appel d’air vivifiant, richement parfumé, ou bien les fluctuations d’une eau cristalline qui, en se retirant, laissait sa place à un tourbillon de boue fertile, où éclorait un jour des fleurs sauvages. Au rythme d’une houle invisible faite d’un million d’esprits silencieux, le bayou formait les vagues d’une mer invisible, qui révélait lentement les souvenirs anciens, desséchés et blancs d’ivoire, comme les os d’une baleine échouée depuis bien trop longtemps.
Inna en tremblait. Elle fut étreinte d’une terrible sensation d’abandon, avant qu’une cascade faite d’une succession d’images anciennes ne dévale les frontières de son esprit, la submergeant dans une griserie vertigineuse. L’œil était toujours là, toutefois. Elle le sentait errer autour d’eux, non plus à la manière d’une force familière et prédatrice, mais d’une présence de nouveau floue et fortifiante. Elle se trompait encore une fois. Le bayou, la métamorphe l’avait dans sa chair, infiltré en elle comme un doux poison qui l’avait déjà transformée et endurcie à tous jamais. Elle était autre désormais. Elle ne ressemblait plus à cette créature apeurée qui, voilà quatre années de cela, avait fui le monde des humains sans un regard derrière elle, de crainte d’y apercevoir les corps sans vie des siens.

L’eau s’était retirée. Au travers d’un lit de tourbe et de galets moussus, une nouvelle métamorphe rouvrait les yeux sur un monde ancien, qu’elle n’avait jamais pu affronter seule. Et la force placide du bayou jaillissait désormais dans ses veines, dans le bleu de ses yeux et les dorures de sa chevelure, comme la lumière du soleil jouait sur des plumages graciles ou des écailles irisées de mille couleurs. Inna n’avait jamais respiré avec autant d’aisance. Pourtant, le sens profond de ces changements lui demeurait encore caché, et sa conscience neuve errait librement, étourdie par tant de liberté, tel un phalène soudainement livré à l’éclat aveuglant d’une lampe artificielle.
Avec une lenteur d’automate, Inna écarta doucement les bras et laissa la tête de son frère se lover dans le creux de son cou, sans parvenir à trouver les mots pour le réconforter. Qu’est-ce que je dois faire ? Et la question taraudait son esprit soudainement exposé à des sentiments demeurés si longtemps enfouis dans le fond de son âme, l’irradiant d’un amour dévastateur. Ne soufflant mot, elle ferma simplement les yeux et savoura sa chaleur contre sa peau. Elle ressentait son cœur battre. Celui-ci l’inondait d’un réconfort familier, et ce minuscule bruit retrouvé, si complice et fusionnel, était semblable à la sensation d’un membre resté trop longtemps amputé. Désiré et souffrant.

« Je reste. Toujours. » murmura-t-elle contre l’oreille de Rhys.

L’instant s’éternisa. Les bruissements du marais déclinèrent comme Inna s’absorbait avec délice dans la proximité complice de son frère, la caresse de ses cheveux et leur odeur animale, le ronronnement paisible de sa respiration. Autour d’eux, tout s’apaisait lentement et sombrait désormais dans une beauté placide, faite du bruissement doux des feuilles et de la mélodie claire des eaux. Elle suivit Rhys dans ses mouvements, entrainée dans une démarche à la fois incertaine et cependant décidée à ne jamais relâcher cette main de la sienne. Inna s’assit à son tour avec lui, et eut l’impression de voir son frère pour la toute première fois, sous l’éclairage étonnamment neuf d’un lieu familier.

« Longtemps… »

Le mot répété resta sur ses lèvres. Celui-ci ne signifiait rien de plus qu’un peu de bruit. Les années ou les siècles auraient pu s’écouler dans ces endroits perdus au fin fond des âges, mangroves secrètes et lagunes oubliées, depuis lesquelles Inna n’avait jamais décompté le passage du temps. Cela ne lui était pas venu à l’esprit. Elle laissa son dos s’appesantir sur l’écorce rugueuse de l’arbre, quand son regard ne quittait plus celui de Rhys, et ces stigmates hybrides jalonnant son visage tout droit sorti de ses souvenirs déchirés. Elle hocha la tête machinalement, comme les mots traversaient son être sans la toucher, et son regard mélancolique se porta au loin, par-delà les contrées marécageuses, vers un endroit où elle demeurerait sans doute seule. Où même une chamane n’aurait pu l’atteindre.

« C’est… »

Mais comment aurait-elle pu résumer cela en syllabes humaines ? L’acte lui-même semblait odieux. La pensée semblait elle aussi sacrilège. Inna fronça les sourcils comme ses pensées se heurtaient à un mur, non pas à cause de sa mémoire défaillante, mais parce qu’il n’existait rien, absolument rien, en langage des humains. Nul mot ne pouvait se targuer d’être équivalent à ce qu’ils avaient pu ressentir un instant auparavant, à cette force qui demeurait éternellement liée aux enfants de la Lune. Alors, Inna collecta avec minutie ses souvenirs, leurs silhouettes blanchâtres abandonnées sur le lit d’une rivière desséchée, et que le reflux du bayou avait révélé. Elle récupéra dans sa tête les vieux mots de May, ceux capables d’effleurer respectueusement l’immensité de cette question impossible.

« Grand esprit ? » prononça-t-elle avec prudence, et la jeune femme chercha dans les yeux de Rhys cette compréhension mutuelle.

Ceux-là venaient d’une époque révolue. Un temps où les Archos s’assemblaient encore devant un feu de camp dans les forêts impénétrables d’une contrée lointaine. Inna eut un pincement au cœur à ces souvenirs. Elle sut également combien cette réponse si succincte ne résoudrait rien, et ses lèvres se mirent à trembler, comme elle se maudissait d’être aussi maladroite à communiquer.

« Je… » Ses yeux s’humidifièrent peu à peu, et les mots ne sortirent qu’au prix d’immenses difficultés. « J’étais ici… J’ai grandi ici. »

Inna embrassa la clairière du regard. Elle fit un mouvement évasif avec ses mains, qui enveloppait tout dans une réponse muette, un abri où se précipitait le moindre élément naturel. Les ruines de cette cabane ployant sous le poids de son gommier voisin, tout comme le ruisseau chatoyant dans les lueurs pures de l’aurore. L’explication lui semblait parfaite. Elle était authentique. Naturelle.

« J-Je… J’ai vécu dans… »

Mais comment aurait-elle pu qualifier tout cela ? Toute cette vie traversant les alcôves secrètes à l’échelle d’un continent, tous ces parfums et ces sensations, cette force coulant aujourd’hui dans ses veines n’aurait pu se résumer en quelques banals mots. Inna serra les dents sous le poids de son impuissance à partager cette expérience. Une culpabilité ténue s’insinua dans son âme. Comme elle contemplait ses mains en cherchant désespérément un moyen de se faire comprendre, une brise chaude se leva, et flotta jusqu’à eux, en emportant avec elle toute la rumeur vive du bayou.
J’ai vécu tout. Inna ferma ses paupières un instant. Derrière ces dernières closes, défilèrent des souvenirs ; les clapotis des eaux turquoise des Caraïbes, les rumeurs brumeuses des mangroves du Sud, ou encore les forêts immergées d’Amazonie. Des torrents de couleurs, de saveurs, de senteurs merveilleuses avaient défilé contre les sens du crocodile, et elle se sentit dépouillée ainsi, dans sa peau humaine qui, une fois encore, l’empêchait de partager tout cela avec son frère enfin retrouvé. Elle aurait voulu serrer ses mains dans les siennes et déverser dans l’âme de celui-ci, toute cette vie, toute cette expérience brillante de merveilles qui avaient laissé leurs empreintes en elle.
Le bayou lui souffla quelque chose. Inna tendit sa main devant eux, sous les rayons mordorés du soleil, et un frémissement inconscient courut sous sa peau frêle. La sensation dévala son échine, un courant électrique qui venait de nulle part, et ne subsista qu’une fraction de seconde.

« Appris. J’ai appris… ici. T’apprendrai la force si… tu veux ? »

Inna leva une main humaine face à la lumière solaire. Face à l’interdit. Pourtant, son derme fragile se dessécha lentement, le rose s’assombrit et se recroquevilla comme un fruit pourrissant. Des rides se formèrent à la surface de ses doigts, comme ceux-ci se couvraient de fines écailles reptiliennes, aux merveilleuses nuances émeraudes. Elles recouvrirent bientôt toute la surface de sa paume. Dessous ses ongles humains surgirent des griffes dures, et ses doigts allongés furent alors reliés par des palmures élastiques. Inna laissa la métamorphose remonter à mi-chemin de son bras, puis l’arrêta.

« Je reste avec toi. T’apprendrai à être, t’aiderai. D’accord. »

Un sourire éclaira ses traits. Comme le soleil inondait son bras à moitié transformé, elle ne montrait aucun signe de douleur, aucune inquiétude, malgré ce tabou lancé à la fin de l’astre. Autour d’eux, le bayou frémissait d’innombrables bruits naturels, le chant des êtres fouissant et volant çà et là, la clameur des eaux boueuses ; la palpitation de la Terre était partout. Comme elle l’avait toujours fait.

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Dévorer le jour [Inna] Lol7
Pseudo : Chaton
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Lun 4 Oct - 1:42 (#)


Il y avait une force tranquille dans ses mots. Celle, naturelle, d'un saurien géant qui considère le reste du monde d'un œil placide et insondable, l'observant s'agiter sans les émois éphémères qui faisaient les mœurs de la plupart des autres créatures. L'onde d'une force invisible s'infusait subtilement à l'intérieur du corps, laissant sur son passage un trouble que l'esprit avait du mal à appréhender mais contre lequel il se débattait de moins en moins. La vibration qui vivait en chaque chose du bayou autour de nous paraissait s'être calmée ou, du moins, avoir repris le cours d'un flux tout aussi massif mais plus tranquille, moins énervé. Il voguait tout autour dans un rayonnement semblable aux rayons du soleil : prédateur et frémissant, passant d'une manifestation inquiétante à un quelque chose de presque réconfortant. C'était une bête en sommeil, lointaine, dont la respiration était calée en filigrane sur celle de tout ce qui était, même de ceux qui ne la remarquaient pas.

Lentement, les choses se décantaient. L'incertitude était toujours là et les mots d'Inna continuaient de se heurter à un quelque chose d'invisible, ma conscience allait et venait encore en tous sens mais, peu à peu, il y avait une fébrilité qui redescendait. Un état incrédule en transition vers la constatation. Des interrogations et des zones de mystère il y en avait encore beaucoup, mais elles semblaient perdre de leur importance tandis qu'une brise fraîche soufflait sur l'ensemble comme pour emporter ces pensées et ne plus rien laisser que l'instant présent. L'instant présent. Une décontraction des nerfs qui acceptaient, un pas après l'autre, de laisser aller de nouveau le flot interrompu d'une vie étrange. C'était comme d'être de retour à l'intérieur de soi-même et de se remettre en marche dans le même sens que le reste de l'existence.

Je renvoie son regard à Inna quand elle explique de quoi il s'agit. Où, quand, comment ? L'empressement se désintègre et laisse la place à cette compréhension respectueuse teintée de ce qui peut s'apparenter à une révération craintive. Un grand esprit, comme dans les histoires racontées plus jeunes, dans cet héritage narratif récupéré en grande partie des enseignements de May, en partie transmises malgré Radovan, et dont on trouve les traces dans ces croyances profondément ancrées dans nos chairs. Une curiosité encore hésitante pointe le bout de son nez entre deux pensées, à l'idée d'être en contact avec une telle force. Une force dont la substance même m'est inconnue mais envers laquelle je peux sentir cette attirance instinctive reconnaissable entre mille.

C'est fasciné et  un peu incrédule que j'observe de nouveau la prouesse dont Inna fait preuve. Elle fait ça avec une déconcertante facilité, sans même avoir l'air d'y prêter attention. Un nœud se forme dans mes tripes, une contrition face à ces décennies de conditionnement par le cycle de l'astre du jour. Je ne sais pas ce dont il s'agit, je ne sais pas comment elle fait ça, mais il y a cet élan à l'intérieur qui me pousse dans cette direction avec l'urgence d'une tempête.
Je veux apprendre.
Et briser la loi immuable du Soleil.

Je hoche la tête sans pourtant comprendre tout ce qui se trame ici.

_ Oui.

Un vertige tandis que l'esprit s'acharne à rassembler les miettes dispersées qu'il a laissé ici et là. La conscience tente de remettre de l'ordre, perçoit bien que quelque chose déconne mais n'accroche pas encore à ces détails.
Ce qui compte, c'est maintenant.

_ D'accord. Oui.

Machinal, mes yeux accrochent les paresseuses traînées vertes qui ondoient depuis les cimes sous l'effet du vent. L'attention égarée, mes yeux reviennent sur ceux de ma sœur et quelques mots presque cohérents s'échappent de nouveau.

_ J'ai compris.

La seule chose à dire. La seule chose à montrer, pour soulager cette plaie qu'était la parole. Un élan d'affection profonde pour Inna se déverse soudain dans ma poitrine, un quelque chose de chaleureux qui m'avait manqué. Elle rayonne, là sous la frondaison étiolée de lumière, tandis qu'elle m'apparaît avec toute la sincérité sauvage des bêtes, dans une simplicité touchante qui me renvoie, par contraste, à ces réflexes humains ancrés jusque trop loin dans mes chairs.
Qu'est-ce que j'ai fait ?
Je suis venu m'échouer ici, presque perdu, et Inna, elle, elle vit et gronde avec les marécages, portant les faveurs du grand esprit même sous la lumière du jour. A demi incrédule, tout ceci paraît irréel, mais elle se tient là devant moi néanmoins. Une pointe d'envie et de détresse soulagée s'agite sous la surface des choses, laisse pantois, alors qu'elle apporte la preuve que le Soleil peut être défié.

Je tends les doigts pour effleurer la peau écailleuse, remonter le long du derme jusqu'à l'endroit où la peau se fait plus douce, comme pour m'assurer que ce n'est pas une tromperie. Absorbé par l'observation de cette vérité, cette vision bouscule des choses si profondes qu'on doit les vivre pour tenter de les comprendre.

Un instant, je suis comme sur le point de prononcer quelque chose de plus, mais une incertitude retient les mots juste au bord des lèvres. Comme si la pensée n'avait pas, elle-même, la volonté de se traduire en sons. Comme si dès lors les yeux étaient capables de voir plus que ce qui se laissait apercevoir tout autour et que les phrases n'étaient pas la solution. Un silence, finalement, qui s'échappe dans l'expiration de cet élan avorté.

Il n'y a rien besoin de dire. Les choses sont là, elles se sentent, elle se vivent.
Elles existent.

_ Merci.

Un unique souffle pour exprimer un concentré de vérités.
La fin d'un chemin.
Le début d'un nouveau voyage.




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