FOR ALL I HAVE IS A HEART UNSURE IF EVEN TIME CAN MEND
Voilà des jours, des mois, et peut-être au plus loin que je me souvienne, voilà des années que je rêve de dire à cet homme : j’aimerais vous parler, et entrer chez vous quelques heures, pour rien, pour bavarder. Je ne le fais pas.
L'allumette craque, soufflant son éclat orangé, tremblant dans l'atmosphère où seul son souffle s'étiole. La pointe langoureuse vient lécher l'extrémité d'une tige d'encens, rituel quotidien, dans lequel elle s'enveloppe. Par besoin. Une pulsion viscérale appelant à un lien avec ceux qu'on ne peut plus entendre et qui se confient, parfois, à son oreille. Mais aujourd'hui, le volume s'est abaissé, assez pour qu'il ne reste que des murmures aussi délicats qu'une eau ruisselante qu'on entend au loin, étouffée par la broussaille qu'elle a laissé pousser, par la brume qui sillonne son esprit. Sourde pour n'écouter qu'une seule âme espérée mais ne venant jamais. La fumée s'envole, dansante, l'hypnotisant un instant, laissant venir un moment d'apaisement alors qu'elle s'accroupit face à l'autel de fortune où bougies et boîtes d'encens s'amoncellent, le bois pigmenté des joyaux de pierres que la caresse du soleil à travers la fenêtre aide à faire pétiller. Aucun bruit alentour n'arrive à l'arracher à l'observation salvatrice, se laissant lentement noyer par les vagues nostalgiques ramenant avec elles des débris de souvenirs lui écorchant l'âme. Dans ces instants de pur silence où elle n'entend que le flot douceâtre de sa respiration, faisant fi du reste, elle aspire à revenir à son Ailleurs, souffrant des racines qu'elle s'est arrachées sans avoir le temps de laisser cicatriser. Même maintenant, elle continue de saigner.
Soupir, une expiration bienvenue avant qu'elle ne ferme brièvement les yeux, relâchant les muscles qu'elle sent toujours aussi crispés. Des semaines à vivre sous le joug d'une tension qui refuse de desserrer ses chaînes, étranglant ses moindres mouvements. L'apnée a finalement repris. Ne rien sentir, ne rien voir, ne rien entendre et simplement sourire en ignorant que les poumons ne se gonflent plus que par automatisme, syndrome d'un traumatisme sanglant, un érotisme avorté par sa faute. Les maux sont là, purulents et irritants. Sumire ne les touche pas, ne s'y aventurant que quand revient l'heure d'une énième rencontre avec l'aube d'un sommeil qu'elle peine à trouver, rejouant les heures précieuses où, enfin, elle a su reprendre son souffle. Et parfois, elle manque de totalement y retomber derrière ses paupières closes, laissant revenir les spectres de caresses bienfaisantes que la peau a retenue, ses lèvres empreintes d'un passage qu'aucun n'a été autorisé à effacer. Au fond, elle en chérie l'endroit sans oser y laisser courir les doigts, comme pour ne pas en profaner le souvenir persistant. Mais bien avant la chute, elle se rétracte, flagellant la conscience de sa bêtise, serrant les dents et les poings pour porter son attention sur la douleur et rien d'autre.
Ils sont amers les regrets, deviennent poisons sous la péninsule et puis acides, aigres, lui offrant une nausée persistante. Même ici, un soir où elle n'aura qu'à rester papillon dans son cocon, elle passe en boucle les soirées où rien n'est venu, le silence et les murmures de ces Autres qui pensent qu'elle n'entend pas, racontant ce qu'elle n'a plus le droit d'avoir. Un bout, un instant, une seconde. La transe s'étiole sous les coups de butoirs de la morosité qui reprend enfin sa place en son sein, couronne d'épine déposée sur le coeur écorché. Les mains contre ses cuisses se crispent brièvement alors que les voiles de sa concentration lui échappent définitivement. Le noir des prunelles reprend contact avec une réalité qu'elle espère fuir, lâchement. L'impression que son esprit n'est devenue qu'une cave où s'amoncellent les souvenirs bienheureux, s'entremêlant aux cauchemars sanglants, aux craintes ignobles, aux rêveries qu'elle s'interdit. Après tout, tu n'es pas venue ici pour rêver, ni pour revivre. Il n'y a que lui que tu dois chercher, que lui à trouver. Rien d'autre. Pourquoi tu te fais si gourmande d'exister tout à coup ?
Il n'y a là aucune réponse à donner. Elle s'est contemplée de loin depuis la déchirure crépusculaire, s'est vue quitter sa chambre entre deux passes, grignotant une clope et puis une autre sans jamais le trouver là où elle l'attendait. Et le cœur a craint de sombrer à l'arrivée des ombres qui, quelques fois, s'approchaient, oscillant entre espoir et terreur. Pas maintenant. Tout de suite. Je ne sais pas. Elle se voyait indécise, funambule sur un fil prêt à casser pour mieux l'engloutir dans les profondeurs d'un mal-être qu'elle s'est infligée à elle-même, bourreau asservie à ses propres punitions.
L'odeur du santal que l'encens laisse s'échapper a le mérite de la rassurer. Là, entre ces murs encore nus, elle ne craint rien. Rien si ce n'est elle-même. Distraite, elle remonte la bretelle d'un haut de pyjama dont les couleurs pastels ont fait leurs temps, sylphide s'étant détachée de ses atours de soie liquide, aux couleurs profondes, appelant à la perdition, attirant les paumés dans son ventre-hâvre. Ici, elle n'a rien de plus qu'un short pour habiller ses cuisses et rien pour ses pieds nus sillonnant de nouveau le parquet. Les muscles crient leurs plaintes sans la faire grimacer, l'habitude de l'engourdissement venant après des nuits à ne rien faire d'autres qu'user son être contre d'autres, plus solitaires encore. Prête à ouvrir la fenêtre pour laisser l'odeur trop pesante s'en exfiltrer, elle se fige. Deux coups sourds qui sonnent, craquellent doucement le néant d'un silence. D'abord vient la peur que la paranoïa laisse éclore. On t'a forcément retrouvée. Ils savent maintenant. Ils savent tout ce que tu sais et te forceront à rester muette à jamais. Puis d'une tête brièvement secouée, elle s'apaise, délaissant la fenêtre pour s'avancer et enfin ouvrir.
Battement de paupières signant surprise, plaisir, supplice et crainte. Il est traître le palpitant qui rate une marche pour mieux reprendre sa course. Les opales pourtant sombres rencontrent les siennes sans peine et ne persiste qu'un moment de flottement. Bref mais parlant. Il y a là les mots qu'on n'ose dire tout de suite, les excuses au bord des lèvres qu'elle entrouvre sans bien savoir quoi dire. "J’viens en paix." L'harmonie de la voix l'enrobe sans crier gare, soufflant la même rengaine à ses désirs mal enfouis. Elle quitte le nid de ses yeux pour venir les poser sur le présent dans sa main, la poussant à souffler un rire, bref, où tremblote les palettes d'émotions trop longues à nommer. "T’as un peu d’temps pour discuter ?" Un regard relevé, un autre qui tente là de le remercier sans savoir le dire. "Oui, entre." Et tout en lui ouvrant le passage, elle se souvient de son allure dénudée d'artifices, de ses cheveux qu'elle n'a pas pris la peine d'attacher, de tout ce qu'elle laisse exposer sans le vouloir. Alors qu'elle referme le battant, les orbes noires appréhendent sa présence dans un refuge où il a été l'unique à pénétrer. La décontraction n'est qu'apparente, le Chaos intérieur assourdissant, soufflant la panique à l'idée de ce qui va advenir, venant avec la caresse d'un soulagement gommant le poids trop lourd causé par l'absence et le même miel coulant dans les interstices d'un corps devenu prisonnier d'un seul instant, d'une poignée d'heures qui lui semblent avoir été rêvées. Enfin, elle avance, esquissant un sourire discret "Je n'attendais personne alors … Je suis pas ce qu'on appelle présentable." La nervosité s'accroît alors qu'elle lui fait signe de s'installer, dérivant un instant vers la cuisine pour y attraper deux verres à pieds qu'elle finit par déposer entre eux. Le sol rapidement rejoint, elle laisse l'incisive de ses ongles flirter avec l'auréole d'un pied. Les yeux reviennent enfin jusqu'à lui, laissant l'esprit s'abreuver lentement et avec délectation de sa présence, les phalanges invisibles caressant pourtant les plaies à vifs. Les questions et les paroles sans substances s'amoncellent au bord des lèvres quand les iris s'encombrent de leur éternel brouillard orageux. "Je ne pensais pas que tu viendrais." qu'elle murmure presque, ouvrant difficilement la porte d'une franchise dont elle a peu l'habitude.
Parce que je ne le mérite pas. Parce qu'au fond, j'aurais dû être punie, un peu plus, par ton silence.
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Voilà des jours, des mois, et peut-être au plus loin que je me souvienne, voilà des années que je rêve de dire à cet homme : j’aimerais vous parler, et entrer chez vous quelques heures, pour rien, pour bavarder. Je ne le fais pas.
À chaque instants s’attachent des couleurs, des nuances, des parfums et des saveurs couchées sous la langue. À lui et à l’aube s’allient la saveur du sel de sa peau, celle sucrée puis amère de la liqueur sacrée, la couleur opalescente de l’aurore couvrant les êtres de son jaune pâle. Tout avait le parfum d’un idéal jamais atteint jusqu’alors et la mélodie des deux cœurs battant sourdement, des sabots percutants la terre sainte de leurs entrailles. Une perfection éphémère dont la pointe a éraflée son âme, la faisant se recroqueviller au fond de son esprit mal cadenassé. Elle a été et est toujours effrayée par les tourments qui l’habitent, ceux qui la ramènent sur les rivages acérés de souvenirs luxuriants. C’est à peine si elle n’entend pas l’écho des soupirs avalés et du froissement doucereux des mains coulant sur l’épiderme. Elle est consciente de tout à tel point qu’elle détourne les yeux de la silhouette qui l’observe un instant. La peur est là, esprit frappeur, toquant comme un forcené à la porte de sa tête, pour y entrer et y faire renaître le chaos. Elle ne l’y autorise pas, affichant un calme prêt à s’effilocher s’il se met à crier ou à cracher tout le fiel qu’elle lui a elle-même implanté dans le sang. C’est ma faute, c’est moi qui ait voulu entrer. Murmures accusateurs qui font trembler les mains qu’elle finit par faire revenir contre ses cuisses.
Il la rejoint, sans pour autant faire offrande du met ramené entre ses doigts, saisissant au vol l'opportunité qu’elle offre, inconsciemment, de parler. Pas vicieuse ni lâche au point de feindre l’ignorance, elle a l’envie curieuse de panser les plaies encore à vifs. Elles n’ont jamais cessées de saigner, de s’infecter au fil des aurores passées où sous les paupières, le néant ne lui donnait plus que la punition de revivre en boucle sa bavure, d’entendre le craquèlement silencieux du calme que d’une inclinaison, elle a rompu. Un coup de poing dans la surface lisse et pure d’une eau apaisée, voilà le crime qu’elle se reproche avec acidité depuis des semaines.
Et elle se fait attentive des moindres paroles, silencieuse mais le regard franchement planté sur ses traits, l’étonnement revenant doucement poindre en elle à l’entente des mots dénudés de fioritures mais caressés d’une bienveillance qu’elle ne pense pas mériter. L'affront jeté à la gueule de l'autre mérite le dédain le plus profond. Après tout, elle n'est qu'une pute, elle aurait pu devenir un passage dans sa vie, un égarement et son geste aurait pu révélé à quel point elle ne valait pas le coup de se retourner. Un être de plus dans lequel il aurait tué les heures d'un matin plein d'une alchimie percutante, une aire d'autoroute dont le bas-côté offre un instant de plénitude vite oublié. Il aurait pu se persuader que ce n'était rien et pendant quelques temps, elle s'est fait l'aveu silencieux que ça devait être vrai. Que brutalement, s'il n'était devenu qu'une existence chimérique au travers des langues déliées de ses compagnes nocturnes, c'est qu'il avait enfin vu en elle ce qu'elle tente tant de masquer ; une fleur fanée tentant de faire croire qu'elle est encore belle et pure. Même sa Rougeoyante s'est ternie, elle le sent sans se l'avouer. Les flots des pensées ricochent contre les murs de sa conscience mais elle est là, juste ici, à l'observer et à l'entendre, recevant ses mots comme des minuscules pointes touchant des points sensibles. Chez elle, on ne parle pas, on ne dit rien. Si tu souffres, tu te tais, si tu fais une erreur, repens toi sans jamais ouvrir la bouche. Si tu ressens, ne le montre surtout pas au grand jour. En quelques phrases, il bouscule tout ce qui s'est enracinée en elle, assez profondément pour qu'elle ait l'impression que la douleur se fait physique.
Elle est là, toute la raison de son angoisse. Il s'infiltre, dérobe, arrache, sans même le vouloir et déconstruit pour mieux s'insinuer en elle et y faire grandir les chants d'une Aphrodite en mal d'amour. Elle sait qu'il ne s'en rend pas compte, qu'il ne doit pas voir le vent tremblant qui souffle ses millions de soupir en son sein, la crispant un peu plus. Mais ce n'est pas sa faute, ça ne l'a jamais été. Quelque chose cloche chez elle. Bloque. Il manque un rouage, un morceau qu'elle ne sait pas comment combler. Peut-être que lui … Peut-être. Et les "peut-être" qu'il lui inspire la bercent autant qu'ils l'attaquent. "J’veux pas qu’tu penses que c’est un piège ou quoi, j’veux juste que tu m’dises la vérité et ce sera tout. Si tu voulais rien de plus et qu'j’ai trop pris mes aises, si tu regrettes qu’on ait fait ça et que ça te gêne que j’sois là, tu peux m’le dire. Ça suffit pour que j'comprenne. J’emporte tout ce bordel avec moi et demain on passe à autre chose." Le ton sonne une fin radicale, une page qu'ils devront vite tourner et l'idée lui fait mal. Elle panique, autant qu'elle a paniquée avant qu'il ne referme la porte des jours plus tôt. Cette fois, elle prend la parole sans se soucier de ce qu'il pourra en sortir, secouant brièvement la tête "Je n’ai pas regretté. Pas un seul instant." L'aveu résonne, le timbre ne flanche pas, aussi clair qu'une évidence. Elle aimerait sourire Sumire mais les paroles s'amoncellent en bloc dans sa gorge, son esprit fusionnant la langue maternelle et celle qu'elle s'est efforcée de perfectionner au mieux, laissant persister un malaise. "J’ai juste … Je vis en apnée depuis longtemps, depuis assez longtemps pour avoir oublié comment on respire convenablement et sans douleur." Se dévoiler manque presque de la faire rougir d'une honte qu'elle ne devrait pas ressentir alors elle s'efforce de ne pas flancher. L'ongle du pouce mord la pulpe de l'index à l'abri de son regard. Qu'elle se concentre, qu'à son tour elle fasse l'effort de la franchise. Parce qu'elle sent que si elle fuit, encore, que si elle prend le risque de le rejeter, le livre se refermera sans même avoir pu conter plus qu'une simple nuit.
"Et la dernière fois, m’a juste parue hum ... salvatrice ? Je crois que c’est le mot." L’anglais lui échappe, fil par fil, lui glissant sur la langue sans qu’elle ne puisse le retenir. Un instant de silence pour chercher ses mots, ne pas laisser paraître plus de blessures qu’elle n’en montre déjà. Pas maintenant. Y plonger lui ferait sûrement perdre pied. "J’ai eu l’impression d’enfin respirer, sans souffrir et sans en avoir vraiment peur. Mais c’était quand même effrayant de me l’avouer. Parce que je ne suis pas venue ici pour ça et je n’avais pas prévu … Je ne t'avais pas prévu." Un haussement d'épaule avant qu'elle ne prenne une profonde inspiration, une dose d'un air qu'elle tente d'assainir, la morsure de l'ongle se faisant plus pressante. "Je suis désolée de m'être comporté comme ça. J’ai paniqué, je ne savais pas quoi bien faire de moi ou de tout ce qui tournait dans ma tête alors j’ai simplement choisi de casser brutalement le lien que j’avais senti se créer." Un rire nerveux, un souffle et les yeux qui s’abaissent. "Ça n’a pas vraiment marché à ce que je vois. Et le temps n’a pas non plus effacé quoi que ce soit alors je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui est bon à faire ou pas, je ne sais pas s’il y a même une bonne manière de faire les choses." Elle s’interrompt alors, lui offrant un sourire illustrant les regrets et les émotions ce qui ne s'expliquent plus. "Mais j'aimerais croire, d'après ce que tu me dis, que je n'ai pas tout cassé. Parce que tout ce que je peux te dire c'est que l'amitié entre nous serait, pour moi, la pire des insultes à ce qu'il s'est passé." L'ongle se déloge lentement de son nid de chair alors qu'elle se rend compte de tout ce qu'elle retenait en elle, de toute cette vague de paroles qui tournaient, moisissant dans les eaux profondes de son inconscient. La liberté est pourtant incomplète, craignant d'en avoir trop dit pour la première fois.
Finalement, elle s'éclaircit la gorge, oscillant entre lui et les verres encore vides de leur liqueur enivrante. "Evidemment, j'aimerais savoir ce que toi tu veux. Qu'est-ce que tu espérais en venant ce soir ?" Elle est douce sa voix quand elle achève enfin ses palabres, le regard s'affiliant, à ses prunelles, danse habituelle, tentant d'en sonder les secrets.
Mais je ne les mérite pas. Promis, je n'y toucherai pas sans que tu en sois conscient.
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Voilà des jours, des mois, et peut-être au plus loin que je me souvienne, voilà des années que je rêve de dire à cet homme : j’aimerais vous parler, et entrer chez vous quelques heures, pour rien, pour bavarder. Je ne le fais pas.
L'immobilité du corps se délie lentement, manquant de faire trébucher les mots qu'elle sait déjà complexes à former. Peur de la fuite, peur du rejet, peur d'une autre porte claquée sonnant un affreux dénouement. Dans l'apparence, le discours est limpide, inspiré de tout ce qui a éclot en elle sous l'eau philosophale du temps, des fleurs aux tiges épineuses dont les crocs se sont plantés dans l'éther de son être comme des millions d'aiguilles cherchant à la faire saigner de toute part. Oui, il y a la facilité à les prononcer s'entremêlant à la douleur de les entendre enfin sortir de la cavité sanguinolente de sa poitrine, comme une hémorragie interne de paroles qui s'exfiltrent en litres d’élixir offerts à son âme qu'elle sent encore blessée. Elle lui doit bien ce qu'elle n'a pas su dire quand le soir est venu chuchoter à leurs oreilles le carillon de la fin d'un acte, quand tout ce qui résonnait était le bourdonnement incessant de tout ce qu'elle ne disait pas et qu'il voyait sans qu'elle n'arrive à ouvrir la bouche pour prononcer autre chose qu'un mensonge, qu'un triste "Oui, je sais" face à une promesse qu'elle a pourtant pris comme le plus beau des hommages. Elle s'est entouré d'un granit d'égoïsme, évitant de croiser son regard, slalomant entre les murs encore inconnus, même pour elle, sourde à tout sauf à son coeur pesant d'une lourdeur infâme, à ses pensées, chuchotements tapageurs, délivrant la Bête noire de ses pires chimères. Belle de nuit effrayée par les lueurs d'un espoir trop grandiose pour son existence où ne persiste plus que la froideur et la rudesse des ténèbres qu'elle a laissé s'infiltrer en elle, comme un sang belliqueux, corrodant lentement mais sûrement la moindre de ses envies de douceur et tendresse. Elle s'est, sans même le voir, promise à la torture éternelle, n'acceptant que plus durement l'offrande de sentiments pleins d'une volupté doucereuse.
Il s'apaise rien qu'un peu, le cœur trop chantant. Ses yeux suivent les moindres mouvements, de la veste qu'il dépose, discret acquiescement du fait que, peut-être, il ne prendra pas tout de suite le large, à la démarche que son attention trop curieuse a pris le temps d'observer, l'appréciant avec la candeur d'une ingénue. Mais de loin, toujours de loin et plongé dans le silence. En ça, elle y a trouvé quelques poussières tranquillisantes. Peut-être est-ce cela aussi qui l'a convaincue d'un jour l'approcher, s'ajoutant à ça toute une myriade d'émotions caressant son intuition, criant à sa peur transie qu'il serait l'idéal pour ne plus jamais être offerte aux mains acérées, aux strangulations persistantes, aux menaces d'une mort douloureuse. Elle entend plus qu'elle ne voit la bouteille déposée, se surprenant de sa propre franchise au fil des secondes, de cette diatribe sortant d'entre ses lèvres avec la facilité d'un ruisseau s'écoulant le long d'une rive. Ils passent, se soupirent dans un timbre peu maîtrisé et là encore, elle se sent dénudée des masques qu'elle enfile depuis des années; de ce sourire qui ne flanche pas et de ce regard imperméable que personne n'a réellement su pénétrer. Pourtant, ils lui en disent toujours trop, ses regards, à la moindre incartade faisant s'affilier leurs orbes aux couleurs brumeuses, ils en profitent pour soulever le voile sur ce que sa langue n'assume pas vraiment. Le corps a déjà été un aveu assez tonitruant, un éclair survenu avant que ne gronde les tempêtes. Un éclat dans une aurore avenante. Un morceau d’une vie qu’elle aimerait pouvoir effleurer de nouveau. Encore, le regret de ne pas se lire elle-même. Les souvenirs en son esprit sont des images brouillonnes, des toiles de peintures où le coup de pinceau s’est fait trop vif pour qu'elle en distingue réellement tous les détails. Rien n’est aussi parfait que le plongeon incisif dans les remembrances d’un autre. Et le cœur prend un nouveau coup. Fourmillent les bouts de ses doigts alors qu’elle se fait à nouveau vorace des siens, d’une peau dont elle a appris la douceur en cachant la dureté bienvenue, la chaleur irradiante chassant le froid qui la pétrifie depuis trop longtemps pour qu’elle ne puisse encore compter. mais elle se force à ne pas s’y laisser tomber. Ça réveillerait les démons qu’elle cherche à garder endormis.
Le timbre suit l'éternelle même onde, pas une note plus haute qu’une autre, la mélopée se poursuit en s’imbibant malgré tout de l’amertume, de la souffrance et surtout d’une tendresse qu’on avoue à demi-mot, le myocarde saignant encore de la flèche d’or qu’Eros y a planté. Autour les chairs se sont refermées, l'emprisonnant comme un trésor à protéger. Elle s’est faite boîte de Pandore d’émotions violentes, cognant contre leur couvercle usé pour tenter d’en sortir à chaque fois qu’elle reprend, voulant y saisir la chance de crier l’évidence. Elle refuse, ne se plie pas aux méandres de l’âme rugissant un besoin viscéral, cruellement tenace. Enfin, elle se tait et à peine la question se dérobe à l'ourlet des lèvres qu’elle le voit revenir, le corps saisi d’une tension apprise par cœur, sentant son ombre échouant près d’elle, laissant s’étioler un peu plus le fil fragile des limites qu'elle a tenté de tisser à nouveau entre eux dans une distance fragile. A peine la bouteille posée et lui tout près d’elle, qu’elle sent sa propre essence s’abreuver de la sienne. Si elle ne le touche pas, elle ressent pourtant toute l’étreinte du regard qu’il pose sur elle puis de la soie des mots qu’elle savoure en se taisant enfin. "J’voulais que tu me parles, c’est tout. J’voulais que tu m’aides à comprendre. J’suis déjà trop paumé pour accepter de laisser tout ça devenir un énième chemin qui mène à rien. Fallait qu’je sache." La culpabilité revient comme une morsure vipérine, un venin agressif dont elle s’efforce de ne rien montrer avant d’échouer, quittant l’Eden qu’offre les lucarnes de l’âme cabossée en les abaissant, crispant ses mains sur ses cuisses dont la nudité se jette à sa conscience. Conscience qui s'abandonne à la houle des mots ne demandant que le pardon.
S’égare le regard qui dérive jusqu’au coude posé, jusqu’aux jambes trop près des siennes, soupirant leur chaleur comme pour la mettre à l’épreuve. A qui mordra le premier, cette fois ? La bouteille du vin promise lui semble être une échappatoire parfaite mais elle la sait encore insaisissable. Sumire qui s'essaie à la patience, soufflant en silence avant qu'il ne reprenne, dégustant l'harmonie de la voix avant d'en saisir le sens. "On sait bien tous les deux pourquoi on a flippé. Et la raison, elle est toujours là. Demain on va retourner au turbin, comme d’habitude, et on doit faire un choix entre deux choses : soit on lui dit, soit on lui cache." Les derniers mots achèvent de briser la félicité. Les yeux se relèvent brutalement vers lui, ne laissant qu'une brève preplexité. Les lèvres s'entrouvrent mais déjà il poursuit "J’t’ai suivie ici en connaissance de cause. Et tu savais aussi quelles conséquences ça pouvait avoir, et pourtant c’est toi qui voulais que j’vienne. Alors il faut qu’tu m’dises à quel point ça compte. Parce que j’pars du principe que j’lui dirai, je sais pas quand, mais j’lui en parlerai. Et ce jour-là faudra que j’encaisse, et j’veux savoir comment. Pour quoi j’me battrai. Tu comprends ?" A son tour de rester bêtement muette, saisie par les harpons de la réalité la jetant brutalement face à ce qu'elle savait déjà. Elle a toujours su les risques qui les guettaient, ne pensant pourtant pas y plonger tout de suite. Cette fois, le silence persiste alors qu'elle continue de l'observer, interdite. "Je … Je sais pas." qu'elle souffle finalement, repoussant nerveusement quelques mèches derrière son oreille, sans bien savoir comment formuler ses pensées devenues plus bordéliques encore. "Enfin si, je sais ce que je ressens et je sais que je ne veux pas qu'il n'y ait qu'une seule fois mais ça n'appartient qu'à nous, non ? Autant ce matin-là que ce qui pourrait suivre." Au fil des mots qui se tissent, elle reprend un peu plus de sa superbe, en rattrape les bribes, haussant un sourcil pour le forcer à y répondre. "Tu sais très bien ce qu'on risque à le lui dire et à jouer la carte de la franchise, autant se pointer une arme sur la tempe. Tu perdras ton poste et moi, le mien. On ne peut pas se permettre de croire qu'il sera clément." C'est l'angoisse qui étrangle le ton, le fait vaciller alors qu'elle s'avance rien qu'un peu, sans ambition de manipulation, seulement animée par l'envie qu'il la comprenne. "C'est ma vie privée, le seul endroit où je peux choisir qui je laisse entrer ou non. Je veux pouvoir garder bonus-là, au moins." Elle cille malgré les mots plus durs, rechignant à se faire trop sévère. Les lèvres se pincent avant qu'elle ne soupire, relâchant la raideur, la voix se faisant plus douce "Si je refuse, tu iras quand même ?"
Elle veut céder à l'envie qui serpente jusque sous ses doigts, à celle d'attacher sa main à la sienne, fondre au moins ses phalanges dans une chaleur que tout l'être réclame. La résistance est rude, assez pour qu'elle inspire sans discrétion, ravalant les désirs irrationnels. Elle se fait moins envahissante, reculant à peine. Le temps n'a rien gommé de ces nœuds qu'il crée dans son ventre, de l'illusion de caresses interdites sillonnant l'épiderme sans timidité. Mais elle se tait, se fige et ne fait plus rien d'autre qu'attendre la sentence, en espérant ne pas avoir à combattre pour qu'ils leur épargnent d'être condamnés à la déchéance.
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Voilà des jours, des mois, et peut-être au plus loin que je me souvienne, voilà des années que je rêve de dire à cet homme : j’aimerais vous parler, et entrer chez vous quelques heures, pour rien, pour bavarder. Je ne le fais pas.
"Je voudrais vraiment te dire que non, tu sais ?" L'aveu est aiguisé d'une franchise que le cœur n'a pas encore appris à contrer, tremblant juste un peu quand le reste du corps se crispe, les muscles des jambes endoloris gémissant rien qu'un peu sous la tension qu'elle fait peser sur elles. L'honnêteté offerte, elle en savoure les nuances, un goût nouveau qu'elle essaie d'appréhender et d'apprécier à sa juste valeur. Ici, on ne saupoudre pas les mots d'un sucre empoisonné pour mieux faire passer un mensonge ou une vérité meurtrière. Ici, il lui offre la fraîcheur d'une réalité dénudée de ses atours aguicheurs, des paroles que le timbre fait vibrer d'un accent chantant l'ailleurs, pas tout à fait comme ici, ni vraiment comme là-bas, unique tonalité qui manque souvent de faire pousser un sourire à la pointe malicieuse des lèvres. Pourtant, rien ne vient les effleurer cette fois, juste le goudron de l'amertume qui slalome le long de sa gorge. Sumire qui s'imagine ne rien mériter, pas même ça, pas même sa présence revenue entre ses murs pour faire don d'une discussion tissé dans un calme qu'elle sent pourtant encore un peu fragile. Ou n'est-ce qu'elle qui frissonne de l'intérieur, d'angoisse, de terreur de remettre un pied sur une fêlure encore trop fraîche ? Le pardon sillonne sûrement les prunelles charbonneuses alors qu'il reprend, que le froissement de ses mouvements la berce autant qu'il jette son eau sirupeuse sur les flammes sempiternellement dansantes au creux de son être.
Une inspiration discrète, un nouveau souffle, une dose de patience qu'elle ingère en se détournant rien qu'un peu pour alanguir sa propre pose, dénouer ses jambes pour les laisser glisser hors de leur posture peu agréable après une nuit plus bordélique que les autres. "J’suis pas grand-chose mais j’suis quelqu’un de loyal. J’dis pas qu’il le mérite plus que d’autres, j’en suis pas à l’idolâtrer non plus, mais toi, tu voudrais d’un mec qui prête serment et qui s’y tient pas ?" Elle cille sous l'entente râpeuse du "pas grand-chose" qui résonne, retient la langue devenue trop bavarde, trop brutalement inspirée, pour ne pas l'interrompre, le détromper avec fermeté. Si le lien visuel se fait à nouveau, elle espère qu'il n'y voit rien d'effrayant, rien qui, de nouveau, lui fera claquer la porte. La nymphe aux ailes usées se laisse aller à croire qu'il y verra la plus belle vérité, la même franchise que ses paroles peinent à donner complètement. Parce que bien avant tout ça, tu résonnais d'un tout que je rêvais d'au moins effleurer. Finalement, elle secoue lentement la tête pour unique réponse, se pare de ce silence qui lui est tant familier, presque un habit de plus pour parfaire la tenue d'une putain à l'aura sibyllique. Non, elle ne voudrait pas de quiconque ne tiendrait pas ses serments, autant fait à elle qu'à un autre. Et dans les palabres caressantes, elle entend tout ce à quoi il s'accroche, tout l'intérêt qui s'allie à l'envie de ne pas cacher ce qui risquerait de se faire plus déchirant si l'aveu ne vient pas d'eux. Des "et si …" qui la mènent vers des scénarios désastreux où l'épilogue sonnerait forcément d'une mélodie tragique.
Un autre silence qu'il laisse planer au milieu des mots. L'intrigue et son attention s'aiguise, se porte sur tout ce qu'il ne dit pas, qui résonne peut-être trop fort en lui pour que les mots s'écrivent enfin. La main se gorge d'une nouvelle envie de l'apaiser d'un touché, dénué de curiosité, une impulsion que le cœur et le corps crient en même temps mais qu'elle se refuse. Mais le châtiment ne dure qu'un temps, les liens de la torture se délassant quand vient la brise des phalanges longeant sa peau, gommant sans le savoir le plomb qui pesait trop lourdement sur sa poitrine. L'aube d'un sourire, un éclat de soulagement mordoré perçant la grisaille des nuages que la culpabilité a emmenée avec elle. "J’veux pas avoir à choisir qu’entre ça. C’est pas possible, tu vois ? Faut qu’y ait un autre moyen." Les yeux quittent le mouvement de la main qui se hasarde contre sa peau puis l'abandonne pour mieux revenir à ses trats qui ne se sont pas floutés avec le temps. Ils ont persistés à rester aussi clair que tous les souvenirs dans lesquels elle plonge. L'illusion d'une éternité passée sans rien entendre de lui que des rumeurs à travers d'autres bouches l'a peut-être inquiétée. Ce "Et si j'oubliais tout" qui la hante encore parfois. "On va trouver." qu'elle arrive à murmurer, offrant à son tour l'ouverture de quelque chose, d'une envie d'abaisser un énième mur. C'est finalement lui qu'elle laisse entrer en elle. L'esprit bouillonne de questions, d'anxiété qu'elle maîtrise mal mais elle en laisse les échos de côté. Pas maintenant. Plus tard, elle aura tout le temps de se laisser submerger.
La main dérive, gratifie la peau d'un autre passage doucereux jusqu'à happer sa main encore fourmillante d'envie dans la sienne. Ses doigts s'y resserrent instinctivement, savourant la chaleur irradiante, la pulpe du pouce sillonnant le dos d'une main, courant sur les veines où bruissent sûrement le carmin d'un rouge que sa magie chérit de mille façons. Et la danse de son doigt continue ses esquisses, même lorsqu'il reprend " Parce que, j’ai beau m’dire qu’on en sait pas tant qu’ça l’un sur l’autre, en fin de compte, j’ai juste… J’veux pas me louper. Et j’voudrais qu’tu sois… heureuse – ‘fin, j’prétends pas être la solution, du tout – j’veux qu’tu sois bien." Il lui faut quelques secondes pour s'arracher à la vision de leurs mains alliées, s'y dérober sans violence, se laissant bercer par la sensation d'être à la bonne place mais de ne pas encore le mériter. "Je suis bien. Enfin, là, tout de suite, ça va." Elle le soupire, la voix emplie de trémolos discrets, assez pour qu'elle espère qu'il ne l'entende pas. Elle ne se souvient pas. Elle ne sait pas bien ce qu'elle a pu ressentir quand d'autres lui ont simplement tenus la main. Si le cœur a autant chanté et si l'être entier jusqu'à la racine de l'âme s'est fait plus brûlant encore. Un temps avant qu'elle retrouve le fil de la conversation, qu'elle sache trouver les mots, laissant errer ses yeux sur son visage aux expressions plus que parlantes. "Tu sais, je n'ai juste pas envie d'être la cause de ton renvoi." Un rire, toujours un peu nerveux, qui résonne pour offrir une pause. "Tu n'as jamais demandé à ce que je t'approche, ni à ce que ça aille aussi loin. Et en quelques sortes, moi non plus mais … Je ne regrette pas." Les mêmes mots qui reviennent, appuyant comme pour en souligner la puissance. Rien ne sera jamais regretté. "Ce que je regretterai le plus, ce serait qu'à la fin, s'il réagit mal, tu te retrouves sans rien et que peut-être, tu en viennes à me détester. Je ne pense pas qu'on pourrait continuer en partant de là non plus." Elle offre un instant de silence avant de laisser murmure un autre ruisseau de mots. "Je ne fais pas confiance aux hommes de ce milieu et à leur compréhension. S'il affiche bien, ça reste le patron d'un business grandissant." Les spectres de l'angoisse reviennent glisser sous la peau, l'étreignant avec une férocité qui laisse sa poigne se resserrer sur la main qui offre un cocon à la sienne. "Il y aura des conséquences, je le sais et ça ne me plait pas. Mais si tu tiens à le lui dire, j'aimerais qu'on en supporte le poids à deux. Tu n'as pas à tout prendre sur tes épaules, les miennes sont tout aussi solides." Un trait d'humour qu'elle laisse filtrer, sonnant pourtant de vérité. Son corps est bardé de fardeaux trop lourds et trop durs à exprimer. Et elle sent, rien qu'en le regardant, qu'il a son propre lot de secrets et de blessures à porter.
Juste un haussement d'épaules alors qu'elle détourne un instant le regard, le posant ailleurs jusqu'à le faire atterrir sur la bouteille encore pleine de son riz distillé.
"Dans mon pays, on appelle ça nihonshu. Et on a tendance à en abuser, il faut l'avouer." La main libre s'empare avec délicatesse de la bouteille quand la voix laisse résonner une langue qu'elle ne prononce plus depuis ce qui lui semble être une éternité. Le souvenir d'un pays arraché se mêlant à la symbolique de cette bouteille ramenée achève de ramener en elle des émotions voraces, enivrantes. "J'ai pensé que l'alcool m'aurait fait oublier." Les doigts glissent le long du verre, suivis par l'incisive des ongles que la matière laisse à peine chuchoter, un bruit doucereux que ses paroles noient à nouveau "Ce matin-là, je veux dire. Mais non. Il repasse en boucle, sans rien négliger. Pas un son, pas une sensation. Tout est là." En moi, tu continues de résonner. Trop fort. L'index sillonne pour gratifier le goulot d'un bref effleurement, une seconde pour en faire le tour avant que la main délaisse la bouteille, achevant ses caresses invasives. Le regard ricoche, se plante toujours au même endroit. Et elle ne se dérobe pas, sent que tout ce que fredonne ses yeux c'est le manque qu'elle n'ose pas prononcer, le bonheur timide que laisse planer son sourire, le plaisir impudent que les mains liées ont, depuis longtemps, fait naître.
FOR ALL I HAVE IS A HEART UNSURE IF EVEN TIME CAN MEND
Voilà des jours, des mois, et peut-être au plus loin que je me souvienne, voilà des années que je rêve de dire à cet homme : j’aimerais vous parler, et entrer chez vous quelques heures, pour rien, pour bavarder. Je ne le fais pas.
L’écho rassurant d’une paix précaire. Elle est fragile et de ses mains, de ses gestes, de ses regards, de ses sourires un peu timides, elle en prend soin, tente de ne pas la briser, de ne pas brusquer le lit calme de l’eau aux fonds troublés. Car le corps rugit, s’anime comme il s’est toujours un peu animé devant lui, se faisant tempête de désirs refoulés dans les mots échangés. Elle a espéré qu’il ne remarque rien puis parfois, un peu capricieuse, qu’il l’entende, ce tremblement fugace qu’il animait en elle dans des dialogues parfois trop courts, la laissant gourmande de plus. Demain, peut-être, elle reviendrait quémander un peu plus de la tonalité de sa voix, pour se laisser caresser par elle sans qu’il ne s’en doute. Il n’a pas vu et elle non plus, que lentement, il est devenu son îlot de paix. Elle s’y réfugie et se crispe de peur qu’il lui échappe. Parfois, dans des instants brefs, elle ressent l’envie de revenir à cet état de mort psychique, refaire de son cœur un désert où il n’y a que son fils dont les hurlements passent dans les sifflements du vent. Sinistre vision qu’elle repousse et repousse encore. Ce n'est pas le moment. Ses lèvres aimeraient lui dire, prononcer ses angoisses les plus terribles, confier ses secrets les plus lourds, des fardeaux de plombs amers qu’elle aimerait enfin délaisser. Ça ne vient pas. Ça bloque à l’orée des lippes qui se font moins avares de s’éclairer d’un sourire. Un plus sincère, un plus doux, un plus malicieux. Ils se déforment pour prendre la tournure d’une énième danse sensuelle s’alliant aux regards qui ne trompent pas. Murmures de vérité dans les miroirs de l’âme, il n’y a pas de place pour les mensonges. Il peut s’y fondre autant qu’il veut car, au moins, ici, elle ne peut rien cacher sans prendre le risque douloureux de mettre des mots sur ses émotions. L’étau de sa main autour de la sienne continue à apaiser les battements d’ailes du cœur chantant. Elle espère qu’il l’entend comme elle aimerait entendre battre le sien. L’oreille en a retenue les notes, les vibrations sourdes, puissantes, lentes et calmes qui faisaient taire les démons hurlant dans sa tête. Un Enfer qu’elle a ouvert aux esprits errants, à trop voyager entre les mortels et ceux qui ne sont plus qu’ectoplasmes d’une vie passée. Ils ont laissés en elle un peu de leur poison, transformant ses nuits en épreuve.
Est-ce que ce soir encore tu les feras disparaître ?
Sumire qui n’aspire qu’à l’oubli et à se repaître de sa présence, l’aspirer, vénérant de la pointe de l’ongle jusqu’à la pulpe du doigt où se creusent les empreintes. Elle s’arrache à la conquête du verre tanné, ressent comme un souffle nouveau l’impulsion du corps venant vers elle, la caresse avide de l’expiration contre son visage jusqu’aux lèvres qui se déposent sur sa peau. Les paupières s’abaissent un instant pour un moment de pause, une seconde volée au temps pour en saisir les sensations, toujours nouvelles, toujours troublantes mais qui ne font jamais mal. "Sers-nous." Un éclat de voix salvateur, une délivrance qui lui arrache un autre de ces sourires de bonheur qu’on savoure, hochant brièvement la tête. La main se délivre de la sienne, la chaleur du toucher y persistant encore. Entre deux doigts se saisit le pied d’un verre pour en pencher l'ovale quand l’or murmure enfin sa descente, une rivière coulant lentement dans son mince couffin, un éclat prometteur de perdition. Déjà les arômes de l’alcool s’étalent entre eux, murmure un ailleurs qui la rend nostalgique. "J’sais pas à quoi on peut trinquer… mais trinquons quand même." Une pause qui s’étend jusqu’à ce qu’elle lui tende l’un des verres comme un présent, méditant la question. "Hm … On peut trinquer pour nous, c’est suffisant." Le cristal chante dans un cliquetis discret, assez sonore pour signer là l’accord des prémisses d’une réconciliation. La langue goûte l’âpreté d’un alcool dans lequel elle s’est trop souvent noyé. Il pourrait lui rappeler les horreurs de soirées à tenter d’ensevelir son esprit sous des flots enchanteurs, à s’en abreuver encore et encore, gorgée après gorgée jusqu'à ce que la trachée ne devienne plus qu'un nid de flammes en attendant l’écœurement fatal. Mais rien ne vient. Rien sauf l'ambroisie enroulant la langue dans son velours un peu amer, les pointes d'une allégresse nuageuses recouvrant le regard qui toujours s'égare sur lui. Elle le croit mirage, injustement réel sous son touché indiscret, l'effleurement des doigts sillonnant la paume offerte contre sa cuisse. La gorge se serre d'une émotion aussi fulgurante qu'un éclair survenant sans un bruit, s'estompe au bout d'un instant. Le manque enfin comblé, la tristesse qu'il éponge sans que l'alcool ne l'imbibe encore. La voix aimerait dire que l'absence a été lourde, que sous les corps des autres elle l'a espérée, qu'elle aurait voulu venir plus tôt, savoir comment faire pour abréger ses souffrances. Mais malgré les lèvres qui s'entrouvrent, il n'y a rien de plus qu'un souffle qui s'en échappe, fugitif laissant traîner la musique d'un soulagement prononcé dans un silence qui ne la dérange pas. Une pause dans le trop plein qu'elle a laissé survenir sans vraiment le vouloir.
La faveur de sa main contre la sienne redessine les lignes de vie, évite les marques qui pourraient la faire flancher sans prévenir, des fleurs de souvenirs à cueillir qu'elle se refuse à voler. Peut-être que cette fois, j'aimerais que tu me les racontes, les voir à travers tes mots avant d'en contempler les formes et d'en ressentir les maux. Le verre se dépose dans un tintement discret, un abandon qui laisse sonner la déchéance. Cataclysme qu'elle sent enfler, hurler, maltraitant le corps et le pressant d'y mettre un terme. Si la dextre se veut douce lorsqu'elle lui dérobe son verre, son abandon est moins tendre que le premier, le bois résonnant dans un bruit sourd, fébrile. Ses genoux mordent le sol, pour à peine le surplomber quand ses mains enrobent son visage dans une caresse aimante. Le sourire est discret quand elle s'approche, laissant les orbes obscures s'embrasser bien avant que les lèvres ne puissent le faire. Le souffle d'un rire, à peine un soupir qui résonne de nervosité "Je n'ai pas demandé si j'avais le droit de te toucher mais …" Elle secoue la tête, cherchant ses mots, toujours bêtement balbutiante "J'en ai besoin, je crois." Pour m'assurer que tu n'es pas un rêve, un fantasme inventé par mon esprit malade. L'aveu résonne et elle refuse d'en avoir honte, la décontraction artificielle quittant lentement ses traits, révélant le trouble, l'envie enfantine et stupide d'encore demander pardon qui borde les paupières et les lèvres. Celles-ci se déposent contre une pommette, un effleurement appuyé dont elle réitère la danse sur la peau que la bouche peut atteindre, répandant en elle un nectar déjà connu, qui s'épanche sous la peau, lèche et mord les recoins interdit quémandant son touché, la rendant malade d'une impatience qu'elle retient. Gronde une envie de violence qu'elle ne fait pas taire, laisse languir leurs deux êtres livrant la caresse de ses pétales à ses lèvres. Encore elle se dérobe, laisse le choix, dévie pour profaner la commissure d'une bouche où elle s'est déjà abreuvée. Et elle se gorge de l'espoir qu'il la veuille encore, un peu.
FOR ALL I HAVE IS A HEART UNSURE IF EVEN TIME CAN MEND
Voilà des jours, des mois, et peut-être au plus loin que je me souvienne, voilà des années que je rêve de dire à cet homme : j’aimerais vous parler, et entrer chez vous quelques heures, pour rien, pour bavarder. Je ne le fais pas.
Les mains se font de soie contre son visage, s'accrochent à l'ossature courant sous la peau qui n'a rien perdue de sa température presque fiévreuse. La chaleur qui souffle sous les doigts l'étonne encore un instant mais elle se débarrasse des questions qui viennent, les laisse se faire emporter par les flots des pensées qui s'éteignent, toute son attention braquée sur lui, laissant s'emmêler leurs prunelles déjà embrumées, orageuses, éclairées par un tonnerre silencieux. Il gronde en eux sans qu'elle n’essaie plus de le faire taire. Il n'a jamais cessé de grogner, ne ploie pas sous ses envies de paix et même l'alcool n'a rien assourdie. Il a versé sur elle sa liqueur aphrodisiaque, laissant planer en elle des dessins inavouables. Elle ne dira pas ce qu'elle a espéré, ce qu'elle a voulu, ce que ses lèvres n'ont pas soupirées. Elle ne dira rien. Pas maintenant. Déjà les mains conquièrent l'épiderme offert que seul le froid ambiant a caressé, s'étonnant d'y trouver là le rappel d’un même passage, des paumes glissant sur la douceur de ses cuisses, les marquant en silence quand tant d'autres y sont déjà passées. Mais ils sont sans traits, sans parfums, sans voix. Ils sont des fantômes vite oubliés, des corps qu'elle préfère gommer aussitôt la porte refermée. Et s'ils la marquent, ce n'est pas sur le coeur que s'inscrit leur nom. Jamais.
L'être s'alanguit, épouse son corps avec plus de confiance, moins de raideur, repoussant en silence les bras avides des souvenirs que la pulpe des doigts effleure par endroit, des sillons emplis de vie, de bruits et de mouvements. Elle en ressent la vivacité sans s'y laisser plonger. De ces endroits interdits où on entre pas sans toquer, sans annoncer sa venue, elle en chérit les sensations qui s'esquissent, comme ce qui précède un plongeon. D'abord l'eau caresse de sa fraîcheur, de son satin mouillé avant de happer le reste dans un capharnaüm de vagues et de bruits assourdis. Elle s'arrête avant, heureuse d'au moins avoir main mise sur ce don-là.
"J’t’en veux pas." Sa voix la sort du trouble que les marques peuvent engranger en elle, l’ébranlant plus encore. Maintenant, elle sait que tout résonne de vérité, qu'il y a dans ces quelques syllabes l'écho d'une franchise qu'on ne lui offre que rarement et qu'elle-même a du mal à abandonner. Déjà, elle sent un regret idiot lui saigner le coeur à l'idée d'avoir tant parlé, d'avoir tant dit, d'avoir, pour quelques minutes, décrochés les lourds rideaux qui dissimulent son âme Et toi. Toi qui m’abandonne ta confiance sans ciller à moi qui ne représente rien, juste un être éphémère dont les racines sont sérieusement souillées. Les lèvres fourmillent de tout lui avouer ; que ses mains sont souillées, que même son corps, parfois, est tellement crasseux qu'elle aimerait s'arracher la peau. Elle se force à ne pas flancher, à peser ses mots, à y croire férocement alors qu'il reprend "On oublie. C’est fini." Et finalement, elle hoche la tête, offrant un sourire à l'esquisse sincère "D’accord. Ça me va." Plus douce la voix, moins détachée qu'elle ne l'était l'autre fois. Elle ne se laisse pas emporter par le poids de tous ses doutes infondés, s'ancre à la réalité au touché doucereux qui s'égare sur les lignes du visage et bientôt s'émerge contre les lèvres enfin offertes. Soupir volatile qu'elle laisse échapper, déclare un apaisement comme un noyé retrouverait enfin la frontière sableuse après une errance aux aspects d'éternité. Tous les gestes rappellent le charme de l'aube aux ombres érotiques, souffle en elle une nouvelle vague d'affection à l'impact encore méconnu et mal réceptionné. Le coeur glaviote ses terribles battements, se déshabillant de son flegme habituel, se dégradant à coups de canons dans sa forteresse fragile. Il chante tout ce qu'elle ne sait pas dire. Elle refoule un sourire, sentant toute la force qui doucement s'enroule à son corps pour la faire fondre plus profondément encore, se laisse enrober par sa chaleur, par tout ce qui sonne la vie en lui, car pour cet instant, il l'est, la Vie en elle-même, chaude, tendre, douce et mortelle prête à se laisser plonger dans la plus mauvaise fange, elle s'y accroche. Elle écoute, attentive, le rythme de la respiration, le bruissement des mains contre sa peau, s'enchante en silence du parfum qu'elle associe à tout le reste.
L'air se fait sporadique à l'orée de sa bouche de nouveau orpheline, laissant les paupières s'abaisser pour savourer le cadeau d’un autre sens submergé, celui du toucher qu'elle sent encore courir sur elle, se déposant au creux du cou interdit où s'acharne le poul dans une course infernale. Il n'y a que la crispation des doigts sur ses propres bras enroulés autour de sa nuque pour témoigner d'une réaction fugace, un sursaut des hanches dont le mouvement n'appelle pas à la crainte. Les bras glissent pour délivrer, rien qu'un peu, le corps fait prisonnier volontaire, abdiquant à la demande silencieuse. Elle en oublie presque les quarantes années qui sillonnent ses muscles, perdue dans l'illusion d'en avoir bien moins, harponnant le corps du sien. "Faut qu’tu trouves un canapé. Le tapis, bon…" La réflexion lui arrache un rire discret que la pièce où les meubles se font rares laisse résonner. Elle s’étonne de l’entendre sortir de sa propre gorge, un son de cloche qu’elle crée souvent pour le charme, pour laisser croire à l’autre que l’amusement est réel et sincère. Ici, dans la brève exode vers la chambre, il l’est. Pour quelques temps, elle laisse tomber les boulets de plomb qui s’accrochent à ses chevilles, se dérobant au rôle de la condamnée pour savourer un bref passage dans son Eden personnel.
La douceur des draps, la pénombre couvrant lentement la pièce de ses ombres tentatrices, l’opalescente Lune dirigeant ses rayons par la fenêtre qui borde la pièce. Elle y voit là un autre tableau enchanteur, une autre palette de couleur s'emmêlant au miel de sa peau, au bleu nuit de la couette, au blanc délavé de son pyjama que le temps a usé mais qu'elle rechigne à abandonner. Les lèvres sèment leur passage sur elle, cueillent les siennes, s’évadent à nouveau sur le chemin tracé par ses mains. Et le venin coule, assaille les veines en serpentins vicieux, laissant couler sa rivière aphrodisiaque des dunes timides aux pointes insolentes jusqu’au coeur battant entre ses cuisses. Et les frissons courent, uniques, presque douloureux et réclamant l’apaisement. Les orbes curieuses ne ratent rien de ce qu’il lui dévoile, sculptant les contours mis lentement à nus, son attention attrapant l’argent des chaînes dont elle ne perçoit pas encore les gravures exactes. Plus tard. Plus tard elle lira tout, se fera plus curieuse, laissant l’audace cueillir sa langue fourmillante de questions. Pour l’instant, elle n’est que silence, un silence d’émerveillement que les yeux doivent laisser miroiter.
Elle sort de sa léthargie sans pour autant que le regard ne prenne le large. Il reste sur lui, s’imprègne de tout pour ne rien oublier. Elle aussi voudrait vanter sa beauté, laisser venir le flot des louanges mais elle se tait, de peur d’en dire trop, de briser l’instant d’un aveu prématuré qui n’est peut-être qu’éphémère. D’un sourire maquillé de malice, elle guide son regard de ses mains qui se font curieuses de son propre corps. Sans jamais s’attarder, elles effleurent la poitrine naissante, passent contre le ventre pour mieux attraper l’élastique du bas qui la couvre encore. Les hanches s’agitent pour laisser glisser le coton et la dentelle. Dans un frémissement discret, le vêtement coulent le long des cuisses jusqu’aux jambes pour atteindre la pointe des pieds. Ils valsent jusqu’au sol, en silence, déjà oubliés. Elle se relève pour se débarrasser du dernier pétale de vêtement, enlevant le duvet d’un haut qu’un mouvement leste renvoie au loin à son tour, découvrant ce que ses mains ont déjà gratifier de leur passage. Déshabillée de sa honte et de son appréhension, le corps s’avance jusqu’à ce qu’elle puisse s’agenouiller au pied du lit, levant vers lui ses traits habités par une tempête d’émotions innommables. Les doigts remontent, glissent jusqu’au thorax où le myocarde s’anime toujours quand sous la paume courent les moindres battements. Les doigts tissant les arcanes déflorent, à nouveau, la peau conquise par une vie qu'elle ignore maudite. Un instant, elle s’y attarde avant que, dans toute sa finesse, elle redessine les muscles, les os que la peau laisse voir, des gondoles, des creux sur lesquelles elle s’abîme avec adoration, peintre de fortune rencontrant la muse de ses fantasmes. Les lèvres s’approchent, gratifiant la peau d’une caresse langoureuse. L’empreinte humide de la langue court là où la vie pulse, dégringole jusqu’aux côtes pour s’achever contre le ventre. Doucement, la respiration s’arrache à son rythme régulier, soulevant les prémisses d’un tumulte en son sein, leurs ombres ne cachant rien de l'érotisme qui les habille, de la faim vorace qui les a tenaillée pendant de longs jours. Le soupir flotte contre l’épiderme, la langue vipérine goûtant le sel d’une peau qu’elle a attendue, en vain. Le regard se loge dans le ciel marronné que l’obscurité rend aussi noir que le sien, sonnant une invitation de perdition presque avec insolence. Sa dextre court encore, délicate, laissant seulement la pulpe des doigts glisser le long d’un bras pour attraper la main qu’il lui a offerte auparavant. Dans un geste plein d’une tendresse que le corps cri, les lèvres adoubent les phalanges, y laissant à nouveau tomber la bruine lascive de baisers moins audacieux, déclamant son envie viscérale de chérir ce qu'il lui donne. A peine un effleurement jusqu’à ce qu’elle s’arrête à l’index. La pointe de la langue y court timidement, marquant la longueur pour que du bout des lèvres elle en saisisse la pointe, l’enlace de sa chaleur quand elle s’accroche toujours férocement à lui de ses prunelles orageuses, voulant encore entendre gronder le tonnerre, le sien, tout près de son oreille tandis que la nymphe le happe entièrement, mimant ce qui viendra un jour entre ses reins échauffés.
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Voilà des jours, des mois, et peut-être au plus loin que je me souvienne, voilà des années que je rêve de dire à cet homme : j’aimerais vous parler, et entrer chez vous quelques heures, pour rien, pour bavarder. Je ne le fais pas.
Il règne un silence presque religieux, respectueux du spectacle qu'ils offrent à la nuit veloutée. Ils s'abandonnent une énième fois à la volupté des sens et elle s'en recouvre sans y accorder de limites. La descente des doigts contre sa peau réveille la fulgurance de sa passion agitée, une étincelle que son touché transforme en brasier presque douloureux. Les langues enflammées voguent sur les moindres parcelles du corps que ni la soie ni le coton ne recouvrent plus. Les caresses ne pressent rien, creusent des souvenirs de son passage quelques secondes auparavant, comme le vent soufflerait sur elle en continu pour qu'elle n'en oubli pas les baisers doucereux. Les flots tendres d'une ivresse étourdissante l'emportent, guident les perles des doigts qui bientôt se font attraper, trop brièvement mais son corps se fait aussi absorbant qu'un papier à lettres où il écrirait des mots que rien ne peut effacer. La chaleur de la poigne persiste, spectre de sensations qu'elle découvre à nouveau, l'aube n'ayant pourtant rien n'effacée. Tout lui semble toujours plus clair à la moindre occasion qu'offre ses paupières fermées d'en effleurer les souvenances vivaces, aux détails encore intouchés par les affres du temps. Mais dans un souffle que porte la bise humide, elle s'immerge dans les eaux sulfureuses de cet instant présent, un autre souvenir que leurs mains, leurs regards, leurs corps emplis d'une inspiration soudaine écrivent sur la même fréquence. Tisseuse du moindre frisson, elle laisse encore courir ses doigts puis ses lèvres sur le passage sinueux qu'elle crée, invisible mais certaine qu'il en sent la caresse discrète, presque timide pourtant emplie d'une affection toujours plus grandissante, une tempête hurlante que le cœur aide à faire s'élever, pulsant dans les moindres battements, une dissonance qui menace de la faire trembler plus fort encore que l'air brûlant à l'orée de ses lèvres.
Au creux de sa bouche offerte se diluent les nuances d'une peau que la langue explore le temps de quelques secondes, offrande sucrée d'une péninsule curieuse, délicate, les opales charbonneuses s'aventurant dans les siennes, y trouvant là un îlot sur lequel elle échoue sans craintes d'être repoussée. Il ne se dérobe pas, ne dérive pas vers un autre rivage plus obscur pour l'éviter, jamais il ne la fuit. Il l'observe autant qu'elle le scrute, s'attachant à tous les détails qui témoignent de sa réelle présence. Pas un rêve, ni un fantasme que son esprit tourmenté essaie de lui dessiner pour la laisser ébranlée quand le réveil viendra la cueillir. Non, tout cri sa présence, de la chaleur rassurante de la main épousant sa nuque à l'entente de sa respiration, toute proche, presque assez proche pour qu'elle en sente la faveur sur son visage. Les lèvres relâchent l'index dans une remontée langoureuse, gardant sur le lit de son palais celui d'un sel comme parmi d'autre mais la saveur est différente, s'alliant à lui, à son souvenir et à son existence solide. Quelque chose lui chuchote qu'elle ne mérite aucun des regards qu'il laisse dégringoler sur elle, ni l'effleurement aérien que les phalanges offrent à ses traits, redessinant les contours de son visage que les lueurs nocturnes rendent toujours plus pâles. Le regard s'abaisse quand elle résiste à l'ardeur féline de pencher la tête contre sa main. La sienne se dérobe à sa poigne et alors, elle se fait témoin du cuir glissant, le cliquetis de la boucle qu'on déloge lentement résonnant comme les prémisses d'une tension explosive. La valse des mouvements la laisse toujours plus muette, figée dans la contemplation et l'expectative. Pleine de sagesse, toujours patiente, elle oscille entre son visage et ses mains, l'une finissant par s'enquérir de la sienne pour y déposer la longue corde de cuir. Dans la tour de chair, l'oisillon palpite plus fort, hulule à s'en tordre la gorge et déclame ce qu'elle tait toujours, encore, l'évidence alors que l'argent presque froid se dépose dans l'autre paume. Les doigts s'y referment lentement, presque avec crainte de briser le présent trop précieux qu'il lui abandonne. Elle sent, dans ce qu'il ne dit pas et qui n'a pas besoin d'être prononcé, toute l'importance du geste. Et le calme se dérobe doucement à ses traits apaisés pour laisser apparaître le désarroi lorsqu'il s'abaisse face à elle.
Les paupières papillonnent, les prunelles scrutent et recèlent sûrement de tant de paroles brûlantes, vibrants si fort qu'elle en sent les étincelles dans les moindres interstices que la peau exposée absorbent pour laisser couler sa lave, faire de ses veines un torrent incandescent, sillonnant, vipérine, les courbes des seins dévoilés dont les baies se perçoivent dans la semi-pénombre, silhouette d’ombre longiligne face au colosse à la stature pourtant fière, presque militaire. La posture et le murmure d'une caresse contre son poignet menacent de corrompre les dernières traces de calme régnant en elle. Ce n'est pas la peur, ni l'effroi, pas même le dégoût qu'elle sent pointer mais l'adoration qui bloque au fond de sa gorge serrée, l'aveu prématuré se glissant presque hors de sa cage, ses lèvres s’entrouvrant comme une porte prête à révéler ses plus profonds secrets. Se muselant de force, l’ourlet n’ose s’ouvrir davantage et elle préfère offrir sa confession muette d'un sourire, toujours un peu discret, tiraillé par une mélancolie faisant désormais partie d'elle. Lentement, elle se penche, assez pour que la distance ne soit qu'un bref souvenir. La pointe de son nez se fait égale des doigts qui le dessinaient auparavant, s'abandonnant à l'obscurité totale de ses paupières refermées, appréciant le contact furtif de leur peau. L'accord est scellé par un baiser qu'elle emporte avec elle comme un secret partagé alors qu'elle se recule, s’affaisse à peine pour qu’ils se fassent presque face dans l’obsidienne d’une nuit éclairée de son croissant bien aimable pointant à peine ses lueurs au travers de la lucarne qui illumine son dos à la ligne vertébrale creusant son sillon jusqu’aux reins, fossettes creusées dignes de ces violoncelles dont on pourrait jouer des cordes usées bien longtemps, instrument à la peau brûlante et à l’âme asservie s’abandonnant à la poigne d’un homme-muse. La sirène approche, charme le marin perdu pour souffler l’audace d’un baiser bien chaste contre ses lèvres avant que, dans des gestes qui donnent l'illusion d'une assurance sans faille, elle ne fasse glisser le cuir contre la nuque, collier de cuir lui rappelant l’acte immonde qu’elle a fuit et dont elle ne veut se souvenir, hésite un instant dans un souffle perturbé avant de reformer la boucle, la pointe de la langue s'infiltrant à nouveau dans le fermoir de métal. Toute l'attention portée à sa tâche, elle serre, lentement, les secondes s’effilant dans ce murmure du cuir contre la paume, levant vers lui son regard empli d'une nervosité que le corps témoigne dans les tremblements des mains et la crispation discrète des épaules. Elle ne veut ni faire mal, ni brusquer, qu’il ne la fuit pour son audace et ses fantasmes qu’il attise sans le vouloir. La nymphe en oublie tous les hommes que ses cuisses ont accueillies, la froideur avec laquelle, parfois, elle les piège contre son corps qui devient réceptacle de leurs désirs embrouillés. Ici, tout compte et la moindre bavure l'effraie plus que de raison. Il pourrait la fuir pour l’affront d’un tel abandon à sa personne qu’il ne connait finalement que peu. Elle aimerait demander, s'il en est certain, si c'est en elle qu'il veut laisser fleurir autant d'espoir et de pouvoir. Mais là encore, elle demeure prisonnière du silence, la voix en cendres mais les yeux toujours inspirés car Zach Solfarelli semble être devenu la muse de ses moindres silences, de ses murmures, des fantasmes qui s’écoulent lorsque durant des jours, il n’y avait que cette aube pour lui faire trouver la céleste jouissance.
Dans une inspiration qui l'abreuve d'un peu plus d'assurance, elle referme l'étreinte de cuir tout contre la pomme d’Adam, refusant de le voir animal dont la main est la seule maîtresse. Ils seront égaux cette nuit, brutaux, retournant à l’état sauvage que dictent leurs désirs primaires. "Dis le moi, si ça te fait mal ou si je t’étouffe. » qu'elle murmure enfin, l'accent presque plus chantant, la voix plus chancelante car elle vacille de l’intérieur. Tout s’effondre et se reconstruit, une fin pour une commencement. Sous les filigranes d'encres de ses cheveux, elle l'observe encore un instant, éprise avec autant de puissance que ces filles découvrant l'aube de sentiments amoureux. "Tu peux te relever." Il n'y a que les consonances de la bienveillance, une douceur qui appelle toujours à avoir son accord. Elle attend, laisse les doigts s’enquérir des dernières épaisseur de vêtements qui le couvre, laissant les griffes opalines le dérober à la chaleur de l'éphémère pour celle plus réelle de son propre corps qu'elle aspire à étreindre pour ne plus lâcher. La dextre glisse le long d'un bras pour forcer son dos à rencontrer le duvet du matelas sans jamais lâcher la laisse de fortune entre ses doigts peu assurés. Et elle se fait souveraine de son corps, saigne les hanches de ses cuisses bien pâles jurant avec la peau tannée par un soleil dont elle ignore encore tout pour se laisser attraper par la vague d'un frisson courant dans l’éden couvé par ses cuisses où suinte la rosée d’une envie que son ventre ne pourrait oublier tant elle se fait profonde et douloureuse, n'ose rien d'autre que s'incliner tout près de lui, les pointes des cheveux glissant sur eux comme un rideau crépusculaire, étanchant sa soif contre ses lèvres, y déposant la promesse de chérir sans plus jamais écorcher injustement, la timide poitrine aux baies venant d’éclore fondant contre le torse brûlant. Elle s’écoule sur lui, la langue curieuse retraçant la ligne volontaire de sa mâchoire, n’osant lui confier le "Tu m’as (bien trop) manqué", bouffée par les non-dits mais finissant par le recouvrir d’elle, le bonheur de retrouver sa chaleur la vivifiant de l’intérieur, faisant hurler le rouge d’une magie trop gourmande.