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Tu ne voleras point [Ft. Zach]

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Fear is the mind killer
Ethan Roman
Ethan Roman
Fear is the mind killer
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En un mot : Humain
Qui es-tu ? : Tu ne voleras point [Ft. Zach] Design10
Facultés : Aspirateur à emmerdes
Thème : Ohne Dich / Rammstein
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ASHES YOU WILL BE

Pseudo : Ethan Roman
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Date d'inscription : 22/01/2021
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Lun 24 Mai - 17:18 (#)

Vendredi soir à Mansfiel, tout une aventure. Ce quartier est une véritable cour des miracles. Tu cherches quelque chose de précis, introuvable sur les réseaux sociaux ou dans tous les magasins que tu as faits depuis dix ans, va à Mansfiel, dépose une bonne liasse de billets verts sur le comptoir d'une arrière boutique et tu repartiras avec l’objet de ta convoitise. Les laissés pour compte sont rois ici, c’est leur domaine, leur territoire et gare à l’intrus qui ne se conforme pas aux lois de la plèbe. Le marchand de cocaïne côtoie le reliquaire d’artéfacts plus ou moins authentiques, les sorcières dispensent quelques sorts et distribuent des fioles mordorées où la vie semble prendre forme, plus rares, les diseuses de bonne aventure narrent un avenir radieux, ponctué par quelques drames pour rendre l’histoire plus crédible, les prostituées aguichent le passant leur promettant des heures d’extase jamais connue, le tout aux côtés de nonnes bienveillantes, aux sourires protecteurs, prônant encore les vertus d’un seul et unique Dieu. Et tout ce beau monde vit en harmonie les uns avec les autres. Les seuls manquant à l’appel, ce sont les véritables êtres fantastiques, qui n’aurait, d’ailleurs jamais dû quitter les livres de contes. Les Bêtes ne se montrent pas et c’est une bonne chose, ils n’auraient pas leur place en zone urbaine, enfin c’est ce que j’imagine. Quelques vampires traînent, mais ce sont plutôt des marginaux, les autres, préfèrent les salons confortables et privés. S’ils viennent dans les rues crasseuses, sentant la pisse et le vomi, c’est pour acheter quelques doses d’un bonheur éphémère, vendu par des types comme moi. Bien que, ça fait une éternité que je n’ai pas fait commerce, faut dire que les revendeurs de confiance se font rares. Je ne manque pas d’argent, donc aucun besoin de recourir à de telles extrémités.

Non, si je suis venu traîner la savate en cette douce soirée, c’est que je recherche le Mad Dog afin d’y déposer un message pour Nicola, mon ami vampire. Cette pensée m’horripile profondément mais ce gars n’a rien d’un monstre assoiffé décrit dans les livres de Bram Stoker et surtout de l’idée que je me faisais de ces êtres immortels. Je me cherche des excuses, renie mes principes car au final, ben je l’aime bien, « cet » antiquité.

La dernière fois que je suis venu dans ce quartier, c’était en taxi qui m’avait directement déposé devant l’établissement et le retour avait été un peu plus nébuleux. Quoi qu’il en soit, impossible de retrouver la rue où j’avais fait la connaissance de Nico dans des circonstances plutôt musclées.

Je tente de demander aux commerçants locaux s’ils connaissent le club mais la réponse reste toujours la même. Après avoir essayé de me fourguer leur camelote, ils secouent négativement la tête et me chassent à l’aide de quelques insultes ou poudre jetée à la figure. Je pue le curry et le paprika à plein nez. J’enfile une dernière rue, après quoi, je capitulerai et attendrai que mon pote débarque une nouvelle fois dans mon garage, une horde de loups collée à ses fesses. Déambulant tranquillement, les mains enfoncées dans les poches de mon jeans, je souris à ce souvenir, même si un frisson de peur et de haine traversent mon échine, malgré la capuche qui cache un chignon serré.

La ruelle est étroite et les murs ont l’air de suinter une transpiration grasse et collante. Je suis presque certain que si je les touche, je vais me retrouver prisonnier, amalgamer aux briques. Les balcons en fer forgé, habituellement si joyeux, sont habités par des plantes mortes, aux feuillages brunâtres, s’étiolant lentement. Décidément, je préfère Stoner Hill à ce taudis.

Laissant derrière moi l’étroit passage, je débouche sur une place nettement plus peuplée où une foule hétéroclite se croise, se salue et se bouscule. Les lampadaires, certainement dessinés par le même architecte que celui qui a créé les balcons, diffusent un halo doré, améliorant la mine de certains, même les morts semblent vivants.

Lassé de ma balade infructueuse, j’avise un food truck et commande un hot dog et une bière. En attendant ma nourriture, j’examine mon environnement qui détonne singulièrement avec les rues que je viens de traverser. Une grande bâtisse illuminée, brillant de mille dorures, me fait face, arborant en lettre d’or le nom de l’hôtel. Jamais je n’aurai imaginé un tel truc ici et j’ai peine à croire que des touristes traversent l’atlantique pour venir séjourner là-dedans. Pourtant, les portes automatiques ne restent jamais immobiles bien longtemps, il y a un sacré va-et-vient. Mon encas dans les mains, je trouve refuge sur un banc et poursuis mes observations ludiques. J’adore regarder les gens passer, leur inventant parfois une vie, me moquant des autres. Peu se voient décerner mon admiration.

Tout en dégustant mon repas, j’observe distraitement le bal des voitures qui se garent ou qui partent, commentant mentalement la façon de conduire de chacun. Heureusement que personne n’est là pour écouter mes critiques qui sont peu glorieuses.

Une grosse berline s’arrête, non loin d’un kiosk. Le moteur est coupé et une sorte de colosse en ressort hâtivement. Mon sourire renaît sur mes lèvres, je sens que cela va être intéressant de voir comment la circulation va se boucher petit à petit. Plaçant mes bras de part et d’autre sur le dossier, je croise les jambes et compte déjà le premier son de klaxon. En moins de trois minutes, des vociférations se font entendre, accompagnées de crissement de pneus. Un gars avec un bonnet en laine orange, un manteau à carreau au tissu éliminé, au pantalon noir troué et aux baskets déglinguées, se poste au milieu de la route et s’improvise policier, gâchant mon petit plaisir mesquin.

Rapidement, le flot de véhicules reprend sa normalité. Ce qui est nettement moins normal, c’est que le gars en question s’attaque à l’ouverture de la voiture. Piqué par je ne sais quelle mouche, je me lève, empoigne la canette de bière et me dirige hâtivement vers le voleur.

- Hey ! Elle est pas à toi cette caisse !

Je pense que tout Mansfield vient d’entendre mon beuglement. Un magistral doigt d’honneur est tendu dans ma direction, juste avant qu’il s’engouffre dans l’habitacle. J’arrive, essoufflé à la hauteur de la bagnole, contourne le capot et tombe nez à nez avec le malfrat qui a cassé la vitre. Le moteur tourne déjà, je n’ai pas le temps de faire quoi que ce soit, hormis lui balancer ma bière à la figure, qu’il est déjà à l’intersection. Planté au milieu de la route, je me fais copieusement klaxonner à mon tour. Rageusement, je lève les mains, dévoilant mon bras plâtré jusqu’au coude.

- Ca va ! On se calme !

Retrouvant le trottoir, une masse imposante s’avance en fendant la foule. Merde… j’espère qu’il a vu toute l’action, depuis le début.

- Mec, désolé, j’ai rien pu faire. C’est le gars, là, avec son bonnet orange qui a pris ta caisse.
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Dim 15 Aoû - 11:28 (#)

TU NE VOLERAS POINT
Beams of fire sweep through my head, thrusts of pain increasingly engaged. Raging red rivers and streams - the kingdom of my shadow, where dread of man in endless night revives my every cell. To those who doubt - your wounds will never heal. I am pain. I am grief. I'm the things you fear.

« Tu m'appelles quand t'as terminé ?
- Okay !
- Eh.
- Mh ?
- Surtout si y a le moindre souci, tu sais quoi faire ?
- Oui, t'inquiète pas. »

Zach quitte des yeux le reflet dans le rétroviseur intérieur pour tourner la tête en direction du bâtiment cossu à quelques dix mètres de là. Alice, dans son champ périphérique, accroche à son faciès buriné ses iris bleus pleins de sourire. On dirait qu'elle essaye de rassurer son père avant de se rendre à un entretien d'embauche ou à un bal de promo, confiante, rayonnante, et comme nimbée par la lueur ingénue de sa jeunesse folâtre. Il souffle lui-même la contagion de cette légèreté dissonante, et lui jette un coup d'œil, la commissure de ses lèvres s'étirant un peu d'un rictus qu'on devine attendri.

« De toute façon il paye pour une heure. S'il veut plus, tu me tiens au courant. Moi j'serai là, au kiosque.
- Je ferai attention. T'auras pas à monter.
- Y a pas intérêt. »

Elle se penche, et sa main aux ongles parfaitement manucurés presse doucement son épaule par-dessus le dossier du siège conducteur.

« Allez file. C'est presque l'heure. »

Obéissante, elle relève sur sa délicate chevelure d'un blond presque neigeux la large capuche de son manteau, dont l'élégance sobre contraste avec les étourdissantes parures de dentelle et de satin dont elle a orné sa peau laiteuse. Une véritable fée de l'hiver du nord s'échappe alors du véhicule, flottant, vaporeuse, sur ses talons vertigineux comme sur la bise gelée qui enfante des dessins éphémères sur les vitres au petit matin.
Une créature que la moiteur de l'arrière-saison louisianaise, lourdaude et boueuse, n'aurait jamais su faire naître.
Vingt ans à peine, toute petite, des formes à peine plus rondes que celles d'une adolescente, et déjà la prestance et l'assurance incroyablement maîtrisées d'une vraie dame. Zach ne se lasserait probablement jamais de s'étonner de ce que dégage l'une des plus récentes additions aux rangs du cartel. Actrice hors pair ou vieille âme dans un corps d'enfant, il n'avait jamais su trancher. Elle dépareillait physiquement du reste de ses comparses avec une force que seule Erynn, jusqu'à maintenant, avait attestée, mais dans un tout autre genre en ce qui concernait la personnalité. Et Alice avait un don. Une espèce d'aura. La douceur et la quiétude qu'elle incarnait la rendaient rassurante au point que c'en soit troublant. Un regard d'elle, et les peines se taisaient. Quelques mots de sa bouche, et l'existence n'était plus si pénible. Son rire rendait le monde à la vie. Peut-être n'était-elle pas aussi humaine qu'elle l'affirmait - la garou ne pouvait s'enlever cette idée de la tête, et pourtant, ça n'était source d'aucune méfiance, d'aucun rejet chez lui qui ne faisait plus d'exceptions que pour sa famille. Si elle avait quelque chose de surnaturel, alors Alice devait être l'enfant d'un ange ou bien son incarnation terrestre, tout simplement. Oui, tout simplement : on finirait bien par avoir vu tant de monstruosités partout, tout le temps, qu'il n'y avait plus aucune raison rationnelle pour qu'elle ne soit pas l'inverse.
Alice disait avoir choisi de se prostituer pour apaiser les cœurs de ceux qui ne croyaient plus en l'amour. On l'avait crue inconsciente de la réalité du métier, on avait douté de sa résilience, mais elle s'acquittait visiblement de tout avec une abnégation réelle, un calme et une bienveillance, eh bien, oui, célestes.

Il allait sans dire que Zach tuerait pour protéger une fille comme elle. Non seulement parce qu'il a le devoir de garantir sa sécurité autant que sa probité, mais aussi parce que le simple fait qu'une telle personne existe revêt un caractère miraculeux, pour lui qui aujourd'hui s'apprête à tout moment à ne plus croire en rien. Et s'il aime toutes les gagneuses sous l'égide de son patron, chacune à sa manière, il se doit d'admettre que certaines ont une place particulière. Ca n'est pas allé de soi au début, parce que d'une certaine manière, elle lui rappelle trop Anaïs. Mais il a réussi à apprivoiser ce sentiment et, quoi qu'il en soit, Alice fait partie de ces figures qui, pour le cerbère, ont la valeur des croix que serrent les chrétiens entre leurs mains suppliantes. La percée diaphane d'une hypothétique félicité, au-delà d'un ciel plombé.
Au moment de passer les battants de la réception de La Belle Esplanade, trop loin pour discerner le visage de son chauffeur, elle jette malgré tout un dernier regard vers lui. Elle sait qu'il ne l'a pas quittée des yeux, pas tant qu'elle n'a pas totalement disparu dans la chaleur plus sèche de son lieu de rendez-vous. Elle lui sourit. Il le lui rend.
Tout ira bien.

Combien de fois peut-on se tromper sans renoncer pour toujours à ces trois mots ?
Il ne saurait le dire.
Il ne sourit plus.

S'étant arrêté sans couper le moteur, il repart pour se garer à l'endroit désigné. Les autres usagers défilent, mais la place reste inoccupée jusqu'à ce qu'il y parvienne. Sa portière s'ouvre, puis claque à nouveau. Il s'y adosse, et sort de sa poche un paquet de cigarettes, tellement abîmé par la poigne nerveuse qui l'a si souvent sollicité pour se raviser ou le changer de logis qu'il n'a plus rien de rigide. Il y aurait presque de quoi reconstituer une demie cigarette avec les miettes de tabac qui en tapissent le fond, côtoyés par l'ultime restée plus ou moins debout, ridée comme par la vieillesse d'avoir été malmenée trop de fois par des doigts qui hésitent à la fumer. Mais finalement, c'est son heure. Le vétéran n'est pas prêt d'arrêter cette consommation délétère - certainement pas la pire.

Le briquet craque trois fois dans l'alcôve de la paume qui protège du vent frais son souffle presque épuisé. Les prunelles tourbeuses se promènent sur la grisaille environnante, à peine entachée par l'expiration brumeuse. C'est pareil à tous les autres soirs. Un paysage d'une banalité rassurante. Pas de festivités condamnées à tourner au vinaigre, pas de présence ouvertement douteuse ou mal assortie à la bizarrerie habituelle du commun des mortels hantant Mansfield. Pas de quoi lui rendre son rictus benêt non plus, mais Zach se sent à l'aise ici, au milieu des gens modestes et même parfois miséreux qui font ce qu'ils peuvent de leur vie gravitant autour de cet hôtel opulent et fier comme un bourgeois égaré dans un bordel, qui se croit en terrain conquis en plein milieu de la cour des miracles. Zach est comme tous ceux-là. La tenue qu'il porte le rattache illusoirement au monde à l'intérieur des portes par lesquelles Alice a disparu. Rêve de certains, réalité à part. L'analogie avec le terrier du lapin blanc fait hausser les sourcils de l'ancien SDF, qui a connu d'autres délires, lesquels l'ont conduit à une toute autre chute. Il n'envie plus ceux qui ont les moyens du rêve, et qui ne sauraient vivre autrement. Depuis quelques temps, il n'envie plus personne.
Une aspiration plus féroce que les autres fait crépiter le bâtonnet dont la cendre tombe presque immédiatement. Il se dit qu'il faut qu'il arrête de penser. Que ça ne lui fait pas de bien ces temps-ci. Ça nourrit ce qu'il faudrait laisser mourir de faim. Mais il n'y peut pas grand-chose. Le venin s'insinue toujours quand il est seul, c'est comme les infiltrations en cette saison : il y aurait probablement des moyens pour que ça s'arrête, mais tout est déjà si moisi de l'intérieur qu'il est difficile de garder courage et de ne pas envisager de simplement… tout raser.
Il n'aura pas mis longtemps à regretter la douceur nitescente de la jeune fille.
Il brûle encore la tige de nicotine et en soupire lourdement les effluves empoisonnés. Avisant le résultat, il dit adieu dans une dernière bouffée à la vaillante qui aura duré près de trois jours seule dans une poche, et puis, ouvrant de nouveau la portière, il s'asseoit, le temps de récupérer dans la boîte à gants ses papiers et son fric, qui viennent s'intercaler dans la poche intérieure de sa veste, côté opposé au holster garni à son flanc. Refermant la caisse, il s'accorde le temps de traverser les voies encombrées par le trafic vespéral; afin de longer l'autre bord de la rue, jusqu'à cette petite épicerie où il sait qu'il trouvera des recharges mais aussi un peu de compagnie familière pour passer le temps. Un automobiliste manque de ne pas freiner à son passage ; Zach pile autant que lui, se fait klaxonner. Il lève sa main dans un geste éloquent, et sans regarder davantage le chauffard qui se prend lui-même les remarques sonores des véhicules qui le suivent, poursuit son chemin.

La porte vitrée fait tinter son carillon quand ses larges épaules dépassent le chambranle. Plusieurs nez se lèvent et dans le lot, le patron et deux gars en grande conversation reconnaissent tout de suite à qui appartient cette carrure inhabituelle.

« Tiens ! R'gardez-moi qui c'est qui débarque pile quand on s'met à causer d'voyous !
- Salut Bernie.
- Bordel de Dieu, si j'avais su qu'tu t'pointerais c'soir ptet bien qu'j'aurais décalé mon r'tour… »

Zach dévisage cet homme-là d'un air interloqué. Environ trente, trente-cinq ans, sèchement bâti, bardé de tatouages, les cheveux bruns coupés très ras dévoilant le trait blanc d'une cicatrice au-dessus de l'oreille tandis qu'une autre pique légèrement le côté droit de sa lipe supérieure, comme relevée sur une canine, chose que son sourire souligne. Deux yeux brillants et vifs, "des yeux qui ont la dalle" se dit le vétéran. Le type, malgré son expression goguenarde manifestement destinée à éveiller la sympathie, dégage à peu près la même aménité qu'un chien dressé à mordre. Un ange passe, rapidement.

« Yo, Rital, tu r'connais pas Corey ? » fait un troisième, nommé Dean, un quadra débonnaire au crâne luisant, rencontré à l'époque des combats illégaux dans les sous-sols du Mad Dog et souvent recroisé depuis. Il a l'allure d'un catcheur en période de prise de masse et malgré cela, il demeure plus rassurant que le teigneux qu'il vient de désigner par ce prénom.

Malaise. Cela fait un certain temps que ce genre de situation n'est pas arrivé. Notre homme a réussi à se faire son petit cercle de connaissances dont il fait en sorte de ne pas dépasser, afin que les visages et les noms s'effacent le moins possible de sa mémoire en proie aux fringales d'une Bête maudite qui n'a jamais cessé de ronger ses souvenirs, amnésie incurable que rien n'arrêtera semble-t-il jamais.

« Ben non, p'tain. Tu penses bien qu'une gueule de merde comme la tienne, j'ai tout fait pour la zapper. »

Le groupe se marre. C'est passé. Dieu merci.

« Faut dire, ça fait longtemps. Pis la dernière fois, tu la lui avais tellement refaite au carré qu'il était un peu d'traviole, reprend Dean.
- Et r'garde, aujourd'hui, frais comme un gardon. C'est de l'histoire ancienne. Mais j'ai retenu ma leçon. Tu viens boire un coup ? questionne Corey d'un air particulièrement jovial.
- Nan j'bosse. J'passais prendre des sèches. Bernie, tu m'en mets deux de vingt-cinq s'te plaît ?
- Mais oui dis c'est qu'y s'fait beau comme un vrai sicilien maintenant, c'est quoi c'costard ? s'étonne encore Corey avec le même entrain.
- T'as dépouillé un mort ou quoi ? renchérit Dean.
- Quoi, j'te plais plus, Corey ?
- Ah déconne pas… »

En empochant ses clopes et en laissant les billets sur le comptoir, Zach se marre de voir l'autre piqué d'un rictus au son du sous-entendu. Fut un temps, c'était lui qui prenait la mouche pour une boutade de ce genre.

« Sérieusement, tu fais quoi d'ta vie ? T'as fini par trouver un taf ou tu fais l'gigolo ?
- Ça fait quoi si j'réponds "les deux" ?
- Ça fait que j'vais surveiller ma patronne, tudieu, intervient Bernie en posant les deux paquets de cigarettes.
- Sérieusement, t'as arrêté les paris alors ?
- Y a un bail. J'y vais encore mais en journée. À la régul'.
- Et qu'est-ce qui paye tes chemises, là ?
- J'suis chauffeur privé.
- Non ?
- Vu ta dégaine tu conduis pas n'importe qui dans n'importe quelle tire…
- Môssieur joue plus dans la même cour ! »

Ça lui fait penser…
Sans inquiétude, par simple réflexe, il jette un œil par les vitres. Et là…
Il n'entend plus les voix des trois hommes. Au loin il aperçoit une tache orange - difficile à manquer - à l'intérieur de sa voiture, et un type encapuchonné qui accourt à côté, qui manque de se faire renverser par la personne qui a pris possession de la berline. Le sang de Zach ne fait qu'un tour, et le voilà qui se rue dehors comme un taureau furieux hors de sa cage, incapable de percevoir le son des voix derrière lui comme les klaxons et autres cris de surprise et de reproches qu'il sème sur son passage.
Quand il arrive à la hauteur du second mec, il a les yeux rivés sur sa bagnole qui file déjà en brûlant tous les principes élémentaires de sécurité routière. Des yeux à la pupille si contractée qu'elle suffirait à faire entendre le hurlement qu'il ne contient que par la stupeur qui le cloue là, impuissant, pendant de maigres secondes, sa large poitrine s'élevant et d'abaissant plus fortement à cause du stress qu'à cause de sa course.
Gabriel va le tuer. Le patron va le tuer.
Alice. Il doit être là pour la récupérer dans… Trois quarts d'heure, quelque chose comme ça. Grand max. Et encore, si jamais il devait y avoir un pépin, si elle avait besoin de lui avant ça, et qu'il n'était pas là…
Tout son thorax se transforme en vortex et ses entrailles sont aspirées en un nœud-broyeur.

« Putain de putain de putain de PUTAIN !!… »

A rebours, il réalise la présence de l'emplâtré à côté de lui, et même s'il n'a rien fait, son poing saisit brusquement le col de son pull. Sans raison, il pense qu'il y a un lien entre les deux.

« Tu l'connais ? Tu sais où il va ? AIDE-MOI PUTAIN !
- ZACH ! »

La voix de Dean tonne derrière eux. Sans lâcher le pauvre bon samaritain, l'appelé tourne son visage creusé par une fureur de bête en danger vers l'autre armoire à glace qui a accouru en même temps que le dénommé Corey.

« Ramène-toi, on va l'suivre ! »

Serrant les dents, Zach change sa prise en empoignant cette fois l'épaule de l'inconnu.

« Toi tu viens avec nous. »

Parce qu'il a eu le tort de s'en mêler et d'être témoin.
Parce qu'en tant que tel, si jamais les flics viennent s'ajouter dans l'équation, il y aurait toujours la caution du pauvre type qui n'avait rien à faire là, mais qui a tout vu, et qui peut certifier que les trois brutes patibulaires aux trousses d'un abruti avec un foutu bonnet dégueulasse sont dans leur bon droit.
Et parce qu'après tout, c'est comme ça. Fallait pas être là au mauvais endroit, au mauvais moment, dans la vie d'un homme qui n'attend que le prochain prétexte pour en découdre avec n'importe qui.

Tout près de là, Corey enjambe une moto dont le démarrage ne laisse aucun doute quant à ses capacités en termes de vitesse ; Dean, quant à lui, contourne une vieille et rutilante Pontiac GTO que Zach remarque à peine, en leur disant à lui comme à celui qu'il agrippe de vite y grimper. Le vétéran balance presque son paquet humain sur la banquette arrière à la sellerie parfaitement entretenue, sans mot dire.

Corey s'est posé d'autorité sur son roadster en travers du trafic, poussant gueulante sur gueulante à la tronche des conducteurs arrivant là comme un clébard enragé défendant à quiconque d'outrepasser les limites de son territoire, et permettant ainsi à Dean de décoller à son tour avec ses deux passagers.
Les moteurs lancent un cri de guerre à l'unisson.
La chasse commence.

bat'phanie • #898961
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Dim 16 Jan - 15:27 (#)

Suis-je navré pour la caisse du mec ? Pas vraiment. Je m’en fous royal en fait, je ne le connais pas et surtout j’en ai rien à foutre de sa voiture. Quelque part, c’est un peu de sa faute, vu où il la laissée. S’il avait choisi un parking surveillé, ça aurait démontré qu’il tient un tant soit peu à son véhicule. Ce genre de truc arrive tous les jours. Et pas seulement parce qu’on se trouve à Mansfield, tout le monde sait que si tu cherches un beau modèle, faut se diriger dans les quartiers chics.

La réaction du gaillard est impressionnante, ses hurlements couvrent, pendant un court instant, l’intense circulation de la place. En fait, c’est pas un mec, mais deux ! Deux bulldozers qui chargent comme si la guerre était déclarée au prochain coin de la rue. Ça crie et ça gesticule dans tous les sens dans une parade assez comique. Je suis certain que si j’étais resté tranquillement sur mon banc, à observer les agissements des trois hommes, j’aurai presque applaudi tant la chorégraphie était bien pensée.

Jusque là, la sérénité est de mon côté avec un serrement de fesses assez puissant à l’arrivée du pitbull à qui, supposément, appartient la bagnole volée. Prêt à tourner les talons, parce qu’il faut quand même bien le souligner, j’ai, pour une fois, rien à voir dans ce vol et qu’au final, je m’en fous profondément, c’est pas mes oignons. Je m’apprête à lui tapoter l’épaule en guise de maigre consolation et à le laisser à son triste sort, mais son bras se détend, plus rapide qu’un crotale et attrape l’avant de mon pull.

- Hey ! Mec ! Fais pas chier ! J’sais rien moi. Lâche-moi ! Et non, j’le connais pas, jamais vu de ma vie.

A-t-il seulement entendu, ce que je viens de dire ? Mon palpitant s’emballe alors que je tente vainement de me défaire de cette poigne inébranlable qui s’est ancrée dans mon vêtement. J’ai beau me tortiller comme un ver au bout d’un hameçon, ma main valide cherchant à ouvrir sa main, rien n’y fait. Les traits de son visage sont contractés, presque autant que sa pogne qui ne cède pas un millimètre de tissu. Durant une seconde, j’hésite à lui abandonner mon sweat, un de mes préféré, seule solution envisageable pour me tirer de là. Un espoir de retrouver ma liberté illumine mon horizon.

- Ouais, c’est ça ! Allez-y ! Poursuivez le ! J’suis sûr que vous pouvez le rattraper.

Ma voix est emplie de conviction même si j’y crois pas du tout. Au moins, ils m’oublieront et je pourrais rentrer chez moi. Les doigts, aussi gros que des saucisses, s’ouvrent, ma liberté est acquise… durant une demie seconde avant que son énorme paluche écrase et broie mon épaule.

- NON NON NON !!!!

Pas le choix, il n’écoute même pas. Balloté comme fétus de paille, mes pieds rament pour garder la cadence, je vois le troisième larron grimper sur sa bécane et s’imposer au trafic. La portière est ouverte, le siège avant rabattu avec une dextérité impressionnante et je plonge, tête la première dans l’habitacle. Ma joue frotte contre le cuir impeccablement ciré. Ma lèvre inférieure laisse une traînée de bave sur la banquette, ma tête touche enfin la paroi, ce qui finalise ma glissade. Mon capuchon recouvre la moitié de mon visage et j’ai un peu de mal à comprendre que la voiture roule déjà.

C’est quoi ces mecs ? Qu’est-ce que mon bulldozer transporte-t-il pour agir de la sorte ? De la dope ? Des lingots d’or ? Ou est-ce une affaire personnelle ? D’après ses questionnements, il ne semble pas connaître l’abruti qui a osé toucher à sa caisse. J’émerge en poussant sur une main, essayant de m’asseoir malgré les nombreuses saccades du chauffeur. Après plusieurs tentatives, je parviens enfin à trouver une position stable, me place au milieu et m’accroche comme je peux aux dossiers des sièges avants.

La vision qui s’offre à moi est cauchemardesque et relance mon rythme cardiaque dans une course effrénée. La circulation est dense, même plus que ça, mais ça n’empêche pas le conducteur à slalomer entre les véhicules, changeant sans cesse de lignes. Les klaxons des autres usagers de la route s’en donnent à cœur joie, signifiant leur mécontentement. Des gesticulations et nombreux doigts d’honneur pleuvent en direction du pilote. Mais ça n’a pas l’air de le déranger plus que ça.

Les chevaux de la Pontiac entrent en action, libérant toute la puissance de la fabuleuse mécanique. Malgré la peur qui hante mon esprit de percuter une autre voiture, je ne peux m’empêcher d’admirer le magnifique tableau de bord, impeccablement bien entretenu. J’imagine même pas le temps qu’il a fallu pour la garder dans cet état. Les aiguilles des compteurs s’affolent à chaque changement de vitesse, me forçant à lever le regard. Une intersection se présente, mes yeux virevoltent entre le feu, toujours au rouge, l’alignée de bagnoles devant nous et son pied qui, toujours, enfonce la pédale d’accélération.

- FREINE BORDEL !!!!

Une nouvelle fois, je crois que j’ai gueulé pour rien. Par contre, j’ai retrouvé l’usage de la parole, qui ne s’arrête plus.

- Attention ! A gauche ! Non à droite, bordel l’autre droite ! Gaffe à la voiture bleue ! Dégage salope ! Si tu baises comme tu conduis, on doit se faire chier avec toi ! Et l’autre con là, il prend tout le lit ! Mais c’est pas vrai, ils ont eu leurs permis dans une pochette surprise, ou quoi ? Vas-y ! Fonce, c’est vert ! Priorité à droite ! Ah… bon ben pas priorité, désolé mec…

Je me surprends à encourager mon chauffard alors qu’il a dû enfreindre toutes règles du code de la route. Si les flics se pointent, je donne pas cher de son permis, mais en a-t-il un ? Si je sors vivant de cette course-poursuite, peut-être que j’oserai lui demander. Accroché comme une moule à son rocher, aux sièges avants, je scrute les autres usagés, à la recherche de notre lascar au bonnet orange.

- Z’êtes sûrs qu’il est parti dans cette direction ? Non parce que bon, vu le peuple… C’était quoi déjà comme bagnole ? Une berline, mais quoi comme modèle ?

Le centre-ville est à présent loin derrière nous, les immeubles sont remplacés par des pavillons, tous identiques. A croire que les architectes américains n’ont aucune imagination. Ils dessinent une maison et après font des copier – coller. Chez moi, c’est pas comme ça, chaque maison a sa propre âme, couleur, toit, elles sont toutes différentes. Parfois, mon pays me manque, peut-être que j’y retournerai un jour.

Une embardée plus forte que les autres me tire de ma rêverie transitoire, me faisant valdinguer sur la banquette, mon visage s’écrase contre la vitre, apportant un grognement d’ours dans ma gorge.

- Merde quoi ! Tu pourrais prévenir !

Je repends ma position initiale quand soudain, une gamine déboule d’entre deux voitures garées. Ma main s’abat sur l’épaule du gars sur le siège passager et lui broie les muscles.

- ‘Tentionnnnnnnn !

Les pneus crissent, la môme fait un bond en arrière, évitant de justesse l’aile avant de la Pontiac, me permettant de prendre une grande goulée d’air, me rendant compte que j’avais bloqué ma respiration. Lentement, mes doigts s’ouvrent, libérant le trapèze du molosse et le tapote en guise d’excuse.

Le quartier n’est pas des plus somptueux et la route est en mauvaise état ; les nids de poule sont nombreux, rendant notre assise nettement plus inconfortable. Un bruit dans le moteur, imperceptible pour un néophyte, me fait froncer les sourcils mais, n’étant pas tout à fait certain, je préfère me taire pour ne pas alerter les deux poursuivants.

C’est fou à quel point une ville peut disparaître en une fraction de seconde. Les immenses arbres, typiques de la Louisiane, couvert de lichen et aux branches majestueuses, ont remplacé les petits pavillons bons marchés de la banlieue. La circulation s’est également dissipée, il ne reste que le motard qui ouvre la voie et nous, qui traçons comme des fous à travers la région. Je doute fortement qu’on retrouve « Bonnet orange » dans ce coin.

- Vous croyez pas qu’on est légèrement trop loin ? Et lève le pied, y'a pleins de bestioles dans l'bayou. Va pas buter un opossum ou autre, il n'y est pour rien.

Les virages s’enchaînent, serrés et sinueux, jouant les équilibristes par-dessus les marais. Au détour d’une épingle à cheveux, une voiture est encastrée dans un saule centenaire qui, lui, n’a pas bougé. Il me semble apercevoir la tête du conducteur reposer contre l’airbag dégonflé. Après un rapide coup d’œil, je peux déjà dire que la caisse ne roulera plus jamais.

- Ah ben, je me suis trompé. Il est bien passé par là. Par contre, il n’ira pas plus loin, ni lui, ni la bagnole, d’ailleurs.
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