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My target, then, the weirdo [PV : Zel]

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Anonymous
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Ven 28 Mai - 12:46 (#)


Zel & Faolan
My target, then, the weirdo

Dix-neuf heures,

Le type quitte les bureaux et monte dans sa superbe voiture familiale qui ressemble davantage à une ambulance améliorée qu’à un véhicule particulier. Je lève les yeux au ciel et fait vrombir le vieux moteur de la caisse que j’ai louée ce matin.
C’est le troisième soir que je file monsieur Dornan, un homme relativement grand à la bedaine pendante, au front déserté par les cheveux jusqu’au sommet du crâne, à la moustache grisonnante grossièrement fournie. Ma main à couper qu’il ne se doute de rien, néanmoins j’aime jouer la prudence et j’ai estimé qu’il était temps de changer de bolide. J’ai laissé la Harley au chaud et, si ma location est une poubelle, elle a l’avantage d’avoir un toit qui m’abrite de cette averse glacée venue de je n’sais où.

Monsieur Dornan est infidèle à son épouse, paraît-il. Celle-ci m’a fait un chèque d’environ huit cents dollars pour suivre le goujat afin d’apporter la preuve de ses soupçons. Je n’ai encore trouvé aucune maîtresse. Je ne sais pas ce qui m’attriste le plus : le moment où je constate l’existence d’une amante, ou ces planques qui ne révèlent rien, car il n’y a rien.
Mais une chose est toujours vraie dans ces affaires : le couple est déjà foutu depuis des lustres.

« Allons-y…. »

Je suis ma cible jusqu’à son domicile.
Une troisième fois.
La route est légèrement glissante à cause de l’humidité tout juste déposée. Je trouve sa conduite  trop empressée, imprudente, ça ne lui ressemble pas. Le contraste avec la veille est étonnant, j’essaye de laisser un ou deux véhicules entre nous jusqu’à ce qu’il se gare devant son pavillon. Idéale petite maison conçue pour accueillir deux ou trois gosses sans oublier le chien sur lesquels veille Kimberley, mère parfaite, lorsqu’elle n’est pas en service au restaurant. Comme ce soir.
Je poursuis ma route et m’arrête deux cents mètres plus haut, sans perdre de vue le logement. Dornan s’apprête à rentrer…. Mais il ne le fait pas et pianote sur son téléphone, tout en surveillant les alentours avec l’attitude du coupable aux aguets.
Ça devient intéressant.

Une petite Chevrolet bleue délavée s’arrête à sa hauteur et repart aussitôt qu’il s’est installé côté passager. Je fais gronder la carcasse capricieuse pour un demi-tour abrupt.


Vingt-deux heures,

Je repasse les clichés que j’ai pu faire lorsqu’ils sont montés dans un appartement du centre ville. Dornan et une femme au rire désagréablement puissant, aux cheveux sombres et bouclés ; ils ne cessaient de se bécoter sous mon objectif. Un vrai photoshoot. Impeccable.
J’allume une clope lorsque ma cible décide de quitter sa "belle", bien moins à l’affût. Pressé néanmoins, il ne faudrait pas qu’il arrive après bobonne. Sa chemise mal refermée laisse son ventre déborder or le froid n’a pas l’air de l’atteindre, il est encore visiblement imprégné par la fièvre lubrique.

Un détail particulier attire alors mon attention et j’en fais tomber la cigarette à peine entamée sur le goudron trempé. Du sang ?
Shit ;

Il hèle un taxi et je fouille mes poches à la recherche des p*tains de clés que j’ai en fait laissées sur le contact. Lorsque je démarre, trop énergique – persuadé d’avoir dix secondes de retard – je suis presque nez à cul avec l’auto jaune dégueulasse. Forcément : la cible sent – enfin ! – le danger et demande à son chauffeur d’accélérer… Comme dans les films. Et, comme dans les films, je vois ce suspect me filer entre les doigts !!!

Infidèle, pour sûr. Assassin ? D’où vient cette tâche rougeâtre sur ses vêtements ?! Les hypothèses défilent par dizaine dans mes pensées à mesure que mes pneus avalent les mètres et bientôt le premier kilomètre de bitume, cependant une idée s’accroche à mon instinct et brutalise mes sens : c’est un CESS. Non ? Les chiffres le montrent, la majorité des criminels ici sont des monstres. La probabilité pour que Dornan soit un humain sont quasi nulles – selon mes calculs subjectifs ;

J’accélère, eux aussi. Le virage mal négocié par le taxi est finalement très bien rattrapé. Il connaît son véhicule. Peut être autant que je fais confiance à ma moto. Le train arrière dérape bruyamment mais je reste dans la course. L’écart se creuse cependant et je jure, agacé, enflammé par l’envie – le besoin – d’aller finir cet enfoiré. Il n’est plus question de confirmer ses craintes à une épouse jalouse mais bien de répondre à mes pulsions primaires ;

Les klaxonnes d’en face retentissent, par peur et par colère. Je ne m'encombre pas de prudence. Même si la pluie redouble d’intensité. Même si cette course poursuite est folle et probablement injustifiée. Je ne suis plus flic, pas dans mon pays, seul et bien trop désarmé pour faire face à une créature diabolique… Pourquoi est-il en train de fuir ? Et quel taxi se prête à ce genre de folie, en vrai ? Je redoute alors que le conducteur soit sous la menace du passager.
Cette supposition me plaît, elle est le prétexte rêvé pour m'obliger à poursuivre.
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Anonymous
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Ven 28 Mai - 15:36 (#)

Le compteur tournait dans le vent, comme souvent ces derniers temps. Zel le voyait s’emballer dans un coin de son champ de vision sans que la banquette arrière ne soit occupée. À ce rythme, et à force d’errer sans but et sans destination dans les rues de Shreveport, le taximètre dépasserait bientôt les cinquante dollars de course. Cinquante dollars … Deux-cent zlotys. Quatre-mille roubles. Des années qu’elle n’avait pas vu le Vieux continent, et pourtant son cerveau s’obstinait encore à faire les conversions. Pour la rassurer, sans doute, s’accrocher à la triste idée qu’elle rentrerait chez elle, un jour. Avec quoi ? Une dignité éteinte et cinquante dollars ? Il en faudrait plus pour payer le billet de retour. Cinquante dollars, c’était bien peu, finalement. Et pourtant, la maigre somme représentait une part considérable de ce qu’elle gagnait quotidiennement depuis qu’elle avait pris le volant. Cette pensée lui traversa subitement le crâne de part en part, comme une balle.
Le clignotant cliqueta tout à coup, avec sa régularité de métronome affolé. Un coup d’œil au rétroviseur pour s’assurer que personne n’emboutirait l’arrière de son tacot, et la Polonaise se rangea le long d’un trottoir rendu désert par l’averse. Elle coupa le moteur, interrompant le ballet des essuie-glace, poussa un long soupir las, claqua le boîtier surplombant le tableau de bord pour arrêter le compte des kilomètres et encaissa douloureusement les deux nombres qui le crevaient.

La blonde se pencha sur le siège passager et ouvrit la boîte-à-gants dont elle retourna le contenu, écartant négligemment l’arme de poing qui se trouvait là, dégageant les papiers du véhicule, une boîte de chewing-gum, une bouteille de soda à moitié vide et les restes d’un paquet de bonbons acidulés, avant de tomber sur son portefeuille. Elle en extirpa avec une lenteur certaine un billet froissé figurant un homme barbu dont elle se foutait du nom et une représentation du Capitole. Zel le jeta dans le petit sac qui faisait office de caisse à son taxi, referma la trappe béante et s’enfonça dans son assise, un râle passant la barrière de ses lèvres. Elle n’avait rien trouvé de plus convainquant pour faire croire à la centrale qu’il lui arrivait de travailler que de payer elle-même des courses inexistantes. Le prix de la tranquillité.

Zel tâtonna le vide-poche coincé entre les sièges avant à la recherche de son paquet de clopes. Dans un geste machinal maintes fois reproduit depuis le début de la soirée, elle porta une cigarette à ses lèvres et fit claquer le vieux briquet métallique qu’elle traînait depuis des années. Le regard dans le vague, la trentenaire entrouvrit la fenêtre conducteur pour ne pas trop enfumer son taxi. Le bruit irrégulier de la pluie emplit l’habitacle et ses pensées en lui tirant un frisson.

Son clou de cercueil terminé, le mégot jeté sur l’asphalte, elle se remit en route sans grand entrain, appréhendant un peu la monotonie des heures qui l’attendaient et qui n’en finiraient pas. Certainement, l’ennui lui fit considérer l’idée absurde d’embarquer un client, si bien qu’elle s’arrêta face au bras levé d’un homme bedonnant à l’air pressé. Le type, un quinquagénaire au visage porcin et au crâne dégarni, s’installa en grommelant une adresse à l’autre bout de la ville et en trempant les sièges arrière, l’eau coulant à grosses gouttes de ses vêtements. Zel songea qu’il lui faudrait éponger le cuir en abattant ses doigts sur le taximètre.

Le ronflement du moteur qui s'éveillait trouva étrangement écho dans la rue. Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur lui indiqua qu’une voiture lui emboîtait le pas, ses feux si proches qu'ils disparurent, avalés par la distance de sécurité inexistante entre les deux véhicules.
Consciente que les mauvais chauffeurs couraient les rues et s’avéraient plus nombreux encore lorsqu’il pleuvait, elle n'y accorda pas plus d’attention que cela. Et pourtant, l’agitation qui secoua son passager lui fit froncer les sourcils. Elle voulut croire à une coïncidence les deux-cent-cinquante premiers mètres mais ne put blâmer le hasard plus longtemps. On la talonnait, malgré les changements d’axes et les coups de volant plus nombreux. Zel accéléra rapidement, d’abord par réflexe, puis lorsqu’on la supplia, à l'arrière, de presser davantage le pas.

Ses yeux clairs firent des allers-retours entre la route, les lumières de son poursuivant inscrits dans le miroir et la mine tordue d’inquiétude du passager. La tache sombre qui crevait sa chemise mal boutonnée l’interpella brusquement, et elle soupira silencieusement en maudissant son excès de zèle. Pourquoi diable avait-elle tenu à travailler ?

Sans poser la moindre question, sans répondre non plus aux geignements d’inquiétude de l’homme dans son dos, la Polonaise entreprit quelque manœuvre destinée à semer sa nouvelle ombre. Elle enfonça la pédale d’accélérateur, s’engouffra dans une rue adjacente, puis une autre, et encore une, négociant des virages serrés, distançant peu à peu la voiture qui la collait. Lorsqu’elle fut certaine d’avoir imposé assez de mètres entre eux, Zel bifurqua sèchement dans une ruelle étroite qui se terminait en zone piétonne quand l’autre filait tout droit. Si de larges plots bloquaient l’accès aux quatre roues, on pouvait poursuivre son chemin à pied, se perdre dans de petites allées entre des immeubles à peine plus hauts que des maisons, et se volatiliser dans la nature. Un point de fuite idéal. Elle pila. Net. Son client hoqueta de surprise en se fracassant le groin sur le repose-tête devant lui.

Les yeux rivés sur le pare-brise martelé par les intempéries, Zel claqua sèchement :

« Dehors. »

Il y eut une seconde de flottement dans l’habitacle. La jeune femme braqua ses orbes clairs sur son rétroviseur et le reflet de son passager qui se trouvait là, une main sur son nez comme par crainte qu’il ne tombe après le choc. L’homme, les billes écarquillées, la considérait l’air interdit. À croire que l’information peinait à faire son chemin jusqu’au cerveau. Elle leva les yeux au ciel, fixa le plafond de son tacot, maudissant tous les dieux pour la connerie humaine.

« Tire-toi. »

L’absence de réponse de son interlocuteur finit de l’irriter. Zel échappa un chapelet de jurons dans sa langue natale, saisit la poignée de porte et quitta son siège en trombe. Le déluge la noya immédiatement, la trempant jusqu’à l’os alors qu’elle contournait à grands pas le coffre de sa voiture. La portière à peine ouverte, elle attrapa son passager par le collet pour le tirer de là et le mettre sur pied. La blonde le repoussa si violemment qu’il perdit l’équilibre et manqua s’écraser au sol. Il ne dut sa survie qu’à l’aile du taxi, à laquelle il se rattrapa de justesse pour ne pas embrasser le plancher des vaches.

La mâchoire crispée, les sourcils froncés, le regard noir, l'Outre lui intima d’un signe de tête de foutre le camp s’il tenait à la vie. Elle le vit s’enfuir gauchement, courir avec difficulté avant de disparaître dans l’ombre à l’instant où des phares aveuglant se braquaient sur elle. La trentenaire pivota sur ses talons, porta une main devant ses yeux pour éviter d’être éblouie et retrouva sans grande surprise la voiture qui l’avait prise en chasse. Le chauffeur avait largement eu le temps de faire demi-tour pour espérer les coincer ici.

Elle expira lourdement, passa une main dans ses cheveux trempés pour les plaquer vers l’arrière, claqua la portière arrière et s’y accouda quand celle de son poursuivant s’ouvrait brusquement.

« Va falloir que tu fasses marche-arrière pour que je puisse sortir, beugla-t-elle pour couvrir le bruit de la pluie et des moteurs avant même qu'elle n'aperçoive un visage. »
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Anonymous
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Ven 28 Mai - 16:54 (#)


Zel & Faolan
My target, then, the weirdo

Surpris par l’indéniable maîtrise de l’autre pilote, je focalise toute ma concentration sur une conduite hâtive et risquée. Je passe à quelques centimètres seulement des butées et autres angles de trottoirs mais les efforts restent insuffisants. Comme si les courses-poursuites dans les rues de Dublin étaient déjà trop loin ;
Ma location rencontre un terre-plein rendu invisible par l’averse – et ma précipitation. J’entends le bruit douloureux de la pneumatique maltraitée mais ne ralentis pas pour autant. Au contraire. Le taxi ne me laisse pas le choix : il est ultra rapide. Je veux bien lui accorder la connaissance du véhicule ainsi que celui du secteur, éventuellement, sauf qu’il me sème avec une facilité déconcertante.
Perdu de vue.
Bordel.

Tout n’est plus que noirceur humide autour de moi et le grognement étouffé de la voiture me fait serrer les dents. Se pourrait-il que monsieur Dornan ait en réalité fait appel à un ami ? Ce taxi semblait tombé de nulle part, je peine à croire que ce gros ait si bien préparé son coup. La défaite est double, ma fierté gémit ;
Ne me reste que cet ultime recours : au petit bonheur la chance. Je repars en trombe et prends le premier virage qui, à première vue, m’inspire.
Bingo.

Levant le pied pour éviter l’impact, je tire le frein à main d’un geste nerveux, les pneus glapissent et l'auto s'immobilise. Après m’avoir fait cavaler comme un con voilà que cette poubelle jaune s’arrête au milieu de la rue, sans son client. Jeté. A quelques minutes à pieds de son logement. Je quitte l’habitacle pour exposer mon blouson à la bruine et fais quelques pas impulsifs avant d’hésiter à faire demi-tour. Inutile de gaspiller ma salive pour des insultes pourtant déjà en nombre sur mes lèvres ; je sais où il vit.
Prêts à rebrousser chemin je m’arrête cependant. Planté là sous la flotte. Statufié par son toupet. Et sa jolie voix. Autoritaire et sereine.

« Pardon ? »

Je brise un peu la distance et avance entre les autos. Mon ombre s’étend jusqu’à la pilote malpolie que j’ai le loisir d’observer grâce à mes phares toujours allumés. Pourrait être jolie. Ça ne lui donne pas le droit de venir en aide à un criminel – pas de présomption d’innocence chez moi.

« Qu’avez-vous fait de votre client ? C’est un… truc dangereux. Fallait pas vous mêler de ça. »

Dis-je en restant aussi courtois que possible. Je ne m’attendais pas à ce genre d’adversaire. Laissez-moi me remettre de l’effet de surprise, et appréciez l’élégance de mes manières :

«  J’ferai pas marche arrière. »

Elle pourrait s’excuser, pour commencer. J’accepterai peut être d’entendre que ledit client, plein de sang, lui a fait peur. Ou même qu’il s’est barré sans demander son reste. Il faut cependant que je reste prudent et une possibilité clignote dans mes pensées. Elle pourrait être un allié. Dangereuse, elle aussi.

« … Il vous a payé au moins ? »

Pour sûr, je n’ai plus envie d’aller trouver ce trou-du-cul chez lui. Désormais il sait. Ça risque de chauffer pour madame. A moins qu’il ne rentre jamais.
Qu'importe.

J'oublie la pluie et attends que cette emmerdeuse réagisse.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas cherché les emmerdes.
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Anonymous
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Ven 28 Mai - 17:04 (#)

Une silhouette carrée se découpa lentement dans le contre-jour des phares de la voiture. Nul besoin de voir les yeux de son poursuivant ou de lire dans ses pensées pour comprendre qu’il n’avait pas apprécié le pied de nez qu’on lui avait fait ; sa démarche, assurée et sèche, parlait bien assez. Un flic ? Un limier ? Un ex-mari vengeur ? Le type, dont elle devinait les traits plus qu’elle ne les lisait réellement, avait la carrure d’un physionomiste à la retraite ou d’un ancien marines en mal d’action. Zel se redressa quand il approcha, tentant de jauger son état d’esprit et son énervement. Sans doute, après s’être fait distancer de la sorte, se retrouver face à un taxi vide ne forçait pas l’amabilité.

Contre toute attente, alors même qu’elle s’attendait à subir une averse d’insultes plus épaisse que celle qui tombait à grosses gouttes sur ses épaules, l’inconnu lâcha, comme s’il n’avait pas compris ou qu’il peinait à assimiler l’idée que la blonde souhaitait simplement retourner à sa vie monotone et ses heures effroyablement longues :

« Pardon ? »

Zel fut tentée de répéter son ordre voilé de nonchalance mais n’en eut pas l’occasion. Déjà l’homme se passait des ronds de jambe pour attaquer le vif du sujet.

« Qu’avez-vous fait de votre client ? C’est un… truc dangereux. »

Sa voix la frappa avec la lourdeur d’une pluie irlandaise. Un peu plus et elle se serait cru dans un bar crasseux de Dublin, à renverser de la stout sur ses Dr Martens à un concert de punk celtique. Il faisait bien tache dans le décor, cet accent qui écorchait les tympans. Au moins autant que le sien, qui empestait l’Europe de l’Est jusqu’à dans son rire et dont elle ne comptait pas se débarrasser, moins par fainéantise que par fierté slave. Pourquoi diable ferait-elle cet effort, puisqu’elle ne comptait pas rester aux États-Unis ? Peu lui importait d’arrondir ses -r pour qu’ils roulent moins, de tirer sur ses -o pour qu’ils semblent moins incisifs, d’assourdir ses -t pour qu’ils ne fassent pas tant l’effet de coups de marteau. On la comprenait, c’était là l’essentiel.

« Dangereux, répéta-t-elle circonspecte. »

Elle se froissa un peu. Son passager n’avait de dangereux que le surpoids qui avait écrasé les amortisseurs arrières. L’homme irradiait un cholestérol poisseux, presque contagieux, qui avait dû imbiber la banquette et donnait envie à la chauffeur de rentrer chez elle pour se glisser sous une douche brûlante, espérant que le jet décollerait l’excès de sucre et de gras qui s’était accroché à sa peau et chaque centimètre carré de l’intérieur du taxi. Elle aurait aimé partager sa réflexion, dérider son interlocuteur d’un trait d’esprit vaseux et dégoulinant de sarcasme, mais l’homme n’avait pas l’air d’aimer les plaisanteries, avec son air rêche de pitbull déçu de lui-même.

« Fallait pas vous mêler de ça. »

Zel fronça les sourcils alors que le chauffard amorçait un pas de plus vers elle. S’était-elle seulement mêlé de quoi que ce soit ? Tout au plus, on lui avait mis le nez dans la fange sans lui demander son avis, et elle s’était dépêtré aussi vite que possible de cette situation en jetant son passager sur le pavé. La Polonaise ne voulait rien savoir, rien entendre, et comptait oublier la tache sombre sur la chemise trop blanche du client. Elle n’avait aidé personne, si ce n’était son propre cas.

« J’ferai pas marche arrière. »

Un battement de cils désabusé et un soupir agacé plus tard, l’expatriée croisa les bras sous sa poitrine. L’idée de rester plantée sous la pluie, acculée dans une ruelle étroite, ne l’aurait pas dérangée s’il n’y avait eu ce vent froid particulièrement désagréable pour lui glacer les os chaque fois qu’il s’engouffrait entre les bâtiments. Alors quoi, l’Irlandais prendrait racines ici ? Pour l’emmerder ? Pour la forcer à parler ? Le pauvre type n’était pas prêt de lui faire cracher la moindre information, et pour cause, elle n’en avait pas. Tout au plus s’amuserait-elle à lui faire cracher ses dents s’il ne changeait pas d’avis dans les trente prochaines secondes.

« … Il vous a payé au moins ? »

Elle haussa les épaules et plissa le nez. La rapidité avec laquelle elle avait jeté son client sur le pavé ne lui avait pas vraiment laissé le temps de lui annoncer la douloureuse. Bonne Samaritaine, elle lui offrait volontiers la course. Avec un peu de chance, cette bonne action lui ouvrirait les portes d’un paradis ou d’un autre.

« Pourquoi ? Tu vas régler pour lui si je réponds non ? »

Tu. Zel n’avait jamais particulièrement apprécié le vous ; à l’user tous les jours pour s’adresser à des supérieurs qu’elle conchiait, la plupart du temps, il avait perdu sa saveur et le respect supposé en rayonner. La politesse ne justifiait pas l’emploi d’un pronom ou d’un autre. Entre un « Je t’encule, salope ! » pas piqué des hannetons, et la condescendance d’un « Je vous prends par derrière, Madame la Salope. », la blonde n’avait pas la sensation que la deuxième proposition transpirait plus de civilité que la première.

« Écoute, lança-t-elle en réduisant la distance à deux pas, je suis loin d’avoir terminé ma nuit. Je sais pas ce que tu lui veux, à ce type, je sais pas ce qu’il t’a fait ou ce qu’il te doit, elle fendit l’air d’un signe de main, et franchement, ça m’intéresse pas … J’ai juste envie de parquer ma tire au coin d’une rue pavée de bars en attendant les premiers soulards incapables de rentrer chez eux à pied. »

Elle haussa les sourcils, désigna sèchement d’un signe de tête le moyen de transport de son interlocuteur et se fendit d’un sourire forcé aux allures de grimace.

« Bouge. S’il-te-plaît. »
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Ven 28 Mai - 17:08 (#)


Zel & Faolan
My target, then, the weirdo

« Pourquoi ? Tu vas régler pour lui si je réponds non ? »

D’abord c’est une façon de parler fort cavalière. Ensuite, dès que le bruissement de l’averse me le permet, c'est un pseudo-accent sous sa langue.
Ces américains ont développé le goût de s’inventer des harmonies lointaines dans la voix pour se donner un brin de personnalité et colorer un peu leurs racines désormais déteintes. Je réfrène un jugement hâtif – trop jolie pour être déjà insultée – et commence à chercher dans les poches arrière de mon jean les quelques dollars égarés qui s’y trouvent toujours. Normalement.

La pilote s’approche, alors l’écho de sa voix et la saveur de ses mots m'arrivent différemment. Ils sonnent finalement plus exotiques que contrefaçons.
Mais le toupet persiste.

Je m’immobilise pour éviter le carambolage – même si je ne suis pas contre l’idée d’en faire une habitude, avec elle – et la jauge en silence tandis qu’elle déblatère. La jolie blonde veut bosser. Soit-disant. C’est tout à son honneur, cependant elle ne me fera pas croire qu’elle s’est contentée de gagner sa croûte. Cette fois.
Pourquoi avoir cherché à me semer ?
Puis je ne sais toujours pas si elle a récupéré son paiement.

« Bouge. S’il-te-plaît. »

Aimable avec ça.
J’extirpe une poignée de billets froissés de mon futal. Je lui tends en interrogeant :

« Combien ? »

Le prix de ce trajet expéditif. Au moins tout ça, sans doute davantage, il doit me rester du liquide quelque part.

Je m’amuse de la question – sans qu’il soit nécessaire d’en faire part à cette fille de l’est. Ma main à couper qu’elle est, elle aussi, du vieux continent. Mais loin de chez moi. Bercée par une autre mer glacée. Ou l’adriatique ? Je la décide hongroise. En général, ces filles n’ont plus de papiers, bossent pour les prox’, ne coûtent pas si cher et viennent régulièrement déposer plainte au commissariat. En vain.

« T’as roulé comme une furie et tu vas me faire croire que t’es une honnête travailleuse qui a innocemment déposé un client ? »

Pure rhétorique.
Je désigne son taxi d'un geste du menton dubitatif et l’envie de taper un contrôle me prend. Ah, ces réflexes professionnels… Sous prétexte de vérification d’assurance et de permis de conduite en règles, je pourrai examiner la nature de son autorisation. Et avoir son nom.
Inutile de courir le risque de l’usurpation. Il faut être raisonnable, je ne suis plus flic. Encore moins américain.

« Tu m’as fait perdre du temps. Peut être même une affaire. »

En vrai, j'ai oublié Dornan et me fous de son histoire. Je veux juste être dédommagé. Et emmerder le monde. Du coup, je bouffe les précieuses minutes de la conductrice. Je doute qu’elle ait beaucoup de travail de ce coin de la ville et à vrai dire, je m’en moque. Si ça l’agace j’aurai au moins la satisfaction de lui avoir fait payer son affront. Si, au fond, elle s’en carre autant que moi, j’aurai gagné le loisir de l’observer plus longtemps.
La hongroise.
L’autrichienne ?

«  Tu viens d’où ? »

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Sam 29 Mai - 1:22 (#)

La politesse grinçait entre ses lèvres. Elle s’imaginait déjà lui briser le nez s’il refusait d’obtempérer. Par principe comme pour le distraire, ou tout du moins le surprendre et le clouer sur place assez longtemps pour qu’elle puisse filer jusqu’à sa voiture, s’installer au volant, verrouiller les portes pour l’empêcher d’intervenir et reculer de plusieurs bons mètres. Juste assez pour dégager la voie au taxi. Son esprit imagina la gueule déconfite de son interlocuteur si elle poussait le vice jusqu’à jeter les clés de sa carriole dans le premier caniveau venu, pour faire bonne mesure et l’empêcher de lui emboîter le pas dès qu’elle s’enfuirait. La manœuvre était déjà parfaitement orchestrée dans son cerveau, il ne restait plus au brun qu’à lui offrir une réponse qui ne lui plairait pas.

Et cependant il ne répondit pas, faisant voler en éclats ses fantasmes et toute possibilité d’être mauvaise et désagréable. Plutôt que de l’envoyer paître, le type lui tendit une poignée de dollars qu’elle jaugea avec méfiance. Zel eut un instant d’hésitation, incapable de déterminer si son poursuivant s’inquiétait vraiment de vouloir régler la dette de l’homme qu’il avait pris en chasse, ou s’il y avait un autre dessein à sa générosité.
Pour ne pas s’esquinter inutilement les dents sur ce mystère, la blonde confisqua la liasse de billets dans un geste sec. Elle ne prit pas la peine de compter, préférant enfouir le maigre pactole dans la poche arrière de son jean sans piper mot, sans même un remerciement. Elle avait passé l’âge d’être courtoise avec les cons.

« T’as roulé comme une furie et tu vas me faire croire que t’es une honnête travailleuse qui a innocemment déposé un client ? »

Elle eut un hoquet d’exaspération, notant à peine qu’il avait perdu la délicatesse du vouvoiement. Déposé n’était pas le terme qu’elle aurait utilisé. Elle l’avait jeté, au mieux. S’en était débarrassée à la première occasion pour ne pas qu’on la mêle à de sombres affaires qui ne la concernaient pas. Et Dieu savait qu’elle l’aurait mis dehors bien plus rapidement si elle avait repéré plus vite la tache rougeâtre qui marquait ses vêtements. Du vin ? Du sang. Quoi d’autre ? Zel ne pouvait pas se tromper. Elle avait vu assez de tissus se gorger d’hémoglobine pour savoir que rien, dans le quotidien monotone d’un homme quelconque, n’avait la consistance et l’épaisseur crasse de ce liquide poisseux.

« Tu m’as fait perdre du temps. Peut être même une affaire. »

La Polonaise haussa les épaules, à peine intéressée par les geignements râleurs de son interlocuteur. On ne l’entendait pas se plaindre qu’elle avait perdu sa tranquillité dans cette course. Et pourtant. Elle n’avait rien gagné qu’une maigre poignée de dollars, des vêtements trempés, une pneumonie certaine et la certitude qu’on ne la reprendrait plus à travailler. Mieux valait racler le fond de son porte-monnaie tous les soirs que de se retrouver coincée dans une ruelle étroite par excès de zèle.
Une étrange pensée la traversa brusquement : elle pouvait démissionner. Retourner à ses nuits d’insomnie sans rien pour l’occuper. Ou pire : reprendre le fil de son ancienne vie. La blonde fut parcourue d’un frisson désagréable qui lui donna la nausée. Elle blâmerait la pluie et le froid ambiant, si on s’inquiétait de la croire sensible à la température.

« Tu viens d’où ?
- De trois pâtés de maisons, au sud, répondit-elle d’instinct. Tu devrais le savoir, tu m’as collé au cul tout du long. »

Un sourire sardonique lui barra le visage d’une oreille à l’autre. C’était cette effronterie proche de l’insolence qui lui avait valu tant de gifles lorsqu’elle était enfant, tant de corvées à l’adolescence, et un bon nombre de coups de coude dans les côtes pour lui faire fermer son clapet durant les discussions délicates lorsqu’elle s’étranglait encore sur la laisse de l’UIN. Nul doute que son ancien leader lui aurait fait cracher quelques dents s’il avait assisté à la scène, pour le simple plaisir de lui rappeler qu’elle avait parfois le droit de se taire.

« Une affaire … T’es quoi ? Un flic ? Un chasseur de primes, un pauvre gars qui se prend pour le justicier du coin ? Elle soupira et mentit : j’ai pas envie de savoir, en fait. »

Une partie d’elle espéra qu’il ne sortirait pas un badge pour lui faire ravaler sa témérité. La dernière chose dont elle avait envie était de terminer la nuit au poste, accusée d’avoir aidé un suspect dans sa fuite.
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Sam 29 Mai - 8:41 (#)


Zel & Faolan
My target, then, the weirdo

- De trois pâtés de maisons, au sud, [...]Tu devrais le savoir, tu m’as collé au cul tout du long. »

Marrante. Ou stupide, mais si la première option m’agace, elle détient pourtant ma préférence. Ses yeux froids et son ton tout aussi glacial rendent surtout l’inconnue intrigante - un peu d'humour ne lui fait pas de mal - et ce qui m’intrigue fini toujours par m’obséder.

Encore une chance d’être tombé – ou d’avoir collé au cul pour reprendre ses termes exacts – une demoiselle physiquement délicieuse. Pour le reste, elle ne m’inspire que contrariété et frustration. Le genre de joli minois qui fait bander mais qui ne cède jamais, ou qui cède souvent, si facilement, avec tous les abrutis du coin sans qu’elle ne songe à s’intéresser concrètement à l’amant qu’elle se dégote. Le plaisir égoïste, le partage indifférent. La consommation lasse et vide de sens. Je regrette d’avoir à ce point envie de la connaître et de savoir – l’impression de savoir du moins – qu’elle ne mérite pas que je m’épuise ;

« Ton accent est trop prononcé pour que je ne finisse pas par deviner. »

Je n'attends pas de récompense, personne ne passerait à côté de sa particulière empreinte verbale.

Que croit-elle cacher ? A-t-elle honte, sinon, de son pays lointain ? Souffre-t-elle du poids des souvenirs filiaux ? Je réfrène ces interrogations, déformation professionnelle habituelle. Ou sincère curiosité pour une conductrice malpolie.

« Une affaire … T’es quoi ? Un flic ? Un chasseur de primes, un pauvre gars qui se prend pour le justicier du coin ? [...] j’ai pas envie de savoir, en fait. »

Visiblement je ne suis pas le seul fouineur. Elle feint le désintéressement mais je choisi de ne pas la croire. Mon égo se plait à l’imaginer avide de données me concernant – ce qui ne serait pas rassurant.

L’idée qu’elle soit un monstre refait surface dans mes pensées. Ce n’est jamais très agréable d’imaginer une interlocutrice buveuse de sang, rongeuse poilue ou parfaite folle à lier qui aime se faire suçoter. J'en passe, des possibilités écœurantes. Plus je les hais et plus les CESS se mettent en travers de mon chemin. Je vais finir par croire qu’il ne reste qu'une poignée d’humains, quelques irréductibles sains d’esprit et de corps, trois pékins encore capable d’être sensés et unis dans le combat.

Où va l’allégeance de la hongroise ?

Je décide de lui répondre car je suis plus bavard que susceptible.
Tant pis pour elle :

« "Justicier du coin". Sans hésiter. Ça me va bien au teint puis les primes n’existent plus vraiment, quant aux flics… »

Honnêtement, personne n’a envie de connaître l’opinion d’un policier sur son Institution. Même ancien flic. Même passionné. C’est un organisme ouvertement critiqué par les ignorants, officieusement dénoncé par les internes. Lourd débat.

« Plus sérieusement j’aurai bien aimé savoir ce que ce gros foutait dans cet appartement, ton petit tour de piste accéléré l’a forcément conduit chez lui. Et rendu méfiant. »

Tss.
Je cherche mes clopes mais l’intensité de l’averse ne diminue pas. J’abandonne l’envie de tabac et jette un regard désabusé à mon véhicule de location, dans mon dos. Une vraie merde que je n’ai pas arrangée. J’espère que le garage ne s’en rendra pas compte. J'envisage alors de repartir, de la laisser filer, de retourner à ma nuit fade. Nous n’allons pas rester sous la flotte pendant des heures, je commence à avoir froid et la grisante sensation d'intérêt se dissout… Puis mes sourcils se froncent.

Je m'éloigne de l’étrangère en direction de la voiture, penché vers le pneu avant, côté chauffeur. Je revis l’impact contre le terre-plein dix minutes auparavant et jure en m’accroupissant pour constater le déséquilibre pourtant flagrant de plus près. Crevé. Éclaté. J’aurai peut être eu le temps de rentrer – de me rapprocher un peu de mon domicile avant que la conduite soit dangereuse – malheureusement ces brèves minutes de bavardage infructueux ont permis à l’air de s’échapper en douce.

Sans me retourner, sans même me lever, je tâte le caoutchouc d'une main et hausse la voix pour me faire entendre :

« Dis-moi, la monnaie que je t’ai filé, c’est suffisant pour un trajet supplémentaire ? »

Je peux éventuellement déplacer la caisse pour éviter qu’elle gêne la circulation, puis il va falloir que l’antipathique expatriée me dépose en ville. Deux secondes s'écoulent au rythme des gouttes en chute libre depuis mes cheveux plaqués sur le front, je lui refais face, impatient.

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Sam 29 Mai - 13:16 (#)

Les heures couleraient-elles plus vite si on lui passait les menottes et l’emmenait au commissariat pour occuper le reste de sa soirée ? Peut-être. L’espace d’un instant, Zel se figura dans une cage, attendant patiemment, entre un sac à vin puant l’alcool et la pisse et un gamin à peine majeur prit en flagrant délit de vandalisme suitant la peur, qu’on daigne l’interroger sur son hypothétique complicité avec un meurtrier. Elle s’y voyait déjà et regretta presque, le temps d’un soupir, de n’avoir été plus aimable avec son interlocuteur. Mais était-il seulement flic ? Pouvait-on jouer les shérifs quand on venait d’ailleurs ? Connaissant le nationalisme étouffant des Américains, la Polonaise aurait été étonnée qu’ils laissent des étrangers rejoindre les forces de l’ordre si facilement. Le brun ne traînait pas en ville depuis bien longtemps ; son accent, aussi, était trop prononcé pour qu’il ait grandi dans le coin ou qu’il y rôde depuis plusieurs décennies. Même chauvin, même fier de ses origines, on finissait par lisser les relents de sa langue maternelle avec les années. Et l’homme crachait bien trop l’Irlande à chaque mot, chaque silence, chaque respiration, pour lui faire croire qu’il avait la nationalité américaine. Il devait avoir fraîchement quitté l’Île d’Émeraude.

« Ton accent est trop prononcé pour que je ne finisse pas par deviner. »

Elle lui lança un regard froid, déjà trop lasse pour hausser les épaules ou lui rire au nez. S’il voulait perdre son temps, après tout, qui était-elle pour l’en empêcher ? Elle avait à peine assez de contrôle sur sa propre curiosité pour avoir la prétention de restreindre celle des autres. Et il lui suffirait, finalement, de réfuter toutes les théories du type pour qu’il se lasse, quand bien même il viserait juste.
Les accents slaves avaient cela de particulier - et pratique, quoique parfois offensant -, qu’ils se ressemblaient tous pour l’oreille non aguerrie. Aux États-Unis, toute personne originaire d’une contrée plus à l’est que l’Allemagne se trouvait flanquée d’une nationalité russe. Parfois ukrainienne, puisque les gars du coin avaient redécouvert cette partie de l’Europe quand on avait diffusé, deux ans plus tôt, une série relatant la catastrophe de Tchernobyl. Mais pour une bonne majorité d’entre eux, les deux pays se confondaient, à croire que la chute de l’URSS n’avait jamais eu lieu.

La réponse de son interlocuteur l’empêcha de se conforter dans la certitude déjà crevante qu’elle conchiait les Américains et leur manque de respect pour la culture d’autrui :

« "Justicier du coin". Sans hésiter. Ça me va bien au teint puis les primes n’existent plus vraiment, quant aux flics… »

Un bref regain d’intérêt lui fit tendre l’oreille, comme elle aurait aimé entendre le fond de sa pensée. Mais l’inconnu ne lui accorda pas le plaisir d’une fin de phrase.

« Plus sérieusement j’aurai bien aimé savoir ce que ce gros foutait dans cet appartement, ton petit tour de piste accéléré l’a forcément conduit chez lui. Et rendu méfiant. »

Sans lui accorder un autre mot, il se détourna pour retourner à son carrosse sous le regard médusé de la blonde. Elle serra davantage ses bras sous sa poitrine, un rien renfrognée par le manque de manières de son interlocuteur - quand son propre capital sympathie ne poussait pas au respect - et l’observa faire alors qu’il se penchait vers l’aile gauche de sa voiture. Zel n’eut pas besoin de voir son expression pour comprendre quel problème se posait à présent à lui. Elle gonfla les joues, souffla bruyamment et rejeta la tête en arrière.

« Dis-moi, la monnaie que je t’ai filé, c’est suffisant pour un trajet supplémentaire ? »

La trentenaire redressa le nez, plantant ses prunelles glaçantes dans ceux du chauffard. Elle esquissa un mince sourire hésitant, incapable de déterminer s’il se foutait ouvertement d’elle ou s’il avait une mémoire si courte qu’il ne se souvenait déjà plus d’être en train de ruiner une partie de sa nuit. Un ange passa.

« Non. »

La petite poignée de dollars pesa à peine plus lourd dans sa poche arrière. À vue de nez, au léger relief que la liasse imprimait sur ses jeans foncés, il y aurait assez pour le sortir du quartier et dépasser les frontières de Pinecrest.

Zel pivota sur ses talons sans rien ajouter. En une seconde à peine, elle se retrouva derrière le volant, le cul vissé au siège conducteur trempé par la pluie s’étant engouffrée à grosses gouttes par la portière avant grande ouverte. Elle claqua le panneau de métal, maugréa ses pensées noires d’agacement à voix haute, lissa ses cheveux mouillés vers l’arrière de son crâne, se contorsionna pour retirer la petite fiche attachée à l’arrière du fauteuil passager qui détaillait son identité, pour toute mesure de sécurité pour les clients. Elle jeta la pochette plastique à côté d’elle, face cachée, pour ne pas laisser le loisir au héros du dimanche de connaître son nom, frappa le compteur du taxi et attrapa une cigarette qu’elle coinça immédiatement entre ses lippes serrées d’impatience. La première bouffée de nicotine ne la détendit pas, la deuxième à peine plus. Un regard dans son rétroviseur raviva son exaspération. Elle ressortit de la voiture à la hâte, s’accouda au toit martelé par l’averse et, la clope au bec, râla :

« Mais tu vas la bouger ta Batmobile, à la fin ? Le taximètre tourne déjà. »

Elle se laissa retomber sur son trône, jeta sa cancéreuse gorgée d’eau sur l’asphalte et entreprit de la remplacer. Un claquement de briquet plus tard, Zel posa son front sur le volant, les yeux clos, échappant une longue colonne de fumée blanche.

« Tu vas où, demanda-t-elle sans grande conviction ni se redresser quand l’homme s’installa finalement. »
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Sam 29 Mai - 16:05 (#)


Zel & Faolan
My target, then, the weirdo

Mes doigts continuent d'ausculter la matière ramollie pendant plusieurs secondes, comme si le doute était permis ou que la conversation pluvieuse avait altéré l'assurance de mes sens.
C'est pourtant bien crevé ;

Je pousse un soupir profond avant de réclamer l'aide de la fille de l'Est. Ça m'arrache pas la gueule, mais presque. On n'était pas franchement parti pour faire un bout de route ensemble. Même s'il ne s'agit que d'une poignée de kilomètres effectués dans un silence lourd uniquement trompé par l'averse.

« Non. »

Bien sûr, la réponse - agaçante - n'est pas surprenante. Je me relève et pose sur elle un regard plus perplexe que rancunier. Non l'argent déjà donné ne suffit pas ? Ou est-ce un non général qui englobe son absence de motivation à l'idée de me conduire ; son job en fait.
Je suppose qu'elle veut davantage de monnaie. Pas certain d'avoir ce qu'il faut, je prends la décision de garder ce détail pour moi et retourne derrière le volant de la location. Frein à main retiré, je cherche à deviner les arrondis du trottoir malgré le déluge et oriente les pneus en conséquence. Puis j'entame la marche-arrière, incité par les encouragements malappris de la jeune femme ; que je n'entends heureusement pas.

Après avoir verrouillé l'habitacle, je passe mon sac chargé du matériel indispensable à mes activités nocturnes par dessus mon épaule puis me dirige jusqu'au taxi, partagé entre ennui et irritabilité. Je me jette à l'arrière de la caisse pour échapper enfin à la pluie sale et les relents de tabac m'enrobent aussitôt, estompant momentanément mes humeurs.

Cette soirée s'annonçait chiante bien avant que la fusée jaune sape ma cible. Ce n'est pas tant sa faute. Surtout celle des lamentables missions que je parviens à dégoter ;

« Tu vas où, »

« ... Downtown, si t'es en mesure de rouler. »

Dis-je après une mince hésitation. Lui donner mon adresse exacte me paraît précipité. Je lui indiquerai le chemin au fur et à mesure une fois dans l'immense quartier, en fonction de nos patiences respectives. Déjà rincé, je ne suis pas contre l'idée de finir à pieds afin de tenir le taxi et sa conductrice éloignés du Royal Lodge.  

Lorsqu'elle prend enfin une posture la rendant apte à la conduite, je détache mon regard du rétroviseur dans lequel je devine le sien. Aimable, à l'instar de son discours, tout aussi strict et prenant.
Je retire mon blouson et l'étale sur la banquette en faisant mine de chercher des billets qui n'existent pas, puisque je lui ai donné tout ce que j'avais. La carte bancaire dans la poche arrière de mon jean fera l'affaire. Pourtant je n'aime pas vraiment ce genre de paiement.
La police rend parano.

« Dis, t'es pas censée afficher ton autorisation d'exercice ? »

Ou je ne sais quel document officiel. Je ne connais pas la réglementation du pays pour ce genre d'activité mais je devine l'emplacement vide sur l'arrière d'un des sièges. C'est partout pareil - à quelques détails près - il faut prouver, justifier, rassurer. Homologations par ci, titularisation par là ;
Les réflexes professionnels sont rivés à mon tempérament comme de vieilles et malsaines dépendances qui me rendent emmerdant.

Au premier virage que prend la hongroise je me souviens qu'une ceinture attachée me sauvera peut être la vie et j'attache immédiatement cette assurance.

« Non mais, sois pas embarrassée par le protocole ; »

Sans ironie, sans cynisme, sans humour non plus. Je suis sérieux, on s'en fout du papelard. Ce qui nous stimule tous les deux c'est ce moment où je serai libéré de sa vago et elle d'un client fortuit.  
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Dim 30 Mai - 22:11 (#)

Elle prit une large bouffée de goudron pour s’apaiser un peu, rendre l’instant moins désagréable qu’il ne l’était. Le ronronnement du moteur qu’elle n’avait jamais interrompu faisait vibrer le volant, son crâne et ses pensées. Quelle idée elle avait eu d’accepter … Et pourquoi ? Briser l’ennui un quart d’heure de plus justifiait à peine sa décision.

« ... Downtown, si t'es en mesure de rouler.
- Sois pas insultant. »

Zel se redressa nonchalamment pour lancer un regard interrogatif à son passager par miroir interposé. C’était vaste, comme destination. D’où ils se tenaient, il existait à peu près une demi-dizaine d’itinéraires pour se rendre dans le centre culturel de la ville et, naturellement, le chemin le plus court changeait pour peu qu’on vive au nord ou à l’est du quartier. Elle attendit une fraction de seconde que l’homme daigne lui donner plus de renseignements, mais le mutisme dans lequel il s’enferma suffit à lui faire comprendre qu’il ne comptait pas s’étendre davantage. La Polonaise pinça ses lèvres sur le cul de sa cigarette avant de passer la marche-arrière, décidée à remonter l’Avenue par l’est pour rattraper Youree Drive. Selon son humeur, selon sa rancune au fur et à mesure des kilomètres, elle pourrait bien faire quelques détours pour augmenter le prix final de la course. Le brun ne l’aurait pas démérité.

« Dis, t'es pas censée afficher ton autorisation d'exercice ? »

La question était rhétorique, tous deux le savaient, aussi se contenta-t-elle de hausser les épaules et de pianoter doucement sur le bloc de chauffage, tournant un ou deux boutons pour monter la température et leur permettre de sécher un peu. Son client avait au moins eu l’intelligence de passer son cuir sur ses épaules avant de s’aventurer sous les trombes d’eau qui les avaient lavés tous les deux. Zel ne pouvait pas se targuer d’avoir eu cette présence d’esprit en quittant l’habitacle pour foutre dehors le type à la chemise tachée de sang. Sa parka gisait pathétiquement à la place du mort, roulée en boule, sèche, narguant son pantalon poisseux et lourd qui lui collait aux cuisses et ses cheveux trempés qu’elle sentait goutter sur le haut de son pull gorgé d’eau.

« Non mais, sois pas embarrassée par le protocole, lâcha-t-il après avoir bouclé sa ceinture.
- Y a que toi que ça semble perturber ... Si t’as une réclamation, le numéro de la compagnie est sur les portières. Pas besoin de mon nom ou de mon matricule, des gonz’ chiantes qui sont pas du coin, ils en ont pas tant que ça en stock. »

Sa boîte n’était pas bien regardante sur le caractère de ses employés. C’était tout juste si on lui avait demandé si elle savait rouler lorsqu’elle s’était présentée. On avait rapidement contrôlé son permis international, louché sur son passeport, posé une question ou deux sur son visa, et l’entretien - si elle pouvait l’appeler ainsi - s’était terminé. On ne lui avait pas même demandé ses motivations. Et c’était sans doute mieux ainsi puisqu’au fond, l’ancienne militaire n’en avait pas d’autre que celle de passer le temps, occuper ses nuits et tuer l’ennui.
N’en restait pas moins que ses capacités derrière le volant, si elles n’étaient certainement pas à critiquer, ne rachetaient pas sa mauvaise tête. Fort heureusement pour son emploi, les clients ne pouvaient pas attribuer de note à leur chauffeur ; et rares étaient les mécontents qui allaient jusqu’à appeler la centrale pour se plaindre de leur course. Sans doute, leur instinct de survie leur rappelait-il qu’elle connaissait leur adresse ou les lieux qu’ils fréquentaient.

« Dis voir, Bruce Wayne, lança-t-elle en s’immobilisant au premier croisement, si ça t’emmerdait tant que ton gars se soit tiré sans que t’aies pu le coincer, pourquoi t’es pas allé frapper directement à sa porte ? T’as l’air bien au courant d’où il vit. »

Il semblait savoir, en tous cas, qu’elle l’avait déposé non loin de son terrier.

Zel fixa le feu qui lui barrait la route à travers les épaisses gouttes de pluie qui martelaient toujours le pare-brise. L’eau faisait doucement éclater la lumière rouge, si criarde dans la nuit, avant que chaque passage des balais d’essuie-glace ne vienne rompre le charme. Leurs lames grinçaient contre le verre. Il y avait bien deux mois qu’elle devait les changer, que les rares clients qu’elle daignait embarquer par temps de déluge lui faisaient la réflexion, mais la blonde retardait l’instant où il faudrait les remplacer. Elle s’était habituée à leur crissement et le trouvait presque rassérénant. Hypnotisant, même, tant il l’aidait à rythmer ses pensées.
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Lun 31 Mai - 20:41 (#)


Zel & Faolan
My target, then, the weirdo

Mon regard se perd, un bref moment, à travers la fenêtre sur laquelle s'échouent lamentablement les gouttes d'eau immédiatement envoyées à l'angle droit de la vitre, incapables de résister à la vitesse du bolide. Je devine les véhicules que nous croisons sans pouvoir discerner précisément leur couleur, encore moins leur conducteur. Temps de merde. La circulation routière n'est pas dense ce soir et les passants sur les trottoirs sont quasiment inexistants. Pas de badauds suspects, de junkies en fuite. Rien qu'un flic puisse se mettre sous la dent.
Un vol ou une rixe sous mes yeux passeraient même inaperçus à cause de la visibilité nulle. Ça tombe bien, je ne suis plus inspecteur.

Dire que j'ai toujours considéré les détectives comme des flics ratés, ou frustrés ;

- [...] des gonz’ chiantes qui sont pas du coin, ils en ont pas tant que ça en stock. »

Je replace mes yeux sur son visage par le biais du rétro et esquisse un sourire excessivement large. Elle a au moins le mérite de reconnaître sa façon particulière de s'adresser aux inconnus. Presque aussi sympathique que moi !
Un hochement de tête silencieux pour toute approbation.

Les cheveux mouillés lui vont bien. Même s'ils sont foncés par leur humidité, on les devine clairs. Je ne sais pas si les ukrainiennes sont blondes, ce serait peut être un cliché. Rien de ses lèvres sévères à son regard éclatant ne m'aident à la cerner. Je remets en question une partie de mes premières impressions. Elle n'entre finalement pas parfaitement dans le stéréotype que je percevais ;
Pour ne pas rester bêtement pendu à sa frimousse boudeuse, je fais mine de trier les tickets de caisse froissés qui traînaient dans mon blouson, là où j'espérais trouver quelques dollars supplémentaires. Preuve d'achats de clopes et d'essence essentiellement. Liste toxique qui fait un bien pessimiste résumé de mon quotidien.

Puis la jeune femme, toujours sur ses gardes, paraît s'intéresser à mon dossier. La curiosité n'est - à mon sens - pas un défaut, bien au contraire. Je voudrai juste éviter de trop en dire en me laissant entraîner par un bavardage à première vue anodin.
Est-ce pour combler le silence ? Je l'imaginais plutôt adepte du mutisme.

« Ouais, je sais où il vit. Mais ce qui se trouve chez lui ne m'intéresse pas. »

Encore moins ce qu'il y fait. J'aurai pu m'approcher du domicile pour m'assurer que Dornan et sa femme n'en sont pas venus aux mains, mais je n'ai pas été engagé pour veiller à la sécurité de madame. Et j'ai menti : l'âme du justicier m'a quitté depuis déjà quelques années ; son Bruce Wayne fut plaisant à entendre, je ne lui ressemble malheureusement en rien.

Une pensée pour Ashley et son p*tain d'altruisme me fait pester intérieurement, puis je chasse son ombre en précisant :

« Je te l'ai dit, c'est ce qu'il faisait avant de monter dans ton taxi qui m'intéresse. Je pensais le savoir...  »

La tâche sur sa chemise a changé la donne. Les cartes ont été redistribuées. Je ne peux même plus garantir à son épouse qu'il est simplement infidèle. Désormais, j'envisage que le type aime se faire sucer le sang - au moins - par une longues dents ! Je préfère que ma cliente se contente d'être jalouse et en colère tant que je ne suis sûr de rien ;
Pas question de les mettre, elle et ses enfants, en danger.
Ils le sont peut être déjà cependant...

« Prends à droite au prochain feu. »

Dis-je en essayant de surveiller son compteur.
Je pensais pouvoir traverser une partie du quartier à pieds mais, si elle me dépose au bout de l'avenue, je n'aurais qu'à bifurquer à gauche pour remonter les deux blocs d'immeubles avant d'arriver à destination. Je m'habitue à la chaleur de cet abri et réalise seulement que, trempé, je commençais à avoir froid.

« Ça va, je ne t'aurai pas éloignée de ta zone de travail ? J'imagine. »

J'imagine surtout qu'il n'y a pas officiellement de limites à son secteur. Les taxis doivent aimer surveiller les ruelles animées, sorties de boîte ou les alentours des gares et aéroports, mais doivent être prêts à conduire partout.
J'imagine en fait que cette remarque futile doit faire de moi un de ses nombreux et insignifiants passagers.

Je renfile mon blouson avec une légère grimace, constatant que l'intérieur de la manche droite n'a pas résisté. Décousu sur trois petits centimètres près de l'épaule, le vieux vêtement que je pensais éternel a laissé l'eau s'infiltrer et une tâche humide s'étend jusqu'à mon coude.
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Jeu 10 Juin - 1:43 (#)

Rapidement, le rouge passa au vert, et le compteur kilométrique s’emballa alors qu’elle pressait l’accélérateur. La conductrice laissa derrière elle le jeu des lumières carmins diffractées pour se contenter sur l’asphalte, grise et monotone.

L’accent de son interlocuteur s’éleva dans son dos, plus coupant que jamais :

« Ouais, je sais où il vit. Mais ce qui se trouve chez lui ne m’intéresse pas. Je te l'ai dit, c'est ce qu'il faisait avant de monter dans ton taxi qui m'intéresse. Je pensais le savoir...  »

Son imagination fertile matérialisa immédiatement derrière ses yeux bleus une foule de suppositions plus incongrues les unes que les autres. Aucune n’avait de sens, ni de logique. Elle se figura successivement son passager filant l’homme au visage porcin dans l’espoir qu’il le mène tout droit à un baron de la drogue ou un club échangiste ; le suivre à la trace parce qu’il était le dernier à connaître l’emplacement d’un trésor enfoui depuis des millénaires et dont la localisation exacte se transmettait oralement de génération en génération ; se coller à son ombre pour se laisser conduire à la cache où il avait enterré un livre de recettes ancestrales mentionnant l’ingrédient secret d’une douceur qui ferait de l’un d’eux le meilleur pâtissier du pays. Cette dernière option, trahissant une passion du sucré, expliquerait au moins le physique plus large que long de son premier client. Mais Batman, à l’arrière, ne lui paraissait pas assez gras pour être un as du dessert.

Les prunelles de la trentenaire dérivèrent sur son rétroviseur à cette pensée. Sans quitter le reflet des yeux, les sourcils froncés comme si elle tentait de percer ses secrets, Zel plaça sa clope au-dessus du cendrier et en tapota le cul pour faire tomber l’amoncellement de tabac consumé qui plombait son nez. Et le filtre retrouva sa place entre ses dents pour lui assurer que sa prochaine inspiration ne serait pas uniquement faite d’air frais. Ses poumons n’étaient pas sûrs de tenir le choc si elle les noyait d’une grande rasade d’azote et d’oxygène non-nicotineux.
Son attention se fixa à nouveau sur la route. Il était rare de la croiser sans une clope au bec ces derniers mois, à croire qu’elles étaient devenues une extension pure et simple de son corps depuis qu’elle avait pris le volant. La Polonaise n’était complète qu’avec un clou de cercueil au bec et un reste de fumée s’échappant à chacune de ses expirations. Elle ne brûlait pourtant pas tant de tabac dans son ancienne vie ; sans doute ses journées étaient-elles trop remplies, à l’époque, pour qu’elle ait le temps de dégainer son paquet à tout bout de champ. Son arme lui était bien plus vitale, alors, que les cigarettes auxquelles elle se raccrochait désespérément à présent en espérant griller le temps. L’ennui forçait son tabagisme, et ce dernier son futur cancer des poumons. Finalement, sa mort ne serait qu’un dommage collatéral de son incapacité à s’occuper depuis qu’elle évoluait dans le monde des vivants - on ne pourrait blâmer ou féliciter le lobby du tabac pour sa fin prématurée. Au fond, toutes les publicités américaines des années soixante avaient donc raison : fumer ne nuisait pas plus à la santé que de s’emmerder.

« Prends à droite au prochain feu. »

Un réflexe musculaire la fit braquer avant même que son cerveau n’ait le temps de traiter l’information, à croire que les ordres, même lorsqu’ils n’étaient pas donnés par un supérieur, engendraient une réponse physique immédiate ne nécessitant aucune analyse. Après tout, on lui avait appris à obéir et à agir, pas à réfléchir.

Les rues de Downtown s’offrirent à eux en un battement de cils, propres et animées, plantées des bâtiments historiques qui faisaient toute la fierté de la ville et attiraient les touristes, l’été venu. Il fallait une bourse conséquente pour s’offrir un logement dans le coin, et les clients qui demandaient à être déposés ici étaient généralement là pour sortir plutôt que pour rentrer chez eux. Son interlocuteur irait-il se terrer chez lui pour digérer l’éventuelle perte de cette affaire dont il avait fait mention ? Ou comptait-il noyer sa déception et son aigreur dans un fût de bière ?

« Ça va, je ne t'aurai pas éloignée de ta zone de travail ? J'imagine. »

Elle haussa les épaules et écrasa son mégot dans le cendrier derrière le levier de vitesses. Zel cracha une ultime colonne de fumée.

« Je pourrais t’emmener à Chicago que ça m’en éloignerait pas. »

Tout droit jusqu’à en avoir assez, jusqu’à ne plus pouvoir avancer, jusqu’à ce que le macadam se dérobe pour ne plus laisser que l’immense étendue d’eau qui formait le Lac Michigan. La Polonaise n’avait jamais poussé si loin, ni avec un passager à bord, ni d’elle-même. Depuis deux ans qu’elle traînait des pieds aux États-Unis, elle avait à peine dépassé les frontières de l’État.

« Tant que tu paies … Le client est roi, hein. »

C’était le credo de la centrale. Et s’il voulait faire trois fois le tour du pays, Zel devait se contenter de lancer le taximètre et de regarder les kilomètres s’afficher au compteur. La Polonaise tendait cependant à croire que les passagers s’éduquaient, et ceux qui trouvaient à redire à ses méthodes pouvaient bien aller voir ailleurs si elle s’y trouvait.

« T’en as marre de jouer les GPS et je dois te laisser là, demanda-t-elle en ralentissant légèrement, ou tu comptes m’indiquer d’une voix suave que je dois tourner à gauche dans deux-cent mètres ? »
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Dim 13 Juin - 19:02 (#)


Zel & Faolan
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Le client est roi. Sans doute. Le client riche est roi, plus certainement. Ce qui n'est pas mon cas ;
Existe-t-il seulement une richesse qui permet à son propriétaire d'estimer qu'elle est assez large ? Suffisante ? Tout s'achète mais on ne peut jamais tout acheter... Vous suivez ?
Les clients de la hongroise décident du trajet à prendre. Un aller plus ou moins simple, direct, jusqu'à l'adresse qu'ils ont choisie. Imaginer le nombre d'heures qu'elle passe à obéir à des inconnus me donne le vertige. Pourtant, ne suis-je pas également au service de mes clients ?

Ces interrogations sans réponses défilent dans mes pensées au rythme des filets de pluie s'écoulant le long de la vitre. L'éclat des feux et autres phares donne à l'averse une nature vile, perfide. On ne se rend pas bien compte de son intensité dans l'obscurité, sauf quand un véhicule éclaire ses giclées froides.
Je me sens à l'étroit, étouffé dans le bolide et mes habits trempés. Paradoxalement, la vitesse certes modérée de la pilote alloue à la route un parfum de liberté bienvenue.

D'habitude, choisir ma route reste un privilège anodin que je savoure.

« T’en as marre de jouer les GPS et je dois te laisser là, [...], ou tu comptes m’indiquer d’une voix suave que je dois tourner à gauche dans deux-cent mètres ? »

Le client est roi ;
...
Quand il sait où il va.

« ... et si tu choisissais pour moi ? »

Pour une fois, pourrait-elle prendre la décision ? L'orientation ? L'avenue sur un coup de tête ou une intuition plutôt que sur un ordre implicite ? Où va-t-on quand on n'a pas de but précis ? Quand les instructions sont incertaines, voire inexistantes ?
Où se dirige un taxi à qui on laisse le choix ?

Je pousse un soupir et m'allonge quasiment sur la banquette arrière, grimaçant - encore - lorsque mes vêtements humides viennent sadiquement épouser ma peau là où elle avait réussi à être épargnée.
Je fais n'importe quoi. Tout ça parce que cette fille a du tempérament et que rien ne m'attend nulle part. Une équation pathétique et dangereuse, trop fréquente, qui fini par me lasser.

Les soirées solo - avec ce goût de défaite qui plus est - sont loin d'être mes préférées. Je pourrai y remédier aisément, un ou deux coups de téléphone et l'affaire serait réglée. Mais les options qui s'offrent à moi me paraissent aussi fades que ce temps pluvieux. Gris, morne, ennuyant.

« Je n'sais pas, tu irais où maintenant ? »

Dis-je comme pour l'empêcher de me rembarrer avec la tendresse que je commence à lui connaître. Si elle réfléchit un temps soit peu, du moment que je reste au chaud dans son véhicule, son intérêt pécuniaire augmente. La route empruntée n'est qu'un détail du parcours. Un élément superflu de ma soirée.
Un fragment bien dérisoire dans mon existence.

Sauf si mam'zelle-mal-lunée s'avère, en fin de compte, plus intéressante.

« Mais si tu veux rentrer chez toi, tu peux t'arrêter ici. Je ne te retiens pas. »

Bobonne va rentrer préparer le repas de son époux ? Je ne peux retenir un sourire moqueur. N'allez pas croire que je juge celles qui se complaisent dans cette servitude, mais l'image colle si peu à la donzelle au volant !
Ma remarque est en partie sincère. De toute façon si elle n'a ni le temps ni l'envie de jouer, elle va me le faire comprendre sans détour. Je ne veux pas lui faire perdre des minutes peut être précieuses. Des enfants, un chat, se préparer pour une sauterie, un feuilleton préféré, son amant, le seul repas de la journée...

Ne pas se fier aux apparences. Je la devine fêtarde, oiseau de nuit à la descente facile.
Et le reste aussi aisément.
Peut être pas ?

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Anonymous
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Jeu 15 Juil - 21:46 (#)

Conduire sans destination précise la perturbait plus que de raison. Aucun client ne s’installait jamais à l’arrière de son taxi sans avoir, pendue aux lèvres, avant même une salutation d’usage, l’adresse à laquelle il devait se rendre. Zel ne leur tenait jamais vraiment rigueur de ce manque de politesse, ni de leur empressement ; ou plutôt : elle leur rendait volontiers la pareille en étant aussi désagréable qu’ils pouvaient se montrer. Au fond, la Polonaise était plus rancunière qu’elle ne voulait l’admettre. N’en restait pas moins qu’une déformation professionnelle particulièrement vissée dans son esprit la laissait plus à l’aise lorsqu’elle savait où aller. Lorsqu’un ordre, même voilé, même dissimulé par un sourire aimable et enjolivé d’un élégant s’il-vous-plaît lui était lancé. L’ancienne mercenaire partageait avec les chiens cette capacité d’obéir au doigt et à l’œil, moins par dévotion que par crainte inconsciente de la réaction qu’un manquement pourrait engendrer.

« ... et si tu choisissais pour moi ? »

Son cerveau court-circuita brièvement face à l’indécence de cette proposition. Ses orbes étonnés se plantèrent dans le rétroviseur, sur le visage moins fermé de son passager qui prenait ses aises sur la banquette, s’allongeant presque comme un politicien romain sur son triclinium. Elle eut une seconde d’hésitation.

« Je n'sais pas, tu irais où maintenant ? »

Zel fronça les sourcils et fixa la route rendue floue par les trombes d’eau. Elle rentrerait, si elle le pouvait. Elle jetterait son passager dehors, foncerait jusqu’à l’aéroport et embarquerait dans le premier avion qui pourrait la ramener chez elle. Auprès des siens. Étonnamment, ce n’était pas à la Pologne que la blonde pensait lorsqu’elle songeait à son pays. Pour sûr, la route de son enfance et les rires des diables qui faisaient sa fratrie lui manquaient, mais le sentiment de foyer, cette sensation crasse et persistante d’être à sa place, l’Outre ne la ressentait qu’avec les membres de Charcoal. Elle était chez elle où ils se trouvaient, qu’ils soient occupés à se plaindre du racisme des humains dans les couloirs de l’UIN, ou qu’ils maudissent la brûlure du soleil des plaines afghanes. Mais ce désir-là, son interlocuteur n’avait pas besoin de le connaître. La trentenaire n’avait pas le temps de grincer ses pensées les plus profondes, moins encore l’envie.
Pourquoi diable se livrerait-elle à un visage passager ? Pour cracher ses espoirs, sa rancœur et sa peine à un homme qu’elle était certaine de ne plus jamais recroiser ? Qu’il devait être simple, parfois, de vomir tout ce qu’on avait sur le cœur sur les cuisses d’un parfait inconnu. Combien de quidams s’étaient laissés aller aux confessions, dans son taxi, persuadés qu’elle ne les jugerait pas ou, mieux encore, qu’elle ne les comprenait pas. Assis sur les sièges arrière, le regard dans le vague, ils déballaient tout : leurs obsessions, leurs doutes, leurs craintes les plus sombres, leur haine, leurs joies. Tout. On ne lui épargnait rien. Ils gerbaient ce qu’ils avaient en eux et repartaient en claquant la porte, légers et vides, quand leur chauffeur, elle, aurait à récurer l’habitacle et sa peau pour se défaire de l’amas visqueux de mots qu’ils avaient laissé là.

« Mais si tu veux rentrer chez toi, tu peux t'arrêter ici. Je ne te retiens pas. »

L’accent de l’Irlandais sonna comme une bénédiction à ses oreilles. Elle pila presque, braquant le volant pour se ranger le long du trottoir sans clignotant, sans crier gare. Un hurlement de klaxon lui laissa entendre que la voiture derrière elle n’avait pas apprécié la manœuvre, mais elle s’en ficha pertinemment. La liberté lui tendait les bras, elle ne voulait la faire attendre plus longtemps, aussi s’écrasa-t-elle contre sa poitrine en disant :

« L’arrêt de bus le plus proche est au coin de la rue, si t’es trop loin de chez toi et pas d’humeur à réaffronter la pluie. Elle se tordit le cou pour se tourner vers son interlocuteur : je prends la carte. »

Un large sourire plein de fausses dents barra son visage, nouvelle grimace, presque charmeuse, qui ajoutait aux nombreuses servies depuis le début de leur échange. L’homme ne garderait certainement comme souvenir d’elle que ses mauvais rictus dignes d’un chat philosophe. Elle le jaugea doucement de haut en bas, à peine désolée qu'il ait manqué s'encastrer dans son pare-brise tant le coup de freins fut inattendu.

« Et les pourboires. »
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Anonymous
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Lun 19 Juil - 12:05 (#)


Zel & Faolan
My target, then, the weirdo
Je comprends vite à son silence et les traits fourvoyés de son minois que le sujet est terrain glissant. Sans doute indiscrète, invasive ou simplement fortuite, ma demande la met mal à l'aise. Aussitôt je regrette, non pas de la déranger - je ne m'embarrasse plus de ce genre de culpabilité - mais d'avoir si bêtement mis un terme à nos échanges certes insignifiants mais divertissants ;

Tout à une fin.

La pluie s'abat inlassablement sur le taxi, insoucieuse de la gêne occasionnée. Le martellement sur la carrosserie me berce presque et l'humidité inconfortable se fait oublier.

Puis j'autorise ma conductrice à stopper la course. Je lui offre un but, une raison de freiner et d'interrompre le compteur. Si ça n'est pas à son avantage financier, la grognon de l'Est trouve soudain un profit d'une autre nature et pilonne sa pédale de frein pour se jeter contre le trottoir où elle m'imagine déjà planté.

J'ai à peine le réflexe de tendre les bras pour m'agripper aux sièges. J'aurai pu terminer sur ses genoux - au mieux - ou percuter le tableau de bord - au pire. La brusque manœuvre explicite son soulagement. La blonde m'expédie sans détour à l'arrêt improvisé et je dévore la grimace de ses lippes avec une drôle de délectation.
Pas question de gâcher les dernières secondes ; je ne laisse pas même de place à l'humiliation. Au contraire, mes lèvres tracent un rictus équivalent et je viens déposer la carte bancaire sur l'appareil qui émets très vite un "bip" complaisant.

Ici s'arrête l'improbable voyage en compagnie de l'étrangère et son bolide.

" Si j'avais encore de la monnaie, sois sûre que le pourboire aurait été généreux. "

Dis-je en m'extirpant de l'habitacle, rejoignant le boucan régulier de l'averse. La bulle éclate et je fais un signe de la main à la fusée jaune qui déjà arrive à l'intersection suivante ;

Je n'arrive pas à être déçu ni à lui reprocher quoique ce soit. J'appellerai ma cliente demain pour aborder la filature de son mari sous un autre angle.
Cette nuit, mes idées resteront chargées de parfums polaques.  

{Fin}

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