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Les poings sur les i. | Serguey

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Anonymous
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Sam 12 Juin - 0:17 (#)

Les poings sur les i.

@Serguey Diatlov
Dix degrés de plus. L’air brûlant et humide du Mad Dog agrippa Zel à la gorge à peine les portes du club de boxe franchies, s’écrasant sur sa peau et ses bras nus, s’insinuant dans ses narines jusqu’à emplir ses poumons. Elle se sentit immédiatement poisseuse, comme attaquée par la sueur ambiante et l’odeur acide de bêtes en cage qui rendaient l’atmosphère terriblement lourde et électrique. Les cris enthousiastes et les grognements sourds s’écrasèrent à ses tympans. Le bruit des coups, systématiquement suivis d’une clameur frénétique, des poings amortis par les muscles contractés, des phalanges qui s’abîmaient sur la peau, du cuir qu’on frappait, des os qui craquaient, du sol qui se fissurait presque sous le poids d’un corps qui tombait de toute sa hauteur. Rien ne couvrait la mélodie chaotique des combats illégaux, pas même les spectateurs les plus passionnés qui beuglaient pourtant tout leur saoul à chaque pommette éclatée ou côte fissurée.

Zel s’immobilisa, inspirant longuement pour avaler l’instant, s’en remplir les éponges jusqu’à n’avoir plus de place dans sa cage thoracique pour les gonfler davantage. Le Mad Dog, la nuit tombée, lui rappelait l’UIN et les entraînements de chiens méchants qu’on leur imposait. Des sessions régulières et brutales qui ressemblaient davantage à des champs de bataille où chacun luttait pour sa survie, où l’on se tapait dessus à s’en user les jointures, à s’en crever la peau, s’en décrocher les chicots et s’en écorcher la résistance. Pour se préparer, qu’ils disaient alors, les pontes du Département. Pour apprendre à encaisser les coups sans broncher et à les distribuer férocement sans avoir mal pour l’autre une fois sur le terrain.

Une voix familière perça le grondement ambiant et ses pensées :

« Tu restes dans le coin. »

L’Outre braqua des yeux ronds vers celui qui s’adressait à elle. L’homme, d’une dizaine d’années et d’une tête de plus qu’elle, ordonnait plus qu’il ne demandait, le ton ferme et un brin monotone, rôdé par l’habitude. Sa voix grave n’était pas partie dans les aigus sur sa fin de phrase, signe incontestable qu’il se fichait pertinemment de l’avis de la Polonaise. Le sourcil droit haut sur son front, l’air inquisiteur, le type cherchait dans le regard de son chauffeur quelque trace de compréhension. Dans le doute - et puisqu’il avait décrété la première fois qu’il avait posé son cul sur sa banquette arrière qu’elle ne devait pas être bien intelligente, vu son emploi et son incapacité à aligner plus de deux mots en anglais -, il se répéta, détachant soigneusement les syllabes, articulant abusivement, comme pour s’adresser à un vieillard sénile et malentendant ou un idiot. Ses mots furent accompagnés de signes explicites pour les illustrer : il pointa son index vers la blonde puis vers le sol, répétant la manœuvre trois ou quatre fois, jusqu’à ce qu’il juge ses propos assez clairs pour qu’elle les ait imprimés. Un instant de flottement, et la trentenaire haussa les épaules en signe d’accord.

Elle enfouit ses mains dans ses poches quand son client tourna les talons pour se mêler à la foule. Zel le suivit du regard un instant alors qu’il se perdait un peu plus loin, rejoignant un trio de gars propres sur eux qui lui ressemblaient. Des hommes occupés, pressés, qui avaient réussi leur vie et ne trouvaient plus d’excitation aujourd’hui que dans les paris. Elle les véhiculait fréquemment et les aimait bien, si méprisants et hautains qu’ils pouvaient l’être par moment. Parce qu’ils payaient grassement, surtout lorsqu’ils avaient passé une bonne soirée.
On lui demandait généralement de rester dans les parages. Où ils pourraient la voir, pour n’avoir pas besoin de l’appeler ; ou plutôt, où elle pourrait apparaître à peine ils regarderaient autour d’eux dans l’espoir de l’apercevoir, puisqu’elle les surveillait toujours du coin de l’œil, comme un collecteur des impôts son sac d’or.

Le banc sur lequel elle prit place couina légèrement quand elle s’y laissa tomber. Son poste d’observation lui offrait une vue à peu près dégagée du ring où deux colosses s’affairaient à se démolir et, quoiqu’elle fut loin du massacre, Zel se sentit éclaboussée par la transpiration et le sang, comme si l’air se chargeait de les acheminer jusqu’à elle et de les déposer en grosses gouttes sur son derme. Son débardeur lui collait déjà à la peau, rendu poisseux par l’atmosphère suintante de la fournaise qu’était devenue la salle de sport. La trentenaire poussa un soupir las, remonta grossièrement ses cheveux pour dégager sa nuque et ses épaules mordues de cicatrices et ainsi s’éviter une liquéfaction en bonne et due forme. Son chignon informe fait, elle tâtonna ses poches à la recherche d’un paquet de nuigraves dont elle tira son habituelle dose de nicotine. Elle s’acharna quelques secondes sur la pierre de son briquet qui refusait de tourner avant de capituler dans un râle. Maussade, elle emprunta son feu au type qui se trouvait derrière elle avant d’expirer enfin une longue colonne de fumée.

La Polonaise se pencha vers l’avant, avachie, les coudes plantés sur ses cuisses, un œil sur la scène, l’autre dérivant dans la foule pour repérer son passager du soir qu’elle ne trouva pas immédiatement. Ses yeux glacés parcoururent une flopée de visages inconnus et de traits familiers, déjà croisés ici, de jour comme de nuit. Elle reconnut la silhouette massive de l’un des combattants : sorte de golgoth blond sorti d’un mauvais film d’action opposant un héros américain à un antagoniste russe - l’homme tenant davantage du communiste que du patriote se battant pour la bannière étoilée -, du type haut et large, qu’un aveugle aurait aisément confondu avec une armoire à glace dans un magasin de meubles. Sa gueule était encore intacte, son nez toujours droit, preuve irréfutable qu’il n’était pas encore passé de l’autre côté des cordes. On ne quittait jamais le ring sans égratignure, ici.

Leurs regards se croisèrent brièvement, et ce que Zel considéra comme un simple échange d’œillades pour le moins banal se traduisit visiblement en invitation à tailler le bout de gras du côté du malabar. Elle pinça sa cancéreuse entre ses lèvres tirées en échappant un juron contrarié alors qu’il approchait.
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Mer 16 Juin - 12:55 (#)

PUNCHING YOU IN THE FACE.

Janvier 2021.

La chaleur poisseuse du Mad Dog adhère à sa peau pâle, couvre son corps comme une couche de derme supplémentaire, une transformation nécessaire à l'habituation aux lieux. Loin de le rebuter, l'ambiance moite et bruyante du Mad Dog avait au contraire tendance à exalter les sens de celui qui se perd et s'oublie dans les excès, cherchant sans cesse à fuir toute forme d'habitude paresseuse, toute ressemblance trop dangereuse avec ce qui s'apparenterait à un quotidien cotonneux et pantouflard. Il avait, depuis toujours, développé une véritable aversion pour tout ce qui ronronnait, anesthésiait les sens. Il ne vivait qu'à travers le risque et l'imprévisible. A quarante ans, il paraissait ne se situer qu'au début de sa ligne de vie, tant l'énergie débordait de ce corps immense, et ce même si les ridules au coin de ses yeux démentaient l'apparence trompeuse. Car en réalité, Serguey Diatlov savait pertinemment qu'il ne ferait pas de vieux os : les guerres, la désertion de sa magie, et ses nombreux débordements le guidaient lentement mais sûrement vers une mort prématurée, une information tolérée et acceptée par son esprit pragmatique. Mais il préférait vivre peu et intensément, que subir l'existence durant près d'un siècle.

Le Mad Dog recensait à lui seul la plupart des loisirs auxquels il aimait s'adonner. S'entraîner, maintenir sa forme physique d'ancien soldat, tailler le bout de gras à la buvette, se dégoter une rencontre sans lendemain dans les gradins après avoir roulé des muscles, remonter sur le ring, s'oublier dans le fond d'un verre mal rincé. Recommencer. La spirale l'engloutissait, les visages et les corps fracassés s'enchaînaient sans qu'il ne s'en lasse jamais. Car aucune habitude ne pouvait naître en ces lieux, malgré la mise en place de certains rituels. Chaque rencontre, chaque collision se différenciait des précédentes, marquée par l'imprévisibilité inéluctable et inhérente au Mad Dog. Et comme chaque combattant, chaque spectateur anonyme, il revenait s'adonner à la perdition avec la même intensité, dès lors que sa haute stature franchissait les portes de la salle de boxe.

Son adversaire de la soirée avait déjà été annoncé, mais le match tardait à venir, car les deux combattants qui s'affrontaient au cœur de l'arène se cantonnaient mutuellement à une stratégie défensive, retardant inévitablement les collisions respectives. L'Estonien prenait toutefois son mal en patience, saluant de temps à autre d'un signe de tête appuyé les habitués qu'il croisait, au hasard d'une errance aléatoire. Car il tournait en rond, sans s'en rendre compte, ne sachant comment occuper ses mains ou même sa langue, tandis que le temps s'étirait et l'assommait.
Lorsqu'il la repère un peu plus haut, à l'écart, son corps s'immobilise parmi la cacophonie ambiante et durant quelques secondes, il se contente de l'observer. Son faciès lui est familier, mais il ne se souvient pas lui avoir déjà adressé la parole, ni même l'avoir vue elle-même sur le ring. A chaque fois que ses yeux butent sur sa silhouette, c'est lorsqu'il lève la tête vers les gradins.

Rien de tel qu'une stimulation verbale pour secouer son ennui et le gorger d'adrénaline, avant qu'il ne monte sur le ring.
Sans attendre d'accord tacite de la part de l'inconnue, il s'avance alors vers elle avec assurance, gravissant sans mal les marches et enjambant les sièges qui les séparent encore, jusqu'à atterrir juste à ses côtés. Le banc de bois grince sous son poids, affaissant légèrement la silhouette de la spectatrice dans un gémissement fatigué. Il s'est souvent demandé comment ces strapontins de fortune tenaient encore le coup, à force de supporter la houle vindicative des observateurs et parieurs déchaînés. A croire que la passion pour la violence et le sang engluait davantage un meuble dans le décor, que quelques vis et boulons adaptés.
Son débardeur d'un gris passé lui colle à la peau lorsqu'il s'adresse à elle, le timbre grave et direct, un accent slave maîtrisé déformant légèrement certaines de ses consonnes.
« Tu veux tâter la marchandise avant de parier, j'suppose ? »
Un sourire goguenard tandis qu'il regarde dans la même direction qu'elle, en contrebas, ce qui ne l'empêche pas de bander un biceps arrogant et de le lui tendre en toute confiance. Ses billes claires décortiquent la foule jusqu'à ce qu'il repère la silhouette de dos, accoudé au comptoir de fortune, une bière d'un goût douteux à la main. D'un coup de menton, il lui désigne l'homme d'une carrure similaire à la sienne.
« J'vais affronter ce type quand les deux sur le ring auront fini de se mettre joyeusement sur la gueule. C'est sa troisième bière. J'te conseille de miser sur moi, ça n'fait aucun doute. M'enfin c'est toi qui vois, évidemment. »

Enfin, sa tête pivote pour lui permettre de la regarder. La cinquantaine de centimètres qui les séparent sur le banc de fortune lui offrent le loisir d'observer ce visage obtus, cette attitude contrariée, comme si elle n'avait pas tout à fait choisi d'être ici. Pourtant, il est certain de l'avoir déjà vue assise, presque au même endroit, à se nourrir des cris et des fractures. Un regard perspicace remarque les boursouflures des cicatrices, note sa carrure sportive, un élément qu'il n'avait pas constaté lorsqu'ils s'observaient encore de loin, à la dérobée.
« Un p'tit conseil, si tu veux vraiment t'imprégner du lieu et vivre l'expérience à fond, tu d'vrais descendre de ton perchoir et te mêler un peu à la foule. Tenter d'aller à la castagne. Ça fait toujours un truc la première fois, mais on devient vite accro, crois-moi. Et j'suis sûr qu'une nana de ta trempe aurait des choses à dire sur le ring. J'me trompe ? »

(c) AMIANTE

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Jeu 12 Aoû - 16:43 (#)

Tout dans son attitude laissait entendre qu’elle n’était pas d’humeur à la causette : de son regard qui se teignit d’orages au premier pas de l’inconnu dans sa direction au long soupir qui souleva ses épaules nues quand il approcha des bancs. Le type n’analysa pas les signaux qu’elle lui envoyait ou, s’il les vit, préféra en faire abstraction pour mieux courir vers elle, roulant des mécaniques comme un culturiste en mal de reconnaissance. La scène, quelque peu risible, remua les souvenirs écoeurants des ordures qui ressentaient le besoin de bomber le torse face à elle, dans les couloirs du Bureau. Dieu savait qu’il leur fallait parader fièrement pour paraître plus imposants face à une escouade de créatures qu’ils méprisaient mais qui leur rappelait qu’ils n’étaient que de simples humains. Fragiles. Sensibles. Qu’il devait être difficile, lorsqu’on s’étouffait sur une fierté maladive d’homme quelconque, de se sentir diminué de la sorte par les être répugnants qu’ils faisaient, Zel et ses semblables.
Elle ne détourna pourtant pas les yeux, parfaitement consciente qu’il ne suffirait pas d’ignorer le goliath pour qu’il change brusquement de trajectoire, agacé d’être oublié avant même qu’ils n’échangent le moindre mot. Il sembla à la Polonaise que ses pas perçaient le roulement de tonnerre de la foule, grondant davantage à mesure qu’il avançait. La blonde releva ses orbes glacés lorsqu’il arriva à sa hauteur et contempla sa chute. L’homme tomba de tout son immense haut, faisant plier les gradins sous son poids et involontairement sursauter sa voisine comme ses fesses se décollèrent des planches de bois.

« Tu veux tâter la marchandise avant de parier, j'suppose ? »

Son accent balte la frappa en plein visage, faisant vriller ses tympans. Zel étira une grimace aux vagues allures de sourire, les lèvres pincées sur le filtre de sa cancéreuse. Elle détailla sans gêne aucune le minois carré de son interlocuteur, s’attardant sur son nez qu’elle soupçonna d’avoir été brisé à de nombreuses reprises vu son angle, descendit le regard vers ses épaules et ce bras qu’il lui tendit. L’arrogance dont il faisait preuve ne la laissa pas de marbre, agrandissant, au contraire, le rictus qui déformait déjà ses traits.

« J'vais affronter ce type quand les deux sur le ring auront fini de se mettre joyeusement sur la gueule. »

Et elle suivit son regard vers le pendant brun de l’homme à ses côtés, une machine tout aussi large et discrète dont elle connaissait la gueule, à force de la voir quitter le ring, toute cabossée et suintante de sueur et de sang. Son client appréciait ce combattant-là et pariait volontiers sur ses coups de boutoir. Par extension, l’inconnu avait également la préférence de la chauffeur de taxi, et pour cause : les billets pleuvaient lorsque son passager se trouvait victorieux, son favori ayant rempli tous les espoirs qu’il plaçait en lui.

« C'est sa troisième bière. J'te conseille de miser sur moi, ça n'fait aucun doute. M'enfin c'est toi qui vois, évidemment. »

L’Outre haussa un sourcil impressionné et tira sur sa cigarette pour laisser entendre à son voisin qu’elle écoutait ce qu’il avait à dire et considérait même sérieusement ses propos.

« Un p'tit conseil, si tu veux vraiment t'imprégner du lieu et vivre l'expérience à fond, tu d'vrais descendre de ton perchoir et te mêler un peu à la foule. Tenter d'aller à la castagne. Ça fait toujours un truc la première fois, mais on devient vite accro, crois-moi. Et j'suis sûr qu'une nana de ta trempe aurait des choses à dire sur le ring. J'me trompe ? »

Une nouvelle inspiration gorgée de tabac. Zel récupéra son clou de cercueil, le coinça entre son majeur et son index dextres, tourna le nez vers son interlocuteur, planta son regard perçant dans le sien et souffla doucement sa fumée vers lui, cherchant à le noyer dans ce nuage épais et opaque. Une seconde seulement, sa mâchoire et sa bouche disparurent dans l’écran blanchâtre qu’elle dressa entre eux, ne laissant passer que ses yeux bleus, affreusement crevants. Un demi-sourire étira la commissure gauche de ses lèvres, et elle clappa sa langue contre son palais :

« Je cause pas anglais, Honey Pot, claqua-t-elle dans la langue de Shakespeare, sa mauvaise foi légendaire portée en étendard. »

Elle réalisait naturellement l’ironie de ses propos. Sans rendre les armes dans ce concours de regard qu’elle avait instauré sans y songer, la blonde se pencha un peu plus, posant son coude sur sa cuisse et sa joue sur son poing fermé.

« Et je parie pas non plus. Mais si je causais anglais, et que j’étais du genre à perdre mon argent par ici, je prêterais pas la moindre attention à ce que tu viens de me dire. Je l’ai vu combattre, ton adversaire, avec trois pintes dans le nez comme une demi-douzaine. Et je t’ai vu, aussi. Pas contre lui, je te l’accorde, mais ça m’empêche pas de savoir une chose : il va gagner. »

Zel se raidit, passa une jambe au-dessus du banc pour s’installer à califourchon et fit face au grand blond qui se tenait à ses côtés. Elle le toisa doucement, une lueur d’intérêt plantée dans les prunelles. Ses doigts tapotèrent le cul de sa clope pour faire tomber les cendres qui s’étaient accumulées à son bout. Elle repinça la dose de nicotine entre ses lippes pour maugréer :

« T’aurais peut-être plus de chance de t’en sortir face à moi, si je descendais dans l’espoir de te mettre une branlée. Elle tiqua, un rien de défi dans la voix : quoique … T’es lourd, plutôt lent vu ta stature. Je pourrais t’épuiser rapidement. »
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Anonymous
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Jeu 19 Aoû - 16:21 (#)

PUNCHING YOU IN THE FACE.

« Wow, eh ben si j'm'attendais à ce que tu sois aussi dithyrambique… »
Le biceps tendu a vite retrouvé sa posture naturelle, loin du cynisme de la spectatrice qui le toisait désormais, visiblement peu impressionnée par sa stature tout comme par l'assurance démesurée que dégageait l'Estonien. Une attitude qui tranche avec la confiance exacerbée de l'habitué des lieux, qui ne peut alors s'empêcher de marquer un temps d'arrêt face à l'effronterie assumée. Stupéfait, il prend le décortiquer ce visage narquois qui se tourne vers lui, sans craindre ni remontrance ni entêtement, de la part de celui qui l'observe désormais en silence. L'amusement supplante cependant la surprise, et les prunelles arctiques du quadragénaire pétillent bientôt de malice, peu rancunières, même si la tentation de répondre impulsivement à la provocation outrancière le démange.
« Charmante. Moi non plus, j'cause pas english very well. »
La voix masculine mêle anglais et russe pour lui répondre sur le même ton, sans excès de zèle, conscient d'avoir face à lui une native du Vieux Continent, dont la conquête du Nouveau Monde semblait le cadet des soucis.

Son regard voyage du faciès pincé aux volutes de fumée qui s'échappent de la cancéreuse, une tentation à laquelle il aurait volontiers cédé, s'il n'était pas attendu sur le ring d'ici quelques instants. Si le phrasé l'avait désarçonné de prime abord, il en apprécie désormais le franc-parler, préférant largement une honnêteté trop crue que des non-dits et le jeu des apparences. Il pivote le buste vers elle, hausse un sourcil sous les faits énumérés avec précision, incapable de déceler un bluff éventuel.
« Ce gars-là ? Me mettre à terre ? Tu te fous de ma gueule. »
Une information qu'il s'efforce de vérifier, accroché à la moindre de ses réactions faciales, à l'affût d'un tic, d'un claquement de langue désobligeant qui révélerait la supercherie. Mais puisqu'il l'avait déjà aperçue dans les gradins, il y avait fort à parier qu'elle était effectivement une habituée des lieux, particulièrement des hauteurs, et que par conséquent, cette provocation pouvait s'avérer une véritable mise en garde.
« Pourquoi je te croirais ? Et comment ça se fait qu'il tombe pas, ce type, après une demi-douzaine de pintes ? Pilier de bar ou non, faudrait être bien prétentieux pour affirmer que l'alcool n'impacte pas tes réflexes, à ce stade. »
Était-il un Change-Forme ? Cela confirmerait la version de l'inconnue, mais par souci d'équité, l'Estonien se refusait d'user de ses dons afin de décrypter l'aura de son adversaire. S'il appréciait l'illégalité des combats, il n'en demeurait pas moins attaché à une certaine éthique, et user de pouvoirs que l'autre combattant ne possédait probablement pas lui paraissait bien déloyal. Gagner grâce à ses arcanes ne serait pas une véritable victoire.

Il détourne le regard et jette un œil en contrebas, observant patiemment la foule excitée, puis le ring sur lequel le combat s'éternise. L'un des corps est propulsé contre les cordes suite à un uppercut bien placé, et la masse compacte des voyeuristes s'élève alors comme un seul homme, dans une clameur tenant davantage de l'aboiement que d'un encouragement humain. Galvanisé par cette ambiance électrique, il reporte de nouveau son attention sur son interlocutrice, conscient de la déloger de sa tranquillité, ce qui ne semble pas le déranger le moins du monde.
« J'voudrais pas paraître macho, mais ça m'étonnerait que tu m'envoies au tapis, ma jolie. »
L'affirmation est prononcée tandis qu'il l'observe à la dérobée, comme si elle ne méritait pas qu'il s'attarde réellement sur cette silhouette, dont il a en réalité perçu la carrure sportive, les muscles ciselés, les épaules toniques. Il ne doute pas qu'elle soit un adversaire redoutable, mais répondre à sa provocation par une autre est bien plus tentant que de vanter ses qualités physiques.
« Cela étant dit, et si t'en as réellement les couilles, j't'invite à descendre de ton nichoir, et j'te prends là en bas. En tout bien tout honneur, bien sûr. Mais puisque la forme exacte de tes miches est probablement imprimée dans ce banc, j'me fais pas trop d'illusion. »

Le sourcil se hausse à plusieurs reprises, surplombe un sourire goguenard tandis qu'il tente ostensiblement de l'arracher à son poste d'observation. Mis à part le jeu évident qu'il tisse entre eux, il aspire réellement à découvrir son potentiel, au-delà du verbe acerbe et du corps taillé en V. Alors une fois encore, il fait mine d'être absorbé par ce qui se déroule en contrebas, par les corps qui se fracassent avec désormais plus d'impatience, tant et si bien qu'il ne serait pas surpris que la cloche ne tarde pas à sonner, enfin. Une montée d'adrénaline l'envahit et lui délie les muscles, tandis qu'il agite sa tête de droite à gauche, craque sa nuque et étire ses membres, prêt à en découdre. S'oublier sur un ring lui permettait de refouler ses pensées et ses tourments, de nier tout ce qui n'était pas chair, os et muscles. Ici, il n'était qu'un corps en mouvement, même pas un nom véritable, seulement cet adversaire anonyme derrière lequel il pouvait s'effacer, le temps d'une nuit, réifié sous les coups d'un autre combattant. Ici, il pouvait casser la gueule de son identité sans risquer de sombrer, sans raviver à sa conscience le souvenir de la femme aimée et manquante, sans ressentir la béance de cette magie qui le désertait depuis dix années. La fureur des combats l'emplissait de cette vie qui le faisait occulter tout le reste.

La cloche retentit et l'extirpe de ses pensées, et le son salvateur l'ancre de nouveau à ce banc dont le bois gémit sous son poids. Sans geste cérémonieux, il se redresse et se lève, enjambe les strapontins du rang suivant, tandis que son regard cherche celui de l'Européenne, s'adressant à elle dans cet anglais qu'elle ne parle pas.
« Alors, tu t'bouges ou tu t'enracines ? »
Qui sait, elle avait peut-être des démons à fracasser, elle aussi.

(c) AMIANTE

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