| | A mother's heart and soul Ft. Rory O'Hara | |
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| Lucy venait de remettre les pieds chez elle. Il était encore tôt, c’était le petit plaisir qui servait à compenser une nuit trop longue à piétiner au service des urgences. Ça allait lui laisser du temps pour prendre une bonne douche, dormir un peu, se « faire jolie » et préparer un truc à dîner pour Ashley, histoire qu’ils mangent un peu moins sur le pouce et qu’ils aient un petit moment à eux. Quant à Rory, ça dépendait de ce qu’il avait prévu disons. Depuis qu’ils avaient mis les pieds ici, à Shreveport, Rory était d’humeur plutôt maussade. Lucy ne se demandait pas vraiment pourquoi : il avait quitté son pays, ses amis, ses grands-parents… Elle avait bien tenté de lui vanter le tout comme une nouvelle aventure, son fils était encore dans ce bout d’adolescence qui faisait qu’il n’était pas capable de se montrer optimiste sur une décision du genre. Pas encore en tout cas.
Ses souliers finissent dans le meuble à chaussures, son sac sur une chaise du salon, ses pieds dans une petite paire de chausson et puis finalement Lucy fait le tour des lieux, commençant par le jardin où elle sait avoir le plus de chance de trouver Rory. D’ailleurs c’est effectivement là qu’il se trouve. Son fils avait boudé la terrasse pour s’assoir dans l’herbe, un bouquin sur les genoux. Roman ou livre sur les plantes, ça lui aurait été difficile de le dire vu d’ici.
« Rory ? Chaton ? »
Le joli regard noisette de son fils se tourne vers elle et Lucy lui flash un grand sourire. Qu’importe qu’il fasse un peu la gueule en ce moment, ce n’était pas 100% du temps et Lucy l’aimait beaucoup trop pour ne pas avoir envie de lui sourire !
« Je viens de rentrer, tu as déjeuné ? Sinon on peut manger ensemble si tu veux. »
C’était plus que rare qu’ils puissent manger le midi ensemble ! Les horaires des uns et des autres empêchaient ce genre de chose de se produire d’habitude. Mais il était presque 13h et si Rory n’avait pas mangé, elle ferait un truc rapide qu’ils prendraient ensemble histoire de resserrer un peu les liens disons.
« Qu’est-ce que tu lis ? »
Et puis même si elle savait que la réponse serait « oui » c’est son gène maternel qui l’oblige à demander :
« Tu as mis de la crème solaire ? »
Il y avait quelques nuages, le soleil ne tapait pas si fort, c'était un jour de janvier comme on en voyait jamais en Irlande… Mais bon, Rory avait cette peau pâle qui brûlait avant même de rougir si elle restait trop longtemps au soleil. De son côté, Lucy aimait tout ce soleil, qui lui avait un peu manqué en Irlande peut-être. Mais cette humidité constante était un peu moins de son goût et après une nuit à l’hôpital, elle rêvait d’une douche. Elle vient d’ailleurs s’éventer d’une main en remarquant :
« Qu’est-ce qu’il fait moite… J’ai pris le bus pour rentrer, ils auraient pu investir dans une clim ou quelque chose comme ça. »
Elle aimait toujours aussi peu conduire. D’ailleurs la seule voiture du couple était celle d’Ashley. Pas que Lucy n’ait pas son permis, même si elle devait encore en récupérer l’équivalence ici, mais ça la stressait plus qu’autre chose alors si elle pouvait éviter… Lorsqu’il n’y avait que Rory et elle, elle avait une petite voiture d’un vieux modèle parce que la nécessité faisait loi. Depuis Ashley, disons qu’elle s’était permise de lever un peu le pied.
« Tu as terminé de faire tes cartons ? Tu as besoin d’un coup de main ? »
Lucy avait toujours été une mère poule dans l’âme… Mais c’était encore plus vrai avec Rory qui semblait désorienté ici et qui s’isolait un peu. Enfin… Il ne le faisait peut-être pas réellement ou pas consciemment… Mais même les mamans ont besoin de se rassurer quoi. Et puis elle aussi se sentait pour le moment un petit peu seule dans cette nouvelle ville. Pas qu’elle puisse vraiment se plaindre : le contact avec les nouveaux collègues passait bien et le boulot ne manquait pas. Peut-être parce que « c’était les Etats-Unis » et peut-être aussi parce qu’on baignait dans une atmosphère surnaturelle aussi invisible que paradoxalement étouffante.
« Qu’est-ce que tu as fait ce matin ? »
Bon gré, mal gré, elle allait entraîner Rory dans un bout de conversation avec elle ! Et puis elle ne posait pas la question que pour faire la conversation… La réponse l’intéressait réellement parce que tout ce qui avait un peu d’intérêt pour Rory ou Ashley avait de l’intérêt pour elle… Et ce même si parfois elle ne comprenait rien au verbiage juridique ou botanique de la conversation…
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| C’était un concept particulier pour Rory d’être en sabbatique. Mais bon, c’était aussi un concept particulier d’être venu vivre de l’autre côté de l’océan Atlantique, alors pour ce qu’il en savait, ce n’était peut-être pas aussi bizarre que ça… C’est simplement qu’on lui répétait depuis tout petit que les études étaient plus importantes que n’importe quoi. Qu’il avait les capacités d’aller loin. Et que surtout, il fallait de préférence les faire d’un bout. Ce qui n’allait pas être son cas. Et ça le torturait plus qu’il ne voulait l’admettre, même s’il se la jouait mec qui gérait de ouf et qui ne voulait même pas en entendre parler. Pour le moment, tout échappait tellement à son contrôle que le peu qu’il pouvait grappiller, il s’y accrochait comme à une bouée au milieu de l’océan…
Le plus étrange ici, pour le moment, c’était la météo. L’hiver n’était pas un vrai hiver… Personne ne lui enlèverait ça de la tête ! Il faisait 16 degrés présentement et c’était le genre de température qu’ils pouvaient avoir en Irlande l’été ! Alors Rory s’était badigeonné les mains, le visage et le cou de crème solaire. Juste pour être sûr… Il avait vraiment la peau qui partait en fumée au moindre rayon de soleil. Un vrai vampire. Il avait mis un hoodie trop grand pour lui qu’il ne mettait que pour traîner à la maison. Et il était posé dans l’herbe, un grand livre sur les plantes sur les genoux. Il l’avait acheté à la librairie aujourd’hui même et il avait eu vraiment très hâte de l’ouvrir, celui-là. C’était un livre sur les plantes de la Louisiane. Il avait fort à apprendre.
Il n’en lève pas immédiatement le nez quand sa mère l’appelle, même si elle le surprend. Parce qu’un petit coup de vent s’était invité en même temps, faisant voleter plusieurs pamphlets qu’il avait récupéré à la librairie du coin justement… tous de deux universités à proximité et qui vantaient des cursus différents.
« Allô m’man. », salut Rory tout en attrapant rapidement les dépliants pour les fourrer dans son livre, puis le referme. Il relève enfin la tête vers sa mère, lui souriant. Il n’avait pas digéré le déménagement et ça ressortait quand ils se prenaient la tête. Mais Rory était quand même assez mature pour ne pas le lui ressortir à toutes les sauces sans arrêt. Il était majeur… et après ses études, il allait probablement retourner en Irlande, pour être honnête. Mais ça, sa mère n’en savait rien. « J’ai mangé. J’en ai fait un peu plus, c’est dans le frigo. Mais je peux rentrer avec toi et me poser à la table. »
Il lui montre le livre lorsqu’elle le demande, le lui tendant même pour qu’elle y jette un coup d’oeil rapide.
« Je l’ai acheté ce matin. La flore du coin n’a rien à voir avec celle de chez nous. », explique-t-il. Il se mettait à niveau, quoi. « Et puis on dirait que les propriétaires précédents avaient une peur phobique du jardin… J’ai bel et bien carte blanche, hein ? »
C’était un projet qui l’emballait et qui lui faisait oublier le déménagement pendant qu’il s’y consacrait. Un jardin fleurit toute l’année… Ça allait être dingue. Il roule un peu des yeux à propos de la crème solaire tout en se remettant souplement sur ses pieds. Il acquiesce sans répondre. Pour le peu qui pouvait brûler, il s’en était chargé, oui. Comme d’habitude !
« Oui c’est dégueulasse cette humidité… Mais c’est parfait pour plusieurs types de plantes. J’ai l’impression de vivre dans une serre, moi, ce qui n’est pas fameux fameux… », marmonne-t-il tout en prenant le chemin de la maison, tendant une main pour récupérer son gros livre au passage. Quant à ses cartons, il secoue négativement la tête. « J’ai pas besoin d’aide. J’y vais à mon rythme et c’est très bien comme ça. »
Une façon comme une autre de faire comprendre à sa mère que c’était une sujet sur lequel il préférait qu’on n’insiste pas. Sa chambre, son royaume, son domaine… Pas touche. C’était encore un autre de ces trucs sur lequel il pouvait avoir contrôle total. Il a un petit soupir en levant le nez vers le ciel alors qu’un nouveau coup de vent lui parvient, puis entre finalement dans la maison sans rien ajouter malgré la phrase désagréable qui avait trouvé son chemin jusqu’à lui. Ça restait excitant, une nouvelle maison. Il se demandait quand même quand il s’y sentirait chez lui.
« Je suis allé à la librairie à pied. », explique-t-il simplement, sans trop de fioriture. « Et ta journée ? C’est différent, les urgences Louisianaises ? Ils sont vraiment fous, ces Américains ? »
Le tout avec un petit sourire espiègle pour sa mère. Il blaguait. À demi, disons…!
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Ha ! Zut ! Heureusement Rory semble disposé à partager l’heure du repas avec elle et c’est parfait. Lucy refait un peu le planning de la journée dans sa tête histoire de visualiser un peu et elle acquiesce donc à son offre.
« Faisons ça. »
Et de demander curieuse :
« Qu’est-ce que tu as préparé de bon ? »
Lucy n’était pas une femme difficile sur la nourriture, même si elle avait clairement la dent plus salée que sucrée ! Elle mangeait de tout ou presque et elle avait essayé d’initier son fils à la diversité culinaire même si à l’époque où il n’y avait eu qu’eux deux, les repas s’étaient souvent ressemblés sur les fins de mois les plus difficiles. Le poisson, la viande… ça avait surtout été bon pour le jour de paie quoi, bien qu’elle adore elle-même tout ce qui était poisson… !
D’une main elle vient attraper le livre que Rory lui tend. Elle n’est pas très surprise par le thème aborder par le bouquin pour tout dire !
« Je te crois sur parole. Tu as trouvé des choses intéressantes ? »
Quant aux anciens proprios, elle fait remarquer :
« Au moins tu repars de zéro, tu peux faire tout ce que tu veux ! »
De fait, acquiesçant à sa dernière question, Lucy confirme :
« Tu as carte blanche. Pense à mettre quelque chose pour maman ! »
Elle aimait les plantes à petites fleurs colorées et odorantes. Le jasmin, le lilas… Mais de là ça savoir si ça pouvait survivre à la météo locale, alors là…
Le livre change de main à nouveau pendant que Rory se plaint quand même un peu plus qu’elle de la moiteur de l’air. Au moins il relativise dans la foulée : ils étaient dans un bon jour ! Bon évidemment, même après avoir relativiser, il a une petite critique… Mais croyez-la : il y avait des moments où Rory pouvait être moins subtile.
Ils remettent les pieds à l’intérieur et Lucy défait ses chaussures, faisant signe par réflexe à son p’tit d’en faire autant. Pour ce qui était de la chambre elle lève les yeux au ciel mais bon, elle n’insiste pas non plus.
C’est un peu là qu’elle réalise ce qui a glissé à demi du bouquin, entre les mains de Rory. Un petit dépliant dont elle ne voit pas grand-chose… Mais elle devine ce qui manque !
« Tu regardes pour l’université ? Tu as vu des choses intéressantes ? »
Pour Lucy, l’éducation c’était TRES important. Elle n’était pas très chaude à l’idée d’une année sabbatique et rongeait son frein en mettant ça sur le compte du déménagement, ce qui restait en partie vrai malgré tout. Et elle était beaucoup trop heureuse d’aborder la question pour laisser l’occasion lui filer entre les doigts !
Une fois à la cuisine, Lucy sort déjà un jeu de couvert, une assiette. Elle prend son temps, écoutant d’une oreille attentive qui fait le tour très très rapidement de ce début de journée.
« Alors ? C’est loin ? Et elle est chouette ? »
Il avait visiblement un minimum trouvé son bonheur hein ! Quant à son boulot elle rit avec lui, poussant un long soupire avant de convenir :
« C’est sport. Le système médical est très différent ici. Les urgences ne désemplissent pas et ce ne sont pas toujours « réellement » des urgences. »
Mais bon, ils étaient là pour traiter tout le monde et ces gens là ne savaient pas toujours vers qui se tourner, tellement il pouvait être complexe d’entrer dans le parcours médical. Elle songe à l’homme qui l’avait presque agressé, à ses grognements, au vol plané qu’elle avait fait dans le couloir et à ses doigts sur sa gorge… ça la tétanise très brièvement avant qu’elle ne rebranche pour ouvrir le frigidaire et prendre les restes de Rory, jugeant préférable de faire l’impasse sur ces choses qui arrivaient plus facilement ici qu’ailleurs, elle le réalisait pleinement et ça l’angoissait un peu.
« Je vais dormir quelques heures après mangé, mais tu veux qu’on aille quelque part ensemble ensuite ? »
Acheter des graines, un arrosoir, ou de l’outillage de jardin, allez savoir ! Quelque chose à deux quoi, puisqu’elle était persona non gratta pour le coup de main niveau rangement de chambre… !
« Tu as pu voir un peu s’il y avait du monde de ton âge dans le quartier ? »
C’était toujours bon à prendre.
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| « Ce matin en me levant j’ai mis dans le slow cooker de quoi faire un boeuf au brocoli. », explique Rory tout en se dirigeant vers la porte arrière de leur nouvelle maison. Il pousse la porte et entre. Mais dans l’entrée, il laisse ses chaussures par réflexe… et lève quand même un peu les yeux au ciel en soupirant quand sa mère se croit obligée de le lui dire. Il détestait ça mais c’était clairement un superpouvoir de mère… Dire ce genre de truc de façon tellement automatique que ça finissait par être dit en même temps qu’il le faisait ! « J’ai trouvé une recette sympa sur un blog et j’avais envie de l’essayer. La viande fond dans la bouche, c’est dingue. Et puis bon, le brocoli…! »
Sa petite maman savait bien : il était incroyablement fan de brocoli depuis toujours, malgré le cliché qui veut que les enfants détestent ça. Quant à son livre, Rory a un mouvement positif du chef parce que oui, il y avait trouvé des faits intéressants sur les plantes d’ici en général et surtout des plantes qu’il voulait mettre dans leur cour arrière, quoi.
« Avec ce genre de bouquin, je ne tomberai pas sur une plante mortelle ou illégale par simple ignorance, c’est déjà ça. », blague le jeune homme tout en ayant un petit sourire chafouin pour sa mère. « J’ai pris quelques notes de plantes que je vais sûrement aller essayer de trouver en forêt ces prochains jours pour commencer le jardin. Ce que je ne trouverai pas, j’irai le prendre en serre. Et t’inquiète, je vais trouver quelque chose que tu aimes. Mais je ne peux pas faire de miracles, il faut que j’y ailles avec la météo d’ici et c’est très différent de ce qu’on a en Irlande. »
Jusqu’à sa mort il allait parler de l’Irlande comme du vrai foyer jusque dans le temps de ses verbes ! Il a un regard pour la petite brochure dans sa main, pas très très motivé. Mais c’était le changement de pays et de culture qui lui faisait ça. Il se sentait seul et largué et du coup commencer quelque chose d’aussi stressant que l’Université lui semblait tout sauf très alléchant. Pourtant, ça l’aiderait sûrement à se faire des connaissances et à sortir un peu plus… Il va jusqu’à la cuisine. Impeccable, bien sûr. Il n’était plus un enfant et il n’était certainement pas un cochon ! Il nettoyait après être passé dans une pièce. Il s’assoit sur un banc à l’ilôt central, histoire de tenir compagnie à sa mère pendant qu’elle se servirait.
« Bof. », commente-t-il simplement dans un premier temps tout en haussant les épaules d’un air un peu ennuyé. « J’ai juste jeté un coup d’oeil. Rien digne de mention. »
Il n’avait pas envie d’en parler. Ça le stressait et il sentait qu’ils n’étaient qu’à un pas de le pousser violemment vers ce projet, ce dont il n’avait pas besoin présentement. Quand il se sentirait plus en confiance, il en parlerait avec sa mère. D’ici là, espérons seulement que Ashley ne s’y mette pas aussi. Son regard accroche le panier plein de thé en vrac qu’ils achetaient toujours à deux de façon un peu trop impulsive et du coup Rory demande :
« Tu peux mettre l’eau à bouillir, s’il-te-plaît ? »
Suffisait de cliquer sur un bouton et quand ça allait être prêt, il irait se faire un thé pendant qu’ils discutaient. Ou plutôt une tisane. Il adorait ça. Quant à la librairie, il explique :
« Environ vingt-cinq minutes à pieds d’ici. C’est correct. Qui eût cru que les Américains lisaient. », ironise-t-il avant d’ajouter, amusé : « Je blague ! »
Presque. Quant aux urgences, ça lui fait arquer les sourcils.
« Il y a des gens qui vont juste passer du temps à l’urgence ? Ou beaucoup d’hypocondriaques ? »
Il ne comprendrait jamais ça. Il n’avait pas peur des hôpitaux. Mais s’il pouvait les éviter, il en était bien content ! Par contre, sûrement aidé par le fait que Rory était en train de regarder sa mère justement, il fronce les sourcils en réalisant que quelque chose avait cloché quelques secondes…
« Ça va ? »
Elle avait bien buggé devant le frigo, non ? Ça l’inquiétait. Rory serait toujours le plus grand défenseur de sa mère, même quand elle n’en avait pas besoin ! Il acquiesce ensuite à la proposition sans en rajouter. Ils verraient ça quand elle allait se lever. Il allait juste traîner dans le coin jusqu’à ce que ce soit le cas. Pas qu’il ait prévu autre chose aujourd’hui. Par contre, quand elle parle des autres jeunes adultes du quartier, il fait remarquer :
« Maman… je n’ai plus l’âge de chercher des jeunes de mon âge dans mon quartier. On fait des connaissances selon nos secteurs d’activité, comme les gens de ton âge… »
Comme tous les autres adultes, quoi…
« D’ailleurs, je vais devoir aller chercher mon permis de conduire américain. »
Ça le fait soupirer. Mais c’était autre chose à mettre sur sa liste… Et il n’allait pas y couper. Il ne voulait pas. Parce qu’il avait besoin de ce petit bout d’indépendance et de maturité plus que jamais, là.
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Lucy a un « hmmm » qui fait écho au léger gargouillis de son estomac. Rory n’avait pas seulement la main verte : il était bon cuisinier. Elle se souvenait encore lorsqu’il était petit et qu’elle lui apprenait à faire son premier gâteau, sa première pizza… Qu’il plongeait la main dans la boîte de fromage râpé ou de pepperoni et qu’il en mettait un peu en tas sur la pizza et beaucoup dans sa bouche ! Ce genre de souvenir c’était son privilège de mère.
« Qu’est-ce que je ferais sans toi ? »
Elle a un petit clin d’œil pour son fils. Ca allait être bien de ne pas avoir à se préparer un truc là tout de suite, elle avait un peu mal aux pieds et l’idée seule de se poser les pieds sous la table tendait au bonheur… !
Pour les plantes elle grimace en tournant la tête vers Rory histoire de se renseigner :
« Et les chances pour que tu tombes sur ce genre de choses ici sont réellement si grandes ? »
Puis taquine :
« Je croyais que c’était l’Australie la bouche de l’enfer ! »
En vrai, avec la concentration de CESS qu’il y avait dans le coin à ce qu’on disait, c’était peut-être un autre genre de porte ici. Mais tous les CESS ne leur venaient pas de l’enfer… ! Regardez Rory ! Lui il était clairement tombé du ciel et il faudrait lui passer sur le corps avant de l’atteindre. Lucy n’était peut-être pas très grande ni très épaisse… Mais fallait pas se mettre entre elle et sa progéniture… Quant à la plante pour lui faire plaisir, Lucy acquiesce, ne relevant pas trop ce qui pourrait amener jusqu’à une énième conversation sur l’Irlande. Le choc culturel était déjà assez grand comme ça.
« Je suis sûre que tu trouveras quelque chose. »
Lucy récupère le plat dans le frigidaire… Elle ouvre et rien qu’à voir, elle en a déjà l’eau à la bouche ! Elle se sert une portion, pas trop grosse parce qu’elle avait toujours été « appétit d’oiseau » et remettant le reste dans le frigo elle constate :
« Il en restera un peu si Ashley rentre déjeuner ici. Tu l’as croisé ce matin ? »
Elle vient mettre son assiette au micro-onde puis va pousser le bouton de la bouilloire tel que demandé, se servant pour sa part un grand verre d’eau qu’elle va mettre sur la table, se laissant tomber sur sa chaise dans un petit soupire d’aise.
« Rien digne de ce nom alors ? A ce point ? »
Ca sentait plutôt la conversation qui tourne court mais Lucy tente quand même un peu sa chance, histoire de ne pas se retrouver à faire demi-tour sur ce sujet qui lui tenait à cœur sans avoir essayé.
« Tu sais ce que tu aimerais faire ? Dans quel genre de filière ? »
Ils pouvaient peut-être la jouer « rétro-ingénierie » pour trouver le truc dans lequel Rory partirait et dans lequel il s’épanouirait.
Le micro-onde la rappel déjà et l’irlandaise se relève le temps d’aller chercher son assiette, assurant déjà :
« Si c’est aussi bon que ça sent et que ça à l’air, tu pourras en refaire et me montrer la recette ! »
Lucy a un clin d’œil complice pour son fils… Et elle rigole à propos des Américains. Ok c’était pas très gentil mais tant qu’ils ne le faisaient qu’entre eux, ça faisait de mal à personne alors le mal était quand même moins grand. Quant à l’hôpital :
« Il y a beaucoup de gens sans médecins de famille et qui ont peur qu’une migraine soit peut-être une tumeur au cerveau j’imagine… ! »
Elle se moquait un peu elle aussi… Mais ça faisait du bien parce qu’en tant qu’infirmière, elle n’avait pas toujours droit qu’aux bons sentiments des gens. Et généralement, elle avait droit aux vomissements et les vomissements ça restait le plus glam de ce qu’elle pouvait voir hein… Lucy avait un immense respect pour les aides-soignantes qui ne faisaient quasi que ça : gérer les dégâts de ce genre. Et quand son fils s’inquiète elle étire le bras pour poser une petite main sur une autre fine de Rory.
« Ca va, je n’avais pas fait de garde depuis longtemps et ça a été très intense, je suis juste un peu fatiguée. »
Ca faisait partit de son rôle que de ne pas effrayer Rory en lui racontant qu’elle avait elle-même eu très peur pendant cette garde. Surtout si elle voulait qu’il s’intègre. Mais quand il la reprend elle lève elle-même les yeux au ciel en venant souffler sur sa fourchette pleine.
« D’accord, d’accord, je suis désolée ! Je sais bien que tu es un homme mon cœur… J’ai simplement vraiment envie que tu te sente bien ici. »
Elle enfourne sa bouchée, prend son temps… Et un « hmm ! » vient à nouveau franchir ses lèvres.
« Je ne sais pas ce que tu décideras de faire à l’avenir mais il y a clairement quelqu’un que tu rendras heureux avec ce genre de talent ! »
Lucy avait faillit dire « une femme ». D’ailleurs elle ignorait pourquoi elle avait changé d’avis. Peut-être que c’était inconscient. Un truc que les mamans savent sans rien en dire. Bref. Elle reprend plutôt à propos du permis en taquinant :
« C’est super ça ! Tu pourras faire le taxi pour maman le moment venu ! »
Ashley devait se prendre une voiture aussi. Elle ne le voyait pas continuer longtemps à prendre les transports en commun pour tout dire. Quant à elle, elle avait conduit tant qu’elle y avait été obligée et quand ça n’avait plus été le cas elle avait pour ainsi dire abandonné le volant. C’était vraiment pas un truc qu’elle aimait faire.
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| « Hmm… Tu serais désespérée !! »
Rory a un rire bref en réponse au clin d’oeil de sa mère. Ils savaient tous les deux qu’il blaguait et qu’il ne le croyait pas vraiment. Mais il savait que sa mère avait de grosses journées au boulot. D’ailleurs, parfois il s’agissait plutôt de grosses nuits, hein. Ses horaires étaient vraiment particuliers. Quand il était petit, elle pouvait faire valoir son statut de mère monoparentale pour essayer d’être autant que possible avec lui, mais maintenant ce n’était plus vraiment une excuse : il était un jeune adulte ! Les plantes dangereuses attirent de toute évidence l’attention de sa mère. Ça le fait rire, mais il se contente de hausser les épaules, montrant ainsi qu’il n’était pas certain.
« Habituellement, il y a plus de plantes, d’insectes et même d’animaux dangereux dans les régions du globe où il fait chaud tout le temps. Et qu’on ne vienne pas me dire que 16 degrés, c’est le grand gel du siècle ! », s’exclame Rory tout en grimaçant. Lui n’avait jamais détesté le temps froid. Il mettait plusieurs couches et il s’en sortait admirablement bien ! Les étés en Irlande étaient parfois étouffants, mais le reste du temps, c’était gris, morne et frais et il aimait ça. « Au moins je serai renseigné sur le sujet quand j’aurai terminé mes recherches. Je préfère prévenir que guérir. »
Oui, il savait : parfois il parlait comme s’il avait 80 ans plutôt que 18 ! Le bruit machinal du micro-onde se fait entendre alors que sa mère met son plat à réchauffer. Les arômes reviennent dans la cuisine, comme un peu plus tôt quand il avait cuisiné ce plat. Il réfléchit. D’un crayon, il pianote distraitement contre son livre.
« La semaine prochaine je pourrais faire un boeuf bourguignon. J’ai envie d’en manger. », déclare-t-il soudainement. Nul doute qu’au moins pour ça, il allait faire le bonheur de la personne qui partagerait sa vie un jour ! Quant à Ashley, il a un moment de silence, essayant de ne pas jouer au gamin grognon, parce que ça faisait mauvais genre. Mais le sujet de conversation lui donnait envie de mettre ses bons principes à la poubelle… « Hm. Brièvement. Et si tu veux, oui. C’est dans le frigo, il n’a qu’à se servir. »
Quant à l’université, il a un petit geste impatient de la tête pour signaler l’indécision.
« Non. Je ne sais pas. Sinon ce serait plus simple. On peut parler d’autre chose ? Je n’ai pas envie de… penser à ça, là. C’est déjà assez compliqué comme ça. »
Le déménagement de l’autre côté de l’océan. La perte de tous ses repères. De son cercle de connaissances. La famille laissée derrière. Même la météo le troublait, là. Il se doutait que ça ne devait pas être différent pour sa mère. Et il pourrait lui reprocher qu’elle avait la possibilité de refuser. Mais lui aussi, dans le fond. Il avait surtout promis d’essayer, néanmoins. Quant à sa recette, il s’adoucit en acquiesçant.
« Je te l’enverrai par SMS si tu la veux. » Sa mère réussit même à lui arracher un petit sourire en coin, amusé, lorsqu’elle en rajoute sur ses patients indéniablement Américains. Par contre, elle le rassure ensuite. Rory n’était pas idiot. Il se doutait que quelque chose était arrivé. Mais il ne se doutait guère de l’ampleur. Néanmoins, il fait remarquer : « Je ne suis plus un enfant. Tu peux me parler de ta journée quand elle va mal aussi, tu sais. »
Il pose son coude sur la table, sa tempe contre son poing fermé. Son regard se perd dans le vide alors que sa mère s’excuse. Mais une mère pouvait-elle vraiment s’excuser de materner son enfant, qu’importe son âge ? Ça fait soupirer Rory.
« Ce n’est rien… C’est juste que depuis que je suis ici, le peu de rencontres que j’ai faites me traitent comme un gosse et ça m’énerve. Il faut avoir quel âge pour être un homme, en Louisiane ? 36 ans ? J’en ai encore un bout à purger… », marmonne-t-il, pas super ravi de ce constat. Il avait exagéré un peu le trait, mais le sentiment était exact. Mais encore une fois, sa mère le ramène à de meilleurs sentiments et il a un rire amusé à sa remarque. « Oui. Quelqu’un. »
Il s’en était amusé. Allez savoir pourquoi. Il ne l’aurait pas fait si Ashley avait été dans les parages. Mais il se sentait plus léger avec cette information depuis quelques temps. Quant à son permis, ça lui fait lever les yeux au ciel ! Mais bien sûr, il allait dépanner sa petite maman, hein ! Il serait bien indigne de le lui refuser !
« Pour ça je vais devoir travailler, si je veux m’acheter une voiture. Je vais vraiment commencer à chercher sérieusement. En plus ça va me faire fréquenter un cercle restreint. C’est une bonne façon de se faire de solides connaissances. », convient l’Irlandais avant de demander, curieux : « Tu penses que tu vas te faire des copines à l’hôpital ? »
Il savait bien que sa mère n’avait pas nécessairement le temps de faire ami-ami, mais des liens pouvaient quand même se tisser.
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Lucy a un petit éclat de rire discret, fatigué mais sincère. La vérité, au-delà de la plaisanterie, c’est qu’elle serait probablement réellement un minimum désespérée. C’était difficile d’être une maman. Difficile de l’être d’un CESS aussi… Mais alors la maman d’un CESS exilé loin d’elle… ! Ca lui donnait le tournis et pas vraiment dans le bon sens du terme !
En tout cas, Rory ne la rassure pas vraiment à propos de la végétation. Elle était d’accord avec lui pour la météo mais ça ne l’arrangeait pas spécialement. En plus :
« Une collègue de travail nous a inscrite toutes les deux à une course d’orientation en forêt. En nocturne. »
Ca devait clairement s’entendre au son de sa voix que ça la laissait hautement dubitative ! L’infirmière s’était laissée convaincre mais c’était uniquement parce qu’elle avait le fort désire de s’intégrer et de lier de bonnes relations avec ses autres collègues.
« Du coup j’espère qu’il y en a moins que ce que tu dis ne me laisse le présager… ! »
Surtout la partie sur les insectes… Lucy haïssait ça, elle était limite phobique à ce sujet. Heureusement le sujet dévie un peu, sur celui plus appétissant de la cuisine et Lucy a un « hmmm » complice avec son fils.
« Tu auras besoin d’un coup de main ? On pourrait le préparer ensemble. »
Profiter d’un petit moment privilégié mère-fils comme ils n’en multipliaient plus aussi souvent qu’avant. Un peu à cause de ses horaires, du temps qu’elle devait passer avec Ashley pour garder la flamme dans son couple bien sûr… Et puis un peu parce que Rory vivait sa vie de son côté et s’appliquait un peu à punir la famille de ce déménagement. C’était pas un méchant garçon et Lucy savait combien ça avait été un déracinement pour lui… Mais elle avait hâte que ça se tasse, tout en sachant qu’il lui faudrait être un peu plus patiente que ça.
Rory fait d’ailleurs un petit effort qui lui fait plaisir, même si ça peut sembler pas grand-chose. Il ne bondit pas à propos d’Ashley ni du fait qu’il ne voulait pas le voir piocher dans son plat. Y avait pas de petit victoire pour Lucy, connaissant les caractères diamétralement opposés des deux hommes qui composaient sa vie. D’ailleurs :
« Ashley voudrait qu’on sorte tous les trois prochainement pour dîner. Tu serais d’accord ? »
Et oui : c’était Ashley qui l’avait proposé. Pas elle.
« Tu n’es pas obligé de répondre tout de suite. »
Lucy n’avait pas envie qu’il croit qu’elle profitait de ses relativement bonnes dispositions ou qu’elle le forçait à quoi que se soit. Mais disons que ce dîner lui ferait plaisir à elle. Et puis de toute façon Lucy atteint déjà la limite de la patience de son fils avec le sujet des études. Ashley avait proposé de lui en parler… Il fallait qu’elle pense à lui dire que le sujet était peut-être un peu trop délicat pour ça…
Quant à la recette :
« Par sms ? Tu as oublié qu’on vivait dans la même maison ou quoi ? »
Il allait prendre un crayon, une feuille de papier et se plier à l’exercice de la recette recopiée sur papier oui ! Non mais ! Par contre alors que Rory ne se fait pas entièrement dupe elle a un sourire pour lui entre deux bouchées.
« Je sais. Même si tu resteras toujours mon p’tit garçon. »
Mais de fait :
« J’y réfléchirais. Mais là c’est trop tôt de toute façon pour que j’en parle. »
Elle digérait encore l’incident, au-delà du fait de ne pas vouloir stresser ou inquiéter Rory. Ou même Ashley. Et puis elle s’en veut un peu d’avoir dit à Rory qu’il resterait son petit garçon à la suite, même si elle le pensait. Il était à l’âge charnière où on veut vraiment qu’on nous considère comme adulte. C’était d’ailleurs ce qu’il était, au regard de la loi comme de la société. Enfin à une exception près dans ce pays quoi.
« Il y a quelque chose que je puisse faire pour que tu te sentes mieux à ce sujet ? »
Lucy ne voyait pas quoi mais s’il avait une envie ou une suggestion, elle était prête à tout entendre et envisager. Et à propos de ce « quelqu’un », après un bref silence elle se renseigne :
« Tu veux en parler ? »
Sur un ton léger, le cœur un peu plus battant qu’elle ne le voudrait. Comprenez que si ses instincts maternels lui hurlait que son bébé était sûrement homosexuel et que ça ne lui posait AUCUN problème, qu’elle ne l’en aimerait pas moins ni rien du genre… Ces mêmes instincts lui nouait légèrement l’estomac de penser comme le monde n’était pas prêt pour la beauté intellectuelle et psychologique qu’était son bébé… CESS, gay… Disons qu’il n’avait pas pioché les cartes qui lui permettait d’être le plus accepté dans la vie. Elle trouvait cette émancipation des normes incroyables de force même s’il n’en avait choisit aucune. Mais difficile à assumer dans la société actuelle.
A propos du job que Rory veut trouver… Elle n’est pas contre, c’est mieux que de ne rien faire… Mais elle ne peut pas s’empêcher de demander :
« Se sera temporaire ? Tu vas retourner à l’université quand même ? »
Et dans la foulée :
« Je sais que tu ne veux pas en parler et on en parlera pas « tout de suite » mais je veux juste savoir ça… ! »
Quant aux copines de l’hôpital, finalement :
« Pour le moment ça se passe bien. Et puis il y a toujours la course d’orientation là… Je suppose que ça resserre les liens ce type d’activité. »
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| Pardon ? Sa petite maman allait faire une course d’orientation… en forêt… de nuit ? Rory a un moment de silence, un peu perplexe. Il semblait s’attendre à l’entendre crier « poisson d’avril !! » d’un moment à l’autre. Mais la chute ne vient pas et il doit bien se rendre à l’évidence : sa mère allait effectivement se perdre dans la forêt de Shreveport pendant la nuit. Incroyable.
« Pourquoi… », commence lentement Rory. Mais il s’interrompt. Il y a à peine un an, il n’aurait même pas encore eu la maturité de comprendre pourquoi. Mais maintenant, en se donnant la peine d’y penser, il voyait un peu. Sa mère aussi venait d’arriver en territoire inconnu et limite hostile… Elle devait aussi se faire des contacts… Rory a un petit moment de silence avant de finalement convenir : « Tu vas peut-être t’amuser… »
Ils étaient deux à penser que probablement pas, apparemment ! Mais ne sait-on jamais… Rory ne pouvait certes pas lui certifier que ce parcours serait sans insectes, mais au moins sans plantes toxiques ?
« Je ne crois pas qu’ils vont vous envoyer dans un talus d’herbe à poux. Selon moi, ça doit être assez safe et bien balisé malgré tout. Sinon ils n’y organiseraient pas une activité. On doit pouvoir poursuivre les organisateurs s’il y a des blessures et ils doivent le savoir. »
Ashley pourrait mieux l’expliquer que lui, mais Rory se retient d’amener son beau-père sur le tapis. Sa mère semblait souvent avoir envie de le faire et du mal à se retenir… alors c’était assez d’Ashley pour lui. S’il pouvait ne pas creuser sa propre tombe, il voulait bien… Il acquiesce brièvement pour le boeuf bourguignon. Ce serait agréable de cuisiner un peu avec sa mère. Ce n’était pas aussi compliqué à faire que bien des gens le croyaient, mais couper les légumes en bavardant pouvait être amusant. Par contre, voilà justement… Ashley est nommé et malgré lui, Rory a un petit soupir. Il se laisse un peu glisser sur sa chaise, son regard quittant sa mère pour longer un mur jusqu’au plafond, qu’il observe sans le voir, son attention fuyant en même temps qu’il s’irritait muettement.
Un dîner, donc. Avec Ashley et sa mère à roucouler par-dessus la table toute la soirée, peut-être ? Ça allait être fun ! Il devait vraiment s’amener une chandelle pour l’occasion. Et d’un autre côté, il savait que ça serait sûrement retenu contre lui s’il n’y allait pas. Pas directement. Mais il y aurait « quelque chose » qui subsisterait et il n’en avait pas envie…
« Ok. » Rory reste sérieux par contre. Pas renfrogné. Mais sérieux, plus que ce à quoi il habituait les gens dans son entourage probablement. Ça restait un sujet délicat, ça aussi. Il avait l’impression qu’ils allaient de sujets légers à sujets lourds façon montagnes russes là, mais il était aussi assez mature pour savoir qu’il avait les nerfs à fleur de peau ces derniers temps. « Quand ? »
Son regard quitte le plafond pour en revenir à sa mère, surpris, alors qu’elle se bute à propos de la recette ? Pardon ?
« C’est une recette en ligne, maman. Je vais t’envoyer la page Internet sur laquelle elle est consignée. »
Rien de plus normal. Pourquoi est-ce qu’il l’écrirait ? Si elle voulait la consigner dans un cahier de recettes, elle pouvait le faire. Rory se renfrogne cette fois. Il commençait à avoir l’impression de ne pas faire les choses suffisamment bien pour qui que ce soit ici et la moindre petite chose commençait à s’accumuler sur son p’tit coeur encore adolescent. Sa mère offre son aide ensuite, mais ils savent tous les deux que c’est vain pour ce petit problème en question. Envoyer sa mère pour défendre le fait qu’il était un adulte… c’était assez contreproductif.
« Non. Ça va se tasser. Je vais finir par m’entourer de gens pas trop simples d’esprit un jour, j’en suis sûr… », convient-il dans un soupir bref, un peu agacé, mais pas contre sa mère. Juste contre… tout ce qui se passait présentement. Sa vie était sens dessus-dessous et il ne savait plus par quel bout la prendre pour la remettre à l’endroit. Un peu comme quand tout gamin, il ne rangeait pas sa chambre pendant des semaines et que ça devenait un vrai foutoir ! Puis, sa mère semble un peu émue. Ou… peut-être que ce n’était pas ça, mais il le voyait de cette façon et ça le radoucit. Il a un petit sourire pour sa mère, expliquant, plus tranquillement que lui-même ne l’aurait cru : « Non. Mais c’est juste parce que je ne veux pas le faire comme ça. Je crois qu’on a aussi le droit de le faire comme tout le monde. Ramener quelqu’un à la maison un jour. Présenter cette personne normalement...Ce sera clair ce jour-là. »
Ce n’était donc pas du tout un manque de confiance ou de complicité à sa mère, pas du tout. En fait c’était tout le contraire ! Il avait la certitude qu’il pourrait un jour débarquer à la maison avec un homme, le présenter à sa mère sans avoir fait officiellement son coming out avant ce moment et être confiant qu’elle serait légitimement heureuse de rencontrer son compagnon. C’était plutôt une preuve de confiance totale, non ? Quant à l’Université, il ne se fâche pas et il ne se braque pas. Par contre, il se sent très fatigué soudainement. Du bout des doigts de sa main gauche, il trace lentement la surface de la table, suivant les formes créées par le bois naturel.
« Je ne sais pas. C’est le projet pour le moment. Mais si je te réponds par l’affirmative et que finalement je trouve quelque chose qui me botte vraiment et qui me rend heureux à long terme, je devrais lâcher pour remplir ma promesse ? Je ne trouve pas ça très juste… Je veux juste être heureux. » Peut-être qu’ici, c’était un peu trop demander. Mais il savait qu’il venait d’arriver et que le mal du pays lui hurlait dans les oreilles H24. Il devait se laisser un peu de temps. « Si je retourne à l’Université, ce sera peut-être en botanique. Je ne sais pas. Vraiment. Et je ne veux pas en parler pour le moment. J’ai trop de choses à régler avec le déménagement... »
Il acquiesce lentement ensuite à propos de sa mère, dont ils parlaient très peu au final… D’ailleurs, il fait finalement remarquer :
« Tu me poses beaucoup de questions sur moi, mais tu réponds peu à mes questions sur toi. Il y a un problème ? Je ne suis plus un enfant, tu sais… »
Il pouvait l’écouter s’il y avait quelque chose. Lui aussi voulait être là pour elle. Il y avait Ashley, certes… Mais un fils ne pouvait-il pas être présent pour sa mère s’il y avait un autre homme dans l’équation ? |
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Rory est sur le point de poser une question qui ne pouvait avoir qu’une réponse difficile à justifier ! Enfin non… Elle avait une bonne raison. Mais c’est vrai que l’envie ne la transportait pas non plus. Au moins il ne va pas jusqu’au bout, se voulant bienveillant même si ce qu’il en pense se voit littéralement sur son visage !
« J’espère. De toute façon c’est une bonne occasion de rencontrer du monde. »
C’était pas tellement son fils qu’elle essayait de convaincre qu’elle-même parce que de toute évidence cette course d’orientation n’était absolument pas de son initiative. Ceci dit Rory se fait « réellement » un peu rassurant ensuite et grimaçante, Lucy répète :
« De l’herbe à poux ? »
Ça avait pas un nom sympa et elle espérait effectivement qu’ils n’en croiseraient pas, vu comme ça. Ceci étant dit :
« Je suis sûre que tu as raison. Il semblerait que c’est une course qui a lieu chaque année. J’imagine qu’ils sont rôdés maintenant. »
Elle ne risquait rien. Probablement rien. Elle était infirmière au pire non… ?
Bref, ils passent à un sujet plus délicat, celui d’un dîner à trois… Et Rory semble y mettre un peu du sien, bon gré mal gré ! En ce moment c’était difficile pour Lucy de ne pas avoir l’impression que tout ce qu’elle disait ou faisait vis-à-vis de Rory était un véritable poids pour son p’tit alors qu’il ne rediscute pas 100% de ses propositions c’était déjà une victoire même si de toute évidence il ne semblait pas plus enthousiaste que ça.
« Je ne sais pas quand exactement. Je lui en parle quand il revient et je te tiens au courant ? »
Mais comme elle le disait, Rory la rembarre sur le reste et ce n’est peut-être qu’une histoire de recette mais ça lui fait un peu lever les yeux au ciel. Rory n’avait pas complètement tort probablement… Mais c’était pas « ça » en particulier qui la fatiguait beaucoup. C’était un amoncellement de plein de petites choses. En tout cas Lucy a un vague mouvement de sa main qui tient sa fourchette sans rien ajouter, revenant picorer dans son assiette, avec moins d’appétit.
Elle ne répond pas non plus à propos de ces gens qui agaçaient Rory. Ils l’agaçaient avec raison mais Lucy se demandait si quoi qu’il arrive ils trouveraient grâce aux yeux de son fils. Du moins pour le moment. Rendu à un certain point Rory allait sûrement s’apaiser un peu, retrouver ses repères, se réinsérer dans la vie active locale… Il serait moins effrayé, moins sur la défensive.
Lucy esquisse néanmoins un petit sourire devant la méthode que Rory veut adopter pour lui présenter la personne qui partagera plus tard sa vie.
« D’accord, faisons comme ça, ce sera très bien. »
Et plus naturel, probablement. C’était juste difficile pour une maman de ne pas chercher à rassurer ou préserver en amont. Mais c’est vrai que de vouloir rendre une chose « exceptionnel » elle contribuait, comme tant d’autres (et ce malgré sa bonne volonté) à une forme de stigmatisation. D’exception. De toute façon Lucy faisait confiance à Rory pour trouver une personne épanouissante pour lui-même.
Au sujet des études, du boulot… Lucy écoute mais elle fait remarquer :
« Tu dis ça comme si mon but était différent. »
Que de le rendre heureux. Elle avait promis de ne rien dire de plus à propos de l’université alors elle s’y tenait mais ça la dévorait un peu que d’argumenter. Mais ça entraînerait une nouvelle dispute et elle était vraiment trop fatiguée pour ça. Si en plus ça lui bouffait les émotions, c’était fichu.
« C’est sympa la botanique. »
Et Rory adorait ça. Lorsqu’il était petit et qu’ils avaient été voir Harry Potter, elle s’était plût à lui acheter un pot de « mandragore ». Et comme les enfants sont ce qu’ils sont, son petit de 10 ans à peine lui avait sortit un truc du genre « tu sais maman, la magie ça existe pas pour de vrai, c’est un film ». La magie était morte ce jour-là hein ! Mais Lucy avait tenu bon avec sa mandragore ! D’ailleurs, histoire de montrer à Rory qu’elle changeait bien de sujet :
« Tu te souviens de la mandragore que je t’avais achetée ? »
Et de taquiner, sur le niveau de l’humour pas toujours très drôle parental :
« Tu ne dois pas la rempoter souvent parce qu’on ne l’entend jamais ! »
Par contre Rory se trompe à moitié, et même un peu plus que ça alors qu’il s’imagine que Lucy ne raconte pas uniquement parce qu’elle le voit comme un enfant… De fait :
« C’est pas ça, mon cœur. Evidemment une part de moi n’a pas envie de t’inquiéter. »
Mais pour développer :
« C’est arrivé pendant ma garde et c’est encore un peu dur pour moi d’aborder le sujet. »
Pour sa propre psychologie. Ceci dit, s’il se sentait mieux de savoir :
« Tu sais qu’on a parfois du monde un peu difficile aux urgences et cette nuit… Il y a eu un homme très agressif. J’ai eu peur. Mais la sécurité s’en est occupée et je vais bien. »
Juste… Elle avait vraiment eu peur oui. Et si ça ne l’avait pas empêché de poursuivre sa nuit et que ça ne l’empêcherait pas plus de retourner au boulot pour sa prochaine astreinte, il n’en restait pas moins que c’était un traumatisme évidemment.
« Tu sais à moi aussi l’Irlande me manque. Mais je suis sûre qu’on trouvera nos marques ici aussi. »
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