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Do we really have a choice ? (PV la smala archos)

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Anonymous
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Dim 28 Nov - 21:22 (#)

Ca irait
Tout irait

Bien.

Inutile de lutter, pour qui ?


pour quoi ?


Cela avait-il la moindre importance, après tout ? Pourtant, en dépit de ses humeurs éteintes, latentes comme une eau diluée dans l'écrin d'un cours d'eau pisseux, un mal fou finissait par revenir.

Par intermittence, sans véritablement choisir ni le moment, ni la raison. Elle était sortie de l'appartement en n'y laissant pas de mot sur l'heure d'un retour, sur ses intentions, même une fois sur le trottoir à regarder le ciel, une main sur sa poitrine, elle ne savait pas quoi faire, les vertiges se mêlaient à son besoin imminent de disparaître, et d'aller loin, pour toujours, et elle avait marché, le visage baissé, les traits crispés.

Elle ne s'était plus transformée depuis longtemps, c'était cette foutue cause.

(tu deviens folle, plus qu'avant, tu y as songé ?) Sa conscience qui parlait, Hena la balaya d'un revers de main. Insupportable, de vivre alors même que les morts lui avaient laissé leurs directives sur la marche à suivre : dégager le quotidien, emmener à elle des réponses, qui n'étaient pas suffisantes. Et finalement, tomber une fois de plus, sur ce mur. Grand, froid, lisse. Elle le connaissait bien ce mur, terrible.
Cette palissade insurmontable.

Dans le bus qui la menait à des heures difficiles, le front contre la vitre, elle s'imaginait que l'organisation même de cette ville, au delà de soi, ne tournait vraiment pas rond. Pourquoi n'aurait-elle pas le droit de se transformer en renarde, après tout, s'asseoir sur la banquette, à attendre sa destination ? Qu'est-ce que cette connerie de rester sous forme humaine dans un bus alors que la révélation avait déjà éclaté ? Mais personne ne se préoccupait de ça. Nuance : personne ne se souciait de rien. Et ça la fit fermer les yeux, les sourcils froncés... Elle s'imagina des scènes incongrues, toute sorte, petite renarde grise, à bondir de siège en siège, arracher une gorge après l'autre : qu'est-ce qui l'en empêcherait ?
Le bon sens ? La justice ? Quelle justice ? Quel sens ?
Dans son imagination, les vitres du bus se teintèrent de rouge, le brimbalement du véhicule entraînèrent la marre de sang vers la gauche, puis vers la droite, paresseuse dans son mouvement, ressemblant à de la peinture : du pigment, de l'eau, rien de bien différent.
Dans un mouvement machinal pour se calmer, Hena tapota sa tempe contre la vitre, une, deux, trois, plusieurs fois, capuche rabattue sur ses cheveux moites, interpellant le passager sur la banquette voisine, dans un bus pratiquement vide il en fallait peu, Ca laissa Hena indifférente, celle-ci plus piteuse d'imaginer qu'elle avait échoué même dans ce combat là : de ne pas chercher à la retrouver.

Mais qui pouvait mieux la comprendre, si ce n'était elle ?

Elle entendait, lointaine, la musique filtrée par les oreillettes d'un écouteur rattaché au téléphone qui en alimentait les rêves, les dégueulant, directement, dans les oreilles d'une personne assise tout à l'avant... une jeune fille qui regardait le paysage défiler, ses émotions guidées par les ficelles des percutions, puis :
une fois la musique coupée, regagnerait des sentiments noyés par sa marche à pied.

A voice whispers in the gales
Like in the songs and childhood tales


Arrivait-il aux gens de marcher sans musique dans les oreilles ? Sans occupation pour combler le vide ? Si non... était-elle à présent seule dans le silence ? Les paupières closes, elle accepta d'écouter la voix étouffée, fluette de l'homme, que celui-ci la conduise à dérouler les heures jusqu'à perdre ses forces d'étancher sa soif folle...

Are we instruments of fate?
Do we really have a choice?

We threw our hearts into the sea
Forgot all of our memories


--------

Les ronces excoriaient ses jambes qu'une vulgaire robe en jean recouvrait mal. Dans le bayou, elle se souvint d'une branche qui n'était plus ici. La boue dans ses chaussures, la mousse entre ses mains alors que l'eau lui arrivait jusqu'au buste et que son visage, blanc comme la craie, cherchait à la retrouver : cet esprit entre les troncs minces des petits arbres, qui avait pris un air las quand la renarde eut cherché à courir. Hena se mit soudain à hurler son nom. Elle l'appela, dans la mare froide dans laquelle elle nageait, frôlée par des poissons invisibles, des dangers dont elle se fichait.  Son cri fit s'envoler des oiseaux. L'écho s'enlisa dans sa cervelle pour mourir sur les berges calmes et insensibles... Puis, elle admit ce qu'elle savait déjà.

Inna n'était pas un esprit. Elle était un animal, tout comme elle. La renarde se prit le visage entre les mains, se cachant du soleil déclinant, que le bayou prendrait pour bientôt y recracher la nuit. Et les souvenirs de cet enfant repêché par un homme aux yeux trop bleus, et le ponton d'Egegik, le sourire d'un ado aux doigts mangés de bagues, et les corps dans le sang, et son visage, ses cheveux noir de jais, son visage à elle... tous flottaient, dans sa tête...
Voûtée dans le marais, Hena prononça son nom, comme une litanie, contre ses paumes zébrées de boue et d'eau.

Inna
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Anonymous
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Mer 8 Déc - 23:39 (#)



Il était vif. Il était vivant. Il était chose fascinante en ce domaine, loin d’être cette inertie balourde que les hommes nommaient sommeil. Il était tout autre ici, quelque chose de bien curieux.

Il était le vent dans les feuilles et les lumières filtrant au travers des chênaies. Il était la flûte des eaux vives de la rivière et la tendresse mélancolique des fleurs neuves. Il était un flux constant de vivacité farouche, comme des murmures silencieux et bondissant depuis les nénuphars paresseux jusqu’aux sauges élégantes. Il était cet être éveillé et paradoxal, évoluant dans une réalité ensommeillée.

Car le bayou ne dormait jamais vraiment.

Et Inna, qui reposait sous une nappe de confort boueux, sous les feuilles rendues chaudes par les feux d’un soleil mourant, fractionnées par les branches larmoyantes d’un saule, elle ne formait qu’une cellule parmi tant d’autres. Elle était lovée dans ce creux limoneux, à deux mètres de la rive, invisible, dans son habit de feuilles et de mousses aux couleurs vermeilles, mordorées, et quelques fois sanguines, qui reposaient sur un lit d’écorces friables. Entre les écailles du crocodile faussement assoupi, l’eau circulait en ruisselets froids, qui charriaient les humeurs du bayou, ses murmures chatoyants et ses rêves chamarrés par les millions de consciences animales.

Inna rêvait. Elle n’avait pas froid dans le giron des songes et de la vase.

Cinq mètres de métamorphose irisés des dorures d’un astre solaire, impuissant, qui caressait sans espoir de lutte des muscles reptiliens rivetés au bayou. Les brindilles étaient ses nerfs. La brume des marais, le sang dans ses veines. Et comme les innombrables créatures crapahutaient, caquetaient, et caracolaient en tous sens, leurs échos résonnaient dans les os de la terre, qui renvoyaient les sons tels d’immenses tuyaux d’orgue. Au-dessus planait l’ombre d’une cathédrale d’arbres mordus de froid, qui se dépouillaient lentement de leurs beaux atours d’été, en une cascade mirifique d’oranges et de rouges tombant sans bruit sur le lichen strié de gouttelettes brillantes.

Mais Inna rêvait de tout cela, et de bien plus encore, comme ce curieux sommeil la berçait.

Dans sa chair transformée sans l’aide de la Lune, résonnaient les litanies de la Terre que le bayou lui relayait alors, comme une transe sauvage. Ils étaient nombreux, ces êtres frétillants au rythme des eaux, qui émettaient et répétaient des mots en syllabes venteuses. Le crocodile lui-même n’était pas capable de distinguer chaque idiome. Ils étaient si nombreux. Ils s’exprimaient en trilles syncopées, en chuintements de plumes, en pépiements enchanteurs et maints claquements de becs. D’autres murmuraient sous l’ondée, ces peaux froides qui rivalisaient avec la foule d’expressions vivantes et palpitantes des créatures arpentant les rives terrestres d’un bayou sans âge.
Les litanies remontaient dans sa chair. Elles s’infiltraient dans ses rêves. Quand le crocodile ouvrit enfin un œil d’or, où se reflétait les eaux turquoise ourlées de l’éclat solaire, son nom courait depuis longtemps dans les canaux des bayous. Un nom humain, lancé d’une voix humaine. Et elle sentait les humeurs conscientes des marais se courber et reculer, fléchir de méfiance face au trouble qui se profilait derrière une graine de folie mauvaise. La brise siffla dans les mousses aériennes, les feuilles s’échangèrent des chuchotements défiants, comme une échine instinctivement hérissée.
Pourtant, le crocodile remua. D’un mouvement sec, elle fit claquer ses mâchoires pour envoyer voler l’amoncellement de feuilles, de brindilles et de poussière moite accumulées sur son corps immense, et se leva lentement. De cette démarche assurée et inflexible des grands reptiles, Inna se hissa hors de sa gangue confortable, de ses draps d’humus et lichens qui chutèrent de ses écailles avec un doux frémissement satiné. Ainsi à proximité de la berge, elle se laissa glisser dans l’eau saumâtre du canal situé juste à côté de son antre ; derrière elle se tenait le cabanon moussu appuyé de guingois contre la panse rugueuse du vieux saule. Elle délaissa ses deux compagnons, et s’immergea entièrement.

Inna rêvait encore à moitié. Car le sommeil, chose bien fascinante en ces lieux, se dévidait tel un fil décousu dans son sillage, en retenant seulement un nom et un visage.

Comme une somnambule ébranlée par la litanie que les courants lui transmettaient, elle filait sans un bruit, une forme sinueuse et fondue dans le flot onctueux des herbes aquatiques. Inna n’aurait su dire exactement ce qui la guidait. Les mots lui échappaient. Elle s’avançait dans l’enchevêtrement de souches immergées, de racines courbées et filandreuses, tandis que l’écho de son nom réveillait des instincts endormis, en résonnant à travers le fil paresseux de la rivière. D’amples mouvements de nageoires soulevaient une rumeur folle, qui culminait sous la forme d’un raffut aux mille sons ; çà et là des trilles criardes, des ailes battantes, et des vaguelettes affolées ponctuèrent sa venue.

La rumeur enflait au fil de son approche, comme une note au fil du vent. Comme une complainte.

Le crocodile changea de canal. Elle escalada un tronc déchu, en s’approchant des clapotis irréguliers marquant le passage d’une forme humaine maladroite, qui clamait haut et fort son nom. L’écorce morte crissa sous son poids, tandis qu’elle hissait son immense silhouette entre les hautes herbes, sur le tronc autrefois fier d’un chêne brisé. Elle l’observa, de longues secondes durant. Ses pupilles à la texture de sève brillante ne cillaient pas en fixant cette renarde dépourvue de peau, dont elle aurait pu faire son repas en un claquement de mâchoire. Elle demeura seulement immobile, ainsi fixée et indécise, sa longue queue enroulée entre les racines de l’arbre, et sa gueule flairant le vent.

Inna avait entendu l’appel. Elle était éveillée. Elle était venue pour elle.

Or, quelque chose détonnait dans la posture du crocodile, à la fois nonchalante et alerte ; des détails fugaces qui se dérobaient à la vue et faisaient douter de la réalité de sa présence. Le reptile semblait presque redressé. Son dos semé d’écailles dures formait un arc voûté soutenu par une patte griffue apposée contre une branche, et ses autres pattes arrière semblaient trop longues, lui conférant une allure hybride. Elle avait l’air pourtant, terriblement naturelle. Quant à son regard, celui-ci brillait d’un éclat trop vif pour être simplement animal, qui détaillait avec bienveillance l’humaine incongrue en ces lieux ; cette femme aux habits débraillés et à la chair couturée de coupures.

Inna n’émettait aucun bruit, sinon une respiration basse et lente, apaisée et attentive. Elle attendait de comprendre sa sœur.

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Anonymous
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Sam 8 Jan - 6:00 (#)

Un voile de points neigeux parasita sa vue. D'un lent revers de la main, Hena sécha ses yeux comme on essuie une plaie ouverte. Le silence du bayou grésillait dans l'eau trouble où la vie se cachait du bruit. Avec le sentiment d'être seule au monde, elle voulut rester ici autant de temps qu'il faudrait au froid pour anesthésier son mal. Le soleil disparaissait, laissant aux ombres le droit de se coucher. Le visage à demi-zébré d'orange, elle le regarda calmement se noyer.
L'eau au niveau de la taille, elle se sentait encore exclue de l'endroit. Reliée au vide des paysage désertiques par lesquelles toutes les choses qui les avaient autrefois nourris s'étaient substituées vers un ailleurs semblable à celui-ci, là où elle baignait maintenant, comme un arbre sans racine qui, une fois dans l'eau, crève malgré tout. Avec une précaution timide, qui lui rappela ses manies de poser une patte avec lenteur au dessus de ce qu'elle ne connaissait pas, comme la neige ou des tapis brodés, elle souleva ses doigts, les frôla à la surface de l'eau. Un peu hypnotisée par les minces ondes de choc qu'elle formait, son visage, marqué par la boue, resta interdit quant au bruit alentour. Lentement, elle leva sa tête. Immobile, sa paume au dessus de l'eau, ses yeux bleus accrochèrent ceux, si familiers, du reptile massé sur lui-même qui l'observait depuis son tronc. Les sourcils froncés, Hena eut un petit rire malheureux. Un souffle difficile. A croire qu'on venait de la poignarder, qu'elle réprouvait la blessure du mieux qu'elle le pouvait sous un sourire tordu.
C'est toi ?

Isolée dans cette eau, elle eut un élan de faiblesse. Un mouvement vers la gauche, la droite, agitant l'eau, elle chercha à s'approcher : le poids de la tourbe lutta contre elle, engourdie. Faite pour courir, Hena n'y arriva pas. On aurait dit que des mains boueuses la retenaient par les mollets, cherchaient à l’entraîner vers le fond, au milieu des cyclones de terre qu'elle réveillait de la vase.

Arrivée en face de l'immense bête dangereuse, Hena fixa ces iris qu'elle n'avait jamais pu oublier. Presque comme si elle n'y croyait pas, elle dévisagea la bête fière, et la troubla absolument attendrissante, en dépit de sa force, du danger qu'elle représenterait pour un corps frêle, un peu tremblant de froid comme le sien. Sans prêter attention au risque, ou à la folie d'un acte pareil, elle grimpa sur le rondin mort. Ses genoux cognèrent dans un bruit qui brisa mal le silence, et elle laissa reposer son buste contre la gueule du reptile. Elle sentit immédiatement l'air chaud venu de ses narines, l'arc bombé de son museau fermé sur une rangées de lames aiguisées. Un instant, elle s’imagina attrapée, entraînée sous l'eau, retournée dans tous les sens jusqu'à ce que son corps se détache. Elle aurait été bien en peine d'expliquer pour quelle raison l'idée d'être tuée ici lui allait bien. Elle ne se souvint, pour le moment, que des derniers mots d'Inna.


— Je ne pensais pas revenir...

Renarde de rien du tout qui accepte son rôle de se faire croquer, elle ne bougea pas, tête baissée. Ses cheveux plein de boue pendaient dans le vide. C'était un peu cocasse, comme situation, tout ça par sa faute. Elle ne put s'empêcher de rire encore, vivement désolée. Elle ne savait pas pourquoi elle se sentait appelée par Inna, son esprit, sa manière de voir le monde, avait raisonné en elle dès la première rencontre.

— Si tu me mangeais, je t'en voudrais pas.

Comprenait-elle ? Peut-être pas. Alors qu'Hena riait encore, elle avait les traits tirés par la douleur, comme si elle était arrivée jusque là, avant de finalement s'écrouler, cette blessure ayant eu raison d'elle.
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Anonymous
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Dim 9 Jan - 23:09 (#)



La cassure était nette. Cuisante comme une mince écorchure. Le ciel eut soudainement l’allure d’une immense étoffe, sombre et suffocante, et les eaux en dessous de lui, la texture d’une vieille toile aux couleurs délavées, verdâtres, grises et brunâtres. L’air avait la touffeur d’une colère ravalée. Les ombres des arbres, comme autant d’arabesques crochues, mimaient la sévérité de phalanges accusatrices. Toutes se courbaient autour de cette femme aux cheveux boueux, au regard triste et fou, qui créait ces fêlures sur son passage, comme le ferait un ongle acéré dans la trame délicate d’un tableau de maitre. Elle soulevait et déchirait les pigments savamment disposés ; elle cassait et fanait les nuances chamarrées. Elle tâchait tout cela d’une saveur maladive et d’un parfum sec.
À cette vue, ce fut la tristesse qui saisit Inna et non la répulsion. Pourtant, elle ressentait croitre tout autour de sa sœur la révolte silencieuse du bayou, dans un concert de feulements sourds et de crocs crissant dans une mâchoire ; elle demeura un long moment ramassée instinctivement sur elle-même, confuse quant à la source de cet antagonisme. Sous ses écailles se tassèrent ses muscles imbus d’une force explosive, ses nerfs se tendirent, tandis que sur le miroir poli de ses pupilles fendues se refléta la silhouette frêle d’Hena, perdue et boueuse, qui fendait maladroitement les eaux
La dissonance était bien là devant elle, muette et indéchiffrable sœur brisée qui se hissait tant bien que mal à ses côtés ; aussitôt, Inna fut saisie d’une bouffée de tendresse douloureuse, où se mêlait un soulagement muet. Elle était revenue, enfin. Aussi sûrement que le bayou se hérissait contre cette présence déplacée et maladroite, le crocodile ne fit au contraire nul mouvement de rejet vers elle. Inna l’observa l’observer, calmement, tandis que la renarde s’approchait de sa masse immense, et blottissait son corps chaud contre la rugosité de ses écailles froides. Leurs souffles se mélangèrent. Celui cassé de la renarde, souffreteux, et le son viscéral, profond et paisible du crocodile.

Inna aurait aimé rester ainsi. Cela lui aurait suffi. Elle l’avait toujours réclamé aux siens. L’absolu harmonie des êtres aimés réunis l’un avec l’autre, dans une nature cachée du reste du monde. L’achèvement d’un conte qui, hélas, finissait inévitablement tâcher des miasmes humains. Toujours.

Au fond d’elle-même, le crocodile était las. Contre ses écailles d’émeraudes exhalaient difficilement les lambeaux d’une sœur en souffrance, et Inna sut, avec toute l’assurance de l’instinct animal, que leur histoire ne s’arrêterait jamais là. Elle ne commettrait plus les mêmes erreurs. Elle n’irait plus s’enfoncer dans l’épaisseur rassurante et aveuglante de la tourbe, en laissant les siens se brûler les ailes dans la violence du soleil. Elle sentit son cœur se serrer. Non de tristesse cette fois-ci, mais de cette résolution inexorable qui faisait aussi sa force quand elle se décidait enfin à agir.
Un frisson caressa l’échine du crocodile. L’urgence de la métamorphe trahissait son calme. L’éclat de son regard doré disparut derrière ses paupières humides, et toute sa masse s’appesantit sur le tronc mort, faisant craquer l’écorce sous son poids. Inna délaissa sa sœur un court moment. Un besoin instinctif de se revêtir de sa peau humaine l’accaparait, non cette brûlure imminente qui présageait l’aube, mais le sentiment impératif de toucher Hena avec des mots. Parce que cette dernière avait besoin d’elle à cet instant précis, l’amorce d’une transformation s’empara d’Inna, brisant sa posture animale auparavant si paisible, et elle se redressa lentement de toute sa hauteur.

Des craquements dévalèrent alors son échine. Les tendons se mouvèrent sous sa peau, faisant monter et descendre ses écailles, lesquelles s’enfoncèrent au cœur de son être. Bientôt, les muscles suivirent, tandis que le corps du crocodile s’affinait à vue d’œil ; son museau se tassa, ses dents disparurent dans une mâchoire plus fine, et ses membres s’étirèrent sous la forme de bras et de jambes. Une épiderme plus douce émergea, encore tavelée d’écailles errantes, comme la queue puissante et si belle du reptile était avalée par une colonne vertébrale toute en courbes douces.
Le miracle s’accomplit en une vingtaine de secondes. Une illusion de femme cachait désormais le crocodile qui scrutait alors Hena, attentivement, au travers d’une masse boueuse de cheveux couleur de la paille. Inna était perchée avec elle, nue, accroupie sur la souche, ses yeux humains d’un bleu intense détaillant sa sœur lointaine avec une nette bienveillance. Elle respirait paisiblement. Quelques écailles oubliées parsemaient encore çà et là son corps, ses mains, ses jambes ou bien son ventre, mais elles s’effaçaient bien vite au profit d’une peau douce, tâchée d’eau vaseuse.

« Je suis contente que tu sois revenue, » déclara-t-elle d’une voix encore éraillée, comme sa gorge se réhabituait aux sons humains.

Une ombre soucieuse voila toutefois ses traits. Inna vint alors se blottir contre les vêtements trempés de sa sœur, et reposa sa tête contre son épaule ; ses cheveux filasse retombèrent dans le cou moite d’Hena, et elle huma la chaleur de celle-ci avec le plaisir d’un lointain souvenir familier.

« Tu es venue. Mais quelque chose ne va pas. »

Et les mots sonnèrent juste. Elle avait appris ces derniers mois à réutiliser les timbres humains, mais elle ne dit mot des ressentis autour d’Hena. Elle ne voulait pas l’accabler. Inna refusait d’appuyer sur les fêlures minant la renarde, qui résonnaient tout autour d’elle, en craquelant le tableau sauvage du bayou. Alors elle attendit, car elle ne savait rien faire d’autre. Ses mains encerclèrent ses genoux contre son buste, et elle resta ainsi, en position fœtale contre sa sœur, la visage penché contre elle.

« Tu as froid, » ajouta-t-elle simplement, sans que l’affirmation n’appelle de réponse.

Une idée s’installa en silence dans l’esprit d’Inna. Elle l’évita tout d’abord, puis la laissa lentement prendre forme, gagner en assurance et mûrir. Elle se remémora une promesse faite à son frère et l’existence d’une roulotte au loin, trop près de la civilisation. Elle ne dit rien pour l’instant, car les retrouvailles étaient trop fragiles, trop vacillantes comme un beau vase recollé à la va-vite.

À l’horizon, la lumière mourrait sans bruit. Une obscurité filandreuse commençait à envelopper les lieux à grands traits de pinceaux rageurs, tandis que l’eau se faisait noire, froide et immobile.

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