Toutes les grandes choses émergent de cet espace entre la méthode et la folie.
1372Naissance de Jean dans les faubourgs de Dijon. Fils d’une humble servante et rejeton illégitime de Philippe II de Bourgogne, son véritable patronyme est passé sous silence et son existence cachée. Dans une période politiquement crucial pour l’avenir du Duché, Philippe ignore son existence et ne le reconnaitra jamais officiellement. Jean lui-même ne connaitra que très tard l’identité de son père.
1373Tristement consciente de sa situation difficile et des épreuves futures de son fils, sa mère démissionne de son poste de servante, et mènera une vie modeste, entièrement consacrée à son fils. Elle le nommera Jean Delaube, en hommage à sa naissance baignée des premières lueurs de l’aurore. Un patronyme qu’il portera toute sa vie comme une cicatrice : lui, bâtard indésirable, éternellement voué à rester caché dans l’obscurité, loin de la lumière de la prestigieuse lignée paternelle.
1380-1382Philippe de Bourgogne, fin stratège politique, sait parfaitement que l’existence d’un fils illégitime est une tâche dans son prestige, et que cet écart pourrait lui coûter cher si l’affaire venait à se savoir. Il décide de garder les choses sous contrôle. Secrètement, il subvient aux besoins de Jean et de sa mère en leur fournissant un logement, de la nourriture et une éducation décente. Jean sera alors aussi bien instruit qu’un garçon de haut lignage : lecture et écriture, religion, escrime, etc.
1386Avec l’adolescence, Jean est intenable : Il est déjà un garçon perpétuellement en révolte et toujours à la recherche de l’identité de son père. Bien qu’il conserve une affection loyale envers sa mère, leurs disputes à ce sujet s’aggravent, et il ne supporte plus qu’on lui refuse de vivre ainsi dans la lumière. Il reste toutefois un élève attentif et brillant avec ses professeurs.
1390Jean commet l’impair de trop. Fine lame au caractère impétueux, prompt à la colère et au verbe acéré, il provoque en duel le fils d’un écuyer pour défendre l’honneur de sa mère. L’affaire se joue dans un cadre secret et illégal. Or, si Jean sort vainqueur de ce duel, son adversaire succombe finalement à ses blessures. Toute l’affaire parvient aux oreilles de Philippe, qui se voit contraint de couper les vivres de son fils pour étouffer l’histoire.
1391-1394« Tout ce que tu sais faire, c’est détruire autour de toi. » La maxime de son professeur de littérature lui reste dans la gorge. Désormais sans le sou, Jean fait tout ce qu’il peut pour couvrir les besoins de sa mère, alors malade. Le monde s’écroule autour de lui, tout comme sa fierté. Son caractère révolté ne s’éteint pas, bien au contraire, mais il devient conscient de la réalité et de ses actes. La repentance n’aide en rien : sa mère meurt alors qu’il est âgé de 22 ans.
1395Un chapitre fondamental de sa vie se ferme. Malgré la noblesse de son sang, Jean n’a plus rien à lui ; ni famille, ni amis, ni argent. Il se revête de son nom tant détesté pour se lancer sur les routes comme un vagabond, à la recherche du moindre travail. Ce ne sont pas ses talents d’escrimeur qui l’aident à gagner son pain parmi les gens du commun, et il lui arrive de devoir mendier.
1396-1405Les premières années sont extrêmement difficiles. Jean travaille durement de ferme en ferme, et peu à peu, il parvient lentement à retrouver un équilibre, autant financier que mental. Mieux encore, il se plait dans cet univers rural et authentique, et il commence à aimer cette vie au fil des années : l’héritage qu’on lui a refusé lui semble désormais bien lointain, pâle et inintéressant.
Il voyage à travers la Bourgogne et découvre une tout autre réalité de la vie, hors de l’enceinte de Dijon. Il dépense une partie de ses salaires dans l’achat de fourniture pour écrire, mais profite aussi d’une certaine liberté insouciante. Cette vie de paysan alimentera durablement son côté anarchiste ; déjà il se détache de la religion omniprésente, et rejette toute autorité au profit d’une recherche de liberté totale. « Entre ciel et terre, il ne reste que moi et mon ombre. »
1407Durant l’un de ses voyages, Jean croise le chemin d’une caravane de gitans, avec lesquels il reste quelques temps. La sorcière du petit clan lui fait toutefois une prédiction, en lisant ses augures : « un démon d’infortune est attaché à toi, il ne t’abandonnera jamais. » La phrase le bouleverse plus qu’il ne voudra l’avouer, et le poussera à mûrir ses questionnements.
Poursuit-il vraiment une authentique liberté, ou cherche-t-il à fuir son passé ? Est-il un vagabond par conviction ou parce qu’il veut éviter de se lier à quiconque ? A-t-il peur de tout perdre à nouveau s’il devient sédentaire ? Comment être libre, sans risquer de tout détruire autour de lui ?
1408Lors d’un séjour dans l’Est de la Bourgogne, Jean travaille comme contremaitre dans un grand domaine agricole. Il fait alors la connaissance d’une comtesse hongroise, au nom francisé d’Elisabeth. Une fascination réciproque nait entre les deux. Il est d’abord frappé par sa beauté, mais sa curiosité est surtout éveillée par ses convictions politiques très libres. Elle-même est intéressée par ce paysan étonnant, si cultivé et si plein d’une humour mordante.
Elisabeth l’invite alors à maintes reprises à l’intérieur du château ; à chaque fois, il décline l’invitation. Jean rechigne à entrer dans cet univers dont les portes lui ont été fermées au nez, mais face à cette femme au charisme persuasif, il finit par tout accepter. L’alchimie fonctionne entre eux. Elisabeth exige qu’il l’accompagne durant son voyage de retour, et Jean se voit forcé d’accepter.
1408-1412Le lien entre Jean et Elisabeth n’en finit plus de se renforcer. Les deux êtres sont épris du même amour pour la liberté, de la même soif de transgression, et chacun encourage l’autre. Jean se plait dans ce nouveau mode de vie luxueuse, bien qu’il ne cède rien de ses idées libertaires.
Elisabeth quant à elle, finira par lui révéler sa véritable identité d’immortelle. La révélation n’est pas sans accroc, mais Jean se découvrira une nette fascination romantique dans le monde des vampires, sans doute beaucoup trop idéalisé pour son bien.
Cette nouvelle vision des choses l’attache davantage à la comtesse. Il devient son Calice durant ses quelques années, et les deux êtres partagent de nombreux points communs : leur soif de liberté, d’arts, de littérature de transgression.
1412L’immortalité est offerte à Jean. Il éprouve un énorme attachement envers sa Sire, et l’univers de la nuit lui semble plein de fascination ; il y a quelque chose de délicieusement interdit à braver les principes même de la vie et de la nature. L’Etreinte lui semble l’ultime moyen de se débarrasser de tous les carcans de son époque, de s’affranchir de toutes limites et de profiter de nouveaux plaisirs.
Elisabeth et lui ne demandent l’avis à personne, et l’apparition de l’Infant de celle-ci, qui n’est guère une sainte parmi les vampires, ne plait pas à tous. Jean conserve tout de même un certain recul humaniste, et ne partage pas la brutalité des vampires de l’Est envers les humains ; c’est l’un des différends fondamentaux qui l’opposera à sa mentor. Ils séjournent alors dans l’Europe de l’Est.
1420-1550Les différences se creusent entre l’Infant et sa créatrice. Non seulement la fraicheur et la romantisme de la nouveauté s’étiolent, mais leurs opinions commencent sérieusement à différer. Après avoir accepté l’Étreinte et renoncé une seconde fois à la lumière, Jean découvre une société de vampires coincée dans des règles encore plus étouffantes, encore plus strictes.
Pourtant, avec l’âge et l’expérience, il est devenu bien plus réfléchi et sait que toute action précipitée est une mauvaise idée. Il joue le jeu du respect, bien que son humour frôle parfois les limites. Il se tempère d’autant plus que Elisabeth fait preuve de toujours plus de témérité envers la Mascarade.
Sa mentor, pour qui la liberté est synonyme de flamboyance, d’irrespect pour toute autorité et de refus de tout cadre, accumule les frasques. Le nom d’Elisabeth Báthory devient non seulement connu des vampires, mais aussi des hongrois, aux côtés desquels elle mène une vie faussement humaine.
1550-1610Sa relation avec Elisabeth s’écroule inexorablement, tandis qu’elle se perd elle-même dans son désir démesuré de s’affranchir de toute limite. Elle s’enivre des plaisirs du sang et délaisse son Infant, avec lequel elle se trouve trop souvent en désaccord sur les sujets des humains.
Jean ne partage pas cette vision destructrice de la liberté. Il doit se détacher d’elle et se débarrasser de cette hiérarchie étouffante qu’il supporte de moins en moins. Elisabeth disparaitra quelques années plus tard, punie par les clans de l’Est pour avoir mis en danger la sécurité de la Mascarade.
1610-1800Un nouveau chapitre se ferme, un nouveau commence. Jean entame son plus long voyage sous forme d’une quête qu’il se doute perdu d’avance : le monde, mortel ou immortel, est-il régi par les mêmes chaines, la même oppression des uns et des autres ?
Durant près de 200 ans, le vampire est saisi d’une frénésie de voyages. Il quitte l’Europe de l’Est suite à un dernier coup d’éclat contre une figure de clan importante, une réflexion à propos « d’une vilaine verrue qu’on aurait dû inciser avant l’Étreinte », qui le rend très impopulaire dans la région.
Une soif de connaissance l’emporte alors vers l’Eurasie, où il visite les clans de Russie, en passant par l’Inde et les innombrables sociétés asiatiques. Ces rencontres sont nombreuses, et il consigne sans relâche ses observations des mœurs des sociétés dans ses carnets. À travers les cours de vampires d’Asie et de Russie, il se fait un nom et noue quelques rares relations d’amitié.
Avec l’avènement de la musique savante en Europe, Jean se découvre une nouvelle passion qui le ramène de plus en plus près de son pays natal. Il s’essaye alors peu à peu à cet art avec brio.
1800-1825Les nouvelles de la Révolution Française bouleversent toutefois ses plans. Jean ne peut rester loin de ces évènements intriguant qui rebattent les cartes de l’Europe, si bien qu’il retourne immédiatement sur place. Conscient du danger inhérent à l’instabilité politique de la France, il opte pour un séjour en Angleterre, depuis laquelle il observe le fil de l’Histoire se dérouler.
Jean se sent alors terriblement seul. La prédiction de la gitane semble se vérifier, comme il apparait bel et bien incapable de conserver des attaches durables. Pourtant, il a une idée derrière la tête. Il se met en quête d’une âme neuve, née durant ce nouveau siècle qui s’annonce plein de changements politiques et technologiques auxquels les vieux vampires devront vite s’habituer. Il a besoin d’un être capable de survivre durant ces bouleversements et de lui survivre à lui.
1826-1837Jean découvre Elinor, une jeune femme incroyablement manipulatrice et qui ne semble souffrir d’aucun scrupule. Elle est strictement à l’opposé de ses convictions, et pourtant, il s’interroge sur son compte : Serait-ce elle, l’esprit du nouveau siècle ? Devrait-il embrasser l’inverse de lui-même pour se renouveler et s’adapter ?
Le vampire l’observe en secret et attend. Il y a quelque chose de séduisant d’aller à l’encontre de ses convictions en choisissant une fille de la bourgeoisie dénuée de principes. L’idée l’amuse. Il joue le jeu des mondanités, s’intègre même dans un clan londonien en devenant un bon élève et en profite pour s’absorber dans sa passion : la musique classique.
1837-1839Finalement, après des années à observer Elinor s’enrichir en affaires et se démener en recherches sur l’occulte, Jean la choisit. Leur lien dépasse toutes ses espérances. Elle est un esprit d’une agilité et d’une adaptation incomparable qui apprend avec une facilité déconcertante.
En l’espace de deux ans, Elinor devient sa première Marquée. Elle se révèle extrêmement précieuse pour l’aider à s’adapter aux changements de la société moderne, en plus d’être une bonne élève qui le fait bien voir aux yeux de l’Essaim. Il est conscient du risque à encadrer cette femme prometteuse mais dangereusement sans scrupules ; pourtant, il est persuadé d’en être capable.
1839-1860Jean en fait son Infante en 1860 après une longue réflexion, et contre l’avis de certains de ses proches, qui voient l’ambition d’Elinor d’un mauvais œil. Il est toutefois convaincu de pouvoir tempérer le caractère de cette femme, même s’il lui est souvent difficile de déchiffrer ses véritables intentions : sur certains points, elle restera un mystère entier pour lui.
Toutefois, Jean aime son Infante d’une affection sincère. Pour la première fois de sa vie, il pense avoir trouvé quelqu’un de pragmatique et capable de survivre à sa perpétuelle malchance. Il lui enseigne tout ce qu’il sait, y compris la musique dont il est devenu un véritable virtuose, avec un enthousiasme paternaliste qui lui fait presque oublier les règles de l’Essaim de Londres.
1860-1880Jean assiste avec fascination à la naissance des mouvements révolutionnaires dont la Commune de Paris, au point d’en oublier son Infante. Elle se montre toujours imperméable à ses opinions libertaires, mais cela l’amuse plus qu’autre chose ; taquiner Elinor fait parti de ses passe-temps favoris.
Toutefois leurs opinions se heurtent, tandis qu’il abandonne toute gestion financière à Elinor pour se consacrer à ses passions : la musique et l’observation des luttes révolutionnaires. Il dépense sans compter en instruments et en séjours à l’étranger. Les règles des Essaims l’agacent d’autant plus qu’elles le gênent dans ses mouvements, et Elinor ne fait aucun effort pour lui faciliter la vie.
1895Pour la troisième fois, Jean perd tout ce qu’il chérissait. À force de jouer avec le feu en filtrant avec des milieux humains et d’envoyer balader certains vampires, il meurt officiellement dans un affrontement avec un clan. En réalité, il est lourdement blessé au combat, et seule l’intervention de vieux amis le sauve : on est forcé alors de le mettre en Torpeur.
Quant à Elinor, le manque de dialogue à cœur couvert, leurs fiertés à tous deux, et leurs disputes incessantes ont fait leur œuvre : elle ne lève pas le petit doigt pour l’aider. Elle ignore délibérément le lien qui les unit, et ne cherche pas à savoir ce qui lui est arrivé ; elle le regrettera bien plus tard.
Une nouvelle fois, Jean n’a plus rien à lui, cadavre sans le sou sombrant dans des rêves peuplés de tristesse, de trahison et de regrets.
1895-1965Le siècle et ses élans révolutionnaires défilent sans que Jean ne le sache. Il dort d’un sommeil d’autant plus profond que sa blessure est grave. Ses amis de l’Est sont forcés de le déplacer à nouveau face à l’explosion des guerres mondiales, et le cachent dans les coins reculés de Russie.
1965-2011Jean s’éveille finalement dans les années 60. Malgré la persuasion de ses proches, le vampire n’a plus goût à rien : son Infante l’a abandonné, et il ne reconnait rien du monde actuel. Dépassé par la technologie, par les mentalités, il a l’impression d’avoir fait un bond dans le temps et il n’apprécie guère les nouvelles démocraties. Le monde est toujours le même, les mêmes chaines sous de nouveaux noms et de nouvelles façades ; tout cela lui semble ennuyeux au plus haut point.
Jean est enclin à s’endormir à nouveau, peut-être à jamais, d’autant plus que son Infante est bien loin de lui désormais et les siens le croient mort pour la plupart. Il n’a pas le cœur à rebâtir autre chose.
La musique le sauve. Les nouveaux mouvements déferlent sur les vieux continents, et Jean est le premier à se trouver fasciné par le piétinement en règles des vieux classiques. Durant ce quart de siècle, le vampire renoue avec une vie d’ermite consacré à son propre plaisir, aux nouveaux sons, à composer et à apprendre. Plus rien d’autre ne l’intéresse. Il ne veut plus rien perdre, il ne veut plus rien détruire autour de lui ; il veut créer, et quoi de plus beau que de la musique ? Jean vit reclus dans un logement modeste, dont il paye le loyer en vendant ses compositions sous un faux nom.
2011-2022La Révélation éclate. Non seulement il ne s’y attendait pas, mais ce bouleversement réveille en lui des aspirations qu’il pensait avoir détruites. Quelqu’un s’est décidé à retourner la table et à balancer des siècles de secrets étouffants d’un seul coup ; cela lui plait et l’enthousiasme même.
Son attention se tourne vers l’Amérique, où son lien avec son Infante semble l’attirer. Il observe à nouveau le monde évoluer et s’interroge : était-ce le moment de se révéler lui-même ?