Thought it was - Eli

Journée de merde.

C'était la phrase qui passait en boucle dans sa tête alors qu'il sirotait son Irish Coffee, ses prunelles figées sur son bouquin qu'il n'arrivait pas à lire, l'esprit troublé par les sons des corps autour de lui. Quelle journée de merde. Parfois – de plus en plus souvent -, il détestait son travail. Il détestait les clients, leurs exigeances, la manière dont certains avaient de le regarder, comme s'il n'était rien. Les vampires aimaient bien le faire, ce regard hautain. Il le connaissait par cœur, Ren. Ce demi-sourire, pratiquement imperceptible, et les yeux qui glissent de bas en haut, lorgnant sur sa silhouette. Parfois, un tressaillement de narines.
Ce jour-là, le Voodoo avait été pas mal rempli, et bien sûr, ils étaient en sous-effectif. Ren s'était pris la tête avec le patron, devant tout le monde, et il avait eu la désagréable sensation de l'humiliation. Il avait bien besoin d'un verre avant de rentrer s'isoler chez lui.

Il fronça les sourcils, lâcha la paille coincée entre ses lèvres et porta une main à son front, là où le froid glacial de son breuvage venait de frapper sans vergogne. Une paupière fermée, il fit passer le choc, sans se soucier de l'air idiot que cela pouvait lui conférer.

Il croisa – forcément – à cet instant le regard d'un autre type, de l'autre côté du bar. Assez jeune, typé, un petit style streetwear pas dégueu. Mignon. Lâchant son front, il osa un bref sourire. Lui aussi, était seul. Peut-être serait-il de meilleure compagnie que ce mauvais bouquin ?
Ren n'était pas le meilleur en matière de rencontre et discussion. Mais parfois, il se sentait pousser un élan de sociabilité. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas parlé à quelqu'un. Au mieux, ça se passait bien, et peut-être même que l'inconnu pouvait se montrer intéressé par lui. Au pire … Ren rentrerait chez lui, et voilà.

Dans un brève inspiration, il fit signe au barman. Quelques minutes après, une pinte de bière fut posée devant l'homme, et il attendit que son regard se tourne vers le sien pour lui faire un petit signe de la main et d'oser se lever pour le rejoindre, son propre verre serré entre ses doigts.

J'ai vu que t'étais seul aussi, et j'm'ennuie pas mal, ce soir, embraya-t-il, laissant passer une seconde le temps de détailler son visage, cherchant à capter un peu à qui il avait affaire. J'm'appelle Ren. Je peux m'asseoir ?

Il désigna le tabouret haut à côté du sien, mais se figea, traversé par une nouvelle pensée.

Oh, peut-être que tu attends quelqu'un ? J'veux pas déranger, hein. Si tu veux être tranquille, dis-moi. J'me vexerai pas. J'sais ce que ça peut être … les relous.

Un rire léger lui échappa. Il s'éclaircit la gorge, regrettant peut-être déjà son audace. D'ordinaire, il faisait pas ça. Encore moins dans un bar classique. Trop risqué. Enfin … c'était trop tard, à présent, n'est-ce pas ? Et puis … il avait pas l'air mauvais, ce gars. Au pire, Ren se faisait envoyer bouler, et voilà. Au pire, le mec allait s'offusquer et lui brailler qu'il n'était pas un putain de gay, et voilà. Rien d'inhabituel.