Luis ◘ l'art d'attirer les problèmes

CaractèreLuis fait partie de ces gens qui incarnent parfaitement l’expression « avoir le cœur sur la main ». Il donnerait sans réfléchir un rein pour son voisin si vraiment ça pouvait lui faire plaisir. Garçon bienveillant et sensible au bien-être de ceux qui l’entourent, il aime aider et se rendre utile. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à passer un diplôme d’infirmier.

Naïf et facilement manipulable, il ne suffit pas de grand-chose pour le mener par le bout du nez.

Paradoxalement, ça ne l’empêche pas d’être terriblement pragmatique sur certains aspects. Il a connu la misère, côtoyé la violence et les dérives des favelas, et essuie aujourd’hui le racisme et la dureté des lois migratoires. Il a conscience du monde qui l’entoure et sait qu’il devra batailler pour s’en sortir.

Il reste malgré tout quelqu’un de profondément pacifiste. Plus diplomate qu’impulsif, il endosse facilement le rôle du type qui temporise une dispute. La violence n’engendre jamais rien de bon. Il l’a vu et revu de ses propres yeux dans les rues de Medellin.

Luis est aussi quelqu’un de particulièrement obstiné, au point que ça peut parfois frôler la bêtise. Quand il est persuadé de quelque chose, il n’écoute que lui, quitte à se mettre dans le pétrin jusqu’au cou.

Dernièrement, il s’est aussi révélé être un très bon menteur. Voilà des mois maintenant qu’il trompe sa famille. Malgré les milliers de kilomètres qui les séparent, la culpabilité est là, bien présente au fond de son estomac. Mais pour l’heure, il arrive encore à faire comme si ça n’existait pas.

L’infirmier en lui peut parfois se montrer moralisateur, même quand on ne lui a rien demandé. Un vilain penchant pour la nicotine, une consommation d’alcool excessive ou tout simplement une mauvaise hygiène de vie peuvent rapidement le faire tiquer. Luis, c’est la petite conscience un peu trop présente sur l’épaule de ses proches.

Si Luis est profondément passionné par son métier, sans papier d’identité, malheureusement, il ne peut pas l’exercer. Alors l’essentiel de ses journées consiste à occuper des petits jobs non déclarés, et mal payés. Il a pour habitude de dépanner le propriétaire de la petite épicerie au bout du quartier. Parfois, il se lève avant l’aube pour aller décharger le camion de marchandises et remplir les rayons. D’autres jours, il finit à pas d’heure parce que son employeur n’a personne pour tenir la caisse aussi tard le soir.

Une fois le loyer payé, il met de côté tout l’argent qu’il peut. Sa tirelire grossit peu à peu et, un jour, il est persuadé qu’il aura suffisamment économisé pour financer un passeur et faire venir les siens aux États-Unis. Sa famille lui manque énormément, il passe de nombreuses heures en visio avec ses soeurs. Luis s’est néanmoins abstenu de leur parler de sa situation précaire, si bien qu’elles sont persuadées qu’il travaille encore à l’hôpital et qu’il mène une vie confortable.

Les journées de Luis restent néanmoins axées sur un seul et même objectif : se faire le plus discret possible. Ne pas attirer l’attention et éviter les problèmes. Un simple contrôle de police suffirait à boucler son sort, ce qu’il doit éviter à tout prix.

Quand ils étaient gosses, les quatre rejetons Alavès aimaient raconter que les femmes de leur famille avaient un don. Que le sang qui coulait dans leur veine était capable de stopper les brûlures. Des coupeurs de feu. La Révélation n’avait pas encore pointé le bout de son nez, et raconter ce genre d’histoire n’induisait alors pas d’autre risque que celui de faire sourire les adultes avec indulgence.

Luis n’a pas beaucoup connu sa grand-mère. Mais on racontait qu’elle avait transmis son don à sa fille. C’était plaisant, pour lui, pour son frère et ses sœurs, d’imaginer que leur Mamá qui s’échinait chaque jour de sa vie à faire du ménage dans les grandes villas était en réalité une sorte de super héroïne.

Avec le recul, avec les années et avec les derniers scandales surnaturels, Luis n’a jamais su dire ce qu’était réellement sa mère. Une arcaniste ? Une outre ? Ou juste une magnétiseuse ? Difficile de mettre un mot précis sur quelque chose qui lui paraît particulièrement flou aujourd’hui encore. Tout comme il a été difficile d’admettre, à sa plus grande surprise, que c’est lui qui a hérité du don familial. Pas ses sœurs. Lui.

Il n’avait qu’une dizaine d’années lorsqu’il s’est rendu compte qu’il pouvait lire la douleur des corps tout autour de lui – une entorse à la cheville, une égratignure sur le bras, une migraine tenace... Elle zonait à ses oreilles comme un bourdonnement d’énergie et ne se limitait certainement pas aux brûlures. Mais comme Mamá, et comme sa abuela, il était capable, juste en posant ses mains sur une blessure, d’en retirer la douleur.

C’est à ses dépens qu’il comprit les limites de son don. Si prendre et déplacer cette forme d’énergie douloureuse était une chose, encore fallait-il savoir quoi en faire ensuite. Sa mère l’éteignait simplement sous un filet d’eau froide ou parvenait à la disperser en secouant les mains. Impossible pour Luis. L’énergie restait ancrée en lui, ne lui laissant alors que deux solutions : la transmettre à un autre réceptacle, autrement dit à quelqu’un d’autre, ou l’assumer tout seul en serrant les dents.

Plus la douleur déplacée est intense et plus le contrecoup sera violent pour Luis, allant des simples nausées et vertiges, aux maux de ventre lancinants et parfois jusqu’au malaise vagal.

Si sa mère lui a transmis tout ce qu’elle savait, son apprentissage fut bref et sommaire. La Révélation des arcanistes en 2012 souleva encore plus de questions dans l’esprit du garçon. Qu’était-il ? Et comment obtenir de vraies réponses ?

Quitter Medellín pour ses études a aussi eu le mérite de satisfaire un peu de sa curiosité. Il y a quelques mois, Luis a fait la rencontre de Sol. Si ce dernier est déstabilisant et un peu étrange avec sa maison remplie de plantes, il présente néanmoins un intérêt énorme : Sol sait guérir les corps. Est-ce qu’il peut lui apprendre ? Est-ce qu’il peut lui expliquer et lui transmettre son savoir ? Comment ça, « pas si vite » ? Bon, d’accord. Est-ce qu’il peut au moins l’assister, alors ?

C’est comme ça qu’il développa sa pratique. En trainant dans les pattes de Sol. Luis n’a pas en tête de devenir un véritable arcaniste, pas maintenant du moins. Tout ce qu’il veut, c’est améliorer le don que le destin a placé entre ses doigts. Ce n’est pas grave si les explications de son mentor sont parfois complètement rocambolesques à ses yeux. Ce n’est pas grave si les rites et les coutumes dépeintes ne font pas nécessairement écho en lui. Luis n’a rien d’un chaman, mais pour l’heure, Sol est le meilleur levier d’apprentissage qu’il a trouvé.

Et en tant que soignant, que pourrait-il espérer de mieux que de pouvoir guérir ses patients tout en gommant leur douleur ?

Il tomba de haut, le colombien, lorsque son don accepta finalement de se développer. Ce n’est arrivé qu’une fois, car l’effroi procuré l’a suffisamment secoué pour qu’il aille rendre ses tripes en catastrophe. Au lieu de guérir, au lieu de ressouder les plaies et d’apaiser l’inflammation, sa magie a pris un autre chemin. À l’inverse, elle s’est engouffrée là où ça faisait mal. Elle a accentué la douleur, déchiré les chairs, pour accentuer la blessure qu’il s’évertuait pourtant à soigner. L’idée d’aggraver l’état d’un patient avec son don lui aura tellement retourné l’estomac qu’il a, pour l’heure, décidé de ne plus chercher à l’étendre plus qu’il ne l’est déjà.

La Révélation initiée par les vampires a été une onde de choc. Luis se souvient de plusieurs vagues de violence dans les favelas. La peur, la méfiance et la nervosité ambiante ont eu vite fait de faire résonner des coups de feu à travers le quartier. Ce serait mentir que de prétendre que Luis n’a pas ressenti, lui aussi, le goût acide de la peur au creux de son ventre. Mamá leur interdisait de sortir seuls. Jamais elle n’avait autant prié qu’à cette période.

Lorsque l’Eglise Wiccane s’est à son tour révélée aux yeux du monde, le chaos s’est perpétué à Medellín. Mais pour Luis, cette nouvelle a autant été un soulagement qu’un puits de questions sans fond. La Révélation des arcanistes était la perspective, un peu folle et incertaine, d’en apprendre plus sur ce qu’il était réellement. Etait-il vraiment comme ces gens aux capacités hors du commun dont tout le monde parlait ?

S’il a eu l’opportunité de croiser des CESS en Colombie, alors jamais il ne s’en est aperçu. Les tensions étaient telles que personne ne se serait risqué à crier sur les toits sa véritable nature, lui en premier. Luis s’est tu, sagement, pour ne pas attirer l’attention.

Sa stratégie a été sensiblement la même à Shreveport. Il n’a pas manqué les manifestations et les affiches anti-CESS des Shepherds aux quatre coins de la ville. La prudence s’est imposée à lui, avant même que ses papiers d’identité n’expirent.

Alors, Luis n’a pas cherché à rejoindre le moindre regroupement. Il s’est contenté d’exercer sa magie bredouillante pendant ses stages à l’hôpital, sur les patients trop hagards pour se rendre compte de quoi que ce soit. La nuit du 31 octobre 2019 a d’ailleurs été une véritable épreuve pour le jeune étudiant infirmier, incapable de venir en aide à tout le monde sous peine d’être totalement paralysé par le contrecoup de son don. La clinique où il travaillait alors s’est vite retrouvée débordée par le surplus de blessés que le Shreveport Hospital ne pouvait plus prendre en charge. L’horreur et la panique de cette nuit-là se sont imprimées au fer rouge dans ses souvenirs, tout comme les relents de cette magie abominable dans l’air. Comment les autorités sont-elles parvenues à expliquer ce cauchemar aux allures d’apocalypse par une foutue tempête ? Les informations officielles sont truffées de mensonge.  

A ce jour, dans sa condition actuelle, il espère sincèrement que les projecteurs ne soient pas braqués sur les Outres. Autant l’absence de réponse sur ce qu’il est et sur ce dont il est capable le ronge, autant il préférerait que les autorités ne s’intéressent pas à lui. Vivre dans l’ombre, c’est pour le mieux.

Sa vision de Shreveport s’est ternie avec le temps. Si, à l’origine, il voyait cette ville comme un nouveau départ et la promesse d’une vie meilleure, les derniers événements lui ont surtout fichus froid dans le dos. Depuis Halloween, Luis appréhende la prochaine catastrophe qui, il en est sûr, finira tôt ou tard par éclater. Si un jour il parvient à faire venir sa famille aux Etats-Unis, il est pratiquement certain de ne pas rester à Shreveport. Hors de question de laisser les siens vivre dans ce champ de mines.

Jusqu’à présent, il n’a pas cherché à se mélanger volontairement aux autres races. En Colombie, une légende du folklore parle de la Patasola, une femme monstrueuse qui se repait de chair humaine et suce le sang de ses victimes. Enfant, c’est la première représentation que Luis a eu des vampires et il se souvient encore des nombreux cauchemars que cette histoire a provoqués chez sa petite sœur. Aujourd’hui, s’il sait que la Patasola n’est qu’un mythe, il ne peut s’empêcher de craindre instinctivement les vampires. Les légendes ont forcément une part de vrai, après tout.

Quant aux thériantropes, Luis a visionné comme tout le monde, en 2013, la vidéo du loup-garou complètement hors de contrôle. Ces créatures l’effraient. Et si pour rien au monde il ne se joindrait aux Shepherds pour manifester contre leur existence, il préfère rester le plus loin possible d’elles.

Les arcanistes lui inspirent une étrange fascination. Il admire et redoute à la fois ce dont ils sont capables. Il adore observe Sol travailler ; c’est fantastique, les merveilles qu’on peut accomplir avec un peu de magie. Mais c’est aussi tellement de responsabilités... Et si ça dérapait ? Il connait l’Eglise Wiccane, surtout parce qu’elle a fait la Une des journaux en 2012. Il a aussi entendu parler du Juggler's Bazaar, de réputation, sans jamais y avoir mis les pieds. Luis ne se sent pas suffisamment en confiance pour se rapprocher de l’un ou l’autre de ces regroupements.

En revanche, il ignore l’existence de l’Irae, des Purificateurs et des démons.

BONUSLuis a la tenace habitude de glisser quelques mots espagnols dans son discours quand il s’exprime. C’est pire quand il est sous le coup de l’émotion. Réussissez l’exploit de le faire sortir de ses gonds, et vous recevrez une avalanche de mots fleuris aux accents chantants auxquels vous ne comprendrez rien. Il a aussi tendance à hispaniser les noms des gens qu’il apprécie et à donner des surnoms à tout-va.

La première fois que l’un de ses patients est malheureusement décédé, il n’a pas fermé l’œil de la nuit.

La vieille chilienne qui vit en face s’est prise d’affection pour lui. Régulièrement, quand elle arrive à l’intercepter dans le couloir, elle lui fourre entre les bras des plats concoctés avec amour sans lui laisser le choix. La nourriture n’est généralement pas très bonne, mais Luis n’a jamais eu le cœur de refuser, ni même de jeter les plats qu’il s’oblige vaillamment à manger en entier.

Il a une vielle cicatrice au creux de la main droite, souvenir d’une cavalcade effrénée avec Andrès après avoir chapardé des maracuyas sur le marché. Pour échapper au courroux du marchand, les deux enfants se sont retrouvés à grimper un vieux grillage auquel Luis s’est entaillé. En y repensant, il a eu une chance phénoménale ne pas avoir attrapé de vilaines maladies ce jour-là.