Ça me trotte dans la tête depuis un moment, les mois passent et j’me déconnecte de plus en plus de ma vie d’avant, de l’humanité que j’oublie derrière les souvenirs, derrière le sang et ce qu’il reste malgré moi là à chaque instant. La Soif, la Bête qui ne quitte jamais vraiment mon esprit, à l’affût, la moindre erreur qui pourrait tourner au drame. Mais il y a eu ce rappel, comme une piqûre, de mon passé, de la personne que j’ai pu être, phrase que Lexie a pensé anodine, lâchée lors d’une des leçons qu’elle me fait régulièrement, véritable apprentissage de la vie vampirique qui m’aide à croire que j’finirais par étouffer l’envie de tuer qui rôde jamais loin sans que j’arrive totalement à m’en convaincre le reste du temps, quand j’vois comme un rien peut me faire partir en vrille. J’soupire, regarde une meuf passer, me jeter un regard inquiet, comme si j’allais lui sauter dessus à tout instant. J’lui dirais bien ma manière de penser mais ça impliquerait de respirer, d’aller chercher l’air nécessaire à la parole, de potentiellement trouver le sang au milieu de la mer de béton, de me transformer en un prédateur uniquement motivé par son envie de le faire couler.
J’me remet en mouvement, pas franchement sûr de ce que je veux faire, parce que ça pourrait être une idée de merde, comme tant d’autres. Comme celle de sortir déjà, malgré les interdictions pourtant claire de ma Sire qui doit se désespérer, quand elle trouve la chambre vide, l’Infant en vadrouille que je suis étant une source d’inquiétude pour celle qui sait mon contrôle de moi-même approximatif, qui sait qu’il ne tient généralement qu’à un fil.
La rue est calme, la nuit avancée, j’erre depuis trop de temps dans Stoner Hill, seul endroit où j’ose vraiment me balader, seul endroit où tuer quelqu’un rendrait sûrement service, si la personne est à cette heure-ci dehors. J’secoue la tête, fait sortir de mon crâne les idées sordides, les affirmations erronées, j’dois plus ôter la vie de quiconque, j’dois plus être un monstre tuant de sang froid, même si c’est le pire des salopards en face de moi. Je me concentre un peu, va chercher la chose qui sommeille pour le moment, m’assure qu’elle est bien sage, qu’elle dort paisiblement dans un coin et que j’peux me risquer à utiliser mon odorat. Heureusement, quand j’inspire, la seule chose à venir m’accueillir c’est l’odeur répugnante qui traîne, béton humide et déchets en décomposition dans une poubelle renversée, y’a l’odeur des clopes écrasées et des bières vides ou presque, délaissées dans une ruelle. J’marmonne une remarque acerbe, c’est que ça doit être trop dur d’être civilisés et d’aller jusque une poubelle, de pas s’amuser à foutre des coups de pieds dedans, d’être des putains d’êtres humains normaux qui se sentent pas obligés de détruire un truc. J’ai envie de rentrer mais j’oublie pas mon objectif de la nuit, j’sais même pas s’il est réalisable mais je garde espoir au fond, parce que j’ai besoin de renouer avec cette part de mon passé, parce que quelque part, ça me rassurerait, de savoir que certaines choses changent pas vraiment. Et dans ces certaines choses, y’a Yago.
C’est ni plus ni moins que l’un des vampires qui a goûté à mon sang, qui a profité des substances illicites qui courraient dans mes veines fut un temps. Mais il a réussi à se hisser un peu plus haut que ça, à l’instar d’un certain autre Immortel, il s’est fait une place de choix parmi mes clients peu communs, est devenu un camarade, une sorte d’ami un peu particulier, chacun y trouvant son compte. J’me souviens de la rencontre avec lui, son air dépité d’avoir perdu son repas pour une histoire louche de drague alors que j’venais d’envoyer paître l’un de ses semblables souhaitant absolument laisser une marque sur moi, il me semble. Mais bon, j’en ai assez, des cicatrices, j’avais pas besoin d’agrandir la collection déjà pas mal fournie des traces de crocs aux différents propriétaires. Et il a jamais merdé, lui, il a toujours fait preuve d’un certain respect à mon égard et ça a suffit à s’attirer ma sympathie, à lui accorder plusieurs soirées ou pas mécontent de pouvoir planer il restait ensuite en ma compagnie, à parler de tout et de rien, à s’abrutir devant une télé plus exceptionnellement. J’sais à peu près où il vient chasser, de temps à autre, quels bars sont des nids à mordus, proies faciles qui l’arrangent sûrement quand il se sent pas de faire d’efforts. J’espère le trouver, peut-être naïvement, me rendant près de l’endroit où j’l’ai vu pour la première fois. J’soupire en me privant à nouveau de mon nez, respiration stoppée, chose à laquelle j’arrive pas totalement à me faire, la brûlure du manque d’oxygène me manquerait presque avec ces conneries. J’approche d’un bar assez fréquenté malgré sa localisation peu rassurante, il a l’avantage d’être ouvert à des heures indécentes, pain béni pour les vampires et les alcooliques, normal que j’m’y sois un jour senti à ma place. Aujourd’hui reste que ce malaise, cette peur de perdre les pédales et de fracasser quelqu’un, briser encore une vie de plus, peut-être plusieurs. J’m’appuie sur un mur, reste à l’écart, loin des humains bourrés, l’alcool qui coule dans leurs veines est un appel, une supplication pour l’addict que j’reste, résidus d’un alcoolisme pas totalement réglé, soif bien différente que j’peux pas me risquer à combler malheureusement. Et c’est pas une image, de dire que j’tuerais sûrement pour pouvoir en boire ne serait-ce qu’un peu, pour me laisser aller à l’ivresse rien qu’une fois.
Un éphémère tente une approche, sûrement en train de se tromper sur ce que je fous là, c’est que j’dois avoir une dégaine de dealer, à bien y penser, avec mon sweat-shirt et mon jogging, là, au coin d’une rue, à attendre Dieu seul sait quoi. Il cherche une approbation dans mon regard, attend un signe d’approcher pour pouvoir venir me demander sa came que j’ai pas. Lui, particulièrement, me donne envie d’aller chercher le liquide précieux dans ses veines, c’est qu’il doit être beau, le mélange déjà présent, j’devine aisément les verres bus avec sa démarche, le THC qui accompagne le tout à ses yeux déjà un peu rouges. J’lui fait signe de déguerpir et il semble pas comprendre, surtout, ne pas craquer, ne pas lui ouvrir la gorge, ne pas se laisser aller. J’sentirais presque les crocs se montrer, venir chatouiller l’intérieur de ma lèvre, ou alors c’est pas qu’une impression et ce mec arrive à secouer l’animal au fond, à me donner l’irrésistible envie de replonger dans toutes mes addictions et mes erreurs, à me laisser aller dans mes névroses. J’retente, d’un signe de la main lui fait signe de dégager, de foutre le camp loin de moi avant que j’perde le peu de volonté qu’il me reste, avant que j’ouvre les bras à mes cauchemars et que j’recommence un massacre. Parce que bon, soyons clairs, j’m’arrêterais sûrement pas une fois lancé, j’irais faire d’autres victimes dans l’établissement plutôt calme, ce soir.
Yago Mustafaï
Autiste Ier - Première dame du Chaos :"La chair fraîche c'est kascher" ; Coucou, tu veux voir ma papillote? Signé Shéhérazade aux cuisses rondes.
Chaos is everywhere.
En un mot : Ombre atemporelle, Cauchemar éternel, Murmure d'Orient.
Qui es-tu ? : • Vampire de 120 ans, homme-siècle venu d'ailleurs, infatigable nomade. Éternel étranger à la peau hâlée.
• Infant de Salâh ad-Dîn Amjad, dont il partage les aspirations destructrices. Renégat, il rejette en bloc la Mascarade et ses règles castratrices.
• Foncièrement psychotique, ses attitudes décalées et ses humeurs lunatiques sont le reflet de sa psyché défragmentée.
• Insatiable curieux, il observe les Hommes vivre, dérobe aux vivants des fragments d'existence pour emplir sa propre béance, sinistre fantôme des fenêtres citadines.
• Enfant de Jérusalem, sa vie humaine a notamment été marquée par de ferventes croyances religieuses. Désormais, il n'est plus que l'ombre d'un Juif errant, persuadé d'avoir été répudié par le Très-Haut qu'il n'ose plus prier.
• Ancien horloger, il est habile de ses mains et répare encore des rouages à ses heures perdues. Maître du Temps, il aspire secrètement à le détraquer.
• Fasciné par les arcanes, il voue une obsession à la magie rouge, qui le canalise et réveille en lui les souvenirs de sa vie d'antan.
• Polyglotte, il s'exprime d'une voix grave et chantante, vent chaud d'Orient qui séduit les mortels. S'il s'exprime très bien en anglais, sa compréhension de certaines métaphores tout comme sa maîtrise de l'écrit laissent encore à désirer.
• Unique descendance de Salâh ad-Dîn Amjad, enfant adoptif d'Aliénor Bellovaque, amant des nuits d'Eoghan Underwood, Némésis de Dillon Ó Shaugnessy. Stalkeur de tous les autres.
Facultés : • Maître des illusions, il tisse des mensonges et déforme la réalité, altère les sens et bouleverse l'ordre. (Chimérie Niveau II palier 2)
• Ombre des toits, il est capable de dissimuler sa présence dans le secret de la pénombre, et devenir alors imperceptible. Insaisissable. (Occultation Niveau I palier 4)
• Voleur habile, il a la fâcheuse manie de dérober des objets à la plupart des personnes qu'il croise, et les entrepose dans son atelier, où il accumule les bibelots et fragments de vies arrachés.
• Redoutable chasseur, il excelle dans la traque, qu'il s'agisse d'humains ou d'artefacts.
• Souple et aérien, il est un excellent grimpeur et préférera toujours se déplacer en hauteur. Familier des toits des bas-quartiers, il évolue comme un véritable chat dans la jungle urbaine.
• Une sensibilité insoupçonnée se cache derrière cet étrange faciès. Lorsqu'il tue le temps dans la poussière de son atelier, il lui arrive de jouer de la musique ou de gribouiller.
Pas de paradis artificiel pour l'Immortel, ce soir. Seulement la débauche et la puanteur de Stoner Hill, le sinistre spectacle de la déchéance humaine auquel il s'est accoutumé ; pire, dans lequel il se vautre, pour oublier le reste peut-être, les enjeux trop importants pour des épaules parfois friables, malgré son siècle d'existence. Ombre parmi les ombres, il déambule parmi le fange et le stupre, spectre des hommes, absurde reflet de leur condition vaine. Le pas est léger lorsqu'il foule les dalles crasseuses, trop rarement nettoyées, elles aussi laissées à l'abandon dans ce quartier agonisant. Et pourtant. Il est là, le berceau de la vie. L'émergence de toute chose, la matrice première, l'origine. C'est là que tout se joue, entre les murs maculés des excès de l'homme. Dans le ventre des ruelles mal fréquentées. Sous les toits tordus des bars immoraux. Ce qui pourrait être considéré par certains comme les pires bassesses de l'humanité, sont à ses yeux tant de preuves de sa véracité. L'essence de l'existence elle-même réside et clapote dans ces rues sordides, et c'est entre ses viscères qu'il se love, espérant probablement s'y abrutir, comme le commun des mortels entassé à quelques mètres de lui.
Pourtant, il s'ennuie. Malgré les éclats de voix, les débris de verre, les bagarres naissantes, l'atmosphère ne lui convient pas. Comme si les bruits et les odeurs aliénaient son esprit déjà torturé. Il hume, l'air dédaigneux, les effluves qui lui parviennent d'un bar miteux, dans une ruelle qu'il arpente rarement, et qui ne fait pas partie de ses préférées. L'envie de changement peut-être, l'avait poussé à quitter son territoire habituel et à élargir son périmètre de chasse — à la recherche d'une nouveauté quelconque, d'une saveur qui le surprendrait encore, après toutes ces années passées à traquer l'homme pour survivre à l'Eternité. Mais aucun visage, aucune silhouette, aucun parfum ne retient son attention cette nuit. Affligé par ce constat, il finit par rebrousser chemin, délaissant l'idée de se dégoter un calice digne de ce nom ce soir. Ses pieds traînent sur le bitume à la manière d'un enfant boudeur, face auquel tout caprice aurait été refusé, refoulé du bout de la semelle. Il en soupirerait d'amertume, si ses poumons étaient encore capables de se charger de l'air vicié de Stoner Hill. A la place, il se contente de racler le sol de ses chaussures sombres, à l'image du reste de sa tenue : discrète, sobre, passe-partout. Personne ne doit le remarquer. C'est d'ailleurs tout juste s'il existe encore.
Avant de regagner définitivement ses pénates, il tourne la tête une dernière fois, au coin d'un carrefour, et guette le repère à Mordus qui se tient à quelques mètres de là, isolé du reste du quartier, comme si rien n'avait d'emprise sur ce lieu d'abandon et de vice. Tout comme le sens du vent, incertain cette nuit, il paraît hésiter, et tangue presque par-dessus la route au moment du choix. Ce bar où il avait coutume de se rendre avait lui aussi déçu l'Immortel, lorsque son calice favori l'avait déserté. Et sans lui, sans son liquide carmin vicié, sans leurs discussions déliées de toute convenance sociale, il ne voyait que peu d'intérêt à se rendre là-bas, et rechignait depuis des semaines à arpenter de nouveau cet endroit.
Ce soir-là, pourtant, il cède à une pulsion de bassesse et se dirige nonchalamment vers l'endroit, sans réelle conviction. Ses pas se déroulent machinalement, grâce à une mécanique bien huilée, qui n'a déjà plus rien d'humain. Arrivé devant l'enseigne, il inspecte la devanture, les lettres de l'établissement à moitié décrochées et usées par le temps. L'endroit est calme en cette nuit froide, et, versatile, il hésite déjà à rebrousser chemin une nouvelle fois lorsqu'une silhouette au coin de la rue retient particulièrement son attention.
Étonnamment, ce n'est pas l'odeur qui l'avait percuté en premier, trop différente de celle qu'il avait connue, mais bel et bien le geste et la façon dont l'homme agitait sa main. C'était lui, indubitablement. C'est cependant avec méfiance que le Fils de Caïn s'approche, les narines frémissantes, les babines retroussées. Les sens en alerte, il gagne du terrain, le pas feutré, jusqu'à se trouver à quelques mètres de l'homme à la peau sombre, dont il n'a aucun mal à étudier la silhouette malgré le voile noir de la nuit. Tout mortel qui assisterait à la scène se douterait d'être en présence de deux créatures damnées, tant l'absence d'éclairage artificiel dans cette partie de la ruelle ne semblait nullement les rebuter.
« Abel…? » L'appel se mue en grondement, malgré sa volonté d'adoucir sa voix pour ne point l'effrayer. A travers l'émail de ses dents, le ton grince, altéré par ce que ses sens immortels perçoivent. Sa conscience alimentée d'informations déplaisantes et contradictoires, il s'approche davantage, tiraillé entre une vive curiosité et une déception cuisante. « Non… » Cette fois le déni le quitte bel et bien et il contemple, médusé, la créature nouvelle qui se tient devant lui et qui, malgré l'enveloppe charnelle similaire, ne ressemble pour l'heure en rien à celui qu'il a connu. De toutes les différences notables, c'est la signature olfactive qui le frappe le plus, et le déstabilise au point qu'il demeure un long moment interdit face à lui, les yeux écarquillés, le corps statufié face à la révélation. Face à l'inacceptable. « Pas toi… » Il grogne, l'Immortel, il tempête d'avoir perdu une fois encore l'une de ses rares sources de répit, Eoghan mis à part. Il fulmine de n'avoir su anticiper l'inévitable, de ne pas avoir été là pour empêcher l'inéluctable. Et entre ses mâchoires, ce sont des grondements bestiaux qui roulent et se frayent laborieusement un chemin jusqu'à l'air libre. « Lequel de mes congénères t'a imposé notre condition ? » Car il est intimement persuadé que ce n'est pas Abel qui se serait jeté entre les crocs du premier venu. Trop jeune et déjà trop marqué par l'existence, pour vouloir épouser cette condition éternellement. Trop insaisissable, trop torturé, depuis sa libération. Et pourtant, l'invraisemblable se tenait sous ses yeux ébahis, et l'ire pulse déjà sous le derme pâle du vampire lorsqu'il exige la Vérité. « Donne-moi son nom. »
Peut-être que je devrais le voir venir, être content de savoir que j’ai pas perdu mon temps, mais non, je ne perçois mon congénère, la cible de mes recherches, que lorsqu’il prononce, grogne est peut-être plus approprié, mon nom. Yago. Il est là, comme une preuve que tout n’est pas foutu. Il me sort de la tempête, me fait oublier le type qui s’éloigne vite, ayant compris que sa place n’est pas ici, avec nous, les Immortels. La Bête m’emportait déjà, quelques secondes, c’est le temps qu’il faut pour que tout s’enraye, que je cesse de réfléchir comme un être un tant soit peu humain. Je reste silencieux, le choc, sûrement, l’étonnement de ne pas avoir totalement échoué, mais surtout le soulagement m’envahit, sentiment rare, presque trop précieux. Ce sentiment désormais accompagné de ma solitude, qui ne vient que lorsque je me sais loin des hommes et du précieux liquide coulant dans leurs veines. Ils sont rares, en ce moment, les instants où je pense pas à l’ivresse, à l’oubli si convoité maintenant qu’il m’est interdit. Je reste comme un poteau, bien droit, face à cet individu que je ne pensais pas vraiment trouver. J’ai perdu l’usage de la parole alors j’écoute, sa colère, les grondements qui naissent après le constat, la vérité glaçante d’un corps désormais hors des caprices du temps. Il n’est plus, sa version d’Abel n’existe plus que dans ses souvenirs et je vois bien la rage qui couve, je l’entend avec ces sens nouvellement miens. Désabusés.
J’aimerai aussi, me mettre en colère, me dire que tout ça n’est pas juste, mais j’y arrive pas, peut-être que je l’ai cherché, cette triste fin. Ce commencement d’un tout autre chose, de ce que je crois parfois n’être qu’un mauvais rêve, avant de me rendre compte que le soleil rejoint son lit. Quand ce secret que je n’arrive pas à avouer est invoqué, exigé par l’israélien. Le nom de ma créatrice, un nom peu commun qui a traversé les méandres embrumées de ma conscience, à l’époque, s’est frayé un chemin jusque ma mémoire. Une empreinte au fer rouge, je suis son Infant, elle est ma Sire, le devrait, mais elle n’est pas là. Et je suis seul. Rien n’atténue l’abandon, l’effroi quand le souvenir de mon réveil vient chatouiller mon esprit torturé. Dillon, bourreau et créatrice. Ma main se lève, comme pour aller vers lui, stoppe sa course audacieuse quand je pèse le pour et le contre pour une raison que j’ignore. Je devrais être en colère, hurler ma haine de celle qui m’a imposé mon errance nocturne, la Soif et l’envie de tuer. Je devrais dire son nom, et j’hésite.
Que fera-t-il, le compagnon de plusieurs nuits, le camarade qui a partagé certains de mes secrets, ma chute, qui a entendu le récit d’une vie qui s’éteint, perd de son sens. Une inspiration, un début de réponse, je n’ai pas à lui mentir, pas à lui qui aurait pu être appelé ami, à mon sens, quand je n’étais qu’un éphémère à ses yeux, petite chose fragile, un instant peut-être dans sa longue existence, de précieuses heures dans la mienne. -Yago… Je… Souffle coupé, quand bien même il n’est que fictif, ce souffle, cet air que j’inspire mais qui ne m’est plus vital. -Que vas-tu faire, quand je t’aurais dit son nom ? Oh, j’ai ma propre idée, de ce qu’il va faire, une certitude plus qu’une idée, quand je le vois ainsi malgré l’obscurité qui nous entoure. Peut-être que je souhaiterais la même chose, si j’en avais la force, si je cessais de me raccrocher à cette résignation, cette acceptation froide des faits. Je suis mort et relevé, j’ai gâché ma vie, cessé d’exister quelque part, il ne reste plus rien, de l’humain, ma mère n’est plus là pour pleurer un fils perdu et même moi je ne sais plus à quel moment j’ai cessé de croire qu’il n’y avait plus aucun but à ma présence sur Terre. Maintenant je dois arranger le merdier.
Et je me pose la question, est-ce que ça arrangera quoi que ce soit, est-ce que je me sentirais mieux, si je ne le sens plus, ce lien ? L’Infant et son Sire, l’évidence même, celui qui apprend et l’autre qui enseigne, quelque chose que je ne peux pas comprendre, que je ne pourrais sûrement jamais saisir. Ce quelque chose d’incomplet que je sais là, cette liaison invisible, ténue, qui fait que je sais, je sais qu’elle est là, dans la jungle de la capitale du Surnaturel. J’interroge un être qui n’existe pas, lui pose réellement la question, qu’est ce que Diable je suis sensé faire, comme d’habitude je suis paumé. Dans le flot continu de mes pensées, dans un maelström d’interrogations qui ne font que rendre un peu plus flou le tout. -Je ne veux pas te mettre dans des problèmes qui ne te concernent pas, j’ai fini par me faire avoir à mon propre jeu. Mensonge sans que je ne m’en rende compte, parce que je m’en persuade, c’est ma faute, il n’a pas à réparer mes erreurs, se jeter dans la tempête. J’aurais aimé, qu’il soit là, qu’il protège cette humanité que j’ai délaissé, cette vie que je perdais sans même m’en apercevoir. Elle m’a happé, m’a traîné de force dans ce monde nocturne et pourtant c’est encore moi que j’accuse, parce qu’il ne paiera pas pour moi. Je ne le détruirais pas, pas lui aussi. -Tu n’as pas à être en colère, je t’assure. Est-ce que c’est lui, est-ce que c’est moi, que je rassure ? La limite est fine, si fine que je peine encore à la discerner. Je suis là, nouveau-né dans un monde irrationnel, entamant une tentative que je sais vaine de calmer l’un de mes aînés, je ne sais pas exactement quelle part de moi me pousse à faire cela et une nouvelle foule de mes traditionnelles réflexions se soulève. Peut-être que c’est celle qui encore et toujours s’inquiète pour ceux qui m’entoure, désir chaotique de préserver ce qui ne peut pas l’être parfois. Désir alimenté par cette impression, par ce que je soupçonne de n’être qu’une vérité générale, de pousser à l’effondrement tout ce que je touche.
-Ne restons pas là, dans tous les cas. Et je m’éloigne, m’enfonce un peu plus dans la ruelle crasseuse à laquelle je tournais le dos, préfère éloigner la créature coléreuse des frêles humains trop occupés à se noyer dans leurs substances corrompues. Je les laisse oublier la réalité en les empêchant de venir la heurter trop violemment, intrus entre les deux fils de Caïn.
Yago Mustafaï
Autiste Ier - Première dame du Chaos :"La chair fraîche c'est kascher" ; Coucou, tu veux voir ma papillote? Signé Shéhérazade aux cuisses rondes.
Chaos is everywhere.
En un mot : Ombre atemporelle, Cauchemar éternel, Murmure d'Orient.
Qui es-tu ? : • Vampire de 120 ans, homme-siècle venu d'ailleurs, infatigable nomade. Éternel étranger à la peau hâlée.
• Infant de Salâh ad-Dîn Amjad, dont il partage les aspirations destructrices. Renégat, il rejette en bloc la Mascarade et ses règles castratrices.
• Foncièrement psychotique, ses attitudes décalées et ses humeurs lunatiques sont le reflet de sa psyché défragmentée.
• Insatiable curieux, il observe les Hommes vivre, dérobe aux vivants des fragments d'existence pour emplir sa propre béance, sinistre fantôme des fenêtres citadines.
• Enfant de Jérusalem, sa vie humaine a notamment été marquée par de ferventes croyances religieuses. Désormais, il n'est plus que l'ombre d'un Juif errant, persuadé d'avoir été répudié par le Très-Haut qu'il n'ose plus prier.
• Ancien horloger, il est habile de ses mains et répare encore des rouages à ses heures perdues. Maître du Temps, il aspire secrètement à le détraquer.
• Fasciné par les arcanes, il voue une obsession à la magie rouge, qui le canalise et réveille en lui les souvenirs de sa vie d'antan.
• Polyglotte, il s'exprime d'une voix grave et chantante, vent chaud d'Orient qui séduit les mortels. S'il s'exprime très bien en anglais, sa compréhension de certaines métaphores tout comme sa maîtrise de l'écrit laissent encore à désirer.
• Unique descendance de Salâh ad-Dîn Amjad, enfant adoptif d'Aliénor Bellovaque, amant des nuits d'Eoghan Underwood, Némésis de Dillon Ó Shaugnessy. Stalkeur de tous les autres.
Facultés : • Maître des illusions, il tisse des mensonges et déforme la réalité, altère les sens et bouleverse l'ordre. (Chimérie Niveau II palier 2)
• Ombre des toits, il est capable de dissimuler sa présence dans le secret de la pénombre, et devenir alors imperceptible. Insaisissable. (Occultation Niveau I palier 4)
• Voleur habile, il a la fâcheuse manie de dérober des objets à la plupart des personnes qu'il croise, et les entrepose dans son atelier, où il accumule les bibelots et fragments de vies arrachés.
• Redoutable chasseur, il excelle dans la traque, qu'il s'agisse d'humains ou d'artefacts.
• Souple et aérien, il est un excellent grimpeur et préférera toujours se déplacer en hauteur. Familier des toits des bas-quartiers, il évolue comme un véritable chat dans la jungle urbaine.
• Une sensibilité insoupçonnée se cache derrière cet étrange faciès. Lorsqu'il tue le temps dans la poussière de son atelier, il lui arrive de jouer de la musique ou de gribouiller.
Ne restons pas là. Les nouveaux sens immortels avaient perçu le danger imminent de la surexposition du Colérique à des appâts humains. Pas de nom, seulement cette démarche mécanique qui les éloigne de la vie bruyante. Toi aussi, tu marches comme un fantôme, désormais. Le flanc presque collé au sien, il le suit comme une ombre, imprime ses pas dans les siens, tous les sens aux aguets, encore frappés par cette perception inacceptable. Par ce qu'il refuse toujours d'accepter. L'innommable transformation. Je veux un nom. Il n'en démordra pas, et l'obtiendra coûte que coûte. Il devait savoir le nom de celui ou celle qui avait eu l'audace d'extraire l'essence vitale du corps d'Abel. Sans même savoir lui-même encore ce que son esprit malade envisagerait alors. La vengeance ? La destruction ? La condamnation ? Il l'ignorait. Mais l'idée l'obsédait, tandis qu'il peinait à assimiler l'information. Abel était des leurs. Il n'y aurait plus de morsure. Pas de regain de chaleur et d'humanité à son contact. A présent, ils sombreraient tous deux, et se condamneraient mutuellement. Non. Il devait y avoir un autre moyen.
Le calme et le raisonnement d'Abel ne parviennent nullement à apaiser le courroux bestial. En silence, il rumine, sur les talons du nouveau né, ses yeux observant sans voir les alentours. Cette épaisse obscurité dans laquelle ils s'enfoncent désormais, sans se soucier de l'éclairage artificiel défaillant, sans craindre pour leur sécurité. Il avait perdu l'habitude de se sentir menacé dans un lieu inconnu. L'immortalité conférait cette impression d'invulnérabilité, souvent erronée. Il n'existait aucun prédateur suprême. Chacun était tantôt proie, tantôt chasseur. Et baisser sa garde était une erreur, dans une ville où chasseurs et ennemis des CESS pullulaient.
Et rien n'endort l'ire de la créature, pas même le bruit régulier de leurs pas contre l'asphalte, pas même le silence qui les enveloppe peu à peu. Au contraire. Toute cette mécanique trop bien articulée, cette vérité innommable provoque l'enflement du sentiment d'injustice dont il ne parvient à se défaire. Il hurle soudain, dans un cri animal, hurle à la lune, de toute cette impuissance qui bouillonne en lui et achève de le tourmenter. De cette absence de contrôle sur un Destin qui sans cesse lui échappe et se rit de lui. Il tempête, extériorise dans la douleur ce sentiment de perte, de déchirure.
Peut-être que s'il le mordait… tout rentrerait dans l'ordre… Peut-être que les illusions… peut-être que les illusions le tourmentent… peut-être que ses sens le trompent. Tout ceci n'est pas réel. Tout ceci ne doit pas être réel. Le sang. Le sang réparerait l'horloge de sa réalité. Mordre. Retrouver Abel.
« Abel. Il me faut ce nom. Peu importe les conséquences qui en découleront. Je dois savoir. » Aucun argument raisonné ne s'échappe des lèvres courroucées, qui n'aspirent désormais qu'à une chose : se gorger à la source, retrouver l'ivresse des premiers instants, oublier la cruelle vérité. Ne plus être dupé par ses propres sens. Car il n'y avait pas d'autre explication. Pour détruire le mirage, il fallait rompre cette distance entre eux. Retourner à la source. Au commencement. Soudain, le pas régulier s'interrompt et les talons pivotent. Devenu prédateur, il coince l'objet de ses convoitises entre deux prunelles féroces, avant que tout le corps ne se jette contre la silhouette robuste du nouveau-né. Ses sens et sa psyché malades le trompaient peut-être, mais ses crocs rétabliraient la vérité. Et grâce à eux, il allait retrouver l'ambroisie, s'oublier à nouveau sous les saveurs interdites. S'unir par la Morsure, l'Ephémère et l'Eternel unifiés par ce trait d'union, mélange de tous ces instants brisés en un tourbillon unique. Un seul être indistinct. Ni mort ni vivant. Au-delà de ces notions humaines, trop humaines.
« Je suis navré. Mais je dois… savoir… » Savoir s'il avait été trompé par ses sens défectueux, savoir s'il était plus fou que mort, savoir si un autre démon que lui avait osé profaner l'Innocent. Alors les doigts se font griffes lorsqu'ils agrippent les vêtements souples d'Abel, les mains se font étaux lorsqu'elles empoignent l'homme par les épaules pour le repousser contre un mur de la ruelle sordide. Là où personne ne les verra. Là où personne ne les entendra. La lutte commence, tandis que l'Aîné tâche de se réapproprier ce qu'il croit sien, et les crocs se plantent dans la gorge profane, pour extraire la vérité par la perforation des chairs. Pour arracher l'information au sang vicié, à ce qui ne peut mentir.