My own personal demon
Bien loin des clichés qui viennent instantanément à l'esprit à l'évocation de ce terme, la possession représente davantage l'utilisation casuelle et opportuniste d'un individu par un démon. Insultes et gerbes de vomi verdâtre ne sont donc ici pas à l'honneur.
Lorsqu'un Prince démon a
besoin d'une enveloppe charnelle terrestre, il a le pouvoir de posséder un humain. Cela signifie que sous l'impulsion du démon, l'âme humaine s'écrase, se terre, et va jusqu'à s'effacer, incapable de résister à l'assaut d'une force aussi envahissante. Elle laisse alors tout le loisir au démon d'y prendre ses aises. Elle n'est d'ailleurs plus capable de ressentir quoique ce soit, ni de penser par elle-même. La majeure partie du temps, elle n'est que la marionnette du Mal, un corps vidé d'émotions, de songes, de cette âme humaine que les démons chérissent tant. Car en réalité,
la possession a pour finalité de corrompre une âme, plus que d'occuper un corps. L'entité cherche à noircir chaque parcelle de celui qu'elle visite, elle souille l'enveloppe qu'elle vole, afin d'abandonner un nouveau disciple lorsqu'elle le quittera. Une nouvelle âme à ajouter à celles des damnés.
Concrètement, le possédé n'est que très rarement conscient. Au début de sa possession, l'âme humaine se bat encore contre l'intrusion du Prince Démon : le possédé est encore relativement lucide, il n'est pas encore écrasé sous le poids du démon. À mesure que la possession s'allonge, il est repoussé, étouffé dans l'ombre et ses interventions ne sont plus que très rares. Décidées par le démon, qui lui octroie quelques moments de clairvoyance.
Un esprit malsain
dans un corps malsain
Les incidences de la possession sont physiques et psychologiques, et varient grandement d'un individu à un autre.
Psychologiquementla possession est tout simplement
destructrice. Si le corps n'est gravement atteint qu'au bout de plusieurs mois, il ne suffit que d'une seconde pour que l'esprit perde tous ses repères, ne se sente déjà plus seul. Plus jamais. Toujours envahi, toujours gêné par une présence, tantôt impalpable, tantôt carrément douloureuse.
Au premier abord, le possédé, lorsqu'il reprend momentanément ses esprits, ressent alors une
profonde exaltation : il est si fort, si rapide, si puissant.
Il n'est plus le même, mais en bien ; tout est faisable,
il peut tout réaliser, il peut se briser les ongles à escalader un immeuble à mains nues, réduire ses pieds en charpie à force de courir d'un bout de la ville à l'autre, et littéralement épuiser son corps à ne même plus prendre la peine de dormir. Mais
la douleur est secondaire, elle n'est que la conséquence d'une force surhumaine, d'une volonté d'acier, et d'un sentiment de domination enivrant. Oui, elle est présente. Oui, il souffre. Mais il se contrôle, il se domine –
il se pense maître de lui-même, et c'est bien le sentiment le plus fabuleux du monde.
Puis vient la fatigue. La fatigue extrême, la pire :
la fatigue morale. Une fois le corps poussé dans ses derniers retranchements, une fois passée cette inexplicable exaltation, c'est la dégringolade. C'est là que la possession débute vraiment.
Écrasé par un épuisement déplorable et démoralisant, le possédé n'est plus qu'une marionnette – alors, il va œuvrer pour l'entité qui le contrôle. Un Prince démon haineux le poussera vers une grande fureur, un Prince démon luxurieux le rendra consumé d'un plaisir insatisfait, etc. Les actions, quoiqu'il arrive, sont toujours mauvaises, voire carrément impardonnables. Vouées à servir le mal. Le but de l'entité est celui-ci : pervertir. Souiller. En réalité,
il est très difficile de saisir les contours d'une possession. Le sujet qui y est soumis agit sous l'impulsion de son démon, tout en y retirant une
jubilation intense, de courte durée. Au moment de l'acte, c'est la bonne chose, si ce n'est la meilleure, à faire. C'est ainsi que tout doit être. Une fois terminé, c'est une chute terrible qui s'annonce – le possédé se sent sale, abominable,
ignoble. Un serpent qui se mord la queue, y prend du plaisir, puis regrette. Et recommence, inlassablement.
Ces sentiments et sensations, pour autant, ne sont ressentis que lorsque le démon permet à l'humain de reprendre le contrôle de son corps. Idéalement, ce dernier resurgit quelques heures au cours d'une journée : c'est un moyen pour le Prince démon de prolonger la durée de vie de ce corps qu'il occupe. Sous l'impulsion du démon, inutile pour l'humain de se nourrir, de dormir : il ne vivrait que quelques semaines dans de telles conditions.
Si le corps est souillé, terriblement abîmé par la présence malfaisante d'un Prince démon, l'âme de l'humain est également corrompue. À tel point qu'elle peut se rompre, ne plus être capable de rejoindre le plan semi-astral ou astral ; en d'autres termes, ne pas devenir un fantôme et ne pas bénéficier du repos éternel. Alors le Démon aura triomphé. À en croire certains murmures, il se pourrait même que ce triomphe soit plus grandiose encore : si l'âme torturée ne rejoint ni le plan semi-astral ni le plan astral, elle rejoindrait le plan démoniaque, et deviendrait à son tour un démon.
Physiquementles premiers symptômes liés au sentiment de toute puissance ne sont pas particulièrement visibles. La fatigue assombrit rapidement les traits du possédé, cependant. Les autres signes physiques dépendent des sévices qu'il s'impose lui même au cours de ses exploits (blessures notamment aux mains, aux pieds, à la peau). Puisqu'il
dort très peu, son teint jaunit, ses joues et ses orbites se creusent, et les os de son visage sont plus voyants, saillants. Ce mélange jure, aux yeux des tiers, avec la forme olympique qu'il prétend avoir.
Plus tard, il sera
sujet à de nombreux malaises, et son corps sera soumis, à long terme, à une
vieillesse prématurée – de larges cernes entourent les yeux, sombre et inquiétants, et quelques rides d'épuisement se dessinent déjà ici et là. D'épaisses veines peuvent sembler prêtes à exploser près des tempes et dans le cou, elles sont bleues ou violettes,
sous une peau qui apparaît de plus en plus
translucide.
Si les semaines, voire les mois passent sans que le démon relâche son emprise sur le possédé, les marques d'une douleur interne profonde et muette seront bientôt visibles aux yeux de tous.
Ecchymoses violacées, parfois presque noires, se dessineront aléatoirement sur un corps déjà meurtri. Les lèvres sont parfois bleues, plus sombres ici et là, comme si le mal ne cherchait dorénavant plus qu'à sortir.
Plus les mois de possession s'allongent, moins le sujet a de chances de s'en sortir. Les risques de décès accroissent, et les maux sont variés, multipliés : gangrène, hémorragies, développement de pathologies auto-immunes, liquéfaction du sang, vomissements, yeux gorgés de sang et dents déchaussées ne sont que quelques exemples des incidences physiques d'une possession beaucoup trop prolongée.
L'Enfer, c'est les autres
Le sujet aura le sentiment que personne,
absolument personne ne peut le comprendre. Et pour cause, aux yeux des tiers, il semblera
simplement psychologiquement très instable, en proie à une
grave dépression. Épuisé, il se pensera fou. Quelques brefs moments de lucidité (notamment immédiatement après un méfait) lui permettront de réaliser qu'
il n'est que l'outil du mal.
Les ecchymoses, par exemple, n'apparaissent pas par magie, comme le pense le possédé.
C'est lui-même qui se les inflige, lui-même qui se cogne, se fait du mal, sans pour autant s'en rendre compte. À ses yeux, ce ne sont que les conséquences naturelles du Mal qui le ronge. Aux yeux des autres, et en réalité, c'est sa propre œuvre sur son corps meurtri.
Souvent, on le pense bon à interner, ce qui le pousse inexorablement à s'éloigner de ses proches ; il ne se rend plus au travail, et erre dans des endroits où il ne connaît personne, et dans lesquels il ne se serait jamais rendu dans d'autres conditions.
Un possédé, des possédés
Un lien obscur et inexplicable se crée entre les possédés d'une même entité, d'un même démon.
Les souvenirs se mélangent, se distordent dans une réalité altérée. Les habitudes aussi, sans qu'on s'en rende vraiment compte, mais
sans que ce soit véritablement naturel non plus. Des relations dont on rêve, des expériences passées qu'on aimerait réaliser, à nouveau, pour les ressentir plus profondément. Comme ils ont vécu,
ils voient à travers les yeux d'un autre ce qu'ils n'ont, finalement, jamais connu. Ils voient avec les yeux d'un autre, sentent à travers les doigts d'un autre, entendent avec les oreilles d'un autre. Pas eux-mêmes, mais pas véritablement un inconnu non plus – cette sensation, très difficile à cerner, ne s'appréhende réellement que lorsqu'un possédé le vit.
Pas seulement réservé aux expériences passées, les bribes d'agissements abominables éclatent dans leur esprit et, durant une seconde, ou peut-être vingt, ou cinquante,
ils ne sont plus qu'une seule et même personne. Celle qui agit. Celle qui tue, celle qui fait, sous l'impulsion de leur démon. Celle qui réalise le mal, sous les yeux de tous les autres.
C'est un
lien fondamental qui unit les possédés d'une même entité et qui remplace, d'une certaine manière, l'isolement forcé dont ils sont victimes.
Si l'entité a quitté le corps, le lien perdure – signe terrifiant que la possession ne meurt jamais vraiment.
Relations avec d'autres races
Enfin, les relations que peuvent avoir les possédés sont peu nombreuses, compte tenu de leur état, et ne concernent que quelques races : avec
Engeances, Démons, et Mages noirs, elles sont bien évidemment extrêmement malsaines, mais fréquentes. Ils entretiennent mutuellement le mal qui les ronge, et s'enfoncent peu à peu dans une spirale inextricable. Avec
Outres et arcanistes, c'est au contraire une relation salvatrice qui s'impose et paraît parfois même essentielle à la survie du possédé, qui verra quelques unes de ses blessures internes apaisées par ces derniers.