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Darkest Hour — Hena

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Anonymous
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Dim 11 Oct - 3:12 (#)


Darkest Hour
Une autre la remplacerait, qui ferait semblant d’être la même, avec des morceaux de cœur en moins et un cerveau pété en deux.


Un jour de Janvier, 2020.

Les muscles se délassent sous l’averse brutale que crachote le pommeau de douche. Le bruit blanc de l’eau s’écoulant sur elle couvre les bruits d’un appartement hanté par trois maudites dont les voix s’emmêlent à la radio tournant toujours comme un fond musical éreintant, même pour elle, adoratrice des notes couvrant le silence. Elle apprécie la chaleur qui se déverse sur sa peau dénudée, couvrant comme un voile de gouttelettes les épaules fatiguées de porter leurs fardeaux, les bras esquintés par le dur labeur que lui impose le motel, la poitrine dont les dunes enferment la blancheur d’une cicatrice rappelant sans cesse son fléau, plus grand secret que renferme ce corps meurtrier, capable du pire sans que l’on ne puisse le soupçonner. Le linceul humide rejoint la ligne creusée de la colonne vertébrale, s’étend jusqu’aux fossettes rieuses des reins pour se balader sur la croupe d’une silhouette ne cessant jamais vraiment de la tendre, jouant des œillades avides, des esprits avilis, jouer l’innocente pour charmer les coupables. Et les cuisses se voient couvertes à leur tour, pleines et plissées par les muscles trop sollicités, par la cellulite qui s’y impose et les larmes s’écoulent sur la peau jusqu’aux pieds vernis de mauve. Leur vision lui fait penser, une idée fugace, qu’il lui faudra bientôt l’effacer pour le refaire, remarquant les écailles qui laminent certains orteils. Elle cille, ses cils devenant des courbes où les gouttes glissent lascivement pour mieux se perdre sur ses joues rebondies. Il n’y a plus d’enfance sur son visage de femme et pourtant, la moue boudeuse la fait parfois ressembler à l’adolescente qu’elle a un jour été. Boudeuse mais rieuse, heureuse malgré la misère et le malheur qui tombaient sur les Sayegh, elle savait encore nourrir l’espoir d’un lendemain plus lumineux. Et le positivisme s’est évadé  pour ne laisser qu’une lassitude immense habillé de son cynisme éternel. Rire du malheur et de la fatalité pour ne pas en pleurer. Jamais. Jamais pleurer de ce qui est immuable, si ce n’est lorsque le ciel lui promet une lune pleine et menaçante, une métamorphose déchirante. Là, peut-être que l’envie de sangloter lui vient mais elle en cache l’envie dans les goulots que ses lèvres attrapent. Étioler la douleur, s’abreuver de l’aigreur pour ne pas la hurler. Mais les cris viennent, forcément. Ils viennent toujours car il n’y a pas le choix quand la Bête s’impose à elle. L’immonde Favashi a bien réussi son coup. Voilà sa maudite bien souffrante pour l’éternité.

Sa main posée à plat se crispe sur le carrelage mouillé et aux rainures parfois noircies de moisissures. La rage ne pourrait être plus forte lorsqu’elle repense à cette nuit-là, à cette fuite ensanglantée, au bruit sourd du corps de Sadia tombant à leurs pieds, à la lame léchant la douce gorge de celle qu’elle traita longtemps comme sa sœur et son égal malgré leur rivalité bien ancrée. Les mâchoires se resserrent, grincent, pleine de la rouille de sa haine et de sa frustration de ne pouvoir se venger de ce geste infâme. Et quelques fois, comme maintenant, le visage de sa mère s’impose à elle, ces quelques derniers mots murmurés l’une à l’autre, ces quelques vérités dites car il lui fallait à tout prix les déverser avant qu’elle ne meurt. Être certaine qu’un jour, un seul jour dans cette si courte vie, sa mère l’avait aimé, rien qu’un peu. La voilà à présent orpheline de mère et de réponse. Orpheline de père et d’affection qu’elle ne pourra plus chercher ni chez l’un ni chez l’autre. Il faudra souffrir, comme tant d’autres, de l’absence parentale et assurer le rôle de mère et de père pour deux femmes qui doivent se construire autant qu’elle. Leurs bavardages ne l’interpellent même plus mais le son étouffé de leurs voix la rassurent. Shreveport tremble encore de la nuit qui a vu les râles des Enfers en faire trembler plus d’un. Elle-même n’a pas échappé à la Peste noire qui s’est infiltré dans les rues bétonnées, a vu la terre vibrer de rage, d’une terreur sans limites, la ferraille des bagnoles en percuter d’autres, le Chaos s’ouvrir sur la ville comme un avant-gout d’une Apocalypse qu’elle ne pensait plus revoir en face. Mirant une paume qu’elle découvre doucement, comme une rose s’ouvrant pour offrir son cœur, elle revoit la pauvre femme que ces mêmes mains ont tentés de sauver de sa perte, son sang imbibant ses habits blancs, cruauté du destin qui la voulait habillé de pureté, semblable à cette nuit où Favashi a détruit l’Ordre. Elle cille, revoyant le doux regard d’une dame dont elle appréciait la verve et la sagesse s’éteindre, une lueur sur laquelle un souffle glacé a soupiré pour voiler les prunelles de son brouillard sépulcrale. Un adieu qu’elle n’a pu prononcer, bêtement muette face à la mort d’une aînée dont elle ne savait finalement pas grand-chose. Éteinte dans ses bras, elle a miré l’enterrement de loin, pudique et plus à l’aise de l’ombre, se rappelant de la vision du visage pâle de cette blonde à la chevelure sauvage, aux traits poupins et ayant pourtant l’air d’avoir trop vu et vécu. De loin, elle a perçut l’odeur nauséabonde de ce deuil qu’elle-même n’a jamais fait. Le deuil de ses parents, de cette mère silencieuse et qui n’a fait que la rejeter, le deuil de ses terres, le deuil d’une vie entière qu’on lui a pris pour la faire vivre au travers de la grandeur d’Hathor, déesse qu’elle pourrait parfois se risquer à haïr sans oser, de peur d’en voir le courroux lui tomber dessus. Elle n’est pas assez idiote pour mépriser l’invisible qui n’a pas à être coupable de l’idiotie de l’Homme.

« Astaad ! » Trois coups sonnent contre la porte, la sortant de ses ruminations quotidiennes. D’un sursaut, elle relève la tête vers le rideau bleuté qui la cache. Un instant, elle ne dit rien, se rendant compte que l’être entier tremble et que le souffle est court. « Oui ? Qu’est-ce qu’il y a encore ? » « Rien … Il est temps de manger. On t’attend. » La voix de Nadja, toujours un peu hésitante, est d’une douceur infinie et l’entoure d’une chaleur si familière, unique repère dans ce royaume de l’inconnu, que des larmes manquent de remonter vers les falaises de ses yeux qui se font parfois vides, où l’on pourrait se risquer à tomber et ne jamais remonter. « ... J’arrive. » Laconique et paisible, elle se décide à se sortir de cette douche qui n’appelle qu’à broyer le noir qui hante déjà sa psyché où la nuit s’est ouverte depuis bien trop longtemps. Et le soleil ne revient que dans de rares instants où la mélancolie et la colère ne la dévorent comme un cancer. Il lui faut aller quelque part de toute manière, là où la nuit doit encore briller et où il lui faut laisser pénétrer le jour, en hommage à celle qui fut une compagne chassant les mauvaises pensées.

***

L’argent cliquète entre ses doigts sonnant comme sa propre condamnation. Détonation délicate dans ce long couloir où l’on entend les télés bourdonner, où les voix ne sont que des murmures étouffés par le plâtre, où la vie se poursuit sans qu’elle ne puisse comprendre comment. Il y a à peine quelques semaines, ses mains touchaient encore la mort, à croire qu’il n’y a que ça qui soit encore attirée par elle. Attraction vivante, il semble que même à Shreveport elle ne pourra fuir l’horreur de la réalité qui n’épargne personne. Anubis frappe et arrache toutes les racines qu’elle tente de planter çà et là, ne voulant qu’offrir un cocon protecteur à ces jeunes filles qui sont devenues roseaux aux tiges prêtes à se briser et qui mériteraient bien quelques temps de tranquillité pour faire pardonner toutes les années de souffrances qui les ont vus se faire écraser par la convoitise d’un seul homme, par le fanatisme d’un peuple entier croyant voir en elles les réincarnations parfaites de ces déesses adulées par des idiots que la bêtise à mener à la mort. Serrant le poing autour des clés que cette vieille femme lui avait un jour confié, au détour de ces quelques visites qui allégeaient son quotidien de sa monotonie et y mettait bien quelques couleurs, elle oscille devant cette porte qu’elle n’ose pénétrer, craignant elle ne saurait dire quoi. Cette fois il n’y a que le sombre pour l’habiller, le cuir de sa veste gémissant dans le silence, les semelles de ses bottes crissant contre les dalles où les taches du temps s’accumulent malgré le passage de la femme de ménage, sentant encore l’odeur de la javel et du propre dans l’air. La vie a repris son cours, voguant sur les flots d’une chimère de normalité qui l’agace plus que tout. Elle ne peut ignorer que son morne quotidien qu’elle tente de faire patauger hors de la marée noire de ses soucis mystiques se voit davantage empoisonné par la laisse qui la retient à l’Église Wiccane, qu’il n’y a plus rien de banale dans cette putain de ville où ne nait que l’étrange. Elle espère pourtant vivre et se sortir de son piège le plus rapidement possible. Se baigner dans la normalité, rien qu’un instant et se dire, qu’un jour, elle aura la chance de respirer l’humanité, de pouvoir sourire et rire de s’être débarrassé de ce qui ronge ses os et son âme et voit son être entier souffrir sous le coton doucereux d’un t-shirt arborant le sigle d’un groupe qu’elle n’écoute même pas.

Sa langue flirte avec l’incisive d’une dent avant qu’elle ne s’avance, n’abdique de cette clé qu’elle tente de faire entrer dans sa fente après quelques vaines tentatives. L’angoisse et la tristesse font trembler sa main, le souvenir d’Abigaelle s’éteignant dans ses bras alors que la nuit étendait encore ses cauchemars au-dessus de leurs têtes ne la quittent pas. Se fondant dans l’ombre du chambranle, la mine se fait plus sombre, le regard s’embrume de ce lourd chagrin qui sait si bien faire trembloter les lèvres et elle aimerait pleurer cette femme qui n’a pas mérité sa mort. Les femmes de son âge devraient s’éteindre, paisibles, dans un sommeil qui ne trouve pas d’éveil. Sans souffrance, sans suffocation, sans monde s’écroulant autour d’elles. Expirant un lourd soupir imbibé de ses regrets de plombs, de sa haine en feu, de la violence ne demandant qu’à souffler tout ce qui vit encore sous son passage, elle ne s’attarde pas davantage, entrant enfin dans le sanctuaire de celle qui ne fut ni une amie ni une confidente. Abi était bien autre chose mais surtout une personne qui avait su inspirer le respect à quelqu’un qui n’en a plus pour grand monde. Les yeux s’étendent d’emblée sur la pièce plongée dans le soir quand le jour vit encore dehors. Pourquoi elle ? Pourquoi lui avoir demandé de mettre de l’ordre dans son intimité quand elle sait pourtant qu’il restait un membre vivant pour Abigaelle, capable de s’occuper de ce genre de choses ? Ce n’est pas sa place et en un instant, sa propre présence l’étrangle. La porte encore ouverte, la lumière du couloir imbibant les lieux de sa lueur blafarde, elle est une ombre à la respiration trop bruyante dans ce nid qui n’est pas le sien. Les odeurs l’agressent mais ce n’est pas la mort qui vient par ici, c’est celle de la vie qui se poursuivait, qu’elle soit vieille ou non, celle d’Abigaelle passant son temps d’une pièce à une autre, à tricoter sa vie dont elle ne sait que des morceaux. Intruse. Intruse en ce temple qui porte le nom d’une autre.

Gorge serrée, l’horreur la saisit lorsqu’elle se sent prête à laisser exploser les sanglots qu’elle n’osait pas laisser naître, avortant toute forme d’émotion concernant cette nuit infernale. Une brutale inspiration la voit relever brutalement sa main pour se bâillonner, reculant précipitamment contre la porte pour l’entendre violemment claquer, se fondant dans le noir tandis que son dos percute le plat du battant, les prunelles s’imbibant de cette pluie qui refusait de tomber. Il n’y aura plus de thé partagé, plus de conversations qu’elle se passionnait à écouter, sage comme une enfant qui aurait tant à apprendre de celle qui a plus vécue qu’elle. Il n’y aura plus de présence solide de cette femme qu’elle pensait, bêtement, immortelle. Le souffle s’éreinte, respiration sifflante, vertiges de souffrance faisant tourner le monde devant elle. Les émotions la submergent et la maison de son esprit prend doucement l’eau. Ca monte, ça monte, ça monte et bientôt ça dégueulera si elle ne fait rien.

Paniquée, elle se décale de la porte, fonce vers la première fenêtre, tire sèchement les rideaux, ouvre les volets et dévoile enfin la pureté d’un jour grisonnant mais pas moins éclatant. De ces jours où le soleil n’ose pas tellement se montrer. Laissant enfin s’envoler sa main loin de sa bouche coupable, elle respire difficilement, refusant la moindre faiblesse, ne s’autorisant pas à pleurer quiconque sous peine de ne plus savoir comment cesser. Et alors, elle s’active, passant d’une pièce à une autre, mettant sous silence les questions, les réminiscences douloureuses parce que trop tendres et trop aimées, les ruminations, tout ce qui la rappelle à cette nuit trop folle pour être décrite. La tête plongée dans un placard empli d’affaires, elle se retrouve stupidement silencieuse, lèvres entrouvertes, ne sachant que faire de tout ce qui se présente à elle. Les mèches brunes épousent un visage n’affichant que le trouble qui l’habite, creusé par l’épuisement qu’elle nie en bloc face aux remarques de Nejma, la pâleur significative sous le hâle pourtant persistant, le blanc des yeux rougis par des larmes qui ne sont venus qu’à cause de quelques bâillements qui étaient l’excuse parfaite pour laisser filer quelques filets iodés. Un autre soupir. Le silence. Et le cliquetis étrange. Toute entière, elle se fige, tend l’oreille, détournant le regard du battant de bois ouvert et des affaires de la défunte. L’aura meurtrière ne manque pas de venir repousser l’apathie, l’iris perçant le vide pour tuer le premier qui oserait pénétrer un lieu qu’il sait abandonner. Les rôdeurs sont nombreux lors des catastrophes naturelles, pillants ce qu’ils peuvent alors même que la misère étreint une ville entière. Dans la déraison du chagrin et de la fureur qui ne la quitte jamais, la Bête comme l’humaine ne voit dans ces bruits suspects que la preuve d’une intrusion interdite. Le viol d’un lieu sacré. Le venin est prêt à filer de cette bouche persiflant si souvent sa verve cassante tandis qu’elle recule de quelques pas, discrète, filant dans les pièces encore plongées dans l’obscurité, ombre parmi les ombres pour parvenir à se faire mauvaise surprise pour le ver tentant de pénétrer la pomme encore fraîche. Coulant vers le couloir, elle se terre comme le Taïpan le ferait, patiente, les dents de la clé entre ses phalanges, prête à pénétrer la caverne d’un œil ou d’une gorge pour venger celle qu’elle n’a pas su sauver et dont on oserait souiller le foyer si précieux.    


(c) corvidae
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Lun 12 Oct - 2:52 (#)

Darkest Hour — Hena Bugs-insects-drop-window

Le trousseau dans sa main comme d'autres jouent avec le plat d'une lame. L'anneau de métal flanqué autour de son doigt en bague fine, laide, le métal figé dans la paume de son poing serré, Hena longeait le trottoir en s’efforçant d'avaler le tempo douloureux de son propre pouls pris d’assaut par le rythme martelant du monde. Des portes de magasin qui s'ouvrent, les chassés croisés, le rouge, vert signalétique, d'une foule parallèle à une autre sur les touches vulgaires des passages piétons, et les dialogues, les paroles, les rires... Ecouter le monde vivre, insensible, au delà de soi, était d'une portée aussi efficace qu'une flèche transperçant sa gorge. Les sourcils froncés par ses efforts de concentration, profondément ailleurs comme si, depuis le Mall, la vie l'avait déconnectée, elle passait entre la masse des humains, la traversée hasardeuse d'une feuille morte dans une nuée d'insectes qui s'envolent, virant automatiquement de bord dès que quelqu'un, ou quelque chose, menaçait d'entrer en contact. Ce qu'il y avait de plus troublant, peut-être, c'était qu'elle ne regardait plus où elle allait mais qu'elle fixait, que ce soit les murs ou les corps, elle fixait chaque chose en mouvement avec, sur son visage, cet air impavide, absent, plus très net d'une femme qui ne sait pas faire la différence entre un polo pour femme ou pour homme, qui surnageait dans ce sweet duquel elle avait rabattu la capuche sur sa tête blonde aux cheveux littéralement mal coupés depuis qu'elle avait décidé, sous un coup de sang incompréhensible, de se munir de grands ciseaux de la cuisine pour les raccourcir, dans l'excuse qu'ils touchaient ses omoplates de façon affreuse et insupportable, qu'elle s'était échinée à terminer son oeuvre sur une ligne de blés fadasses asymétrique, au côté plus court que l'autre, ballant tristement juste au dessus de ses épaules comme des draps suspendus à une corde sèche.
Si on ne saisissait pas ce qui pouvait bien se dérouler dans son cerveau depuis, on en viendrait à penser, naturellement, qu'elle s'apprêtait à commettre un crime à coup d'attaques de clés, qu'elle irait les enfoncer dans la première trachée exposée pour fouiller dans les cordes vocales d'un monde qui ne voulait plus se la fermer, ça criait trop, ça et ses cauchemars à l'image nette d'une pellicule propre, elle, ce hall noir, tenant Sieghart alors que la destinée lui prouvait qu'il avait été fait en ce sens, pour apposer la terreur sur terre, le plafond s'était dérobé, coulant autour d'eux dans un froid vide comme un oeuf venu se briser depuis le haut de son crâne, jusqu'à glisser le long d'eux sans rien laisser en retour à ses pieds, si ce n'est la disparition entière de sa vie. Pour ceux qu'elle avait aimés et qui avaient décidé de fuir la ville, Hena avait accueilli la décision avec un douloureux sentiment d'apaisement, comme on inspire l'oxygène de ses poumons après être restée longtemps sous la surface gelé d'un lac ... les savoir ailleurs, hors de cette ville qui était le berceau d'un noeud dangereux où se mêlait toutes les entités fétides, cet"ailleurs" lui était à présent synonyme de sécurité. Mais
Mais...

Elle crispa sa mâchoire. Inlassable, ça la hantait, ça ne la lâchait plus, ni la sensation de ce démon né après avoir été étreint de ses bras, ni les délires, l'impression, surtout la nuit, assise en tailleur sur le canapé, la bouche close et le regard porté au loin, sur l'éternel canapé officié en rôle de tanière, où Hena croyait voir, nettement, l'ombre qui se mêlait dans le fond de la pièce à cette chape, noire, où elle devait l'observer, elle devait attendre un écho de réponse, Hena aurait presque pu discerner ses longs cheveux, son rire devenu absent, ses lèvres entrouvertes qui soufflaient : pourquoi.

La renarde sursauta. Avec une rapidité un peu hallucinante, elle effectua un arc de cercle pour éviter le piéton venu en sens inverse, qu'elle n'avait pas vu. Celui-ci la regarda, éberlué, alors qu'elle levait ses mains en reculant lentement. Tête baissée, qui se mit à tourner, encore, comme à chaque fois que ça lui revenait, mordue par le mal et par autre chose, autre chose. Dans un souffle un peu court, elle reprit sa route, les yeux rivés sur les pavés.
Ne plus penser, juste marcher... juste tracer, comme un esprit qui n'existe plus que pour un seul but, un but qui n'était pas de vivre, ni même de survivre, mais de méticuleusement user de la destruction qui aimait la poursuivre. Sans se donner la peine de relever le nez, reconnaissant les lieux, sa main forma le code, le même code, elle monta les escaliers deux à deux, à côté de la rampe qui lui rappelait ses premières réticences, et un sourire radieux.
Arrivée sur le pas de la porte. Expiration décontenancée au moment de rentrer la clé.
C'était déjà ouvert. Hena resta immobile, interdite. Avec lenteur, elle leva les yeux vers le plafond, observant les moulures de mauvais goût qu'elle avait pensé, fut un temps, si différentes de ses planches de bois authentique.
Patiente, elle passa son pied à travers l'embrasure. Le coeur imprimé d'un poids qu'elle se délesta avec déni en même temps qu'elle ôtait le sac à dos de son épaule... elle écouta le silence, et le tintement inévitable des clés qu'elle posa sur le meuble de l'entrée.
Elle attendit la panique, initiant le mécanisme de cette fuite qui avait été son credo depuis de si longues années. Mais rien. A sa place, toujours ce vide muni de cris, cette rage comprimée à l'extrême au point qu'Hena ne savait plus comment faire en situation de danger pour éprouver autre chose. Il ne restait plus que la douleur, fantôme, latente, accrochée comme les dents aiguisées d'un ver d'eau qui vivait de la décomposition de son habitat.

Dans le silence âpre, elle laissa son regard glisser sur une évidence de plus, après la porte, celle des volets ouverts. Elle se surprit à sentir ses muscles se préparer à un assaut, vestige du long passé, quand son père lui montrait comment faire pour frapper, parer, renvoyer, encore. Son visage, lui, se tendit presque avec intérêt en direction du noir profond. Une nouvelle fois, elle devait poser les yeux sur le néant duquel naissait tous ses fantômes. Son corps entier se pencha en avant comme pour écouter la respiration des monstres qui se cachaient du jour... Elle fit un seul pas, se donnant le temps d'attendre la réaction de l'autre. Elle entendit sa respiration. Elle discerna son parfum. Soixante dix années à courir. Qu'elle bouge, pensa vivement Hena, qu'elle ne fasse qu'un seul petit foutu mouvement.
Elle ne sut comment. Elle sentit, juste. L'amorce de ses doigts fins, de sa silhouette galbée et étrangement magnifique qui décorait le noir. Ca apposa un coup de départ chez Hena qui s'élança sans prévenir. Pareil à un renard qui bondir sur ce qui se glisse au sol. Dans un éclat de respiration coupée, elle s'écrasa sur elle, la plaqua brusquement, contre elle et le mur. Sa main l'attrapa trop fort, tapa son crâne contre la cloison. Index et pouce serrant terriblement fort sous sa mâchoire, ses sens bouillonnant, son besoin irrépressible de faire payer à quiconque, n'importe qui, cette haine retournant sa cervelle, ses yeux grands ouverts, devenus jaunes pour mieux voir, son souffle étonnant emballé et malgré tout, sans trop savoir comment, la surprise de ressentir comme une similitude, dans cet autre souffle qui cognait près du sien.

— Si tu bouges, je sais pas ce que je te fais, mais rien de bien. lui murmura-t-elle. Sans lui donner le temps de répliquer elle fouilla mécaniquement de sa main libre sous les habits de la femme, ne se formalisant pas à des attentes pudiques de la part de l'autre, bien longtemps qu'Hena ne chérissait pas la chair pour ce qu'elle promettait aux humains. Paume froide plaquée, glissée par un élan plutôt expert, contre sa côte gauche où elle discerna ce qui s'exprimait, un coeur, elle resta un peu interloquée à ne trouver aucune arme, prête malgré tout à lui briser les côtes si celle-ci tentait une riposte.

— Qu'est-ce que tu fais chez moi ? Comment tu es rentrée ? Sa voix était un peu éraillée, plus trop habituée à former des questions normales.

Dans la pénombre qui les nimbait, comme toutes les deux tombées dans la désuétude des espaces sans lumière que les hommes cherchent à fuir, Hena laissa son bras se faire dévorer par les abysses pour mieux lever sa main, redresser, dans le prolongement de ce mouvement méticuleux de lenteur, le visage de l'intruse, sans faire mal, cette fois, assez, juste assez pour plonger ses yeux de renarde dans ceux de jade.
Lire sans avoir à parler.
Trop trahie par les mensonges, pour vouloir uniquement écouter avec les mots. Ce qu'elle formula, c'était l'animal qui le prononçait.

— Tu es qui ?
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Lun 9 Nov - 4:22 (#)


Darkest Hour
Une autre la remplacerait, qui ferait semblant d’être la même, avec des morceaux de cœur en moins et un cerveau pété en deux.


Elle repense à Nadja. Nadja qui lui murmurait de ce ton hanté par cette ignoble tristesse et cette apathie si prompt au deuil et à la vague de désespoir qui vient après une mort soudaine « Comment fait-on ? Comment fait-on pour se remettre du départ de quelqu’un qui n’a pas dit au revoir ? » Et tout ce qu’elle avait pu lui offrir n’était même pas des mots car qu’y avait-il à répondre à une telle question, inspirée par ce mélange de déni, d’irréalisme lourd, de choc où le corps ne pouvait pas réceptionner tout le béton de chagrin qui venait après une mort soudaine. Sa mère s’était jetée du haut d’un immeuble, la chute n’avait pas compté, l’atterrissage, lui, avait atteint les passants et la défunte avait laissé une enfant et un père esseulé, sans un mot. Alors elle n’avait pu que l’étreindre, que la laisser étouffer ses sanglots mêler à des hurlements du ventre, des véritables sanglots du cœur venus d’ailleurs, de plaies suintantes qu’il faut laisser sortir absolument, de toute cette souffrance accumulée. Oui, elle n’avait pu que faire ça pour elle et lui offrir un brin d’amour maladroit car les pleurs n’ont jamais su que la mettre mal à l’aise, unique émotion à laquelle elle ne sait faire face correctement, peu vaillante face à l’humanité plissée de tristesse. Là, le courage l’abandonne bien souvent et elle ne peut que rester stupidement muette, incapable de savoir quels mots seront les bons pour apaiser des douleurs insoutenables car elle-même ne supporterait que peu les « ils ne souffrent plus », les « ils ne sont peut-être pas morts », les « toutes mes condoléances » qui n’atteignent pas son armure faite pour la tenir debout à l’idée même que sa mère et son père, aussi peu aimants qu’ils aient pu être, aient péris lors du putsch orchestré par Favashi. Le feu les a-t-il pris au piège ? Sa mère a-t-elle pris une balle ou s’est-elle faite détruire par la magie pourpre de la chaman de l’Ordre ? Elle l’ignore et ne veut pas y penser, se refuse à penser à ce passé qui lui colle pourtant à la rétine, qui inspire chacun de ses actes ici bas, Shreveport étant pourtant à des milliers de kilomètres de son Caire. Fille de pécheurs et fille de plus rien, fille du vide, fille sans attache, fille qui avait trouvé en Abigaelle un léger pilier, des conversations apaisantes, des biscuits peut-être un peu sec mais qui n’avait rien à jalouser au makrout de chez elle, bon à se briser les dents à chaque bouchée. Quelques rires bien rares et surtout des questions qu’elle n’osait pas poser. L’aïeule semblait cacher bien des choses, parlant de sa petite fille avec un amour sincère mais sans jamais tout à fait entrer dans les détails.

Elle n’a deviné son existence qu’à cet enterrement perçu de loin, spectatrice drapée d’un noir d’encre, le vent sifflant sur cette journée insipide, mirant Hena de bien loin, pleurant pour cette femme qu’elle n’a pas su sauver, pleurant ce qui, toujours, périt sous ses doigts. Peut-être un ajout à sa malédiction. Et dans les ombres, le reptile et la femme s’engoncent, sans percevoir que deux animaux féroces et meurtriers, sauvages et avides, saignant de peine, se tournent autour. Elle glisse dans la pénombre, tend l’oreille peu efficace sous cette forme, le serpent presque sourd, l’ouïe ne se dirigeant que dans les vibrations du sol et sous ses semelles, les pas bruissent, le parquet gémit et les souffles s’emmêlent à distance. Un flottement et les deux louves se préparent à l’assaut mais la jeune maudite ne pourrait parer l’impact qui vient, sentant venir la menace, fondant sur elle comme une ombre puissante. Le bruit sourd de leurs corps percutant le plâtre et l'impact lui coupe presque le souffle, un râle étouffé venant faire sonner la peine qu’elle lui crée, ses prunelles vipérines ayant bien le temps de cerner l’animal faite humaine, la douleur hurlant à l’arrière de sa tête ne manquant pas de troubler sa vision pendant un instant avant que l’odeur ne lui vienne, parfum d’ailleurs et que les traits auréolés de cette blondeur pleines de vagues, de boucles ne lui fassent face. Silhouette prostrée sous un ciel gris. Je me souviens de toi.

L’instinct de survie la pousse à saisir le poignet coupable entre ses doigts puissants mais à ne pas en faire davantage, sifflant entre ses dents aussi sûrement que le reptile glissant sous sa peau, crachant férocement sur le bout de femme venant de la percuter aussi sûrement que la ferraille viendrait s’écraser contre un poteau, roulant contre un mur. La collision fait hurler son crâne, son dos, le cœur battant à une vitesse bien folle sous la chemise. La mâchoire scellée par la force inhumaine, elle cille, l’observant de sous ses paupières basses, voyant le jaune qui n’a rien de normal. Et le choc se mêle à la tristesse de voir la petite fille d’Abigaelle la rencontrer en ces circonstances, la pensant intruse. Certainement qu’elle l’est. Qu’a-t-elle à faire ici ? Pourquoi a-t-elle décidé de suivre les dernières paroles d’une mourante qui avait pourtant une dernière proche à qui confier les papelards à ranger, les affaires à vendre ou donner ? Pourquoi ? Un souffle se brise hors de ses lèvres alors qu’elle se fait muette, se reconnaissant bien trop dans cette agressivité qu’aucun mot ne pourrait apaiser. Il faut faire mal. Faire mal à tout prix et elle sera alors sa cible. Un frisson longe sa peau au sang froid là où les phalanges glacées glissent, guettant une arme, une lame, qu’elle n’a pas sur elle. « J’te ferai rien … » murmure-t-elle entre ses dents serrées, ne pouvant s’empêcher de vouloir rassurer la souffrante.

Ses questions manquent de faire revenir d’autres larmes qu’elle ne s’autorise pas, jamais. Le corps hanté par de soudain tremblements qui ne sont que le résultat de tout son propre deuil retenu et non fait, du choc, de la froideur du corps de la grand-mère sous ses bras, du sang ayant souillé son visage et ses doigts, elle susurre dans le secret que crée leurs deux visages dans ces ombres qui les couvrent du monde continuant de tourner malgré la mort. Le Taïpan ne l’’aime pas, gronde sous l’enfer de sa gorge, ses gencives grinçant sous l’assaut de l’ivoire voulant se laisser couler hors de la chair, la rouille menaçant de noyer sa bouche qui s’entrouvre « Abigaelle. Elle … Elle m’a donné les clés y’a un moment. Elles sont dans ma main gauche si tu les veux. » La dent de la clé prête à fendre un œil encore entre ses phalanges. L’histoire est si longue avant l’abandon de ces clés dans sa paume. Pantin sous la coupe d’une main souveraine, elle se laisse faire, guider, observant ces prunelles qui n’ont rien d’humaine, n’osant croire qu’elle fait face à une maudite, ne connaissant rien du monde mystique, restant bêtement silencieuse face à cette ultime question qui menace de faire naître un rire nerveux, désespéré, de ceux qui oscillent entre sanglots et hurlements. Elle aimerait lui dire qu’elle ne sait pas encore qui elle est, qu’elle n’’a longtemps été personne, que pour sa propre mère elle n’était que du bétail auquel il fallait bien donner un nom. Un joli nom. Un nom trop prononcé. « Astaad. Mais ça doit rien t’dire. Abi avait pas de raison de t’parler de moi. » Sa Bête grogne face à la sienne, la conspue pour ce qu’elle, sentant l’âme qui n’est pas ordinaire, sifflant, menaçant de déverser son venin dans le corps frêle qui l’a pourtant attaqué. Ses phalanges entourent toujours le poignet de porcelaine abritant une force que seules les arcanes peuvent donner. Elle soupire, ordonnant à la Bête de ne pas venir, pas maintenant, de ne pas la transformer en chimère sous les yeux de celle qui est le seul lien qu’elle aura encore avec celle qui apaisait certaines de ses après-midis. Et des falaises où le vide se crée parfois son nid, l’iode rampe aussi sûrement que le sang viendrait longer une plaie, une larme abdiquant dans le vide et sur une joue tandis qu’elle fixe le faciès de cette sauvageonne qui lui donne soudainement l’envie de desserrer lentement sa poigne pour que le pouce apaise elle ne sait quoi contre l’intérieur du poignet veiné, caresse étrange, née de l'instinct primaire. « J’ai pas … J’ai pas réussi à la sauver. » Une inspiration tremblante, elle se retient de hurler une douleur ancestrale, un cri qui en dirait bien plus qu’elle ne voudrait, le souffle coupé, s’appuyant contre le mur malgré le corps intrus contre le sien et elle n’’y a qu’à peine quelques larmes qui abdiquent alors qu’elle avoue son crime, l'esprit revenant au soir du chaos, hantée malgré elle, comme sa voix « J’suis arrivée trop tard, Hena… » Son prénom soufflé comme une confidence étrange sur sa langue, de son accent d’ailleurs, bouleversant le silence qui les enrobe, prononcé comme si elles se connaissaient, liées fatalement par la mort. Et les yeux hurlent de lui pardonner son erreur, de lui pardonner l’impardonnable comme si c’était elle qui avait mené la vieille femme à l’abattoir, comme si elle méritait bien d’être châtié pour son incapacité à sauver ceux qu’elle a le malheur d’apprécier et d’aimer.  


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Lun 23 Nov - 3:07 (#)

Elle était repliée, pareille à un animal malade. Le dos courbé, les cheveux qui choient sur les épaules, humides du temps qu'il faisait dehors, froids comme son visage qui détaille. Son souffle minutieux, ses prunelles jaunes fixées sur le trajet qui terminait par une silhouette qu'Hena avait du mal à deviner. Ses instincts étaient en vrac, ses questions délayées dans son état. Pour tout remettre ensemble, elle aurait dû penser plus correctement, ses lèvres s'entrouvrirent, à peine, pour répéter ce qu'elle lui avait dit.
"Tu me feras rien..."

Les sourcils froncés, il fallut qu'elle entende, après quoi, le nom d'Abigäelle dans la bouche de l'autre, pour que, figée, son regard doré s'ouvre grand comme un soleil strié par la nuit, que l'instinct d'attaque -et peut-être d'une vengeance aveugle- se noie dans la stupeur. Ses doigts desserrèrent la mâchoire de l'autre qui sembla mener les rênes, maintenant qu'Hena se laissa tenir par ces phalanges graciles autour de son poignet maigre.

Elle m’a donné les clés y’a un moment. Elles sont dans ma main gauche si tu les veux.

Non. La réponse ne vint pas de sa bouche à elle, mais de son corps entier qui resta à sa place, sans rien attraper. Hena connaissait sa grand-mère, en partie trop éloignée d'elle, depuis toujours, car plus souvent proche des autres. Elle l'écouta comme juste bonne à ne faire que ça. Autour d'elle le manque de lumière, qui ne lui causait normalement aucun problème, lui sembla tout à coup aussi pesant que le silence qui s'y jouxtait.

Astaad.
Son nom à elle.
Abi ? Hena tiqua. Sur plusieurs choses à la fois. Comme si l'inconnue s'amusait à la toucher longtemps, cette proximité imposée par une personne qui aurait partagé un lien qu'Hena ne savait pas même partagé. Elle se retrouvait conne., sentant cette beauté étrange lui offrir une caresse au creux de son poignet, lui arrachant un frisson incompréhensible, qu'elle ne savait être de sidération ou de révulsion.

Chez elle, ce que le gouffre de son propre corps n'avait plus en réserve : la peine, tandis que celle-ci lui disait "J'ai pas réussi à la sauver." laissant le souffle d'Hena en mauvais suspend alors qu'elle s'efforçait de prononcer mais ne fit que balbutier à demie voix "—qu'est-ce que... ?" Il lui semblait vraiment que ça tournait. Qu'elle se mettait à halluciner, que la projection d'une sorte de déesse ayant eu pitié de son corps efflanqué, ses cheveux informes et son visage hâve, vienne lui rappeler qu'avant de mourir sa grand-mère s'était retrouvée seule, sans sa petite fille, que la seule âme charitable veillant sur son départ était de celle belle qui se retrouvait maintenant en pleurs de n'avoir pu faire plus pour la sauver... A sa propre surprise, sous la tristesse de l'autre, Hena fut agitée d'un bref gloussement, tirant vers les sonorités de l'incompréhension.

D'une traite, elle s'extirpa de ces doigts. Le souffle emballé, elle fit l'effort de dégager ses cheveux autour de son visage moite, se tourna sur le côté sous une plainte de réelle fatigue, pour venir s'adosser à son tour contre le mur. Tâchant de réguler sa respiration, épaule contre son épaule à elle, elle rabaissa ses paupières, jura — Aaah merde...

Juste quelques secondes de silence supplémentaire, dans le besoin de calmer ses nerfs, ré-alimenter ses poumons qui avaient du mal à faire correctement leur job. Hena laissa son visage rouler sur le côté, sa tempe se reposer contre le pan de la cloison blanche, froide, détailler ce visage gracieux, qu'elle n'avait jamais vu de sa vie.

— J'étais à deux doigts de te casser la gueule...

Elle lui offrit un sourire malheureux, parce que ça n'avait tellement rien de marrant. Dans l'ombre voûtée de la longue pièce, Hena se surprit à penser que tout aurait été plus simple, tellement plus simple, si Abigaëlle avait eu cette jeune femme comme petite fille, et qu'Hena n'avait été qu'une inconnue. Reposée contre le mur, animal terrassé par une trop longue course, celle de la vie qui dure assez pour voir les autres s'éteindre, elle ne posa sa question que d'une voix ternie, sans peine, celle-ci loin partie, loin, envolée en même temps qu'une multitude d'esprits qu'elle avait profondément aimés.

— ....tu es l'une d'entre nous ?

Ses prunelles n'avaient pas quitté leur couleur, un aspect perturbant pour quiconque n'était pas habitué, mais cette femme ne s'était pas emballée, et Hena s'était heurtée à la puissance de ses gestes retours... Dans un soupir, il lui fallut refermer les yeux. Elle se sentait mal d'un rien, avait la nausée à la seule pensée qu'une autre semblable devrait se malmener dans cette ville maudite, pile poil dans l'appart de sa grand-mère.

— Comment elle est morte  ? Tout le malheur ancré chez Astaad ne se reflétait pas dans les mots d'Hena, terriblement vide d'émotions trop lénifiantes, tels que le regret ou la tristesse. Elle l'avait soufflé les yeux toujours clos, en partie pour ne pas la bousculer, mais aussi comme si quelqu'un d'autre s'était décidé à poser la question à travers elle... Hena était à des années lumière de son état normal, la rencontre là, maintenant, cette Astaad ne devait pas être née sous la meilleure des étoiles.
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Mar 16 Mar - 0:42 (#)


Darkest Hour
Une autre la remplacerait, qui ferait semblant d’être la même, avec des morceaux de cœur en moins et un cerveau pété en deux.


La violence suppure des pores des deux créatures qui se singent dans l’errance de ce minuscule couloir où la chaleur les étouffe. Prise au piège de la violence qui ne correspond en rien à la fine silhouette qu’elle a face à elle, elle découvre toute la hargne dont est capable un être qui gravite dans le même monde qu’elle. Les traits lui apparaissent ingrats comme félins, pâle aux boucles caressant un visage d’angelot perdu. Dans les ombres, la haute silhouette ne fait pas le poids face à l’âge bien avancé de la femme qui demande silencieusement l’affrontement, grognant comme une louve prête à dévorer le reptile qui ose pénétrer son nid. Et elle ne prévoit pas les sanglots qui viennent, désarmée face à sa petitesse, à son être faillible qui sent encore la mort glisser entre ses doigts. Combien de bombes ont explosé près d’elle ? Combien de corps a-t-elle vu pour en raconter des histoires glauques à faire pâlir les plus sensibles ? Elle a vu la mort de face bien trop de fois, elle a vu la mort et la haine emmêlées dans le visage de Favashi qui trancha la gorge de sa sœur de cœur si précieuse, lui arrachant un bout d’âme avant la grande fuite, l’exode de trois fuyantes atteinte par la paranoïa d’être poursuivie par les yeux de la secte qu’elles venaient de quitter, bouts essentiels de ce grand arbre de vie au pied duquel elle vit s’éteindre bien des gens, des innocents trop perdus pour ne pas comprendre que Youssef les avait amenés à la perdition depuis longtemps déjà. Ses yeux racontent bien des dommages, cimetières ensanglantés tiraillent le myocarde et amenant avec lui les salves de sanglots venant pénétrer les rivages de ses yeux pour ne plus avoir à ressentir ce poids de plomb, d’un noir profond, dans sa poitrine charcutée. Elle pria, ce soir-là, pour cette ancêtre qui s’éteignit laissant derrière elle cette femme qui lui fait face et lui grogne à la gueule. Elle pourrait siffler, et siffler encore mais elle doute que l’animal faite humaine ne puisse la fuir tant la rage semble l’habiter, engoncée dans un linceul de deuil qu’elle peut comprendre sans vraiment pouvoir le faire. Ce n’est pas un bout de sa famille qu’elle a perdu, c’est une connaissance bien douce auprès de la quelle elle venait se réfugier, tentant vainement d’oublier son existence morne et grisonnante, qu’elle tente de rendre la plus colorée possible. Elle sourit et riait des histoires qui se racontaient dans un coin de la pièce, voyait en elle la mère délaissée derrière elle, ce que sa mère aurait pu être si elle n’était pas si encline à la mépriser. Ses derniers mots pour elle résonnent toujours comme la pire des sentences. Elle parle trop, elle en dit trop et voilà qu’elle avoue qu’elle fut témoin de la perte de l’être cher, de la propriétaire de ce lieu honni, délivré d’une belle âme.

Sans chercher à effacer les stigmates de sa piètre tristesse, elle demeure immobile et le regard rivé au mur d’en face quand elle s’éloigne, quand elle s’avachit près d’elle, n’entendant que ce rire étrange venu percer les murmures de ses pleurs. Leurs épaules se fondent l’une contre l’autre et les voilà, deux belles ombres aux formes originales dans une presque nuit qui n’est pas, enfoncé dans la veine noire des ombres du couloir qui laisse résonner leurs souffles. Détournant le visage, elle parvient enfin à élever sa main pour gommer les traces de sanglots dont elle a déjà honte, refusant de faiblir face à la nymphe à la puissance de titan. Sa tête laisse entendre un bruit sourd quand elle retombe contre le plâtre, voyant au travers des mèches sombres qui auréolent son visage celui de l’ennemie qui lève un drapeau blanc, observant ses mots dans un bref silence avant de souffler un rire qui n’a rien de joyeux, un rire sec, déserté par le bonheur, les yeux éclatés par l’absence de sentiments lumineux, voyant dans la figure pâle quelque chose qui lui ressemble mais qui n’est pas de son monde non plus, une insaisissable poésie dont les rimes et les vers ne veulent rien dire pour elle en cet instant, si ce n’est qu’ils reflètent le deuil, la douleur de la perte, l’errance qui vient après celle-ci. « T’aurais pas été la première et j’aurais fait pareil en trouvant une inconnue chez une de mes proches. » Son poing se desserre lentement autour des clés qui lui servaient d’arme de fortune mais la tension peine à quitter ses veines, ses muscles, sa carrure plus élancée que celle qui se dépose à ses côtés, fantôme, contemplant les vestiges délaissés par Abigaelle qui ne pensait peut-être pas mourir si tôt, ni de cette façon aussi sordide qu’aléatoire. Les regards s’enfilent et ne se délient pas, comme pour se mirer avec une méfiance plus rentrée, ne pas céder à un calme total. Elle ne peut se le permettre, qui sait ce qui abrite cette peau qu’elle a senti chaude, cette poigne loin d’être simplement humaine ? Elle ignore ce qu’elle est mais le jour est levée et peut-être n’est-elle pas de ceux qu’elle aimerait terrasser violemment d’un coup de fusil. La question fait se stopper un instant la compression de sa poitrine paniquée, sa respiration ravalée, ses yeux s’écarquillant presque sous cette question dite sur le ton morne d’une jeune fille qui aurait trop vu et trop vécu, d’un ton de vieille femme, d’une sagesse étrange. Là, dans le noir, elle expire un rire, un autre, pleine de nervosité, secouant la tête, ses cheveux balayant sa nuque au fil de ses mouvements qui ravagent son immobilité. « J’en sais rien. C’est quoi nous ? » Elle joue l’ignorante mais soupire, abaissant la tête en signant sa défaite, la ligne de sa mâchoire crispée laissant voir toute la rage qui peine à la quitte, les bords de ses yeux maculés de cette irritation tragique. « Toi, t’es quoi au juste ? » Elle ne répondra pas franchement, elle n’avouera qu’à demi-mots qu’elle n’est pas humaine, qu’elle ne l’est plus sincèrement, qu’elle aimerait arracher ce reptile de sous sa peau, qui hante ses veines et crée sa déveine lorsque la lune s’arrondit pleinement.

Deux femmes lasses, l’une portant le poids de trop de vies quand l’autre tente de porter une unique existence d’une trentaine d’années seulement, semblant pourtant en avoir vécu bien plus, le cœur corné par la vie de courtisane condamnée qu’elle dû accepter, vivant sous la coupole d’un prince arabe qui voulu faire d’elle un sacrifice, ne s’autorisant qu’à peine à vivre pleinement et à présent, libre, elle ne l’est plus vraiment, enchaîné à la promesse d’entraîner un sorcier dans la défaite, dans les eaux noires à ses côtés. Elle le noiera bien un jour mais la voilà épuisée de combattre, s’affaissant davantage sur le mur comme prête à glisser contre le sol, repoussant nerveusement les cheveux lui tombant sur le visage, laissant cliqueter les clés qui pendent encore à ses doigts froids. Car le froid ne la quitte jamais. Car tout est d’une froideur effrayante, comme si la mort avait percé une plaie pour trouver refuge dans son corps mausolée. La question la sort de sa transe, ses paupières prêtes à se fermer se redressant bien vivement, se figeant, ramenée à ce soir glacé, à cette nuit destructrice où tant d’hommes, de femmes et d’enfants périrent contre l’obole de la magie. « Tu veux pas savoir. » Les yeux plantés dans le sol, elle voit le cadavre se vidant de son sang, les plaies multiples, la déraison de l’horreur face à ses prunelles qui avaient pourtant vu des corps calcinés dans son Caire, au sein de sa prison que l’on appelait Temple. Elle voulait croire, encore, qu’elle était capable de supporter de voir la mort mais se rend bien compte que peu importe le nombre de cadavres que l’on voit tomber, que l’on tient ou non, on ne s’y habitue jamais. Ses lèvres esquissent un sourire crispé, retenant son chagrin, le muselant comme elle le peut « Elle est pas morte en paix, c’est tout c’que j’peux t’dire. » Voix blasée, comme si rien ne l’atteignait, elle pare sa voix d’une armure d’acier pour qu’elle ne trembler pas. Et elle aurait dû se taire, certainement mais ne peut lui offrir que ça, que cette sombre vérité. « T’as vécu c’te nuit comme nous, non ? T’as vu l’bordel que c’était ? Alors y’a pas b’soin de te torturer davantage avec des descriptions glauques. Et le bâtard qui a osé la toucher est mort, lui aussi. » Une annonce froide, rigide, sans âme. Aucun regret dans le regard, elle le détourne enfin vers elle, attrapant le bras bien fin mais capable de l’étrangler sans peine pour déposer dans sa paume les clés qui sonnèrent son entrée dans le monde défunt de l’absente. « Tiens, c’est plus à moi d’les avoir maintenant. » Sa paume glisse jusqu'au poignet et phalange après phalange, elle la délaisse enfin, ne supportant pas le contact prolongé avec un hôte étranger. Elle lui fait face, s’égare à observer les pièces plongées dans la presqu’ombre sans savoir s’il est possible de rester désormais. « Je voulais … Je voulais ranger ses affaires, c’est tout. J’peux l’faire si tu m’y autorises sinon … J’peux m’tirer. » Elle la fixe, la met presque au défi de l’arracher au sol et de la foutre sur le perron, lui claquant la porte au nez, la laissant à sa piètre existence. « Mais j’peux t’aider, si tu me laisses faire. T’as pas l’air dans l’meilleur des états de toute façon. » Qui pourrait l’être après ces jours qui ont suivis l’entrée de l’Enfer à Shreveport ? Qui pourrait bien songer à rire et sourire si ce n’est ceux qui ne sont pas comme elles, capables de surpasser leur douleur, ayant bien vu que tous n’avaient pas retenus les mêmes choses qu’elle, ne comprenant que peu que la vie reprenne son cours quand tant de gens ont péris ? Alors elle s’immobilise, elle ne bouge pas et laisse le choix à celle qui à tout revient, digne héritière de l’aînée défunte, éteinte mais qu’elles ne pourront pas oublier.


(c) corvidae
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Ven 30 Avr - 22:04 (#)

Ca lui avait presque manqué de tomber sur un semblable au détour d'un virage non calculé. C'était comme si sa grand-mère était encore là et qu'elle avait insufflé toute son intimidante aura auprès des anges afin que ceux-ci, forcément désemparés, optent pour que le destin arrête d'être une salope le temps d'un court instant et provoque cette rencontre dans cet appartement. Hena le saisissait, ça aurait été d'un lugubre trop lourd pour qu'elle le supporte assez longtemps : alors le tri des affaires se serait accumulé sur des mois, victimes d'abandon, elles auraient fini par être jetées, sans aucun doute, ou laissées au triste sort de l'inertie qu'engeance une prochaine catastrophe - c'est qu'Hena ne s'offrait pas des hautes probabilités de survie sur la décennie à venir. Si l'autre paraissait encore sur ses gardes, Hena en eut terminé avec ses menaces. Adossée contre le mur auprès de l'inconnue, elle l'écoutait, impavide.

C'est qui, nous ?

Ce qui aurait prêté à la faire rire, la laissa interdite. C'est qu'elle ne savait plus trop. Son esprit n'en faisait qu'à sa tête. Elle se refusait à se transformer si ça n'était pas pour une séance vitale qui lu permettrait de rester suffisamment debout, lucide. Jamais encore elle n'aurait pensé que renier cette essence d'elle-même puisse l'affecter autant sur le plan mental et physique ; pourtant, il lui arrivait de penser qu'elle pouvait à présenter arracher la nuque de n'importe quel inconnu, cette jeune femme y compris, sans en ressentir la moindre émotion. Vidée.

— J'étais une renarde. Le genre à être en paix avec la lune.

Elle ne craignait plus, de dire, mais ne voulait plus impliquer la nature. Employer le passé calmait son dégout de soi.

Quand la jeune femme s'engagea sur la mort d'Abigaëlle, Hena resta les sourcils froncés, oubliant les mots suivants de sa voisine dont la teneur se trouva dans le geste qu'elle entreprit pour lui rendre les clés. Hena, d'un mouvement absent de la main, n'y répondit que par un retour, sans un mot : elle rattrapa la paume de sa voisine pour y reposer le trousseau, lui lançant un coup d'oeil furtif, prunelle encore parsemée des éclats dorés du carnivore.

— Garde. Ne me rends pas.

Si difficile, de parler, alors qu'elle procédait à des souvenirs troubles. Abigaëlle prêtait rarement, elle donnait accès à son appartement, au cottage d'Egegik, c'était un peu tout ou rien, ça avait toujours été de la sorte.

Alors que l'autre expliquait les intentions polies de sa venue, Hena se releva en silence. Elle alla vers la commode de l'entrée pour fouiller dans le premier tiroir, en ressortir ce qu'elle avait absolument délaissé depuis son retour à une pseudo réalité : un briquet, un paquet de cigarettes. Une seule tige y demeurait dans le paquet, soldat rouillé dans le vide, qu'Hena libéra de son carcan, coinça entre ses dents.

— La fumée, te dérange pas ? qu'elle dit, insensible à son manque de tact, à ses brusques changements d'attitude. Tirant une taffe, elle se permit de fermer les yeux. Elle voulait discerner la respiration de l'autre dans le silence, s'empeigner des abysses du couloir, de cette palpabilité de l'absence. Inspirant la fumée pour mieux la recracher avec lenteur, au dessus de sa tête, le nez levé vers le plafond sombre, elle trouva opportun de formuler la réponse logique qui lui venait à présent.

— Tu devrais le garder.

Elle rabaissa la tête, retourna son visage vers la brune aux airs sauvages, sur ses gardes, dont Hena n'arrivait pas à décéler à quel animal ils se rattachaient.

— L'appartement. Il devrait te revenir.

Sourire contrit, sorte de grimace de renarde. Ses prunelles avaient repris leur couleur bleu d'origine. Maintenant qu'elle y pensait, c'était sans doute l'une des rares et dernières fois qu'elle foutait les pieds ici. Aussitôt après, Hena se dirigea vers la pièce à vivre qui s'ouvrait sur le couloir, baignait d'une lumière plus franche à travers la fenêtre aux rideaux ouverts. Elle attrapa le cendrier posé sur la table, propre comme jamais servi: il n'y avait jamais eu qu'Hena pour l'utiliser.

— Je ne traine pas les affaires derrière moi. Tu peux les laisser, les prendre, les trier. Si ma grand-mère t'a donné ces clés, c'est qu'elle avait deviné. Elle avait deviné...

La suite s'étiola alors qu'Hena restait là, poignet au dessus du cendrier, à tâcher de formuler ce qui n'était pas si évident à dire, car un monceau de Dell City, sorte de prisme tremblotant, lui revenait, où sa grand-mère, sa mère, son frère, étaient encore en vie. De l'imaginer, c'était de se voir comme au dessus de son propre cercueil. Elle était morte, par corrélation, cette partie d'elle, enterrée, disparue. Le souffle de sa respiration se perdit, la fumée stagna au niveau de sa vue, lente à s'évaporer, à cause de la poussière chargée dans l'air.

— Je ne veux pas savoir lâcha-t-elle, hors propos.

Elle finit par agiter la cigarette, rajouter de la cendre sur le verre.

— Je ne veux pas savoir comment elle est morte, mais j'ai besoin de le savoir. S'il te plait.

Elle savait que sa voisine était toujours derrière elle, cernée par la peine et la douleur. Mais tout comme la mort atroce de Jarod lui avait fait l'effet d'une balle dans le crâne, ne jamais savoir ce qui lui était arrivé l'aurait tourmentée au delà de toute époque. Au fond, elle était surprise de constater qu'une part de tristesse répressive, nichée dans le bassin caverneux de ses cauchemars, une base enfouie, venait ici de s'exprimer. Comme elle sentait une tension lourde s'imprimer dans sa nuque, pareille à une main crochue sur ses vertèbres, elle s'attela, clope au bec, à ouvrir des tiroirs, d'où elle saurait trouver les derniers papiers plus ou moins important en cas de procédure. C'est qu'Abigaëlle ne laissait jamais rien au hasard.
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Lun 13 Sep - 21:28 (#)


Darkest Hour
Une autre la remplacerait, qui ferait semblant d’être la même, avec des morceaux de cœur en moins et un cerveau pété en deux.


Mouvement animal. Comme on renvoie une balle à un chien joueur, un renard chétif et craintif qui ne préfère pas jouer avec l’humain, les clés se contrebalancent à nouveau dans le creux de sa paume sans qu’elle ne comprenne, encaissant les derniers mots de la jeune femme, la fille d’une Hathor dissipée dans les fumerolles du passé redressant ses yeux secs mais rougit vers le visage sans réelle expression, froissé à peine de ce froncement de sourcils qui semblent vouloir analyser le monde sans en comprendre tout le sens. Un sens aiguisé qu’elle-même a adopté sans le vouloir. « En… paix avec la lune ? » Murmure absent qui suppure de la plaie de ses lèvres meurtries, ne parvenant pas à croire qu’elle ait pu tomber sur quelqu’un qui ait réussi à danser avec ces nuits ignobles, la fixant, interdite, un brin d’effroi, de curiosité et cet espoir qu’il ne faudrait pas avoir avoir. Lentement, ses phalanges se referment sur le trousseau, le corps nerveux, créant encore ces gravures ombrées dans ce couloir éclairé, à peine, rien qu’assez pour qu’elles se perçoivent, par la fenêtre où les rideaux ont été tirés, le jour tombant sur une autre scène d’une tragique rencontre ou une lueur d’espoir dans cette sanglante tragédie, dans le silence sordide.

En la revêtant un peu de son attention, elle discerne ce qu’elle n’avait pu voir alors ; la trogne lui faisant penser sans mal à un renard rétif, répugnant à s’approcher de quiconque, comme si le museau s’était imbriqué dans les jolis traits d’Hena manquant de la faire sourire, attendrie, dans une scène où la joie ne devrait pas se montrer, se cachant pudiquement derrière le regard cyan qui la toise sans méchanceté avant d’être voilé à nouveau de tristesse. Elle revient, lourde et malfaisante la poussant à refermer doucement ses doigts sur les clés qui passent d’une paume à une autre en un jeu stupide, de fille endeuillée à fille endeuillée. Quelque chose semble s’être éteint chez Hena alors même qu’elle ne l’a jamais vu autrement que dans les portraits esquissés par les mots d’Abi. Une lueur qu’on a moucheté entre nos deux doigts comme on écraserait une luciole, sans ciller. La vision lui fait mal mais elle n’ose pas poser de question, se demandant bien ce qu’a pu vivre Hena elle-même lors de cette nuit sombre. La tête secouée face à la question, entamant la même danse en grillant la mèche d’une cancéreuse glissé entre les lèvres boudeuses, fumerolles dansantes entre les deux femmes qui n’apprivoisent rien d’autre que leurs propres malheurs dans une raideur singulière pour l’une et un lâcher prise dangereux et inquiétant pour l’autre. La scène n’a rien de gaie, laissant pulser les larmes aux abords de ce mutisme qui retombe comme une cloche de verre autour d’elles. Astaad elle-même se détourne pour observe les lieux, inspirant méchamment, la main nerveuse allant et venant, trouvant un cendrier où déposer ses maux sous forme de papiers brûlés. Le silence ne la gêne pas davantage que ça, le parquet craquant, la ville jouant de la musique au loin, au travers des fenêtres donnant sur la rue contrebas et où l’on pourrait s’écraser pour que ça cesse, pour que tout cesse. L’intrusion de cette pensée la fait se morigéner, l’émail pinçant l’intérieur de sa joue pour faire sortir l’angoisse par quelque part. Prête à glisser à nouveau le filtre dans le liseré de sa bouche, elle se fige quand Hena brise la glace d’une autre sentence. La tête se détourne rapidement, faisant murmurer sa chemise comme ses cheveux, sourcillant en tombant sur le visage levé vers le plafond « Quoi ? » Et la réponse ne manque pas de tomber, précisant bien ce qu’elle a bien cru entendre, tout le haut du corps se raidissant, se grandissant en une inspiration profonde. Fixant les iris qui la lorgnent, elle ne peut que faire de même un bref instant, lâchant un rire, plus sec « Non… » mais Hena n’entend pas le murmure, poursuivant sa diatribe qui assassine celle qui se promit un jour de ne plus pleurer les morts car il semblerait qu’elle soit poursuivie par son odeur, par sa rigidité, par le sang, par le froid. Il lui semble qu’il est maintenant bien futile de pleurer quiconque mais la gorge se resserre alors que le présent lui semble trop grand, plus immense qu’elle-même. « J’peux pas. Qu’est-ce que tu veux je foute de cet appartement ? C’est toi sa petite-fille. Pas moi. Moi, j’ai laissé tout ce que j’avais derrière moi, ce n’est pas pour m’en rajouter non plus. » Dans un geste impulsif, elle écrase la clope à peine entamée, se refusant à avoir une main de plus encombrée, observant les lieux sans les reconnaître, subitement agressée par la vie qui n’est plus. Par Abi qu’elle pourrait voir marcher, entendre parler et le vide est immense, lui faisant réaliser semble-t-il, qu’elle ne reviendra réellement plus. Tournant le dos à celle qui se dit en accord avec la lune ou l’était du moins, elle se recueille dans un instant silencieux, abaissant les voiles de ses paupières pour ne pas avoir à affronter cette affreuse réalité dont elle se lasse. Faire face à la mort est une chose, faire face à la tempête qui vient après la mort, c’est autre chose. De plus grand. De plus dévastateur. De plus douloureux il lui semble. A quoi peut-elle s’accrocher dans un moment pareil ? La résilience semble lui échapper lentement, doucement, vicieux comme un tissus de soie filant contre ses phalanges, métamorphosé en eau. Et gît la silhouette fait de détresse dans le monde des vivants alors que la mort lui chuchote encore à l’oreille à quel point elle est proche.

La rage pourrait éclater avant de se figer en pleine ascension sous les paroles qui reprennent. Sa tête se détourne lentement cette fois, un regard jeté par-dessus son épaule, brillant d’une eau qu’elle ne pourrait laisser couler. Ce n’est pas son chagrin qui compte et Hena le lui rappelle sans le vouloir. Les membres nerveux, tremblants comme sous un grand effort, elle noue ses bras sous sa poitrine en se détournant pour lui refaire face, brave enfant qui ne peut qu’affronter le plus rude. Après avoir vu tant de rouille et d’os, elle est bien prête à conter une sordide histoire. Fixant le visage à la sauvagerie plus éloquente, la chevelure blonde partant en quelques serpentins au travers desquels passe la lueur du jour, elle se lance de sa voix qui craque, comprenant son souhait. Elle aussi. Elle aussi aimerait savoir si sa mère, si son père a péri et comment. Avez-vous brûlés ? Avez-vous pris une balle que je n’ai jamais vu ? Vous souvenez-vous seulement de moi que vous avez, depuis ma naissance, laissée derrière sans vous retourner ? « Un… Un connard avait perdu la tête. Comme beaucoup d’gens ce soir-là, en fait. Il hurlait des trucs dont on se fiche et il l’a attaqué… » Gorge serrée elle y laisse venir une main comme pour essayer de délier les cordes invisibles qui s’y enroulent, le regard accroché au vide, ne pouvant que se perdre dans le souvenir ignoble. « Elle devait être perdue. J’en sais rien, j’étais moi-même de sortie pas loin avec… des gens et ça a éclaté. Il l’a percuté de son corps et il s’est acharné sur elle. Il devait la prendre pour une ennemie. J’en sais rien… » Elle le répète comme une litanie faite pour la rassurer, la protéger de l’ignoble vision qui défile encore sous la pupille hagarde.

« Abi est morte dans mes bras. » Rire sec malvenu, se moquant du risible de ce dernier aveu. « J’dirais pas que ça a abrégé ses souffrances ou qu’elle est en morte en paix. J’aurais aimé mais… » Secouant la tête, l’iris se redresse pour traquer celle de l’Autre, y plonger sans plus de prise de recul, sachant qu’elle ne décrit qu’une horreur qu’on ne voudrait entendre mais qu’une partie d’elle, masochiste, traquant la vérité sur les dernières heures de l’aïeule, veut connaître à tout prix. Elle peut comprendre et elle espère qu’elle le voit malgré qu’Hena lui semble être ailleurs plus qu’ici. « J’étais armée. J’suis toujours armée, en fait alors j’ai pas réfléchi et j’ai abattu ce mec. » Fracas inaudible, quelque chose s’effondre presque chez elle avant qu’elle ne barricade toutes les émotions susceptibles de la faire balbutier, une main venant cueillir une mèche pour la cacher derrière une oreille habillée d’une boucle d’or. « J’ai tué ce soir-là. J’espère que ta nuit fut moins merdique que la mienne… mais on dirait pas. J’me trompe ? » Elle hausse un sourcil, la laissant assimiler ce qu’elle vient de laisser tomber entre leurs deux silhouettes semblant à l’opposée l’une de l’autre quand quelques pas seulement les séparent. Les bottes matraquent les lattes de bois alors qu’elle erre un instant dans la pièce, laissant plutôt ses yeux voguer d’un décor à un autre. « J’aurais voulu la sauver. Faire plus pour elle. Elle a été l’une des premières à m’tendre la main dans ce patelin. Une grand-mère que j’ai jamais eu ni vu d’ailleurs. Chez moi on respecte avec ferveur nos aînés… » Et dans les ombres, visage tourné vers un tableau quelconque, une larme quitte le bord pour mourir sur une joue. Mieux vaut pleurer en silence que l’insulter de face par son deuil. « J’aurais aimé pouvoir le faire avec elle. » Et elle abaisse la tête, les yeux hantés par la nuit noire où hurlent les morts et les vivants « J’aurais aimé que tu puisses avoir davantage de temps avec elle. Mais c'est peut-être une part de ma malédiction ? Voir les gens que j'apprécie périr, un par un. C'est ça l'prix à payer pour pas être en accord avec la lune ?» Elle rit d'elle-même, de son malheur, sans aucune joie pourtant. « J’suis désolée. »

Et ces mots semblent bien maigres face à l’étendue des dégâts, comme un écho qui se perd dans un lac d’autres échos. Comme un rien qui tombe et dont on entend pas le fracas. Des mots creux et sans musique dans sa voix où la vie a voulu s'éteindre, pour la défunte qui plane entre elles.


(c) corvidae
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Anonymous
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Dim 21 Nov - 21:43 (#)



Un connard avait perdu la tête
Elle lui avait tiré dessus, l'avait vengée
Abigaëlle s'était éteinte dans la souffrance.

Hena s'était mise à écouter les réponses d'Astaad comme on entend les communiqués d'une annonce générale émise par un médiateur insensément plus qualifié que soi. Il y avait, dans ce contraste d'élocution, et de tenue, un bienfait à imaginer que ce soit cette femme qui ait porté secours à sa grand-mère, qui ait épongé les chocs et les douleurs, et non elle-même, car en dépit de ses allures oniriques, de sa posture vaporeuse, de sa beauté éthérée, elle traitait les situations, et les maux, avec plus d'humanité qu'Hena ne l'aurait fait. Les émotions que l'autre restreignait avec mal, alors qu'elle nourrissait un respect visible qui magnifiait la mémoire d'Abigaëlle, du moment où celle-ci avait souffert, fut vengée, puis avait émis son dernier souffle, contrastait avec l'expression  vide et silencieuse d'Hena, celle-ci continuant sa quête mécanique pour trouver cette foutue paperasse.

« Chez moi on respecte avec ferveur nos aînés… »

De nouveau debout, papiers finalement dans la main, Hena lui jeta un regard muet. C'était peut-être le problème d'une large rangée de générations -pensa Hena : les aînés étaient avant tout des êtres qui portaient leurs lots de vices, puis les accrochaient, comme un baluchon, autour du cou de leur descendance. Elle se demandait combien de fois le respect avait détruit des familles, et ce qui se serait passé : si elle avait un peu moins respecté son père à temps.

"—Je crois que tu as fait bien plus que tu ne crois cette nuit là..." assura Hena. La renarde se rassit sur la table, dans un soupir automatique lié à la fumée de la cigarette qu'elle avait mal soufflée par le nez.

"Même si on sait qu'on finit tous par crever, je crois qu'on est juste pas conditionné à en prendre conscience..." dit-elle d'une voix lente, toujours enrouée par ce manque d'habitude pour formuler des phrases qui soient quelque peu humaines, logiques.

Sa grand-mère avait eu cette propension tenace à lui souligner qu'arrivait ce jour où elle ne serait plus de ce monde, dans une litanie, sous forme d'éternel reproche, de plus en plus journalière au fil des mois. Comme un animal qui se sent bientôt mourir, à cause de cette maladie vicieuse qu'on appelle le temps. Pour Mona, c'était pareil. En tant qu'humaine, aurait arrivé ce jour où elle aurait vieilli plus vite qu'Hena. Plus Hena y pensait, plus elle se disait qu'en dépit de leur cervelle plus avancée, les humains restaient des ignares frappés par le sceau de leurs instincts.

« J’suis désolée. »

Hena releva ses yeux bleus vers la femme, un peu décontenancée. La cendre de sa clope tomba sur le bois de la table. Puis elle sembla se réveiller, détacha la cigarette de ses lèvres avec lenteur.

"— Moi aussi." dit-elle. Elle était désolée de ne pouvoir offrir les mêmes attentes. Le vide dans son coeur était un trou noir, dans ces conditions il n'y avait qu'une pression quantique qui broyait autour, et rien au centre, strictement rien. Elle était désolée que cette jeune femme n'ait pas été la petite fille d'Abigaëlle, qu'elle n'ait pas eu -elle-même- plus de temps pour profiter de sa compagnie. Hena tapota la table pour l'inviter à s'asseoir au besoin, puis s'en remit aux papiers devant elle ; comme on sériait un jeu de tarot. Elle avait bien vu les larmes sur les joues de cette déesse, et maintenant qu'elle savait comment Abigaëlle était morte, elle en prenait mieux conscience, comme quand un disparu est enfin retrouvé des années après, simple squelette, que les chimères se mêlent au soulagement, lorsque la lutte prend fin, et qu'on ait le droit d'accepter sa vie comme détruite.

"— En tant que métamorphes, je me dis qu'on compte nos années au nombre de pertes qu'on a vécues. Mais tu n'es pas une métamorphe, pas vrai ?" murmura-t-elle, étalant consciencieusement les papiers. Aucun métamorphe n'aurait été surpris qu'on lui annonce être en paix avec la lune. Hena souligna les dates, commença la lecture des papiers qu'elle avait sélectionnés.

"— Abigaëlle ne t'a rien dit sur notre nature ? Elle attendait que je le fasse, tu crois ?" dit-elle pendant qu'elle lisait. Sa grand-mère aurait été capable. Elle soupçonnait que ce jeu de clés dans la paume de l'autre n'était qu'une occasion supplémentaire pour que les deux femmes tombent nez à nez comme deux animaux mis sur pose puis complètement paniqués. Elle aimait provoquer les rencontres, qu'Hena fuyait comme si c'était la rage à ses trousses. Et pourtant, elle appréciait la présence de cette créature presque onirique, sans comprendre pourquoi. Il y avait quelque chose, chez cette femme, qui était un mélange de douceur et de violence, qu'Hena n'aurait jamais su s'expliquer. C'était un contraste presque douloureux à les voir côte à côte. De la poussière en face d'un diamant, une renarde engoncée dans un amas de tissus informes en face d'une déesse de l'Olympe.
La renarde, d’ailleurs, eut une exclamation étouffée par la clope dans sa bouche, quand elle trouva une lettre en particulière.

"— Une copie de son testament. Je n'ai pas encore été contacté par le notaire, possible qu'il ait eu du mal à me trouver" dit-elle d'un ton feignant l'innocence.

"— Astaad, au passage, c'est un très joli prénom." souffla-t-elle, après avoir lu le prénom sur le papier qu'elle tenait dans ses mains fines, un sourire absent aux lèvres. Même après sa mort, Abigaëlle ne laissait rien au hasard.


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