I've been loosing sleep || Salâh

Il va détester.

L’air humide de l’automne est saturé par les épaisses fragrances d’un bas quartier de la ville et les lumières jaune sale des lampadaires éclairent la rue vide et quasiment à l’abandon. Comment je suis censé gérer un vampire traumatisé par le massacre des siens qui court après des chimères ? Comment je me suis retrouvé dans cette situation ? Balayant d’un soupir las ces questions qui ne trouveront jamais de réponse satisfaisante, je lance un regard à la nuit silencieuse des alentours. Les ombres découpent des lignes nettes et des angles abrupts dans la zone du Shreveport canal. On peut sentir les odeurs amères refluant des égouts et la fumée entêtante des pétards portés par le vent. J’ai choisi un lieu éloigné de tous les petits trafics et toxicos en plein trip, loin de tout, et surtout bien près d’un ouverture des égouts, juste au cas où. Aussi répugnant que cela puisse paraître, les souterrains ont toujours offert aux miens un abri sûr, un dédale crasseux où nul ne peut espérer nous suivre sans en payer un lourd tribut. Je tire nerveusement de mes poches mon paquet de cigarettes et un briquet avant de m’en allumer une avec des mouvements mille fois répétés. La petite flamme vient faire danser les ombres, contrastant l’espace d’une seconde les lumières artificielles avec sa chaleur orangée apaisante. La première bouffée dissipe tous les murmures chuintants qui me soufflent tout ce qui pourrait mal se passer. La fumée emporte ces craintes légitimes et vient se mêler à l’odeur poisseuse du lieu. Je l’imagine mal, lui et sa dégaine d’homme d'affaires, dans cet endroit. J’avais songé à un autre lieu, sous les fenêtres de quelques personnes de la Horde qui pourraient veiller à ce que je n’ai pas de soucis, mais je me suis rappelé ces étranges phénomènes de notre première rencontre. Personne ne peut faire confiance à ses sens en sa présence. Alors j’ai choisi un lieu qui m’offre une fuite possible et facile, à défaut de mieux. Plusieurs autres rats-garous savent où je me trouve et pourquoi, si je ne les recontacte pas d’ici une heure j’aurai au moins l’assurance de voir débarquer les renforts. Soupir. Un nouveau nuage de fumé nicotiné. L’ampoule grésillante du lampadaire vient de claquer. Il va détester.

Je laisse la cigarette calmer mes nerfs et jette un coup d’œil à mon téléphone. L’heure est proche, il ne devrait pas tarder à arriver. J’ai si peu de choses à lui dire, alors que pourtant je n’ai jamais été aussi loin pour une enquête. Depuis le motel, je n’ai de cesse de penser aux fantômes, au massacre, aux descriptions d’Emily. Qui que soit l’ennemie de mon employeur peu commode, elle est terrifiante et redoutable. Je ne veux pas me retrouver mêlé à une guerre de vampire, pas pour tout l’or du monde. Dans tous les cas, il faut que ça s’arrête aujourd’hui. Mais comment je suis censé raisonner un vampire ? J’aurais demandé de l’aide à Nicola sur ce coup-là, ça aurait pu m’être utile. Il faut au moins un vampire chelou pour comprendre le fonctionnement d’un autre vampire chelou.

Je lâche le mégot consumé au sol et l’écrase, le laissant rejoindre les centaines d’autres qui jonchent les alentours. Il est l’heure. J’aimerais qu’il ne vienne pas. J’aimerais ne plus jamais revoir sa gueule. Mais hélas je ne suis pas le genre de gars optimiste qui pense que les problèmes vont se régler tout seuls.