same face, but different person

Pour une fois, ce n’était même pas de ma faute. Je ne comprenais pas trop comment je m’étais retrouvée embrigadée dans cette bagarre, des anti-CESS ayant soi-disant localisé l’un des notre et l’ayant pris en embuscade.
Le type n’était pas un CESS, juste un de mes informateurs, ironique qu’il n’ait pas vu venir le piège, scandaleux qu’il m’ait entrainé là-dedans. J’étais en train de le payer pour un tuyau qu’il m’avait refilé, les mecs s’étaient ramenés, un groupe de cinq personnes. L’honneur était toujours à l’ordre du jour, enfin j’étais mal placé pour en parler, le mien était mort depuis longtemps.
Ils ont compris ce qu’ils ont voulu, une personne de plus a été ajoutée à leur tableau de chasse.
Moi.
Génial.
Autant dire que dans ce genre de cas, la réaction est très simple, chacun pour soit. J’avais laissé mon indic dans sa merde et j’avais détalé comme un lapin. Je courrais comme une dératée dans ce dédale de rues que je connaissais presque par cœur, évitant les culs-de-sac, dérapant entre les troues d’un bitume abimé et vieilli, une cheville qui lâche au pire moment alors que je dérape sur un truc visqueux. Je ne voulais pas savoir ce que c’était, mais le juron qui m’échappe les galvanise, les motive, ils se rapprochent.
Putain de merde.
Il m’aurait été simple de leur échapper en prenant mon autre forme, mais le soleil n’était pas encore couché et j’avais peur que ces types fassent le rapprochement. Être cataloguée comme une sympathisante n’était pas la même chose que de faire son coming out.

Pourquoi un humain avait-il autant d’endurance ?
C’est là que je le vois, mon sauveur, un visage amical, je l’embrasserai presque. Le presque est important. Je me jette sur lui, me colle contre son torse pour me fondre contre sa peau et me planque des les replis de manteau, le forçant à faire volte-face pour que mon dos repose sur le mur et que sa silhouette me cache.
Je crois que je n’ai jamais vu ce visage austère être autant illuminé par la surprise, c’était presque drôle. Je laisse échapper un petit rire. « Putain, Aodh, j’ai jamais été aussi contente de te voir. Ne bouge pas s’il te plait. » Je lui murmure doucement, ma voix étouffée par ses habits.

J’entends les gars passer, s’éloigner et je me détends un peu. Je m’éloigne comme je peux de la chaleur de mon revendeur, soufflant doucement pour évacuer la tension. « Promis je te laisse prendre le pourcentage que tu veux sur notre prochain échange…. Mais qu’est-ce que tu fous dans le coin, c’est bien la première fois que je te vois trainer ici ? »

Depuis quelque temps, ces rues miteuses rassemblaient un beau ramassis de salauds, Aodh avait beau en être un, il ne baignait pas avec ce genre de petites frappes, de ceux qui veulent faire tomber les monstres.
Il en était un aussi, de monstre, de ceux dont on ne voulait pas se mettre à dos. Parfois les humains étaient les pires. Ma curiosité était sans doute déplacée, on avait toujours réussi à garder une distance confortable pour ne pas heurter les affaires de l’autre, mais ces derniers temps la frontière semblait plus floue, surtout depuis qu’il m’avait demandé de l’aide pour son cambriolage. « Enfin, pas que ça me dérange. Tu étais pile au bon endroit chaton. »

J’avais toujours aimé lui coller des surnoms à la con. Clairement, il n’était pas une de ces petites bêtes duveteuses qui vous faisait fondre le cœur, c’en était d’autant plus amusant. Étrangement, il m’avait toujours laissé faire, peut-être que l’ironie lui plaisait aussi.

Les troubles en ville sont de plus en plus alarmants. Et je suis beaucoup trop aux aguets sans cesse. J'ai remarqué que c'était plus facile la journée, l'animal étant moins présent et prenant moins le pas sur moi. Je comprends mieux ce que me disait Aodh à ce sujet, même si nous n'appréhendons pas du tout les choses de la même façon. Même si c'est difficile et que mon ego en prend un sacré coup. Cette dualité m'est totalement étrangère et je ne sais toujours pas comment la gérer, même si je reçois de l'aide. Parfois, un peu rudement. J'essaie de comprendre, mais je suis têtu et j'ai l'impression que la bête en moi l'est encore davantage, à tester les limites, comme un enfant mal élevé... J'aurais du pouvoir être moins tracassé et me reposer une fois Aodh retrouvé, mais le fait est que c'est même encore pire qu'avant alors que je ne dors que d'un œil et que je contrôle la moindre de mes émotions et réactions pour ne pas laisser cette fichue bête sortir et la laisser sans contrôle.

Mais ce contrôle est mis à mal quand quelqu'un se jette soudain contre moi, me collant au mur et me prenant complètement au dépourvu, un grognement m'échappe, alors que j'ai le réflexe de vouloir repousser la personne. Une femme. Qui inverse nos positions et se met à rire, me prenant complètement au dépourvu et venant tuer dans l’œuf toute velléité d'agressivité. Surtout quand elle... me prend pour mon frère. Ha... Encore une fréquentation d'Aodh. Donc pas forcément recommandable, même si de ce que je vois, elle est charmante. Mais Aodh est marié, donc... vraiment étrange cette façon de se jeter à son cou sans vergogne. Je m'exécute pourtant, figé, autant par la surprise que par sa proximité. Cela remue quelque chose en moi et je ne sais pas si ça vient de moi ou de l'animal qui s'échauffe tout seul. Je ferme les yeux et prends de profondes inspirations, incertain quand à la suite.

Je tends l'oreille et entends un peu de grabuge. Je jette un regard perplexe à la fille, me demandant vaguement si elle n'était pas en train de se cacher d'eux en fait. Si, cela paraît l'hypothèse la plus logique après ce qu'elle vient de dire, sa façon de venir se caler entre le mur et moi pour mieux se dissimuler à leurs regards. « Tu as des ennuis ? » Lui dire que je ne suis pas Aodh ? Non pas maintenant. Elle s'éloigne dés que le danger semble éloigné et je me racle la gorge, l'observant un peu mieux désormais qu'elle n'est plus complètement collée à moi. Comme je m'y attendais c'est une relation d'affaire d'Aodh, donc qui doit tremper dans des trucs louches. Je me demande à quel point les gens qui le fréquentent régulièrement peuvent savoir qu'il a un frère jumeau au PASUA. Apparemment, ils ne sont pas très au fait de sa disparition de plusieurs mois. Ou il a revu cette fille depuis. Difficile à dire.

Je ne réponds pas de suite à sa question, avant de hausser un sourcil à son... chaton. Faut vraiment que j'apprenne le nom de cette nana pour en toucher deux mots à mon frère. « J'aime bien l'idée que tu sois redevable. Mais tu ne devrais pas lancer si nonchalamment que tu me laisses décider du pourcentage, je pourrais te plumer. » J'ai un petit sourire en coin, m'écartant encore de cette jeune femme tout de même, autant éviter le tentation et ne pas trahir ma toute nouvelle nature. J'attends encore un peu avant de lui avouer que je ne suis pas Aodh. Se faire passer pour l'autre est un jeu auquel nous nous sommes bien trop amusé durant notre vie.