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Wizard Cop : Cochon sauvage et Binette sacrée ;
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Sam 19 Sep - 16:22 (#)


Janvier 2020 Le garder que pour soit avait été plus difficile qu’il ne le croyait. Ce n’était pas seulement un dossier qu’il pouvait cacher sous la pile ni un simple mandat dont il pouvait se charger rapidement. Quand il avait vu la quantité de photos venant de caméra de sécurité et de preuve aggravantes, il avait eu envie de tout défoncer dans son espace de travail (Commencer par Otto Thompson et ensuite Brittany, la secrétaire pour finir par un énorme feu de joie à l’étage avec les cadavres de tous le monde allumé sur les braises des rapports de police cumulés sur ses infractions). Encore heureux qu’il n’ait aucune identité connue et qu’il ne soit pas enregistré nulle part.

S’il avait des chances d’être toujours en vie, c’est qu’il était connu comme le sujet [#05773]. Ils ne se doutaient pas encore de sa véritable essence, mais vu les exploits, le sujet était fiché dangereux. Que son dossier se soit retrouvé sur sa pile n’est pas le fruit du hasard. On lui envoyait les pires d’entre les pires, les rejets et ceux dont personne ne voulait s’occuper. Un grand classique pour souhaiter la bienvenue au nouveau membre de l’équipe. Son chaperon avait écopé aussi, mais la pression était sur ses épaules et les rumeurs qui allaient de bon train sur sa personne. Le fait qu’il n’était pas humain, ou du moins les doutes planaient très haut, avait vite fait le tour de leur division. C’était de lycanthrope qu’ils avaient décidé de l’étiqueter. Grand bien leur fasse. Des blagues de pleine lune à la con et de transformation bien dégueu comme sur cette fameuse vidéo qui avait tant circulé sur le web. Rien de bien méchant, mais juste… ils étaient si stupides.

Pourtant, c’est de cette stupidité qu’il s’était servi pour le retrouver. De son plus beau sourire, de ses meilleures manières et quelques pots-de-vin, qu’il avait réussi à soutirer les informations de qui il voulait. Images des caméras de surveillance, l’audio des patrouilles de la police, rapport qui parlait d’animaux un peu étranges dans le coin. C’est d’allure désintéressée et « Oh, c’est juste pour un de mes dossiers. » qu’il reçut les images satellites du bayou.

De fil en aiguille, retrouver sa trace ne fut pas aisé, mais tirer les vers du nez de Pete fut encore plus difficile. Ce n’était pas un homme à faire sa balance comme ça, surtout pas quand il avait lui-même la plupart du temps, un pied dans les emmerdes potentielles, mais il lui donna quelques pistes qui ne tombèrent pas dans l’oreille d’un sourd.



La nuit était fraiche, tournant autour des trois degrés une fois le soleil couché ; rien de plus normal pour une nuit de janvier. Il n’avait pas froid. Il guettait, concentré, prêt à attaquer. Tapi dans l’ombre de ce minuscule habitat, Kaidan avait passé quelques longues minutes à inspecter cette bicoque roulante. L’ordre qui y régnait était surprenant ; à en juger l’extérieur plutôt digne d’un squat sur deux roues, l’intérieur était pratique dans la mesure du possible. Il avait même eu un sourire en coin en voyant les pots de terre et les petites pousses de toutes tailles se coincer au bas des trois uniques fenêtres de l’habitation. De la nourriture partout, rien de bien excitant, il avait fait avec les moyens du bord, mais rien de bien incroyable. Un paquet de cigarettes, un joint entamé dans un cendrier propre et vide. De vieux outils de jardinage, un taser, deux couteux, le tout planqué dans des étagères fabriquées de toute pièce. Il eut l’impression qu’il y avait des objets magiques quelque part, ce qui le fit frissonner un instant. Le patriarche des Archos n’appréciait pas beaucoup la sorcellerie, bien que forcée d’avouer qu’elle était pratique dans certaines situations, plus loin il s’en tenait, mieux il se sentait. Prenant soin de toucher à tout, se familiariser avec l’espace, l’odeur du jeune métamorphe, ses objets, ses biens… marquant naturellement le territoire en dominant de sa présence d’aîné. Il saurait dès qu’il mettrait le pied chez lui et c’est pour ça qu’il se tenait maintenant prêt à l’accueillir.

Kaidan avait soigneusement retiré ses vêtements pour les plier et les déposer sur le lit. Il avait pris son temps pour laisser place au tigre royal blanc, ressentir au plus profond de son être la transformation douloureuse d’une forme à l’autre. Le passage se fit dans un état méditatif près de la transe, respirant profondément, récitant son mantra qui faisait appel aux diverses divinités sur terre assurant une transition rapide et sereine. Le doux ronron chaleureux s’évada de sa cage thoracique quand une fois sous sa forme la plus violente et sage, il s’étira de tout son long dans l’étroit espace. D’un bond qui fit tanguer toute la roulotte, il s’installa sur le lit, en position d’attaque, ne bougeant que les pattes pour bien se positionner et attendit.

Le sens aux aguets, l’œil s’adaptant à la nuit, ses oreilles pointues bougent une heure plus tard, il entend le son d’un vélo freiner brusquement puis tomber au sol.

Il arrêta de respirer.
Ses muscles félins se contractèrent.

Même s’il se doutait de quelque chose, même s’il avait senti l’odeur du tigre ou la présence d’un autre, l’anarchiste notoire avait perdu toutes ses chances dès qu’il ouvrit la porte de son habitation.

Plus rapide, plus dangereux et plus expérimenté, le métamorphe bondit au sol, la suspension de la maisonnette mobile prenant un coup, et il se redressa sur ses deux pattes arrière pour coincer le cou de Rhys Archos dans une main d’homme, et non de tigre.
Le but n’était quand même pas de le tuer.
La prise large était ferme et puissante. Contre sa peau, le jeune méta pouvait ressentir les soubresauts des muscles qui le tenaient ; les réflexes des os et des organes tendus et suppliants sous une transformation partielle. La force du tigre le poussa contre la porte refermée derrière eux et la bête rugit fortement contre le jeune homme, laissant paraitre ses canines pointues et tristes de ne pas pouvoir se mettre sous la dent un bout de chair. Le goût du sang manquait au tigre ; le prédateur restait calme, mais il avait faim de proie qui n’aurait aucune chance.

Une prochaine fois.

C’est en plaquant une deuxième fois Rhys contre la porte que l’énorme félin s’exprima une autre fois. À la fois heureux et fâché, Kaidan-khan passa son énorme crâne velu contre la tête de son fils puis d’un énorme ronronnement, lui lécha le visage, de haut en bas, jusqu’à lui lécher les cheveux, les écrasants de bave sur son crâne.

La main humaine qui retenait le jeune homme à la gorge était toujours insistante, mais n’allait pas le blesser… pas pour l’instant.
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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

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« Wild men who caught and
sang the sun in flight,
And learn, too late, they
grieved it on its way,
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into that good night. »

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Jeu 1 Oct - 1:32 (#)


Le vent soufflait entre les troncs écorchés des cyprès chauves avec la lenteur lancinante d'une complainte étouffée. Sinistres silhouettes, les arbres élevaient leurs branches nues vers le gouffre d'un ciel obscur et froid, parsemé ici et là de quelques étoiles à la lueur faible, semblant ainsi figés dans la posture torturée d'une prière muette. Là, dans les ténèbres, la forêt constituait une masse épaisse aux contours difficiles à discerner, un entrelacs de couverts sauvages accrochés des lambeaux d'une brume lourde et collante, charriant avec elle les parfums moites de la terre et de l'eau. L'air froid et dur portait facilement l'écho des bruits nocturnes : là le craquement sec de brindilles qu'on piétine, là l'envol soudain d'une volée de plumes. De temps à autre résonnait au loin un hululement solitaire, avertissement solennel lancé au peuple de la nuit comme la promesse d'une mort subite. Et, au détour d'un chemin, profondément enfoncée dans le calme tranquille se devine la stature massive d'une construction de bois, une maison solitaire et endormie, un peu rustique. Rien ne bouge, rien ne bruisse, tout juste le souffle paisible d'une respiration.

D'un mouvement gracile dont la fluidité rappelait celle de l'eau, la forme d'une petite figure à quatre pattes se hisse d'un bond facile sur le tas de bois formé par un empilement de bûches le long du mur. Posée là comme en équilibre sur le rebord, le geste mesuré, on eut dit une sentinelle de la nuit, l'esprit sauvage des bois ne se manifestant que dans le plus secret des silences. Mû par la grâce hautaine propre à son espèce, le chat progresse avec prudence, de cette curiosité précieuse qui les pousse à l'aventure. Couronnant les silhouettes grotesques formées de l'amas des choses et des ombres, l'animal avance à pas de velours, son poil touffu et noir le faisant couler dans la nuit aussi bien que de l'encre. Il explore la surface écaillée d'un rebord de fenêtre, s'arrête un instant juste avant celle-ci, ses petits yeux dorés observant avec une attention toute particulière le gouffre de pénombre qui se laisse deviner derrière la vitre.

Une minute passe, une deuxième. Il reste là, immobile, si ce n'est la tête qui pivote de temps à autre pour faire face à la grande forêt, ou ses oreilles qui se réalignent pour mieux capter les sons proches. Les yeux experts tentent de percer l'obscur, de dessiner l'espace intérieur, de repérer l'éventuel danger qui se cache dans les ombres, entre deux meubles ou dans un coin de mur. Il ne voit rien, ne capte aucune perturbation. D'un geste léger il s'avance alors, frôle la surface transparente et nargue la nuit d'un petit balancement de la queue, tandis qu'il pousse de la tête le battant déjà entrouvert de la fenêtre, y passe le haut de son corps et que son petit museau noir ne hume avec intérêt les odeurs présentes.

Ça sent le bois, la pierre, le métal. Ça sent la poussière et les fleurs, le parfum léger de la nourriture et, surtout, ça sent l'effluve propre aux corps humains, qui flotte là dans l'air, reste accrochée aux tissus et infiltre jusque les lattes du parquet. Une minute de plus passée à inspecter les environs immédiats, avant de considérer l'espace proche comme sûr. Le petit félin pénètre alors dans la maisonnée avec l'assurance de ceux qui vivent chez les autres et pour qui tout leur est dû. D'un saut leste il se réceptionne sur le sol et entreprend d'examiner les alentours, petit à petit, une odeur à la fois. Assez vite il se heurte à un obstacle de taille : la porte qui mène au reste des lieux lui est fermée. Il la contemple un instant, considère en silence cet outrage silencieux avant de finir par être gagné par l'ennui au bout de quelques minutes.

Il se remet donc en route, grimpe d'une manière experte jusque sur un plan de travail et s'arrête brusquement. Là, dans l'obscurité, la chiche lumière du dehors a fait briller l'éclat d'une surface délicate. Approchant la tête pour la renifler, l’œil curieux reconnaît le reflet d'un quelque chose de précieux, de beau, de convoité. C'est une pierre, assez grande, enchâssée dans une structure de métal et ornée d'un fin fil d'argent. La chose semble d'un vert peut-être turquoise, moucheté de petites tâches de noir et de stries blanches. Du jade, ou de l'émeraude, l'esprit félin ne saurait le dire mais, l'espace d'un instant, ses pupilles se perdent dans la contemplation de cette roche sauvage aux allures de cristal. Un frisson. Le chat penche la tête sur le côté, ses oreilles pivotent, il lui semble entendre le froissement du vent dans les saules, humer l'odeur de l'écorce et des aiguilles de pin. Un éclat de fascination luit dans le regard du métamorphe, l'élan d'une pulsion qui lui fait désirer l'artefact qui attire furieusement son regard et qui appelle à lui la force brute de la nature.

Une seconde d'hésitation.

Ses crocs s'en saisissent, puis il s'enfuit.

___

Pédalant avec l'enthousiasme marqué de ceux qui vont beaucoup trop vite pour leur propre bien, j'épuise mes jambes dans un effort constant et soutenu, lancé sur la route comme un oiseau dans les cieux, le vent froid giflant mon visage et montant à l'assaut de mes yeux. Je hume les odeurs vivifiantes de la forêt, je me baigne dans la lumière de la nuit et la pâle clarté du croissant de lune. L'air est humide, ça sent la terre, l'herbe, la mousse. Le palpitant lancé à toute allure, un fin film de sueur commence à se faire voir sur mon front. Pourtant, je ne m'arrête pas, je m'enivre de cette sensation grisante de liberté, ce moment d'euphorie porté par l'impression éphémère de ne pas être tout à fait humain mais encore un peu félin. Mes yeux toujours dorés confèrent à mon faciès l'allure alien d'une étrange hybridation, percent les ombres avec aisance et cachent leur reflet de lumière sous la capuche d'un sweat rouge épais et confortable. L'ivresse est aussi là, dans la transgression de l'interdit, dans cette fuite en avant qui fait défiler le paysage devant moi et pourrait presque me faire oublier les affres de cette ville maudite pourtant située juste à côté.

Mais ce ne sont pas les yeux du chat que j'ai appelés, ce sont les miens, les vrais, laissant tout juste entrapercevoir un fragment de ma véritable nature, un trou de serrure perçant la prison forcée qu'est ce corps. L'adrénaline circule dans mes veines, mais il n'y a pas âme qui vive à cette heure-ci pour voir quoi que ce soit et, pendant quelques minutes, il n'y a que cette course folle où je ne suis plus personne.

Parvenant aux abords de Mooringsport, je ralentis peu à peu, la respiration haletante et le corps submergé des bouffées de chaleur de mes efforts. En quelques instants ce ne sont plus que deux yeux verts et banals qui observent les alentours. Une méfiance ancrée au corps et au cœur s'installe alors, bien que moins vive qu'en journée, et donne à l'environnement urbain l'allure sinistre d'un quelque chose où l'esprit ne peut jamais être tranquille. Furtivement, je jette un œil alentours, vérifie que je ne suis pas suivi ni repéré par les crétins de rednecks de cette ville. Routine tristement banale, celle de devoir longer les murs pour sa propre survie, de rester constamment sur ses gardes à chaque heure du jour et de la nuit, d'osciller entre la peur irrationnelle et ces élans brusques de folie pour toucher du bout des doigts l'ersatz d'un quelque chose d'insouciant.

Quelques minutes plus tard, j'arrive enfin sur la route de l'ouest qui mène à l'endroit isolé où j'ai posé cette vieille caravane qui me sert d'abri. Passant par un chemin de terre, les ténèbres engloutissent presque tout l'espace et j'avance prudemment, connaissant le chemin par cœur. Finalement, je déboule en trombe sur le petit promontoire entouré d'arbres et duquel on peut apercevoir le lac. Laissant tomber le vélo plus que je ne le pose, je n'ai qu'une hâte : cacher le petit sac à dos contenant les trésors récoltés de la nuit pour ensuite partir, laisser tomber toute cette merde et les relents de soucis accrochés à tout ce qui peut rappeler cette vie de galère. J'ai envie de me frotter contre les arbres, d'écouter les chouettes et de chasser les bruits dans la forêt. Il n'y a, en cet instant, que ce désir un peu mélancolique de s'abandonner à cette simplicité d'esprit pour se laisser porter par les choses tant que le jour est encore loin. Un instant, je m'inquiète pour Inna, avant de pénétrer dans la caravane.

Il y a une seconde, une seule, d'un frisson électrique qui remonte le long de mon échine à l'instant même où l'odeur emplit mes narines, déclenche dans mon esprit le flash paralysant d'un quelque chose de flou et de trouble, d'un amas de sensations indéfinies qui mettent le feu à tous mes instincts de prédateur en ne leur criant qu'un seul et unique mot : danger. Un mouvement brusque à la périphérie de l’œil, rapide et perdu dans les ténèbres. Mon cœur rate un battement, j'ai à peine le temps de tourner la tête et mon esprit n'a même pas encore assimilé ce qu'il voit qu'une masse de muscles et de poils se jette sur moi, m'agrippe à la gorge et manque de m'assommer en me plaquant violemment contre la paroi de la caravane. La bête rugit de colère et l'image de la gueule bardée de crocs du fauve s'imprime sur ma rétine au fer rouge, contraste de ténèbres où ne percent que de rares rais de lumière. L'espace d'une fraction de seconde la pensée humaine est broyée et je suis réduit à un unique point de métal en fusion, une bête sauvage acculée par un prédateur plus gros, plus fort, plus dangereux. Je ne suis plus qu'un animal à la merci de la mort et dont l'esprit comme le corps se ratatinent face au rugissement, paralysé par la peur. Les pupilles sont dilatées, le regard fuyant. Par réflexe, j'ai entrouvert la bouche comme pour montrer les crocs, mais ce n'est qu'une mimique grotesque et rien d'autre que des canines humaines.

Dans un deuxième accès de brusquerie, la bête écrase sa tête contre la mienne, échappe un bruit de moteur et entreprend de me lécher la figure et les cheveux. Mon sac tombe au sol, mes bras et mes jambes soudain affligés par un tremblement de faiblesse. J'ose alors de nouveau respirer, haletant comme si je devais reprendre mon souffle après une course. Mon esprit a déraillé, mes pensées tentent de se remettre bout à bout et de donner un sens à tout ce qu'il se passe. Il y a la chaleur de ce corps, la proximité animale, l'odeur de fauve. Je déglutis. Une part de moi est le poil hérissé, encore bloqué dans cette réaction instinctive du cerveau reptilien face à l'attaque. Une autre est absente, perdue dans des émotions que je ne comprends pas. Mes yeux tentent de comprendre, accrochent les stries noires sur la fourrure blanche. Et il y a ce bruit, hypnotique, qui emplit tout l'espace et résonne jusque dans l'intérieur de mon crâne. Un bruit de moteur, un son secret qui roule sous la peau humaine et enveloppe l'âme comme une couverture chauffante. Le sang pulse jusque dans mes yeux, la conscience balayée par un vertige, quand enfin ils discernent les motifs subtils mais familiers des rayures, que j'assimile la couleur blanche du poil et comprends enfin ce qui cloche. C'est une main. Une putain de main humaine.

_ P...

Je n'arrive pas à prononcer le mot. C'est comme si toutes les preuves étaient là, mais que la réalité te disait que c'est impossible, que c'est un mensonge. Comme si le prononcer à voix haute allait le tuer. Quelque chose déconne, la respiration ne semble pas ralentir. C'est comme un mirage, ou quelque chose qui cède. Quatre années d'angoisses refoulées qui soudain - enfin ! - desserrent leur étreinte, retirent ces griffes plantées dans la chair molle et fragile d'un esprit blessé pour le laisser de nouveau vivre.

_ ...Papa ?

Le ton est presque suppliant. Quelque chose se tord, menace de s'emballer. Il y a un instant de panique où le spectre de la folie plane comme une ombre, instille la peur irrationnelle que tout ceci ne soit pas vrai, une tromperie ou l'hallucination d'une personne malade. Une angoisse qui tente de lutter contre la prise à la gorge, qui sait qu'elle ne pourra pas survivre à un faux espoir et qui veut s'enfuir loin dans la transformation animale. Mais le bruit est là, le ronronnement puissant qui balaie tout et se répand dans la chair, les nerfs, l'âme. Qui coule comme une puissance tranquille et sans fin. La force semble alors quitter mon corps, qui oppose de moins en moins de résistance. Je laisse ma tête doucement s'approcher, presque comme s'il fallait l'apprivoiser, pour finir par reposer contre la sienne. Je presse ma joue contre le flanc de sa gueule, frotte timidement mon crâne contre le sien. Un instant, c'est presque un voile qui passe devant mes yeux, une faiblesse qui manque de m'emporter. Mais je m'accroche, mon bras droit vient enserrer son cou touffu, mes doigts se perdre dans la fourrure douce. Le gauche agrippe ce poignet inhumain qui me tient toujours.

Je respire l'odeur animale, me laisse emporter par la tempête de réminiscences que ça provoque à l'intérieur. Le bruit du ronronnement est comme un mantra contre lequel je ne peux pas lutter, une onde grave qui apaise et dans laquelle je me perds. Ma respiration ralentit, se calme petit à petit, et c'est presque un moment de transe dans lequel je me laisse totalement faire. De ma gorge, c'est l'imitation humaine grotesque d'un ronronnement qui se joint au sien, l'expression psychosomatique de tensions jamais confiées à personne et perpétuellement étouffées. La catharsis de quatre années d'un manque désespéré, dont les retrouvailles terribles avec une sœur à l'esprit presque éteint me font osciller entre l'espoir et l'impuissance.

À demi-conscient, mes doigts se referment autour des poils plus longs du cou.

_ Pars pas.

L'idée, terrifiante, est comme un gouffre béant duquel rien ne peut plus sortir.

_ Pars pas s'il te plaît...




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Dim 4 Oct - 21:10 (#)


C’est d’un mouvement purement dominant et félin que le tigre continue d’appuyer son crâne contre la tête de son fils dans des caresses un peu brusques, mais sincères. Effacer l’odeur qui n’est pas la sienne. Remplacer le parfum de la ville, de sa vie de bipède. Éclipser toute trace de la puanteur des autres, de l’arôme du bitume, l’humidité de sa peau tendue sur ses os, émanait un léger fumet de désespoir, d’une nutrition mésadaptée, d’excès inutiles.

Patriarche d’un clan déchu, ses enfants sont ce qu’il a de plus précieux. Le don de la nature passée à ces créatures merveilleusement complexes et uniques. Une partie de lui qui se reflète dans un monde déconnecté de l’essence primaire de la vie. Il était parti, pour leur bien, pour la survie de sa famille. Une sécurité garantie, mais à quel prix ? Comment avait-il pu croire que cela ferait du bien aux siens de perdre leur porte-étendard dans les brumes abyssales de la mort de tout ce qu’ils connaissaient ? Les enfants de la nature disparaissent peu à peu au dépit d’une réalité technologique et vide de sens. Mais il s’accrochait à l’espoir de tout ce qu’il pourrait accomplir un pied de l’autre côté de cette barricade administrative.

Wanda rigolerait. Son rire cristallin et léger comme le bruit d’un fin petit ruisseau au milieu d’une forêt de feuillu s’élèverait à ce moment précis. « Ne sois pas ridicule, Kaidan. ». Hanté à jamais par ces dernières paroles qu’elle lui aura adressées. C’est pourtant son visage couvert de sang, son regard hébété fixant le ciel une dernière fois qui resterait à jamais gravé dans sa mémoire.

Le tigre se rappelait. 
Comme si c’était hier.

Oh, je sais ma fille.
Je sais.

C’était ridicule d’espérer de faire la différence. D’être assez fort pour voguer entre les mondes sans rien perdre, sans pots cassés, sans blessures et sans laisser derrière des conséquences à ses choix. Sa fille était morte par sa faute. Sa dernière portée en otage d’une menace invisible prêt à leur tomber dessus. Ses frères et sœurs disparus de ses radars…

Que restait-il des Archos ?
Qu’une absence.

Bordel, May ! Où es-tu quand on a besoin de toi ?

Le ronronnement fit place à un feulement de détresse sous la supplication de son fils.

La transformation partielle continua à dégringoler le long de son bras, le pelage disparaissant pour le remplacer par des tatouages sur une peau blanche qui voyait rarement le soleil ces derniers temps. La poigne qui le tenait à la gorge entre l’envie de faire payer son fils pour ses indiscrétions publiques, et de le serrer contre lui, heureux de le revoir, se délesta pour glisser sur sa nuque, doucement. D’une pression rassurante et paternelle. Contre Rhys, le corps du tigre était perturbé de mouvements étranges, mais pas inconnu de la part du jeune métamorphe. Une transformation n’était jamais agréable. Ses entrailles, ses muscles et ses os courbant l’échine face à une force sans nom. Laissant libre cours à la tempête inimaginable qui modifiait la matière, le tigre se concentra sur sa prise, ancrée à quelque chose de tangible, bercée entre le mantra silencieux aux divinités d’où ils venaient et la transe du passage à sa forme la moins sacrée d’entre les sept.

Quelques interminables secondes se déroulèrent avant que Rhys puisse entendre ;

- Ça va aller. Je suis là.

Entre ses bras musclés, radiant une chaleur conséquente à ces miracles inhumains qui venaient de se dérouler, Kaidan serra son fils fortement contre lui. Il colla sa joue contre la tête de son fils, passant une large de main dans les cheveux de celui-ci. Un long soupir émotif se dispersa dans sa cage thoracique qui avait pris une dimension normale.

Son fils.
Sa tempête.

Sa propre nudité ne le gênait pas, cette forme humaine lui servait depuis si longtemps qu’il n’était pas du genre à se complexer de ce que la nature lui avait offert. C’était des inquiétudes philanthropiques qu’il ne comprenait pas du tout.



« La nature nous offre souvent ce qu’il y a de plus beau… Mais l’homme nous interdit de le voir parce qu’il s’en est approprié un morceau… Cela commence par un bout de terre puis vint un bout de plage puis un bout de mer et quand ce n’est pas une ile entière, que restera-t-il à contempler au bout de vos souliers quand nous ne saurons plus où nous promener… Nous n’aurons que nos yeux pour pleurer que la nature n’est plus à admirer… »



En père aimant, il caressa le dessus du crâne de Rhys encore une fois. 



- Je suis là. répéta-t-il à la fois pour se convaincre que c’était vrai et que… Plus rien ne va m’empêcher de l’être.

Un Archos était inoffensif.

Ils avaient réussi à nourrir cette illusion qu’il était maintenant casé, au pied, en laisse pour leur plus grand plaisir. Une cravate, un pass employé, une secrétaire et un horaire ; mater le méta pour en faire ce qu’ils veulent. Otto savait que ce n’était qu’une illusion. Pour ne pas leur briser, il gardait ses doutes pour lui, prêts à changer de camps quand il le faut. Ses allégeances aussi vacillantes qu’un drapeau au milieu d’un ouragan.

Connard.

Mais deux Archos, les possibilités devenaient soudainement infinies.

De grande taille, il serra son fils encore de plus près, réalisant que la présence d’un membre de sa famille, d’un métamorphe avec qui sa véritable nature ne devait pas être voilée, diminuée ou cachée, le délestait d’un poids qui lui grugeait la soif de vivre.

- Tu m’as tellement manqué.

Brusquement, il embrassa Rhys sur le dessus de la tête, l’écho des rires de Wanda planant quelque part, très loin, dans l’invisible.

- Qu’est-ce que je fais faire de toi maintenant ? murmura-t-il, soucieux de la suite des choses et de la vie de son ainé.

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Mer 21 Oct - 1:20 (#)


Pendant quelques secondes, plus rien n'existe. Pendant quelques secondes, je laisse aller tout ce qui prétend avoir de l'importance dans ce monde. Les pensées parasites, les préoccupations insignifiantes, toutes ces craintes vicieuses et suintantes qui collent à l'esprit comme une vieille souche de moisissure d'humidité dont on n'arrive jamais à se débarrasser. Quelques instants où il y a juste la chaleur de ce corps et une force incroyable qui irradie partout et en tout. Un vent nouveau souffle sur la conscience, plein d'un éclat lunaire, de souvenirs de vieux chants et d'éclats de rire ou de grondements, d'odeurs oubliées, de paysages visités et de voyages. En quelques inspirations, c'est comme si des mains puissantes étaient venues extirper une âme embourbée de la gangue qui l'emprisonne, lui redonner vigueur et lucidité pour la faire s'élever de nouveau.

Quelques instants où je redeviens ce simple enfant dans les bras de son père, où le poids du monde n'existe plus face à cette image de solidité inébranlable qu'il dégage. Un moment de vertige où, enfin, je peux fermer les yeux et ne pas me sentir en danger, où il n'y a que le silence apaisant de la nuit et la respiration puissante d'un refuge fait de fourrure et de crocs.

Le bruit de ses os qui craquent résonne dans ma propre poitrine, fascinante musique sacrée que mon corps ressent par empathie. C'est la clef de notre existence, un pied de nez à cette réalité dégénérée. Une essence qui s'affranchit de toutes les règles physiques pour prouver qu'elle est en vie. Bientôt le ronronnement s'éteint, mais il ne  reste pas rien et dans les quelques secondes qui suivent je me tire de cette léthargie presque comme d'un rêve, irréalité floue et confuse balayée sans compromis par l'expression d'une puissance primordiale. Mes bras répondent à l'étreinte paternelle et enserrent Kaidan avec cette force presque désespérée des gens qui se sont perdus et ne pensaient jamais se revoir, avides d'une tendresse rarement demandée auparavant. Mes narines frémissent de l'odeur familière, sa peau est brûlante et j'écrase ma tête contre la sienne dans une accolade qui semblait ne plus jamais devoir exister, un contact physique relégué au rang de souvenir.

Je lutte pour retenir l'effondrement intérieur d'une digue qui retient trop de choses depuis trop longtemps. Une digue fissurée de partout et colmatée avec du bric et du broc, construction aberrante et aux fuites multiples, mais les mots prononcés par Kaidan balaient toutes ces défenses branlantes, érigées pour afficher à la face du monde une normalité étouffante. Ma tête contre la sienne, mon visage se ferme, j'essaie de bloquer ma respiration pour cacher le tremblement de ma cage thoracique mais personne n'est dupe. Ça fait mal, de juste lâcher prise, d'accepter cette faiblesse et de la montrer. Ça fait mal, d'être dysfonctionnel et enfoncé dans une solitude taboue qu'il faut cacher, étouffer, amputer. D'être coupable d'avoir abandonné, de s'être laissé dériver et éteindre pour maintenant y faire face. Un flot incroyable d'émotions toujours plus brutalement réprimées s'entrechoquent, luttent pour s'échapper enfin. L'amertume douloureuse du chagrin s'immisce partout dans la gorge, le larynx, la poitrine. C'est comme de retirer un fil de fer barbelé incrusté là dans la chair pour servir d'atèle à une fracture.

Impossible de le regarder en face avec un tel mensonge dans les yeux.

Rien ne va, rien. Les larmes coulent pour la première fois depuis trop longtemps. D'un quelque chose qui s'est perdu, mais surtout de soulagement. Peu importe ce qui se passe, c'est la fin d'un enfer aveugle et étouffé dans le silence. La fin d'une misère à devoir cacher sous un tapis comme un cadavre qui chaque jour pourrit un peu plus. Do it or die, qu'il disait. Sauf quand il n'y a plus de sens à donner et qu'il ne reste que cette incertitude vertigineuse doublée d'une culpabilité tenace.

Quelques instants de laisser aller total passent, peut-être quelques minutes, difficile à dire. Une part de moi a honte de tout ça, a peur de son jugement malgré tout. Cette part un peu trop conditionnée par des réflexes urbains et les mœurs occidentales, qui ne sait pas trop ce qui a changé, en moi-même comme dans le reste. Une part qui a honte parce qu'elle sait qu'elle n'a pas été à la hauteur.

_ J'ai cru que...

Que quoi ? Qu'il était mort ? Qu'ils étaient morts ?
Impossible d'achever cette phrase, de mettre des mots sur une réalité niée presque avec frénésie toutes ces années durant.

Un silence, la bouche s'ouvre mais la suite ne sort pas.
La vérité, c'est que j'en n'ai jamais eu aucune putain d'idée.

_ Je... Je savais pas quoi faire.

Une hésitation dans la voix, terrible, qui se heurte à des mots impossibles à prononcer sans les mettre en pleine lumière. J'aspire soudain une grande goulée d'air. Pour lutter contre moi-même, pour affronter un monstre qui m'asphyxie depuis si longtemps.

Je m'extraie brusquement de son étreinte, brise la proximité pour me redresser et reculer d'un pas, presque comme si soudain tout avait changé.
Je ne veux pas lui mentir. Je ne peux pas continuer d'enterrer ça dans le silence. Pas maintenant que je peux l'exprimer, après quatre années passées à nier, à déchirer cet intérieur de carcasse humaine, à tenter de respirer avec ce poids qui reste accroché à la poitrine, aussi profond que je tente de l'enterrer. L'urgence jaillit alors comme un feu qui menace de tout emporter.

_ Y avait plus personne. Y avait que des flics magiques partout et j'ai cherché je te jure, je suis revenu plusieurs fois, mais ils étaient là et... Et...

Les paroles sortent précipitamment, sans aucun ordre ni reprendre de respiration. Le regard va et vient partout dans la pièce, fuyant, mais finit toujours, tant bien que mal, par revenir essayer de soutenir celui de Kaidan.

_ Je voulais pas partir je te le jure.

Mais je suis parti. Des souvenirs épars de ce moment reviennent. C'était la panique, partout, tout le temps. Un jeu dangereux de chat et de la souris, un cache cache mortel dans une ville surpeuplée, traqué par des forces qui dépassent la compréhension des profanes. Une fuite motivée par la terreur de se voir saisir et mis en cage, de se voir mettre à mort entre quatre murs de béton.

C'était il y a quatre ans.

Des larmes de honte commencent à remonter dans mes yeux, offrant le terrible spectacle d'une bête devenue, peut-être, un peu trop humaine ces derniers temps, et dont l'aura semble ratatinée sur elle-même en cet instant.

_ Je voulais pas partir...

Comment le justifier ? Comment légitimement le justifier ? Quatre années plus tard et avec un océan de distance, comment ne pas qualifier ça d'abandon ?
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Mer 4 Nov - 1:56 (#)


Contrapposto, position détendue, la nuit le couvrant uniquement, il laisse son fils reprendre son souffle, s’éloigner de sa prise réconfortante. Il n’est pas insensible à sa douleur. Il est même déchiré par celle-ci parce qu’il en est l’instigateur. Le chef du clan Archos souhaitant acheter la paix pour sa famille avait créé une guerre en chacun d’eux. Rhys était à l’image du tumulte qui habitait Kaidan, mais qu’il arrivait à conserver, loin et profondément en lui.

D’un pas, il efface la distance entre eux et il s’approche du jeune métamorphe. D’abord doucement, il agrippe le menton de celui-ci de sa grande poigne puis le soulève légèrement.

- Regarde-moi.

Kaidan ressentit l’hésitation de son aîné fuyant la prunelle qu’il avait tant de difficulté à soutenir. Brutalement, le patriarche Archos grogna et affirma sa prise sur le menton carré entre ses doigts. Sa mâchoire était serrée, il déglutissait avec un effort certain. Il répéta :

- Regarde-moi !

Puis il conserva le silence quand leurs yeux se rencontrèrent. Les larmes de son fils laissaient des marques sur son âme. Comme il aurait préféré leur offrir du bonheur, de la paix. Une vie simple, en sécurité, à vivre leurs pleines capacités ! Pourtant, partout où les Archos passaient que désolation et douleurs en résultaient. Quelle était cette malédiction qui entachait le karma de cette famille aux instincts qui s’effaçaient sous le prix du drame qui les afflige ? Qu’est-ce que Radovan leur avait légué d’autres que la crainte de ne servir à rien dans un monde qui oubliaient l’essence même de la création ? Comment pouvait-il faire autrement que de gauchement, voguer entre sa destinée et la fatalité comme un navire sans voiles ?

Il avait échoué.
Échoué à garder le clan uni, au-dessus des problèmes.
Échoué à ne pas les perdre, l’un après l’autre.
Échoué dans son rôle de patriarche.
Échoué dans son rôle de père.

Wanda décédée.
Un fils si triste.
Trois orphelins.

Son menton s’agite soudainement d’une peine qu’il n’allait pas libérer. Dans ses yeux remontent aussi des larmes de honte. Il tenait toujours le visage Rhys quand il prit une grande inspiration, recherchant un peu de contenance.

- Tu as bien fait de partir. Ils t’aurait attrapé aussi et ça, je ne l’aurais pas enduré. C’est ce qu’ils espéraient, mais je me suis assuré qu’ils se contentent que de moi.

Il avait troqué sa liberté et une fausse docilité pour la sécurité de sa famille. Qu’on ne lui inflige pas le même sort qu’on lui avait fait subir et surtout, qu’on ne cherche pas ailleurs les réponses qu’il pouvait proposer relativement rapidement et sans anicroche. Ça n’avait pas été aussi simple au début, mais ce connard d’Otto avait fini par le convaincre.

Otto qui cachait toujours la vérité au MRU à propos d’Evy et de ses trois derniers nés. Il espérait que Levon ou Méliné s’occupait d’elle et des enfants. Qui allait leur montrer leurs vraies natures ? Evy était intelligente et métamorphe, mais elle jamais elle n'avait eu à éveiller des enfants de la nature.

Cette soudaine envie de vomir. De défoncer la gueule de Thompson qu’il devait supporter presque tous les jours. De mettre à feu et à sang le PASUA qui le surveillait et l’employait à leurs grands plaisirs.

- Je sais que tu ne voulais pas. C’était pourtant la seule chose à faire. Compris ?

Il lâcha le menton et attrapa son fils par les épaules pour lui donner une longue accolade paternelle. Il embrasse le dessus de son crâne un peu brusquement, mais avec beaucoup d’affection.

- Je n’aurais pas toléré qu’il t’arrive quoi que ce. Pas après ce qui est arrivé à… , Mais il ne nomma pas sa jumelle. Il saurait de quoi il voulait parler. Et seuls les dieux savent ce qu’ils auraient expérimenté avec un deuxième métamorphe dans leur labo. Je ne t’en veux pas. Vous ne pouviez pas m’aider, de toute façon.

Parce que, bien évidemment, ils s’attendaient à une contre-attaque. On ne kidnappait pas aussi facilement la tête pensante d’un clan de métamorphe sans faire tomber quelques têtes.

Mais cela n’arriva pas.
Aucune tête ne roula.
Kaidan s’en était assuré aussi.  

- Je ne pensais pas que j’allais te retrouver ici. Je ne pensais pas que… c’était simplement possible. Qu’est-ce que tu fais à Shreveport ? J’aurais cru que tu serais resté avec ton oncle ou ta tante ? Même Thomas, ou Inna.

Il le sera une autre fois, sur son cœur. Son enfant. Son précieux. Seul. Si seul.

- Je suis désolé. Tellement désolé.

Il embrassa une deuxième fois la tête de Rhys, passa une main sur celle-ci, lui ébouriffant la chevelure courte et pratique.

- Ils ne pourront pas nous séparé maintenant. C’est promis.

Et seulement lui savait que cette promesse allait tenir, coute que coute. Plus rien ne pourrait se mettre au travers de la famille Archos maintenant. Son masque du parfait collègue allait lui servir. Il s’arrangerait. Il s’était toujours arrangé.

Enfin, il laissa sa descendance respirer et il retourna vers le lit, où il avait laissé ses vêtements soigneusement pliés. Kaidan entreprit de s’habiller lentement en demandant :

- Je… j’ai tellement de questions que je ne sais pas par quoi commencer. Je peine à croire que je suis en ta compagnie. En vrai…

En passa sa tête dans son t-shirt, il soupire longuement et s’arrête, observant son fils avec un sourire bienveillant.

- Vous m’avez tellement manqué.

Et c’était la vérité.
Il n’avait jamais été fait pour une vie de solitaire.
Encore moins au fond d’un labo ou entouré d’humains et de leurs égos démesurés.
Mais soudainement, il ressent un étrange frisson. Comme… comme si on lui demandait de répondre à un appel sans mots.

Froissement du vent dans les saules.

Il fronce les sourcils.

L’odeur de l’écorce et des aiguilles de pin.

- Tu… d’où revenais-tu ?

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Dim 3 Jan - 21:12 (#)


Le refus obstiné qui nie la réalité avec application vole en éclat sous l'injonction du patriarche, mes yeux brusquement forcés dans les siens. Sans vraiment avoir le choix, sans vraiment pouvoir résister, crispé sur place avec le pathétique d'un lapin pris au piège entre deux phares. Il y a cette parcelle de l'esprit qui vire à l'irrationnel le plus complet, cristallise cette peur farouche qui rampe sous la peau comme un cafard et semble brûler devant le regard de Kaidan. Notre proximité physique est cette épreuve terrible qui hérisse les flancs, d'interminables secondes à affronter où l'instinct commande de fuir. Mais je ne peux pas. Je ne veux pas. Le spectre d'une incertitude dévorante flotte sur la nuque en une épée de Damoclès, une obsession qui chuchote à l'oreille sa litanie destructrice : la possibilité d'un reniement brutal, un non-pardon aux allures de condamnation.

Le verdict tombe, des mots dont le poids a le pouvoir de faire ou défaire le nom des Archos et qui, malgré tout, peinent presque à atteindre ce nœud de nerfs et de tensions qui enserre tout le reste. Un instant, l'esprit semble ne pas vouloir le croire, semblable à ces animaux qui refusent de sortir de leur cage alors qu'elle se trouve grande ouverte sur le monde extérieur. Et puis une sorte de mélange entre la reconnaissance et le soulagement, toutefois toujours teintée des traces d'une défaillance convaincue. Il y a, là quelque part, le manque cruel d'un lien qui a été perdu trop longtemps, une façon d'être qui paraît presque étrangère tant elle diffère de ces automatismes qu'il a fallu adopter. Changer pour survivre, s'adapter ou s'éteindre. S'éteindre pour survivre ?

Une seconde s'étiole. Entre nos deux regards, dans un sens et dans l'autre. Mesurée. C'est ce que chuchote sa chaleur familière, cette force qu'il dégage et qui m'observe m'agiter là, à peine né en comparaison. La chose peut bien paraître invisible aux non-initiés, elle crève pourtant les yeux et, un bref instant, je reconnais cette ombre qu'il a dans l’œil, le familier d'une aura retrouvée et qui retisse ce quelque chose de secret et d'intime qui ne se s'échange qu'entre ceux qui partagent le même sang.

Pourtant, il y a autre chose sur son visage. La forme indéfinie et désarmante d'une inquiétude qui mélange tristesse et amertume, une forme que je ne lui ai vue qu'à de rares reprises mais qui me frappe comme ces moments d'épiphanie lucide. Les souvenirs fragmentés d'échos fugaces s'agitent dans l'ombre des paupières, tirant à la surface ces monstres qu'on préfère oublier mais que cette vision appelle. Je réalise soudain l'ampleur de ce que je ne sais pas, d'une douleur contenue qui se laisse un instant apercevoir et échappe un frisson alarmant, n'osant le questionner dessus.

Je finis par hocher la tête en signe d'assentiment, presque par automatisme, alors qu'enfin l'intensité du moment retombe quelque peu. Je lui rends l'accolade avec un peu moins d'énergie toutefois, bousculé par ce que je viens de voir, qui déjà n'est plus qu'un souvenir que j'essaie d'imprimer sur ma rétine. Il y a un quelque chose d'irréaliste dans cette scène, une puissante frustration cristallisée qu'on peine à laisser partir après toutes ces années, un sentiment si fort et si irrationnel que j'ai l'impression de me retrouver un peu bête face à Kaidan, qui est , comme s'il avait suffi de pousser une porte pour le retrouver, d'un geste aussi anodin et insignifiant.

Je le laisse s'éloigner pour s'habiller pendant que je regarde autour de moi d'un air un peu distant, observant sans les voir les meubles et autres affaires agencées çà et là. Tout ça semble si improbable, de voir mon père dans cet espace à la fois familier et... Étranger à nous. Alors, comme ayant de la difficulté à l'écouter et à la fois à réfléchir, je finis par saisir ce détail qui me tracassait depuis quelques secondes et entreprends de m'essuyer le visage, les cheveux, les yeux, à me frotter avec la manche de ce sweat rouge pour tenter de faire partir l'impression collante de la bave séchée et l'humide des larmes. Secouant à moitié la tête, je finis par m'asseoir sur une petite banquette, me penche un instant pour appuyer sur un interrupteur. L'éclat soudain de la lumière est comme un rappel brutal à la réalité, dissipant l'obscurité et cette brume opaque qui semblait entourer l'esprit. Un sourire timide se laisse finalement entrapercevoir sur mes lèvres, répondant malgré tout à celui de mon père dont les mots insufflent une chaleur apaisante dans le cœur. Un instant où le calme semble en passe de revenir mais qui n'efface pas tout à fait les troubles qui me traversent.

Néanmoins, sa dernière question sème un léger doute. Ou, plutôt, le froncement de ses sourcils. Il y a presque un décalage entre la situation et cet intérêt soudain et, l'espace d'une seconde, je m'interroge, ouvrant la bouche comme pour parler mais ne laissant les mots sortir qu'avec un train de retard.

_ Je...

Il y a tellement de choses qui se bousculent là tout de suite, tellement de trucs à dire, de questions posées depuis si longtemps et dont la réponse ne tient peut être plus qu'à quelques secondes. Quelques secondes interminables où l'impatience se mêlait à l'odeur de l'humus et du bayou, du vent frais dans les saules et au murmure du froissement de leurs feuilles fragiles. Un instant, il y eut presque comme une incohérence, l'impression d'avoir à faire un pas si lourd pour conserver quelque chose. Un secret, peut-être ? Toutefois, la chose s'en fut aussi vite qu'elle était venue, laissant sur la langue la sensation d'un inconfort amer.

_ ...Je faisais du repérage.

Les mots se détachent lentement, à mesure que les rouages de l'esprit se remettent en route. Il me faut quelques secondes pour rattraper les souvenirs de ce que j'ai fait ce soir, comme s'ils avaient déjà été enterrés sous des semaines de distance. Je le fixe, droit dans les yeux, semblant pourtant préoccupé par autre chose. C'était comme d'avoir deux conversations en même temps : une avec lui, une avec moi-même.

_ Enfin, je me baladais aussi. Je veux dire, il y a toutes ces maisons à côté des marais, plusieurs sont vraiment très riches, et d'autres... D'autres sont simples. J'ai besoin de nouveaux outils, de trouver des poules et...

Je hausse soudain les épaules d'un air dubitatif avec un regard qui témoigne très nettement que je n'écoute même pas ce que je dis et j'expédie la question sans même terminer la réponse. La chose est un peu maladroite mais sincère, et mes yeux ne cessent d'aller et venir de l'un à l'autre de ceux de mon père, le regard plein de hâte et d'interrogation. Un empressement soudain semble sur le point d'exploser en moi avec la réalisation brutale qu'il ne sait pas. Les pensées se réalignent. Des questions, j'en ai plein, probablement lui aussi, mais là tout de suite il n'y a plus qu'une seule chose qui compte, réduisant tout le reste à un quelque chose d'insignifiant. Fébrile, mes yeux s'ouvrent en grand en même temps que mes doigts s'agitent dans une excitation difficilement contenue et qu'un pulse d'adrénaline accélère les battements de mon cœur.

Il doit savoir.

_ Elle est là !

Les mots se bousculent dans la gorge avec un espoir qui n'avait plus existé depuis longtemps.

_ Papa, Inna est là !

Trois Archos et le monde redevenait soudain une proie.

_ Ici, à Shreveport !

Mon regard oscille incessamment entre son œil droit et son œil gauche, un regain de vigueur et d'énergie plein le corps. Pourtant, très vite la chose se nuance d'une teinte soucieuse. Tout n'est plus comme avant, mais c'est un soulagement important de savoir Kaidan présent, d'avoir l'assurance d'une deuxième présence familière pour Inna.

Un instant passe où je cherche mes mots, avec une précaution visible. Passé la joie des retrouvailles avec elle, c'est une toute autre angoisse qui s'est installée ensuite avec le spectre d'un délitement invisible qui semblait l'avoir emmené loin, très loin sur le chemin de l'oubli.

_ Je l'ai trouvée dans le bayou. Ou... Ou c'est elle qui m'a trouvé. Je sais pas, c'est pas normal.

À aucun moment il n'était possible de croire que c'était là le fruit du hasard. Il y avait forcément quelque chose de plus derrière. Notre essence, la nature, les esprits ? J'en sais rien, mais ce ne pouvait pas être une coïncidence.

_ Elle a changé. Enfin, non, c'est toujours elle mais...

Je laisse échapper un profond soupir, fixant un instant le plancher de la caravane. Quelque part, je n'ose pas prononcer ces mots, baissant la voix pour continuer.

_ Tu te souviens quand...

Quand quoi, quand Wanda a été tuée par le vieux ?

_ Quand j'ai disparu dans la forêt ce jour-là, et que j'ai failli jamais revenir ?

Expérimenter le grand vertige, l'abandon total, et glisser vers un oubli de soi-même et des autres sans même plus se rappeler qui on est.

_ Je l'aide à se réhabituer, mais je pense qu'elle a failli ne plus jamais revenir aussi.

Chaque jour et chaque nuit, sans cesse, j'ai pensé à elle, à ça, à l'angoisse qu'il se passe quelque chose de terrible ou qu'elle ne se souvienne plus jamais.

Je relève les yeux vers lui, fatigué, mais fatigué comme ces moments où on sait qu'on peut enfin se reposer. D'une voix basse et avec beaucoup d'émotion, je finis par lui avouer à mon tour, comme un soulagement, enfin.

_ Tu m'as manqué aussi.
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Sam 20 Mar - 2:26 (#)



Du repérage. Oui, c’est ça.

Il ne s’attendait pas non plus que son fils trouve un boulot honnête dans une ville aussi désarçonnant que Shreveport. Les Archos n’étaient pas non plus réputées pour le travail convenable et sérieux. Kaidan était probablement celui qui s’approchait de plus proche d’un taff correct, bien que quand on y pense, travailler pour le PASUA n’avait rien de «bien» en soi. Les avantages se faisaient attendre. Il avait quand même aidé quelques personnes, mais, le masque qu’il devait tenir pour accéder aux dossiers, documents et petits secrets des employés allaient bien finir par devenir lourds. 

S’il pouvait éviter de voler n’importe quoi à n’importe qui. Ces bayous étaient aussi remplis d’étranges créatures et des oiseaux de malheurs. Il s’en voudrait beaucoup que son ainé soit mal pris avec des malédictions et un tas de redneck à ses trousses. Oh, après cette soirée d’Halloween, il savait bien que Rhys savait se défendre d’une manière ou d’une autre. C’était dans leur sang : l’instinct de survie.

Teinté de subtilité que bien peu de gens peuvent déceler, le patriarche remarque un soudain changement dans le corps de son précieux interlocuteur. Il fronce un sourcil, curieux de la cause de cette soudaine fébrilité. Le pouls qui s’accélère, la rétine qui se rétrécit sous l’adrénaline…

Qui est là?

Parce qu’à défaut de bien des choses, Kaidan n’est toujours pas télépathe.

Mais quand enfin, Rhys arrive à s’expliquer, l’Archos manque proche de s’étouffer. Il recule d’un pas, passe sa main sur sa mâchoire et doit s’assoir sur le dessus du lit, faisant légèrement tanguer l’habitation mouvante. Il inspire difficilement.

Comment est-ce possible?

Ses yeux se remplissent à nouveau de larmes incontrôlables. L’émotion l’emporte une nouvelle fois sous la découverte d’un nouveau miracle. Son fils, sa sœur… réunie? Il se serait contenté de sa progéniture pour calmer les hurlements sadiques de sa solitude. Ses enfants plus que quiconque dans ce monde l’importait. Même ceux qu’ils n’avaient pas encore connus. Même celle qui était décédée.

Son regard se figea sur sa descendance et l’écoute en silence. Il ne veut pas l’interrompre. Bien sûr il se souvient de cette période. Quand il eut cru le perdre au profit de la nature bienfaitrice qui avaient fait taire tous ses maux. Ce déchirement et cette acceptation douloureuse de savoir qu’il allait peut-être le perdre à tout jamais. Cette paix difficile qu’il n’eut pas à faire, de le savoir à tout jamais bercé par la force qui les a crée. Il le fixe toujours quand il acquiesce doucement du crâne, une main venant essuyer ses yeux.
Inna. Si loin de la famille, si proche de la nature. Sœur d’une autre mère, elle avait été prise sous l’aile de Mémé rapidement. Elle devait sentir la différence. Thomas, son frère ainé, avait pourtant bien supporté leur vie familiale. Inna était attirée par les eaux. Radovan disait que leur mère était une sirène. Il ne saura jamais si c’était des souvenirs douteux de son géniteur ou une forme de vérité. À dire vrai, il préférait ne pas le savoir. Dans tous les cas, ça avait rendu difficile la vie de montagne et de villes sèches à sa sœur. Il essayait fort d’embrasser les formes de celle-ci, mais elle s’était mise à l’écart quand elle n’arriva pas à adopter l’apparence commune de la famille : le chat.

Kaidan finit par pousser un soupir.

Je… à son tour d’être sans mot. Elle va bien? Je veux dire, elle arrive à prendre une autre forme? Elle ne t’a pas oubliée, c’est bon signe… mais quelles sont les chances qu’elle soit aussi à Shreveport, en même temps que toi… en même temps que moi?

Il y avait un truc pas net avec cette ville de merde.

Quand Rhys lui avoue qu’il lui a manqué, le cœur de Kaidan se brise un peu. Il se relève et retourne près de son fils. Il retourne poser son large bras contre les épaules de celui-ci.

Les choses vont s’améliorer à partir de maintenant. On ne nous séparera plus jamais. Et si quelqu’un essaie, on va tout brûler sur notre passage, tu entends? Sérieux, il embrassa le front de son plus vieux et ajouta : Je vais t’aider avec Inna. Si elle le veut bien, nous allons l’aider à retrouver la balance entre ses formes. Qu’elle tristesse de la savoir si près et de risquer de la voir se transformer en chimère pour toujours. Il nous faudrait Mémé pour ça. La vieille n’est jamais là quand on en a besoin. Un grand classique.

Mais il fait taire cette frustration rapidement quand il entendit le bruit des branches se faisant bercer aux grés d’une brise du printemps… l’odeur de la rosée glacée sur un sol de feuilles rouges… le ruissellement de la sève par une chaude première journée d’hiver…

–  Tu n’as rien rapporté de ton repérage, par hasard?

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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

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Lun 10 Mai - 6:04 (#)


Quelles sont les chances que nous soyons tous réunis là à Shreveport ? Sacrée question dont la formulation me cause une introspection profonde quant à la nature des liens qui nous lient. À quel moment peut-on croire au hasard quand en moins de trois mois, les fils séparés d'une même destinée finissent par se raccrocher les un les autres, entreprenant de tisser de nouveau la toile qu'ils avaient délaissée. Comment imaginer un seul instant qu'il puisse n'y avoir rien d'autre derrière tout ceci qu'un vide amorphe et sans volonté ? Impossible. Ou bien la vie est une putain de farce cruelle, ou bien il y a à l’œuvre des choses qui dépassent la perception classique des sens. Des choses qui rôdent, peut-être, autour de nous, en nous, et qui sèment dans leur sillage des pas dont les échos se répondent les uns les autres.

Il y a ce frisson terrible qui remonte en souvenir le long de ma colonne, glisse entre les circonvolutions de mon esprit et frôle la pensée. Inspire, expire. Le soulèvement lent et profond d'un colosse à la respiration grondante dont la simple présence suffit à saturer l'espace, emplir le cœur et les os, et faire bruire l'eau lente qui coule paresseusement. Il y a cette conscience, formidable de par sa seule existence, qui irradie, aveugle, et imprègne jusque l'essence même de ce qui vit avec la force d'une émotion brute. Un instant, la chaleur presque brûlante du bras de mon père sur mon épaule traverse l'épais tissu de mon sweat et fait écho à ce vertige expérimenté au cœur du bayou avec Inna. L'expression du contact de deux auras faites des choses de l'instinct et des bêtes, une étincelle qui éclate comme la promesse d'une course sous la lune.

Je hoche la tête aux mots qu'il prononce d'une façon presque un peu floue, mais je reste silencieux. Il n'y a rien à répondre, de toutes façons. Il y a juste cet égarement qui lentement semble se défaire sous l'égide d'un vent nouveau, encore un peu faible mais qui construit la tempête de demain.

On va tout brûler.

Le souvenir du visage flou de mémé se superpose à l'empreinte d'une main tâchée de sang, prête à cisailler la chair de n'importe qui pour continuer de voir se soulever la poitrine d'un chat que je ne connais même pas. Je balaie l'image d'un mouvement de la tête.

_ Oui.

Je m'agite un instant, pose ma main sur son épaule comme pour compléter l'accolade et profiter encore un instant de cet espace de chaleur et de proximité, imprégner cette odeur encore fauve jusque dans mes narines et ancrer cette sensation dans le présent. C'est réel.

Je dégage doucement son bras en même temps que je me lève, incertain d'à laquelle de ses remarques ma réponse s'adressait. Il y a là une fatigue psychique qui s'empare soudain de moi, contrecoup des émotions successives, mais des dizaines de questions bouillonnent encore dans mon crâne. Je fais quelques pas vers le sac laissé près de l'entrée sur le sol, cherche quels mots je pourrais utiliser et finis par le ramasser avant de venir me rasseoir, hésitant un instant.

_ Elle va...

Bien ? Vraiment ? Je dézippe la fermeture éclair du sac à dos et commence à fouiller dedans. C'est plus un automatisme qu'un véritable intérêt de lui montrer mes trouvailles. Pas de quoi être fier, mais c'est comme si ces gestes reconstruisaient quelque chose entre nous. Un pont, peut-être, ou une discussion. Les tirant du sac, je lui mets un à un dans les mains les outils de jardinage que j'ai récupérés.

_ Je sais pas.

Un éclat d'amertume passe dans mes yeux. Il est là, c'est tout, comme un objet posé à côté sans plus de signification et je ne cherche même pas à le dissimuler. Le geste suspendu, la bouche entrouverte sur le point de dire quelque chose, mes yeux regardent sans les voir nos quatre pieds posés côte à côte sur le lino en imitation de bois.

Et finalement, au bout d''une longue attente :

_ Elle était juste là, en même temps si pleine et si loin. Y avait pas de mots, y avait que les choses et tout le reste existait pas. Elle était au milieu des arbres et de l'eau, et elle a traversé des humains comme si... Comme s'ils avaient jamais eu leur place ici. C'était brutal, ça duré dix secondes de totale violence, et ensuite...

Je ne peux pas décrire ça avec des mots, seulement témoigner des traces qu'a laissé cette impression. Comme des fragments de toile, décris un à un dans un ordre sans cohérence. Un instant je m'arrête, laissant dans le silence mon propre égarement du moment, pris entre la nécessité de raconter et celle de garder le silence.

_ C'était différent de d'habitude, elle existait et c'est tout. Ça suffisait. Sans explication, sans intention, sans idée. Sans bien ni mal. Sans futur mais sans passé aussi. Et je lui ai dit des trucs... Et...

Un conflit sur le visage, je ne sais pas comment exprimer ça. Comment me retrouver face à ce qui semble égoïste et presque illégitime. Lentement, je détache les mots les uns après les autres, redoutant de lui poser cette question qui a l'allure d'un aveu déplacé.

_ Papa... Est-ce que c'est mal d'avoir essayé de la ramener ? Est-ce que... J'ai le droit ?

Le droit de lui infliger le fardeau du souvenir. Le droit de la rappeler à cette existence et à ces corps malades et gauches. Le droit de refuser l'oubli salvateur. J'ai vu ce qu'il y avait de l'autre côté, et je sais que j'en ai peur, parce qu'il serait si facile de s'y laisser aller.

Mes doigts accrochent, dans le sac, l'arrête du cristal volé. Un instant, la brise berce les saules du bayou, dans un bruissement presque nostalgique et maternel. Un instant je revis avec une force terrible cette saturation des sens, des couleurs, des sons. L'idée d'une ombre aveugle qui vit en toute chose et dont le souffle seul suffit à créer ou détruire. Ma respiration s'accélère légèrement, les doigts se crispent sur le bijou dans un geste irrationnel. À travers la babiole, quelque chose vit et s'infiltre dans ma chair. Une énergie, ou une idée. Froide, elle se coule en dedans, cherche les failles et les douleurs, remonte le long de l'âme comme pour en tâtonner les nœuds de contradictions. Ça fait mal, à l'intérieur. Comme un regret indélébile, ou un bout de métal à l'odeur de sang et de poudre enfoncé dans la chair de la main droite. Elle est là. Soudain, j'en ai la certitude : c'est comme dans le bayou, avec Inna. Mon regard remonte vers celui de mon père, un éclat anormal dans l’œil, comme cherchant à le lui dire mais sans pouvoir utiliser les mots.

La terre.
Elle est vivante.
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Lun 28 Juin - 20:30 (#)


Observant son fils, si empathique et en phase avec la situation d’Inna, Kaidan se sentit rassuré plus qu’il ne l’aurait avoué. Oui, le revoir après tout ce temps tenait du miracle, mais deviner sa silhouette anonyme dans la pile de ses documents sur son bureau lui avait donné l’effet d’une tonne de brique tombant sur le destin des Archos. Bien conscient que par sa faute, sa famille était divisée. Le patriarche déchu avait un pied de trop près chez leurs ennemis. Ça allait probablement lui coûter quelques remontrances de cousins lointains et de Mémé. En même temps, grand bien leur fasse ; il essayait quand même de se convaincre qu’ainsi près du MRU, NRD et du PASUA, cela allait devenir le meilleur moyen d’éloigner leurs phares sur les Enfants de la Nature et de sa famille. 

C’était peut-être un vulgaire petit espoir. L’unique pensée réconfortante qui l’avait gardé en vie durant la période expérimentale de sa captivité. Son sacrifice ne serait pas vain et tant qu’il y croyait, il pourrait garder la tête haute. 

Qui connaît l’autre et se connaît lui-même peut livrer cent batailles sans jamais être en péril.

Inna.

Il soupira. 
Il n’y avait pas de bonne réponse à la question de Rhys. Ce n’était pas une question de légitimité de le faire ou non. Il était sa famille ; ils avaient été jadis assez près l’un de l’autre, d’un âge semblable, comme un frère et une sœur. La famille, pour les Archos, avait un sens plus important que celui du sang. Ce n’était pas une question de descendance, mais de mode de vie, de sécurité, de protection, de cocon vivable pour ne pas se perdre. La vie d’un métamorphe était longue. Encadrée par ses pairs, elle devenait soutenable. L’esprit de la Nature arrivait à trouver la paix… ils y étaient presque arrivés.
 
Presque.
Jusqu’à ce que Radovan tue Wanda. 
Ils perdirent du même coup le mince filet de leur sanité. 

- Le tigre royal blanc, c’est la dernière forme que j’ai acquise. 2 ans avant ta naissance. Lors d’un voyage en Inde, avec Levon, Méliné et Radovan. Nous cherchions d’autres comme nous. Nous nous faisons passer pour des historiens à la recherche d’anecdotes insolites sur des animaux fantastiques, les loups-garous, des créatures mi-homme, mi-singe, ce genre de récit. On épluchait les journaux, parlions avec les locaux… tellement avides de déballer leurs verbes quand ils avaient l’opportunité d’être entendus.

Les humains. Dès leur premier jour, tout ce qu’ils souhaitaient, c’était d’être vu et entendu. 

- Une personne vint nous parler de cette vieille folle, qui disait que son frère était le tigre qu’elle gardait dans sa cour arrière clôturée. Curieux, je suis allé voir par moi-même. La demeure était probablement spacieuse, mais elle était dans un état pitoyable. Elle était à moitié ensevelie sous une végétation hors de contrôle qui dévorait les murs. Une forêt dense et sauvage aux limites de la ville. Le devant de la porte était jonché de déchet et de papiers. Après avoir frappé à la porte, une humaine voutée, aux yeux gris presque aveugles, ouvrit et s’étonna de mon odeur. Cela me fit sourire puis je me présentai, pour ensuite lui demander de me parler de son frère, le tigre.

La vieille dame avait changé d’attitude. De bienveillance, à méfiance, on l’avait ridiculisé et pointé du doigt pendant une partie de sa vie. Qu’un inconnu, blanc, débarque à sa porte pour qu’on lui parle de son histoire, c’était peut-être un peu pousser sa chance. Pourtant, il l’avait rassuré en lui disant qu’il croyait à son histoire et qu’il aimerait en connaître les détails. 

- À l’arrière, c’était une énorme cage. Rouillée, avec des plantes qui y grimpaient. La nature essayait d’y entrer. Il faisait chaud. Il y avait même du grillage au-dessus. Impossible de s’enfuir. Au milieu, avec le temps, c’était devenu de la terre battue orange foncé, sèche, piétinée. Au bas des grillages, il y avait un profond sillon creusé. Les marques du chemin de l’habitude. Celui qui a été emprunté par mille pas pendant des décennies. C’est là que de l’ombre, comme un automate vide, sortit un énorme tigre royal blanc, la tête basse, la gueule ouverte, la langue pendante et le regard vide. Sous mes yeux, il effectua le même parcours qu’il empruntait sans relâche. Sans arrêt.

Dans l’esprit de Kaidan était encore gravé le souvenir de la bête sans espoir qui rôdait sans but précis. Perdu, hagard, sa cage thoracique se gonflait parfois sous l’effort d’un long soupir. Il n’était guère plus qu’un familier, coincé dans cette forme, ne sachant plus qui il était, pourquoi… 

Doucement, le patriarche Archos se laissa glisser le long du mur de la caravane pour s’asseoir au sol. 

- Probablement d’instinct, elle décida de me raconter toute l’histoire. Elle avait peut-être 90 ans d’apparence, mais elle était infiniment plus vieille. Elle et son frère vivaient des jours heureux. Ils avaient même fondé des familles. Par la force des choses, ils s’étaient approchés du village des humains, pour s’établir et se mélanger à eux. Tout allait bien jusqu’à ce que la femme de son frère se fit violer puis tuer dans leur domicile. Très attaché à sa femme humaine, il en devint fou et passait ses nuits et ses jours en tigre à chasser les humains, les poursuivre, puis à passer le plus clair de son temps en bête. Il se changeait qu’une fois de temps en temps, pour s’excuser à ses enfants, puis repartait, de plus en plus longtemps. Un jour il revient chez lui, sous sa forme féline et tue ses propres enfants, puis le mari de sa sœur. Folle de rage, elle réussit à l’affaiblir, le coincer et l’enfermer, espérant qu’il retrouve son autre forme, mais…

Il fait simplement un signe négatif et triste de la tête. 

- Quand elle allait lui parler, il ne l’entendait plus. Elle a failli mourir sous les crocs de son propre frère à plusieurs reprises. Il n’était plus complet. Il n’était qu’un morceau de son essence. Il avait tout perdu. Ce n’était plus que l’ombre de ce qu’il avait été. Un simple familier, violent, dangereux, qui aura lui-même décimé sa famille, celle qu’il souhaitait tant protéger.

Face à la réaction de Kaidan, la petite vieille avait senti que le sujet l’interpelait. Elle s’était retourné vers lui, les larmes aux yeux puis avait avoué : 

- Et depuis des années, c’est elle qui le gardait dans cette cage, pour le protéger lui et les autres humains. Elle était tellement inquiète de la mort de l’un ou l’autre qu’elle en oublia de se transformer. Ses autres formes oubliées, elle en perd la force de le faire, puis l’envie, pour finalement se nourrir que de souvenirs de passages.

Il passa une main sur son crâne, son regard fuyant celui de son fils. Il termina le triste récit : 

- Elle me supplia à genoux, d’adopter la forme de son frère. De lui donner une deuxième chance.

Un peu choqué, il est sorti de la maison à la course, puis s’était caché quelque temps. Il avait pris la décision de faire une chasse sacrée sur la bête, libérer l’esprit en cage et l’apaiser dans une nouvelle vie. Il vint observer le tigre quelques jours, en secret, lui parlant à voix basse, croassement ou miaulement,  puis la nuit venue se présenta à la porte de la vieille dame. Pas de réponse, il s’invita à l’intérieur, mais son pied glissa sur une flaque de sang. Les sens en alerte, il referma derrière lui et s’immobilisa dans l’ombre de la pièce d’entrée. Un ronronnement comme le tonnerre qui gronde se faisait entendre dans le salon, et lentement, il s’approcha, l’odeur du sang, le bruit de la viande qu’on mastiquait avec enthousiasme… 

Juché sur le canapé, l’énorme tigre se nourrissait dans les entrailles de sa sœur avec un appétit vorace. Tuant ainsi le dernier membre de sa famille. La vieille dame, à la tête renversée, dont l’unique œil qui lui restait observait le vide, exposait un léger sourire sur son visage couvert de son hémoglobine. Elle avait décidé de ne pas lui laisser le choix.

Position défense, il héla la bête vers son dernier combat. 

- Tu as bien fait, Rhys. Comme la Nature, nous sommes des créatures qui vivent d’un équilibre fragile. Cette balance, à Son image, est tout ce qui nous garde harmonieux avec Sa force. Elle aurait pu devenir captive comme familier d’un arcaniste ou une chimère chassée, torturée et exposée.

Il ferme les yeux, de la difficulté à se concentrer à son tour, cette sensation de fraîcheur accueillante, entourant, enivrante…

- Tu avais le droit. Elle est aussi une Archos, Rhys.

Mais il s’arrête, l’observe, la chair de poule recouvrant son corps sans pelage. 

- Rhys ?

Son regard se plonge dans le sien, sans bien comprendre, puis il s’abaisse vers son poing fermé sur un objet dont uniquement une mince corde de cuir dépassait de ses doigts.

- Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Puis d’un bon, il se jeta sur son fils pour défaire sa poigne et libérer l’objet qui semblait ensorceler son fils. Il se débattit avec lui un instant, le suppliant d’ouvrir la main, la tête remplie de songes de sa forêt préférée, et de l’air pur des montagnes… Kaidan arriva à presser les nerfs de l’avant-bras de Rhys pour les forcer à se décontracter puis la babiole tomba par terre. Sans courir de risque, il la repoussa du bout du pied et attrapa le visage de son fils entre ses larges mains. 

- Rhys ? Est-ce que ça va ?

Inquiet, il essaya de capter la prunelle des yeux de son unique jumeau, pour s’assurer qu’il était toujours là.

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Mar 31 Aoû - 3:14 (#)


La réponse s'infiltre dans mes sens avec l'assurance d'un ruisseau qui se met à irriguer le sable. Lentement au début, il me happe dans un récit qui ne semble pas tout de suite avoir de sens, puis de plus en plus vite à mesure que se dessine une direction et une histoire. Je reste assis là à côté de lui, le geste suspendu avec ce cristal volé enfermé au creux de ma main. Les mots coulent avec une lenteur tranquille, la voix grave apaisant peu à peu l'esprit dans ses intonations familières et les images qu'elle évoquait en pensées. Là quelque part, il y avait un tableau qui se dessinait, loin comme ces souvenirs qu'on n'évoque que rarement et que le temps laisse progressivement flous à mesure qu'il passe, et pourtant follement vivaces dans l'empreinte qu'ils ont laissée sur le fond de l'âme.

Éprouvé par les émotions du soir, je me laisse traverser par mes sens, la lassitude amenant un calme physique et émotionnel étrangement plat. Le genre d'équanimité qui suit tout déferlement, un instant d'équilibre contemplatif qui aurait pu durer de longues minutes. Le regard perdu dans le vague, j'imaginais les formes des mots racontés par Kaidan, découvrant ce pan de son histoire dans une acceptation silencieuse. C'était un récit d'impressions et d'éclats fugaces, l'éclair bref d'un pelage noir et blanc qui ne prenait vie qu'au coin de l’œil, informe et trop vif pour véritablement être saisi, une leçon de vie qui s'enracinait en moi avec la force d'une mémoire vécue. Là, se creusait dans le fond de la poitrine le négatif parcellaire d'un mélange entre l'amer et la pitié, une désolation intérieure face à la constatation d'un gâchis monumental. Des pointes qui, alors, s'éveillaient au monde comme si elles avaient toujours été là. La sensation du métal rouillé et dru contre la paume.

Un instant, je suis sur le point de l'interrompre mais quelque chose, dans la communication non verbale de mon père, suspend mon souffle, hésitation terrible et pleine d'appréhension. Presque de la crainte.
Le bruissement des taches de soleil dans les arbres.

La présence irradie dans la chair, remonte depuis la paume jusque dans l'avant-bras et dans l'épaule, étourdi par la force des souvenirs que j'absorbe comme une éponge et qui remontent à mesure que Kaidan déroule son histoire. Je me souviens, oui. Des émotions confuses, une horreur mêlée à de la tristesse. Une sorte de résignation traversée par l'image mélangée des autres Archos, de cet œil unique et éteint qui fixait le vide et du bruit de mastication qui résonnait dans le noir. Il n'y avait plus que ça, ce bruit insupportable. Le mâchement machinal et plein de l'odeur du sang.

L'éclat, dans le regard pourtant presque aveugle de cette vieille femme, d'une lucidité qui vit encore même après sa mort.

C'est comme de traverser un courant soudainement froid dans une mer chaude, d'être pris dans l'exhalaison surnaturelle d'un ectoplasme. Une chair de poule qui fait frissonner l'intérieur. L'espace d'un instant, je vois très nettement l’œil du tigre qui ne renvoie plus rien que l'image d'un équilibre brisé et la compréhension de ce moment où ce qu'il reste à faire devient très clair.

Un malaise collant vrillait en silence l'inconscient, cette histoire illustrant avec une clarté presque cruelle les deux écueils redoutés. La part encore lucide de mon esprit, quoi que quelque peu léthargique, imprime cette vérité comme on se rend à l'évidence : d'un côté comme de l'autre c'est la mort par l'oubli. Un quelque chose rompt, se casse, et on glisse alors d'un côté ou l'autre de la pente. Animal ou humain, mais jamais plus le même.

Sourcils froncés, visage fermé, je sentais qu'il y avait quelque chose à dire, des mots qui poussaient pour sortir, sans trop savoir s'ils venaient de moi ou de... De l'histoire. Pris dans ses résidus, j'eus, durant une seconde, le poisseux du sang sur la peau et le transport d'une libération cathartique. Un souffle vivant qui surgit pour mieux disparaître aussitôt. Un souffle qui faisait écho à cette bête de crocs et de poils à l'intérieur. Un grondement.

Difficilement, mon attention quitte cette inertie dans laquelle elle était prise au piège, les doigts crispés comme de la pierre pour finalement s'ouvrir sous la pression exercée contre les nerfs. Les choses ont bougé, trop vite, et il manque cet instant entre le moment où Kaidan était en train de parler d'Inna et de chimères et cet instant où il n'y avait plus que cette proximité et l'éclat inquiet dans les yeux de mon père.

Il me faut quelques secondes pour revenir. Je me rends compte que mon cœur bat trop vite, mais ma respiration est normale, presque trop lente, à l'image d'un réveil ensommeillé. C'est comme de s'être levé brusquement et d'avoir eu la tête qui tourne.

Je hoche la tête machinalement. Oui, ça va. Est-ce que ça va ? J'écarte les mains de mon père comme pour le rassurer. Ou me convaincre moi-même.

_ Non, c'est bon. Je me suis endormi une secon...

L'incohérence me frappe, je ne termine pas ma phrase. La sensation est étrange, difficilement descriptible et je fais visiblement un effort pour me concentrer dessus. C'est être éveillé et plongé dans le  sommeil à la fois. De vivre et de rêver. En essayant un peu, je me souviens de l'histoire racontée par Kaidan, mais l'impression cotonneuse et flou, mélangée, ne disparaît pas. Il y avait ces fragments étrangers.

_ J'ai vu...

La rémanence du malaise vécu persiste, bien qu'il ait disparu. L'expérience était déstabilisante. Il y avait soudain urgence de poser ce ressenti par des mots, pour les saisir avant qu'ils ne disparaissent et que rien ne puisse plus prouver leur existence. Je jette un oeil à Kaidan, guettant sa réaction. Est-ce que j'ai halluciné ?

_ Ses cheveux... Ils étaient attachés en chignon ? Je sais plus. Ses yeux étaient bleus, non, et elle avait un châle orange vif avec des fleurs ? Ou des dessins. Et elle s'appelait Namia... Nimia... Un truc comme ça.

C'est pas parce que je pouvais me transformer en chat que c'était pas une expérience flippante.

_ Putain, y avait le tigre aussi, je me souviens. Je l'ai senti...

À l'intérieur ? Non. Pas exactement. D'un geste du doigt, je pointe le torse de mon père. C'était pas mes souvenirs que j'avais hallucinés en bribes.

_ ...Là ?

Et il y avait, dans ce murmure, une certaine forme de fascination mêlée de crainte, l'appréhension d'un mystère qui m'avait envahi sans que je ne puisse rien y faire. En silence, mes yeux fébriles interrogent Kaidan, attendant une réponse. Est-ce que c'est lui qui a fait ça ? Ce genre de... Partage ?
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Sam 11 Déc - 1:01 (#)


Un long frisson le parcourt quand son fils revient à lui. L’incohérence qui le frappe et le fait taire étonne aussi Kaidan. Assoupi une seconde? Il relève sa grande patte et la dépose sur l’épaule du jeune métamorphe. L’inquiétude illumine le regard du patriarche des Archos pendant qu’il scrute son premier né, espérant que l’objet de malheur qu’il avait repoussé le plus loin possible n’avait pas fait trop de dommage et qu’il était celui qui avait effleuré les sens de Rhys.

Bordel de magie. Qui collait à leur peau comme un aimant attiré par le fer de leur sang. Les forces de la Nature contrôlées et invoquées étaient friandes de l’essence des métamorphes. Comme si elles y trouvaient un écho de leurs propres puissances, un filet auquel s’accrocher, confortable et rassurant. Au grand damn de tous ceux qui étaient marqués par les Esprits de celle-ci.

Sa respiration s’arrêta quand il décrivit trop bien…

- Nisha. Elle s’appelait Nisha Varma. Naman. C’est le prénom de son frère.

Quand il pointe son torse, le sien, Kaidan fronce les sourcils. À l’appel du souvenir, des prénoms, la bête en lui frémissait, mais n’expliquait pas pourquoi Rhys avait ressenti ses propres mémoires comme s’il y était. Il frictionna l’épaule du jeune chat un instant, sans aucune explication. D’un hochement de tête négatif, lui n’avait rien éprouvé d’autre que ses propres réminiscences du passé en les racontant.

Il n’aimait pas ça.

Lentement, il se releva du sol puis entraina son fils avec lui, pour le pousser à s’installer confortablement sur son lit.

- Assit toi là, un instant. Protecteur, il se retourna, ouvrit les minuscules placards avec empressement pour dénicher un verre qu’il remplit d’eau d’une cruche sur le comptoir près de l’évier remplit de vaisselles sales. Bois ça. Il lui tendit le verre puis se recula pour s’appuyer contre la table et les deux banquettes de la roulotte. Les bras croisés sur son torse, il passa une large main sur son menton en observant sa progéniture. Un profond soupir puis son regard glisse vers le pendentif qu’il avait extrait de la poigne de Rhys et écarté de son pied. Il se penche et vient pour y toucher, mais se ravise rapidement quand l’odeur de la forêt humide au matin remplit ses sens, le bruit des feuilles dans les premières brises chaudes du printemps, le vent qui emporte le sable chaud… Se redressant vivement, il attrape un contenant de verre un peu sale, mais qui avait un couvercle puis arrive à insérer l’object étrange à l’intérieur sans y toucher. Fermement, il tourne le couvercle puis ouvre le réfrigérateur d’un geste pressé et y dépose le réceptacle sans délicatesse. Referme d’un claquement la porte du petit frigo, comme s’il mettait la chose en punition. Un geste de la tête comme s’il pestait mentalement contre la chose, il revient en position détendue contre le dossier de la banquette, faire face à son fils.

- Où as-tu volé cette chose? demande-t-il, les sourcils froncés, l’expression inquiète se transformant en celle du patriarche qui s’assure de la sécurité de tout le monde, mais, il se ravisa. D’un geste de la main, il sembla effacer sa question puis roula des épaules pour se détendre. Plus tard. Il ne voulait pas assombrir ces retrouvailles. J’ai tellement de choses à te dire… tu dois avoir beaucoup de questions. Il leva le menton. Son regard se perdit à observer le plafond, se mordant la lèvre du bas, hésitant de comment entamer le reste. La suite n’allait pas être joyeuse. Pourtant il avait tant de choses à lui dire. Si tu savais comment tu m’as manqué… Il dut se contrôler pour ne pas s’approcher de lui et frotter son visage comme un gros félin contre le crâne de l’unique fils de Nadia Amari, cette puissante chamane qui avait porté sa première descendance. En contexte familial, il se comportait souvent plus comme un grand fauve affectueux, mélangeant les réflexes de ses agiles et affectueux félins prendre le dessus sur sa forme humaine. Et les divinités seules savaient à quel point le «contexte familial» lui avait aussi manqué et comment c’était nécessaire pour sa survie.

Il y a 4 ans, trois de tes frères et sœurs sont nés. Siméon, Seta et Sima. Evy les a portés à terme et Otto nous a trahis. Biensûre que son fils connaissait Otto Thompson. Ils ne s’étaient pas particulièrement fréquentés ni vus souvent, mais il était le disciple de Mémé; les disciples de la voie de May qui finissaient à rencontrer les Archos étaient peu nombreux. La dernière avait été la mère de Rhys. Dans tous les cas, il n’allait pas prendre des gants blancs pour raconter les événements. À la minute où les chatons sont nés, les forces du MRU m’ont pris au piège, sont entrées, puis m’ont coincé pour me garder dans leur labo pendant quelque temps. Kaidan allait éviter les détails sur sa détention puisqu’il savait que son fils avait été bercé par les sordides détails cauchemardesques du passé trouble de Radovan. Contre la protection et la vie d’Evy, des bébés et de laisser en paix les Archos, ils me gardent en otage comme leur bête docile et seuls les dieux savent comment ils se sentent fiers et doués de l’avoir fait. Le patriarche grogne et ferme les yeux durement, en ce coinçant le haut du nez. Et ils ont trouvé l’idée géniale de me prêter au NRD et le PASUA pour une autre agréable et longue session d’expérience en tout genre dans leur laboratoire aux États-Unis et le comble, c’est qu’ils m’ont offert un post de conseiller de terrain, que j’ai accepté, dans le but ultime de tous les massacrés au moment qu’ils s’en attendront le moins.

Éclat de plaisir dans son regard, ce n’est pas le genre de promesse qu’un métamorphe faisait à la légère. Parce que c’était réellement l’intention de Kaidan : Ils me feront confiance, je vais jouer les parfaits agents, leur licher le cul, faire du copinage avec tout le monde, sauver quelques garous au passage puis les déchiqueter, de l’intérieur. L’Archos était devenue plus sombre, son sourire s’élargit à la simple pensée de dominer ceux qui avait essayé de le briser.

Tout ce qu’il lui fallait, c’était encore un peu de patience.

- C’est d’ailleurs comme ça que j’ai su que tu étais dans ce bled pourri et humide. Une partie du dossier des événements de la samhain est arrivé sur mon bureau. Quelle ne fut pas ma surprise en devinant ta silhouette au travers de ce carnage. Il poussa un sourire, triste cette fois-ci. Il se détendit, desserrant ses poings et les muscles de ses bras puis s’excusa : Si j’avais été là, rien de tout ça se serait passé… Ses lèvres dessinèrent une ligne sur son visage. Il voulait tout savoir, comment, pourquoi, quand… Il s’approcha de son fils et arriva à lui sourire. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps, à part te cacher? Tu as des nouvelles des autres? Tu as fait des enfants? Une concubine? Ton âme sœur peut-être? Il y a d’autres Métas à Shreveport? Il prit une pause et s’assit à côté de lui. Raconte-moi tout, je t’en pris.

Rattraper le temps perdu.
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Je me laisse faire, prends le verre d'eau et le bois un peu machinalement alors que mes sens tentent encore de percer ce brouillard occulte qui s'est imposé à moi quelques instants. Mes yeux suivent en silence les gestes qu'il fait, enfermant la pierre comme si elle rayonnait un poison. C'est peut-être ça, oui, l'étrange fascination qui nait dans mon regard, semblable à l'éclat voilé de la lumière sur la surface polie du bijou. Il y a quelque chose, avec, une sorte de tentation agréable et qui appelle au relâchement. Un murmure qui te dit laisse-toi aller et qui promet comme un peu de repos dans un monde où même l'air que tu respires est mort. Une façon singulière de trouver un peu de réconfort au sein d'un univers parasité par les humains.

L'instant est mystique, la scène un peu surréaliste. De me retrouver là, avec mon père, cette force tranquille et dense qui fend les emmerdes avec l'assurance d'un homme capable d'endurer presque n'importe quoi pour conduire la barque des siens à bon port. Je me sens comme un enfant, en cet instant. Je suis un enfant, parti en vrille dès l'instant où il a été laissé tout seul, dès l'instant où la lumière s'est éteinte et qu'il a fallu affronter un espace froid et indifférent. Do it or die. Survis, ou meurs. Et il y a, dans cet instant, dans toute la gestuelle subtile de Kaidan où perce un peu d'une nostalgie chagrinée, un quelque chose de terrible qui me frappe, un secret révélé comme le fond d'une faille insondable qu'on aperçoit enfin. Quand il commence à raconter, je sens la lourdeur de son propre souffle pénétrer le mien, peser sur les épaules la densité d'un nœud complexe et profondément enraciné. C'est de la fatigue, qui se dégage. Une lassitude mêlée d'un peu de résignation, et qui pourtant est prête à traverser un enfer comme un autre dès lors qu'il y a cette force familiale qui nous anime. C'est comme de se jeter sur une lame en anticipant la douleur de son tranchant, mais d'y aller quand même plutôt que de fuir l'inéluctable, parce qu'on va pas se laisser découper pour se faire mettre dans des barquettes en plastique sans réagir ni déchirer nous-même les chairs.

Il y a, donc, le sentiment cruel d'un amalgame de regrets qui s'agglutinent. Ces enfants nés jamais vraiment rencontrés, la disparition d'Evy, la trahison d'Otto. Qu'est-ce qu'il a dû éprouver, lui, depuis tout ce temps ? Un gouffre de contradictions s'éventre en moi, mélange outrage et horreur. Ce qui se dessine dans les mots de mon père ne peut pas se définir, pas s'exprimer. C'est la colère dans son sens le plus primordial, une révolte dont les racines plongent jusqu'à l'origine de notre essence, emporte et broie toutes les futilités inutiles d'un monde duquel on se sent expulsé. Mes phalanges blanchissent en silence sous la pression des doigts serrés. Un feu coule dans mes nerfs avec l'implacable d'un corps froid qui annonce la mort, d'un changement irréversible qui s'insinue dans l'espace vide de ce qui manque pour changer une trajectoire qui n'était jusque présent qu'aléatoire. Mon aura brûle comme la promesse d'une violence qui reviendra mais, en ce moment très précis, il y a, avant tout, cet élan de sympathie, de culpabilité aussi, qui fait tendre une empathie pleine de tendresse et de compassion envers Kaidan. Un regret désolé qui voudrait soulager sa douleur, porter un instant ce poids à sa place comme il a fait lui d'innombrables fois pour moi. Pour nous. « On a appris quelque chose quand on a suffisamment grandit pour voir à quel point nos parents sont fragiles » La phrase de May me revient en pleine figure, soudainement révélée hors de son contexte premier. Borné et têtu, c'est que maintenant que j'ai l'impression de découvrir les vraies raisons de toutes ces fois où on m'a emmerdé pour apprendre des trucs chiants de méta.

Je me lève quand il s'approche, mes yeux fixés dans les siens avec une violence brutale. Il y a quelque chose qui se bat, là, à l'intérieur, pour laisser éclater des promesses de cruauté gratuite et inutile à l'encontre des wizard cops. Un élan terrible qui veut savoir, tout, mais qui redoute en même temps de voir la vérité. Tout ce mauvais fiel, pourtant ravalé au prix d'un effort colossal, un effort pour être plus intelligent, plus digne. Je comprends, là, que j'ai pas le temps de chouiner. Plus le temps de morver comme un merdeux. Ouais, il est balèze Kaidan, ouais. Mais vous le connaissez pas comme moi, et c'est pas parce qu'il s'est passé quatre ans et un enfer que je vois pas la vérité dans le pli de sa bouche, là. Ça fait mal, ces merdes, ça laisse des traces, même sur lui, et là tout de suite je suis confronté à l'inutilité de tout ce que j'ai fait jusque présent, sans avoir rien de bien à lui donner. Rien qu'un fils puisse apporter à part des emmerdes.

J'ai honte.

_ Y a rien de tout ça. Y avait pas la place. La seule que j'ai retrouvée c'est Inna et c'est... Par hasard ? Je sais pas, j'y crois pas trop. Y a un truc dans les marécages là-bas papa. Un truc... Vivant. C'est comme une respiration qui t'écrase, un truc prédateur qui rôde partout mais qui te protège, un... Un...

J'étouffe ma respiration, contrôle son rythme. Contrôle. C'est le dernier truc, on dirait, pour pas que tout pète. Faut pas partir en couille, sinon tout va se terminer, et pas question que ça se termine maintenant. Plus question. Y a qu'une seule conclusion qui existe. Un seul truc qui ait vraiment valu le coup, qui puisse lui montrer que y a encore du sens, quelque part.

_ Le bayou il est vivant. Je te jure. Inna me l'a montré. Y a des... Des schémas ou... Des flux. Partout. Dans les branches, dans l'eau, dans le vent. Tout t'observe, comme si tout était un. Je sais que c'est dur à croire mais je suis pas taré je sais ce que je dis.

Le rythme cardiaque oscille toujours entre le calme forcé et l'incertitude de devoir aborder un tas de sujets qui s'entrechoquent. Un tas de trucs inutiles. Un tas d'échecs.

_ Je me suis barré au Mexique, et après au Texas, et après ici. J'ai construis tout ça.

Je soupire, essayant désespérément de trouver des choses qui, encore, aient du sens, et pas juste ces trucs inutiles.

_ J'ai sauvé un autre méta ! Deux fois ! C'est le seul truc où j'ai réussi quelque chose. Y avait cette soirée de dégénérés à Noël, avec des vampires qui voulaient le capturer. Y avait les wizard cops aussi et il a toute une famille qui vivent dans la ville. Je leur ai démoli la gueule à ces petites merdes de suceurs, mais il s'est passé plein de trucs étranges ce soir-là. Et la deuxième...

La phrase s'éteint à mesure que je me heurte à une mélasse de l'esprit, à une direction dans laquelle j'arrive pas à avancer, dans un mouvement de répulsion instinctif inconscient qui se lit un instant sur mon visage. Cette réalisation et un détail me frappent alors. Un détail plein d'un danger que je reconnais. Avec force, j'agrippe soudain l'avant bras de mon père, mes doigts s'enfonçant dans sa chair. Mes yeux fouillent les siens comme s'ils essayaient de trouver une vérité qu'il voudrait cacher.

_ Papa.

Je peux pas rien dire. Je peux pas rester là comme si de rien n'était.

_ Et quand tu leur auras déchiré la gueule, il va se passer quoi, après ?

L'intonation particulière laisse entendre la rhétorique, même elle ne ferme pas la voie à une réponse.

_ C'est toi qui m'a toujours dit qu'il valait mieux disparaître que se laisser planter, que les humains sont trop nombreux pour gagner contre eux dans un combat direct. J'sais pas c'est quoi ces conneries avec cette petite merde d'Otto, avec les wizard cops et ce que ces connards t'ont fait mais...

Je savais pas quoi dire. Quel conseil moi, petit prépuce méta, je pouvais lui donner à lui ? Mes doigts relâchent légèrement la pression, j'esquive mon regard un instant sur sa nuque, sur ailleurs. Il a peut être l'air fatigué, mais on a sûrement une sale gueule tous les deux.

_ Pardon, je... J'suis désolé... T'as rien à te reprocher papa, c'est pas ta faute ok ? T'entends ça ? Mais juste... Juste reste en vie d'accord ? Je connais des gens qui font des faux papiers si faut. Des bons trucs. Et le méta que j'ai aidé, son nom vaut pas rien. T'as sûrement déjà pensé à tout ça, mieux que moi même, mais faut pas que ça te retombe dessus t'as compris ? Je viendrais foutre la merde n'importe où s'il faut pour t'aider, je buterais n'importe qui si tu me demandes, mais faut pas que ça soit toi l'ennemi affiché.

Il y avait, là, l'essence exacte de ce qui faisait la dangerosité des Archos ensemble. Une loyauté aveugle, qui pouvait conduire à la mort, et qui résonnait inconsciemment dans mes tripes comme le serment d'un fils à son père.
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Ven 29 Avr - 20:45 (#)


Son fils n’est pas un taré. Contrairement à ce que la majorité des habitants de Shreveport pourrait croire; sa progéniture n’est pas débile. C’est un métamorphe. Un Archos, qui plus est. Les Archos ont été élevés pour la survie et faire face à la violence qui accompagne les moyens d’y arriver. Leur longévité est un atout. L’art d’observer, d’absorber et d’être témoin n’est qu’un outil de plus durement acquis par un Radovan aux psychoses latentes. L’ancien patriarche s’était éteint sous l’effort de son fils, achevé par ses soins. Une complicité qui n’a pas de mots ni de définitions. Et c’est aussi pour quoi que son fils n’était pas un dégénéré. Il était à l’image même de la Nature; anarchiste et chaotique. Un électron libre qu’on ne pouvait contrôler. Parfois cruelle. Foutue. Incomprise. Ce qu’était aussi Kaidan, mais voilé par le temps et les responsabilités. 

C’était un beau mensonge, son père. 

Entraîné pour ça par le meilleur d’entre eux. Rhys avait eu la chance d’être bordé en partie par une famille forte. Méliné et sa fille, la petite Olena, puis Levon. Et Wanda… Inna. Thomas. Ils avaient presque atteint une normalité palpable. Un rythme de vie utile et paisible. Ils étaient soudés, unis. Des métamorphes proches de leur Nature, la célébrant, sans entraves, dans la voie de May.

- J’aimerais tellement que Mémé soit là. Confie Kaidan. 

Elle saurait quoi faire. Elle sortirait une de ses phrases débiles et tout se mettrait à sa place. Est-ce qu’elle savait pour Otto? Pour ce qu’il avait fait à sa famille? Sa trahison? La situation dans laquelle il était? 

Quelque part au fond de lui, il s’imaginait qu’elle savait. Qu’elle les observait d’une manière dont elle seule le pouvait et avait décidé qu’elle n’avait pas le temps pour ça. Quelque part en pèlerinage ou en ermitage, à rigoler en fumant son tabac qu’ils sont bien dans la merde et qu’ils ont à se débrouiller tout seuls. Elle n’était pas morte. Enfin, Kaidan s’imaginait qu’il le saurait si c’était le cas. 

- Elle t’aurait probablement parlé de… filon d’énergie de la Nature ou la magie ancestrale lié à celle-ci. De son aura sacrée dans certains lieux de puissance. Des points vitaux dans l’univers… un sujet qui dépasse totalement mes connaissances.

Parce que le premier patriarche des Archos avait peur de la magie. Il avait une crainte indescriptible contre les manipulateurs de la Nature. Lié à un trauma du passé, il avait préféré le transposer sur ses mioches au lieu de s’en guérir auprès de May. La blessure était profonde. Profonde et suintante. Elle le savait et avait fait son possible pour corriger le tire avec ses successeurs, mais probablement moins qu’elle l’aurait souhaité. Kaidan avait toujours trouvé cela intéressant (puis ce qui faisait chier Radovan était palpitant, à une certaine époque), mais n’avait jamais eu l’occasion d’effacer la crainte imprégnée d’être instrumentalisé par une personne qui pourrait maîtriser son essence unique. 

- Mais je te crois. Je te crois mon fils. Précise-t-il avec un doux sourire et sa poigne qui presse pour le rassurer, l’épaule de son héritier. Ça expliquerait pourquoi je ne me sens pas totalement à mes aises dans les bayous du coin. 

Kaidan ne peut s’empêcher de sourire sous les exploits de Rhys. Qu’il est croisé et sauvé un autre métamorphe dans cette ville qui grouillait de créatures contre nature tenait du miracle. Ils étaient si peu nombreux, effacés au sein d’une communauté grandissante de garou mal luné et damnés. Rien à voir avec eux sauf l’identité thérianthropes; cette faculté à revêtir l’aspect d’un animal. Ils étaient damnés. Une maladie qui se transmettait dans le sang. Eux étaient consacrés à la Nature au plus profond de leurs molécules. Ils faisaient partie d’elle. Ils étaient elle. Sous tous ses aspects les plus complexes. Quoique soit la relation que Rhys eût trouvée avec cet autre métamorphe, il était content qu’ils se soient retrouvés dans cette jungle urbaine. 

Le grand métamorphe leva un sourcil d’intérêt quand son fils lui posa une question d’importance. Il devint sérieux en entendant la suite et poussa un long soupir. Touché, il observa Rhys hésitant, regardant ailleurs, offrant sa loyauté sur un plateau d’argent. À la mort de Wanda, tout avait changé. Il savait. Il aurait fait pareil. La fidélité aux Archos avait chancelé, valsé dans la confusion et le fouillis créé par la douleur et de l’incertitude. En tuant Radovan, le sang avait payé le sang, mais avait à peine soigné les brûlures qu’avait laissé le grand-père timbré à une famille de survivalistes. 

- Ce qu’ils m’ont fait… Kaidan s’arrêta. Il n’avait pas à raconter sa vie de rat de laboratoire pour le MRU puis le PASUA. Le MRU avait, somme toute, été plus tendre, si ce n’était de ce fanatisme passionné de Spencer Willis. Celui qui faisait de la capture des Métamorphes un sport. Le PASUA y avait été sans traitement de faveur, utilisant des protocoles et des techniques suggérés par une réputée profileuse du FBI qui travaillait pour eux. Dire qu’il était surprenant et ironique qu’elle soit maintenant sa collègue serait un euphémisme. … C’est ce qui ne va jamais t’arriver, entendu? Je me sacrifierais corps et âme pour que tu n’aies pas à vivre ça ou qui que ce soit de la famille. 

Une pointe d’angoisse le fait déglutir difficilement. L’idée qu’ils avaient déjà ses chatons et qu’Evy subissait le même sort que lui était insupportable. Que sa sœur et son frère soient sous leur joug, dans le même cachot aseptisé dont il avait arpenté l’étroitesse pendant des jours et des jours. Qu’il n’ait pas entendu parler de Vahik et Nora depuis des années parce que le MRU les avait chopés eux aussi. Que May gisait quelque part, sans sépulture ou rite de passage… mais il fit descendre tout ça, encore plus profondément que le reste. Si Gautièr le trouvait complètement timbré d’avoir encore de l’espoir, il ne pouvait faire autrement que d’abreuver ses convictions optimistes. Pour eux. Pour Rhys. 

Et comme s’il comprenait enfin ce qu’il voulait insinuer, il éleva le ton : 

- Je refuse, catégoriquement, que tout ça retombe sur toi! Compris

Il ne pouvait pas promettre pour lui. Il ne pouvait pas dire jusqu’où il pourrait aller pour les siens, mais il ferait ce qu’il peut pour ne pas foutre en l’air sa longévité. 

- Avec tes contacts et les miens, ça ira. Ça prendra du temps. Ça ne sera pas réglé demain, mais mon but est de retrouver les petits et Evy, t’écarter hors de tout danger et glisser loin de leurs pattes en laissant un beau merdier derrière. On va y arriver sans se sacrifier, Rhys. 

La suite ne lui faisait pas plaisir à dire, mais il le devait.
Il n’avait pas eu la chance de le faire avant d’être kidnappé : 

 - Et si jamais il m’arrive quelque chose. Je veux… Non. Écoute-moi. C’est important. Kaidan serra son fils une nouvelle fois dans ses bras. Pas une étreinte désespérée, mais celle qui accompagnait un autre pacte. Un pacte pour son salut s’il venait à venir. Si je meurs, promets-moi de retourner dans les montagnes. Retourne là-bas, quand nous étions presque heureux. Éloigne-toi des villes et du PASUA ou du MRU. Dit-il à son oreille. Souviens-toi de ta Nature et de ceux qui la respectent. N’oublie jamais que tu es un Archos, d’accord?

Un Archos.
Une créature inexplicable, passionnée et complexe.
Une bête de dualité et d’instincts sauvages.
Le fruit parfait de la Nature.

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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
Rhys Archos
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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

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« Wild men who caught and
sang the sun in flight,
And learn, too late, they
grieved it on its way,
Do not go gentle
into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
Ivresse sur voie publique ;
Expert du pistolet à clous ;
Vol de voitures ;
Briseur de vitrines ;
Bagarres ;
Vol de poules ;
Thème : /watch?v=L7a8hmoOsx0
SOONER OR LATER
YOUR HUMAN SIDE LOSES.
IT HAS TO

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Lun 2 Jan - 7:45 (#)


Je reste un instant suspendu à la réponse de Kaidan, à ces choses de l'ombre qui sont sur le point d'être tirées à la lumière, à ces secrets indicibles qui vont peut-être prendre forme, là dans l'instant qui suit, et dévoiler les atrocités redoutées du PASUA, du MRU, de tous ces putain de wizard cops qui jamais n'ont cessé de constituer une menace informe mais pourtant omniprésente. L'appréhension fige mes sens et mon sang dans l'anticipation de sa réponse, une réponse qui ne vient finalement pas vraiment et dont le caractère élusif terrifie plus que tout. Mais y a pas à tortiller du cul, il y a cet éclat dans les yeux, une forme prédatrice et sauvage qui s'insinue un instant sur les plis de son visage. Ça et l'intonation dans la voix, cette détermination sur fond d'idées de sacrifice. C'est là que tu comprends à quel point le monde est une énorme merde dysfonctionnelle : quand tu dois choisir qui va se sacrifier pour donner l'espoir aux autres de continuer à se construire. Un espoir vain, mais qui parfois semble être tout ce qu'il reste au milieu du chaos du monde moderne.

Je rêve qu'un jour ce monde s'indigne, que la réalité change ses propres règles et décide - arbitrairement - de tout flinguer, d'envoyer en l'air la nécrose urbaine et de broyer entre les montagnes toute trace de civilisation dans un recommencement aux allures d'ultime recyclage. Une rébellion sauvage, sans compassion ni raison, comme un énorme doigt d'honneur infligé à la face de ceux qui nous écorchent. Se défaire de ces peaux humaines et entrer dans une frénésie qui ne se terminera que lorsque tout aura retrouvé la sérénité tranquille de l'aube du monde.

Quand il me dit qu'on va y arriver sans se sacrifier, j'ai envie de le croire, j'ai envie de m'accrocher à ça, prêt à toutes les arnaques et ruses possibles pour passer entre les mailles du filet, à déchirer la face de qui il faudra. Mais je sais que ça sera pas aussi simple, et qu'il suffit pas toujours de le vouloir pour réussir. J'ai pas envie qu'il prenne tout sur sa gueule pour nous, pour moi. J'ai pas envie de vivre dans un monde où il va falloir qu'il se crève pour ça. Des fois, je me demande à quelle sorte d'entité païenne on peut encore faire ses offrandes sans que ça soit du gâchis jeté dans le vent, avant de me dire que s'il en existe encore elles sont probablement mortes, étouffées sous le poids d'un monde vidé de sa substance.

Mémé dirait que non, et que c'est le propre de toute cette énergie sauvage que de s'adapter et survivre, qu'on finira tous par y retourner, mais, bon. Des fois, c'est dur. C'est dur de pas parfois prendre tout ça pour des contes de fées. Et là, dans l'intimité de cet espace clôt et fraternel, lessivé par l'intensité brutale des émotions de la soirée, mon père trace une ligne terrible entre nous deux, comme une rayure rouge sur l'esprit, prête à y graver des mots tissés en une promesse qui donne le vertige. Si jamais il lui arrive quelque chose... J'étouffe le réflexe d'un mouvement de recul sauvage, un instinct impérieux prêt à mordre. Je ne peux pas envisager cette éventualité. Je ne peux pas imaginer que ça arrive, pas maintenant qu'il est là, en face de moi, en chair et en os, en odeur et en son, avec cette connexion intime qui nous lie dans un silence qui se passe de mots.

Ma chair se raidit, les muscles crispés par une tension difficile à cacher. Je ne résiste pas à son étreinte, au contraire, cherchant la chaleur dans le rayonnement de son aura, mais il y a le vacillement imperceptible d'un esprit qui se voit pousser à envisager l'après dans un univers où il était difficile de considérer ne serait-ce que le présent. L'image des montagnes revient en mémoire, la nostalgie des forêts de cèdres et ses odeurs d'humus et de pins. Le souvenir fantasmé d'une période qui semblait à la fois si banale et si simple, et pourtant bénie. Mais les mots ne sortent pas pour autant, la mâchoire serrée. Il y a cette envie de lui obéir, de lui promettre que oui je le ferais, mais je sens se tortiller à l'intérieur autre chose qui tente de s'esquiver, le cœur battant un peu plus vite.

Enfin, après un interminable silence fait d'inconfort et d'hésitations, je chuchote une réponse qui n'est pas des plus assurées à aller à l'encontre du souhait de Kaidan.

_ Je sais pas...

Je déglutis, mal à l'aise, essayant de poser des mots sur des ressentis qui n'ont jamais été formulés.

_ Je vais jamais oublier ce que tu m'as appris, je vais jamais oublier les autres, et les histoires de mémé, et notre nom. Jamais. Mais... Là-bas...

J'inspire, j'expire. Pour prendre un peu de courage. En cet instant, c'est pas comme si je savais vraiment ce que je voulais. À part rester là, avec mon père, sans que l'aube ne se lève jamais, pour simplement partager le même espace. Mais retourner là-bas, c'est viscéral, c'est un frisson de rejet sur la peau. Il y a le regret d'avoir quitté ces montagnes, ouais, c'est sûr, mais la nostalgie du temps d'avant est trop douloureuse. Est-ce qu'elle le sera à jamais moins ? Rien n'est moins sûr. Le souffle lourd, les mots sont un peu confus, cherchent leur chemin.

_ Y a plus personne là-bas papa. Et, c'est tellement loin... Ici, y a Inna, et toi. Y a d'autres gens, même des humains et...

Je profite de l'étreinte et de la chaleur de Kaidan pour me reposer un peu plus sur lui, pour laisser aller un peu de cette pression, profiter de la réalité de sa présence. Ma peau brûle de ce contact physique tant désiré, de toutes ces fois où j'ai crevé de pouvoir simplement me blottir contre ma sœur ou mes tantes. De juste savoir ne pas être seul, comme ces moments d'escapades nocturnes en formes animales, ces joyeuses balades du gang pour profiter des nuits chaudes de l'été.

_ C'est bien, ici. Le bayou il est sauvage, y a personne...

Et puis quoi ? La forêt souffle ? Le bayou vit ? C'est cette impression difficile à décrire, qui ne possède pas de mot dans cette langue pour l'expliquer. Celle qui fait se sentir bien dans un endroit, en harmonie avec le rythme de la nature, sur la même longueur d'onde. Une sorte d'acceptation mutuelle et presque surnaturelle entre un métamorphe et son environnement, qui sait que cet endroit est bon pour lui.

_ Ça respire.

Un instant passe, où je suis happé dans la réalité du souvenir de ce cœur sauvage montré par Inna. Une nature faite de flux et de courant, de motifs et de révélations silencieuses. Un endroit où il n'y avait qu'à ouvrir les yeux pour percevoir la trame mystique sous-jacente au monde, hurlant à notre nature le chant du monde.

Je m'écarte de Kaidan pour me décoller de lui. Je sais ce qu'il reste à faire maintenant.

_ Je peux te promettre de pas faire de la merde ni de mourir connement. Mais tu dois faire pareil, papa. Inna a besoin de toi. J'ai besoin de toi. Je vais pas te laisser faire ça tout seul. Je suis plus un enfant et je vais pas me tourner les pouces sans rien foutre alors que t'as besoin de moi.

Plein d'une innocence presque naïve en cet instant, je le regarde avec les yeux de celui qui décèle avec compassion le contour de blessures difficile à cerner, dans un père toujours perçu comme une force de la nature, un pilier inébranlable. Le sentiment de tout à l'heure me revient avec force dans les tripes. Cette conviction viscérale qui me dit qu'il y a plus de temps pour les pleurnicheries, pour les ouins-ouins et autres égarements à la con. C'est bon, on est trois maintenant. Trois braises qui peuvent mettre le feu à n'importe quoi et cette idée suffit à remonter d'aplomb une certitude vacillante.

Je pose ma main sur l'avant-bras de mon père. Je sens le frémissement du sang uqi bouillonne dans mes veines, la palpitation d'un sauvage à peine dissimulé sous la peau d'humain, qui n'attend que de sortir pour rugir à la face du monde toute sa fierté. Il y a le feu, dans mes yeux, mais un feu plein d'une ruse subtile propre à l'adaptation et la survie. Un feu qui a un but et qui refuse de se laisser éteindre.

_ Je peux te montrer la famille de métas que j'ai aidée. Ils sont riches et puissants. Ils peuvent nous aider.

Les O'Connell, les chats les plus riches de la ville. Maintenant, je comprends que nos chemins ne se sont pas croisés par hasard et avoir sauvé deux fois leur leader de la mort - ou pire - peut maintenant porter un but.

_ On va les retrouver, Evy et les petits. Tu as des pistes ? Tu sais où ils se trouvent ?

Et retrouver Otto, aussi. Le retrouver et lui dévorer le visage.
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