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Break || Prudence

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Anonymous
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Mar 3 Aoû - 8:14 (#)

J’avise un instant l’emploi du temps de ma journée de travail et me rencogne dans mon large fauteuil de bureau qui sent encore le cuir neuf, jouant machinalement avec mon pendentif doré, trahissant une agitation mécontente. Les affaires se lancent doucement, trop doucement à mon goût. Un début plus brutal m’aurait davantage convenu. Mes journées demeurent encore bien vide par rapport à ce que j’ai connu jusqu’ici. Pour combler cette vacuité je mets ce temps libre à profit pour démarcher de potentiels clients et entretenir la ferveur de mes admirateurs sur les réseaux sociaux, mais j’aurais préféré que les gens me noient sous les appels pour réclamer mon aide à corps et à cris. Je savais que lancer son propre cabinet dans une autre ville représenterait un défi. Moins de réseaux, moins de clients, une dépense faramineuse qui dilapide mes économies et cette obligation d’accepter toutes les personnes qui se présentent afin de relancer les affaires de manière efficace. A Chicago mon emploi du temps était bien rempli et une liste d’attente avait même dû être mise en place, toutes mes affaires étaient susceptibles de plaire à mon public et tournaient autour de la défense des humains contre les CESS, cette croisade qui fait exulter tous ces idiots terrifiés et m’offrait tant de reconnaissance. Ici des affaires plus banales se mêlent à ma spécialité, la plupart des gens ignorent encore qui je suis ou n’en ont qu’une vague idée. Tout reste à conquérir, un état de fait aussi frustrant que stimulant. La campagne publicitaire qui a engloutie mes dernières économies devrait se lancer sous peu, de manière imminente, et rétablir un peu d’ordre dans mes affaires. Un nouvel essor, de nouveaux clients, une rentrée d’argent qui me permettrait de développer ce cabinet et l’amener à un autre niveau. Le succès à mes portes.
Le téléphone sonne en m’arrachant à mes pensées, la lumière clignotante m’indique un appel interne de mon assistante qui se charge de l’accueil des clients. Je décroche et aussitôt la voix de mon unique employée se fait entendre :

« Votre rendez-vous de onze heures est arrivé. » Un rapide coup d’œil à ce qui est noté sur le planning. Onze heure, problème de rupture de contrat. Une affaire à premières vues des plus banales. « Bien, faites-la rentrer. »

Je raccroche le téléphone et jette un œil au miroir décoratif aux bordures dorées accroché au mur pour vérifier que mon apparence est toujours impeccable. Mon apparence et celle de mon bureau sont les premiers éléments sur lesquels mes potentiels clients vont me juger, alors je soigne autant l’un que l’autre. Je remets en place une mèche de cheveux rebelle tandis que deux coup polis se font entendre contre le battant de la porte et celui-ci s’ouvre sur mon assistante suivie de ma potentielle nouvelle cliente. Elle l’invite poliment à rentrer et retourne à son poste de travail. Je me lève en lissant le bas de ma robe pour m’assurer qu’elle ne remonte pas puis arpente élégamment la distance qui nous sépare en arborant mon plus beau sourire professionnel. Les talons de mes escarpins claquent sur le parquet en un bruit sourd et profond qui se répercute dans la pièce large décorée avec goût. Chaque rencontre avec un inconnu devient l’occasion de briller de mille feux et il n’y a rien que j’apprécie plus que d’éblouir mon public. Je lui tends la main pour la saluer d'une voix chaleureuse.

« Bonjour. Vous devez être madame Bosquet. Je suis Anna Janowski, ravie de vous rencontrer. » Une fois les politesses d’usages terminées je lui désigne d’un geste élégant les deux sièges faces à mon bureau pour l'inviter à y prendre place tout en retournant à mon propre fauteuil : « Asseyez-vous et dites-moi donc en quoi je peux vous aide. »

Je me réinstalle dans mon siège, le dos bien droit et les mains posées sur le bureau en bois brut dans un mouvement avenant. Mon sourire a laissé place à une expression bien plus sérieuse et propice aux affaires. Rien dans mon image ou ma posture ne laisse transparaitre l’agacement qui m’agite quant au fait de devoir prendre des cas aussi banals que des histoires de rupture de contrat. Je n’ai jamais vraiment apprécié de régler des problèmes aussi quotidiens et courants, il s’agit typiquement du genre de choses que je déléguerai quand j’aurais davantage de personnel, mais pour le moment c’est bien ce qu’il faut pour tout rebâtir.

« Il m’a été fait mention d’une rupture de contrat par l’une des parties. Est-ce bien de cela qu’il s’agit ? Avez-vous apporté le contrat en question ? »

Il ne s’agit pour le moment que d’un premier rendez-vous, je ne m'engagerai pas à la défendre tant que je n'en saurais pas plus sur son affaire, ce serait là une erreur de débutant. Espérons qu'il s'agisse de quelque chose dans mes cordes, qui en vaille la peine et qu’elle ne m’ait pas fait perdre mon temps.
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Anonymous
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Ven 13 Aoû - 12:45 (#)


Je raccrochais mon téléphone, l’air quelque peu soucieuse. Les prochaines semaines s’annonçaient compliquées. La surcharge de travail, sans compter le départ de mon directeur artistique, allaient me mettre dans une situation délicate si je voulais livrer les projets dans les temps. Et au vu de ma situation actuelle, je ne pouvais pas me permettre le moindre faux-pas. Aussi, lorsque j’appris le décès de Maximilian Dubois il y a quelques jours, j’avais à peine eu le temps d’aller me recueillir sur sa tombe.

Maximilian était un de mes vieux amis. Photographe et écrivain à ses heures perdues, le hasard avait fait que nous étions voisins et qu’un beau soir d’été, le manque de sucre en poudre me fasse frapper à sa porte. J’avais été touchée par ses réalisations et son naturel tranquille et apaisé. Coincé dans un fauteuil roulant suite à une longue maladie, il s’était retiré à Shreveport pour y terminer tranquillement son existence, entouré de ses innombrables créations argentiques. Avant son décès, nous avions l’habitude de prendre le thé ensemble et tandis qu’il me montrait ses aventures sur papier glacé, je ne pouvais m’empêcher de penser que sa vie solitaire était à des années-lumière de l’existence trépidante qu’il avait eu. De ses photographies se dégageait des émotions particulières, à cheval entre l’excitation et la mélancolie. A mesure que je parcourais ses albums et qu’il me racontait avec patience ses anecdotes, je découvrais un univers unique, qui m’avait particulièrement touché.

Avec le temps, j’avais fini par accorder à Maximilian une confiance que je ne portais que très rarement aux autres. Il m’avait exposé son univers, laissé entrer dans sa vie, lui qui était reclus dans sa maison au bord du lac, le corps cloué dans un fauteuil alors qu’il rêvait d’ailleurs … et cela m’avait plus affecté que je ne le laissais paraître. Notre relation s’améliorant, il m’avait autorisé à emporter l’un de ses albums photos : une série de clichés qu’il avait organisé sur le thème des grands espaces. Maximilian aimait les gens, les foules et les villes … mais l’année avant qu’il ne contracte sa maladie débilitante, il avait eu un véritable choc en découvrant l’immensité des déserts et des paysages où la main de l’homme s’effaçait. Il en avait tiré une centaine de clichés, triés sur les cinq sites qu’il avait exploré avant que ses jambes ne lui fassent défaut. Ces photos, rangée dans un précieux album de cuir, étaient peut-être son chef d’œuvre. Il ne les avait jamais publiées, préférant les garder avec lui pour une raison que jusqu’alors, j’ignorai.

J’avais décidé de lui offrir un cadeau avant son grand départ. Prenant sur mon temps et mes ressources, j’avais réalisé sur l’album un enchantement de mon cru. Ces photos disposaient d’une puissance charge émotionnelle, les prédisposant à un enchantement, ce qui facilita ma tâche. Après quelques jours de travail, à manipuler les clichés et à les soumettre à mes sortilèges, je parvins à créer le cadeau parfait pour Maximilian. Quiconque plongerait son regard trop intensément dans ces photos après avoir prononcé leur nom se retrouverait momentanément plongé mentalement à l’intérieur. L’esprit projeté à l’intérieur de la photo pourrait alors ressentir avec exactitude ce que Maximilian avait ressenti lorsqu’il avait pris le cliché. L’enchantement ne permettait que de rester que cinq minutes à l’intérieur de la photo, mais c’était amplement suffisant pour que mon vieil ami puisse expérimenter à nouveau ces souvenirs.

J’avais offert ce cadeau à Maximilian – me révélant à lui par la même occasion. Je ne me souviens pas avoir vu homme plus ému … Nous avions convenu que cet album, à sa mort, ne devrait pas être remis à ses descendants. Tout ceci avait été consigné par un notaire et formalisé bien avant sa mort … qui survint moins d’un mois après.

L’album enchanté aurait dû me revenir, comme stipulé par l’édit notarial. Mais c’était sans compter la mesquinerie de sa famille. Maximilian Dubois avait une descendance, qui vivait à Chicago et désirait créer une exposition sur son travail en son honneur. Malheureusement, l’album photo enchanté faisait parti de leurs plans. Les explications au téléphone furent houleuses. Malgré les scellés placés sur sa maison au bord du lac, les descendants Dubois contestaient fermement l’acte notarial, prétextant que cet album était constitutif de l’œuvre complète de leur père et que sans celui-ci, l’exposition qu’ils préparaient resterait incomplète.

A partir de là, comment leur expliquer que l’album était enchanté et que chaque cliché risquait de créer une véritable cohue sitôt que leur pouvoir magique serait avéré ? Il y avait trop de risques à laisser cet objet dans les mains de personnes n’en connaissant pas la valeur véritable. Et plus que tout, je ne pouvais décemment pas leur expliquer la véritable raison … L’acte notarial aurait dû faire foi, comme c’était le cas en Suisse, mais nous étions en Amérique … et en Amérique, tout est attaquable.

Et comme ici, tout est attaquable … tout est aussi … contre-attaquable ! Laissez débouler les avocats ! Des avocats avec des crocs, des dagues et des regards assassins ! Des avocats capables d’extraire la pulpe des héritages, de laisser des familles éplorées sur le carreau et de récupérer la moindre petite bourse pour le bon plaisir de leurs clients. Plus sérieusement … faire appel à un avocat ne me plaisait guère, étant donné que j’avais voulu régler ceci à l’amiable. Mais quand je reçus le courrier de leur avocat, maître Turlow, je compris que je devais correctement m’entourer.

Un ami m’avait recommandé de m’adresser à maître Janowski – « Elle ne déçoit jamais ! Tu vas voir, elle est … magnétique » - pour ce genre de cas. Cela m’avait semblé étrange car une rapide recherche sur internet m’avait indiqué qu’elle était plutôt une avocate de cour et non une spécialiste des litiges sur les héritages. Mais je décidais de faire confiance à mon ami et d’accepter sa recommandation. Le contact avec la secrétaire était plutôt bien passé et maître Anna Janowski avait accepté un rendez-vous pour que je lui explique mon cas.

Le cabinet de maître Janowski était des plus élégants. Il était rare de voir un cabinet d’avocat décoré avec autant de goût. En tant que designer, je m’étais efforcée de décrypter la provenance et les matériaux de chacun des objets présents dans la salle d’attente, mais je me devais d’avouer que son bureau était un petit bijou en soi. Maître Janowski savait mettre un soin tout particulier à la manière dont elle recevait ses clients, ce qui était plutôt bon signe.

Quant à madame Janowski en elle-même …

« Bonjour maître Janowki, la saluais-je en lui serrant la main. Mademoiselle Prudence Bosquet. C’est un plaisir de faire votre connaissance. Merci de me recevoir pour mon affaire. »

Anna Janowski était d’une prestance qui ne me laissait pas indifférente. Elle n’avait prononcé que les salutations d’usage, mais il était impossible de nier qu’elle occupait tout l’espace. Ses paroles étaient claires, son regard appuyé et tout dans son être transpirait à la fois l’élégance et le professionnalisme – ou peut-être était-ce son délicat parfum. Tout dans son apparence était une invitation à lui faire confiance : de sa robe parfaitement taillée à ses escarpins dont elle semblait s’être rendue maîtresse (ce qui n’était pas simple sur du parquet). Lorsque je lui serrai la main, une sensation étrangement agréable me parcourut. De cette femme émanait à la fois l’impression que l’on pouvait tout lui confier, mais aussi un magnétisme incroyable, comme si tout son être avait été dessiné pour plaire. Une pensée fugace me traversa l’esprit … l’idée qu’elle serait un modèle idéal pour du croquis de nu. Je chassais immédiatement cette pensée et remarquais que mes yeux s’étaient posés deux secondes de trop sur ses lèvres. Décidément !

Contrairement à maître Janowski, je ne m’étais pas habillée de manière à paraître professionnelle. Les cheveux auburn lâchés et ne portant qu’un maquillage léger, j’avais préféré rester naturelle pour cette entrevue. Pas de jupe ni de robe pour moi : je portais un élégant pantalon blanc crème et un haut blanc complété par un blaser blanc crème avec des boutons en faux bois sur niveau des manches. Je portais aux pieds des bottines à talons et à bouts ronds, mais bien moins hauts que ceux de l’avocate. J’avais préféré le pratique à l’ostentatoire pour cette fois …

Je finis par prendre place dans le fauteuil et sortit de mon sac le contrat qu’elle me demandait. Un exemplaire papier, une simple copie de celui qui avait été originellement signé. Je lui tendis avant de me replacer dans le fond du siège et de croiser les jambes.

« Voici le contrat en question. Mon ami Maximilian Dubois est récemment décédé. Avant sa mort, un acte notarial avait été signé, stipulant que l’un de ses objets me revenait à sa mort. Malheureusement, sa famille conteste l’acte notarial, prétextant qu’il n’avait plus toute sa tête à ce moment-là et que le fait de me confier cet objet nuirait à la complétude de son œuvre. Ses descendants désirent effectuer une exposition de ses travaux et estiment que sans cette pièce, l’exposition ne saurait être complète. Sauf que … cet album photo ne leur revient pas et qu'il serait ... dangereux de le laisser entre leurs mains. Pouvez-vous m’aider à le récupérer ? »

D'ordinaire, j'aurai dû taire la dangerosité de l'album ... mais le magnétisme exercé par la présence d'Anna m'encourageait à en dire plus que je ne le souhaitais. Il y avait quelque chose en elle qui m'exhortait à tout lui dire, à lui faire une confiance aveugle. Mais je ne pouvais décemment pas révéler tous mes secrets à une inconnue, non ?

La tenue de Prudence:

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Jeu 19 Aoû - 8:41 (#)

La jeune femme qui s’avance est élégante bien que conservant une touche très naturelle. Son regard, semblable à celui de la plupart des autres personnes que je croise, me met en joie. Je suis constamment ravie d'observer l'effet de ma personne sur mon entourage. Elle répond à mes salutations poliment puis prend place en face de moi, me présentant la copie du contrat qui nous intéresse aujourd’hui. J'apprécie que mes interlocuteurs ne perdent pas de temps en bavardages inutiles et entrent ainsi dans le vif du sujet. J’y jette un rapide coup d’œil tandis qu’elle commence à me raconter l’histoire qui l’amène dans mon cabinet. Une histoire assez basique en somme. Tout en l’écoutant j’inscris sur le bloc-notes qui trône en permanence sur mon bureau les éléments qui me semblent pertinents pour la suite de notre entretien. Une fois qu’elle a terminé son récit, je prends le temps d’examiner le contrat. Tout semble conforme, néanmoins la date de signature est relativement récente. Après une ou deux minutes d’examen soigneux, je repose le contrat sur le bureau et commence à m'adresser à la jeune femme assise en face de moi, mon regard faisant des allers-retours entre mes notes et ma potentielle cliente pour voir si elle acquiesce à mes dires et si j'ai bien saisi son problème.

« Donc pour résumer, monsieur Dubois a signé ce document quelques semaines avant son décès afin de vous confier un album photo que ses héritiers légitimes veulent à présent récupérer. »

Une histoire somme toute assez banale de contestation de succession, bien qu’en général les gens engagent des procédures pour de grosses sommes d’argent ou bien de l’immobilier, rarement pour un si petit objet dont la valeur n’est pas bien estimée, cela dit certaines personnes ont juste de drôle de lubies. Je me remets bien droite et reporte toute mon attention sur mon interlocutrice.

« Tout d’abord, sachez que la contestation d’un héritage ne peut être basée que sur un motif légitime et sérieux. Dans votre cas je ne pense pas qu’on retiendra contre vous l’argument selon lequel la collection serait incomplète sans cet objet, cet argument n’a rien de sérieux étant donné qu’il est fréquent que des pièces soient prêtées ou louées dans le cadre d’expositions. » Je me renfonce dans mon fauteuil, l'air sérieux. « Cependant, l’autre argument serait recevable. Pour ce que je constate, monsieur Dubois a signé ce contrat peu de temps avant de décéder. La partie adverse va sans doute s’axer sur l’idée qu’il n’était plus en état de signer ce genre de document à ce moment-là. D’autant plus que certains avocats peu scrupuleux pourraient se laisser aller à des raccourcis hasardeux. »

Je ne prends même pas la peine de développer ce point, ne doutant pas qu’elle puisse comprendre ce que je sous-entends. Mes collègues et moi-même avons une légère tendance à diaboliser la partie adverse, alors quoi de mieux que de raconter l’histoire de l’intrigante qui force un vieil homme cacochyme à lui céder ses biens avant de – peut-être – l’aider à trouver plus rapidement la mort ? Parfois dans ce genre de cas, salir son adversaire est aussi efficace que de protéger les intérêts de son client.

« Aussi, j’ai quelques questions avant de pouvoir considérer l’idée de vous défendre sur cette affaire. Tout d’abord, votre ami était-il malade ? Y a-t-il une quelconque prise pour qu’on allègue que vous avez abusé de son état pour soutirer cet objet à ses héritiers légitimes ? Et si ce n’est pas le cas, avez-vous un moyen de prouver qu’il avait encore toute sa tête et était en mesure de signer un tel document ? » Je jette un œil au contrat. « Le notaire qui a validé le contrat pourrait être un bon début, mais un avis médical datant de cette période serait bien mieux. » Hélas obtenir un tel avis est généralement compliqué, notamment à cause du secret qui entoure ce genre de dossiers. Les héritiers légitimes pourraient utiliser ce secret médical pour justement laisser planer le doute en leur faveur. Nous n’avons pas ce luxe. « Et il y a une autre chose que je voudrais savoir. »

Une chose que j’ai volontairement laissé de côté jusque-là mais qui chuchote dans mon esprit. Une phrase qui dénote, un mot inattendu pour une affaire aussi banale que j’ai pris soin d’écrire sur un coin de mon bloc-notes, serti d’un point d’interrogation et même souligné. Je m’avance un peu dans mon siège, posant de nouveau mes mains croisées sur le bois de mon bureau, fixant ma potentielle cliente avec un mélange de curiosité, de scepticisme et de détermination.

« En quoi cela serait-il dangereux de leur laisser cet album ? »

On parle ici d’un album photo, rien de plus. Peut-être n’est-ce qu’une exagération de sa part, une manière de dire qu’il y a dedans quelques photos compromettantes qui pourraient entacher sa réputation. Mais la manière dont elle l'a dit laisse soupçonner autre chose. Et quand bien même il ne s'agirait que de quelques photos compromettantes, j'apprécie toujours d'avoir l'ensemble des éléments.
Je déteste qu'on me cache des choses.
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Anonymous
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Dim 22 Aoû - 16:57 (#)


L’avocate m’exposa point par point son avis sur mon affaire. Son élocution, le ton de sa voix, mais aussi sa gestuelle … Il y avait une précision chirurgicale dans ses mouvements et la manière dont elle assemblait chaque phrase, comme si elle était une véritable orfèvre. Je ne pouvais m’empêcher d’être fascinée par la manière dont elle maniait l’Anglais, qui, bien qu’il ne fût pas ma langue maternelle, n’en était pas moins doux à mes oreilles quand il était manié par une professionnelle.

J’acquiesçais à chacune de ses phrases d’un air poli, mais mes yeux ne pouvaient que trahir la manière dont elle me fascinait. Je me plaisais à la décortiquer, à examiner chacune de ses postures pour en comprendre la subtilité. Il y avait quelque chose d’hypnotique chez cette femme qui ne me laissait pas indifférente. C’était comme si chaque geste et chaque mot étaient savamment dessiné pour produire un effet hypnotique sur moi … Se pourrait-il que … ? Non … je l’aurai senti si c’était l’effet d’un sortilège. Je savais reconnaître une incantation à des lieues à la ronde. Si mademoiselle Janowski était une Arcaniste en train d’incanter, cela se serait vu immédiatement.

A mesure qu’elle m’exposait avec précision la manière dont elle comprenait l’affaire qui me menait chez elle, elle finit par émettre un sous-entendu qui me décrocha un pincement de lèvres. Je n’aimais pas le ton qu’elle venait de prendre, mais elle avait raison de mentionner cette éventualité. Non, clairement, Maximilian Dubois et moi-même n’étions pas amants. Dans une autre vie, peut-être … mais pas dans celle-là. Cela aurait un véritable crève-cœur que de s’attacher à une existence éphémère et de l’arracher à sa famille. Nous partagions une complicité, et non une chambre à coucher. Néanmoins, je me devais de renseigner mon avocate potentielle sur tout ce qui pouvait plaider en ma faveur.

« Monsieur Dubois souffrait d’une maladie orpheline qui le paralysait petit à petit en détruisant ses nerfs. Les médecins avaient réussi à contenir une partie de la maladie avec un traitement de choc qui lui avait permis de conserver la partie supérieure de son corps, déclarai-je avec un ton neutre. Son infirmière à domicile l’aidait à se vêtir et à gérer les tracas quotidiens, mais dans l’ensemble, il était autonome. La maladie s’est subitement aggravée quand les médicaments n’eurent plus aucun effet, l’empêchant de respirer. Quoiqu’il en soit, avant que vous n’entriez plus loin dans la recherche de détails, laissez-moi vous préciser que la maladie était indolore et qu’elle n’affectait pas son jugement. L’infirmière, madame Jameson, pourra confirmer mes dires. »

Je me redressais dans mon fauteuil et massais tranquillement mon poignet droit. La maladie de Maximilian était une curiosité de la nature. Non seulement elle paralysait progressivement le patient, mais en plus, elle le laissait en pleine possession de ses moyens pendant toute la période d’incubation. Le patient finissait irrémédiablement par voir les nerfs de ses poumons se dégrader à une vitesse phénoménale, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus inspirer ou expirer la moindre gorgée d’air. C’était une fin particulièrement cruelle et douloureuse, mais aussi une étrangeté médicale qui me laissait songeuse.

Maître Janowski me tira de ma réflexion quand elle me demanda avec aplomb pourquoi je comptais engager des frais d’avocat pour un simple album photo. Comment répondre à cela ? Son regard était braqué sur moi et semblait pétiller d’une curiosité telle, qu’elle ne trouvait son égale que dans mon propre regard quand quelque chose attirait mon attention. Pouvais-je sincèrement me confier à cette avocate ? Probablement pas … du moins … pas tant qu’elle n’avait pas accepté et formalisé le fait de me représenter.

Mon regard se perdit au-dehors, brisant momentanément l’influence qu’elle avait sur moi. Je ne pouvais pas lui révéler la véritable raison qui m’amenait à réclamer la propriété de cette œuvre. C’était beaucoup trop dangereux … Mais en même temps … si elle acceptait de me représenter, je ne pouvais décemment pas lui cacher quoi que ce soit.

« Maître Janowski … comprenez bien que je ne peux pas vous révéler cette information avant que vous n’ayez accepté de me représenter … Votre question vaudrait-elle acceptation de ma requête ? »
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Anonymous
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Ven 27 Aoû - 10:54 (#)

Mon interlocutrice me décrit l’état de santé dans son ami décédé en me donnant plus de détails que nécessaire. L’avantage de ce genre de maladie longue c’est qu’il y a beaucoup de suivi médical et donc potentiellement un bon nombre de rapports à ce sujet pour attester des facultés du malade. Là encore je note l’information avec les autres, dans le cas où je me retrouverais effectivement à défendre son cas.

« Fort bien, cela devrait faciliter les choses. »

Une affaire qui a l’air si facile, mais toujours cette ombre au tableau. Ma dernière question semble la faire hésiter. J’ai déjà vu bon nombre des clients avoir cette expression-là, cette incertitude, se demandant s’ils devraient partager un secret dangereux ou honteux, s’ils peuvent vraiment faire confiance à quelqu’un comme moi. Une interrogation que j’imagine légitime mais qui a tendance à me faire perdre mon temps et ma patience. Le plus curieux dans notre cas est que la plupart du temps les clients avec ce regard sont impliqués dans des affaires bien plus scabreuses que celle qui nous amène ici aujourd’hui. Après un silence, elle se décide enfin à me répondre, et pas de la manière que j’espérais.
A mon tour, je garde le silence un instant pour prendre le temps de réfléchir, masquant mon mécontentement derrière une expression neutre des plus professionnelle. A première vue, ce cas est simple, banal même, de telles réticences n’ont que peu de sens aux vues de la situation, et cela ne me dit rien de bon. Qu’est-ce qui pourrait justifier de telles réserves dans une demande telle que celle-ci ? Je n’ai aucune envie d’accepter sans savoir. Mes finances ne sont pas au mieux, mais rien qui m’oblige à céder aux exigences incongrues pour obtenir la moindre affaire, ma situation n’a rien de si désespérée. Qui plus est, il ne s’agit en rien d’un cas pouvant m’apporter de la notoriété, une bête rupture de contrat n’intéresse jamais personne, je n’ai rien de particulier à gagner de ce côté-là non plus. Je la fixe avec sérieux avant de reprendre la parole.

« En général ce genre de mystères dissimulent des choses illégales ou au moins douteuses qui nécessitent d’être couvertes par le secret professionnel. Est-ce bien de ça dont il s’agit Madame Bosquet ? » D’habitude j’arrive à me faire une idée sur ce qui pourrait bien se cacher dans de telles demandes, mais pas cette fois, pas en lien avec un simple album photo. Ou du moins rien qui soit de l’ordre du normal. « Je n’accepte pas ce genre d’arrangement pour de simples ruptures de contrats. » Et encore moins quand l’affaire en question n’a rien à m’offrir, ni gloire, ni médiatisation, ni réputation. Je croise mes jambes et me réinstalle dans mon siège avant de reprendre. « Si vous refusez de m’en dire plus sans que j’accepte de vous représenter et si je refuse de vous représenter sans en savoir plus, alors nous sommes dans une impasse. Sachez une chose néanmoins, il ne s’agit que d’un litige sur héritage et l’objet en question étant ce qu’il est vous ne trouverez probablement personne qui acceptera de vous représenter sans connaître le fin mot de l’histoire. Ou alors peut-être parmi les plus désespérés ou les plus jeunes de mes confrères. C’est ce que vous voulez Madame Bosquet ? Être représentée par quelqu’un qui ne saurait pas forcément vous faire gagner ? Cette information que vous dissimulez vaut-elle la peine de courir un si gros risque ? »

Qu’elle cède ou qu’elle s’en aille. Je n’ai pas vraiment l’habitude de plier face aux gens et il se trouve qu’elle a bien plus besoin de moi que je n’ai besoin d’elle. J’adore être dans ce genre de position, celle qui me permet de ne souffrir d’aucun compromis.
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Anonymous
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Mer 8 Sep - 22:59 (#)


La sorcière que j’étais prit le temps de mûrir sa réponse. L’avocate avait raison sur un point : il était important pour elle d’en savoir le maximum sur sa cliente et ses besoins si elle voulait s’engager. Néanmoins, le problème restait insoluble à mes yeux. Pouvais-je décemment lui dire que je manipulais les énergies magiques de ce monde pour les plier à ma volonté ? Dans le meilleur des cas, elle me prendrait pour une folle … et dans le pire …

Je ne préférais pas y penser. C’était déjà assez pénible pour moi que de savoir que quelque part, quelqu’un s’amusait à faire fuiter des informations sur ma nature et se permettait de fouiner dans ma vie privée pour l’étaler au grand jour. Je n’avais décidément pas besoin d’en rajouter une couche avec les états d’âmes d’une avocate prise de scrupules. J’avais besoin d’un avocat efficace … pas d’un enfant de cœur.

Par tous les sortilèges, pourquoi était-ce aussi compliqué de bien s’entourer ? Mais je n’avais pas le choix … il me fallait la rassurer … sans me dévoiler. Plus facile qu’à faire … J’avais diablement envie de lui faire confiance et de lui confier mes moindres secrets tant elle semblait honnête. A moins que cela ne soit ses mouvements de plus en plus hypnotiques ou les traits de son visage qui m’encourageaient à me dévoiler …

« Vous supposez le pire de ma part, maître Janowski. Comment pourriez-vous croire un seul instant qu’un album photo pourrait revêtir quoi que ce soit d’illégal ? Ce ne sont que des photos … des photos de paysage qui plus est ! Elles ont toutes été créées par mon défunt ami et à ma connaissance, il n’avait pas pour passion de prendre en photo des sites interdits au public. Vos insinuations me déçoivent quelque peu je dois le dire … »

Elle croisa les jambes à nouveau et me toisa d’un regard impérieux avant de reprendre et de dérouler son argumentaire. Etrangement … tout ce qu’elle disait était cohérent … Ses paroles s’insinuaient dans les moindres recoins de mon cerveau et sans que je m’en aperçoive, ma tête acquiesça lentement à son discours. J’étais loin de me douter à cet instant que le magnétisme d’Anna Janowski agissait sur moi avec une étrange efficacité. Ses mouvements, son ton de voix, le rythme des pauses et des virgules dans chacune de ses phrases, tout formait une mélodie parfaite qui entrait en résonnance avec mon corps et mon esprit, sans que je ne puisse me rendre compte de l’emprise qu’elle tentait d’acquérir sur moi.

Elle tentait, imperceptiblement, de m’arracher des réponses, d’essayer de forcer la serrure de mes défenses mentales et de me livrer à elle sans réserve. Lorsque la dernière syllabe de sa question retentit, je me perdis dans le fond de ses yeux et me mis à déglutir difficilement. J’avais la gorge sèche, les ongles plantés dans les paumes de mes mains et quelque chose en moi m’enjoignait à me livrer entièrement à elle … pour lui faire plaisir.

Après tout … pourquoi ne pas lui faire plaisir ? Qui étais-je pour refuser une information pareille à Anna Janowski ?

J’ouvris la bouche, prête à lui livrer l’information la plus cruciale de mon existence … Cette femme était d’un charisme fou et je n’arrivais pas à décrocher mes yeux d’elle. Elle était … captivante …

« Je … »

Mon esprit tenta de reprendre le contrôle mais c’était peine perdue. Mon cœur, quant à lui, battait à toute allure. Les demandes de maître Janowski étaient parfaitement sensées voyons. Pourquoi les lui refuser ?

« Cet album est magique … »

Au moment où je lachais l’information, une sensation de bonheur s’empara de moi. Je venais de lâcher une précieuse information à Anna Janowski et une seule envie occupait mon esprit : celui de l’avoir satisfaite et de lui plaire. J’espérais sincèrement que cette information la satisferait. Je ressentais au plus profond de moi que sa satisfaction était quelque chose de particulièrement important … Depuis quand ? Cela importait peu. L’essentiel était qu’elle soit heureuse … heureuse ? Euh non … satisfaite ?
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Anonymous
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Ven 15 Oct - 8:05 (#)

Elle argumente et se débat, arguant qu’il ne s’agit que de quelques innocentes photos de paysage sans rien de spécial. En somme, rien qui puisse justifier une envie d’aller en justice pour récupérer un objet qu’elle présente comme étant d’une épouvantable banalité. Dans ce genre de cas les gens s’accrochent souvent à la valeur sentimentale de l’objet en question, à défaut d’une quelconque valeur réelle. Une raison piteuse et une véritable perte de temps à mon avis. S’inventer une valeur sentimentale est l’apanage de ceux qui ne peuvent obtenir des objets réellement précieux. Mais une affaire ne se refuse pas uniquement parce qu’on trouve le motif pitoyable.
Mes arguments semblent atteindre leur objectif, peu à peu, la faisant vaciller de sa position. Elle n’a pas l’air décidée à tout me révéler et ses réticences attisent ma curiosité. Enfin, elle lâche un mot hésitant, l’air éperdue et troublée. Je l’encourage à poursuivre d’un hochement de tête et avec un sourire engageant. Puis le verdict tombe, imposant un silence froid dans le bureau richement décoré. Un haussement de sourcil et un subtil mouvement de recul laissent transparaitre un début de mécontentement. Un regard froid et peu avenant vient fissurer mon expression qui était jusqu’alors si aimable et professionnelle. Je repose mon stylo sur le bloc note dans un mouvement lent puis me renfonce dans mon siège, comme pour créer une distance symbolique entre elle et moi. L’air interrogateur d’une maitresse d’école ayant entendu une réponse incorrecte s’attache à mes traits tandis que je cherche à évaluer les implications d’une telle révélation. Après quelques secondes d’un silence tonitruant, je demande enfin :

« Comment ça, magique ? »

Tristement j’ai comme l’impression qu’il ne s’agit pas juste d’une manière de parler. La plupart des clients se présentant devant moi pour réclamer une assistance sont ceux qui luttent contre les choses magiques. Pas ceux qui veulent les récupérer. Mon nom ne peut en aucun cas être associé à une personne ayant ce genre de penchant, il en va de ma réputation. Et c’est d’autant plus important que ma dite réputation n’est pas encore bien ancrée dans cette ville, un seul faux pas et tout pourrait vaciller ou s’effondrer. Néanmoins, elle relâche ses informations à un débit si lent que je ne connais même pas encore le fin mot de l’histoire. D’où vient cet album ? A quoi sert-il ? Que compte-elle en faire ? Je jette un rapide coup d’œil à mon bloc note et repère quelques mots que j’avais notés plus tôt et même soulignés de manière insistante. Une question que j’ai déjà posée. Une question à laquelle elle n’a pas répondu. Mon regard se repose sur mon interlocutrice et se fait insistant, puis je reprends d’un ton ferme :

« Vous avez également utilisé le terme de dangereux pour parler de cet album. Alors expliquez-moi. » Cette fois pas d’esquive possible. « Comment savez-vous qu’il est magique ? Et que comptez-vous en faire ? Le détruire ? »

Si son objectif est de mettre un terme à la nuisance d’un objet magique, alors peut être qu’une affaire pourrait être entendue. Une affaire mineure de rupture de contrat, mais peut être que cela sera suffisant pour servir ma publicité et faire briller mon image dans cette ville désœuvrée et abandonnée au chaos des CESS. Mais pour l’heure je n’en sais pas encore assez sur cette histoire, beaucoup de zones d’ombres demeurent. J’espère que ses réponses seront à la hauteur de mes questions et qu’elles ne me décevront pas.
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