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Caput mortuum (+18) | Ft Aliénor

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Anonymous
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Dim 24 Juil - 13:46 (#)

caput mortuum
Ft Aliénor Bellovaque & Jake Hamilton


Shreveport | The Haven | Usine chimique
Lundi 26 Octobre 2020 - 05h17


Mon regard se pose sur la monstrueuse structure d’acier aux allures post-apocalyptiques qui se dresse devant moi, et un sourire mauvais s’étire presque imperceptiblement au niveau de la commissure de mes lèvres. Le plaisir vient de plus loin, viscéral. L’ombre sinistre dévore la vaste étendue de terre, à peine piquée de touffes d’herbe sèche et de rares arbrisseaux décharnés. En 2016, j’ai acquis cette vieille usine chimique et les dix-huit hectares qui l’entourent pour une bouchée de pain, compte tenu du niveau élevé de pollution des sols.  Mes appuis politiques ont validé administrativement le projet, ravis de se débarrasser de cette verrue honteuse dans le paysage de Shreveport, m’octroyant au passage crédits d’impôt, et prime environnementale avantageuse. La transaction s’est faite discrètement, via l’une des sociétés immobilières que compte JHC, loin de toute médiatisation. Abandonné après la faillite du groupe chimique dans les années soixante-dix suite à un drame tant en matière de santé publique que d’écologie, le bâtiment industriel qui réalisait de puissants pesticides n’est aujourd’hui plus qu’un amas sordide de béton gris et de métal rouillé. Plusieurs relevés de l’époque ont détecté des écoulements anormaux et dangereux de matières toxiques dans les sols et les nappes phréatiques, en particulier du mercure et de la chlorine, alourdis d’une pléthore d’autres substances potentiellement mortelles. Faute de financements suffisants, le site n’a jamais été nettoyé, oublié négligemment derrière de hauts murs rehaussés de barbelés.

L’opération de dépollution des sols a duré sept mois pour un coût avoisinant les 3,2 millions de dollars. J’ai profité de ces travaux, et de son flux massif d’engins de chantier, pour lancer discrètement la première phase de restructuration du bâtiment, et de démantèlement des installations existantes, au niveau de l’aile ouest. Je rêve en grand, mes projets sont généralement ambitieux, visionnaires à certains égards, et par conséquent, toujours très risqués. J’ai cru, avec trop d’empressement et d’espoirs naïfs, que ce serait une formidable opportunité de développer la recherche alchimique, après plusieurs découvertes fort prometteuses dans le domaine. Mon laboratoire clandestin n’était assurément pas dimensionné ni équipé pour ces pratiques particulières. J’ai la conviction de tenir au bout des doigts le moyen de révolutionner l’industrie pharmaceutique, avec la transmutation et l’exploitation de matières surnaturelles. En termes d’éthique, le processus est fort discutable, certes, mais cela constitue un maigre sacrifice en comparaison des bienfaits considérables que ces innovations apporteraient à l’humanité tout entière. Je crois sincèrement en la possibilité d'éradiquer totalement la maladie physique, et peut-être même la vieillesse. Personne ne viendrait pleurer les quelques bestioles mortes sur l’autel du progrès. Nous entrons dans une nouvelle ère. … Sauf que je me suis heurté brutalement à une autre vérité : les alchimistes compétents ne courent pas les rues. Pendant près de deux ans, quinze détectives privés ont sillonné le monde à la recherche de perles rares, mais tous sont revenus bredouilles, ou alors avec un charlatan ridicule et bariolé sous le bras. Ma solitude m’a soudain pesé, désespérante. Mon plan ambitieux venait de s’effondrer… Encore un nouvel échec, pour compléter ma trop longue collection de ratages en tous genres. Le destin s’acharne à me refuser la lumière. Il faut près d’une décennie pour former un alchimiste, deux pour qu’il soit réellement efficace. Même en commençant aujourd’hui l’éducation d’un panel représentatif d’élus, j’aurai passé la soixantaine avant d’espérer obtenir les premiers résultats concluants. Sauf éventuellement avec un enseignement intensif qui me coûterait bien trop de temps…

Pour elle, je vais réinvestir les lieux de ce projet avorté. L’heure de clore enfin cet épisode déplaisant par la plus satisfaisante des vengeances est arrivée. Je vais pouvoir tourner définitivement la page sur mes égarements passés et aussi sur quelques-unes de mes psychoses présentes. Mes doigts se crispent sur le cuir du volant, alors que deux hommes en noir s’évertuent à ouvrir le lourd portail sur lequel est fixée une série de panneaux d’avertissement au jaune criard. Le plus gros est orné du pictogramme “danger matières toxiques”, avec sa tête de mort caractéristique, viennent ensuite les risques liés aux matières biologiques, corrosives, nocives, inflammables, explosives et même radioactives.  Voilà de quoi dissuader les quelques morveux en quête de frissons, les journalistes trop curieux ou ces crétins d’écologistes extrémistes. La milice privée, composée essentiellement de mercenaires tchétchènes, n’aura aucun remords à perforer le corps des plus téméraires, en cas d’intrusion non autorisée sur ce site protégé, au-delà du périmètre de sécurité officiel.  Même la police doit disposer de mandats pour y accéder, que peu de juges ou de procureurs seront prêts à signer sans me prévenir. Après l’abandon du projet alchimique, en plus de sa vocation première de production industrielle de substances chimiques, le lieu a trouvé une nouvelle fonctionnalité, douteuse mais fort pratique : les cadavres des cobayes du laboratoire clandestin et autres gêneurs sont dissous ici, dans de grandes cuves d’acide fluorosulfurique. En deux minutes seulement, leur corps est rappelé au néant, tout comme les preuves de leur calvaire. Il ne reste rien d’eux, pas même de la poussière.

Mon regard se pose brièvement sur les caméras infrarouges, équipées de détecteurs de mouvement, et connectées en temps réel au poste de sécurité. D’autres sont disséminées un peu partout sur le site. 78 au total. Après un trajet d’à peine trois minutes sur la route goudronnée qui mène à l’usine, je gare la voiture près de l’entrée ouest, moins fréquentée et réputée infranchissable par tout individu non autorisé. D’ici la fin des travaux, le reste du site devrait également être équipé du même système. Pour l’instant, la milice compense temporairement les diverses failles de sécurité des autres périmètres. Je déverrouille mécaniquement deux des quatre serrures, puis active la reconnaissance biométrique, visage et œil, qui libère les deux dernières, et déconnecte l’alarme. La porte blindée s’ouvre enfin sur mon terrain de jeu. Avec empressement, je récupère le corps inerte dans le coffre, soigneusement emballé dans un sac mortuaire. Il ne faudrait pas que cette garce souille la moquette!  

Je traverse un long couloir blanc immaculé qui sent un peu trop fort les relents de produits chimiques et d’eau de javel, puis exécute de nouvelles procédures de sécurité pour m’introduire au sous-sol, totalement absent des plans de construction. Malgré un système de ventilation performant, l’air est soudain plus lourd, plus pesant, plus poussiéreux. Étant le seul à pouvoir accéder à ce sanctuaire alchimique, je dois bien admettre que j’exerce trop rarement mes talents de fée du logis. Sacrifier mon temps et mon potentiel à des tâches subalternes a quelque chose de terriblement frustrant. J’oblique sur la droite puis pénètre avec ma prisonnière dans une vaste salle aux épais murs de pierre, équipée d’un éclairage haut de gamme, digne d’un studio photo. Quelques réglages simples me permettent de modifier l’ambiance lumineuse, ainsi que la direction et l’intensité des flux. Tout y est : modeleurs de lumière, réflecteurs, flashs studio, boîtes à lumière, bols, parapluies, ring flash, torches autonomes… Sauf que le matériel disposé sur les divers étagères et panneaux perforés fixés aux murs suggère une autre fonctionnalité à cette pièce : couteaux et pinces de de toutes formes et de toutes tailles, scalpels, tenaculums, spéculums, seringues, aiguilles, crochets… Des outillages plus inquiétants dans un tel contexte attirent rapidement l'œil : tronçonneuse, foreuse à percussion, cloueuse, disqueuse, haches, scies, marteaux, et chalumeaux... La liste est non exhaustive, bien évidemment, le regard se perd vite dans la variété d’instruments exposés, que l’esprit de mes invités non consentants associera irrémédiablement à de probables actes de barbarie à venir. Les murs portent encore les cris et les supplications des anciens pensionnaires, dont les ondes hostiles imprègnent l’atmosphère jusqu’à la rendre à la fois lugubre et poétique.  Pour une question pratique, les rails d’un imposant palan électrique s’étalent le long du plafond, à quatre mètres de hauteur, et divers sceaux de Salomon sont dessinés sur le sol en pierre. Ils auront leur utilité, si la vampire refuse de coopérer sagement. Trois autres salles compléteront son calvaire…

J’aime ce lieu. C’est une poussée d’excitation qui m’accueille, alors que j’en passe les portes, mon chargement sur l’épaule. Je suis comme un drogué en manque, qui aura bientôt le droit à sa dose de cocaïne. Tout mon être s’éveille, les battements de mon cœur s’accélèrent, mon visage s’illumine. La sensation de toute-puissance est addictive, pour qui y a déjà goûté. Avec une vampire, c’est encore plus intense. Cette pulsion extrême qui dort en moi a besoin d’expression, l’annihiler à coup de médicaments ne saurait faire taire totalement mes instincts les plus cruels. Il suffit d’un détail, d’un déclic pour que de nouveaux schémas obsessionnels tournent en boucle dans ma tête. C’est comme une blessure infectée, qu’il faut percer et déchirer afin de libérer l'immonde matière purulente, pour espérer enfin nettoyer la plaie. C’est ELLE qui m’a insufflé cette noirceur et saccagé ma pureté enfantine, j’en suis certain. Comment pourrait-il en être autrement? Je me suis assagi avec les années, à force de travail sur moi-même, mais la bête reste tapie dans l’ombre, prête à sortir les griffes à la moindre inadvertance. Je ne goûterai jamais le repos tant qu’elle sera en moi. Oui, j’ai conscience qu’elle a été le réceptacle injuste de ma haine et de ma rancœur, bien qu’elle n’y soit pas totalement étrangère. Je connais les vérités blessantes et inadmissibles qui se cachent derrière cette image psychique construite de toutes pièces. J’ai juste choisi de fermer les yeux, pour préserver ma santé mentale, et surtout pour concentrer mon énergie sur d’autres luttes plus fondamentales.

Avec l’assurance et la dextérité de l’habitude, j’installe Aliénor sur la “table d’expérimentations” située au milieu de la pièce, allongée nue sur le dos, poignets et chevilles liés aux quatre coins par de lourdes attaches en fer forgé. La force conférée par sa composition surnaturelle ne suffira pas à faire céder les chaînons épais qui la maintiennent. J’ai exécuté plusieurs tests pour le garantir. De plus, l’état de faiblesse inquiétante dans lequel je la laisserai en permanence tuera dans l’œuf tout espoir d’évasion.  Elle ne connaîtra que la douleur, la folie, puis la mort définitive. Je remplis à la hâte le réfrigérateur de banque de sang, puis reviens vers ma proie. Je fais le tour de la table, observe avec attention le corps allongé. Sa peau est lourdement brûlée par l’argent. Les couches plus profondes de l’épiderme semblent touchées également. Le métal de lune pénètre son corps, agresse ses dernières défenses, aspire son flux vital. Elle n’est plus qu’un amas de chair gonflée, rouge et suppurante, et pourtant, elle reste excitante, désirable dans sa dégradation. La chaleur dans mon bas-ventre m’incite à dévier du plan initial.

Je récupère mon appareil photo argentique sur l’une des étagères. On pourrait croire que c’est une technologie dépassée, mais il a été spécialement développé et pensé pour capter bien davantage que l’image. C’était le projet, en tout cas. L’image seule n’est pas suffisante. Je veux capturer l’essence du sujet, l’intensité des sentiments et des sensations, capter l'insaisissable, l’éphémère, associé à toute l’ardeur de mon désir pour ce corps offert. Mieux, je veux croire que je suis capable, à travers mes clichés, de saisir un petit morceau d’âme. J’aime toucher et sentir la matière, me l’approprier avec mes yeux, mes doigts, mon corps. Respirer l’odeur qui s’en échappe, vibrer à travers ses tressaillements. Il existe une proximité particulière avec le sujet. Un lien. Une force.  Avec l’argentique, j’ai fait le choix de la rareté, du trésor inestimable.  Le nombre de prises de vue est techniquement limité, à l'inverse du gaspillage numérique moderne. Je négocie l’instant, le contact sensible entre nos deux êtres, l’empreinte de la lumière sur les courbes éraflées, la palpitation de nos cœurs mêlés. (Bien que, concrètement, le sien oublie souvent de battre.)  Avec délice, je parcours du regard ce corps sanglant, sans appuyer pour autant sur le déclencheur. C’est son visage que je choisis d'immortaliser en premier. L’argent l’a défigurée. Difficile d'imaginer qu’elle ait été jolie. Cette nuit, elle ressemble aux grands brûlés, bien que les cartilages soient encore épargnés. La lumière l’habille de subtils jeux de clair-obscur, accentuant somptueusement la rudesse et l’atrocité de ses blessures. Je passe mes doigts dans ses cheveux, puis discipline quelques mèches avec un soin méticuleux, afin de magnifier le contraste entre sa chevelure soyeuse et la chair ravagée de son visage.  Je réajuste l’éclairage pour ne diffuser qu’une douce lumière dorée, puis recherche le meilleur angle, le cadrage le plus dramatique.  Clic.

D’autres clichés suivront, jusqu’à ce que mes paupières se fassent trop lourdes, et obscurcissent la qualité de mon œuvre. Je frotte mes yeux rougis par la fatigue, dans l’espoir vain de retrouver un semblant d’énergie, puis observe la reine ensanglantée d’un air distant. Il est probable qu’elle succombe malgré tout. Son corps est trop affaibli pour lutter contre une trop haute concentration d’argent dans son organisme. Un désagréable goût d’inachevé me reste en travers de la gorge. Alors à contrecoeur, je me résous à lui faire une transfusion sanguine. Les différents conservateurs et anticoagulants utilisés dans les poches de sang sont plutôt mal assimilés par les vampires, et lui colleront potentiellement une grosse nausée et quelques douleurs dans la chair, mais c’est le prix qu’elle aura à payer pour retrouver quelques forces. Du sang frais aurait été bien plus efficace, certes, mais je ne suis pas prêt à consentir à un don. Surtout pas pour elle. Toutefois, si elle s’avère coopérante, je lui livrerai une victime pour se rassasier. Comme quoi, je sais me montrer conciliant.

J’ai exécuté des transfusions plusieurs dizaines de fois déjà, chacun de mes gestes est précis et assuré. Pendant que le sang d’un de mes cobayes humains pénètre son organisme mort, je m’applique à éponger avec patience les fluides que son corps rejette. Du sang mêlé à des microparticules d’argent, principalement. L’on pourrait voir dans cette douceur une certaine tendresse, mais il s’agit uniquement de professionnalisme. Nous n’en avons pas fini, tous les deux. J’ai besoin de plus. Aliénor est la preuve, le témoin, d’un monde intangible, incompréhensible, qui va au-delà des barrières du connu. Elle est un mystère que je rêve de percer (un peu moins littéralement qu’en ce début de nuit), et surtout, elle est la clé de mon passé…

Non, elle est bien davantage que cela…



✶✶✶✶✶✶✶✶✶✶✶✶✶✶✶

Shreveport | The Haven | Usine chimique
Lundi 26 Octobre 2020 - 22h24


La journée a été particulièrement éprouvante. Assurément, j’ai passé l’âge des nuits blanches. Ma mine de déterré en est la parfaite illustration. Ma gorge et mes voies nasales sont encore douloureuses, suite aux surdoses d’argent ingéré ou inspiré. Alors je grogne. Les quintes de toux ont cessé, c’est un bon début. J’ai su temporairement éteindre la fatigue, à gros renfort de café et de psychostimulants, mais impossible de me défaire des pensées parasites. Aliénor m’obsède plus que de raison. Sa présence bouscule et irradie ma psyché, déjà moyennement stable. Mon esprit s’accroche à elle, brisant désagréablement ma solide discipline professionnelle. Mon contrôleur de gestion et mes juristes se sont surpassés pour éprouver mes nerfs, et pousser l’ennui jusqu’à des sommets rarement atteints. La plupart de leurs propositions ont été balayées par une remarque cinglante ou injuste, rendue plus rude par les sonorités rauques de ma voix. Oser m’assommer aujourd’hui avec des tableaux comptables fumeux ou des interprétations de lois imbuvables méritait sanctions. Le but était de les ébranler durement. A cause d'elle.

Après un dîner avec des investisseurs canadiens, je me suis précipité à l’usine, sans même prendre la peine de passer une tenue plus confortable. J’avais besoin de la voir, avec un empressement qui me ressemble peu, comme un adolescent qui va à son premier rencard. Avec un soupçon de déception dans le regard, je constate que la Reine Rouge n’a pas bougé d’un pouce, et porte encore les stigmates de la mort. Logique, pour un cadavre, me direz-vous. Inerte, elle ne daigne plus respirer. Même son cœur semble s’être totalement éteint. Et pourtant, son corps s’est partiellement régénéré pendant la journée. D’un air ennuyé, je fais état de ses blessures, visiblement moins profondes, les consignant méticuleusement dans un carnet. Hier, j’ai choisi de ne pas ôter les balles argentées qui se sont logées dans son buste et son genou, pour la maintenir volontairement dans un état de faiblesse. Faire chuter son niveau de dangerosité est une composante essentielle à notre future “coopération”. Est-ce la raison de son inconscience? Je soupire de contrariété.

J’effleure du bout des doigts sa poitrine avantageuse, plutôt épargnée par l’argent. Mon âme d’artiste salue la perfection de ses courbes, qui mériteraient probablement une autre forme d’immortalité. Rapidement lassé, je cesse l’exploration des fameuses collines qui ont tant enchanté Serguey par le passé. Le manque de réaction de la vampire m’ennuie prodigieusement. Sans conviction, je prends quelques nouveaux clichés du corps maltraité jusqu’à terminer la pellicule. Je récupère le précieux sésame puis file vers l’une des autres annexes du complexe souterrain, sans un regard pour ma prisonnière.

Au moment de développer les photos dans la chambre noire s'opère une magie teintée de romantisme et de sensualité. L’ampoule rouge offre un spectre inhabituel, intime, captivant. Dans ce procédé quasi alchimique, mon Art s’astreint à dompter les nuances et les jeux de lumière. Azotate d’argent, chlorure d’argent, chlorure d’or, acide acétique, acide gallique, hyposulfite de sodium, bromure de potassium, acétate de sodium sont autant de vecteurs pour magnifier l’essence même du sujet. A travers la magie du révélateur, la photo retient un instant volé au passé, un morceau de vie (ou de mort), à la fois intact et réinventé. J’aime cette curiosité dans l’attente mêlée d’appréhension, au moment de découvrir l'œuvre sur papier sensible. La pellicule elle-même dépose parfois quelques touches inattendues de poésie. Après quelques minutes, l’image emprisonnée m’est restituée, avec tout son lot d’émotions. Le souvenir captif reprend dimension. Sa beauté torturée me touche et m’excite. Elle m’appartient à nouveau, pour l’éternité…

Je m’affale lourdement sur le canapé installé dans mon bureau pour contempler fièrement mon œuvre. Le rendu est spectaculaire. Soudain, un bruit non identifié me fait sursauter. Je constate avec étonnement que les divers clichés sont tombés sur le sol. Les paupières lourdes, je guette ma montre. 2h35. Je plisse les yeux plusieurs fois pour vérifier l’exactitude de l’information. Je me suis endormi? Vraiment? Le silence n’est plus coupé que par le ronronnement continu du système de ventilation. L’air hébété, j’observe mon environnement, recontextualise lentement, puis me lève en trombe. Ma femme va encore me faire une scène! A la hâte, je remets en ordre mon costume et mes cheveux, puis réajuste ma cravate devant le miroir, tout en cherchant une excuse rationnelle et plausible pour expliquer mon retard. Ma désertion de la veille joue clairement en ma défaveur, c’est certain. La pochette de photos sous le bras, je retourne dans la salle d’expérimentation pour éteindre les lumières, et m'imprégner de la présence de ma captive encore quelques minutes.

La Reine Rouge s’est réveillée…

Je suis aussitôt soufflé dans mon élan. Un peu pris de court, les mots refusent de quitter ma gorge. Je finis par bafouiller la phrase la plus nulle et incipide que mon esprit ait pu composer. «-Euh… Bien dormi?»


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ADMIN ۰ Dalida - Elle devra choisir entre son amour et sa mort.
Aliénor Bellovaque
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♚ TAKE AWAY THE COLOUR ♚

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"Eh bien ; la guerre."

En un mot : La Vipère sous la rose.
Qui es-tu ? :
"Don't die with a clean sword."

♚ Caïnite âgée de trois siècles ; Accomplie du bel âge à portée d'ongles carmins.
♚ L'Ambition la ronge, mais laquelle ? ; le vide de nuits interminables la détruit plus sûrement que n'importe quelle balle en argent. L'Ennui pour seul véritable danger.
♚ Gorgone gauloise, sa réputation parle pour elle, surnommée Mère sanglante ou Reine rouge. Nombre d'enfants sont tombés sous ses crocs.
♚ Fille de corsaire, héritière de ses lettres de Marque ; navigua au service de Louis XV dans les eaux des Caraïbes à la tête de l'Espérance, frégate à l'équipage composé de deux centaines d'hommes.
♚ Trahie par un Britannique ; capturée et ramenée de force sur l'île de Mona, torturée , abusée, échappée - mourante (malaria). Transformée par un autre, à l'aube de sa trentaine.
♚ Éprise de coups d'État et féroce opposante à l'Essaim. Antique imperméable à l'ordre. À la tête du clan du Chaos. Danseuse sur le fil acéré de leur rigueur.
♚ Maudite ; aucun enfant n'a pu sortir de son ventre. Aucun Infant n'a pu résister à son vice, transmis tel un fléau. Sire matricide par deux fois. Échec toujours en gestation.
♚ Sang turc dans les veines, manie les us et coutumes perses. Son réseau d'Orient et d'Occident est dessiné comme une arachnide file sa soie.
♚ Incapable d'aimer son époque ; craintive pour l'avenir, répudiant son passé.
♚ Se joue d'une beauté en laquelle seuls les autres croient. Ancienne compagne de Serguey Diatlov, mère de substitution de Yago Mustafaï, protectrice de Mei Long et amante éternelle de Jenaro Silva.
♚ Pie voleuse, elle a dérobé le Clan du Chaos aux mains trop glissantes de Salâh ad-Dîn Amjad, qu'elle compte bien refonder en un ordre sérieux pour s'opposer à la Mascarade ainsi qu'au dictat de l'Essaim en place.

♚ SLAVE TO DEATH ♚

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"I know where you sleep."

Facultés : ♚ Vicissitude (niveau III)
♚ Mains de la destruction (niveau I)
♚ Chimérie (niveau I)
♚ Stratège. Rapide. Teigneuse.
Thème : Sleep Alone ♚ Bat for Lashes
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♚ CANNIBAL ♚

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"Mind if I cut in?"

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Pseudo : Nero.
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Mar 2 Aoû - 23:27 (#)

♛ « Condamnée à mort ! »
« Et puis, qu’est-ce que la vie a donc de si regrettable pour moi ? En vérité, le jour sombre et le pain noir du cachot, la portion de bouillon maigre puisée au baquet des galériens, être rudoyé, moi qui suis raffiné par l’éducation, brutalisé des guichetiers et des gardes-chiourme, ne pas voir un être humain qui me croie digne d’une parole et à qui je le rende, sans cesse tressaillir et de ce que j’ai fait et de ce qu’on me fera : voilà à peu près les seuls biens que puisse m’enlever le bourreau. »

▼▲▼

Elle ne sait plus quel jour.
Quelle nuit.
Il n’y a plus que la fièvre.

Couchée sur le flanc, sa respiration est laborieuse. Elle halète, alors. Son corps est bien vivant, lutte désespérément afin de glaner le nécessaire pour sa survie. La chaleur est presque insupportable, et même la tombée du soir n’y change rien. L’air ne vient pas. Elle brûle, en même temps que ses dents claquent, que ses phalanges s’accrochent aux brins presque coupants de la paille sur laquelle elle repose. Elle renifle, se ramasse davantage sur elle, en position fœtus. Elle meurt. Elle commence à mourir. Les symptômes sont aussi vicieux qu’intelligents. Tout est lié. Tout est d’une terrible cohérence, d’un enchaînement dont seule Mère Nature a le secret pour nettoyer sa surface des hôtes indésirables.
Le premier : la fièvre, donc. Ses yeux vitreux, presque hallucinés, témoignent autant de l’aura ardente qui la nimbe que de ce mal de crâne qui ne la lâche pas. Le second. Elle s’imagine l’un des barreaux de sa geôle qu’un géant aurait réussi à plier à sa guise, comme de l’argile, afin d’en ceindre sa tête et de la comprimer dans cet étau insupportable. Drôle de couronne. Enfin, de cette prison qui opprime ses tempes, il n’en résulte que le troisième : une nausée qui lui coupe la faim, et qui l’empêche depuis deux jours de se nourrir correctement. Affaiblie, elle ne serait pas capable de supporter un assaut de plus de la part des hommes de Connor. Celui-ci semble s’être lassé de son jouet, depuis quelque temps. Il n’y a que lors d’un retour de voyage, d’un long séjour en mer, qu’il réclame celle dont il espère avoir maté les dernières forces rebelles.
Une chemise autrefois blanche, à présent d’un gris-brunâtre peu engageant, couvre sa poitrine ne s’élevant plus que laborieusement. Elle délire. Elle navigue encore, entre deux eaux tourbeuses. L’océan lui manque. En cet instant, elle rêverait même d’être perdue sur la grande étendue, loin au large, les vivres venant à manquer, au même titre que l’eau douce. Elle courrait même les risques d’une possible mutinerie, si cela pouvait signifier que ses hommes se trouvaient encore avec elle. Elle songe à Benjamin. À Thomas. À son propre orgueil. Les ordres qui pleuvent, la course des matelots, les balles des mousquets, et surtout…

Le choc. Elle n’oubliera jamais, même rendue débile par la fièvre, le choc des coques les unes contre les autres. L’abordage. Le vent de panique, tenant compagnie à la brume témoin de l’attaque, complice de leurs ennemis. Elle les entend. Elle entend les lames, dans le lointain. Elle entend les sabres. Elle entend les hurlements, toutes ces voix masculines parmi lesquelles la sienne se noie. Chaque fois, dans ses cauchemars, elle visionne une autre réalité. Elle s’imagine, se revoit perdue dans la cohue, tâchant de surplomber la guerre en contrebas, tirant une balle lorsque la cible lui semble accessible, mais surtout cherchant du regard le seul capable d’orchestrer une telle bataille. Elle ne l’avait pas vu venir. Ni avant, ni pendant. Alors, sa psyché se venge. Elle la torture, change la scène, relance les dés. Chaque fois, c’est sa silhouette massive qui finit par se découper entre deux pirates, deux soldats sous ses ordres. Il la voit, de loin. Il lui sourit. De ce sourire terrifiant auquel elle ne sait pas répondre. Systématiquement, elle le pointe du canon de son arme, mais aucune balle ne part se ficher dans ce cœur froid. Et lui, s’avance. Il lui promet une éternité de souffrances, lui promet de la ramener dans son antre, isolée de tous, où tant d’autres sont déjà venus mourir, et où de plus nombreux encore viendront la remplacer, une fois sa fin consommée.

Alors elle hurle, cherche son sabre, mais ce dernier lui semble s'être volatilisé. Impossible d’en subtiliser un autre, d’en ramasser un tombé sur le pont sanguinolent. Connor approche déjà. Il la saisit par la chevelure, lui tord la nuque, l’oblige à se cabrer pour jouer de sa taille. Est-ce encore un effet de son imaginaire saccagé ou portait-il déjà une cagoule ne laissant apparaître que ses yeux ?

« - Tu sens l’effet que tu me fais ?»

Les cadres se superposent.
Elle ne sait plus.
Ni le jour, ni la nuit.

Les gueules noires se ressemblent toutes. Elle nage. Elle a été jetée par-dessus bord, peut-être ? Elle se débat, et son propre corps heurte ceux des marins eux aussi balancés par-dessus le bastingage. Il n’y a pas que les siens. Il n’y a pas que ceux qui lui ont juré allégeance. Elle nage dans l’océan du monde, et tous les marins noyés depuis des siècles, toutes les créatures mauvaises qui pullulent dans les hauts fonds, se sont donné rendez-vous pour accueillir un cadavre de plus. Où que sa main se pose pour espérer rester à la surface, elle ne trouve que le tissu noyé d’un pantalon en train de pourrir, que la surface à la fois lisse et rugueuse d’une peau humaine ou animale grouillante de champignons inconnus. La pointe d’un aileron lui déchire le dos, exactement comme Connor l’a fait de la pointe d’une lame, gravant au gré du hasard les initiales du félon de ses omoplates jusqu’au bas de ses reins. Son pied manque de cogner un gouffre béant encadré de dents dont la taille la fait hurler.

Elle se noie, oui.
Elle sombre dans son enfer personnel.

Les réalités se distordent, se confondent, se rejouent.
Où est la vérité ?
Est-elle morte pendant le naufrage de l’Espérance ?
A-t-elle réussi à gagner une côte ? Ou bien a-t-elle réellement été embarquée avec le corsaire traître à sa patrie ?
Est-elle sûre d’être bel et bien allongée là, en train d’attendre la Mort, seule ?
Plusieurs cellules la séparent de celle de Jenaro, dont elle n’a plus perçu de signe de vie depuis elle ne sait quand. Peut-être est-il parti en silence. Cela lui ressemblerait bien. Jenaro et sa dignité bafouée. Jenaro, qui mérite enfin lui aussi de trouver une forme de repos dont elle se tiendra éloignée. Ils ne se retrouveront pas, dans l’Après. Elle ne le mérite pas. Elle n’en a pas envie. Elle ne supporterait jamais de soutenir le regard de l’homme qui ne l’aime pas, et qui l’estime responsable de leur perte à tous.

Une vie de culpabilité, c’est bien assez.

Le son des lames qui éclate à nouveau rend plus douloureux l’élancement derrière son front. Ce soir, ses souvenirs s’acharnent particulièrement à se rappeler à elle. Incapable de dormir, Aliénor se redresse, cherchant des yeux son broc d’eau poussiéreux. Elle accroche la hanse du bout des doigts, le tire à elle dans un raclement familier, et boit goulument les deux ou trois dernières gorgées qu’il lui reste. Le liquide soulage à peine la brûlure dans sa gorge, et la voilà qui repart pour un nouvel accès de tremblements, spasmes lui donnant l’air d’un jouet mécanique déglingué. Tout son corps lui fait mal.

Tout son corps lui fait mal.
Tout son corps…
Tout.

;

Ce sont les rails qu’elle discerne en premier.
Les vampires ne rêvent pas.
Ils ne sont pas supposés rêver.
Ni éden ni cauchemars dans lesquels se réfugier ou craindre pour sa peau.

Aliénor Bellovaque est tirée d’un état de torpeur, de conscience altérée, d’un énième aller et retour entre un passé vécu, redouté, une douleur transfigurée et un présent qui ne vaut guère mieux. Il lui faut une éternité pour retrouver le fil de sa propre vie. Car rien ne vient, tout d’abord. Il n’y a qu’un énorme vide, qu’un blanc désespérant, qu’une sensation abjecte de flotter dans un Néant profond. Comme si elle n’était pas vraiment là, femme sans histoire, sans fondement ni avenir, sans forme et sans parole. C’est peu à peu qu’elle retrouve la mémoire. Les chantiers abandonnés, les bâches de plastique, la poussière d’argent, les balles dans sa chair.

Et puis Lui.
Ses paupières battent, par le même réflexe inné qui, parfois, lui survient depuis l’époque de sa vie d’humaine. Nécessaire, maintenant. Comme si ses cils avaient hâte d’éliminer plus vite les particules microscopiques d’argent qui continuent de souiller son organisme. Celui-ci a survécu. Aidé par la transfusion sanguine, il continue de lutter vaillamment pour éliminer le poison qui la ronge, enfin capable de rendre un peu de lucidité à la Longue-Vie.

Elle est vivante.
Et cela n’allait pas de soi. Elle comprend qu’elle a perdu pied, incapable de le voir se redresser, après avoir éjaculé en elle. Il l’a emportée quelque part. Reste à savoir où. Ses méninges se débloquent progressivement. Elle les implore, pour réfléchir plus vite, pour analyser une situation en apparence sans issue. Les rails, d’abord. Ils ne lui évoquent rien d’autre qu’un gigantesque bâtiment. Probablement une usine, ou en tout cas un bâtiment à vocation industrielle. Elle tente de se redresser pour y voir plus clair, et c’est seulement alors qu’elle s’aperçoit des liens qui la retiennent, poignets et chevilles entravés. Elle retombe, presque sans un bruit. Elle n’est pas assez forte pour se libérer de ce qui la maintient allongée. Alors, plutôt que de se débattre comme une folle, elle change de tactique. Elle oriente son attention sur autre chose. L’argent la brûle encore, mais elle est plus que soulagée de sentir son épiderme tâcher de se régénérer lentement. Elle a réussi. Elle n’est pas morte là-bas. Non. Ce qui la préoccupe est tout autre. Dans son genou, la balle n’est pas encore ressortie, quoi qu’ayant bougé, au fur et à mesure que sa jambe s’essaye à rejeter le corps étranger. Il n’en est pas de même pour la munition qui est encore là, à deux centimètres de son myocarde immobile. Elle sera la plus pénible à extraire. Même les doigts libres, elle se demande si elle aurait osé extirper d’elle-même la balle pour accélérer le processus. L’opération est abominable, à la fois coûteuse en énergie, en maîtrise, mais aussi particulièrement dangereuse. Si la poussée s’effectue du mauvais sens, si on ne parvient pas à s’emparer de sa surface glissante et mouvante comme il le faut, alors il ne faudrait pas grand-chose pour que l’organe vital soit touché par inadvertance.

Il faut attendre.
Attendre qui ?
Est-il seul à agir ? Qui est-il ? Pourquoi ? Comment ?

Non, non. Ce ne sont pas de bonnes questions. Ce ne sont pas les plus essentielles. D’autres priment, avant les autres.

Elle tend l’oreille, luttant pour ne pas sombrer dans un nouvel épisode de torpeur, plus bref mais pas moins confortable. Elle n’entend rien. Rien que le ronronnement discret de ce qui ressemble à un réfrigérateur, et à de la lointaine, très lointaine tuyauterie ; à moins qu’elle ne confonde les sons. Son ouïe surnaturelle a largement pu être impactée par la contamination, et elle ne fait pas confiance à ses sens, désorientée. Elle s’accroche à une certitude un peu absurde, mais qui la rassure : si on avait voulu la tuer, ce serait déjà fait. Elle doit donc se montrer patiente, et ne certainement pas se laisser aller à la panique. Maintenant qu’un autre, un de plus, a réussi à la piétiner, elle n’a plus qu’un objectif en tête. Le même que celui qui l’a tenue droite et digne, en cette seconde moitié de dix-huitième siècle.

Un seul.

Sa bouche entrouverte lui permet de distinguer le gonflement de ses lèvres abîmées. Les muqueuses la brûlent, partout où elle peut s’essayer à remuer pour reprendre l’ascendant sur ses propres mouvements. Bouger lui est désagréable. Bouger est une gageure.

Il pourrait bien passer seulement quelques minutes, quelques heures, voire quelques jours, que la vampire n’en saurait rien. C’est un bruit de pas qui rallume l’espoir en elle. Un bruit de talons bien propres sur un carrelage bien net. Un sol dur en tout cas, qu’elle n’est pas certaine de distinguer clairement, là encore. Et puis, il lui apparaît.

Elle le voit.

Elle le voit, et sa tête tournée vers lui ne perd pas une miette du spectacle de l’homme grand qui se tient à seulement une ou deux enjambées. Enfin, l’une des siennes. Grand. La pièce, le bâtiment tout entier, semblent établis à son image. Elle le reconnaît tout de suite. Derrière les lignes du costume de qualité, elle n’a aucun mal à reconnaître le corps qui a abusé d’elle. À la fois délié et athlétique. Elle regarde tout. Ses mains. Son cou. Et, surtout, son visage. Elle découvre enfin les traits du bourreau qui la retient prisonnière. Il ne ressemble pas à Connor. Plus imposant, plus élégant, plus racé aussi. Ses cheveux sont plus clairs, plus efficacement coupés. Ses iris…

Elle ne se détache pas de cette vision.
Hallucinée.
Il a l’air aussi étonné qu’elle. Il semble soudain dépassé par son propre crime et, curieusement, comme rappelé aux conséquences de ses actes. Comme s’il l’avait oubliée, pendant un temps. Depuis quand est-elle allongée là ? Depuis quand est-elle nourrie artificiellement, pour ne pas s’éteindre ? Autant d’interrogations muettes que seules ses mires reflètent. Et lui… Lui, lui demande si elle a bien dormi. La question ne l’atteint pas immédiatement. Trop en décalage.
Une foule de réponses montent jusqu’à la lisière de ses dents – sa molaire n’a pas encore totalement repoussé, s’aperçoit-elle. Par où commencer ? Comment s’adresse-t-on, à un homme comme celui-là ?

« Pourquoi ? »

Ce n’est qu’un filet de voix, encore éraillée par l’ingestion du métal nocif. Elle ferme brièvement ses paupières pour mieux les rouvrir, et asséner avec plus de force : « Pourquoi ? » Le timbre est plat, cependant. Elle verrouille consciencieusement ses émotions, déjà amputées par sa nature vampirique. Elle ne veut pas lui donner l’occasion de la voir encore diminuée. Elle ne le supporterait pas davantage qu’elle ne l’est déjà, ainsi livrée à lui dans un état de nudité complète. Corps et âme. Elle ne connaît pas encore le nom de Jake Hamilton, et c’est ainsi qu’elle pense que cet inconnu maudit peut déjà s’estimer victorieux : oui, il a bien volé un bout de son âme. Cette âme déjà si racornie, voilà qu’il y a pourtant planté les mâchoires, tirant et tirant jusqu’à ce que le magma sec et noirci ne cède, la laissant plus dépourvue encore.

Ses doigts s’ouvrent, comme autant de tiges vénéneuses déployées vers l’insecte immense. « Viens. Approche. » Elle veut le voir de plus près. L’idée qu’elle se fait de lui est encore trop imparfaite à son goût. Elle veut absorber son image, comme elle absorbera son essence vitale, un jour. Elle l’appelle, ni implorante, ni exigeante.

« Pourquoi ? »

CODAGE PAR AMATIS


Before I'm dead

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Anonymous
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Lun 10 Oct - 12:00 (#)

caput mortuum
Ft Aliénor Bellovaque & Jake Hamilton

J’aurais aimé que ces mots ne quittent jamais ma gorge, tout comme j’aurais apprécié voir s’effacer instantanément l’air hébété plaqué sur mon visage. Les dernières vapeurs du sommeil embrument encore mon esprit, altèrent ma concentration. Une légère irritation serre ma gorge. La première impression est fondamentale, et je m’affiche d’entrée de jeu comme un grand benêt inconsistant. J’ai rêvé cet instant des centaines de fois, si ce n’est des milliers, mais jamais ma prestation ne s’est avérée si médiocre. Les songes offrent toujours une grandeur supplémentaire, une prestance supérieure, mais la réalité me rattrape. Pendant une seconde, les muscles de ma mâchoire se crispent de contrariété, et puis je reviens à l’évidence : les vampires méprisent l’humanité. Aucune introduction, aussi élaborée et aboutie soit-elle, n’aurait pu conjurer cet état de faits.

Au cours de ma vie, j’ai eu l’occasion de croiser beaucoup (trop) de vampires. Tous suivent immanquablement les mêmes schémas : pour eux, les humains sont des créatures faibles et éphémères, de vulgaires poches de sang, de petits encas mobiles à l’intelligence rudimentaire. Ils usent et abusent de leurs faux sourires, de leurs mots mielleux, et de leur magnétisme surnaturel pour mieux nous asservir. Ou tenter de la faire, de manière plutôt grossière. Et occasionnellement, ils satisfont leur instinct de prédation en traquant et chassant leurs proies. L’avantage, c’est qu’ils nous sous-estiment en permanence, oubliant parfois toute méfiance élémentaire. Aliénor serait-elle venue se perdre seule en pleine nuit dans les chantiers abandonnés si elle n’avait pas possédé de capacités surnaturelles? Bien sûr que non. Ce sera d’autant plus humiliant pour elle d’être avilie et dégradée par un simple humain.

Pendant longtemps, je l’ai crue supérieure aux autres spécimens de sa race infernale, simplement parce qu’elle m’avait sauvé la vie. Aujourd’hui, je n’en ai même plus la certitude. J’étais jeune et apeuré, je me suis probablement accroché à cette croyance pour me rassurer, pour donner du sens à l’absurdité. La vérité, c’est que je n’ai pas souvenir de ce qu’il s’est passé exactement cette nuit-là, juste quelques flashs qui se contredisent, se mélangent et s’altèrent au fil des ans. J’ai grandi sur des suppositions, des croyances, des déductions possiblement erronées. J’ai écouté les explications douteuses de ma génitrice, ravie d’étaler sur moi tout le vomi de son esprit malade, en exploitant sans aucun scrupule mon innocence, ma naïveté et tout l’amour inconditionnel d’un jeune enfant pour sa mère. Mais où se trouve la vérité? Tout ce que je sais, c’est que l’événement était suffisamment marquant pour me salir en profondeur.
Il y a eu un avant et un après Aliénor.
Il y aura un avant et un après Jake.

Ses yeux sont ouverts, et nos regards se croisent brièvement, suffisamment toutefois pour m’arracher un intense frisson qui explose le long de la colonne vertébrale. Je me fige, le cœur palpitant trop fort. Un gros shoot d'adrénaline dissipe instantanément ma fatigue, et me ramène brutalement à la réalité. Chose inhabituelle : c’est moi qui détourne le regard, gêné. Sa simple présence m’ébranle. Pour sauver les apparences, je tente de masquer mon trouble en me dissimulant derrière un masque de froideur. Cependant, le bouillonnement d’émotions qui se déchirent au creux de mon ventre rend ma prestation peu crédible. Ses lèvres s'entrouvrent, et un filet de voix légèrement éraillé répète inlassablement la même question : pourquoi? Je ne sais même pas quelle information elle attend, ni même si elle s’adresse réellement à moi. Pourquoi est-ce que je l’ai laissée en “vie”? Pourquoi est-ce que j’ai abusé de son corps mort? Pourquoi est-ce que je la séquestre ici? Pourquoi est-ce qu’on l’a attaquée la nuit dernière? Pourquoi est-ce que je l’ai soignée? Pourquoi a-t-elle été trahie? La bonne question aurait été : pour quel crime?

Sa voix m’interpelle, et me demande d’approcher. A moins qu’il ne s’agisse plutôt d’un ordre lancé sans conviction. Malgré sa situation précaire, elle n’a même pas pris la peine d’user du vouvoiement, ou de formules basiques de politesse pour tenter de m’amadouer. Elle refuse la soumission. Une reine vampire ne peut s’abaisser face à un vulgaire humain, n’est-ce pas? Je ne m’en offusque pas, j’y vois même une marque d’intérêt, probablement à tort. Moi aussi, j’ai terriblement envie de l’approcher, de mieux l’observer maintenant que son visage s’anime, simulant merveilleusement la vie. Sauf que je devine le piège grossier caché derrière ses mots. Elle s’imagine peut-être que j’aurai la bêtise et la naïveté de me positionner à portée de crocs? Ou alors croit-elle que j’ignore les effets de leur magnétisme surnaturel?

J’inspire longuement, pour chasser ce désagréable moment de flottement et d’incertitude. J’ouvre le sac noir que j’avais pris soin d’apporter avec moi, puis en ressort une paire de gants de manutention noirs en acrylique et polyamide, cousu de lamelles d’argent. Je les enfile d’un air pensif, en songeant au reste de l’équipement que je me refuse à porter pour le moment, par simple souci esthétique. Dans mon cerveau irrationnel, mon style importe davantage que ma sécurité. C’est idiot et narcissique, mais une partie de moi a encore envie de lui plaire, de l’impressionner.

Saleté d’égo…

Je fais un pas vers elle, hésitant, précautionneux, veillant à rester à bonne distance de toute menace potentielle. Je l’observe pendant un instant indéterminé qui s’étire et se fige hors du temps. Une seconde, une minute? Je n’en ai aucune idée. Elle m’attire irrémédiablement, le magnétisme opère. Sa beauté me sidère, époustouflante. La photo que j’avais d’elle ne lui rend vraiment pas justice. Ses traits sont presque trop purs. J’imagine que la tristesse du cadre ne fait que réhausser sa splendeur surnaturelle. J’ai une envie presque irrépressible de toucher et caresser son visage, de passer ma main sur sa joue, d’approcher mes lèvres de son oreille pour lui susurrer quelques mots crus et sordides destinés à la faire frissonner, de respirer son parfum à son cou, de goûter sa peau et son appréhension, puis d'écraser sa trachée, juste le temps de susciter enfin les premières réactions d’effroi. Sauf que ces bêtes-là ne frissonnent pas, ne palpitent pas, ne respirent pas, ne ressentent pas, et n’ont ni goût ni odeur ni chaleur. Rien, juste un corps mort, et une âme éteinte. Je me rends compte que ce ne sera probablement pas aussi amusant que je ne l’avais espéré initialement. Je réprime avec aigreur mon envie de contact, de proximité. Mes schémas intérieurs sont bousculés. Alors c’est avec mon regard que je la touche, que je la sonde, que je la pénètre. Le bleu de ses yeux me trouble, m’éprouve. Il y a quelque chose de dangereux, de rebelle dans cet océan aux notes turquoises. Quelque chose que je vais prendre plaisir à briser. Quelque chose que j’aimerai jusqu’à ce qu’elle en crève.

Même si elle est solidement attachée, je ne me sens pas entièrement serein en sa présence. J’irais même jusqu’à dire vulnérable. La moindre petite erreur d’inattention pourrait m’être fatale. Sa force, sa dangerosité et sa férocité auraient dû me faire passer l’envie de gérer seul cette confrontation. Sauf qu’il en faut bien davantage pour m’arrêter. Les situations complexes et les difficultés forgent le talent. D’accord, je ne suis pas à l’aise en sa présence, mais je n’ai pas réellement peur. Téméraire dans l’âme, j’ai toujours aimé progresser sur une corde tendue au-dessus du vide, me frotter au danger, dépasser les limites, transcender mon potentiel pour devenir plus solide, plus efficace, plus redoutable. Statistiquement, je sais qu’elle m’est supérieure en force, en instinct, en résistance, en maturité, et même possiblement en intelligence. Stratégiquement, je refuse de l’affronter sur ce terrain là. A moi de redistribuer les cartes différemment. Je vais bousculer ses certitudes, la confronter à la folie, à l’inattendu, à l’imprévisible et lui faire perdre ses repères, car c’est là le plus effroyable.

Je dévie le regard pour éviter toute possibilité d’emprise, et réajuste consciencieusement mes gants. Les capacités vampiriques m’échappent encore quelque peu, j’ignore comment opère exactement leur magnétisme, donc il me semble opportun de briser ponctuellement le contact visuel. Je ne lui laisserai pas l’occasion de planter ses griffes dans les anfractuosités de ma psyché.
«-Est-ce que vous connaissez la différence entre le charbon et le diamant? Les deux sont pourtant composés d’atomes de carbone…» Je la vouvoie volontairement, cela fait partie du plan.
Je ne lui laisse pas réellement le temps de répondre à ma question, puisque ma volonté est uniquement d’étayer mon prochain argumentaire.
«-La différence, c’est le chaos… Des atomes désordonnés, inorganisés, confus, incapable de s’aligner, et de laisser passer la lumière.» C’est justement cet alignement que recherche l’alchimiste, cette perfection divine. Mais seuls les plus valeureux sauront l’atteindre. Pour cela, ils devront surmonter les épreuves, endurer la douleur et s’endurcir… C’est le prix à payer pour atteindre la lumière.
«-Le charbon est sale, fragile, friable, malgré tout le potentiel qu’il porte en lui. Il a un retard d’évolution de quelques milliers d’années, par rapport au diamant. Il reste sommaire, vulgaire. Le chaos à l'état brut. Avez-vous donc tant de mépris pour les membres de votre groupe? »
La vulgarisation scientifique est poussée à son comble, laissant échapper les nuances, tout en triturant les vérités. Peu importe. Un sourire un peu amusé et narquois vient étirer mes lèvres. Celui qui l’a vendue a laissé échapper le nom de son clan de débiles, et j’ai choisi d’en jouer. Rien n’est aussi manichéen, en réalité. Le chaos a aussi son utilité, malgré ses connotations négatives. Et puis c’est bien connu, le charbon est un excellent combustible, elle sera parfaite sur le bûcher.

«-Yago, Mei, Ohran, c’est donc comme cela que vous les percevez? Un groupe de cabossés, de déguelasses, d’indésirables pêchés à même le caniveau? Des êtres trop idiots pour empiler deux cubes, optant invariablement pour la simplicité de la destruction? Des lâches préférant fuir les épreuves plutôt que de les affronter? Le chaos c’est tout juste bon pour les faibles, les raclures de fonds de poubelle.»
Je la teste, évidemment. Mon regard se pose à nouveau sur son visage, dans l’espoir de capter sa communication non verbale. Son âme éteinte ne laissera probablement rien filtrer, puisque ces choses là n’ont plus aucun élan sentimental ou affectif. Mais on ne sait jamais…
«-Serguey aussi, vous le percevez ainsi?»
Nouveau test. Pourquoi ai-je séparé Serguey du reste des dégénérés qu’elle a cité plus tôt? J’imagine que cette question va trotter longuement dans son les tréfonds de son crâne impur.

Pendant quelques secondes, je guette ses réactions, puis décide de ne pas attendre une quelconque réponse. Je devine qu’elle restera muette, pour ne me laisser aucune emprise. Je fais quelques pas, puis attrape un livre à la reliure soignée sur l’une des étagères : le nouveau testament. Je feuillette rapidement jusqu’à trouver la page désirée.
«-”Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort”. Apocalypse, chapitre 21, verset 8.»
Tout en lisant, je choisis de la fixer régulièrement, alors que quelques lueurs de satisfaction perverse viennent s’allumer dans mon regard d’acier. J’ai lu ce verset que je connais par cœur avec une prestance dramatique. La suite du programme se fait évidence. Je veux la sentir appréhender, frissonner. Enfin, si ce corps froid en était capable, peut-être qu’il frissonnerait.


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ADMIN ۰ Dalida - Elle devra choisir entre son amour et sa mort.
Aliénor Bellovaque
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♚ TAKE AWAY THE COLOUR ♚

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"Eh bien ; la guerre."

En un mot : La Vipère sous la rose.
Qui es-tu ? :
"Don't die with a clean sword."

♚ Caïnite âgée de trois siècles ; Accomplie du bel âge à portée d'ongles carmins.
♚ L'Ambition la ronge, mais laquelle ? ; le vide de nuits interminables la détruit plus sûrement que n'importe quelle balle en argent. L'Ennui pour seul véritable danger.
♚ Gorgone gauloise, sa réputation parle pour elle, surnommée Mère sanglante ou Reine rouge. Nombre d'enfants sont tombés sous ses crocs.
♚ Fille de corsaire, héritière de ses lettres de Marque ; navigua au service de Louis XV dans les eaux des Caraïbes à la tête de l'Espérance, frégate à l'équipage composé de deux centaines d'hommes.
♚ Trahie par un Britannique ; capturée et ramenée de force sur l'île de Mona, torturée , abusée, échappée - mourante (malaria). Transformée par un autre, à l'aube de sa trentaine.
♚ Éprise de coups d'État et féroce opposante à l'Essaim. Antique imperméable à l'ordre. À la tête du clan du Chaos. Danseuse sur le fil acéré de leur rigueur.
♚ Maudite ; aucun enfant n'a pu sortir de son ventre. Aucun Infant n'a pu résister à son vice, transmis tel un fléau. Sire matricide par deux fois. Échec toujours en gestation.
♚ Sang turc dans les veines, manie les us et coutumes perses. Son réseau d'Orient et d'Occident est dessiné comme une arachnide file sa soie.
♚ Incapable d'aimer son époque ; craintive pour l'avenir, répudiant son passé.
♚ Se joue d'une beauté en laquelle seuls les autres croient. Ancienne compagne de Serguey Diatlov, mère de substitution de Yago Mustafaï, protectrice de Mei Long et amante éternelle de Jenaro Silva.
♚ Pie voleuse, elle a dérobé le Clan du Chaos aux mains trop glissantes de Salâh ad-Dîn Amjad, qu'elle compte bien refonder en un ordre sérieux pour s'opposer à la Mascarade ainsi qu'au dictat de l'Essaim en place.

♚ SLAVE TO DEATH ♚

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"I know where you sleep."

Facultés : ♚ Vicissitude (niveau III)
♚ Mains de la destruction (niveau I)
♚ Chimérie (niveau I)
♚ Stratège. Rapide. Teigneuse.
Thème : Sleep Alone ♚ Bat for Lashes
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♚ CANNIBAL ♚

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"Mind if I cut in?"

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Ven 25 Nov - 23:55 (#)

♛ « Condamnée à mort ! »
« Et puis, qu’est-ce que la vie a donc de si regrettable pour moi ? En vérité, le jour sombre et le pain noir du cachot, la portion de bouillon maigre puisée au baquet des galériens, être rudoyé, moi qui suis raffiné par l’éducation, brutalisé des guichetiers et des gardes-chiourme, ne pas voir un être humain qui me croie digne d’une parole et à qui je le rende, sans cesse tressaillir et de ce que j’ai fait et de ce qu’on me fera : voilà à peu près les seuls biens que puisse m’enlever le bourreau. »

▼▲▼

L’homme mauvais présente une toute autre image que celle du tortionnaire qu’il a endossé la nuit dernière, pour elle. Ses yeux fatigués, agressés par la lumière crue émanant des plafonniers, n’abandonnent pas leur inquisition. Elle veut comprendre. Elle veut savoir à qui elle s’adresse. Et s’il possède des intentions pires que mauvaises, s’il envisage de l’assassiner un peu plus tard, elle ne s’évaporera guère de la surface de la terre sans avoir compris qui l’a ravi à sa condition éternelle. C’est peut-être mieux qu’il l’ait attachée et laissée nue là. Elle peut au moins concentrer le peu d’énergie qu’il lui reste sur cette contemplation figée, magnétique, et probablement dérangeante. Est-ce pour cette raison qu’il a détourné le regard ? Sa conscience commence-t-elle déjà à le mettre en péril ? Elle-même ignore si elle l’espère. Il ne bouge pas. Elle le regrette. Elle aurait réellement voulu le voir de plus près. Une toux étrange, pour une immortelle, la secoue brièvement, conséquence de l’argent qu’elle continue de purger, sans même s’en apercevoir. Le processus est d’une lenteur infinie. Elle devra prendre son mal en patience, si seulement son bourreau consent à la laisser se régénérer. Qui sait s’il ne répétera pas les sévices encore et encore, la blessant, la violant, puis la laissant guérir, la changeant ainsi en une Prométhée moins honorable que le modèle susnommé ?
Il enfile une paire de gants dont elle ne conçoit pas l’utilité. Ce n’est jamais bon signe, une paire de gants. Dans ses narines, il persiste une odeur désagréable dont elle n’identifie pas la provenance. C’est une odeur qui n’a rien à faire là, nauséabonde, et qui va et vient, passe puis repart, au gré de ses fausses inspirations, de l’air qui la caresse plus qu’elle ne l’ingère véritablement. Il bouge, effectue un pas, mais ce n’est pas encore suffisant. Elle s’étonne, de sa manière de se déplacer. Il n’a pas l’air gauche des hommes trop grands, parfois très raides, ce qui leur confère une attitude un peu grand-guignolesque, comme des pantins de bois manquant cruellement de souplesse. Lui n’est pas raide. Lui est doté d’une souplesse de grand félin, et c’est bien elle, la marionnette dont il a usé entre ses doigts mutins. Comme un enfant ignorant la fragilité du jouet qu’il manipule – ou, à l’inverse, trop conscient du potentiel de destruction entre ses mains – il ne l’a épargnée à aucun endroit. À la grande surprise de la Gorgone, voilà que l’homme grand ne la considère pas tout de suite avec le même mépris dont il a fait preuve, avec elle. Il la regarde à nouveau comme une sorte d’enfant trop vite grandi, presque étonné de retrouver le jouet en un meilleur état qu’il l’avait présumé.

Lorsqu’il parle, elle ne répond rien.
Elle absorbe. D’abord le détour emprunté.
Puis la mention des siens. Ses phalanges se grippent légèrement, serres n’ayant rien à poinçonner. C’est le seul élément qui la trahit, cette crispation presque douloureuse, contrastant si fort avec l’imperméabilité d’un visage mort et statuaire. Serguey. Pendant un instant, la mention de son nom a effacé tout le reste, au point de lui en faire oublier ce qui pulse partout dans son corps, de la tête aux pieds. Au point de lui en faire oublier la balle à quelques centimètres du cœur. Elle écoute la Bible qui lui est lue, mais s’accroche bien davantage à l’expression machiavélique de celui qui lui apparaît comme bien moins beau, tout à coup. Aliénor n’a jamais cru. Dieu est toujours resté sourd aux rares prières balbutiées au cours de sa vie de mortelle. Ni eau bénite, ni lectures bibliques ne sont capables de lui occasionner le moindre mal. Quant à l’aspect prophétique des textes anciens, elle a appris à leur opposer celui des démons dont elle préfère la compagnie aux saints.

« J’en ai connu, des comme toi. »

Sa voix est toujours éraillée. Toujours un peu rauque. Ça ne l’empêche pas de le considérer avec la même immobilité inquiétante, ne cherchant pas à se défaire de ses liens. Ne cherchant pas à se battre contre ce qui arrivera encore.

« J’en ai connu. Des hommes mauvais. Des hommes qui violent. Des hommes qui tuent. »

Ses paupières battent ; poussière d’argent qui la dérange, qui agresse le blanc de son œil, la changeant subitement en borgne, plissant avec force, jusqu’à ce qu’une larme écarlate n’entraîne avec elle la particule toxique. Le ton qu’elle emprunte, quant à lui, n’évolue pas d’un pouce. « Lâches… comme toi, qui n’avais aucune chance sans ton précieux argent… » Le métal comme les dollars, devine-t-elle. « Incrédules… comme toi, et ta manière de me regarder maintenant. Abominables. Comme la façon dont je t’ai vu aimer ça. » La Mère sanglante esquisse un sourire bousillé, déformé par sa mentalité ravagée. « Tu crois que c’était ma première fois… ? Tu crois que je n’en ai pas connu, des… inhumains ? Comme toi. » Ceux qui tuent sans forcément faire couler le sang. Ceux qui tuent l’âme. Qui l’empoisonnent, la rendent malade, volent une part de la vie de celles qu’ils condamnent à se changer en martyres. « Tu vois… La Bible, on peut la lire comme bon nous semble… Et si tu crois à l’Enfer dont tu parles, alors je te rejoindrai là-bas. »

Lentement, sa nuque pivote, et elle fixe de nouveau les rails du plafond. Sa position même est amusante. Christique. À dessein ? Et sinon, se rendra-t-il compte du sacrilège, de cette parodie qu’il s’inflige à lui, et qu’il lui offre à elle ? « Tu ne sais rien du Chaos… Rien du tout. Tu ne l’as pas encore regardé dans les yeux. » Elle ne mentionnera pas les autres. Hurler leur nom, les appeler à l’aide, était une erreur, dont elle se flagelle durement, à présent. Son sourire s’est évaporé, mais elle conserve son calme. Elle ne cessera pas de murmurer, tant qu’elle en sera capable. Elle ne cessera pas d’opposer la résistance de son esprit immémorial, mille fois supérieur à celui qui cherchera à la briser, à la réduire en néant comme encore personne n’y est jamais parvenu. Evidemment, qu’elle se demande pourquoi Serguey a été mis à part dans l'énumération. Elle refuse de le croire lié de près ou de loin à l’attaque dont elle est la victime. Elle ne l’imagine pas capable d’une telle trahison. Pourtant, ce grain de sable vient abîmer la mécanique de sa résistance, et elle craint alors de perdre de son frêle équilibre, qu’il sera si facile à son persécuteur de venir perturber.

« Tu ne sais rien. »

CODAGE PAR AMATIS


Before I'm dead

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Lun 12 Déc - 0:21 (#)

caput mortuum
Ft Aliénor Bellovaque & Jake Hamilton


Attention : PUBLIC ADULTE SEULEMENT.


Mon regard examine son visage placide, scrutant d’éventuels fragments d’émotions. Les ombres de la pièce lui octroient une présence inquiétante, sans pour autant altérer sa beauté ni sa majesté. Sans surprise, la vampire est restée stoïque, l’esprit figé dans la mort. Mes tests se sont soldés par un fiasco. De toute évidence, il n’y a aucune effusion sentimentale à attendre de ces macchabées... Tristement, je ne saurai l’éprouver autrement que par la douleur physique. Pour compenser, je redoublerai d’efforts pour développer un nouveau panel de sévices sadiques oscillant allégrement entre humiliation et barbarie. Son corps de porcelaine portera bientôt toutes les marques de mes attentions créatives et récréatives.

Sa destruction totale sera ma catharsis.

Après ma lecture biblique, elle reprend la parole d’une voix blasée et éraillée, en prétendant qu’elle en a connu beaucoup, des “comme moi”. Des “comme moi”?! L’offense, pourtant banale et prévisible, m’atteint directement au cœur, et griffe mon égo déjà malmené. Pendant une fraction de seconde, mon visage se décompose, pour finalement retrouver son impassibilité de façade. Au fond de mes tripes, la rage endormie reprend peu à peu ses droits, alors qu’en écho, une larme de sang perle sur sa joue. J’espère qu’elle souffre. La glace de mes iris suit attentivement le cheminement de la traînée d’hémoglobine, tandis que ma langue commence à saliver de désir malsain.

Du même ton éteint, elle évoque ma soi-disant lâcheté. Dubitatif, je hausse les sourcils. Avant moi, combien d’hommes sont morts pour avoir osé l’affronter? Et elle a l’audace de parler de lâcheté?! Que reste-t-il des autres “comme moi” qui se sont placés en travers de sa route? Le soldat qu’elle a laissé exsangue et la nuque brisée la nuit dernière ne constitue-t-il pas une preuve irréfutable d’une réelle prise de risques? Si on suit son raisonnement bancal, le jeune David a fait preuve de lâcheté dans son combat contre le géant Goliath, parce qu’il s’est pointé armé d’une fronde? Son argumentaire perd soudain toute force, quand je comprends qu’elle cherche maladroitement à m’identifier dans ce verset biblique. L'hypothétique incrédulité dont elle qualifie mon regard me laisse perplexe. Ce n’est assurément pas le premier adjectif qui me serait venu à l’esprit pour décrire ma façon de scruter son corps nu. C’est bien plus salace et primaire, en réalité.

Probablement consciente de la faiblesse de sa construction rhétorique, elle abandonne l’exercice avant d’avoir exploité la moitié de la citation. Un sourire sinistre étire ses lèvres abîmées, alors qu’elle évoque à nouveau les hommes “comme moi”, qu’elle qualifie ironiquement “d’inhumains”. Ma mâchoire se crispe. Apparemment, la garce a su distinguer mon trouble derrière le masque de froideur, et choisit sciemment d’appuyer là où ça blesse. Elle me réduit à une goutte de perversité supplémentaire dans l’océan de noirceur. Elle me refuse d’exister individuellement, en me noyant dans la masse. Elle me rappelle que je ne suis qu’un insecte insignifiant jalonnant son règne immortel, alors qu’à l’inverse, elle conserve une place centrale dans ma construction mentale. J’avais déjà conscience de ce déséquilibre bien avant cet aveu, mais la vérité n’est pas pour autant simple à encaisser. Surtout pour un homme comme moi…

D’un autre côté, sa remarque vipérine a le mérite de réveiller ma colère et ma haine, deux ingrédients essentiels à la réussite du plan. Je n’aurais pas supporté qu’elle ne m’oppose que douceur et tendresse. Je veux oublier qu’elle m’a doublement sauvé la vie. Je veux oublier l’apaisement que j’ai ressenti, blotti contre son sein. Et surtout, je veux oublier que je l’ai aimée, même si c’était à travers une projection fantasmée. La reine rouge est le symbole de sa race damnée, le mal personnifié, et doit rester dans cette case. Pour l’éternité.

Elle conclut sa tirade prévisible en pronostiquant nos futures retrouvailles aux Enfers. Finalement, c’est uniquement sur l’ordre d’arrivée dans les flammes sataniques que nos avis divergent. Tout cet argumentaire pour rien. Si elle m’avait un tant soit peu écouté, elle saurait que j’avais déjà revendiqué nos abjectes similitudes. Elle m’a façonné à son image et m’a biberonné avec son foutu chaos. Je ne renie pas la noirceur qu’elle m’a insufflée, ni toutes les atrocités que j’ai commises par le passé. Avec un étrange soulagement, j’ai même fini par admettre que j’étais un salaud. Sauf que contrairement à elle, je ne suis pas un monstre. Je suis un enfant de Dieu qui s’est perdu. Ma mission d’épuration vampirique sera ma rédemption.

Selon elle, je ne sais rien du chaos. Mais elle ignore à quel point j’ai sondé les profondeurs du vice, ni à quelles bassesses je me suis livré pour contenter mes plus ignobles perversions. Certains épisodes de ma vie me laissent encore la nausée, et une désagréable sensation de malaise. Non, je n’éprouve pas de fierté à avoir bousculé tous les codes moraux, à avoir dépassé les limites de la dégradation humaine. Ma quête d’horreur absolue a court-circuité ma raison. J’ai raclé les ténèbres pour la trouver, et j’ai sombré. Cette noirceur est aujourd’hui ancrée en moi, imprégnée dans ma chair, sauf que j’ai la ferme intention de m’en libérer. La naissance de mon premier fils a été le déclic pour me faire emprunter le chemin vers le salut. La véritable différence entre nous est là : je suis en vie, porté par des élans supérieurs, par la lumière. Pas elle. Semer le chaos est dans son intérêt. Son âme morte ne peut se complaire que dans l’abjection et le désordre. L’alignement spirituel aurait probablement le même effet sur elle que la lumière du soleil. La reine rouge est une créature des ténèbres, dévouée à l’ombre.

Elle est le mal incarné.

Une partie de moi aimerait écouter sa perception du chaos, mieux cerner son monde et ses mécanismes psychiques, mais la partie raisonnable refuse de lui laisser l’occasion de m’influencer et perturber mon système de pensée. Chaque mot qu’elle prononcera sera de toute façon tissé d’intentions démoniaques, et de mensonges malveillants. Elle en a connu beaucoup, des “comme moi”? Très bien. Elle me force à frapper un gros coup, pour la faire démentir. J’aime les challenges, et compte bien la contraindre à voguer sur les frontières de l’insupportable, jusqu’à ce que son cerveau mort m’extraie de la masse. D’abord parce que je serai le dernier à croiser sa route. Un sourire mauvais vient aussitôt éclairer mon visage, alors que la suite du programme se dessine dans mon esprit. Elle ne verra probablement pas se terminer la nuit, mais ce sera beau. Poétique. Triomphal.

Je m’approche, au niveau de ses épaules, puis plonge mon regard glacé dans le sien. Ne m’a-t-elle pas reproché de ne pas avoir fixé le chaos droit dans les yeux? Voilà qui est fait. Sans me décrocher de ses iris océaniens, je viens poser mon index et mon majeur entre ses seins. Les lamelles d’argent cousues sur le gant suffisent à brûler superficiellement sa peau de porcelaine. Des marques rouges se dessinent aussitôt sur son épiderme délicat. Mes doigts se déplacent avec une tranquillité sadique, puis pincent durement chacun de ses mamelons, pendant une bonne vingtaine de secondes, avant d'empaumer fermement ses formes généreuses, offertes à mes désirs malsains. Ma respiration se fait plus lourde, à mesure que l’excitation monte. La bosse dans mon pantalon témoigne aisément des pulsions sexuelles qui m’assaillent. Ma main descend, vogue et se perd quelques instants sur son ventre plat, sans que mon regard ne change sa trajectoire, magnétisé par les signes laissés par la douleur. J’enfonce brusquement trois doigts dans son vagin, sans autre forme de procès, laissant patiemment les lamelles d’argent brûler ses chairs internes. Je reste là, plusieurs minutes, à fouiller l’intérieur froid, et ne me retire qu’au moment d’approcher la jouissance. Qu’elle est belle…

J’amène mes doigts à mes lèvres, pour lécher avec délectation ses fluides intimes. L’effet est immédiat, et vient exploser mes synapses, à la manière d’un shoot de cocaïne. Je me mets à rire, sans raison. Il ne s’agit pas de joie, ni même d'une réjouissance mauvaise. Pas de la béatitude non plus, c’est autre chose. Peut-être simplement un plaisir primal. Du bonheur? Non, c’est trop niais. Je retire mes gants, puis les jette négligemment sur l’une des étagères, encore un peu sonné.

Sans un mot, je défais les mécanismes qui scellent solidement la table dans le sol, pour libérer les roulettes, puis la déplace avec une euphorie passagère dans la pièce attenante. Mon laboratoire. Son purgatoire. Mes doigts enclenchent l'interrupteur, et la lumière vient rompre instantanément les ténèbres. L’endroit est plus poussiéreux, plus encombré que le précédent. Partout se pressent des objets hétéroclites : alambics, athanors, lingotières, pinces, creusets, ballons de verre, cristaux et plantes, fioles, bocaux, cuves, livres anciens, croix catholiques, coffres… Deux larges et massives cheminées en pierre emplissent le fond de la pièce. Sur le sol sont peints une bonne vingtaine de pentacles et sceaux de Salomon. Les murs sont recouverts d’extraits bibliques en hébreu, d’une reproduction de la table d'émeraude, de divers écrits ésotériques, et de cette phrase en gros caractères : "La nuit est remplie de monstres, à toi d’être la lumière qui les dispersa."

Je scelle la table d’expérimentation au sol, en serrant solidement le mécanisme. Quand je remarque son regard se poser sur la citation, je reviens vers elle, sans me risquer à la proximité.
«–Vous vous souvenez?.»
Comme elle ne répond pas instantanément, je me permets de livrer un complément d’information.
«–Ce sont vos mots. Croyez-le ou non, je les ai étudiés bien davantage que n’importe quel verset biblique.»
Et ils restent un mystère, encore aujourd’hui. Il doit exister plusieurs niveaux de lecture. Quelles étaient ses intentions en m’invitant étrangement à contrer sa propre race? Par fierté, je me refuse à lui demander la clé de compréhension.

Je me détourne, en lui lâchant un dernier sourire froid, puis ôte ma veste et ma chemise pour les remplacer par une vilaine tunique beige en coton grossier, complétée par un long tablier en cuir épais. Tant pis pour le style, je devrai bien faire le deuil de lui plaire un jour. Pour terminer ma tenue de forgeron moyenâgeux, j’enfile de longs gants en cuir qui couvrent jusqu’à mes avant-bras. Hideux. Sans plus m'intéresser à la reine rouge, j’enclenche le système d’évacuation de fumées. De gros rotors installés au plafond commencent à tourner dans un bruit monocorde de brassement d’air, de soufflage et de machinerie disgracieuse. Avec un sérieux professionnel, je revêt un masque noir de protection respiratoire, aux allures de masque à gaz, vivement recommandé pour travailler avec des produits chimiques et dangereux.

Avec la dextérité conférée par l’habitude, j’allume un feu dans l’une des cheminées, sous un grand récipient en bronze gravé, d’une contenance d’environ trente litres, qui se veut la réplique miniature de la mer de métal du roi Salomon. Avec application, j’y verse un mélange de naphte et de résine de pin, une bonne dose de soufre, de magnésium, de phosphure de calcium et de salpêtre, quelques pincées de sel et de mercure en poudre, et pour terminer, une fiole d’eau consacrée. Je vérifie l’agencement du sceau de Salomon, puis remue l’épaisse mixture, en visualisant intérieurement sa composition. Je dois creuser la matière, la percer pour enfin la transmuter. Chaque geste est étudié, fort d’années d’expérimentations. Un œil profane ne saurait distinguer le prodige qui s’exécute en cet instant. Juste un type mal habillé qui fait sa tambouille. Et vu l’odeur âcre, je ne viendrais pas manger chez lui…

Je sens les énergies s’agiter autour de moi, en moi. La communion se fait ivresse. L’extérieur n’existe plus. Je bous de l’intérieur. Plusieurs gouttes de sueur perlent sur mon front et mes joues. A la fin de l’opération de transmutation, je suis vidé… et j’ai complètement débandé. La fatigue me pèse. Mon rythme cardiaque s’est considérablement accéléré, et les quelques profondes respirations ne suffiront plus à me calmer. Ma tâche n’est pas encore terminée. Avec application, je bascule le récipient de bronze pour transférer minutieusement le contenu dans plusieurs creusets. La manipulation est dangereuse, le tout pourrait exploser dans mes mains à la moindre friction de matière inopportune. Le temps s’étire. La nervosité gonfle. Je pousse un soupir de soulagement à la fin de la manœuvre.

Je retire le masque pour faire chuter l’insupportable sensation de chaleur, bascule la tête en arrière, ferme les yeux, puis attrape une croix en argent que je serre fort au creux de ma paume.
«–O Père miséricordieux,
Daignez me purifier, me libérer, me guérir,
me sanctifier, me pardonner.
Dieu des armées célestes,
Exercez mes mains pour le combat
Entraînez-moi à la bataille.
Libérez-moi de toute oppression diabolique
et délivrez-moi du mal.
Amen.»


J’ouvre à nouveau les yeux sur elle puis soulève l’un des creusets, à son attention.
«–Du feu grégeois, bien chargé en soufre. Je vais enfin vous offrir la deuxième mort promise.»
La température de ce feu aux teintes bleu-vert dépasse largement celle d’un feu classique. Il s’apparente magnifiquement aux flammes infernales, inextinguibles et destructrices. Mon regard inspecte les trois extincteurs, puis examine les coins de la pièce, afin de vérifier que les caméras sont bien en état de fonctionnement. Tout est parfait. J’approche le corps gracieux de la diabolique, puis verse la mixture épaisse et gluante sur ses jambes, en veillant à m'arrêter sur le haut de ses cuisses. Son sort est scellé, rien de ce qu’elle pourra dire me dissuadera d’exécuter mon plan. Trop tard. Elle les connaît, les “comme moi”, alors elle sait qu’il est inutile de se perdre en vaines discussions.

Je renfile mon masque de protection respiratoire, puis sort un petit paquet d’allumettes de ma poche. Un rush d’adrénaline parcourt ma colonne vertébrale. Les secondes s’égrainent. Pourvu que ça n’explose pas. Pourvu que je n’ai pas failli lors de la transmutation. L’état mental de l’expérimentateur est primordial, et je devine que les sentiments forts qui m’animent ont possiblement perturbé le résultat. Sa présence maléfique pourrait également avoir altéré le processus. Je l’observe quelques instants, imprime dans mon esprit ses traits diaboliquement désirables et magnétiquement contre nature. Un soupçon de tristesse me vrille la tête. Presque mécaniquement, mes doigts viennent gratter une première allumette contre la bande de phosphore. Une flamme apparaît. Je la laisse danser et vaciller jusqu’à s’éteindre, puis recommence la manœuvre plusieurs fois, laissant planer une tension terrible et oppressante, tout en lui accordant le temps de prononcer les mots qui pourraient temporairement la sauver. A la quatrième répétition, je lance le bâtonnet enflammé sur les jambes de la reine rouge. Flash de lumière vive, et crépitement infernal. Le brasier flamboie.


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ADMIN ۰ Dalida - Elle devra choisir entre son amour et sa mort.
Aliénor Bellovaque
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♚ TAKE AWAY THE COLOUR ♚

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"Eh bien ; la guerre."

En un mot : La Vipère sous la rose.
Qui es-tu ? :
"Don't die with a clean sword."

♚ Caïnite âgée de trois siècles ; Accomplie du bel âge à portée d'ongles carmins.
♚ L'Ambition la ronge, mais laquelle ? ; le vide de nuits interminables la détruit plus sûrement que n'importe quelle balle en argent. L'Ennui pour seul véritable danger.
♚ Gorgone gauloise, sa réputation parle pour elle, surnommée Mère sanglante ou Reine rouge. Nombre d'enfants sont tombés sous ses crocs.
♚ Fille de corsaire, héritière de ses lettres de Marque ; navigua au service de Louis XV dans les eaux des Caraïbes à la tête de l'Espérance, frégate à l'équipage composé de deux centaines d'hommes.
♚ Trahie par un Britannique ; capturée et ramenée de force sur l'île de Mona, torturée , abusée, échappée - mourante (malaria). Transformée par un autre, à l'aube de sa trentaine.
♚ Éprise de coups d'État et féroce opposante à l'Essaim. Antique imperméable à l'ordre. À la tête du clan du Chaos. Danseuse sur le fil acéré de leur rigueur.
♚ Maudite ; aucun enfant n'a pu sortir de son ventre. Aucun Infant n'a pu résister à son vice, transmis tel un fléau. Sire matricide par deux fois. Échec toujours en gestation.
♚ Sang turc dans les veines, manie les us et coutumes perses. Son réseau d'Orient et d'Occident est dessiné comme une arachnide file sa soie.
♚ Incapable d'aimer son époque ; craintive pour l'avenir, répudiant son passé.
♚ Se joue d'une beauté en laquelle seuls les autres croient. Ancienne compagne de Serguey Diatlov, mère de substitution de Yago Mustafaï, protectrice de Mei Long et amante éternelle de Jenaro Silva.
♚ Pie voleuse, elle a dérobé le Clan du Chaos aux mains trop glissantes de Salâh ad-Dîn Amjad, qu'elle compte bien refonder en un ordre sérieux pour s'opposer à la Mascarade ainsi qu'au dictat de l'Essaim en place.

♚ SLAVE TO DEATH ♚

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"I know where you sleep."

Facultés : ♚ Vicissitude (niveau III)
♚ Mains de la destruction (niveau I)
♚ Chimérie (niveau I)
♚ Stratège. Rapide. Teigneuse.
Thème : Sleep Alone ♚ Bat for Lashes
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♚ CANNIBAL ♚

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"Mind if I cut in?"

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Pseudo : Nero.
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Mer 8 Mar - 5:34 (#)

♛ « Condamnée à mort ! »
« Et puis, qu’est-ce que la vie a donc de si regrettable pour moi ? En vérité, le jour sombre et le pain noir du cachot, la portion de bouillon maigre puisée au baquet des galériens, être rudoyé, moi qui suis raffiné par l’éducation, brutalisé des guichetiers et des gardes-chiourme, ne pas voir un être humain qui me croie digne d’une parole et à qui je le rende, sans cesse tressaillir et de ce que j’ai fait et de ce qu’on me fera : voilà à peu près les seuls biens que puisse m’enlever le bourreau. »

▼▲▼

La maudite se raccroche à chaque instant, sans grand espoir. C’est qu’elle n’a aucune idée des intentions de l’homme qui se tient tout près d’elle. Qui s’approche, elle le sent. Elle n’est pas capable de réfléchir, de se projeter. Elle ne peut se demander combien de temps l’homme la gardera en geôle. Des mois et des mois, comme Connor ? Une dernière nuit, avant de l’achever à l’aube ? Quelque chose lui dit que son calvaire n’est pas prêt de prendre fin. Mais l’île de Mona est bien loin de la Louisiane, et si elle se trouve toujours dans le rayon de Shreveport, il est devenu moins aisé de séquestrer une femme aussi aisément que trois siècles auparavant. Elle se raccroche à cet Occident honni par beaucoup. Elle pense à tous ceux qui, à l’heure actuelle, ont peut-être déjà commencé à s’inquiéter de son absence ; Mei et Yago en tête. Myrtle, peut-être. Nina, sûrement. Non. Elle ne peut pas se permettre de réfléchir à ses chances de survie, à la durée de sa capture, ici. Si elle s’abandonne au doute, elle sombrera. Prise d’un mauvais pressentiment, elle devine que ses tortures n’en sont encore qu’au commencement. Toutes ses forces, la harpie les jettera dans la bataille de ce maintenant, concentrée sur les moyens de parer toutes les douleurs, toutes les bassesses qu’elle ressent dans sa chair, partout où ses nerfs éteints lui renvoient l’illusion d’une souffrance pourtant bien réelle. Son organisme plongé entre les deux feux de la mort et de la vie ne cesse de clignoter, de renvoyer à son cerveau aux méninges affolées tous les signes pointant les dégradations, les brisures, le danger imminent. Les réparations seront lentes et pénibles, et sans cesse contrecarrées par celui qui cherche à la regarder dans les yeux qu’elle lui refuse. Il a beau manger tout l’espace de son champ de vision, s’interposer entre les rails et elle, ses paupières se closent, s’interdisent de contempler plus longtemps le visage de l’homme qu’elle tuera un jour. Elle cherche à se noyer dans sa propre obscurité, en appelant à s’évanouir encore, à tomber dans un épisode de torpeur qui la préservera des appétits de ce bourreau trop gourmand.
Aussitôt qu’il la touche dans la vallée entre ses seins, la brûlure de l’argent repart de plus belle. Elle geint aussitôt, trop sensible pour lui opposer la moindre résistance. Se cambrer serait accentuer la blessure, et pourtant dieu sait que son buste cherche à lui échapper, à se tordre tel un poisson que l’on saignerait vivant, le tranchant d’un coup de ciseaux pour en arracher les tripes et les boyaux. Quand il s’attaque aux pointes fragilisées, sa gorge déjà douloureuse s’entaille elle aussi d’un sanglot étouffé. Ses dents se plantent dans l’intérieur de ses joues au risque de se faire saigner, et de nouvelles larmes sanguines s’écoulent depuis le blanc de ses prunelles déjà brûlées. Elle sent le derme délicat de ses seins céder sous les caresses immondes, et ses plaintes se changent en glapissements qu’elle a de plus en plus de mal à refréner. Il n’est plus question d’honneur ni de dignité ; il les lui a déjà arrachés en même temps que son simulacre de vertu, en même temps que ses habits sur le sol de béton gris des chantiers abandonnés. Elle n’est pas prête pour un nouvel épisode de viol. Elle n’est pas prête, et c’est pourtant bien la pression de ses phalanges excitées qu’elle perçoit avec une acuité surprenante, entre deux suspensions de la douleur ; brèves interludes lui permettant de ne pas sombrer tout de suite, respirations bienvenues mais d’autant plus cruelles, lorsque la morsure de l’argent se fait de nouveau sentir.

Et comme sur le sol de béton gris, elle assiste impuissante à la gradation des actes. De plus en plus humiliants. De plus en plus sanguinolents. Sa peau bouillonne, s’effrite, se dissout, s’arrache en une longue ligne, de sa poitrine au bas de son ventre. Elle est à deux doigts de hurler. De le supplier. Elle ne le fera pas. Ses lamentations se font plus perçantes, plus aigües. Elle se tord à nouveau, incapable de se contrôler tandis qu’il la pénètre, allant jusqu’à lui faire regretter le sexe nu qui, lui au moins, ne la déchirait pas de l’intérieur comme le métal empoisonné le fait désormais. Entre deux jérémiades, elle en rirait d’hystérie ; dire qu’elle appellerait sa queue douce et presque suave de ses vœux, plutôt que d’encaisser la pression des doigts qu’elle lui ferait bouffer un par un, os compris. Sa nuque arquée vers le plafond, sa vue brouillée d’écarlate, elle songe à cette ironie du sort qu’elle trouve bien instructive. Il y a toujours pire. Toujours. Et cet illustre inconnu vient de lui remettre à l’esprit cette leçon indispensable, pour laquelle elle lui dirait bien merci. Elle n’oubliera pas. Tout en tutoyant les abîmes de la démence, elle se promet de s’en rappeler encore, lorsque ce sera à son tour de venir chercher vengeance. Elle aussi se montrera à sa hauteur. Elle aussi lui fera goûter aux excentricités de son esprit ravagé. Créatif. Cet illustre inconnu ferait bien d’utiliser sa Bible pour prier tant qu’il le peut. Prier pour qu’elle ne sorte jamais de ce bunker imprenable.

Plus que tout, plus que le viol, plus que les sévices, c’est le rire de Jake Hamilton qui vient de le condamner.
Les dents de l’immortelle claquent, exactement comme ce jour interminable la voyant suffoquer sous la fièvre de la malaria dans sa cellule. Le claquement résonne fort entre ses deux oreilles, prend toute la place dans sa tête qui cogne parfois contre le lit dur sur lequel elle repose. Mais ce rire-là, elle ne l’oubliera pas. Pour la deuxième fois, l’Antique se voit condamnée à faire abattre un énième et prochain fléau sur les hommes qui haïssent les femmes comme elle. Car, en est-elle persuadée, sa condition de vampire n’est qu’un argument en sa défaveur de plus. Faut-il haïr les femmes pour la massacrer comme lui s’y ingénie ; avec un raffinement qui lui tire quelques frissons d’horreur supplémentaire. Trois siècles d’existence ont forgée la feu corsaire contre un certain nombre de surprises. Et toutefois, tant d’années après, certains diables déguisés en humains continuent, encore, de l'étonner et de la faire tomber de ce piédestal de savoir qu’elle croyait si farouchement acquis.

D’entre ses cuisses au bas-ventre ravagé, elle n’arrive même pas à reconnaître quels liquides s’écoulent, souillant jusqu’à l’interstice de ses courbes dissimulées. Elle ne se serait jamais redressée pour contempler le massacre. Sous elle, le monde bouge, glisse ; elle entend le très discret grincement, quasi-imperceptible pour une oreille humaine, d’une roue qui, dans quelque temps, se montrera plus bruyante à force d’usure. Les rails bougent à leur tour. Il la déplace. Masse épuisée d’avoir encore subi, les joues souillées de rigoles cramoisies, seules ses épaules bougent encore réellement, en des spasmes qu’elle est incapable de contrôler de même. Son rire. Elle n’entend que son rire, qui rebondit en mille échos jusqu’à la suivre dans une autre pièce dont la température change. Terminé, les rails. C’est un autre décor qui les entoure, cette fois. L’acte II est terminé. L’acte III commence. Il s’agit toujours du plus intense, elle le sait, de vécu. Après la mise en bouche, après la montée en puissance, c’est l’acmé qui, désormais, s’annonce. Viendra alors le début d’une redescente trompeuse, en une quatrième partie à peine moins brutale, et destinée à ménager le public. Avant que le chapitre final ne révèle son feu d’artifice ultime. L’acte III est toujours le pire. C’est ainsi qu’elle-même a souvent procédé, avec ses propres victimes. Et si le grand homme fait preuve d’une démonstration dont elle salue l’audace et l’inventivité, elle compte bien lui prouver qu’il est loin, très loin de rivaliser avec les paladins de l’apocalypse dont elle estime avoir largement mérité de porter les armes de noblesse.

Comme depuis toujours, c’est au goût doucereux de sa revanche que la mauvaise s’accroche ; le dernier filin avant la chute fatale. Elle y plantera ses griffes, jusqu’à ce que ses ongles s’en retournent, à s’en creuser la paume des mains, dusse-t-elle apercevoir le blanc rigide de la palme sous sa chair. Elle tiendra à la force de ses seules canines si elle le doit. Elle n’en a pas terminé. La bête en elle veut encore vivre, cette sale bête qui n’en a pas fini de traîner dans son sillage les mille souvenirs d’un océan de cauchemars dont il fera bientôt partie. Plus que par sa seule identité qu’elle ignore, plus que par sa descendance, Aliénor Bellovaque offre déjà à Jake Hamilton de toucher du doigt l’éternité des monstres. Sans le savoir, il vivra. En elle, après qu’elle se soit repu de chaque goutte de son sang. Elle le dévorera si elle le doit, mâchant pour mieux recracher sa chair au goût de cendres, pour elle. Elle le réduira en bouillie, consciencieusement, morceau par morceau, et aucun prédateur rival, aucun autre charognard qu’elle ne sera autorisé à s’approcher de cette dépouille méconnaissable. Elle le fera sien, l’absorbera dans ce qui, finalement, ressemble fortement à un acte de bienveillance. Par elle, au travers d’elle, il existera encore. Elle racontera à tous, tous ses semblables, tous ses mordus, ses marqués, ses Infants. Elle leur offrira en pâture le nom et l’histoire de l’impudent qui crut pouvoir la défaire. Un vulgaire mortel dont l’héroïsme maladif l’aura poussé à s’en prendre à ces Éternels dont il ferait mieux de craindre le courroux fatal.

Distraite de son délire, encore en état de choc, son corps qui tressaute légèrement ne l’empêche pas d’apercevoir les larges sceaux tapissant les murs. Elle fronce les sourcils, désorientée, et cherchant à égrener de nouvelles suppositions. Est-il un arcaniste ? Elle n’y aurait pas pensé. Elle n’a pas senti le contact de sa magie. Cependant, Serguey lui-même lui a appris que même les pouvoirs des mages et autres sorciers peuvent parfois s’échapper, au point de les rendre infirmes. Serguey que son violeur connaît. Ses prunelles s’écarquillent davantage, et ses pupilles se dilatent sous l’effet de la peur. Non, décidément, elle n’a jamais vu des esquisses pareilles avant ce jour. Aliénor ne sait pas qu’elle est tombée entre les mains d’un alchimiste, totalement ignare de ces pratiques qui ne l’ont jamais intéressée. Pire, ils lui ont toujours fait peur. Serguey est le seul qui a pu l’apprivoiser, grâce à cette infirmité qu’elle en est venue à aimer tout en la détestant. Pour lui. Pourtant, une chose lui saute aux yeux. L’hébreu, elle le reconnaît. Des réminiscences de Jérusalem, de Yago enfant, de tous ses séjours effectués dans la ville sainte surnagent parmi ses démons et la vibrance de son corps irradié par l’argent. L’hébreu, elle peut le lire. Sa bouche gonflée s’ouvre puis se ferme, pétrie d’une bouffée d’émotion à laquelle elle ne s’attendait pas. Yago. Yago lui manque si fort, en cet instant.

«–Vous vous souvenez ? »

Alors, seulement, elle le regarde de nouveau, ce visage d’albâtre totalement vierge du moindre remords, de la plus infime hésitation. Elle ne saisit pas. Ses mots ? Non. Elle ne se rappelle pas avoir jamais prononcé une phrase pareille. Elle ne lui répond pas, s’en sentant incapable. Cependant, il en est fini de l’impartialité de ses traits chiffonnés par la dénégation. Non. De cela, elle ne s’en souvient guère. Et encore moins de s’être adressée à lui par le passé. On n’oublie pas un tel physique. On n’oublie pas des mires pareilles. Il se déshabille, et elle aperçoit la construction d’un torse aussi glacé que le reste. Sa peau diaphane est presque digne de celle des vampires qu’il conchie. En d’autres circonstances, elle ne se serait pas privée de lui offrir cette insultante comparaison en cadeau. À la place, elle remarque comment son corps s’est construit. Taillé, affûté. La détermination de l’homme se lit jusqu’à la manière dont sa silhouette est bâtie. Plus encore que tout ce qu’elle vient d’endurer, c’est ce détail qui achève de la persuader : elle ne devra rien attendre de lui. Il la détruira, méticuleusement, tant qu’il en aura l’opportunité. L’accoutrement qu’il revêt ne lui inspire rien d’autre que de très anciennes défroques, dont elle avait oublié l’existence, depuis que ses contemporains de l’époque les portaient au quotidien.

C’est un nouveau rituel qui commence. Non. Décidément, les gants, ce n’est jamais un bon signe. L’homme élégant s’est mué en une sorte de tortionnaire d’une autre ère, et si son cœur pouvait encore battre, elle est sûre qu’il lui en aurait crevé la poitrine. L’indice qui l’angoisse par-dessus tout réside en ces flammes qu’il avive. Le feu. Elle ne survivra pas au feu. Telle une hyène acculée par un brasier broussailleux inextricable, des réflexes séculaires commencent à la tenailler, la tancent. Partir, sortir. Des murmures qui s’accumulent, qui bourdonnent et qui menacent d’abattre le pan de mur derrière lequel elle s’est abritée, en maugréant le châtiment dont elle l’accablera.
Elle décide de cesser de le fixer. De cesser de s’interroger sur les mille tourments qu’il lui prépare encore. À droite, puis à gauche, elle cherche à étudier la configuration des lieux, tout en demeurant à peu près sûre que rien ne lui permettra de s’échapper. Scellée. La pièce est scellée. Prison bien plus effrayante, car sans fenêtre ni lumière – même lunaire – pour les éclairer en lieu et place de ce feu qui ne lui dit rien qui vaille. Les sons qui tintent à ses oreilles prennent la connotation inquiétante du métal qui effraie tant les animaux comme elle, ceux qui ont associé leur chant à la présence humaine ; hostile. Elle perd la notion du temps à nouveau. L’instant pourrait s’étendre jusqu’à ce que l’aube n’approche comme ne durer qu’une poignée de secondes. La prière qu’il exécute une fois son œuvre mystérieuse accomplie ne précède rien d’autre qu’une révélation dont elle n’est pas en mesure d’évaluer les conséquences.

Ils ne sont prêts ni l’un ni l’autre, pour la tornade déclenchée par l’autorité du faiseur de miracles.
Avant même qu’elle ne réalise la portée de ses propos, la substance gluante et visqueuse ensevelit ses jambes, et le mouvement de recul qu’elle amorce n’y changera rien. L’allumette qu’il exhibe pourrait presque rendre ses orbes noirs ; dilatation prédatrice extrême. Ses supplications ne trouvent aucun mot, dans aucune langue connue.

Elle panique et suffoque, alors même que ses poumons ne demandent la grâce d’aucune bouffée d’air.
Elle panique quand elle sait que la flamme qui naît du grattement terrible s’apprête à tomber sur ses jambes nues et vulnérables.
La décomposition des gestes, d’une fluidité effarante.
Trois fois, il se contente de rester là, la narguant de la fin prochaine qu’il convoite, pour unique destin la concernant. Trois fois, elle songe en appeler à ce qu’il lui restera de raison. Elle songe à le couvrir de ces malédictions dont elle pensera chaque mot, jusqu’à la moindre syllabe, comprenant les silences imprégnant son phrasé.
Trois fois, elle en reste incapable.

La dignité avant la mort.
Aliénor Bellovaque n’a jamais supplié Connor Epps.

La quatrième est la bonne.
Elle s’enflamme.
Elle s’enflamme, et c’est tout son être alors, qui crépite.

De tous les ennemis qui ont déjà cherché à refermer les griffes sur elle, le feu est l’un des pires.
Sa bouche s’ouvre grande d’abord, incapable de réaliser que ses jambes brûlent.
Ses jambes brûlent.
Elles brûlent d’un feu plus vicieux que les flammes qu’elle esquive d’ordinaire. Elle va mourir. Elle va mourir s’il ne l’éteint pas.

« Éteins-le… »

Elle va mourir, et personne n’en saura rien.
La douleur met du temps à la frapper. Encore souillée de son sperme, de ses contacts profanatoires, elle a trop encaissé en trop peu de temps. Tous les capteurs les plus élémentaires de ses sens, brouillés, lui accordent cette ultime respiration.

« Éteins-le ! »

Comme une nausée qui s’ancre au fond de ses entrailles, quelque chose est en train de remonter à la surface. Cette chose pèse sur son ventre, tiraillant depuis les aines jusqu’à ses seins écorchés.

Elle brûle.

« ÉTEINS-LE ! »

La chose s’appesantit, rendant plus lourds ses membres écartelés. Bientôt, sa gorge est prise. Les filaments s’attachent alors à remonter la mâchoire, les pommettes. Elle peut la sentir, piqueter son cuir chevelu, pour mieux terminer sa course au bout de la moindre de ses extrémités. Chaque mèche châtain, chaque arrondi d’ongle ; tous ses pores s’ouvrent.

Je me demandais quand est-ce que tu reviendrais.

Elle brûle toujours, de ses orteils jusqu’à la porte de son sexe qu’il a investi comme aucun mortel n’en a le droit.

Les couleurs, les odeurs.
Tout se dépare. Tout bascule.
Mécanique et organique, ses poings se serrent, ne se relâchant que pour rendre leur apparence de serres aux doigts de la reine rouge. Elle emporte dans un ultime élan de conscience le visage de l’homme blond, déformé par son martyre. Sa gorge se gonfle, pareille à celle d’un reptile dont la collerette se déploie, prêt à cracher son venin. Elle se gonfle comme pour livrer le passage au cheminement d’un parasite achevant son cycle infernal.

Frénésie.

« ÉTEINS-LEEEEEEEEEEEEEE ! »

Ce n’est pas qu’elle, qui hurle. Désormais, Elles sont deux.
Le cri de banshee qui résonne dans le laboratoire de Jake Hamilton semble provenir de partout à la fois. Rapidement suivi d’un jumeau. Puis d’un triplet. Elle n’en finira plus de hurler.
La Caïnite éructe, tandis que l’élan colossal s’empare d’elle, décuplant ses forces dans un mouvement désespéré. Créature abjecte, aux contours à peine humains, elle ressemble aux reptiles amputés de leur queue tranchée par un prédateur désespéré. Y laisser sa peau, littéralement, ne l’effraie pas. La queue repoussera. Un premier choc voit ses poignets heurter avec une violence inouïe les entraves qui les lient. Puis un deuxième. Et un troisième. L’une des attaches cède. Elle, hurle toujours. Les crocs ont jailli comme s’ils se tenaient prêts ; prêts à se ronger le bras pour s’extraire de la menotte dont le simple poids la hante et la cisaille. Comme allongée dans les étages sordides, elle n’est qu’une immense plaie. Pas un endroit où son corps ne se consume pas. Les flammes qui la rongent attirent son regard métamorphosé par sa dernière arme d’immortelle. Sa chair fond, lentement mais sûrement. La Frénésie ne l’autorise pas à réfléchir. Elle ne l’autorise pas à se figurer ce qui restera d’elle, une fois que ses fémurs, que ses tibias apparaîtront à l’air libre. Sa hargne décuplée, ses saccades inquiétantes continuent de forcer contre le dernier lien. Dans un autre « CLANG ! », sa deuxième main se libère.

« ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LE ! ÉTEINS-LEEEE !!!! »

Si elle se redresse, elle brûlera toute entière. Incapable de rester en place sur ce chariot du diable, un coup de hanche la disloque et la propulse face contre terre. Le besoin d’étouffer ce qui la détruit, et la voilà qui se frotte comme une chatte en chaleur contre le sol qu’elle lacère de ses ongles qui, comme dans sa prédiction, se fendent ou se retournent les uns après les autres. Incapable de se libérer autant qu’elle le voudrait, coincée par la dernière pulsion de survie, seule la conscience de ce feu surnaturel l’empêche de se relever pour se jeter sur lui. Elle en mord le carrelage de rage, ses crocs crissant sur la surface lisse et sans aspérités, prête à se casser une canine s’il le faut. Après le dernier bout de cartilage du dernier de ses ergots réduit à néant, ses jointures cognent, cognent et cognent encore le plan froid qui ne chasse pas le feu comme elle l’aurait voulu. Elle traîne toujours les menottes de métal comme un bagnard son boulet qui, pour elle, ne pèsent guère plus lourd qu’une plume. Elle redresse sa gueule de vicieuse, cherche l’accroche de ses traits taillés d’une serpe qui ne lui plaît pas. La sienne se fera plus affûtée. La sienne redessinera d’autres sourires comme autant d’ouïes dont le sang dégueulera jusque dans sa propre bouche.

« Éteins-le… Éteins-le… »

Elle rampe, cherchant à se rapprocher de lui. Elle se vautre comme elle n’a jamais redouté de le faire, lorsqu’il s’agissait de vivre jusqu’au lendemain.
Elle appartient à cette race.
Vampire ou non, cela n’a aucune importance.
Humaine, elle aurait été capable de bien pire.
Pour une gorgée d’eau. Pour quelques miettes d’un mauvais pain.
La masse de ses cheveux l’encombre et se mêle au paysage onirique de son nez de traviole, cassé sous sa chute. Elle saigne de s’être mordue avec acharnement, à défaut d’avoir pu planter ses crocs dans la tronche du mortel. Le sourire de murène qu’elle lui donne est un cadeau, un don sacrificiel ; et sa douleur n’en devient que plus exquise.

CODAGE PAR AMATIS


Before I'm dead

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Anonymous
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Invité
Ven 14 Avr - 18:17 (#)

caput mortuum
Ft Aliénor Bellovaque & Jake Hamilton


Attention : PUBLIC ADULTE SEULEMENT.

Au fond de mon crâne, une part de conscience ou un reste de raison me conjure d’abandonner cette pulsion irréfléchie et destructrice. Me laisser emporter bêtement par une blessure d’égo est absurde. Rien n’a été préparé pour cette flambée. Ni l’infrastructure, ni mes plans, ni mon état d’esprit. Rien.

Des “comme moi”.
Pourquoi cette réflexion pourtant anodine suscite-t-elle une réaction épidermique? Pire, une véritable fureur? Pourquoi réclamer aujourd’hui ma singularité, moi qui me moque habituellement du regard des autres? Pourquoi ce besoin d’exister dans les yeux d’un monstre? LE monstre responsable de la mort de ma mère. Cette nuit elle doit abjurer ses crimes, et subir sa condamnation. C’est simple. Non discutable. Je sais, l’accusation n’est basée que sur une supposition. Et alors? Au pire, elle paiera pour tous les dégénérés de sa race maudite. Pourquoi ces emportements puérils indignes de l’homme que je suis devenu? Quelle faille menace encore la solide carapace que je me suis forgée?

L’allumette tombe comme au ralenti, tant j’ai conscience de l’importance de l’instant, de cette fracture imminente. Plus de retour en arrière possible. Ma raison s’éteint au profit de mon plaisir sadique. L’idée de la voir souffrir m’excite, lançant de puissantes impulsions électriques dans mon bas-ventre. J'aurais apprécié qu’elle me supplie d’arrêter mon geste, mais la garce s’obstine encore à me refuser ce plaisir. Pour l’instant. Personne ne résiste à la torture, pas même ces aberrations mortes et vicieuses. Quand l’allumette rougeoyante touche ses jambes, la flambée est immédiate, sauvage, féroce. Un feu de cheminée en pâlirait de jalousie. Le feu grégeois possède une beauté particulière, insaisissable, et une puissance inégalable. Les lueurs bleues et or s’échappent de la fournaise. D’intenses reflets de lumière s’élancent à l'assaut des murs sombres, révélant au gré des oscillations quelques nouvelles inscriptions. Les longues arabesques ondulent sur la chair bouillonnante offerte au sacrifice. Sa douleur est une forme de propitiation. La mienne ou la sienne? Je ne saurais dire. Une purification divine. Une Sainte Vengeance. Frappé d’anathème depuis au moins une bonne centaine d’années, souillée de l’empreinte du malin, le monstre femelle paie cette nuit pour ses fautes, et expie ses péchés. Ou ceux de ses sbires.

La panique la saisit, la reine déchue s’agite, tire vainement sur les lourds liens d’acier, commence à me balancer un ordre comme si j’étais son vulgaire sous-fifre. Idiote. Dans ce laboratoire, elle n’est rien. Ici, sa carcasse vaut moins que celle d’une pute vérolée. Moins que celle d’un rat mort. Dissimulé derrière mon masque respiratoire, un sourire mauvais étire mes lèvres. Avec un plaisir malsain, je regarde griller sa chair palpitante. Ma langue espère la goûter, juste un peu. Déjà des bulles renfermant une sérosité trouble soulèvent sa peau bouillonnante. Quelques secondes suffisent pour qu’elles éclatent et qu’un liquide jaunâtre et poisseux s’en échappe pour grésiller joyeusement dans les flammes. Sa terreur me galvanise et me stimule. De la main droite, je passe sous le tablier de cuir, puis viens extraire de sa prison de tissu mon sexe durci par l’excitation. D’un geste mécanique (et maintes fois répété), je masse le membre turgescent en poussant quelques soupirs de contentement. Mes yeux avides d’horreurs savourent avec délectation le spectacle. Sa peau se dilate, se fendille, se boursoufle dans un agréable crépitement. C’est bon. Tellement bon. Mon souffle se fait plus court, plus lourd, plus bestial.

Allez, brûle encore, pourriture!
Crie pour moi.

La chaleur se fait vite étouffante et l’air se sature de fumée, malgré les puissants rotors du système de ventilation. De grosses gouttes de sueur perlent sur mon front, dans mon cou et mon dos et un peu partout sur mon corps. La température ambiante dépasse probablement les 100°C, si bien que l’endroit commence à devenir dangereux, même pour moi. Pourtant, rien ne saurait empêcher mes gestes. Rien ne saurait faire taire mon plaisir face à son agonie. Le spectacle m'enivre, résonne en moi trop profondément. Le feu s’infiltre sous sa peau à vif, s’enfonce dans sa chair craquelée. Les phlyctènes qui soulèvent ce qu’il lui reste d’épiderme se sont colorées d’un rouge presque noir. Sanguinolentes. Des particules carbonisées, filaments sombres ou poussières grasses, viennent accrocher fioles, ballons de verre, livres, cheveux… Tout. La reine fond, se désagrège.

Sa gorge se gonfle étrangement. Mes sourcils se froncent. J’éprouve une sensation de dégoût mêlé d’incompréhension. Et soudain, un hurlement terrifiant arraché à l’Enfer foudroie la pièce. C’est le démon qui s’époumone à travers elle. Un jaillissement de douleur venu d’outre-tombe. Mon coeur manque un battement. Tétanisé par ce cri infernal aux relents d’Apocalypse, je lâche ma prise, puis la fixe avec effroi. D’autres hurlements multiples et assourdissants suivent à la chaîne. Malgré une chaleur étouffante, je sens une goutte de sueur glacée courir le long de mon échine. Mon regard dévie instinctivement vers les flammes qui dévorent ses chevilles, et je suis gagné par un nouveau frisson d’horreur. L’acier entre en fusion aux alentours de 1500°C, et d’après mes précédentes mesures, le feu grégeois peut atteindre les 3000°C. Pas le temps de méditer l’ampleur du désastre que j’entends le bruit métallique de l’une de ses attaches de poignets qui cède. Comment est-ce possible?!!! Ce n’était pas à cet endroit que ça devait lâcher!!! Dans un mouvement d’affolement, je recule jusqu’à heurter brutalement l’une des étagères. Je m’écroule lamentablement, accompagné dans ma chute par quelques fioles et boîtes d’herbes séchées, puis me réfugie à la hâte derrière les creusets contenant le reste de la mixture de feu grégeois.

Je dois l’achever.
C’est elle ou moi.
Plus le choix.

J’étouffe. Ma respiration est saccadée, les poumons enserrés comme dans un étau. Je retire mon masque sans réfléchir, au risque d’inhaler du dioxyde de soufre. Il me faut de l’air! Vite! L’atmosphère est épouvantable. Ce n'est pas l’odeur de la chair brûlée qui prédomine, mais celle, infecte, du soufre associé à l’acide sulfureux. J’en ai directement la nausée. L’air est irrespirable. Une quinte de toux terrible semble m’arracher la gorge. Malgré la panique, et le début de tremblement qui gagne mes mains, je me redresse, puis m’avance précautionneusement vers la créature des Enfers afin de verser la mixture sur ce corps qui refuse trop brutalement la mort.

Trop tard, la dernière attache lâche. La furie se tord, se disloque, se déchire l’épiderme puis tombe de la table d’expérimentations. Je recule, les yeux écarquillés d’effroi. La vision est cauchemardesque. Il n’y a plus rien d’humain dans cette chose. Je contracte instinctivement mes muscles, comme si la manœuvre pouvait me protéger des représailles du monstre. L’écart de forces m’est radicalement défavorable. Me jeter sous un train m’assurerait de meilleures chances de survie. Heureusement, la créature infernale m’ignore, focalisée sur les flammes qui la dévorent et la dépècent “vivante”. Elle se roule vainement sur le sol, plante crocs et griffes acérées dans le carrelage. Grincement sinistre de la matière qui cède, broyée. Elle saccage, détruit tout ce qui passe à portée de serres. Elle s’acharne, s’accroche au dernier fil de sa non-vie.

Malgré les prouesses alchimiques, le feu se fane, perd en intensité. Pour cause, le soufre s’est déjà presque entièrement consumé. Sauf que la résine brûlante s’est collée à ses chairs, et ses contorsions pour éteindre le brasier restent vaines. Ses manœuvres désespérées n’y changeront rien. L'épiderme léché et noirci par les flammes se crevasse en profondeur, le feu s’instille sous les muscles, parfois jusqu’à l’os. La graisse crépite et se liquéfie. Quelques lambeaux de chair calcinée se détachent et pendouillent de ses jambes mortifiées. Elle relève vers moi son visage défiguré, couvert d'hémoglobine tranchant sur sa pâleur mortelle. Aliénor a laissé place au véritable démon. Toute l'inhumanité de sa race irradie. Son sourire est effroyable. Je devrais fuir, mais mon cerveau semble court-circuité par une force obscure, qui dépasse largement le stade de la simple curiosité. Je reste figé dans cette séquence d’horreur. Elle rampe vers moi, hideuse, abjecte. La vision me glace le sang, mais je ne peux détourner le regard. Ian Calloway a-t-il déjà assisté à une telle scène? Je me gorge de ce spectacle immonde, gonfle mes souvenirs d’images cauchemardesques et paradoxalement fascinantes.

Les langues de feu, mêlant bleu et or, s’immiscent dans mes prunelles aux pupilles dilatées. Je la toise sans bouger d’un seul centimètre. Au milieu de ce chaos de flammes, de chair calcinée et de sang, nos regards s’ancrent l’un à l’autre. Malgré ma position dominante, c’est moi qui frémis. Ce contact visuel, suintant de noirceur, marque mon esprit au fer rouge. L’air brûlant de la pièce me rapproche encore un peu de l’Enfer. Et toujours cet ordre qui tourne en boucle. Lancinant.
« Éteins-le… Éteins-le… »

Une nouvelle quinte de toux brise le maléfice de Méduse. Je sors de pétrification en avalant une large goulée d’air putride. Les pensées se fracassent dans mon crâne, sous un déferlement trop vif.
Éteindre.
Toute logique s’est morcelée. Une part de moi s’insurge : il faut fuir! Vite!
Éteindre. Comme si l’idée venait de moi. Pour la garder. Pour la voir souffrir encore. Pour comprendre.

Mes doigts crispés posent enfin les creusets de feu grégeois. Je respire difficilement. Trop vite. D’un geste mal assuré, je referme mon pantalon histoire de ne pas rester la queue à l’air. Je contourne la diablesse, attrape l’extincteur CO2, le dégoupille puis pulvérise la neige carbonique vers la base des flammes, sans certitude du résultat. La proximité avec le monstre aurait dû m’alarmer, ma témérité frôle la pure bêtise. Une quinzaine de secondes suffisent pour vider la cartouche. Quelques flammèches ont survécu à l’assaut, le brasier fait triste mine mais s’accroche à ses derniers bastions de chair à dévorer. Il pourrait repartir s’il n’est pas étouffé rapidement. Je lâche l’extincteur, qui s’effondre dans un bruit métallique, attrape un large bocal de sel sur l’étagère qui se tient derrière moi, puis lance le contenu sur ses plaies à vif. Elle saura apprécier les vertus corrosives du sel, j’en suis certain.

Les précieuses secondes qui lui seront nécessaires pour s’éteindre ou encaisser cette nouvelle douleur me sauveront possiblement la vie. D’un pas décidé, je m’empresse de quitter la pièce, verrouille derrière moi, puis me précipite vers la sortie. Un shoot d’adrénaline me rend rapide et efficace. Je sais bien que la serrure ne lui résistera pas longtemps, ni même les poignées en argent. Mais ça la freinera. De toute façon, sans moi et mes précieuses données biométriques, elle est prise au piège. Aucune issue de secours. Dans son état, elle va au mieux se saisir des deux dernières poches de sang conservées dans le frigo. Mais les heures qui lui restent avant l’aube ne lui suffiront pas à creuser un tunnel dans le béton. L'œuvre serait titanesque. Et la furie a presque perdu l’usage de ses jambes, s’est vidée d’une bonne partie de son sang et garde au moins une balle en argent dans le corps. Son système va lâcher. Il existe forcément une fin à cette monstruosité!

Je remonte à la surface, prends une minute pour aspirer de larges goulées d’air sain. Ma respiration s’est emballée. Mes mains tremblent et je suis pris d’un rire nerveux. Bordel, j’ai failli y passer! J’ôte le tablier de cuir et les gants, puis, encore haletant, me dirige vers la salle de contrôle où glandent deux agents de sécurité.
«-Убирайся! (Ubiraysya!)»
D’un ton sévère qui ne tolérerait aucune contestation, je leur demande de sortir, usant de leur vilaine langue. Hormis le gardien qui surveille l’entrée officielle, un américain pure souche, tout le personnel du site est russe ou tchétchène. Des mercenaires armés et entraînés à tuer. Les deux hommes me fixent étrangement, d’un air mi-dubitatif, mi-étonné. Je ne sais pas s’ils ont compris l’ordre, compte-tenu de mon mauvais accent russe, ou si c’est mon improbable accoutrement qui les interpelle. Le style clodo, l’odeur nauséabonde d’oeuf pourri et le visage noirci de suie et dégoulinant de transpiration, ça fait désordre. Ils ne discutent pas, et quittent la pièce, un peu interloqués. Sans attendre, je m’installe derrière le mur d’écrans, tape une série de codes appris par cœur, et fais apparaître les images transmises par les caméras du sous-sol. Mes mains tremblent encore. J’ai besoin de me rassurer. De vérifier qu’elle est bel et bien prise au piège. De m’assurer qu’elle ne va pas arriver dans mon dos pour me tordre le cou.

Comment la situation a-t-elle pu ainsi dégénérer?

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