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Mi-octobre 2021 ☽☾
Myrtle fixe son reflet dans la glace. Sous sa peau translucide, le réseau de vaisseaux sanguins semble noir. Ses longs cheveux désordonnés dégringolent sur ses épales graciles, ses lèvres blêmes se pincent. Voilà sa véritable apparence, celle que le sang frais lui permet de dissimuler aux yeux des mortels. Celle qu’elle aura pour toujours, à cause de François, à cause de Louis. Ses mains tremblent d’une rage sourde contenue. Plutôt que d’exploser la glace à coup de poing, l’Immortelle serre le bord du lavabo jusqu’à entendre grincer la céramique.
On sonne.
Ravaler le poison, enfiler un tee-shirt, boutonner son jean et aller ouvrir la porte d’entrée. C’est January. Un sourire de convenance fissure le visage sans couleur de Myrtle, le cœur n’y est pas. La jeune femme entre dans la tanière du démon et pousse une exclamation de surprise. C’est vrai qu’elle n’a pas pris la peine de ranger son salon saccagé par sa propre fureur. Ça fait dix jours de ça. Mais tout ce temps, elle était occupée à fuir ses fantômes et à s’empêcher de prendre une décision catastrophique.
- Je change la décoration, prétexte-t-elle avec lassitude.
Le temps presse. L’anglaise se réduit à néant la distance qui la sépare de son calice. Elle peut savourer le parfum enivrant de sa peau et entendre son souffle se saccader. L’humain sent si bon. L’Immortelle dévoile sa denture carnassière, aux quatre crocs pointus qui, à ce moment, la font un peu plus ressembler à un monstre de cauchemar. Cette fois, il n’y a pas de fausse langueur afin de faire durer le plaisir. Elle mord, le sang coule, elle se nourrit. Direct à l’essentiel. Ses bras étreignent January, docile, vulnérable. Lorsque Myrtle cesse d’aspirer la vie, son teint a changé. Plus naturel, plus passe partout.
- Tu peux passer la nuit ici si tu veux, propose-t-elle à son calice, qui s’assoit pour épargner ses jambes flageolantes, on se croisera avant l’aurore.
Là-dessus, elle essuie la commissure de ses lèvres, choppe un blouson en jean, son sac, son appareil-photo, et s’en va.
* Sa modeste voiture s’arrête devant le garage alors que les nuages commencent à cracher une pluie drue. Le genre de draches qui ne durent pas, mais rafraîchissent encore l’air nocturne qui voit naturellement tomber le mercure. L’Anglaise profite du prétexte de l’averse pour attendre quelques minutes et se préparer mentalement. Charlie n’est pas là car il doit couvrir un énième article sur la montée de la « Foi » à Shreveport et, coupe de personnel oblige, le rédacteur en chef a proposé à Myrtle de s’en charger, faute de journaliste disponible. L’argent supplémentaire ne lui est pas utile, mais elle a surtout besoin d’occuper son esprit. C’est ça, ou elle déraille.
Finalement, la pluie ne s’arrête pas. Elle sort du véhicule et se dépêche de rejoindre l’entrée. En quelques mètres, ses épaules sont trempées et des rideaux de perles sont accrochés à ses cheveux d’encre. Du regard, elle cherche ce qui s’apparente à une sonnette, et annonce sa présence d’une pression. Samuel Miller doit être là, il y a de la lumière à l’intérieur. D’ici, elle peut sentir les effluves de graisse et d’huile mécanique.
- Bonsoir, monsieur Miller ? Aborde-t-elle quand un homme d’une quarantaine d’année vient à sa rencontre, Myrtle Blackstone. Je viens pour l’article.
Et elle lui tend la main.
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| Un froncement de sourcils alors que je referme l’ordinateur. Je suis toujours pas persuadé que cette visite soit une bonne idée mais, si ça doit faire de la pub pour le garage, je suppose que je peux difficilement faire ma mauvaise tête. Et puis, au pire, c’est juste un mauvais moment à passer. Ou quelque chose du genre. Laissant filer un soupir alors que je m’éloigne de cette abomination technologique, c’est sans regrets que j’attrape mes outils et que je me concentre sur le dernier petit bijou que j’ai récupérée la semaine dernière. Une Ford mustang GT 390, un modèle que j’affectionne tout particulièrement et que son proprio veut voir remise à neuf. Autant dire qu’il y a du challenge et que c’est pas pour me déplaire.
La musique est lancée et la journée se passe, sans qu’il y ait le moindre problème. Mon nouvel apprenti est plutôt dégourdi et persuadé que j’ai pas deviné qu’il était arcaniste. Situation qui nous convient à tous les deux et que je compte pas modifier, sauf à ce que je me retrouve dans une impasse. Toujours fervent partisan des secrets bien gardés, je me contente de le former à la mécanique et lui, il se contente de m’écouter, sans poser les questions qui fâchent.
Les heures défilent, tout le monde s’en va et je finis par couper la musique, profitant du bruit de la pluie qui tombe sur la tôle du toit. J’ouvre même les portes en grand, profitant des odeurs et de ce moment de paix, laissant filer les minutes sans trop me soucier de ce qui pourrait se passer autour de moi. Le moment est assez rare pour que je sache en profiter. C’est pas souvent que j’aime être comme ça, que je me sens en paix avec moi-même. La Bête a même pas besoin de vraiment se manifester et se contente d’attendre tranquillement son moment. Mais, après des années à s’apprivoiser l’un l’autre, c’est plutôt bien qu’on arrive enfin à trouver un compris tous les deux non ?
Un mince sourire se dessine sur mon visage alors que je me penche de nouveau sur le moteur en sifflotant, notant les pièces dont je vais avoir besoin et oubliant totalement que j’ai un rendez-vous ce soir. C’est quand j’entends le bruit de talons qui claquent sur le sol bétonné de l’atelier que je tilte d’un coup, laissant filer quelques jurons dans ma barbe et cherchant un torchon des yeux.
Quelques enjambées rapides en direction de la brune – qui aurait presque pu me paraitre mignonne s’il y avait pas ce quelque chose qui me dérange au moment même où je suis à portée pour lui serrer la main. La Bête se réveille, s’agite un peu et il me faut quelques secondes à peine pour comprendre ce qui se passe. Cette odeur si particulière, à laquelle aucun de nous deux ne s’est vraiment habituée malgré les années. Pas que ce soit vraiment désagréable. Juste cette sensation de vide. De mort même.
Vampire.
Hum.
Remarquez, c’est toujours moins pire qu’un humain lambda qui prendrait ses jambes à son cou en sachant ce que je suis et en s’imaginant que j’ai juste envie de le déchiqueter et d’en faire mon goûter.
Bref. Passons.
Je m’essuie les mains et je serre la sienne, non sans lui rendre un sourire un brin circonspect. Sa nature me prend un peu au dépourvu mais il me faut plus pour me démonter. « Appelez-moi Samuel. C’est à mon père qu’on donne du monsieur Miller et à chaque fois que je l’entends pour moi, ça me file un coup de vieux. » Une œillade malicieuse alors que je sens quand même ma Bête bien éveillée et… curieuse. « Ravi de vous accueillir dans mon antre. Je peux vous proposer quelque chose à boire ? J’ai probablement encore du café. Ou de la bière. Voire quelque chose de plus fort. » Pas de sang en stock par contre. Je devrais m’en excuser ? Vu que sa poigne était chaude, je suppose qu’elle n’en aurait pas réellement besoin. Dans l’immédiat en tout cas. Et c’est pas plus mal. Elle saura se tenir. Normalement. |
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| - Très bien Samuel, obtempère-t-elle à ce qui est pour elle un caprice typiquement mortel.
Soustraite à l’hégémonie du temps depuis maintenant plus de 200 ans, Myrtle n’a cure de ce genre de détails. Elle ne peut avoir peur de se voir vieillir, car la malédiction qui l’a frappée la fige dans ses 38 ans. Elle serre la main de son hôte, non sans faire attention à ne pas la lui broyer involontairement. Un sourire poli ourle ses lèvres charnues, à la proposition toute naturelle de lui offrir quelque chose à boire.
- Non merci, c’est gentil. Mais servez-vous ce que vous voulez, si cela vous aide à vous mettre en condition.
Elle a conscience que l’exercice n’est jamais simple. Même lorsqu’on connait son sujet par cœur, devoir l’expliquer à quelqu’un d’autre pour se livrer dans un article est monstrueusement déstabilisant. Et encore, il n’y a pas de caméra ! L’Immortelle ébroue sa chevelure d’encre, puis la rassemble d’un côté de son visage. Ce moment est particulier, un peu hors du temps. Ils sont seuls dans ce garage, chaque silence rempli par le vacarme de la pluie. Myrtle n’a pas peur, mais elle se sent plutôt… mal à l’aise. Les années ne l’ont pas aidée à être sociable, au contraire.
- Ne vous en faite pas, commence-t-elle à expliquer, on est pas en direct, donc vous pouvez prendre le temps de réfléchir et vous corriger si une réponse ne vous satisfait pas. Et dans tous les cas, l’article ne paraîtra que la semaine prochaine, donc d’ici là, vous aurez le temps de m’écrire par mail pour revenir sur certains points.
Elle doit sonner trop mécanique, monocorde. L’Anglaise a entendu mille fois Charlie faire, mais elle n’a pas son bagou ni son empathie. Elle est une morte, réanimée par le sang et maintenue en vie par la rage. L’opposée parfait de son fidèle Marqué.
- Partez du principe que les gens qui vont lire ne vous connaissent pas et n’y connaissent pas grand-chose ne mécanique. Du coup, si vous voulez développer certains termes… allez-y. Lâchez-vous : c’est mon travail ensuite d’extraire l’essence de vos réponses, et là, elle esquisse un sourire qui se veut encourageant, je vous montrerai l’article avant de le soumettre au magazine. Vous pourrez me faire vos retours.
Voilà, tout était dit ? Les yeux verts de Myrtle ne lâchent pas Samuel, étudiant ses expressions, ses gestes, ses tics. Une habitude de prédatrice. Inoffensive, elle le suit jusque-là où il souhaite réaliser l’interview. De sa poche, elle tire un téléphone portable et ouvre l’application dictaphone. Nouveau blanc un peu étrange, le vent se mêle à la partie. Il mugit à l’extérieur, telle une horde de spectres.
- On va commencer par la base : expliquez-moi votre parcours, que faisiez-vous avant et comment en êtes-vous venu à monter ce garage ?
Après celle-ci, les questions « banales » s’enchaineront : combien de personnes travaillent avec lui, a-t-il des prochains pour se développer, quelle est la plus belle pièce qu’il est eu à réaliser… et finalement, l’interrogation finale – potentiellement la plus politique : la Révélation a-t-elle changé quelque chose à son entreprise ? |
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| J’ai une ombre de sourire amusé quand je l’entends mettre l’accent sur mon prénom. Probablement qu’elle trouve ça idiot, mais c’est une habitude qu’il m’a été difficile de perdre. Et j’ai beau avoir atteint l’âge respectable de 70 ans, je ne me sens toujours pas d’entendre du monsieur, allez savoir pourquoi. Toujours est-il qu’elle m’intrigue un peu. Plus que l’idée d’avoir une vampire dans mon garage me rebut, ce qui est plutôt un bon point pour elle.
J’avoue que j’ai un peu de mal à croire à une complète coïncidence mais, après tout, pourquoi pas. Ce ne serait ni la première, ni la dernière mauvaise surprise que peut nous réserver cette ville. Et je lui rends un sourire de remerciement quand elle me dit que je peux me servir ce que je veux. « Ma foi. » Je ne vais pas me priver, c’est certain. Petit rituel du soir, j’attrape une bouteille de whisky, un verre et j’appuie sur la porte du frigo pour récupérer quelques glaçons. Une de mes rares concessions volontaire au monde moderne soit-dit en passant. Et qui ne me fait pas râler. Le téléphone m’a été imposé, je le rappelle assez souvent pour que personne n’oublie.
« Oh, je ne m’en fais pas. Ce n’est pas comme si j’avais une réputation ou quelque chose du genre à défendre. Enfin, je connais la qualité de mon boulot et les gens ne viennent pas pour le brio de ma conversation. » Mais je lui rends un sourire plus franc. « Je note tout de même vos encouragements. » Et j’avoue, je me demande ce qui a pu la pousser à devenir journaliste. Encore plus comment elle a pu atterrir dans cet endroit. Probablement un lien avec toutes les créatures qui trainent dans le coin. Je suppose.
Et je sens son regard suivre le moindre de mes mouvements. Entre prédateurs, on se reconnait rapidement, même si c’est probablement plus compliqué pour elle. Pour autant, mon regard brille d’une lueur franchement amusée alors que mon regard accroche le sien quelques instants. Qu’elle ne s’imagine pas une seconde qu’elle pourrait me faire peur, même si je sais que mes chances face à un vampire sont … aléatoires. Ouais, le terme convient plutôt bien je crois.
Je finis par lever les yeux quand une bourrasque semble vouloir décrocher le toit métallique du garage, non sans laisser filer une grimace. Vu que je vis juste au-dessus, j’aimerais autant éviter une nouvelle tempête. Finalement, la jeune femme – tout du moins en apparence – commence à lui poser des questions, à orienter la discussion qui se transforme en interview en bonne et due forme. Les réponses s’enchainent, alors que je parle de ma passion pour les vieilles voitures depuis toujours. Même si, à l’époque, c’était des voitures tout ce qu’il y a de plus moderne, ce que je me garde bien de lui dire. Des années à bricoler, un déménagement pour raisons personnelles et un garage ouvert il y quelques années à peine. Je passe sous silence les dates, restant volontairement flou pour éviter de lui mettre la puce à l’oreille. Un exercice qui m’est particulièrement familier mais qui l’est peut-être aussi pour la brune. A voir si elle réagira ou pas, ce qui pourrait presque m’amuser. Oui, tout est dans le presque.
Je finis par fouiller dans un des tiroirs de son bureau pour lui montrer une petite deux chevaux de 1960, un sourire taquin sur les lèvres. « Je sais, ça surprend. Mais c’était un sacré défi de trouver les bonnes pièces. Un truc que les collectionneurs s’arrachent. » J’évoque mes quelques apprentis, rejette l’idée d’une possible expansion. J’aime cet endroit et vu mon rôle dans la Meute, je ne me vois pas la quitter. Mais je préfère mettre en avant le côté familial du garage et un peu unique en son genre, surtout dans la région.
Sa dernière question m’arrache un haussement de sourcils. Je bois quelques gorgées de mon verre, la fixant un instant, remisant dans un coin la Bête qui aurait bien des choses à dire à propos de l’impact de la Révélation sur nos vies. « Je suppose qu’elle a chamboulé votre façon de travailler ou les scoops que vous pouviez trouver. » Soufflé d’un ton qui se veut toujours aussi léger, même si je me suis un brin tendu sans même m’en rendre complètement compte. « A votre avis ? Les gens ont-ils changé leur façon d’acheter des voitures de collection ? » Je sais, je ne réponds pas vraiment à la question, mais je me demande comment on a pu en arriver là. |
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| Alors que Samuel répond aux questions, l’Immortelle décrypte ses gestes. Ses tocs. La façon qu’il a de faire tourner le liquide ambré dans son verre, entre chaque réponses, avant de porter le breuvage à ses lèvres. Elle écoute, ne perd pas une miette, fronce parfois les sourcils quand elle a la sensation que les informations se font un brin confuses. Il manque quelques années, au moins des durées, mais ça se comprend : il n’est pas rompu à l’exercice, et ce n’est a priori pas capital. Myrtle laisse passer : dans le pire des cas, elle le rappellera pour se faire compléter une donner ou deux.
- Je peux comprendre cette décision, commente-t-elle à propos de son choix de refuser l’expansion – peu de temps après avoir admiré la deux-chevaux, j’imagine que quand on s’attache aux choses du passé, on s’attache aussi à une forme de… « coconning ».
Le vintage, comme tout époque dépassée, est enveloppé dans une sorte de bulle. En sortir, c’est se confronter au monde actuel ; toujours plus bruyant, toujours plus rapide, toujours plus global. Passer du chaud au froid, trop brusquement. L’Anglaise n’en laisse rien paraître, feint n’absolument rien connaître, mais elle a vu de ses propres yeux ces véhicules inonder les rues de France, déclassant les calèches. Des engins, puants, bruyants, contraignants, mais révolutionnaires à ce moment-là. C’est amusant de voir l’admiration des mortels pour l’ancien ; ils le fantasment. La réalité était moins sexy.
- Vous avez raison, on n’a pas besoin de toujours tout voir en grand.
Et l’interrogatoire se poursuit, avec la même rigueur purement professionnelle. Myrtle dans son rôle, Samul dans le sien. Il n’a toujours pas fini son verre, comme si les lampées devenaient de plus en plus petites. Son geste n’est plus qu’un écran. Tenir la boisson lui donne contenance, pour conserver cet air décontracté, qui s’effrite lorsqu’elle évoque la Révélation. Il veut se la jouer léger, mais il s’est tendu – les prédateurs sentent ces choses-là.
- Je ne pense pas non, répond-elle à sa question, qui tente de noyer le poisson, mais… c’est un événement qui a amené certaines personnes surnaturelles à oser marcher dans la lumière. Ça a pu avoir un impact sur votre personnel par exemple, si certains des apprentis dont vous avez parlé se trouve avoir des conditions exceptionnelles.
Elle soigne ses mots, toujours sur un ton monocorde, pour rester le plus neutre possible. Tout ce qu’elle veut dire, dans le cadre de son article, c’est que la Révélation a au moins eu un avantage : que certains CESS aux aptitudes handicapantes osent se déclarer à leurs employeurs pour adapter leur poste de travail. Ça a fonctionné, ou non. Mais difficile de gérer une entreprise sans se demander si ses salariés ne sont pas des sorciers, des caïnites ou des loups-garous.
- Vous auriez aussi très bien pu avoir la visite d’un vieux vampire centenaire, qui souhaiterait reformer une collection datant de son époque, elle esquisse un sourire à cet exemple, petite plaisantine Myrtle, c’est là où je veux en venir. Y a-t-il eu des anecdotes de votre métier que vous n’auriez probablement pas vécu avant 2011. Je ne vous demande pas de détailler votre opinion sur le sujet, précise-t-elle pour le rassurer, vous pouvez vous en tenir au factuel.
De toute façon… elle saura très probablement ce qu’il en est de son état d’esprit, rien qu’en le regardant. |
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| Je suis bien conscient qu’elle m’observe avec attention, sans être tout à fait sûr de saisi pourquoi par contre. Probablement un réflexe chez elle, comme chez tout autre prédateur de la même espèce. Et je suis tout aussi conscient qu’elle doit bien voir que je suis pas particulièrement au clair avec les dates. Qu’elle se rende compte que ce soit volontaire ou non ça, c’est une autre histoire. Et j’ai pas encore décidé de ce que je pourrais lui dire concrètement ou pas.
Mais elle arrive à rendre la discussion aisée. Oh, évidemment, mon quota de sociabilité va bientôt être atteint, pour pas dire que je vais le faire exploser et que je vais finir par être grognon avec le prochain qui aura le malheur de me parler. Enfin, ce sera tant pis pour lui hein. « Disons aussi, de façon très pragmatique, que je gagne déjà très bien ma vie comme ça. Et qu’avoir plusieurs garages m’empêcherait aussi de m’occuper des véhicules comme je l’entends. » Manque d’ambition ? Probablement. Surement même. C’est pas comme si je commençais pas à me connaitre depuis le temps. Sans compter que oui, mon rôle au sein de la Meute m’occupe beaucoup trop pour que je me soucie d’une éventuelle expansion de mon affaire.
Du reste, je garde un calme de façade, songeant quand même qu’elle doit pas être totalement dupe. Que ce soit parce que je me tends légèrement, parce que je contrôle pas tout à fait ma respiration et j’en passe. Tant de petits détails que je pourrais remarquer de moi-même si je me regardais dans un miroir. J’essaie aussi de comprendre pourquoi elle tient à savoir ce genre de choses. Probablement parce que c’est à la mode chez ses lecteurs. Toujours bon de savoir ce que les gens pensent de ces horribles CESS après tout. « Et sur les clients… j’imagine tous ne seraient pas ravis d’imaginer une bête à poils ou aux dents pointues gérer leur voiture. » Soufflé avec un sarcasme que je cherche même pas à dissimuler pour être parfaitement honnête. A elle de le prendre comme elle l’entend. « Mais le fait que mes apprentis soient des … non-humains n’est pas un critère qui m’empêcherait de les embaucher. » C’est même un critère de sélection à dire vrai.
A son exemple, je lui rends un sourire amusé. « Si ça arrive, je pourrais prendre ma retraite dans la foulée parce que j’aurais vraiment gagné une petite fortune. » Et je réfléchis quelques instants à sa question, avant de secouer la tête, pensif. « Je vous l’ai dit. Ce qui a changé, c’est plus le comportement des clients. Mais c’est… habituel. Ils ont commencé à réagir de la même façon il y a des années quand les femmes ont commencé à bidouiller des moteurs. Ou des noirs. » La même défiance, le même regard vaguement dégoûté. J’ai déjà vu ça et je sais que ça finit par passer. Plus ou moins. Ou plutôt, que ça devient assez normal pour que les haineux soient obligés de ronger leur frein. « Donc j’ai déjà eu des gens qui ont refusé de laisser leur voiture ici parce que je pouvais pas leur certifier que leur voiture serait retapée par un humain. J’ai aussi des horaires un peu plus… tardifs si nécessaires. Sans poser de questions sur pourquoi est-ce qu’on doit absolument débarquer chez moi la nuit tombée pour un devis… ou pour m’interviewer. » Un clin d’œil en direction de la brune alors que je continue, sur le même ton. « Ah les gens sont quand même plus honnêtes sur l’origine de leur véhicule quand il est ancien. Ils ont arrêté d’essayer de faire croire que c’est un héritage d’un oncle inconnu et lointain. » Ce qui rend les échanges quand même plus francs. |
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| Les prunelles perçantes de Myrtle se vissèrent à son interlocuteur, qui vient de faire une drôle d’allusion. Le clin d’œil qui l’appuie rend la boutade d’autant plus mystérieuse. Sait-il quelque chose ?! Avec une simple seconde de flottement, un sourire de façade s’accroche à ses lèvres. Elle a l’habitude de ce genre de situation, et quand bien même Samuel l’aurait démasquée, être vampire ne lui vaut plus d’être pourchassée par un village armé de torches. Ça, c’était le bon vieux temps des campagnes français, au fil d’un XIXè siècle défiguré par la transition industrielle.
- Époque étrange, pas vrai ? Où on se retrouve à décaler nos horaires pour répondre aux impératifs d’une clientèle nocturne et où demander un rendez-vous en soirée peut vous valoir quelques soupçons ?
Elle peut se permettre de digresser, car elle a les réponse qu’elle est venue chercher. Et en l’occurrence, le garage n’est pas un anti-CESS ; la tournure de ses phrases laisse même sous-entendre le contraire, mais peut-être extrapole-t-elle. Dans tous les cas, son hôte a magnifiquement joué le jeu, elle ne pouvait rêver mieux pour une première.
- Savez-vous que certaines personnes souffrent vraiment d’une photosensibilité si extrême que le soleil déclenche des inflammations ? Des humains, littéralement allergiques au soleil…
Myrtle laisse planer cette phrase, pour en savourer elle-même l’ironie. Ça n’a évidemment rien à voir avec les buveurs de sang, que les rayons flamboyants brûlent jusqu’à la mort, mais c’est cocasse. Une autre farce du divin, plus souvent occupé à tourmenter ses créatures qu’à les sauver.
- Bref, j’imagine que je sors de votre spécialité, et je ne suis pas là pour ça.
Nouveau sourire de connivence, pendant laquelle l’Immortelle remballe son téléphone. Elle ne va pas plus chercher à se justifier d’avoir eu besoin d’un rendez-vous tardif : il n’y a que les coupables qui se sentent le besoin urgent de sur-argumenter. N’ayant rien à se reprocher, elle ne va pas faire une scène d’une petite remarque de rien du tout. La caïnite n’a même pas peur, car il est évident que Samuel n’est pas un vampire – il a bu du whisky – et s’il est autre chose… la liste de créature surnaturelle capables de lui être fatale est relativement réduite.
- Vous avez de la famille ? Demande Myrtle sur le ton de la conversation.
L’homme lui a beaucoup parlé de son parcours, de sa vision du travail, de son ambition ; n’y a-t-il pas d’autres personnes pour partager ses réussites et ses déboires ?
- Vous n’êtes pas obligé de répondre. Ce n’est pas pour l’interview, c’est de la curiosité personnelle. Comme la pluie ne s’arrête pas, je cherche honteusement à gagner quelques minutes supplémentaire au sec.
Comme pour illustrer ses propos, le ciel gronde, annonciateur d’un orage un peu tardif pour la saison. L’un des effets du fameux réchauffement climatique, qui repousse les frontières de l’été sur le territoire acquis à l’automne. Myrtle se fiche d’être mouillée en réalité, ce n’est pas comme si elle risquait d’attraper la crève, mais… jouer l’humaine l’amuse. Finalement, passée la prise de contact en elle-même, elle devrait peut-être envisager plus d’interview de ce type. |
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| Je lui rends un sourire franchement amusé quand elle reprend la parole, avant de souffler, d’un ton tout aussi léger que le sien. « A croire que pourrait presque rendre les gens totalement paranoïaques. Heureusement que ça ne me pose pas de problèmes d’ouvrir à la nuit tombée. C’est ni la première, ni la dernière fois que je le fais. » Autant dire que je suis pas vraiment dupe et que je sais pertinemment que la clientèle vampirique est particulièrement aisée. Alors pourquoi me priver d’une telle manne ? Sans compter que, vivant juste au-dessus du garage, c’est pas comme si ça me demandait réellement un effort. « Imaginez ce qui aurait pu se passer si on avait commencé à se faire des idées il y a quelques centaines d’années. Enfin, il y a même une paire d’années tout court. » On sait tous les deux comment elle aurait fini.
Quand elle évoque les humains allergiques au soleil, j’arque un sourcil, dubitatif. « Je me suis toujours dit que c’était une excuse foireuse pour les vampires qui voulaient se faire passer pour des humaines. Je me trompe alors ? » Et j’ajoute, non sans amusement. « J’ai une pensée émue pour tous ces pauvres diables allergiques à l’argent. De quoi finir en descente de lit sans comprendre ce qui se passe. » Je me demande si c’est arrivé. J’espère bien que non, même si ma compassion pour les humains trouve vite – très vite même – ses limites.
Et je lui lance un regard curieux au reste de ses propos. « Parce que c’est votre spécialité ? Si non, je suis curieux de savoir ce que c’est. » M’est avis qu’on est loin des voitures de collection. Encore que, je peux toujours avoir une surprise. Dans tous les cas, la discussion – ou plutôt l’interview – se passe bien mieux que je l’aurais imaginé. Il faut dire que j’imaginais pas grand-chose, je suppose que ça doit jouer un peu. Pour autant, la compagnie de vampire est tout sauf désagréable.
Même si elle aurait pu éviter la question qui fâche.
Mon souffle se coupe un instant, comme à chaque fois que quelqu’un a le malheur d’évoquer, de près ou de loin, ce sujet en particulier. Oh, je sais bien que c’est pas de leur faute, que personne peut imaginer ce qui a pu se passer. Pour autant, ça rend pas l’instant agréable, loin de là. Et il me faut bien quelques longues secondes pour me reprendre, alors que je me frotte la nuque et que je lève les yeux en direction de la fenêtre au coup de tonnerre. « Vous êtes la bienvenue jusqu’à ce que la pluie s’arrête, pas d’inquiétudes là-dessus. J’avais aucune idée de combien de temps ça pourrait durer et j’ai rien prévu derrière. » Je sais, j’esquive sa question avec la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et je finis par sortir l’excuse habituelle, mon regard se détournant un instant. « J’ai perdu ma femme et mes enfants dans un accident de voiture il y a quelques années. Mais j’ai toujours mes parents et mes frères et sœurs. Même s’ils n’habitent pas aussi. » Et la Meute, évidemment. Mais difficile de lui parler cette communauté si particulière alors qu’on s’échine à tout faire pour persuader le monde qu’on existe pas. Ou quelque chose du genre.
Pour éviter de laisser l’atmosphère s’alourdir, je reprends, d’un ton aussi léger que je le peux. « Alors, miss Blackstone, vous avez toujours été journaliste ? » Oui, la question peut être vue à double sens. Mais c’est là où c’est amusant non ? |
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| - J’imagine que des vampires ont déjà tenté leur chance avec cette excuse. Peut-on les blâmer ?
En vérité, Myrtle n’en est pas certaine. D’abord, car les créatures nocturnes savent pertinemment que leur condition ne peut pas être confondues avec une banale allergie solaire. L’un ne subit qu’une crise de rougeurs épidermiques, l’autre part littéralement en fumée. Ensuite, les caïnites aiment trop marquer leurs différences avec les humains pour utiliser l’une de leurs maladies comme prétexte. C’est en tout cas ce qu’elle imagine…
Mais globalement, Samuel a raison. Certaines personnes ont du faire les frais de ce genre de méprise, et une Révélation cent ans plus tôt aurait fait de vilains ravages. On peut critiquer ce XXIe siècle, l’accuser de beaucoup de maux, mais les progrès en matière de tolérance sont spectaculaires. L’Immortelle a vu peu à peu les nègres, les arabes, les femmes, gagner en droits et en libertés. Les contemporains de ces évolutions ont tellement le nez dans le guidon qu’ils ne peuvent prendre conscience de la vitesse à laquelle la société a été remodelée. Les esprits étaient « prêts » pour découvrir l’invraisemblable en 2011, ou en tout cas, ils étaient suffisamment mûrs – il faut le reconnaître.
- La musique, a-t-elle répondu sur sa spécialité, du tac-au-tac.
C’est sorti de façon étonnamment naturel, mais ils n’auront pas le temps d’approfondir, car sa question semble avoir à nouveau crispé Samuel. Décidément, il semble abriter bon nombre de zones d’ombres, pour un humble garagiste. Myrtle commence à se demander s’il n’est pas une sorte de tiroir à double-fond. On croit qu’on en voit la profondeur, mais ce qui est le plus intéressant se cache dans un second espace.
- Je vous remercie.
Il l’invite malgré tout à rester, mais elle ne prend pas ses aises pour autant. Son corps mort ne perçoit plus vraiment le froid, alors l’Immortelle a presque oublié ses vêtements et ses cheveux trempés. Ses yeux crocodiles sont occupés à analyser Samuel, visiblement très incommodé par sa question. Sa réponse tombe, presque décevante. Ce ne serait que ça ?
- Je suis désolée. Ça doit être… d’autant plus particulier pour vous, non ? Qu’une voiture ait tué votre famille…
L’ironie l’amuse presque, mais les mortels n’ont pas tous – rarement en fait – le même humour que les vampires. Myrtle chasse donc sa dernière intervention, plutôt inappropriée, d’un geste de la main.
- Pardon, je me mêle de ce qui me regarde pas, heureusement qu’elle a passé beaucoup de temps à se mêler aux humains, pour pouvoir singer leurs manies et leur compassion à merveille, je vous l’ai dit, je ne suis pas journaliste à la base, je remplace un collègue. Je ne suis que photographe. D’ailleurs, vous permettez que je fasse quelques clichés de vous ?0
Elle vient de s’en souvenir ! Décidément, remplacer Charlie lui fait perdre le fil de son « vrai » boulot. Pour l’instant, l’Immortelle suit son hôte, qui a décidé de relancer la conversation sur une notre plus légère.
- J’ai été bien des choses avant ça. J’aime les emplois qui me laissent beaucoup de liberté. Je suis aussi pianiste concertiste. D’ailleurs, je donne un concert demain, Schubbert et Schumann. Vous souhaitez venir ?
Les clichés ont la vie dur et elle suppose que ce n’est pas son élément. Mais après tout, elle a mis les deux pieds dans son univers, elle ne ressent pas de danger à lui ouvrir un peu du sien. |
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| Je me retiens tout juste de dire que, si on doit blâmer les vampires pour quelque chose, ce serait certainement pas pour ça. Mais je pense que ça pourrait jeter un léger froid dans la discussion. Et, dans l’immédiat, Miss Blackstone s’avère être de très bonne compagnie. Autant continuer dans ce sens non ? Même si ouais, je m’attendais pas vraiment à dire ça d’une vampire. Pour autant, elle a réussi à me faire bonne impression, comme quoi, tout arrive. « Je suppose que c’était une façon comme une autre de tenter de mener une vie normale. Je trouve ça juste dommage de devoir en passer par des supercheries du genre. » Surtout pour se faire accepter par des humains qui, au fond, ont pas la moindre envie de le faire. Ils cherchent toujours des boucs-émissaires pour ce qui va pas dans leur vie et autant dire qu’on leur en a offerts sur un plateau.
Et si je tilte quand elle parle de musique, brusquement intéressé par ce qui est quelque chose qui rythme mon quotidien depuis toujours. Je suis pas musicien et pas forcément bon chanteur, mais j’ai besoin de musique dans ma vie. Sauf que le reste me crispe et, si j’essaie de rester courtois – ou quelque chose du genre – c’est toujours un sujet plus que délicat pour moi. Et j’arque un sourcil à sa remarque. « Mmmh, ça peut être particulier oui. Mais c’est plus au chauffeur qui était en face qu’à la voiture que j’en veux. » C’est bien la première à relever l’ironie du mensonge que je sers à toutes les personnes qui ne font pas partie de la Meute. Amusant ? Possible. Je suis pas encore bien décidé à ce propos. Au moins, elle évite de me servir le couplet des condoléances qui, après près de 30 ans, continue de mettre du sel sur une plaie qui sera jamais vraiment refermée. J’ai appris à vivre avec, à composer avec cette perte dans mon quotidien. J’ai même fait mon deuil comme on dit si bien. Pour autant, ça efface rien, ça restera toujours là, en moi. « Pas de problèmes. » J’agite une main dans les airs quand elle s’excuse avant de la fixer, plus curieux. « Photographe ? Je peux vous demander pourquoi ? Enfin ce qui vous plait là-dedans ? » Et, à sa question, j’ai un temps d’arrêt, sans trop savoir quoi répondre. « Euh… oui. Si vous voulez. » Dire que je suis dubitatif est un euphémisme. « Je dois faire un truc particulier ? » Si elle me demande de prendre la pose, je la balance dehors, pluie ou non.
Je suis content de voir qu’elle rebondit sans problème sur ma propre question et je la fixe, le regard brillant de nouveau d’intérêt. « Vraiment ? Voilà qui est intéressant. Vous comptez jouer quoi alors ? » Et, avant qu’elle réponde, je lui désigne un meuble derrière moi. « Ouvrez, ça devrait vous plaire. » Un bref aperçu de ma collection de vinyles, les plus classiques, ceux que j’écoute le plus. Ca va de la musique classique aux albums de rock que je passe dans le garage et je me dis qu’elle devrait quelques petits trucs qui lui plairont dans le lot. Il faut dire que je suis du genre éclectique. Du moment où une musique, une chanson me parle, son style m’importe peu. « En tout cas, j’aimerais beaucoup venir. » Ca me sortira de mes habitudes et il parait que je dois arrêter de faire toujours la même chose. Ca devrait le faire là, non ? |
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| - Oh, vaste question…
Pourquoi aime-t-elle la photographie. Il y a quelque chose de l’ordre de l’art, bien qu’elle n’en fasse plus que de façon utilitaire. Myrtle a toujours été sensible à l’art, sous toute ses formes ; une maladie qui lui vient de son éducation noble. Elle a vu apparaître tous les procédés de capture d’image et à une époque, lorsqu’elle vivait dans le manoir De Lange, elle s’était même procuré un daguerréotype. Elle flashait la nature, sauvage, libre, et conservait ses clichés dans un carnet. La nuit donnait à ses photos des rendus étranges, expérimentaux, gothiques. Tout cela a été brûlé pendant sa Torpeur de 15 ans, par pure mesquinerie. Aujourd’hui, quand elle ne travaille pas, c’est un « loisir » sporadique.
- J’ai œil pour capter la lumière, il parait, ajoute-t-elle, énigmatique, et tenez-vous juste à côté de l’une de vos voitures, naturellement.
Dans son affinité avec la photographie, il y a aussi un rapport avec l’immortalité, évidemment. Depuis sa mort, elle est comme l’objet d’un cliché : visuellement inaltérable, immuable, faite pour traverser les époques. Mais le temps laisse peu à peu ses marques : jaunissement, palissement. Tout ce qui faisait le caractère de la photo s’efface, tout comme les vampires perdent leur humanité et leur passion.
Curieuse, Myrtle avorte sa position et ôte son œil du viseur pour aller jeter un œil dans le meuble désigné par Samuel. Des vinyles. Elle adresse une moue admirative au garagiste, qui dispose d’une belle petite collection. Du bout des doigts, elle fait défiler les titres, plus ou moins connus. Rock, jazz, disco, pop, classique, il y a de tout. Et soudainement, elle se fige. Si son cœur avait pu, il se serait arrêté. Sous ses yeux se trouve l’opus water music, du compositeur Haendel. La main tremblante, l’Immortelle s’en saisit pour mieux le voir. Dans son esprit, les mélodies naissent d’elles-mêmes, notes fantômes exhumées avec un flot de souvenirs douloureux.
- Mon mari adorait ce compositeur, souffle-t-elle, et ces pièces en particulier…
Combien de fois ont-ils assisté à des représentations interprétant les œuvres de l’allemand émigré en Grande-Bretagne ? Myrtle a joué bon nombre de ses compositions pour piano, et elle a même arrangé une version de la célèbre Sarabande pour quatre mains, afin de pouvoir la jouer avec sa fille aînée. Ses visions rémanentes l’emprisonnent, et la glacent dans une semi-transe dont elle émerge soudainement. Ses grands yeux se lèvent sur Samuel, à mesure qu’elle prend conscience de son absence.
- Pardonnez-moi. J’ai aussi perdu mon époux et… vous savez ce que c’est parfois, excuse-t-elle rapidement.
La caïnite se redresse et refoule instantanément son trouble. Comme tout prédateur, elle déteste se montrer en position de faiblesse. Elle n’a néanmoins pas oublié la réponse du garagiste à son invitation, et pour rebondir, Myrtle reprend directement :
- Vous êtes un homme ouvert d’esprit avec des goûts éclectique… vous me surprenez, jauge-t-elle sur un ton qui laisse entendre que c’est exceptionnel, serait-ce déplacé de ma part de vous proposer de me rejoindre, après le concert ? Elle ne se risque pas à proposer un repas, ni un « verre », pour des raisons évidentes, si vous venez, bien entendu. Je pourrai prendre le temps de vous détailler les raisons qui me poussent à aimer la photo, ajoute l’Immortelle, non sans un sourire mutin, d’ailleurs, on s’y remet ? Elle soulève son appareil à hauteur de regard. |
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| Je l’observe, sans cacher ma curiosité. Visiblement ma question est plus complexe qu’il n’y parait et elle ne me répond pas tout de suite. « Un œil pour capter la lumière. Intéressant. » D’autant plus quand on connait sa vraie nature. J’avoue que je suis presque sur le point de lui demander s’il y a un lien entre les deux, cette notion d’éternité captée dans les photos qu’elle doit vivre au quotidien. Mais il y a des secrets qu’on ne prononce pas à haute voix, c’est bien connu. Celui-là en fait partie. « Euh, okay. » Me tenir à côté d’une voiture. Autant dire que cet exercice me met tout sauf à l’aise, sauf que je saborde le truc en lui désignant le meuble qui contient une partie de ma collection.
Et je vois qu’à sa tête, ça lui plait. « Il n’y a pas tout. Certains sont trop anciens et trop fragiles pour que je les laisse trainer à portée de main de mes apprentis. » La plupart ont déjà du mal à capter que je sois encore de la vieille école mais, au moins, ils ont appris à utiliser un tourne-disque. Comme quoi, tout est possible, même si clairement, ils préfèrent leur téléphone. Je me frotte le menton, alors qu’elle examine les différents disques et je peux voir un changement dans son comportement. Forcément, je lance un regard curieux sur le disque qu’elle tient en main et je l’écoute sans l’interrompre quand elle m’explique les raisons de son trouble. Ouais, je crois qu’on peut appeler ça comme ça. Je finis par esquisser un sourire et je finis par souffler, d’une voix plus douce que d’ordinaire. « Je sais oui. » Est-ce qu’il y a besoin d’en dire plus ? Pas vraiment. Pourtant j’ajoute, d’un ton presque rêveur. « C’est ma femme qui m’a offert mon premier vinyle. Et le tourne-disque qui allait avec. » Ce qui lui avait coûté une petite fortune à l’époque. « C’était Miss American Pie. Pas tout à fait le même style. » Ce disque-là, je le garde précieusement, loin de tous ceux qui pourraient l’abîmer.
Je tousse un rire quand elle reprend et je lève une main dans sa direction. « Des goûts éclectiques je veux bien. Ouvert d’esprit, j’irais pas jusque-là. » Je crois qu’elle n’a pas idée de ce que je pourrais faire contre certains humains et c’est pas plus mal comme ça en vérité. « Au moins, j’imagine que je vous surprends en bien. Et oui, je sais que c’est pas tous les jours qu’on tombe sur une collection comme ça chez un petit garagiste du coin. » Soufflé d’un ton amusé avant que je finisse par arquer un sourcil, un peu – beaucoup – surpris de sa proposition. Comme quoi, c’est chacun son tour visiblement. « Déplacé non. C’est inattendu par contre. » Je note bien la façon dont elle tourne ses phrases et possible qu’une partie de moi s’en amuse. « Vous avez titillé ma curiosité miss Blackstone. » Au point de me risquer dans l’antre d’un vampire ? De fait, je suis pas vraiment du genre à me sentir en danger, même dans une situation du genre. C’est peut-être un excès de confiance sur mes capacités, surement même, mais pour une fois que la compagnie de quelqu’un de sa race est pas désagréable, autant en profiter tant que ça dure non ? « J’ai hâte d’entendre vos histoires sur la photo donc. »
Bon, par contre, me faire prendre en photo, un peu moins. Mais je finis par me prêter au jeu, sans vraiment m’en rendre compte, alors qu’on échange quelques anecdotes musicales. Rien de bien transcendant, juste ce qu’il faut pour que j’évite de me sentir totalement empoté devant la voiture. Et ça marche plutôt pas mal à dire vrai. Pas au point que j’ai envie de voir le résultat, faut pas pousser non plus. Mais assez pour que j’ai pas envie de balancer son appareil photo par la fenêtre au bout de cinq minutes. |
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| Il a accepté. Elle ne saurait définir exactement à ce moment d’où vient le trouble qu’elle ressent. Est-ce sincèrement parce que Samuel est parvenu à l’intriguer ? Est-ce à cause de ce vinyle, qui a réveillé d’antiques souvenirs ? Myrtle n’est pas connue pour s’attacher aux gens, et il est rare qu’elle donne rendez-vous à un mortel pour autre chose que de l’attirer dans sa toile. Que veut-elle de lui exactement ? Elle n’en a aucune idée.
La soirée s’est ainsi terminée, après une série de clichés pour illustrer l’article et encore quelques échanges d’usage. L’Immortelle rentre et passe un moment à recopier ses notes, tant que c’est frais dans sa tête. Elle n’arrête pas de réfléchir, repensant à cet instant inattendu avec Samuel. Il est différent. A certains égards, il correspond à l’image qu’on peut se faire d’un garagiste indépendant, mais de l’autre…
La caïnite sent chez lui une forme de sagesse, et des fêlures qu’il veut cacher. Il n’est pas idiot, il n’est pas creux. Il est ce genre de curiosité qui donne envie de voir la nuit suivante, qui redynamise un peu une éternité parfois monotone. Le fameux « hasard » dont lui a si souvent parlé Nicola. Mais le lendemain, Myrtle ne donnera pas de concert, il sera annulé au dernier moment pour « raison personnelle ». Elle a été appelée par January, qui a une requête très importante à lui formuler…
Une requête qui allait changer sa vie.
* Pratiquement deux semaines se sont écoulées depuis l’Etreinte de Zelda. Le plus dur est de canaliser sa faim et de cadrer ses envies de liberté. Ce n’est pas qu’une Infante, c’est aussi une adolescente ; ses besoins sont aussi nombreux que chaotiques. Ce soir, la caïnite a pu s’arranger avec Charlie pour qu’il veille sa pupille une petite heure. Elle doit une visite à Samuel, notamment sachant qu’elle a disparu sans rien dire. Ce n’est toutefois pas inhabituel venant d’elle – au contraire – mais il a eu la délicatesse de lui faire livrer le CD d’Haendel à son travail. Son Marqué lui a rapporté des locaux qu’elle ne voit jamais, il n’y avait pas de mot, mais elle a compris. Le geste l’a sincèrement touchée.
Lorsqu’elle arrive à destination, le garage est fermé, évidemment. Elle aurait pu l’appeler, ou lui envoyer un mail, mais Myrtle est de l’ancienne école : elle aime le côté épistolaire des messages laissés ci-et-là. Elle coince donc dans le rideau de fer un papier plié en quatre que le propriétaire ne verrait qu’un petit matin.
Ce soir, je passe vous chercher à 20h.
M.B. Une pianiste qui vous a posé un lapin.
* Une fois les dernières consigne distribuées, elle s’en va dans la nuit. L’Immortelle n’a pas fait d’effort vestimentaire particulier, mais elle a pris soin de se nourrir copieusement au Tru blood avant de partir. D’abord pour recouvrir un aspect plus humains, mais aussi pour ne pas passer l’entrevue à résister à l’envie de lui sauter dessus. Elle ne sait pas où ce rendez-vous est censé la mener, mais pas nécessairement à sa gorge. Le programme du soir, c’est le Voodoo cafe. Samuel pourra boire un Whisky, et… ça se peut que ce vendredi soir, ce soit à elle d’offrir le concert nocturne. |
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| Franchement, je serais bien incapable de dire pourquoi j’ai accepté. Probablement poussé par une curiosité pas très saine. Surement même. Par l’ennui aussi. Un peu. Passé un certain âge, ça devient parfois un peu compliqué de sortir de ses habitudes. Et d’en avoir réellement envie. Et, forcément, elle m’intrigue un peu. Je me demande ce qu’elle peut avoir en tête, surtout que j’ai du mal à l’imaginer me filer un rencard juste comme ça, pour le plaisir de ma conversation. Pour autant, le moment qu’on a passé était bien plus agréable que je l’avais imaginé. Alors ouais, j’ai pas vraiment hésité à lui dire oui.
Comme j’ai un peu déçu de voir qu’au final, elle m’a posé un lapin. Enfin, on peut pas vraiment appeler ça comme ça. Je crois pas. Faudrait que je demande aux jeunes s’il y a un nom pour ça. Hum. Passons. Et même si j’étais à peu près certain de jamais la revoir, je lui ai quand même envoyé le disque sur lequel elle avait flashé. Pourquoi ? Aucune idée. C’est pas trop mon genre en temps normal, sans compter que je me sentais redevable de rien. Mais je l’avais trouvée touchante à sa manière quand elle m’avait parlé de son mari. Ca m’a renvoyé aussi à mes propres souvenirs, bons comme mauvais. Avant que je retourne à ma vie, à mon quotidien et à cette routine à la fois rassurante et un peu ennuyeuse, sans que j’arrive à totalement me l’avouer.
Et puis, il y a eu ce petit mot. Autant dire que j’aurais préféré que ce soit pas un de mes apprentis qui le récupère et me le donne à mon arrivée, surtout avec son petit sourire en coin. Un grognement plus tard, j’avoue que j’ai hésité. Outre le fait que je déteste ne pas savoir ce qu’il y a de prévu, je sais aussi que cette sortie ne mènera probablement à rien de bon. Alors pourquoi je suis en train d’enfiler une chemise à peu près potable après avoir fermé le garage ? Excellente question. Je veux bien encore mettre ça sur le compte de la curiosité mais, à un moment, ça va commencer à plus vraiment être logique.
Bon, au final, ça dérange personne d’autre que moi. Pas comme si j’avais réellement des comptes à rendre, pas à ce niveau-là en tout cas. Ou que ça pouvait avoir des incidences sur la Meute. Alors ouais, on va dire que je demande à voir. Ou quelque chose du genre. Sans compter que c’est pas comme si je me sentais réellement en danger. Autant dire que ma Bête se sent très moyennement concernée par cette histoire. Myrtle ne dégage rien qui pourrait l’intriguer ou l’intéresser, c’est même tout le contraire. Alors, forcément, elle ne voit pas pourquoi moi je pourrais l’être.
Le rideau de fer est baissé, alors que j’entends l’horloge de l’église du coin sonner 20h. Je m’adosse contre le mur, bras croisés, attendant sagement de voir si elle va débarquer ou non. Et, quand j’aperçois la silhouette brune, j’ai un mince sourire à son attention, mimant même une pseudo révérence quand elle s’approche. « Je vous préviens, j’espère que le programme sera aussi bien que le concert que vous m’aviez annoncé. » Je me détache du mur, époussetant vaguement un faux pli imaginaire de ma chemise, avant de continuer, curieux. « Je suis étonné que vous m’ayez recontacté j’avoue. » Autant ne pas lui mentir, je n’aurais rien à y gagner dans cette histoire. Et je la fixe quelques instants. Elle a l’air presque humaine, je trouve ça fascinant quand même. « Je ne vous connais pas assez pour vous demander ce qui a pu vous arriver. Mais j’espère que ça va. » Je sais bien que tout le monde a ses secrets, ici encore plus qu’ailleurs. Ce qui empêche pas un minimum de compassion. « Alors… où est-ce qu’on va ? » C’est là que je lui présente mon bras, en parfait gentleman qui a pas su perdre ses habitudes de grand-père. Ou quelque chose du genre. |
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| Il a fait un effort vestimentaire. C’est la première chose qu’elle remarque en quittant l’habitacle de son véhicule pour le rejoindre. Vrai que son message pouvait ressembler à un rendez-vous galant, et l’Immortelle ne fait rien pour rompre cette idée. Elle-même ne sait pas ce qu’elle vient chercher. Plus que la saveur délicieuse du sang chaud, mais rien qui ne saurait lui donner l’illusion que sa non-vie sera transformée par cette rencontre. Samuel l’a simplement touchée d’une étonnante manière, il l’intrigue. Et il se trouve qu’elle n’a rien de plus que l’éternité pour assouvir ces élans de curiosité.
- Je suis navré pour la dernière fois, un impératif familial, déforme-t-elle habilement la réalité. Je vais bien, merci.
Ou du moins, ne va-t-elle pas pire que d’ordinaire. Car chaque seconde de l’existence de Myrtle est marqué d’un spleen irascible qui la pousse à voir le monde dans ses teintes les plus ternes. Elle n’a pas d’espoir de rédemption, ni d’éclairci, dans le ciel de pluie qu’est son immortalité. Le temps d’un silence, l’Anglaise étudie son partenaire du soir d’un œil énigmatique, puis elle daigne lui faire signe de la suivre :
- Venez, vous verrez bien.
Elle le précède à sa voiture, prend le volant et met le contact. Durant le trajet, Samuel peut s’immerger dans une partie de son univers décoloré. L’intérieur est propre, épuré, fonctionnel. Le lecteur CD joue à mi-voix une suite de Chopin, qui disparait presque sous le ronronnement du moteur. Bien plus pour observer de bonnes manières que pour assassiner un silence qui ne la dérange guère, Myrtle pose le pied sur le terrain du small talk le temps qu’ils arrivent. Lorsqu’elle a enfin trouvé où se garer, elle sort la première et désigne au garagiste la direction de l’établissement.
- Vous connaissez le Voodoo cafe ?
Qu’importe sa réponse, c’est là qu’ils se rendent. Comme souvent, l’intérieur est bondé, Wilson récolte les fruits de son investissement. La caïnite accompagne Samuel jusqu’à une table qui lui permette de bien voir la minuscule scène, qui sert aux concerts des fins de semaine. Un modeste piano droit attend sur celle-ci, et personne ne semble prêt à monter s’en servir.
- Commandez ce qui vous plait, lui dit-elle, énigmatique. Je reviens.
Avec la grâce sibylline qui enrobe chacun de ses gestes, Myrtle abandonne là son +1 de la soirée. Le temps d’aller glisser un mot à l’oreille du propriétaire, et la voici qui se hisse sur la petite estrade. Gracile, elle se fondrait dans le décor avec son jean et son débardeur d’une banalité affligeante. Néanmoins, l’Immortelle semble différente lorsqu’elle s’installe sur le tabouret et déplie ses partitions. Son port altier dénote de sa tenue ordinaire, ses doigts caressent presque affectueusement les touches du clavier, avant qu’elle n’entame une adaptation pour piano seule de American Pie. La chanson que Samuel avait évoqué comme son premier vinyle, offert par sa femme…
Ce n’est clairement pas son registre habituel, mais elle a pris le temps de s’entrainer et une musicienne de sa trempe ne se laisse pas désarçonner si facilement. Qu’importe ce qu’elle joue, elle n’est jamais aussi parfaitement à l’aise que lorsqu’elle laisse courir ses mains nivéennes sur un piano… |
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| Hum, à la voir arriver en jeans-baskets, je me dis que j’aurais peut-être dû éviter la chemise. Mais difficile de me défaire de mes habitudes, d’autant que j’aime bien prendre un peu soin de mon apparence, juste pour sortir du cliché du garagiste qui passe son temps à rouler dans le cambouis ou quelque chose du même genre. « Aucun souci, je me suis remis du premier lapin de mon histoire. » Un clin d’œil amusé, avant que je reprenne, reprenant mon sérieux habituel. « Tant mieux alors, si vous allez bien. » Je lui lance tout de même un regard interrogateur, avant de laisser filer un silence, attendant de voir ce qui m’attend.
Mais visiblement, j’ai encore droit à une part de mystère. Et, sans aucune raison valable, je me laisse porter par la suite, montant dans la voiture sans me faire prier, alors que je regarde curieusement autour de nous, pour voir le chemin qu’on prend. Je réponds quand elle lance un sujet de discussion on ne peut plus basique, rebondissant sans trop de difficulté, puisant quand même malgré dans mes réserves de sociabilité. C’est pas souvent que je fais une sortie comme ça, encore moins avec quelqu’un que j’ai vu une fois dans ma vie. Probablement pour ça que je suis plus curieux et amène que d’ordinaire. Et, à sa question sur notre destination, j’ai un rire avant de hocher la tête. « Je connais oui. Je traine mes guêtres dans cette ville depuis un bon moment déjà. » Et le lieu est un peu un incontournable, pas uniquement pour savoir ce qui peut se tramer dans le coin. « J’ai déjà acheté plusieurs peintures chez eux. » Notamment celle qui trône dans mon bureau. Pas que ça m’ait particulièrement parlé, on va pas se mentir, mais j’ai trouvé ça… joli. Ouais, voilà. Histoire de pas avoir que des plaques d’immatriculation en déco quoi.
J’avoue que son choix m’intrigue par contre, mais j’attends de voir et, une fois installé à la table, j’arque un sourcil quand elle disparait. « Décidément. » La bière du moment commandée, je papote quelques minutes avec le serveur que j’ai déjà eu l’occasion de croiser auparavant. Jusqu’à ce que je vois Myrtle monter sur scène. Je la suis des yeux, passablement curieux, étonné de la voir dans un contexte qui semble bien différent de la musique qu’elle m’a dit jouer. Mais tout ça s’envole aux premières notes. Ma main se crispe un instant sur mon verre, alors que mon regard se perd dans le vide.
Et chacune des notes qui résonne, alors que tout le monde semble avoir les yeux rivés sur la vampire, semble comme un écho douloureux à mes propres souvenirs.
***
« C’est le premier d’une longue série, tu vas voir ! » Un sourire amusé, alors qu’elle me regarde déballer un cadeau sorti de nulle part, sa main posée sur un ventre déjà bien arrondi. « Il faut quand même que tu m’expliques pourquoi tu aimes autant cette chanson. » J’effleure du bout des doigts la pochette du vinyle, le regard pétillant et, avant même que j’aie le temps d’ouvrir la bouche, elle souffle, la mine boudeuse. « Oui, c’est une édition originale. Alors tu as intérêt à en prendre soin. » Je tends la main vers elle, mes doigts glissant sur sa joue, lui rendant un sourire que je n’ai probablement plus eu depuis trente ans. « J’aime l’histoire de cette chanson. » Difficile de mieux l’expliquer. Chacune des paroles me parle et la moindre note qui résonne me touche directement. Parfois, c’est comme ça que ça marche, pas besoin d’expliquer quoi que ce soit. Comme avec elle. Pas besoin de mots.
Et puis, je vais poser le vinyle sur le tourne-disque, avant de fredonner l’air au moment-même où la musique envahit la pièce.
***
J’ai un sursaut, alors que j’ai l’impression qu’une bulle vient d’éclater juste sous mon nez. Une de ces bulles de bonheur, à laquelle je me refuse de penser en temps normal, pour éviter de me souvenir tout ce que j’ai perdu. Et pourtant, la musique a quelque chose de passablement apaisant, plus que je l’aurais cru en réalité. J’applaudis sans vraiment m’en rendre compte, en même temps que les autres, alors que la vampire a joué les dernières notes. Sans trop savoir si elle compte revenir par ici ou non, je me contente de lui rendre un sourire de souffler un merci silencieux. Probablement qu’elle, elle pourra le comprendre. |
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| Les doigts valsent avec les touches jusqu’à la fin. Yeux fermés, Myrtle explore cet instrument qu’elle connait comme une extension de ses propres mains. Elle y met ce qu’il reste de son cœur, caresse le clavier avec une légèreté qu’il lui a été difficile à retrouver après sa mort, car sa force vampirique changeait tout son rapport aux nuances. Techniquement, ce morceau n’est pas difficile. C’est dans l’interprétation qu’elle doit s’appliquer, faire dans le juste sans tomber dans le trop. De l’émotion mais sans mièvrerie.
Lorsqu’elle émerge et lève ses prunelles perçantes sur Samuel, l’Immortel réalise que ses efforts n’ont pas été vains. Il y a d’autres applaudissements, dispersés dans le bar qui grouillent surtout de clients absorbés par leurs conversations, mais c’est lui qu’elle regarde. Myrtle esquisse un sourire, non sans mélancolie, et quitte la scène. La caïnite cède la place au véritable artiste de la soirée, un jeu pianiste de jazz au teint doré par un soleil qu’elle ne peut plus voir. Elle retrouve son chemin jusqu’au garagiste armé d’une bière et probablement encore un peu cotonneux. Pudiquement, elle laisse filer un silence, faisant mine de lorgner sur la carte noircies de plats inintéressants pour elle.
- Vous voulez me parler d’elle ? demande-t-elle doucement mais sans crier gare. Ses lèvres s’ourlent une nouvelle fois, malicieuses, il y a deux types de veufs et de veuves, d’après moi : ceux qui ont besoin de faire revivre ces souvenirs de temps en temps, et ceux qui préfèrent les enfermer dans un coffre scellé.
Que fait-elle exactement ? Comment espère-t-elle que cette soirée se termine ? Elle ne le sait pas. Il lui est impossible d’aller au bout d’une potentielle entreprise de séduction, car les besoins mortels ne sont plus les siens et elle s’en voudrait de le leurrer inutilement. D’une autre côté, Myrtle ne désire pas non plus se révéler, ou chercher à le goûter. Quelque chose dans ce qu’il dégager, dans l’ombre terriblement triste qui tapisse le fond de ses yeux, le rend différent. Il ne l’attire pas telle qu’une poupée de chair et de sang chaud le devrait.
- Moi, je choisis le coffre, anticipe-t-elle, sans laisser le temps à la question d’être posée. J’ai pris la liberté d’interpréter cette chanson, en remerciement pour le vinyl, mais… on peut décider de laisser les fantômes retourner où ils sont.
Dans leur passé, dans leurs armoires, avec d’autres squelettes. L’intensité de son regard bicentenaire le détaille. Lui et rien que lui. L’Immortelle ne cherche pas à l’hypnotiser, mais il n’est jamais impossible que le charme magnétique opère malgré elle. Ce soir, elle est une prédatrice qui ne mordra pas, bien qu’elle se tienne face à une proie potentielle.
- Je vous laisse le choix. Parler de vous, ou me laisser vous endormir avec d’ennuyeuses histoires de photographie.
Sourire taquin. C’était son pseudo-prétexte de base : lui expliquer les raisons de sa passion pour les images. Tous les deux savent que ce n’est pas pour ça qu’ils sont réunis au Voodoo cafe, et pourtant, les voici, flirtant dangereusement avec un gouffre pleins de souvenirs difficiles. |
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| La scène a quelque chose de surréaliste. Je m’attendais vraiment pas à ce qu’elle ait cette attention pour moi et, même si ça réveille beaucoup de sentiments contradictoires, j’ai du mal à pas être réellement touché. Et peut-être que je me demande un peu – mais juste un peu – si tous les aprioris que j’ai sur les vampires sont réellement fondés. Je sais, c’est juste un morceau de piano, mais, à l’entendre jouer, j’ai l’impression qu’elle met une part de son âme à chaque effleurement de touche.
Toutes les bonnes choses ont une fin et c’est à peine si je jette un regard distrait à l’homme qui prend sa place, sans trop savoir quoi penser de tout ça. Elle me laisse quelques instants pour retrouver un semblant de contenance et je me contente surtout de jouer avec mon verre sans vraiment le boire. Pas comme si l’alcool, surtout à si petite dose, pouvait avoir un effet sur moi de toute façon. Et je relève la tête, la fixant quelques instants alors qu’elle me demande si je veux parler d’elle. « A dire vrai, je sais pas du tout… » Soufflé avec un sourire que j’ai rarement, alors que j’ai du mal à garder mon attention complète sur la brune.
Et, avant j’ai le temps de lui répondre vraiment, elle me donne sa vision des choses. Un silence, alors que je joue un instant avec le sous-verre et je souffle, pensif. « J’ai souvent envie… de tout enfermer dans un coffre. Mais je me dis que c’est pas lui rendre justice. Et je sais pas vous mais… les souvenirs s’estompent avec le temps. J’ai peur de finir par oublier. » Ca fait près de trente ans après tout. Si j’arrive à me rappeler encore de son rire ou du regard de mes enfants, parfois je me demande à quel point je suis juste en train de me les imaginer pour me convaincre qu’ils se sont pas en train de disparaitre. Et quand ce sera le cas, qu’est-ce qui restera ? Dans vingt, trente ans, quand toutes les autres personnes qui l’ont connue auront disparu, il restera juste… moi. Et les quelques souvenirs auxquels je me raccroche. J’ai un temps, non sans boire quelques gorgées de bière. « Vous prenez rien ? » J’avoue, je me suis jamais vraiment interrogé sur ce que les vampires pouvaient prendre ou pas quand ils sont en public. Est-ce qu’ils peuvent maintenir l’illusion ? Est-ce qu’ils le doivent ? Mais je me vois pas trop lui poser la question. Je me contente de reprendre, à mi-voix. « Ma femme était… terriblement humaine. Elle vivait tout ce qui lui arrivait sans la moindre retenue et tout la passionnait. Elle arrivait toujours à voir les bonnes choses chez les gens. C’était très agaçant. » Je suis secoué par un rire silencieux, alors que je me demande, si elle était toujours en vie, où est-ce qu’on en serait aujourd’hui. Elle, à vieillir au rythme des humains, moi qui donne l’impression d’avoir à peine la quarantaine. Je sais que c’était la seule chose qui l’inquiétait vraiment et j’avais la moindre envie de m’en soucier. « Et elle adorait la musique. Mais chantait tellement faux que c’était une vraie torture. » Là encore un sourire un brin nostalgique, alors que je me rends compte que oui, ça devient compliqué de me rappeler ce genre de choses. D’une certaine façon, je suis presque heureux que la Bête ait pris le relai cette nuit-là et qu’elle refuse de partager ce qu’elle a vue. J’ai pas à lutter pour éviter que l’horreur prenne le pas sur le reste. Pas sur ça en tout cas.
Je finis par secouer brièvement la tête, reportant mon attention sur la brune. « Franchement, j’ai dû mal à imaginer comment vous pourriez m’endormir. Alors, à défaut du coffre et de ce qu’il contient, pourquoi la photo ? A part votre œil pour capter la lumière donc. » Ouais, j’ai pas oublié sa réponse un rien cryptique. Après, c’est aussi son genre. Pas trop en dire. C’est un exercice aussi auquel je suis rôdé depuis le temps, histoire de maintenir un peu l’illusion. Tant que c’est nécessaire en tout cas. J’avoue que pour le coup, je sais encore moins qu’avant comment elle pourrait réagir à me savoir pas tout à fait humain. Ou plutôt, pas que. Un signe au serveur qui remplace ma pinte vide par une nouvelle, alors que j’attends sa réponse, curieux. |
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| Oh oui, s’il savait comme les souvenirs s’estompent. Aujourd’hui Myrtle est parfaitement incapable de se rappeler des traits de son mari. Pire encore : elle ne sait plus si sa mémoire l’a immortalisé tel qu’il était, ou tel qu’elle a envie de se souvenir de lui. Il n’y a rien de plus cruel que de vivre avec l’idée que les ultimes images que l’on a de ses proches défunts ne sont peut-être que des mirages ; des vues déformées de l’esprit. Et il est probable que son inconscient ait choisi de la préserver du souvenir des mauvais aspects de son époux, car après avoir été abusée par Louis et François, elle a dû se trouver un refuge psychologique. Le totem d’Arthur comme talisman impérissable. Un homme bon, un homme de bien. Un homme qu’elle n’a jamais mérité.
- Simplement un verre d’eau, ça ira, rebondit-elle sur sa commande, levant la main pour attirer l’attention d’un serveur.
Myrtle écoute ensuite son interlocuteur lui parler de sa femme. Il suffit de l’entendre pour savoir qu’il est encore amoureux. Même si elle captait pas les battements de son cœur, même si elle ne savait pas lire les imperceptibles tressaillements de son visage, elle l’aurait compris. Elle se demande à quel point la mécanique n’est pas aussi en partie cathartique. Sans être psychologue, l’Immortelle soupçonne toujours les personnes capables de s’immerger à ce point dans une passion d’avoir des choses à exorciser. Des démons, des chagrins, des angoisses.
- C’est une belle manière de la décrire, commente-t-elle simplement.
Elle réceptionne le verre commandé pendant les confidences de Samuel, qui la relance sur son attrait pour la photo. Myrtle, ayant fait mine de porter la boisson à ses lèvres, suspend son geste juste à temps pour réfléchir.
- Je trouve qu’il y a quelque chose de fascinant dans le fait de capturer le réel. Je veux dire… le temps défile en continue, rien est figé. C’est intangible, de l’instantané permanent. Par exemple, avez-vous déjà eu cette sensation que même ce que vous avez fait il y a deux minutes, semble remonter à une éternité lorsque vous y songer r ? Elle marque une pause pour lui laisser le temps d’y penser, et la photo, elle va capturer l’insaisissable. Clac, le vivant est soudain calqué sur un support fixe et virtuellement impérissable.
Myrtle a l’air sincèrement passionnée quand elle en parle. Peut-être aussi qu’avoir vécu la découverte de cette technologie la rend particulièrement sensible à son caractère incroyable. Les générations actuelles ayant grandi avec, elles ne peuvent pas se rendre compte du bouleversement que ça a été. Par la photographie, la science a touché du doigt le domaine de la magie.
- J’ai beaucoup voyagé. Je suis anglaise à l’origine, peut-être l’a-t-il entendu à son accent, et j’ai aussi vécu plusieurs années en France. Si je n’avais pas capturé tous ces bouts de vie sur pellicule, j’aurais peut-être égaré beaucoup plus de souvenirs en cours de route.
Son histoire a été remodelée, mais elle n’est pas complètement fausse. Et pendant toute sa prise de parole, la caïnite a manié son verre, feignant de l’approcher de ses lèvres, de le poser, de le déplacer… une stratégie quasi imparable pour les mortels ordinaires, qui ne se rendent jamais compte qu’elle ne boit pas une goutte.
- Satisfait ? demande-t-elle avec malice, et pour revenir à votre femme qui voit le bien chez tout le monde…, si je lui avais proposé de vous décrire, que m'aurait-elle dit de vous ? |
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| Parfois, je me demande si notre malédiction est pas celle-là. Celle de voir les humains qui nous entourent vieillir et mourir. Celle de les savoir si fragiles et à la merci du pire, de la maladie ou encore des Chasseurs sans scrupules. Je serais bien incapable de donner un âge à Myrtle, mais je suis persuadé qu’elle a vécu bien des choses avant d’arriver entre ces murs. Bien plus qu’un simple humain en verra jamais. Et je me demande vaguement à quel moment on finit par lâcher prise, par être trop fatigué pour continuer. J’ai entendu dire que les vampires finissaient par réellement perdre leur humanité d’une certaine façon. Je suis bien incapable de savoir à quel point ça relève du mythe ou de la réalité. Je sais par contre que, jusqu’au bout, les garous que j’ai côtoyés restaient attachés à leur Meute, à leur famille. Même après près de 200 ans passés sur cette terre.
C’est peut-être aussi pour ça que je me sens à l’aise avec elle. Parce qu’elle a l’air de comprendre sans qu’il y ait vraiment besoin de formuler les choses. Même si l’immortalité de sa race s’oppose au fait que moi, tôt ou tard, je finirais par rejoindre ma famille, il y a quand même plus de similitudes que je l’aurais cru au premier abord. Et me confier, parler d’Abigail, est plus facile que d’ordinaire. Peut-être parce qu’elle fait pas partie de mon groupe, de mon quotidien. Qu’il est peu probable qu’on soit amenés à se recroiser souvent. Et que, vu qu’elle n’a qu’une partie de l’histoire, elle risquera pas vraiment de me prendre en pitié, ce que ma Bête déteste autant que moi. Question d’égo j’imagine.
Je lui rends un mince sourire quand elle me dit que c’est une belle manière de décrire celle qui a quitté ma vie il y a 30 ans de ça. « C’est la plus appropriée. » Sans compter que je suis un dernier à pouvoir le faire, ce qui me fait bien plus mal que je l’aurais cru. Et je l’écoute avec attention quand elle me parle de sa passion pour la photo. « Le temps défile beaucoup trop vite oui. » Un hochement de tête pour confirmer que oui, j’ai déjà eu cette sensation à plus d’une reprise. « Et donc, vous pensez qu’avec la photo, vous avez vraiment réussi à capter l’essence même du moment ? Qu’à terme, c’est pas juste une pâle copie d’un souvenir qui finira par s’effacer ? » Après tout, c’est ce qu’on cherche non ? Capturer ce qui nous file entre les doigts. J’ai tout de même un rire avant d’ajouter. « On dirait que je suis totalement déprimé à m’entendre. Mais ça me rend surtout curieux en vérité. Probablement parce que j’avais jamais imaginé la photo comme ça. »
Un regard curieux quand elle me dit être anglaise et même avoir vécu en France. « Vous avez de la chance. J’ai jamais quitté la région. » Et je continue, sans même vraiment réfléchir. « Mais ça vous fait quel âge pour avoir autant de souvenirs que vous pourriez égarer ? » Avant même qu’elle réponde, je lève une main dans sa direction. « Oubliez ce que je viens de demander. » C’est idiot, mais j’ai pas envie qu’elle mente, alors, autant éviter d’entendre sa réponse. Evidemment, mon verre descend bien plus vite que le sien, le contraire aurait été difficile. Mais ça fait partie du jeu et je me focalise pas vraiment dessus.
Une œillade amusée au reste. « Satisfait ? Ca soulève surtout un paquet de questions oui. » Mais j’avoue, je m’attendais pas vraiment au reste. Et j’ai un temps, fronçant les sourcils. « Difficile à dire. Je suis à peu près certains qu’elle m’aurait trouvé des qualités même dans mes pires défauts. » Genre mon côté maniaque qu’elle qualifiait d’organisé. Ou la dominance de ma Bête qu’elle trouvait fascinante, même dans mes pires coups de colère. « Je crois qu’elle aimait mon côté fiable, posé. Ca contrebalançait le fait qu’elle s’éparpillait dans tous les sens. Et ma patience à toute épreuve, avec elle ou les enfants. » C’est un exercice délicat, surtout qu’on a jamais vraiment parlé de tout ça avec Abi, qu’on se contentait surtout de vivre l’instant et d’accepter l’évidence qu’il y avait entre nous, comme si une part de nous savait qu’on avait que quelques années à partager. « Mais vous vous rendez compte que votre question m’oblige à me vanter là. C’est super retors. » Soufflé d’un ton léger. « Je pourrais vous demander de faire la même chose et d’imaginer ce qu’elle aurait pu dire sur vous aussi. » A voir si elle se prête au jeu ou pas. |
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| Une fois de plus, il la surprend. Lorsqu’il parle de la photo comme n’étant potentiellement qu’une pale copie de l’originale, destinée à dépérir, Myrtle le dévisage avec intensité. Qui est-il ? Il dégage une forme de sagesse inattendue, de celle que ne développe que les initiés à certains secrets de leur monde. Quand bien même cela s’apparente à un préjugé, l’Immortelle trouve Samuel différent de tous les autres amoureux de mécanique qu’elle a pu connaître. Il est posé, réfléchi, sensible.
Elle lui offre un sourire plus franc, plus naturel, même s’il la question sur son âge. Il ne peut pas savoir comme ceux-ci sont rares, comme cette entrevue est exceptionnelle. Elle qui n’aime plus fréquenter les humains pour autre chose que leur sang – à de rares exceptions près –, elle dont les émotions se sont taries avec la cavale du temps. La Caïnite a envie de creuser, de comprendre ce qui rend la personnalité de son interlocuteur si différente… et en même temps, c’est le mystère qui la captive. A son âge, la chasse est souvent plus grisante que la capture.
- Vous ne vous vantez pas, dit-elle enfin, je reconnais ces qualités jusque-là.
Ils se connaissent trop peu pour qu’elle le certifie, mais l’aperçu qu’elle a eu corrobore cette appréciation. Samuel lui retourne habilement sa propre stratégie, et elle doit admettre qu’elle ne s’y attendait pas. Du bout des doigts, Myrtle joue toujours avec son verre, amenant l’eau à tournoyer avec paresse. Ce que sa femme clairvoyante aurait pu lui trouver comme qualité…
- Elle dirait que je suis pugnace, je ne m’arrête jamais, il est impossible de me décourager.
Derrière son articulation aseptisée par le ton de la conversation se cachent les véritables raisons de cette obstination : la haine. Depuis deux cents ans, elle poursuit les deux hommes qui ont volé sa vie, et profané sa mort. Ils l’ont salie, manipulée, martyrisée, brisée. Elle n’oublie pas, elle n’oubliera jamais. Et une Torpeur de dix ans ne l'a pas fait dévier de son cap.
- … et que je suis une excellente photographe ! ose-t-elle plaisanter, avant de poursuivre, plus sérieuse : je repense à ce que vous disiez, sur le fait qu’un cliché est une copie et que ça sonne déprimant. C’est intéressant car une fois, une personne m’a dit que : la mélancolie, c’est la tristesse de ne pas retrouver dans le présent un événement passé, Myrtle marque une brève pause, mais développe : c’est notre cerveau qui… essaye de reproduire la chimie d’un ressenti plaisant, mais il ne revient jamais à l’identique. Et le delta entre ce qu'on voudrait ressentir et la reproduction, génère la mélancolie, comme lorsqu’on se remémore une personne disparue ou un séjour particulier : l’encéphale veut faire revivre à l’identique les émotions liées à cette personne, ou ce séjour, mais c’est impossible, les photo cristallisent cette « mélancolie », car elles nous font croire qu’on a réussi à capturer l’essence d’un moment et qu’on pourra la retrouver. Mais en effet, c’est un leurre…
Et paradoxalement, ce sentiment est une drogue. Une douleur enivrante, dans laquelle il est facile de s’oublier. L’immortelle souffre chaque jour d’avoir perdu ses trois enfants. Et pourtant, elle regrettait de ne pas avoir pu calquer leurs visages. Le temps les lui a fait oublier.
- Mais cette conversation devient bien triste en effet, je ne vous ai pas fait venir pour ça. Je voulais apprendre à vous connaître, avoue Myrtle, sans détour mais énigmatique, à ce sujet… dites-moi un secret qui vous concerne, demande-t-elle de but en blanc.
Elle laisse son verre en paix et appuie ses avant-bras sur la table en se penchant vers Samuel. Elle veut voir comme il va rebondir là-dessus.
- Quelque chose que vous n’avez pratiquement jamais dit à personne. |
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| Les échanges avec Myrtle ont quelque chose de réellement surprenant. Je m’attendais à ce qu’elle soit plus… froide, distante, voire méprisante envers les simples mortels – ou ceux qu’elle considère comme tels et, dans l’immédiat, c’est mon cas. Et pourtant, c’est tout sauf le cas. Alors oui, je suis un peu obligé de revoir ma copie, surtout que les questions qu’elle me pose ont le don de réveiller des souvenirs et des ressentis que j’ai longtemps laissés de côté. Par praticité, parce que vivre constamment dans le passé est mauvais, très mauvais. Et aussi parce que le temps file bien plus vite qu’on pourrait le croire. Que les jours sont rapidement devenus des semaines, des mois, des années. Que je peux le voir quand mon regard se pose sur mon entourage que ma famille est depuis longtemps devenue poussière et que je pourrais jamais freiner le cours inexorable du temps. Alors j’essaie de pas trop m’empêtrer dans mes propres souvenirs, de pas trop me laisser happer par mes démons. Ma Bête est plus basique vis-à-vis de tout ça et c’est probablement ce qui m’a aidé à tenir bon jusque-là. A trouver un équilibre entre un déni complet du passé et une certaine forme d’acceptation. Et à accepter que le temps fasse son œuvre, même si la douleur sera toujours là. Preuve que de ce que j’ai eu la chance d’avoir. Et le malheur de perdre. Pour autant, je pensais que ce serait plus douloureux d’évoquer tout ça, mais la situation et la compagnie de la vampire font qu’au final, ça va. A mon grand étonnement.
Alors, quand Myrtle me regarde avec une intensité nouvelle, j’avoue que ça m’étonne un peu plus. Et je souffle, d’un ton léger. « Je vais finir par croire que j’ai quelque chose sur le visage et que vous voulez rien me dire. » J’ai du mal à comprendre pourquoi elle réagit comme ça, mais c’est pas le genre de trucs qui va me bloquer outre mesure de toute façon. Un haussement d’épaules au reste, même si je me départis pas de mon sourire. « Vous avez déjà reconnu ces qualités chez moi ? Je suppose que je dois me sentir flatté ou vexé d’être aussi transparent. » Même si ouais, au final, je pense qu’il y a rien de surprenant dans ce que je peux lui raconter. Et je suis secoué par un rire silencieux quand elle finit par se prêter au jeu. « Une jolie façon de dire que vous êtes une vraie tête de mule donc. » Ce que je connais bien aussi. Et je la fixe un instant, un brin songeur. « Je me suis toujours dit que, derrière les gens qui refusent de lâcher l’affaire, il y avait un sentiment particulièrement fort. » De l’amour, de la haine, difficile à dire. Mais c’est surtout cet espèce d’aveuglement à refuser l’inévitable et qui pousse parfois au pire. Je me demande si c’est son cas.
Du reste, j’ai un hochement de tête. « J’avoue que, pour une fois, quand j’ai vu vos photos de moi, j’ai même pas râlé. Notez l’exploit, c’est pas un truc qui arrive souvent. » Je déteste qu’on me prenne en photo, c’est un exercice qui me réussit pas en temps normal. Et qui finit souvent par un grognement agacé de ma part. Quand elle continue, je garde le silence, alors que chacun des mots qu’elle prononce semble comme faire écho à ce que je peux penser. « Et les photos donnent juste le sentiment que jamais on arrivera à retrouver ce moment précis. Alors que c’est pas le cas. Enfin… » J’ai un temps, buvant quelques gorgées de ma bière. « Aucun moment se ressemble. Mais on peut en créer d’autres. Il faut juste se donner le temps. » Et le droit aussi. Ce que j’ai encore du mal à accepter pour ma part. Même après toutes ces années. Comme si j’avais pas vraiment le droit d’être heureux sans eux, comme si c’était une insulte à leur mémoire. Alors que je sais qu’aucun d’eux n’aurait voulu ça. « Donc… vous pensez que les gens étaient plus heureux avant qu’on invente la photo ? » Soufflé d’un ton amusé, alors que j’essaie de chasser les pensées tristes qui pourraient réellement me parasiter cette fois.
Et voilà qu’elle rebondit sur autre chose. Je lui lance un regard curieux, me demandant où elle veut en venir. Mon coude posé sur la table, mon menton logé au creux de ma paume, je la regarde quelques instants, avant d’esquisser un sourire. « Vous savez que c’est un prêté pour un rendu. Et que vous allez devoir me donner un secret à place. » Il y a beaucoup de choses que je pourrais lui dire. Qui pourraient vraiment la surprendre. Mais ça fait pas partie du jeu. Il y a des choses qui doivent rester secrètes, même auprès de certains membres de la Meute. Je laisse filer quelques secondes avant de souffler, le regard pétillant. « Quand j’étais petit, j’avais une peur panique. Celle que des monstres se cachaient sous mon lit pour me dévorer quand je serais endormi. » Paradoxal quand on connait ma nature. Et quand on sait que, pour la plupart des gens, je suis un de ces monstres. « Mon père devait vérifier tous les soirs qu’il n’y avait rien ni personne. » J’ajoute, avec un sourire plus mutin. « Et il est possible que, dans le doute, je continue de vérifier de temps à autre. Juste au cas où. » Parce que je sais que les monstres sont bien réels. Ils ont pas la forme qu’on pourrait imaginer et, très clairement, ils pourraient tout à fait se planquer sous mon lit. Et ce qui pourrait être un secret, voire une anecdote presque amusante est, en réalité, le reflet d’un quotidien parfois un peu lourd à porter. « A vous jeune fille. » Qu’elle s’imagine pas, même une seconde, pouvoir y couper. |
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| Une vraie tête de mule, oui ; on peut probablement le présenter comme ça. C’est en tout cas un bel euphémisme pour parler de son obstination pathologique et alors que Samuel suppose que cela cache quelque chose, l’Immortelle demeure impassible. Cela fait partie des choses qu’elle ne révèlera pas, même lors de cet étrange rendez-vous. Myrtle le découvre maintenant suffisamment pour savoir qu’il est observateur ; il l’étudie autant qu’elle le décrypte. Ce n’est clairement pas un homme comme les autres, dans le bon sens du terme.
- Je note, je note, commente-t-elle à propos de ses photos de lui.
Un léger rictus amusé accueille l’idée de « se faire d’autres moments ». A ses yeux, c’est une lubie de mortel, et probablement l’aurait-elle pensée aussi si elle n’avait pas succombé à la nuit. Car quand le temps est compté, on n’a pas envie de le gâcher à se morfondre, alors on se fabrique des mantras tout fait, pour se forcer à aller de l’avant. Mais la vérité, c’est que quoiqu’elle fasse, la caïnite ne ressuscitera jamais ses deux filles, pas plus qu’elle n’effacera son adultère. Et elle a l’éternité pour lui rappeler comme son erreur avec François à engendré tout le reste, l’éternité pour porter le poids de ses mensonges, de ses crimes et de ses deuils. Il n’existe aucun autre moment qui serait suffisamment fort pour lui faire tourner la page. Le croire, c’est cracher sur les ossements de sa famille, et le peu de souvenirs qu’elle en a encore.
- Intéressante question… parce qu’il y a quand même une forme de beauté dans la mélancolie. On est heureux lorsqu’on regarde un cliché qui nous rappelle de belles choses. Sans ça, on oublie plus vite…
Elle aurait aimé avoir grandi à l’ère du numérique, pour avoir pu immortaliser ses proches tellement de fois qu’elle ne saurait quoi en faire. Myrtle voudrait les revoir, juste une fois, pour se remettre leurs véritables traits en mémoire. Son imagination tente de combler les brèches d’un tableau qui s’effrite de plus en plus, mais bientôt, à la place des visages d’Arthur, Elizabeth et Hailey, il y aura un trou noir.
- Je vous confierai un secret, promet l’Anglaise en écoutant avec intérêt.
Elle a même cessé de jouer la comédie avec son verre d’eau pour se concentrer sur le garagiste. Le monstre sous le lit, un classique. Ses filles aussi en avaient eu peur à une époque, jusqu’à ce que son mari leur offre à chacune un bracelet de pierres « magiques ». Ce n’était que des bijoux ordinaires, mais il a raconté aux enfants que tant qu’elles le porteraient, aucun monstre ne pourrait leur faire du mal. Elles ne s’en sont jamais séparées à partir de là ; elles les portaient encore, quand les vrais monstres ont pénétré leur foyer.
- Je fais si jeune que ça, réplique-t-elle avec un malice, sachant pertinemment qu’elle est née bien avant ses arrière-grands-parents, mon père n’aurait jamais vérifié sous mon lit comme ça… c’était quelqu’un d’assez strict, focalisé sur les affaires et la politique. J’étais fille unique, ma mère a perdu mon petit frère prématurément et n’a jamais réussi à avoir d’autres enfants suite à cela, la médecine du XIXè n’avait rien à voir avec l’actuelle… et à l’époque, c’était déjà un miracle que la baronne Blackstone survive, mon père me fascinait et me terrifiait à la fois. J’avais l’impression de ne quasiment pas le connaître alors une fois, je devais avoir 6 ans, je me suis glissée dans une grosse de ses valises avant qu’il ne parte en voyage. J’ai dû en retirer la moitié du contenu, mais personne n’a rien vu !
Myrtle rit franchement à l’évocation de ce souvenir d’enfance, l’un des rares rescapés de son cerveau bicentenaire abîmé au chloral. Ses yeux brillants se perdent dans le néant d’une douloureuse nostalgie, alors qu’elle achève son récit :
- Il s’est rendu compte de ma présence à mi-chemin, parce que j’étouffais et que j’ai appelé à l’aide. Il m’a passé un énorme savon et a fait immédiatement demi-tour pour me ramener, mais ensuite… on a parlé tout le trajet. C’est la première fois qu’on avait une discussion rien que lui et moi, et j’étais heureuse.
L’enfant qu’elle était aurait voulu que ce voyage ne s’arrête jamais. C’était comme une fenêtre sur une autre dimension, dans laquelle le baron Blackstone était doux, paternel, bienveillant. Il lui a expliqué sa vie, son travail, ses convictions, des sujets auxquels elle n’avait pratiquement rien compris du haut de ses 6 ans, mais elle le découvrait à travers eux, alors c’était des moments inestimables. Jusqu’à aujourd’hui, Myrtle était persuadé qu’il aurait pu être un homme merveilleux, s’il avait pas si souvent été influencé à prendre les mauvais choix.
- Bien, je vous propose de refermer la boîte à souvenir, demande-t-elle d’une petite voix, plus habituée à fuir les rémanences de son passé qu’à les explorer. |
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| Je sais que je devrais rester sur mes gardes. J’ai quand même un sacré prédateur face à moi. Mais, si elle voulait vraiment quelque chose, elle m’aurait jamais proposé ce genre de soirée. Sans compter que ouais, j’ai des moyens de me défendre qu’elle imagine pas du tout. Et j’arrive pas. A me sentir en danger, sans saisir réellement pourquoi. Peut-être parce que j’arrive, pour la première fois depuis… toujours ou presque… à parler de certaines choses. A appréhender autrement mon vieillissement au ralenti qui, en comparaison de sa propre immortalité, est presque dérisoire au final. Que je me dis que, si quelqu’un comprend parfaitement les difficultés du genre, c’est bien elle. Alors, j’ai aucun mal à lui rendre un sourire amusé, alors que nos échanges se poursuivent avec une facilité surprenante, surtout pour moi.
Et, à sa remarque, je souffle, songeur. « Il y a quand même des choses qu’on oublie jamais. Un bruit, une odeur qui nous rappellent quelque chose ou quelqu’un. » Un rire qui résonne pas loin de moi, l’odeur de pain chaud. Tout un paquet de trucs qui, à chaque fois, me renvoient des souvenirs. Parfois plaisants, parfois moins. « Alors, au risque de passer pour un hérétique de la photo, je me dis qu’au moins, à juste utiliser ses souvenirs et son imagination, on est peut-être moins… déçus. Vous voyez l’idée ? Après tout, si on commence à oublier certains traits, c’est moins douloureux de pas s’en rendre compte non ? » Alors qu’une photo vous le mettra pile poil sous le nez. Je préfère me rappeler du bruit des petits pas de Poppy sur le parquet au petit matin alors qu’elle trainait son doudou que de voir son visage sur du papier glacé, figé à un âge qu’elle dépassera jamais. Ou l’odeur de Damian, quand je le prenais dans mes bras au milieu de la nuit après un cauchemar. Et la douceur des mains de Mary, quand elle me sautait dans le dos pour les poser sur mes yeux en gloussant.
Tellement de choses qu’en réalité, je pourrais jamais oublier, même en vivant 100 ans de plus. Parce que, même après 30 ans, c’est toujours aussi vivace.
Je finis par raconter mon secret, si tant est que ça en soit vraiment un. Mais sa réaction me laisse à penser que oui. « Vous faites plus jeune que moi, c’est certain. » Je lui rends un sourire malicieux avant qu’elle finisse par me raconter sa propre histoire. Je l’écoute en silence, buvant juste quelques gorgées de bière, sans l’interrompre. Avant de souffler, à mi-voix. « Je pense que de vous voir sortir de cette valise a dû valoir le détour. C’est un joli secret en tout cas. » Un silence au reste, alors que je la fixe quelques instants, fronçant un instant les sourcils. « Finalement, on a beau essayer, la boite à souvenirs se rouvre toujours hein. » C’est pas vraiment une question, plus un constat un peu triste. « Je pense que c’est plus sage de les refermer oui. » Pour éviter de s’enfoncer trop loin dans les souvenirs. Je me demande si on peut arriver à un point de non-retour à aller trop loin. Et si ce serait vraiment grave au final. J’ajoute pourtant, mon regard accrochant le sien. « Merci. De l’avoir partagé avec moi. » Surtout après m’avoir dit qu’elle verrouillait la boite.
Il y a un temps de flottement et je finis par tousser un rire, jouant un instant avec mon verre. « Là, dans l’idée, je dois trouver un truc intelligent ou même amusant pour éviter qu’on passe le reste de la soirée l’esprit morose, c’est ça ? Ou alors, j’essaie de compter sur vous ? » Je me penche un instant vers elle, non sans un sourire complice. « Je peux vous raconter l’histoire de la souris qui a terrorisé tout mon atelier pendant des jours en nous faisant croire à un fantôme qui hantait les lieux si vous voulez. » Dans le genre épique et dramatique, ça se pose là. Mais ça éviter de trop lorgner sur la boite à souvenirs et ça, c’est peut-être pas plus mal. |
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| Il n’a pas tort. La boîte à souvenir se rouvre d’elle-même. Myrtle a beau essayer de les garder sous-clés, ils la hantent comme une nuée de chauve-souris dans le ciel de son immortalité. Et en même temps, si elle n’a plus de mémoire, que lui reste-t-il ? Elle est déjà morte, une coquille vide, sans-vie, qui traverse les siècles par une magie obscure. Sans son passé, elle n’est plus qu’un vaisseau désincarné et gangréné par la haine. Sans ses souvenirs, ni la souffrance sourde qui la ronge en permanence, elle n’est plus rien.
- Merci de l’avoir écouté, lui répond-elle d’une voix douce.
C’est à peu près à ce moment qu’elle sait que cette soirée n’aura pas de suite. Car Samuel a réussi à l’amener à se confier, à s’apaiser, en lui donnant cette impression d’être son égal. C’est très différent d’avec January, qu’elle affectionne énormément, mais qui est pour l’instant indissociable de son rôle de pomme de sang. Il n’y a rien de physique avec le garagiste, et elle n’en a même pas envie. Alors instinctivement, les voyants d’alarme virent au rouge dans son crâne. Myrtle ne peut ne serait-ce que prendre le risque de se montrer vulnérable auprès d’un homme. Surtout s’il n’est pas totalement humain ; elle devine en tout cas que le discours de son cadet cache quelque chose. Il a pu entrapercevoir ce qu’il reste de son âme en ruine, c’est bien plus que la quasi-totalité des gens qu’elle fréquente.
- Je ne vous conseille pas de compter sur moi : on m’a dit une fois que je suis nulle pour remonter le moral.
Les mots de Zelda, qu’elle va d’ailleurs devoir aller retrouver. Charlie ne peut pas faire le chaperon toute la nuit, et sa protégée a besoin de sortir ; rester enfermée en quatre murs ne lui sied guère. Un sourire mélancolique plisse le visage de l’Immortelle. Elle s’humecte machinalement les lèvres, lorgnant ses doigts blancs qui, par le hasard de leurs gestuels, se retrouvent à quelques centimètres de ceux de Samuel. Myrtle les replie et les récupère, non sans rire au pitch légèrement de son anecdote.
- Je serai ravie de l’entendre, mais avant…, elle prend une inspiration dont elle n’a pas besoin et délivre ce à quoi elle pense, je préfère vous le dire : je ne pense pas que nous nous reverrons après cette soirée. Je passe un excellent moment, le rassure-t-elle, étrangement intéressant même. Je ne sais pas ce que vous en attendiez, et je ne voudrais pas entretenir une projection qui ne se réalisera pas.
La caïnite n’a pas présumé de ses intentions à son égard, elle suppose seulement que les attaches se font parfois facilement, lorsqu’on commence par explorer les perles enfantines de l’un et de l’autre. C’est elle-même qu’elle protège en se ménageant cette porte de sortie. Peut-être lui aussi, indirectement, car il ne fait pas bon d’être dans son entourage. Elle ne côtoie que la mort et la violence ; Samuel semble être le genre de personne qui a besoin de s’en tenir loin. Il a une paix intérieure à perfectionner et à entretenir. Ce beau jardin, elle ne peut l'aider à le cultiver ; elle ne ferait que le saccager.
- D’ici là, je vous offre un autre verre si vous voulez, propose-t-elle sur une note plus légère. |
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