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Miroir noir || Alexandra

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Lun 13 Fév - 16:47 (#)

Les mains jointes et figées pour empêcher mes doigts de s’agiter d’impatience, j’attends.
Et je déteste attendre.

Autour de moi, l’environnement est riche de milles stimulations. J’entends les bruits de pas étouffés et rapides des serveurs oscillant en dehors de cette petite alcôve confortable. Des crissements métalliques de spatules râpant contre des plaques de cuisson où grésillent des aliments dorant petit à petit résonnent doucement à travers les murs depuis la cuisine. Quelques douces effluves gourmandes et piquantes ont déjà conquis tout l’endroit et se répandent dans l’air tel un nuage capiteux aussi envoûtant que le chant d’une sirène. Je prends une large inspiration et l’eau me vient à la bouche. Au moins, même si ce rendez-vous ne m’apporte rien, j’aurais eu le plaisir de manger les mets délicats de ce restaurant étoilé aux spécialités asiatiques. Outre la nourriture exquise, j’ai choisi ce lieu parce qu’il possède de petites pièces séparées au calme, loin des oreilles indiscrètes. L’alcôve où je me trouve a été créée avec quelques panneaux de bambous très esthétiques et est composée de deux larges banquettes couleur crème autour d’une table en bois sombre et massif. L’ensemble a ce petit côté exotique, mais tout de même occidentalisé pour ne pas trop choquer les clients. Un équilibre parfait pour faire voyager sans rebuter les esprits les plus obtus. Pour parfaire le décor, une plante grimpante se trouve dans un coin, ses larges feuilles d’un vert tendre grimpent jusqu’au plafond et s’épanouissent élégamment pour ne pas laisser une zone vide. L’unique autre décoration est une vaste estampe encadrée. Dans le verre protégeant l’œuvre, je croise mon propre regard et entrevois ces notes agacées et soucieuses que je souhaiterais dissimuler. Je reprends le contrôle de mon expression, remettant en place ce masque de faux semblant qui me colle à la peau, et cela même alors qu’il n’y a personne d’autre ici. J’ai toujours cette impression que contrôler mes expressions permet de mieux contrôler mes émotions. Alors que je pianote sur mon téléphone pour m’occuper, des pas s’approchent et la porte coulissante s’ouvre, laissant le passage à la serveuse venant déposer devant moi l’eau minérale que j’ai demandée. Je l’informe que j’attends quelqu’un et que nous commanderons une fois qu’elle sera présente, puis la serveuse repart en tirant la porte, me laissant de nouveau seule avec mon impatience. J’ai déjà emmené des clients ici par le passé, l’endroit étant assez privé pour les affaires et assez plaisant pour faciliter les négociations les plus délicates. Mais la négociation du jour le sera sans doute plus encore. Je quitte mon monde logique, simple et régit par des lois que l’on doit contourner pour me jeter dans l’improbable, l’inattendu… et le désagréable aux vues de ma convive.

Je vérifie l’heure. Elle n’est pas encore en retard. Il est encore tôt et à mon arrivée le restaurant était assez peu rempli, tout juste deux petits couples étaient installés dans la pièce principale en sirotant des boissons. J’ai donné un horaire précoce à cette entrevue afin de m’assurer que peu de gens me voient en cette compagnie peu recommandable mais également dans l’inconscient espoir d’évacuer cette rencontre comme une corvée embarrassante. Et pourtant, malgré l’agacement qui me ronge derrière mon masque désinvolte, je ne brûle que de savoir ce qu’elle peut m’apprendre. Depuis notre rencontre, ses mots tournent dans ma tête, je les tords et distords pour essayer d’en comprendre la profondeur et les implications. Elle sait quelque chose, c’est certain, mais elle en a dit si peu que je n’ai rien pu en tirer. Mes doigts se mettent à pianoter sur la table, trahissant mon impatience. Les quelques jours qui ont suivi notre première rencontre n’ont été qu’une inexorable attente de la publication de l’article, tant je craignais qu’elle fasse un travail médiocre de gratte papier, comme le laissait croire sa tenue inadéquate. J’imaginais déjà des propos détournés et sortis de leurs contextes pour me discréditer. Je m’étais jetée sur le journal dès sa parution et c’est fébrilement que j’avais découvert ses mots. Ils furent accueillis avec un soulagement non feint. L’article est élogieux et ne sort aucun propos de son contexte. Les photos sont bonnes et flatteuses. Je n’aurais pas pu espérer mieux. Ce n’est qu’à ce moment que j’ai saisi mon téléphone et le bout de papier qu’elle m’avait donné à la fin de notre rencontre pour l’appeler. Et maintenant, j’attends, la tête remplie d’un millier de théories plus folles les unes que les autres. Sait-elle vraiment quelque chose ? Oui c’est évident. Mais puis-je en être sûre ? Et d’où vient cette sensation étrange ? Et ces pouvoirs inattendus ? Sait-elle faire la même chose ? Qu’est-ce que cela fait de moi ? Je souffle profondément, refaisant le calme dans mes pensées. Inutile d’élaborer milles hypothèses, les réponses semblent être en route.

Mon regard fixé dans celui de mon reflet, je patiente.
Et la patience n’a jamais été mon fort.
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
Alexandra Zimmer
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
FULL DARK NO STARS
En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

Thème : Nick Cave & The Bad Seeds : Red Right Hand
You'll see him in your nightmares
You'll see him in your dreams
He'll appear out of nowhere but
He ain't what he seems
You'll see him in your head
On the TV screen
Hey buddy, I'm warning
You to turn it off
He's a ghost, he's a god
He's a man, he's a guru
You're one microscopic cog
In his catastrophic plan
Designed and directed by
His red right hand

Pseudo : Achab
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Double compte : Elinor V. Lanuit & Inna Archos
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Date d'inscription : 28/03/2019
Crédits : Lyrics: Nick Cave & The Bad Seeds ; Avatar: @vestae-vocivus
Mer 15 Fév - 18:19 (#)

Miroir Noir

Le diable en Prada était réapparu trois jours auparavant.
Ce fut la même journée que l’appel de Frank, mon rédacteur en chef occasionnel. Il m’avait tiré du lit à dix heures du matin, pour m’annoncer avec entrain que mon article était paru hier dans le Shreveport Times. J’ai mis soixante-cinq secondes précises à procéder l’information. Un laps de temps nécessaire pour chuter de mon lit la tête la première, remettre ma cervelle à l’endroit, et tâtonner péniblement à la recherche de mon téléphone par terre. Tous ces efforts pour ça. Tout ça pour me dire que l’article de la pintade Janowski était sorti, et que toute la rédaction était très satisfaite de mon boulot de journaliste mal payée.

Super. « J’ai droit à un bonus ou une médaille pour ça ? Pour avoir supporté l’avocate ? » l’ai-je coupé entre deux compliments à mon encontre.

Alex, t’as un caractère de merde. Alex, tu comprends, avec la conjecture actuelle. Alex, je t’avais dit, c’est un prix fixe. C’était donc la putain de médaille. J’ai laissé Frank dévider ses justifications économiques sans m’y intéresser le moins du monde, tandis que le soleil se frayait un chemin à travers les rideaux élimés de ma chambre. Une pile de vêtements prenait la poussière au pied de mon bureau, et j’ai alors réalisé que j’allais devoir encore multiplier les articles bidons pour combler mes fins de mois. Au terme de deux minutes de jérémiades que je n’avais pas écouté, Frank le radin m’a enfin lâché la viande, me laissant avec un prochain versement sur mon compte bancaire, et un prix Pulitzer qui n’existait que dans son cul.

Quatre heures plus tard, le diable m’avait appelé. À ce moment-là, j’étais en train de terminer l’installation sur ma console de Sekiro, payé par l’article de la Janowski, quand la voix tout sucre et miel de l’avocate a dégouliné de mon téléphone. Elle a aussitôt commencé par se déclarer satisfaite de mon article, comme si sa validation m’importait, avant de me convier à un rendez-vous tardif pour, selon ses mots, terminer notre précédente discussion. À croire que c’était la journée des emmerdeurs se figurant que leurs opinions et leurs vies me concernaient personnellement. J’ai soupiré ouvertement, en vérifiant les contrôles de ma manette, et j’ai fini par accepter sans entrain ce rendez-vous avec le diable version aseptisé et moralisateur.

Le soir même, j’étais dehors, à me demander si c’était une bonne idée.

À cette heure-là, coincée entre les zombies épuisés sortant du boulot, et les touristes ventripotents s’en allant ripailler, la circulation à Downtown était merdique. La lumière du soleil commençait à décliner, tandis que les parfums de nourriture embaumaient l’air du centre-ville, en fines vapeurs d’épices et de sauces qui s’échappaient des aérations des cuisines. Quelques musiques blues résonnaient dans les rues étroites, sur le vieux pavement et les façades des anciens bâtiments aux styles coloniaux, comme pour mieux attirer les hordes de touristes pleins aux as. Je commençais à avoir faim. Je commençais aussi à en avoir marre d’être forcée de respirer les échappements des berlines familiales et des pick-up poussifs de l’américain moyen.

J’ai faufilé ma moto entre les voitures, évité les rétroviseurs de justesse, monté sur le trottoir un instant en terrifiant une vieille bique afro, et finalement réussi à m’échapper en direction du restaurant prévu. J’allais être un peu en retard de quelques minutes. Une culpabilité inexistante m’a envahi. J’ai accéléré dans la nuit en doublant les fichus véhicules de touristes qui cherchaient leur chemin avec une lenteur exaspérante et, avec cinq minutes de retard, j’ai fini par échouer sur le parking du restaurant de luxe. Un repaire de riches aux plats étoilés et hors de prix, en particulier pour quelqu’un ayant justement investi son dernier salaire dans un achat numérique prioritaire. J’ai garé ma moto, enclenché l’anti-vol, et je suis rentrée à l’intérieur.

Ambiance chic et branchée. Le style prétentieux pour les jeunes cadres dynamiques, et les traders cravatés de Western Hill, qui terminaient leur journée incroyablement productive en dépenses excessives, et autres vidages masturbatoires de portefeuille. Pas vraiment mon style à moi. Je me suis avancée dans le hall, sous l’œil ouvertement méfiant et critique du serveur qui contrôlait les entrées, et qui scrutait ma tenue avec un dédain assumé. J’ai calé mon casque sous le bras, en m’avançant vers lui, le cuir de mes bottes et de ma tenue de moto complète crissant sur le tapis qui valait sans doute plus cher que mon compte Steam .

« ‘Soir. J’ai rendez-vous avec Mademoiselle Janowski, » ai-je annoncé en essayant vaguement de remettre en ordre mes cheveux désordonnés d’un revers de main. « Elle m’attend. »

L’homme m’a fixé un court instant, avant de consulter sa tablette d’un air vexé, comme si l’annonce de mon arrivée venait de jeter une tâche sur son costume impeccable. J’ai dézippé ma veste de cuir, dévoilant le t-shirt noir dessous, lequel était décoré d’une tête de mort cornue, avec l’inscription "Satan is my daddy".

« Bonsoir, oui en effet, Madame... » Il a louché sur ma poitrine, sans doute à cause de l’épitaphe, avant de reprendre d’une voix pincée. « … Janowski vous attend. Suivez-moi s’il vous plaît. »

J’vais quand même pas dépenser du fric et m'habiller en robe, ai-je pensé en suivant le serveur d’un pas lourd, au milieu des tablées de la salle principale, vides pour la plupart. Deux couples nous ont suivi des yeux d’un air effaré, que j’ai à peine remarqué en examinant le décor prétentieux et faussement exotique des lieux. Tout était vitrifié et aseptisé. On avait construit une esthétique à l’asiatique, les mêmes clichés dont Hollywood avait habitué l’Amérique des masses ; bambous et lampes flottantes, estampes au pinceau et éventails. J’ai parcouru tout ça d’un air totalement désintéressé, avant que le serveur ne s’arrête devant une alcôve.

L’homme a ouvert les doubles battants fermant cet espace privatif, m’offrant à la vue l’avocate ennuyeuse qui patientait, avec la même rigidité rectale que dans mes souvenirs.

« Votre invitée, madame Janowski. Tout va bien ? » a-t-il fait, une manœuvre discrète et polie pour s’assurer que sa cliente friquée n’allait pas être victime d’une mauvaise rencontre.

C’est-à-dire moi. Ce qui était, à mon sens, d’une ironie à mourir de rire compte tenu des circonstances. J’ai franchi le seuil dans l’alcôve sans attendre son invitation, posant sans délicatesse mon casque sur la banquette vide, et m’affalant dans un soupir à côté. J’ai retiré ma veste, et l’ai posé en tas à proximité.

« Salut. Pardon du retard, la circulation c’est la merde à cette heure-ci. »

J’ai avisé le serveur qui attendait toujours que le diable en Prada lui donne congé. Ces foutus humains, s’ils voyaient à travers les apparences, me suis-je amusée, sans rien laisser paraître, en repoussant mes mèches noires dans un ordre approximatif. J’ai réajusté la chaîne argentée qui pendait à mon cou, au bout duquel un petit crucifix du même métal était accroché. J’ai posé un bras sur le dossier de la banquette, et me suis avachie sans politesse, en attendant la réaction de l’avocate des réactionnaires, la défenseuse de la constitution américaine et des droits juridiques du bon peuple contre les vilains monstres surnaturels.
Tout un symbole.

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Dim 19 Fév - 13:46 (#)

Les secondes s’égrènent comme si elles étaient des heures. Je me maudis d’avoir été en avance et de patienter ainsi. D’un geste agacé et impatient je saisis un des menus présents sur la table et commence à parcourir du regard cette carte que je connais déjà. Tout pour ne pas me laisser sombrer dans le torrent de questions et d’inquiétudes qui me noie peu à peu. J’en viens même à lire de manière détaillée les descriptions des plats et leur composition, m’arrêtant même sur le choix de la typographie, étouffant ces voix persistantes qui me remplissent le cerveau, se demandant ce que la journaliste sait, si je n’ai pas halluciné cette sensation étrange, quelle pourrait être l’origine de ces mystérieux pouvoir, si je n’ai pas commis une erreur en la faisant venir ici. Heureusement, le bruit filant et râpeux de la porte coulissante vient me tirer de cette torture mentale. Mon regard se lève de la carte pour se poser sur l’homme de l’accueil accompagné de la journaliste dont le style vestimentaire n’a pas évolué d’un pouce depuis notre dernière entrevue. L’employé me demande si ça va d’un air curieux et presque incrédule. Lui qui est si habitué à me voir diner avec des personnes en costume ou en tenue de bureau a effectivement de quoi être déstabilisé face à la ridicule apparence de mon convive du soir. Avec un sourire aimable, je lui réponds tandis que la journalise rentre dans l’alcôve :

« Oui, parfaitement. Nous allons prendre le menu découverte je vous prie. »

L’employé hoche la tête d’assentiment sans même un regard vers mon hôte, récupère les cartes que je lui tends et referme la porte derrière mon invité. Au moins nous ne perdrons de temps à choisir et commander. La journaliste installe son barda sur la banquette et s’effondre dessus avec l’élégance d’un cachalot de mer. Pour peu, elle me ferait penser à Heidi. J’hausse presque un sourcil d’étonnement en l’entendant s’excuser pour son retard tant je m’attendais à ce qu’elle soit rude et impolie. Ces quelques mots parviennent presque à balayer l’agacement qui me rongeait l’estomac pour finalement ne laisser la place qu’à la plus dévorante des curiosités. Rapidement, je lui réponds d’un ton sans ressentiment :

« Ce n’est pas très grave, peu importe. »

Je me réinstalle correctement dans la banquette en croisant les jambes, cherchant un peu mes mots pour commencer. Je l’observe une seconde, sentant de nouveau cette étrange impression de familiarité. J’avais beau y avoir déjà réfléchi, maintenant assise en face de la punk, je suis prise de doutes. Qu’est-ce que je fais là au juste ? A-t-elle vraiment ne serait-ce que l’ombre d’une réponse à me donner ? Et cette réponse, suis-je vraiment prête à l’entendre ? Ou alors j’ai imaginé des choses et compris des sous-entendus qui n’existent pas ? Jusque-là, la découverte de cet espèce de pouvoir que je détiens m’a laissé un avis mitigé, la joie du contrôle qu’il m’offre sur les autres, la peur de finalement ne pas être aussi humaine que je le pensais. Que faire si ces craintes sont confirmées ? Et pourquoi les seules personnes vraisemblablement capable de me donner l’ombre d’une réponse ne sont que des marginaux ? Balayant cet infame magma de pensées stériles, j’inspire lentement une bouffée d’air et réussit à reprendre de pied sans, je l’espère, laisser paraitre quoi que ce soit. Finalement, je m’en tiens à mon plan et à la question que j’avais préparé avant de venir. Rien de bien incroyable, nous en conviendrons, mais la situation est si inhabituelle qu’elle me prend au dépourvue :

« Pourquoi m’avoir laissé votre numéro ? De quoi parliez-vous à la fin de l’interview ? » Je ne me souviens plus de ses mots exacts, mais il me semble qu’elle sous-entendait que j’en savais plus que ce que je disais. « Quels seraient ses informations que je suis censée avoir ? »

Est-ce d’ailleurs réellement à propos de ces pouvoirs curieux que j’ai découvert, ou bien est-ce que je me trompe même là-dessus ? Ces manifestations étranges occupent tant mes pensées que je me suis peut-être fourvoyée. J’ai bien vite oublié le calme paisible de la pièce tandis que mon esprit se noie dans les miasmes terribles des questions et des incertitudes.
Cette entrevue pourrait tout autant être une pépite de découvertes que la plus grande et fracassante perte de temps qui soit.
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
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En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
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Sam 25 Fév - 22:49 (#)

Miroir Noir

Seule avec le démon du chic.
Les doubles battants de l’alcôve privée se sont refermés sur nous, deux créatures monstrueuses dans un vase clos suintant la nourriture humaine et le parfum de marque. Tandis que l’employé servile retournait à sa routine de paillasson de luxe, l’écho de ses semelles s’est atténué, au profit des tintements des couverts et de la musique d’ambiance, d’une platitude à vous faire crever d’ennui. Nous étions désormais en tête à tête. Une potiche maquillée sans scrupule, et une motarde prolétaire sans-le-sou, toutes deux venues pour évoquer une dimension surnaturelle qui n’existait que dans les fables et les films d’horreurs bon marché.

J’ai machinalement observé le décor autour de nous. Partout, une Asie factice qui n’existait que dans les rêves de l’Hollywood aux paillettes capitalistes, avait envahi tout mon espace visuel. Je n’en attendais pas moins de Mademoiselle Constipé du Barreau. Tout dans cette antre aseptisée correspondait à son propre cabinet, avec ses prétentions et son apparence, un authentique écrin tartiné d’hypocrisie et de clinquant outrancier. J’ai saisi le menu plastifié, vitrifié, et probablement décontaminé, qui traînait de mon côté de la table. Même les plats affichaient des noms arrogants, dont je ne parvenais pas à identifier la composition.

Je me suis mise à la recherche, ardue, d’un simple steak-frites. En face de moi, la potiche s’est animée par un simple assentiment à ma présence, en remuant son popotin sur la banquette ; probablement pour, une fois encore, réajuster les plis de sa foutu jupe. On change pas une équipe qui fait chier, ai-je râlé, toujours en quête d’un steak-frites dans ce tas d’offres culinaires, toutes plus incompréhensibles les unes que les autres. J’ai hoché la tête, sans lever les yeux ni démontrer le moindre désir d’entamer la discussion, avant qu’elle ne lance elle-même les hostilités. À croire que nous n’étions pas venues là juste pour bouffer.

J’ai abaissé mon menu, afin de l’observer par-dessus, arborant un air faussement étonné. « Quoi, c’est pas un rencard ? Je pensais que tu avais compris mes signaux, moi qui avais un crush... »

J’ai laissé un moment de silence s’écouler. OK, l’humour c’est peut-être prématuré, ai-je pensé face à son expression. J’ai haussé les épaules, en rattrapant rapidement la tentative d’humour avant que l’avocate ne cherche à me crever les yeux avec ses ongles vernissés, ou avec ses talons aiguisés.

« Je plaisante, ça va. Donc, tu n’sais rien ? C’est intéressant... » Je me suis grattée pensivement la tête, mes cheveux toujours aussi désordonnés comme après un coup de vent. « Mais tu t’doutes forcément de quelque chose, sinon tu serais pas là à m’supporter, j’ai bon ? »

Le constat était évident. Visuel, même. Nous étions aussi différentes l’une que l’autre, qu’un ficus en pot et un plancton des mers. À peine devait-elle supporter de m’avoir en face d’elle et, honnêtement, c’était assez réciproque ; même ses manières de fille modèle m’insupportaient. J’ai remué sur ma banquette, cherchant toujours cet hypothétique steak-frites au milieu des plats aux prix exorbitants, qui faisaient suer de terreur mon compte en banque. J’ai réfléchi intensément à la meilleure manière d’aborder ce sujet délicat.

Oh bah tu sais, t’es un truc monstrueux, et d’ici quelques années tu auras des cornes qui vont te sortir du derche. J’ai imaginé en pensée sa tronche maquillée, aux yeux exorbités et furieux, persuadée que je me foutais de sa gueule. Plaît-il ? Ai-je dialogué dans ma tête. Mademoiselle Zimmer, je ne goûte point à vos plaisanteries, mon temps est précieux, je dois dépenser l’équivalent de trois fois votre salaire dans une assiette de crudités et trois feuilles de salade. Le seul élément vrai dans toute cette imitation, excellente à mon avis, était probablement l’assiette de crudités et les trois feuilles de salade.

Je me devais d’être subtile. Une qualité qui me faisait perpétuellement défaut, si bien que je me suis creusée le citron pour parvenir à trouver un compromis. Ne rien dévoiler de mes cartes, rester crédible, et parvenir à lui faire régler la note du restaurant, comme promis ; mon compte ne survivrait jamais sans cela.

« J’suppose que c’est pas la peine de faire semblant, puisque tu dois ressentir la même chose que moi, » ai-je lancé brutalement, utilisant définitivement le tutoiement, ce qui devait sûrement la contrarier.

J’ai scruté sa réaction. J’ai croisé les jambes sous la table, le bras appuyé contre la banque, et le regard par-dessus le bord cartonné du menu de luxe ; sur lequel aucun steak-frites n’était d’ailleurs en vue, hélas. Je n’avais toujours aucune confiance en cette femme. Somme toute, rien ne prouvait que celle-ci ne détienne pas un pouvoir dangereux, autre que celui de vous faire mourir d’ennui sous une avalanche de mondanités moralisatrices et politiques. Dieu merci, nous étions désormais hors du cadre d’une interview, si bien que je pouvais maintenant me permettre de la faire taire, y compris en lui enfonçant ses crudités dans le gosier.

« Donc, c’est quoi ton pouvoir pour commencer ? Et tu sais s’il y a un steak-frites quelque part sur cette carte ? »

Deux questions aussi importantes l’une que l’autre.

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Anonymous
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Sam 4 Mar - 8:34 (#)

Quelques vagues murmures inintelligibles nous parviennent depuis la salle principale mais mon attention est tout happée par la potentialité de cette rencontre. Je la fixe d’un regard un peu trop impatient et inquisiteur, une expression pas assez contrôlée laissant transparaître la soif terrible de connaissances qui m’habite. Je déteste l’incertitude. J’aime les avis tranchés, qui ne souffrent d’aucune approximation, d’aucune exception, les informations certaines sans que nul pseudo-intellectuel ne vienne prétendre que les choses sont plus compliquées. Enfin, sa voix remplit la petite pièce, mais au lieu d’une réponse salvatrice, elle ne m’octroie qu’une mauvaise plaisanterie qui ne parvient qu’à crisper mon visage en une expression faciale dédaigneuse. A moins que cette personne profondément antisociale en soit au point de ne pas même comprendre que la nature de nos échanges n’avait rien qui s’apparentait de près ou de loin à de la séduction. Elle reprend, confirmant la plaisanterie et m’arrachant un petit soupir agacé, mais la suite est bien plus intrigante. Elle sous-entend, laisse sinuer un sens mystérieux et caché. Je n’apprécie guère ce petit jeu. Avec humeur, j’acquiesce à sa question. Oui, évidemment que je me doute de quelque chose, autrement je ne m’infligerais une telle situation. Enfin elle semble vouloir entrer dans le vif du sujet, après des secondes de longueurs et détours, enfin elle dit quelque chose d’intéressant, suivi d’une considération culinaire stupide.

Un pouvoir. Voilà bien la seule chose que j’ai apprise lors de ma rencontre avec le peintre. J’ose espérer qu’elle en sait plus que ça. Je la regarde un instant d’un air suspicieux, me demandant si je peux lui faire confiance. Certainement que non, je ne suis pas stupide, mais ai-je vraiment d’autres possibilités ? Le fait qu’elle soit actuellement la personne en position de force, celle qui a le savoir que je désire, m’énerve au plus haut point. Après un soupir dédaigneux, je réponds à ses questions dans le désordre :

« J’ai déjà commandé pour nous deux le menu découverte. Ils y mettent un peu de tout, mais non il n’y a pas d’hamburger frites ici. » Et l’espace d’un instant j’en remercie le ciel. L’idée de la voir manger un tel plat, avec la sauce et le gras lui dégoulinant sur le bouche et les doigts – irait-il jusqu’à s’essuyer sur la nappe ? – me remplit d’un certain dégoût. Laissant de côté cette image peu engageante, je réfléchis un instant et me résous à lui dire les quelques maigres vérités que je connais : « Les gens m’apprécient et m’écoutent. » Me rendant compte que cela a l’air d’une grande banalité, je précise : « Cela va de soi que c’est en grande partie parce que je suis quelqu’un d’exception, mais c’est plus que ça. Si on s’était installées dans la salle principale, on aurait pas pu discuter ainsi, j’aurais trop attiré l’attention. » Et l’espace d’une seconde je songe au fait qu’elle ne semble pas réellement impactée par ce magnétisme que la plupart des gens semblent ressentir à mon égard. Croisant les jambes et m’enfonçant dans la banquette, je précise : « D’ailleurs, ça ne semble pas vraiment marcher sur toi. »

Est-ce à cause de cette sensation de familiarité étrange qui passe entre nous ? Cela me semble envisageable. Je m’arrête ici pour les explications, taisant le fait que depuis quelque temps je m’entraine assidûment pour améliorer cette capacité, réussissant à influencer très fortement des gens pour quelques secondes au prix d’un effort considérable et éreintant. Une telle capacité représenterait un avantage indéniable dans ma vie professionnelle. Je triture mes doigts un instant, nerveuse avant même de poser les questions :

« Et toi ? C’est quoi ton pouvoir ? Et qu’est-ce que c’est que toute cette histoire ? »
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
Alexandra Zimmer
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FULL DARK NO STARS
En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

Thème : Nick Cave & The Bad Seeds : Red Right Hand
You'll see him in your nightmares
You'll see him in your dreams
He'll appear out of nowhere but
He ain't what he seems
You'll see him in your head
On the TV screen
Hey buddy, I'm warning
You to turn it off
He's a ghost, he's a god
He's a man, he's a guru
You're one microscopic cog
In his catastrophic plan
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His red right hand

Pseudo : Achab
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Lun 6 Mar - 18:29 (#)

Miroir Noir

Pas de steak-frites. Mon humeur s’est assombrie.
J’ai lu à toute vitesse la carte, en arrêtant finalement ma lecture sur ce menu découverte commandé sans mon aval. Un assortiment de termes culinaires aussi alambiqués qu’inconnus y figurait. Génial. J’ai poussé un soupir résigné, en reposant le carton vitrifié sur cette table, dont la surface était aussi brillante que le sourire commerciale de mon rendez-vous nocturne. Pas de steak-frites donc. La soirée avait mal débuté. Je me suis renfoncée dans la banquette, quelque peu froissée que cette pimbêche ait commandé pour moi, et sans me demander mon avis. Elle payait, certes, mais le fric n’achetait pas les droits sur mon estomac.

« Très bien, pas de steak-frites. »

J’ai saisi la carafe d’eau, et rempli mon verre pour faire passer la pilule. Comme si cet affront culinaire n’avait aucune importance, Miss Prétentieuse s’est lancée dans une nouvelle tirade, dégoulinante à souhait d’auto- suffisance, sur un prétendu pouvoir de… Séduction ? Fascination ? Admiration ? J’ai avalé de travers ma gorgée d’eau. Quelqu’un d’exception qu’on apprécie, me suis-je répétée, en essayant de calmer la quinte de toux qui me secouait. Quelle modestie. Quelle mansuétude. Cela en devenait comique. Il m’a fallu plusieurs secondes pour étouffer la toux et l’éclat de rire nerveux qui montait, avant de pouvoir parler clairement.

« Pas suffisamment exceptionnelle pour savoir ce qu’elle est en réalité, on dirait, » l’ai-je raillé en reprenant une lampée d’eau pour faire passer toutes ses absurdités.

Pourtant, les pénibles souvenirs de notre interview ont défilé dans ma mémoire et, lentement, les pièces du puzzle ont commencé à s’assembler. Alors c’était ça. C’était elle, c’était ce pouvoir qui avait suscité chez moi ce désir de bien faire, cette conscience professionnelle pour mener l’interview selon son souhait, en dépit de toutes mes réticences. Des sentiments artificiels et imposés. Ah, la connasse, ai-je râlé, en ressentant la désagréable sensation d’avoir été jouée, au moins en partie. En voilà un pouvoir puant. Un pouvoir à son image d’ailleurs, si bien que je me suis félicitée de lui avoir posé la question avant d’aller plus loin.

« C’est peut-être parce qu’on est similaires, » ai-je menti, en masquant mes soupçons quant à ma conduite bizarrement plus docile qu’à l’ordinaire durant l’interview.

Jamais fait une interview si favorable, j’comprends mieux pourquoi maintenant. Un cafard averti en vaut deux. J’ai commencé à réfléchir furieusement. À supposer que l’avocate menteuse et cynique n’ait pas menti à ce propos, dans quel but me révélait-elle aussi facilement une carte maîtresse ? Était-elle persuadée à ce point de n’avoir aucune prise sur moi ? Ou bien cachait-elle quelque chose de pire encore ? Je l’ai observée avec une méfiance renouvelée. Cette connasse était un champ de mines, et l’idée d’être menée par le bout du nez me rendait nerveuse ; l’autorité en elle-même me rendait nerveuse. J’ai songé un instant à me barrer d’ici sans plus de cérémonie, mais l’avocate a relancé la discussion d’une manière inattendue.

J’ai haussé un sourcil. « Quelle histoire ? Quoi, le fait que tu n’sois pas humaine ? J’sais pas où t’en es sur ce sujet-là, mais va falloir que tu abandonnes vite l’espoir d’être humaine, sinon cette conversation n’en finira jamais. »

J’ai caressé machinalement les couverts étincelants à côté de moi. « Toi et moi, on n’a rien d’humain, OK ? J’espère que c’est acquis pour toi, parce que j’veux pas passer ma soirée à essayer de te raisonner sur ça. »

Les crises de larmes, non merci. J’étais moi-même passée par cette case-là, et il était hors de question de renouer avec les espoirs déçus, les crises existentielles et la dépression suicidaire, surtout avec elle. J’ai saisi le couteau disposé sur ma serviette bien pliée, brisant ainsi le parfait ordre hôtelier, en apposant ma main droite sur la table, paume tournée vers le haut. Une démonstration valait mieux que des mots.

« J’ai la peau blindée, » ai-je expliqué en appuyant fortement la pointe effilée du couteau à l’intérieur de ma paume.

Ma peau a blanchi, rien de plus. Déjà vu, déjà fait. J’ai reposé le couteau en vrac avec le reste des couverts, et j’ai croisé les bras, attentive à sa réaction. À ce stade de la discussion, je n’avais aucune intention de lui fournir davantage de réponses, du moins gratuitement. Le menu découverte ne comptait pas.

« Bon. Mon souci, c’est que t’as beaucoup de questions, et j’vois pas bien ce que j’en retire à te les donner. J’fais pas ça par altruisme. Donc, qu’est-ce que j’gagne à te révéler tout ce que j’sais ? »

J’ai croisé les bras, le postérieur bien calé dans la banquette, et les jambes croisées sous la table, fermée à la discussion tant que je n’y décelais aucune récompense. Voilà ta nouvelle réalité, ma chère. Marchander.

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Anonymous
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Jeu 23 Mar - 14:56 (#)

La situation est si grotesque qu’elle pourrait arracher un rire amer au plus grand des pinces sans rire. La voir là, dans ce décor clair et élégant, elle et son air de vagabonde décharnée. Une scène ridicule aussi charmante qu’un crachat abandonné sur un sol de marbre.
Les répliques acerbes de la punk me font plisser les yeux de mépris. Que sait-elle de ce qui est exceptionnel ou non ? Pauvre petite gratte papier qui passe sa vie à se cacher derrière celles des autres pour espérer gagner son maigre salaire. Et pourtant aujourd’hui elle détient une vérité sombre dont je me languis. L’ignoble sentiment vicié d’être sujette au bon vouloir de cette prolétaire qui n’a jamais su mériter une amélioration de sa condition me rendrait presque malade. Pour faire passer l’amer gout de cette constatation, je bois une longue gorgée de cette eau fraiche pleine de glaçons qui emplit les verres de tout restaurants dignes de ce nom. Elle tourne un instant autour du pot comme une mouche hésitant à se poser pour qu’on puisse enfin l’écraser. Et dans ses paroles badines tombent finalement le couperet d’un secret éventé. Pas humaine. Comment cela ? Pas humaine. Cela ne veut rien dire. Pas dans mon cas du moins. Qu’insinue-t-elle ? Bien des hypothèses honnies se mettent à remplir mon cerveau mais aucune ne parvient tout à fait à percer le lourd voile du déni qui se refuse à ce que je sois autre chose que l’élite de l’humanité. Pas humaine. A ses mots, un calme assourdissant se fait des mon esprit pour ne plus entendre que l’écho de ses mots. Non.

Non.

Pourtant elle enchaine, pas gênée un seul instant par le voile blanc qui s’est abattu sur mon teint, quoi que celui-ci doit être habilement dissimulé par mon maquillage. Impitoyable comme un prédateur sans moral ou une machine sans conscience, elle poursuit. Encore. Rien d’humain. J’oublie tout. Le restaurant. Le monde extérieur. L’univers. Il ne résonne que la question absurde de ‘Comment ne pourrais-je ne pas être humaine alors que je suis leur défenderesse ?’ alors que sous mes yeux trop immobiles elle prend un couteau et poursuit ses quelques mots avec une démonstration à l’appui. Je retiens mon souffle une seconde ou deux. Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Et surtout, quel rapport cela a avec moi ? Quel est le lien entre mes talents et cette inutilité ? Et puis elle réclame. Comme tout bon parasite, elle réclame. Et cette situation mystérieuse et inconnue, pleine d’idées terribles et vertigineuses, devient soudainement quelque chose que je maîtrise. Une négociation, ni plus ni moins. Un contrat comme j’en ai déjà fait des centaines, voire des milliers. Ce sentiment familier d’être enfin dans mon élément me rend enfin un peu de sentiment de contrôle. Je fournis un effort conscient et monumental pour me reprendre et récupère un peu ces esprits enfouis et perdus dans les limbes de l’incompréhension. Je cligne quelques fois des yeux puis redeviens enfin l’avocate que je suis, noble dans l’attitude, affutée dans l’esprit. Je porte sur elle et son apparence délabrée un regard de pur jugement parfaitement maitrisé avant de dire :

« J’imagine que ce que tu veux c’est de l’argent. » Que pourrait-elle bien vouloir d’autres après tout ? Toute la difficulté va être de lui offrir peu en lui faisant croire qu’on lui donne beaucoup. Je veux savoir ce qu’elle sait, mais jamais je ne me ferai avoir par une parasite. D’un air assuré, laissant de côté toutes mes questions qui me pourrissent l’âme, je reprends : « Dis-moi ce que tu sais et je te paierai en conséquence. »

Qu’il est dommage que j’en sache si peu sur elle, il est toujours avantageux d’avoir le plus d’informations possibles sur la personne avec qui l’on négocie. Et je déteste l’idée qu’elle puisse ici être en position de force, ses informations si précieuses contre mon argent si banal. Mais l’avantage des pauvres, c’est qu’ils feraient n’importe quoi pour quelques malheureux dollars.
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Dim 2 Avr - 18:25 (#)

Miroir Noir

Rien. Non, rien ne heurtait plus que la vision de son âme dans toute son horreur.

Enfouir ses mains dans la boue de son inconscient, en extraire le charbon noirci de son essence nocive, et la lever à bout de bras devant ses yeux, sous la lumière factice de sa conscience. La crasse apparaissait alors dans notre paume, sous nos yeux incrédules, et nous hurlions en cœur, comme un nouveau-né subissant sa première inspiration ; la souffrance à vous rendre fou, le déni désespéré, la joie amère, tout cela nous étranglait en même temps. La sensation d’étouffer sous un torrent d’immondices, qui noyait cette maladive parcelle d’humanité que notre ignorance avait cherché à préserver à tout prix. L’inhumanité insoutenable, la monstruosité sans nuances ni espoirs, une abomination qui nous fixait jusqu’à l’accepter complètement.

Dans mon cas, j’étais morte à petit feu. Des mains inconnues m’avaient forcé à contempler un soleil noir, à avaler sa cascade de rayons morts, jusqu’à ce que mes yeux fondent dans leurs orbites. Rien n’était resté de l’Alexandra d’autrefois, pauvre petite chose balayée par l’atrocité de sa condition, et l’horreur qui l’avait remplacée derrière ses yeux morts, avait utilisé le cadavre de l’humaine comme un abject terreau. Et je regardais la face maquillée et crispée de l’avocate avec ces yeux-là, ces pupilles au bleuté trompeur qui, au fond, étaient aussi noires que des billes de charbon : dépourvues de tout optimisme, saturées de fatalisme.

Je la comprenais. Oh, comme je la comprenais. Je n’éprouvais aucune empathie pourtant, à raison pour une créature aussi déplaisante, mais je devinais sans peine le cheminement de ses pensées. J’étais passée par cette phase moi-aussi. Avec ces formules que l’on répétait comme un mantra, cette répulsion de soi-même, que je ne voulais plus entendre aujourd’hui : qu’est-ce que je suis, qu’est-ce que j’ai fait, qui est chose qui ne peut pas être moi. Cette voix d’alors, celle d’Alexandra la victime était morte et enterrée, point. Je n’avais aucune intention de souffrir à l’entendre de nouveau par la bouche de l’avocate pincée, ce miroir inversé de moi-même, qui se tenait murée dans son silence, sans aucun doute choquée malgré toute son éloquence.

J’ai remué pensivement mon verre d’eau. Les glaçons ont teinté, meublant quelque temps ce silence lourd enveloppant notre discussion. J’aurais voulu un coca, ai-je pensé en affichant un rictus. L’avocate face à moi a semblé perdre de sa superbe, et j’ai attendu patiemment, en devinant que cette créature de luxe et de paraître n’avait jamais envisagé son inhumanité. Qui s’en souciait ? Pas moi. Bien au contraire, mieux je comprenais sa fébrilité, plus le désir sadique d’enfoncer le couteau dans la plaie se faisait pressant. Enfin, l’avocate a pris une inspiration, et le mépris a de nouveau fait étinceler son regard de pétasse suffisante.

Un sursaut moqueur m’a animé suite à sa proposition. « Juste du fric ? J’me sens insultée. Mes informations valent plus que du stupide papier. »

Pathétique. C’était donc cela, son dernier rempart ? Son fric, sa carrière, son clinquant ! Rien qui ne puisse tomber en poussière quand la fatalité frapperait à sa porte. J’ai secoué la tête, moqueuse, comme son déni se faisait de plus en plus évident. Je me suis penchée vers elle, accoudée contre la table, les mains jointes sous mon menton pour bien articuler chaque syllabe, telle une tortionnaire brûlant la chair au fer rouge.

« T’as compris ce que je t’ai dit au moins ? Je ne suis pas humaine. Tu n’es pas humaine. Qu’est-ce que j’en ai à foutre du fric des humains ? Quand ta vie et tes rêves vont s’écrouler autour de toi, c’est pas le fric qui va te sauver. »

D’où venait ce soudain plaisir ? Un afflux de dopamine m’a irradié les sens en prononçant ces mots, et je me suis surprise à vouloir l’enfoncer davantage. Anéantir ses espoirs et la condamner bien avant l’heure. Peut-être n’était-elle pas vouée à suivre le même chemin que moi. Peut-être allait-elle trouver une autre voie que la mienne. Peut-être pouvait-elle encore être sauvée. Je m’en moquais. Je ne sauverai jamais personne.

« Paye mon loyer, ça m’arrangera. Mais ça ne suffira pas, » ai-je continué d’un ton acerbe. « Et me prends pas pour une conne. Je t’ai déjà dit beaucoup, j’te donnerai rien de plus gratuitement. »

Je l’ai fixé un instant. Puis le plaisir vicieux de lui faire mal est revenu à la charge, et je me suis interrogée sur moi-même encore une fois : d’où venait-il ? Était-ce pour moi un moyen de prendre ma revanche sur toutes les souffrances subies ? Étais-je en train de déverser sur elle toute l’amertume de l’ancienne Alexandra ?

« Moi, j’ai pas besoin de toi. J’peux me barrer d’ici et oublier ton existence, si j’ai envie. Par contre toi, tu vas vers un sacré calvaire sans moi. »

Moi, habituellement si détachée, me voilà en train d’éprouver de la satisfaction à enfoncer la tête de cette femme sous l’eau ; une créature certes infecte et qui méritait certainement son malheur. Un plaisir qui se muait en une colère sourde, que je découvrais un peu plus chaque jour, mijotant au fond de mon âme. J’étais apparemment l’une de ces monstres en fureur perpétuelle. Peu importe, ai-je ruminé, froissée par mon manque de désinvolture, malgré toutes mes tentatives de demeurer indifférente à son sort.

Je me suis laissée tomber contre le dossier de la banquette. « Ce sont des services qui m’intéressent, avec des bénéfices à long terme. Le fric, c’est accessoire. »

La colère et de vieux sentiments se sont entrecroisés au fond de moi, au sein de cette âme monstrueuse qui cherchait à se débarrasser de ses anciennes sensations humaines. La rancune et la jalousie, à l’idée de partager ces précieuses informations, que mes terribles souffrances avaient payées aux ténèbres. Et quelque part, au fond de cette fosse remplie des cadavres putréfiés de mes rêves, se tapissait cette chose froide et maligne, qui ne cherchait qu’à tirer profit de la misère de l’avocate. Quelque chose qui n’éprouvait nul sentiment, non, rien du tout. Rien.

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Anonymous
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Mar 4 Avr - 7:35 (#)

Hélas elle n’est pas assez stupide pour se laisser avoir par la proposition d’argent comme l’aurait fait tous les pauvres hères sans expérience. L’argent c’est simple, un chiffre sur un compte qui passe sur un autre, un rêve pour les démunis, une broutille pour les gens comme moi. L’argent, ce sont ces miettes que l’on jette aux miséreux en leur faisant croire qu’ils remportent haut la main une négociation alors qu’on aura oublié cette perte dans la seconde. Je retiens un soufflement agacé, et me contiens encore plus quand je découvre qu’au lieu d’enfin poser ses demandes, elles préfèrent prendre un malin plaisir à retourner le couteau dans la plaie. Mais c’est trop tard maintenant, je vois ton vil jeu, et ne crois pas être la première à tenter de me déstabiliser ainsi. Oh, c’est bien la première fois qu’on utilise ces arguments-là, bien que l’on m’ait déjà traité de monstre, mais le procédé est toujours le même. Je ne te laisserai pas jouer avec mes émotions, je ne te laisserai pas croire que je suis une pauvre petite chose malléable. Un soupir méprisant quitte ma gorge avant que je ne lui dise d’une voix tranchante :

« Oui c’est bon, j’ai compris, inutile de le répéter comme une fillette en manque d’attention. Et puis bon, je suis censée te croire sur parole ? Je pourrais tout aussi bien affirmer que je suis une licorne volante avec des pouvoirs de fée et le répéter en boucle, ça n’en ferait pas la vérité. Les paroles ne sont pas grand-chose, seules les preuves comptent. »

Je balaye volontairement les preuves que je détiens déjà, celle de mes pouvoirs, des siens, de ce sentiment si étrange qui émane en sa présence, mais cela ne signifie pas grand-chose, n’est-ce pas ? Cela ne signifie pas que je ne suis pas humaine. Et quand bien même, me dire ce que je ne suis pas ne m’apprend que peu de choses sur ce que je suis. Dire que je suis avocate est bien plus pertinent que de dire que je ne suis pas comptable. Je décide de ne rien croire tant qu’elle ne m’aura rien dit de concret, et tant qu’elle ne m’aura pas donné de preuve. Je laisse couler cette conversation dans le calme de l’hypothèse, noyant par la même la peur et l’angoisse qui m’ont rongée quelques minutes plus tôt, étouffant ce chuchotement qui me rappelle les signes que j’ai moi-même vu. Les faits, je dois me concentrer sur les faits, pas sur les spéculations et délires d’une journaliste piteuse.
Je la laisse déblatérer injures et menaces sous un regard devenu froid et calculateur. J’ai l’habitude de ce genre de négociation, face à des clients dont on achète le silence et qui menacent de toute révéler si on ne leur donne pas ce qu’ils veulent. Bien que l’enjeu soit ici strictement l’inverse, les mécanismes à l’œuvre semblent curieusement similaires. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière. Et enfin elle s’approche de sa cible. Des services, sans plus de précision. J’ouvre la bouche pour rétorquer mais deux coups feutrés cognent la porte coulissante de la partie privative. Je referme mes lèvres, laissant mourir ces quelques mots tandis que la porte s’ouvre et que plusieurs serveurs entrent avec un défilé de plats tous plus alléchants les uns que les autres. Les assiettes sont expertement disposées sur la table en un bel assemblage et les douces fragrances de la nourriture emplissent l’alcôve. On nous souhaite bon appétit et la porte se referme sur la même ambiance tendue, mais cette fois teintée de la douceur du banquet. Il s’agit d’un de ces menus où tous les plats sont dans des portions modestes et que l’on se partage. Ce n’était sans doute pas le meilleur choix qui soit, l’idée même de partager ma nourriture avec elle me repousse. Pourtant, j’attrape les baguettes en bois massif et commence :

« J’en ai assez de ce petit jeu. » En un regard, je choisis un plat alléchant et y prends un morceau en continuant :  « tu n’es pas venue ici sans avoir une idée bien précise de ce que tu veux, alors parle. »

Je glisse le morceau dans ma bouche et y découvre que le goût pourtant exquis ne parvient pas à masquer l’amertume que m’inspire cette situation. Sait-elle vraiment ce qu’elle veut ? Peut-être erre-t-elle dans la vie sans même savoir ce qu’elle désire, auquel cas je n’ai pas de temps à perdre à négocier avec elle. Des gens pareils ne s’amusent qu’à voir jusqu’où ils peuvent aller, ils se délectent de tirer la corde du possible jusqu’à ce qu’elle s’effiloche et rompe. Je ne suis pas à ce point désespérée. Je suis Anna Janowski et je ne me laisse pas marcher dessus ainsi, encore moins par une punk, peu importe ses connaissances ou révélations.

Mais malgré tout ce chuchotement furtif demeure quelque part au fond de mon esprit. Et si… Et si ce qu’elle disait était vrai ? Si on était pas humaines, comme le murmure cette impression tenace qui paraît s’agripper à mon cœur comme un insecte récalcitrant s’accrochant à une faille sombre dont il ne souhaite pas partir ? Quels genres de choses pourrait bien vouloir une telle personne ? Quelle demande pourrait franchir ses lèvres et me glacer le sang ? Je brûle de savoir ce qu’elle sait, mais pas à n’importe quel prix. J’ai déjà trouvé deux de ces personnes qui réveillent ce sentiment bizarre, alors pourquoi pas un autre ? Un qui serait direct. Un qui serait manipulable. Un qui ne disparaîtrait pas.
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Jeu 6 Avr - 19:14 (#)

Miroir Noir

Ah, ce cher déni. Cette dernière bouée à laquelle l’âme s’accrochait avec la force du désespoir, pour éviter la noyade dans une mer de souffrances. Des flots de colère, où l’écume furieuse masquait encore cette noirceur que l’on devinait sous nos pieds, une abîme de doutes qui n’attendait qu’un moment d’abandon pour submerger la conscience. Au-delà de toutes les apparences que l’on cherchait à maintenir, l’instinct finissait par apercevoir la créature s’éveiller sur le lit de l’océan, cette chose retorse et patiente, levant son regard pour croiser le nôtre. Alors le doute devenait une angoisse, qui se transformait en paranoïa, puis en terreur absolue, jusqu’à étouffer toute volonté de nier, toute volonté d’ouvrir les yeux et de vivre.

Je l’avais vécu, tout cela. J’étais en terrain connu, rebattu même. L’avocate et moi étions similaires, et j’étais presque certaine que celle-ci parcourait à présent le même chemin dénué d’espoir. Une réaction en fin de compte humaine, rien de moins que le refus obstiné de voir les signes et d’écouter les murmures fielleux que l’âme moribonde soufflait à notre conscience. Les pleurs, et l’envie d’en finir ensuite, ai-je pensé en l’écoutant distraitement riposter contre l’évidence de mes paroles. Sa défense désespérée ne m’intéressait pas. Je suis restée impassible, tandis que les serveurs entraient dans l’alcôve, et disposaient les divers plats fumants autour de nous. Aucun steak-frites, donc. J’ai jeté un regard appréhensif vers les baguettes de bois.

« Tu te donnes vraiment trop d’importance, » l’ai-je raillé, en saisissant lesdites baguettes.

Bordel, on doit se servir de ça ? J’ai observé l’avocate piocher dans les assiettes avec aisance, passablement irritée d’avoir à me plier à ce numéro de cirque culinaire. Pourquoi n’avions-nous pas droit à des couverts normaux ? Nous étions en Amérique, merde, pas dans le secret des fourchettes volantes. J’ai ruminé ma mauvaise humeur dans ma barbe, en essayant tant bien que mal d’attraper un morceau de viande dans l’assiette la plus proche. Peine perdue. Ces stupides bouts de bois se sont croisés d’eux-mêmes, et le bout de barbaque est retombé dans sa feuille de salade. À ma troisième tentative, je suis enfin parvenue à le coincer dans un équilibre précaire, tremblotant, jusqu’à le porter à ma bouche et y mordre.

J’ai mastiqué, mon appétit ruiné par la frustration autant que l’humiliation. « On peut pas demander des couverts normaux, non ? »

À croire que la pimbêche Janowski avait choisi ce restaurant exprès. J’ai essayé d’attraper un nems, lequel a effectué un salto par-dessus mes baguettes, dispersant un peu de sauce autour de lui. La seconde tentative m’a permis de l’attraper pour l’échapper aussitôt, à mi-chemin de ma bouche, le faisant rebondir sur mon menton et chuter sur la nappe. Ce cirque commençait sérieusement à me mettre de travers. Je l’ai attrapé avec les doigts, et l’ai gobé d’un coup, malgré la désapprobation très probable de l’avocate. Entre deux bouchées, j’ai essayé de rattraper le fil de la discussion, en dépit de toute cette mauvaise humeur qui s’accumulait en moi à cause de ce repas décousu et de ses couverts stupides.

« Ce que j’veux, c’est des noms et des adresses. T’es quelqu’un avec des relations, j’imagine, alors j’ai besoin que tu me trouves des CESS. Des comme nous, mais surtout des arcanistes. J’ai aussi une personne précise à retrouver, j’te filerai le nom. Tes informations contre mes informations, en gros. »

J’ai pointé ma baguette vers elle. « Ce que j’fais de ces informations, ça me concerne. J’te demande rien de plus. »

J’ai fixé les plats en soupirant. Nouvelle tentative d’acrobatie. J’ai attrapé du premier coup une boulette de riz, qui a encore une fois échappé à l’emprise de mes baguettes à mi-chemin de ma bouche. La nourriture a chuté exactement au-dessus de mon verre, émettant un ploc humide, en plus d’une petite éclaboussure d’eau sur mon t-shirt. J’ai serré les dents durant dix secondes de silence, l’œil mauvais fixé sur ces foutues baguettes merdiques. Cette colère issue de la frustration m’a fait monter le rouge aux joues, et j’ai entrepris de sortir les morceaux de riz du verre à la main. Bon, ça suffit, ai-je ruminé après chaque grain récupéré de la noyade, en m’essuyant lentement les doigts sur ma serviette de table qui s’humidifiait rapidement.

Cette même main s’est mise à fourmiller. Les nerfs à l’intérieur de mon avant-bras ont commencé à se durcir et à se tordre comme des câbles, tandis que je me laissais aller à une transformation. La peau a craquelé, les veines se sont distendues, et toute l’épiderme en dessous de mon coude droit a noirci, comme contaminée par une marée d’encre sous-cutanée. Les veines ont charrié un liquide noir, qui est ressorti par transparence au travers de la chitine recouvrant lentement mon bras, de la même manière que des artères traversant un organe à nu. Les articulations des phalanges ont été parcourues de soubresauts et de sinistres craquements, puis la chitine a bousculé les os, afin de les réorganiser en serres crochues d’insectes.

Transformer ce bras m’était plus aisé, désormais. J’ignorais pourquoi. Peut-être était-ce parce que, autrefois, ma métamorphose avait débuté par cette même main qui se tordait aujourd’hui sur la table, prise d’une vie propre. J’ai laissé le fourmillement escalader mon bras jusqu’au coude, puis s’estomper, avant de remuer ces serres chitineuses, aussi lisses et résistantes qu’effilées et précises, comme des mandibules.

« Donc, qu’est-ce qu’on disait ? Ah ouais, les preuves... » ai-je conclu nonchalamment, en abandonnant les saloperies de baguettes.

J’ai tendu cette horrible main droite vers une assiette. Collecter la nourriture avec ces pinces dépourvues de peau et recouvertes d’une carapace brun-noir, était bien plus facile. J’ai utilisé les pointes tranchantes pour poinçonner trois morceaux de poulet, un à chaque doigt, avant de croquer dedans à la manière d’une brochette. J’ai désigné de ma main libre, celle humaine cette fois, un petit pot de sauce à côté de l’avocate.

« Tu peux me passer cette sauce, là-bas ? J’ai la main prise. »

L’appétit était revenu.

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Anonymous
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Sam 8 Avr - 8:30 (#)

Je ne relève même plus ses piques risibles d’adolescente en colère contre le monde entier. J’en lèverais presque les yeux au ciel, oubliant l’espace d’un instant le sujet même de cet entrevue. Pourquoi faut-il donc que j’ai une telle interlocutrice pour un sujet qui semble si terrible, si primordial ? Je la vois saisir les baguettes d’un air malhabile et tenter de picorer un morceau ou un autre avec la délicatesse d’un gorille des montagnes. Devant ses gestes infructueux et manquant de distinction et de délicatesse, je ne peux que me dire que finalement le tee-shirt qu’elle portait à notre première rencontre lui allait comme un gant. Un sourire moqueur se dessine sur mes lèvres tandis que je secoue négativement la tête à sa question. Je me doute bien que dans un tel endroit il doit être tout à fait possible d’obtenir d’autres couverts, mais les choses sont bien plus distrayantes ainsi. Armée de mes propres baguettes, je saisis sans mal un mets, puis un autre, me sustentant avec finesse et élégance. En observant ses gestes balourds et ses misérables échecs, une douce chaleur sentant bon la supériorité et le contentement remplie ma poitrine comme toutes ces fois où les minables qui tentaient de m’extorquer se faisaient remettre à leur place. Entre deux gestes d’une maladresse vulgaire, elle avoue enfin ce qu’elle désire. J’en hausserais presque un sourcil d’étonnement. D’un certain point de vue, il s’agit là de peu de choses. D’un autre point de vue, c’est sans doute une des choses les plus risquées qu’elle puisse me demander. Que faire si des rumeurs commencent à courir comme quoi je cherche des CESS ? Et si son but était de faire disparaître les personnes qu’elle me demande de retrouver ? Il faudra être discrète et maline. Tout en mangeant quelques mets délicats, je lui jette un regard méfiant, élaborant moult théories sur le pourquoi d’une telle demande. Tandis qu’elle continue son cirque des plus distrayants, je pèse rapidement le pour et le contre de sa demande. Et alors que j’en concluais finalement que ce serait peu cher payé, mes doigts se crispèrent sur mes baguettes en voyant son bras.

J’écarquille les yeux de surprise, pensant avoir mal vu, puis un cri aigue m’échappe un instant face à cette ignoble métamorphose. Je plaque vivement et presque brutalement mes mains sur ma bouche pour me faire taire. Faites que personne ne m’ait entendu dans le restaurant, je ne veux pas être vue avec ça. Instinctivement, j’ai reculée dans la banquette autant que faire se peut. Mes yeux sont maintenant si écarquillés que je sens le bout de mes cils durcis par le mascara frôler ma peau et tout mon corps n’est plus que tension face à cette immonde spectacle. Un peu plus et j’en tournerais de l’œil. Mon regard est figé, tétanisé sur cette horreur mouvante qui remplace peu à peu son membre, cette abomination. J’en ai la nausée. Le souffle me manque, et je me rends subitement compte que je ne respirais plus depuis une seconde ou deux, trop choquée. Quand enfin l’air circule de nouveau dans mes poumons rigidifiés par la peur, je sens comme une brûlure terrible d’avoir retenu mon souffle. Je prends quelques inspirations trop rapides alors que, comme si de rien n’était, elle commence à planter cette horreur dans la nourriture pour la grignoter. Je retiens un haut le cœur en détournant le regard, trop tard hélas, fixant un point aléatoire au sol et tentant de chasser l’image rémanente de mon esprit. Presque prostrée, c’est à peine si j’entends sa question trop banale pour la situation. Mes neurones s’activent, reliant ensemble ce que je viens de voir et ses affirmations selon lesquelles nous sommes pareilles. Non. Je ne veux pas. D’une voix tremblante et faible, je dis :

« Je. Je ne suis pas ça. Je ne suis pas comme ça. »

Et jamais, jamais je ne le serai.
Je ne sais même pas ce que c’est supposé être. N’y a-t-il pas que les garou capables de changer ainsi ? Mais cette chose n’a pas de fourrure. Je ne veux pas le voir de nouveau. Je ne veux plus jamais rien voir de semblable. Et pourtant, j’ai besoin de savoir. Il le faut. Je le ressens comme un besoin impérieux qui peu à peu grignote ma patience pour me plonger dans une abîme d’expectative. Je ne vais pas devenir comme ça. Pas vrai ? Quelques secondes ont l’air d’être des heures alors que je tente de rameuter mon courage. Au prix d’un effort qui me paraît gargantuesque pour calmer ces vagues odieuses et nauséabondes de dégout, j’enjoins d’une voix un peu trop suppliante à mon goût :

« Range ce truc. Imagine si des gens le voyaient ! » Imagine si l’on me trouvait, moi l’avocate des humains contre les CESS, en présence d’une chose aussi manifestement surnaturelle que répugnante. Ce serait affreux. Mon regard quitte le sol pour rejoindre la table dont le buffet semble subitement moins appétissant. Toujours en évitant de croiser l’effroyable image, je poursuis : « Je vais te fournir ce que tu veux, mais j’exige de ne plus avoir à subir ce… » Je fais un vague geste qui doit sans doute la désigner tout entière tant je ne souhaite pas revoir l’immondice rattachée à son bras. « … ça. »

Je me rends bien compte que l’emploi même du terme ‘exiger’ pourrait la pousser dans l’exact inverse, mais je suis trop bouleversée pour décortiquer chacun de mes mots avant de les prononcer. L’espace d’un instant je me rends compte du ridicule de mon état et mon ego ne saurait me permettre de demeurer ainsi. Prenant conscience de ma posture prostrée semblable à celle d’une fragile victime, je me redresse lentement pour retrouver la verve de l’avocate. J’abandonne même un regard méprisant vers la journaliste, avec toujours cette embarrassante pointe de crainte, et reprends d’un air docte qui, je l’espère, est porté par une voix qui ne tremble plus :

« Et comment pourrais-je te donner ce que tu veux si on nous surprend alors que tu as cette chose ? Ma carrière repose sur mon opposition au CESS. Rien qu’en te montrant ainsi avec moi tu détruirais ta source d’information. »

J’espère qu’au moins cet argument fera mouche. Même si j’ai repris mes grands airs habituels, il ne s’agit là que d’une façade sous laquelle grouille toujours cette peur et ce dégoût. Qu’est-ce que c’est ? Est-ce cela qui m’attend ? Ou alors se moque-t-elle de moi depuis le début et nous n’avons en fait rien de semblable ? Je relâche une inspiration trop longtemps retenue en lissant mes vêtements pour me donner contenance.
Curieusement, je n’ai plus d’appétit.
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NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
Alexandra Zimmer
Alexandra Zimmer
NAPALM ROACH : j'adore l'odeur du non-respect au petit matin
FULL DARK NO STARS
En un mot : We're all mad here. I'm mad. You're mad.
Qui es-tu ? :
- Infréquentable et associable romancière pleine de mauvaises humeurs, d'ironie cinglante et d'indifférence, cachant une âme noire et liée aux enfers.
- Allergique à l’autorité avec une langue trop bien pendue pour sa propre sécurité, elle cherche à fuir ce monde humain dans lequel elle se sent étrangère.
- Écrivaine autrefois invisible dont seul le site internet attestait de son existence, elle est l'auteur anonyme d'un livre étrange et dérangeant, dicté par son propre père.
- Américaine et pourtant guère attachée au moindre patriotisme, elle erra longtemps sans attaches ni allégeances, avant d'être l'alliée forcée du plus terrifiant des Princes.
- Une antre modeste dans les Kingston Buildings masque ses noirceurs, ses poches trouées, ses écrits en vrac et une Honda 350 récemment achetée.

Facultés :
- Fille longtemps ignorante du Prince Hornet, l’ombre de celui-ci a influé sur sa vie, en étouffant une à une les dernières lueurs de son âme.
- Au gré des rencontres, des créatures de la nuit et du rêve d'une sorcière noire, ses perceptions se sont aiguisées et lui ont révélé bien des choses.
- Monstrueuse créature, la forme du cafard l'habite depuis toujours, bientôt sublimée et portée à son paroxysme par l'influence d'Hornet.
- Remarquable plume, ses mots sonnent justes, acérés, et empreints d'une ombre beaucoup plus grande qu'elle-même.
- Une insupportable teigne dont les répliques teintées de fiel déclenchent vexations, colères et peines autour d'elle.

Thème : Nick Cave & The Bad Seeds : Red Right Hand
You'll see him in your nightmares
You'll see him in your dreams
He'll appear out of nowhere but
He ain't what he seems
You'll see him in your head
On the TV screen
Hey buddy, I'm warning
You to turn it off
He's a ghost, he's a god
He's a man, he's a guru
You're one microscopic cog
In his catastrophic plan
Designed and directed by
His red right hand

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Crédits : Lyrics: Nick Cave & The Bad Seeds ; Avatar: @vestae-vocivus
Dim 16 Avr - 18:57 (#)

Miroir Noir

J’ai eu du mal à contenir un fou rire.
Pour la première fois depuis notre rencontre initiale, l’avocate, l’héroïne des honnêtes citoyens américains, affichait enfin une expression authentique. Terreur et répulsion déformaient ses traits d’habitude si délicats, si maîtrisés, alors que sa personne toute entière était crispée dans une posture de fuite désespérée. À la voir ainsi, j’ai eu l’impression que Janowski s’apprêtait à creuser un trou dans le mur, à la seule force de ses ongles vernis de princesse prétentieuse. J’ai admiré avec amusement son faciès de poupée de luxe se barrer d’une émotion spontanée, qui n’avait rien de surjouée pour une fois, et ses beaux vêtements perdre le pli précautionneux qu’elle s’acharnait à maintenir en toutes circonstances. Un délice pour les yeux.

« Première fois, hein ? » ai-je fait, ouvertement moqueuse, un rictus goguenard relevant le coin de mes lèvres. « En vrai, t’es vachement plus attirante avec une vraie émotion. Faudrait le faire plus souvent. »

J’ai échappé un ricanement. Une moquerie qu’elle n’entendit sans doute pas, trop occupée à se perdre dans la contemplation du miroir, face à ce reflet ricanant que je lui montrais. Ne l’avais-je pas prévenu, pourtant ? Ne lui avais-je pas clairement appris, que nous étions des horreurs inhumaines ? Voulait-elle voir plus ? J’ai caressé l’idée de lui montrer bien pire, mais après son cri de volaille apeurée, j’ai préféré temporiser : mieux valait conserver les émotions fortes sous cloche, en particulier dans ce lieu public. La cloche en question est restée tétanisée un bon moment, le corps replié comme dans la crainte d’un coup, la respiration laborieuse et sans doute proche d’une crise de panique. Elle a continué à ahaner des bouts de phrase d’une voix atone.

J’ai joué délibérément à l’idiote. « Ça quoi ? Oh, Ça ? » ai-je fait en remuant mécaniquement les griffes d’insectes de ma main droite. « Bah quoi, tu voulais des preuves, non ? »

Tout en décortiquant avec un plaisir sadique sa crise de terreur, j’ai picoré les plats, attrapant çà et là de la viande, des poissons frits et des légumes assaisonnés. Les tarses d’insectes au bout de mon bras saisissaient avec aisance chaque aliment, parfois plusieurs à la fois, les perçaient et les trempaient indépendamment dans les coupes de sauce. Pas si mal finalement comme bouffe, ai-je pensé en savourant autant les saveurs, que ce petit parfum de victoire émanant de l’avocate choquée. Cette dernière fixait avec effort le sol, dans le but évident d’éviter de regarder ma main d’insecte, que j’utilisais pour me servir juste devant elle.

« Ah, mais moi je récolte juste les informations. J’compte pas m’insérer dans ta vie, dans ton travail, ou peu importe où. Tu m’files des informations intéressantes, j’te paye avec les miennes. D’ailleurs, tu me passes la sauce, oui ou merde ? »

Quelle impolitesse. Comme l’avocate semblait occupée à lisser, une fois encore, sa saloperie de jupe, je me suis penchée par-dessus la table pour attraper le pot de sauce à côté d’elle. Il fallait tout faire soi-même. J’ai saisi le petit pot entre deux segments, tandis qu’un autre ouvrait avec précision le couvercle, et je me suis rassise aussitôt, ignorant superbement les récriminations de l’avocate. Qu’elle soit choquée, peu importe, je n’avais aucune obligation envers Mademoiselle Coincée du Barreau, et sa horde d’honnêtes américains. J’ai saucé mon assiette de viande, juste au moment où quelqu’un toqua soudainement à la porte de l’alcôve.

J’ai caché à toute vitesse ma main difforme sous la table. De justesse.

Les doubles battants se sont ouverts, laissant apparaître l’employé de tout à l’heure, celui qui filtrait l’entrée et qui semblait couver la Janowski d’une attention toute mielleuse. Il m’a adressé un regard suspicieux, alors que je faisais mine de m’appuyer sur ma jambe, la main droite sous la table, en tenant les baguettes inutiles de l’autre main. Puis, son amabilité artificielle s’est tournée vers sa chouchoute, de l’autre côté de la table.

« Mesdames, est-ce que tout va bien ? » s’est-il enquit. Il a jeté un regard appuyé à Janowski. « Nous avons cru entendre un cri, il y a un problème ? »

J’ai levé les yeux au ciel. Pendant tout ce temps, à l’abri des regards, je faisais de mon mieux pour révoquer la transformation de ma main, qui reprenait très lentement une forme humaine. C’était très désagréable. Le picotement de la chair qui repousse, s’est mêlé aux petites douleurs de la structure osseuse qui s’arrange de nouveau, beaucoup trop tôt. La transformation avait duré quelques minutes, laissant mon bras engourdi et perclus de crampes, comme si les mécanismes de l’insecte n’avaient pas eu le temps de se déployer.

J’ai jeté un coup d’œil vers l’avocate. « Elle s’est un peu brûlée la langue, c’était un cri de surprise. Elle va s’en remettre. D’ailleurs, est-ce qu’on pourrait avoir des couverts ? »

Nouveau regard dans ma direction. Nouveau dédain. Ma main me démangeait. J’devrais t’en coller une, ai-je ronchonné au fond de moi-même, tandis que le serveur scrutait à nouveau l’avocate, à la recherche d’une quelconque preuve attestant d’une agression de ma part. Qu’est-ce qu’elle avait ma tronche, à la fin ? Cette foutue métamorphose m’avait arraché mes tatouages et mes piercings, pourquoi n’avais-je pas la tête d’une honnête citoyenne ? Sans doute était-ce, en fin de compte, mes cheveux en vrac, et peut-être un peu mon t-shirt sataniste. Un rien perturbait ces nantis. J’ai toussoté pour attirer l’attention, en reposant ma main droite, redevenue normale et endolorie, sur la table pour agiter les baguettes de bois à sa vue.

« Des couverts, bien sûr, tout à fait. » a-t-il finalement abondé d’un ton pincé et contrarié. Sans doute était-il déçu de n’avoir aucun prétexte pour m’expulser. « Je vous apporte ça immédiatement. »

L’homme a tourné les talons, et fermé doucement les battants de l’espace privatif. Nous nous sommes à nouveau retrouvées en tête à tête, l’avocate simplement un peu plus pâle qu’à notre arrivée. J’ai soupiré.

« Tu vois, relax, tout est sous contrôle. Pas besoin de flipper comme ça. Bon, alors, marché conclu ? Ou t’as encore des exigences ? »

J’ai prononcé le mot exigences avec une voix nasillarde, et un mépris souverain. Le même que le sien, en fin de compte. Une manière d’asséner à cette femme, qu’elle n’avait absolument aucun moyen de me contraindre à quoi que ce soit, et qu’elle avait mis les pieds dans quelque chose de plus vaste, de plus nocif, que la simple hypocrisie de la justice humaine. Mademoiselle Janowski s’apprêtait à emprunter les couloirs sinueux d’une sinistre fourmilière, et qui sait vers où ces tunnels obscurs allaient la conduire ?...

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