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| La musique adoucit les mœurs | Luther | |
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| « C’est une blague, bordel. » J’étais tellement énervé. Ces enfoirés, non mécontents d’avoir cherché à me voler le peu d’argent que j’avais réussi à obtenir – et honnêtement pour une fois – avaient également mis à mal ma guitare. On aurait cru qu’elle avait été balancée sans ménagement sur la chaussée principale. C’était peut-être bien ce qui était arrivé, en vérité. Le problème étant que, j’avais beau faire tout mon possible, les cordes étaient foutues, et même le chevalet avait pris un coup sévère. Par chance, le reste était intact. Quitte à ce qu’elle ressorte dans un état pareil, j’aurais mieux fait de m’en servir comme d’une arme contondante pour disperser ces petites frappes en un rien de temps.
Ça les faisait rire de s’en prendre à un SDF pour s’amuser un peu. J’en avais même surpris un avec son téléphone levé, prêt à filmer. Manque de bol pour eux, ils s’en étaient définitivement pris à la mauvaise personne… et surtout, l’occasion avait été bien trop belle pour que je n’en profite pas pour me défouler un bon coup. Le craquement sinistre de quelques os brisés n’avait fait qu’exciter davantage la Bête. J’avais plongé momentanément dans un état second. Celui qui filmait avait pris la fuite sans demander son reste, en poussant un cri terrifié. Il avait vu un monstre, peut-être ? Sûrement, même. Peut-être que mon regard avait pris à nouveau cette teinte animale. Si c’était le cas, j’espérais qu’il ferait tourner la vidéo auprès de ses petits copains, de quoi leur rappeler quelles créatures avides de sang erraient dans leurs rues à la nuit tombée. C’était moi que ça avait amusé, en fin de compte.
Il avait quand même fallu que je me résigne à arrêter de jouer pour ce soir, pour me mettre en quête d’un réparateur. Dommage, car toutes mes maigres économies allaient y passer. Le monstre était d’autant plus insupportable quand j’avais le ventre vide et, par-dessus tout, je devrais faire une croix sur un tord-boyau pour conclure ma soirée. Mais la situation aurait pu être pire, non ? J’aurais pu en réchapper en plus sale état qu’avec une pommette et une lèvre éclatées, qui guériraient avant même que je passe le seuil de la boutique. Par contre, mes côtes ressentiraient sans doute encore l’impact de la barre de fer dans les prochains jours. Ma démarche restait un peu chancelante, le dos voûté.
Ce qui était assez incroyable, à Shreveport, était à quelle heure certaine boutique pouvait fermer leurs portes. Celle-ci, précisément, était ouverte particulièrement tard. Et celui qui la tenait m’avait l’air d’avoir une bonne cinquantaine d’années, comme s’il avait toujours fait partie des meubles. Je ne me souvenais pourtant pas l’avoir déjà sollicité pour réparer ma gratte, certainement parce que j’avais abandonné l’idée de jouer pour prendre les armes aux côtés de Shepherds. Il avait fallu que je me retrouve à moitié mort, dépossédé de ce qui m’était le plus cher, pour que je retrouve le goût de jouer à nouveau. « Salut. » Je regardai à peine les modèles exposés, partant plutôt d’un pas lourd vers le comptoir pour y poser ma guitare. « Elle en a vu des meilleures… vous auriez de quoi la réparer ? » Je le laissai constater les dégâts, un peu dépité maintenant. J’étais au moins plus calme maintenant que j’avais pu me défouler un peu. « J’espère que ça va pas me coûter trop cher. Désolé, mais j’ai pas grand-chose… » Je fouillai mes poches pour en faire rapidement le compte, en grimaçant un peu. |
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| Le calme règne en maître, au sein de la boutique Allegro: au vu de l’heure avancée, rares sont les clients passant le pas de la porte, la plupart se ruant plutôt dans les bars du quartier. Un silence des plus bienvenus pour Luther, retranché dans son atelier en compagnie de Louise. Le vampire guide sa Marquée dans la fabrication d’un violon, attentif au moindre de ses gestes: si cette dernière n’en est pas à son premier instrument entièrement fabriqué par ses propres soins, cette commande est suffisamment pointilleuse pour qu’il reste à ses côtés. Appuie légèrement plus fort, quand tu sculptes la courbe.
Appuyant ses paroles par des gestes, Louise l’observe avant de les reproduire, attentivement. Comme ceci ? Le moindre de ses conseils, l’ancienne violoniste le suit sans hésitation, s’appliquant tout particulièrement dans son exécution: cela a toujours été sa manière d’apprendre, acceptant sans aucun mal les commentaires et conseils lui étant donnés. Excellent, concède Luther, allant de nouveau s’installer à sa table de travail. Tu n’auras bientôt plus besoin de mes conseils, commente-t-il avec un sourire: son intuition à son propos ne s’était pas trompée, des années plus tôt, en prenant la décision de lui venir en aide.
Un léger rire échappe à cette dernière. Pas encore, ne t’en fais pas. Il lui faudra encore une bonne semaine pour achever cette commande, tout l’enjeu étant de suivre les nombreux critères du client, demandeur d’un violon de grande qualité. Alors si Luther peut lui apporter son aide sur certains points de la fabrication, c’est sans le moindre refus. Comment se présente la réparation de cet alto ? lui demande-t-elle ensuite. Louise avait récupéré l’instrument deux jours plus tôt, non sans noter l’empressement certain de la cliente pour le ravoir le plus rapidement possible. Elle est terminée. Passons aux vérifications.
Elle l’observe s’emparer de l’instrument et le poser sur son épaule, avant de lui tendre un archet. L’ouïe décuplée de l’immortel s’attarde avec attention sur chacune des notes émises, vérifiant dans un même temps l’ajustement des cordes tout en jouant. Le son remplit la pièce pendant un long instant, avant que le silence ne revienne de nouveau. Parfait, commente-t-il simplement, reposant délicatement l’alto à sa place. Peu de temps après, c’est un tout autre bruit qui attire son attention: celui de la porte d’entrée et de la clochette accrochée juste au-dessus, annonçant l’arrivée d’un potentiel client.
Je m’en occupe, dit-il, sans lui laisser le temps de répondre. Enfilant sa veste, il lui suffit de faire quelques pas pour arriver dans la pièce principale de la boutique, derrière le comptoir. Bonsoir. Certes Luther sait composer avec l'extravagance de certains clients, mais de là à franchir le pas de la familiarité... C'est encore tout autre chose. Soit. Son attention se porte plutôt sur la guitare placée sur le comptoir, observant l'instrument sous toutes ses coutures. Effectivement, elle a pris un sacré coup. C'est à se demander ce qu'il a bien pu faire avec... Mais rien d'irréparable, à première vue.
Vient ensuite la question du paiement. Si Luther n'avait été qu'un simple mortel, nul doute qu'il aurait le souffle coupé face à tant d'audace, frôlant presque l'indécence. L'inconnu vient-il sérieusement demander la réparation de son instrument sérieusement amoché, en espérant que ça ne soit pas trop coûteux ? Ses yeux se posent de nouveau sur l'homme, auquel il n'avait finalement peu porté attention: pourtant, son aura ne laisse aucun doute: un thérianthrope. Ceci explique cela.
Ce n'est pas un problème, payez avec ce que vous avez. Je peux vous proposer une autre alternative, pour remplacer le reste du paiement dû. Il aurait été tentant pour le vampire de laisser libre recourt à son mépris latent pour les individus de son espèce. Mais il pense avant tout à la bonne réputation de sa boutique: mettre à la porte un client en difficulté financière l'écaillerait sûrement, serait insensé, alors qu'il s'est toujours montré indulgent avec les individus aux économies plus restreintes. Que diriez vous d'un travail à durée déterminée ? Rien de chronophage, je vous rassure, les horaires sont tout à fait adaptables. |
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