Sur une échelle de 1 à 10, à quel point c’est une mauvaise idée ? Franchement, je sais pas trop. Je pense que Granny serait pas jouasse à l’idée que je fasse ce genre de trucs, surtout que ça me laissera encore moins de temps pour mon apprentissage. Et puis, je sais pas trop ce que l’Eglise peut penser de cette boutique. Probablement rien de mal, sinon je suppose que je l’aurais appris, d’une façon ou d’une. Enfin, fondamentalement, vu que j’ai pas posé directement la question, c’est ptet pour ça que j’ai pas vraiment eu de réponse.
J’ai un soupir, alors que je me mordille la lèvre, u peu indécise. Après, faut dire que, si j’aime mon boulot le weekend au cinéma, la semaine, promener les chiens ou autre, ça commence vraiment à me saouler. Et j’aimerais vraiment faire des trucs plus intéressants, voire – soyons fous – en lien avec ma nature. Alors, après avoir posé quelques questions, après m’être dit que valait mieux viser une petite boutique plutôt qu’un gros truc, juste histoire de voir les premières réactions, j’ai fini par porter mon dévolu sur le Sorcerer’s pawn, après avoir entendu des gens en parler. Ouais, je sais, j’ai des bonnes méthodes de recherche hein. A se demander comment je fais pour être toujours en vie aujourd’hui ou un truc du genre. Bon, j’exagère peut-être un peu, mais alors juste un peu.
… enfin bref !
Toujours est-il que c’est comme ça que je me retrouve, un peu paumée, à chercher ladite boutique, un bout de papier dans une main, mon téléphone dans l’autre. Mon GPS fait des siennes et je me retrouve à tourner en rond pendant 10 bonnes minutes avant de finir par enfin trouver mon chemin. Bon, si on prend pas en compte que, d’après mon téléphone, je marche en crabe, je pense que je suis dans la bonne direction. Un jour, j’aurais le sens de l’orientation. Parait que ça sert des fois, mais dans l’immédiat, ça fait pas partie de mes priorités. Le jour où je serais en rade de batterie, je suppose que je verrais les choses autrement mais comme ça a jamais été le cas, bah…
Je finis par me retrouver devant la porte, hésitant à peine un instant avant de me laisser entrainer par ma spontanéité habituelle. La petite clochette signale ma présence, même si je suppose qu’ils ont d’autres moyens de savoir que je viens de débarquer. « Mmmmh… ça sent bon… » Soufflé dans un murmure rêveur, alors que je me prends de plein fouet un tas d’effluves différentes et toutes aussi agréables les unes que les autres. La boutique est pas bien grande mais j’ai l’impression que tout semble parfaitement à sa place, c’est plutôt rigolo. Des objets magiques dans tous les sens, des plantes, des pendentifs qui pendouillent et j’en passe. Je pense que je pourrais passer des heures juste à trainer dans le coin pour arriver à tout observer à ma guise.
Mais je suis pas là pour ça !
Alors, je prends une grande inspiration et, forte de tout l’aplomb dont je suis capable, je me pare de mon plus beau sourire pour me planter devant la femme postée près de la caisse. « Salut ! Je m’appelle Naya. Et je suis sure que vous cherchez quelqu’un comme moi dans cette boutique. » Sur un malentendu, je suis sure que ça passe. Après, ptet que je réfléchirais à la meilleure entrée en matière pour éviter de me prendre un revers que je vois venir à des kilomètres. Je sais que l'improvisation, y a que ça de vrai, mais je viens probablement de trouver mes limites. Hum. Trop tard pour faire marche arrière de toute façon.
There is always some room for improvisation Sorcerer's Pawn, automne 2021 ft. Naya
Q
uand tu es toute seule à la boutique, tu aimes nimber la pièce d’une atmosphère doucereuse avec le son crépitant d’un vieux vinyle. Il n’y a rien de tel que le rythme chaloupé d’une salsa anonyme pour faire passer l’impression péremptoire d’être entouré de reliques dont la magie noire dont elles sont imprégnées pourrait prendre une vie en battement de cils. Quel beau métier tout de même. Cet après-midi, tu as vendu un ensemble complet de verrerie pour potions, quelques bijoux et surtout un grimoire ancien supposé avoir appartenu à un purificateur. Même si c’était une très bonne journée du point de vue de la commerçante, c’était un drame pour l’érudite. Tu n’avais pas encore eu le temps d’étudier le livre en question, et un spécimen rare comme celui-ci ne se représentera pas de sitôt. Tu aurais presque supplié le client de repasser dans quelques jours, mais Jim n’aurait pas été ravi de l’apprendre. Un drame, véritablement.
Enfin, l’heure n’est pas à la lamentation : tu as un inventaire à faire. C’est l’une des tâches les plus pénibles dont tu dois t’acquitter au Sorcerer’s Pawn, mais malheureusement nécessaire. L’objectif premier est d’abord de vérifier que rien n’a été volé, comme pour n’importe quelle boutique de prêt sur gage, au final. Le second, en revanche, est un peu plus spécifique à la nature de votre commerce : vérifier l’état des sceaux et autres protections des objets dangereux. Le parti pris de la boutique est de ne pas étiqueter les objets mis à la vente. De cette manière, seuls les individus réellement compétents pour s’en servir devraient s’y intéresser spécifiquement. En théorie. En pratique, les murs et les étagères ont beau être recouvertes d’injonctions à ne rien toucher sans autorisation, une fraction beaucoup trop nombreuse de clients semble atteinte de cécité sélective. Oh, un crâne, je me demande si c’est un vrai ! Je vais le toucher pour voir. Personne ne saura si je débouche cette potion une paire de secondes pour la sentir, pas vrai ? Rien que de songer à la stupidité que peut atteindre le genre humain, tu soupires. Ca n’est pourtant pas ça qui t’empêche de nonchalamment pratiquer tes petits pas de salsa solitaires toute seule devant les vitrines en prenant tes notes. Refaire la cire du lot 476, retracer le cercle du 1153… la routine, au final. Ta session de danse s’achève discrètement en entendant la clochette de la porte d’entrée tinter. D’un pas léger, tu retrouves l’arrière du comptoir et observes la nouvelle cliente déambuler distraitement jusqu’à toi. Une tête que tu n’as pas le souvenir d’avoir déjà vue ici ; elle semble jeune en tous cas. Pas loin de la majorité, tu dirais. Tu l’accueilles avec un sourire cordial et l’écoutes se présenter.
Audacieuse, la gamine, ça c’est certain. Alors comme ça, elle cherche du travail… Manque de chance pour elle, le patron n’est pas là aujourd’hui, mais si son profil est intéressant tu pourras toujours la recommander. Jim ne cherche pas d’autre employé à ta connaissance, mais ça ne te coûtera rien de le faire. Mais pour ça… il faut en effet qu’elle prouve ses compétences. Ton sourire grandit subtilement alors que tu reposes ton fessier sur le haut tabouret derrière le comptoir. « Salut Naya. Je ne te dis pas non tout de suite, mais est-ce que tu pourrais m’en dire un peu plus sur… ce que quelqu’un comme toi pourrait apporter à la boutique ? » Un air innocemment malicieux se dessine sur tes pommettes tandis que tu dévisages le petit bout de femme qui se présente avec enthousiasme devant toi. Tu ne vas pas lui faire l’affront de lancer un sort de lecture d’aura devant son nez, mais elle a en tous cas le mérite d’avoir attisé ta curiosité. Si on t’avait dit que tu ferais passer un entretien d’embauche aujourd’hui, tu n’y aurais probablement pas cru, mais te voilà en face de la place où tu étais il y a maintenant quelques années de cela. « Peut-être me dire pourquoi tu as choisi le Sorcerer’s Pawn ? »
Parait que dans la vie, tout est une question de confiance en soi. Que les trucs qui paraissent improbables ou impossibles, il suffit juste de prendre les choses autrement et de foncer. Au pire, on se prend un mur dans la gueule, on apprend la leçon et on recommence. Au mieux ? Et bah… ça fonctionne. Je sais bien que ça pourrait grave me porter préjudice hein, on va pas se mentir. Mais je sais aussi que, quand ça marche, c’est carrément le bon plan.
C’est aussi ça qui m’a poussée à franchir le seuil de cette boutique. Je suis pas vraiment une vendeuse, sauf si on considère que convaincre des ados drogués au sucre de prendre des pop-corn en plus est un exploit de vente. Spoiler alert, c’est pas le cas. C’est même trop facile. Enfin bref, du coup, là, je tente quand même un sacré coup de poker en espérant que ce soit pas dans le vide. Parce que ouais, ça me ferait mal de retourner balader des chiens après être passée dans cette boutique.
Je relève le museau alors que j’ai droit à un large sourire de la part de la fille qui me fait face. Elle doit pas être beaucoup plus vieille que moi mais, ces derniers temps, j’ai vite pigé à quel point le fait d’être dans la vie active à temps plein pouvait faire la différence. Je sais, ça peut paraitre un peu débile, mais c’est le cas. Ou alors j’idéalise à mort le truc, allez savoir. Bref, j’en était où ? Ah ouais, le grand sourire et la phrase qui va bien avec. Là, je dois donner tout ce que j’ai. C’est genre le moment ou jamais quoi. Grande inspiration, alors que je lui sors mon plus beau sourire. « Parce que je suis pleine de bonne volonté ! Que je rechigne pas à la tâche et que, vu que je suis pas super expérimentée, je coûte carrément moins cher qu’un employé lambda. » Ah ! Pas mal celle-là non ? Parce que ouais, être mal payée ici, ce sera toujours mieux d’être mal payée ailleurs. Je crois.
Je souffle sur une mèche folle qui s’est échappée de ma natte et je continue sans me démonter. « Pour votre réputation. Y a un paquet de boutiques du genre qui se disent « spécialistes » d’objets magiques. » J’ai mimé les guillemets et j’ai même pas caché ce roulement d’yeux qui fait ma spécialité. « Mais la plupart du temps, c’est juste des attrapes-touristes. Pour les gens qui ont envie de se faire peur en se persuadant qu’ils ont récupéré le dernier scarabée d’or du tombeau de Toutankhamon. Sauf qu’ils se font sacrément arnaquer. » Je désigne la petite boutique autour de moi et j’inspire, mes narines titillées par cette odeur de magie qui continue de me plaire depuis que j’ai mis les pieds dans cette boutique. Je sais bien, c’est probablement – surement – dans ma tête et c’est juste une odeur tout ce qu’il y a de plus normal. Mais j’aime bien l’idée. Et puis, c’est pas comme si je comptais réellement partager cette pensée avec qui que ce soit. « Donc, quitte à apprendre, quitte à bosser, autant faire ça avec des produits de qualité non ? Et vu que j’ai besoin d’un boulot… » C’est la base quoi. D’autant que ouais, Granny arrête pas de me dire que cette boutique est vraiment cool, qu’elle y a trouvé plusieurs objets magiques qu’elle pensait même pas encore exister dans le coin. Et si Granny a été impressionnée, forcément, je peux qu’avoir un super apriori. Même si je sais pas à quel point ça joue ou pas en ma faveur dans mon raisonnement.
There is always some room for improvisation Sorcerer's Pawn, automne 2021 ft. Naya
L
a première question qui te vient lorsque la jeune femme rouvre la bouche pour répondre a ta question est : est-elle toujours aussi… énergique ? Tu es loin, très loin de te définir comme une force tranquille, tu as toi-même tes moments d’agitation, mais la… oh, ca n’est pas une critique, mais rien que de la regarder sourire et se donner de l’élan pour parler comme si chaque phrase était un grand bond en avant, elle draine ton énergie rien qu’en la regardant. Si tu n’étais pas naturellement douée pour ressentir les flux de magie, tu aurais presque pu la prendre pour une vampire énergétique. Pleine de bonne volonté, ça il t’a suffi de deux mots pour le comprendre. Sans expérience… pareil. En revanche, pour cette histoire de salaire plus bas, elle se trompe. Du moins, tu aimerais. Tu sais que dans ce pays – et même dans les autres mais la n’est pas la question – il est très largement accepte de payer des travailleurs au rabais en trouvant le moindre prétexte pour le justifier : ça n’est pas ta conception des choses ; malheureusement, le gouvernement et le peuple américain aiment les gens qui pensent comme toi encore moins que les CESS.
Un coude posé sur le comptoir et le menton dans le creux de ta main, tu écoutes attentivement la boule d’enthousiasme orange continuer a essayer de vendre son profil. Elle a au moins visé juste sur un point : votre boutique n’est pas un vulgaire attrape-touriste cherchant a capitaliser sur la crédulité d’humains qui, tu le concèdes malgré tout, le méritent parfois. Ce que cela implique, c’est qu’elle est éveillée au Don : bon argument en sa faveur, bien que très largement insuffisant, elle aurait du commencer par la. En revanche, cette notion d’apprentissage dans sa réponse te laisse un peu plus perplexe. Elle est sans doute une arcaniste, encadrée pour sembler aussi familière avec votre type de marchandise, alors qu’est-ce qui la pousse a vouloir se former ici ?
Doucement tu redresses le dos en dévisageant une nouvelle fois le petit bout de femme qui se dresse devant toi, toujours avec un dynamisme o combien affaiblissant. « Je vois... » finis-tu par lâcher dans le seul but de prouver que tu n’es pas en train de faire un AVC tandis que tu te mures dans une réflexion prenante. Finalement, tu t’extirpes de tes pensées après une dizaine de secondes a faire durer le suspens, a moité volontairement. « Tu as bien compris que la plupart de nos articles ont des propriétés au mieux a traiter avec précaution, et au pire mortelles. » Certains artefacts de magie noir qui ont atterri au Sorcerer’s Pawn ont déjà été utilisées pour tuer, tu en es certaine, et d’autres rayonnent d’une influence si néfaste que tu ne serais pas étonnée qu’ils aient pu pousser a la folie. « Ma question est donc la suivante : - » tu fonces les sourcils un instant avant de reprendre. « En fait j’en ai deux : qu’est-ce que tu as envie d’apprendre ici, et est-ce que tu pourrais le faire sans déjà mettre ta propre vie en danger ? » D’un geste leste, tu tends la main vers une étagère a proximité. « Flotte. » Et le crane humain gravé de symboles ésotériques qui s’y trouve commence a s’élever dans les airs lentement jusqu’à ce que ta main le fasse se poser délicatement sur la planche de bois vernie qui te sépare de l’aspirante. « Par exemple… est-ce que tu saurais me dire quels sont les effets de cette relique et comment tu t’en protégerais ? » L’examen n’est pas facile, tu en as conscience, mais les conséquences de le rater en solitaire sont potentiellement bien plus désastreuses qu’un simple coup a l’ego. Prenant un peu de recul vis-a-vis de la scène, tu regardes donc avec attention la réaction de Naya. Tu connais bien sur la réponse, mais tu as hate de voir les déductions auxquelles elle se livrera. « Si j’étais toi, je ne toucherais pas, mais je suppose que tu l’avais compris. » Sur ton visage, ou sourire rassurant, a tel point qu’il ne dissimule pas en totalité l’espièglerie de ta démarche.
Je sais je sais, je devrais ralentir la cadence. Parait que je suis un peu – beaucoup – fatigante quand je m’y mets. Mais là, j’essaie de convaincre que je suis capable de bosser dans ce genre d’endroit. Convaincre qui ? Ca c’est la grande question. La fille en face de moi déjà, ce serait pas mal. Moi aussi, potentiellement. Me dire que je suis pas juste bonne à décoller les chewing-gums de sous les sièges et que je peux envisager de bosser dans un truc lié à la magie plus tard… je sais, ça peut paraitre débile hein, mais ces derniers temps, j’ai trop d’interrogations en tête sur moi, mon avenir et ce genre de conneries qui m’intéressaient même pas il y a quelques mois. Et possible que j’ai envie de prouver à Granny, voire à mes parents, que je suis pas un cas désespéré quoi. Bon, j’exagère un peu là, je sais qu’ils pensent pas vraiment ça. Pour le moment en tout cas.
… bref, je crois que je suis pas super douée pour me vendre. Mais au moins, j’essaie. Et ça me fera de l’entrainement. Au pire quoi. Même si j’aimerais autant éviter d’avoir trop d’entrainement quoi. Je bats des cils une fois mon monologue terminé et j’attends de voir sa réaction. Et, franchement, des fois, quelques secondes, ça peut être SUPER LONG. Un hochement de tête en réponse, quand elle me confirme qu’au moins, j’ai bien compris un truc. C’est toujours ça de pris donc.
A sa question, je me fais plus sérieuse sans même m’en rendre compte, mon regard glissant sur le crâne qu’elle ramène près de nous. « Je… mes parents ont passé leur vie à cacher leur magie, pour pas avoir de problèmes. A avoir une vie normale, des boulots normaux. » J’ai un temps, sans trop savoir pourquoi je lui raconte ça. « J’ai envie d’apprendre les autres métiers qu’on peut avoir. Ceux qui sont en lien avec la magie. Connaitre les objets qu’on utilise, savoir à quoi ils peuvent servir. Améliorer mes connaissances. » Pour le coup ça, c’est même pas pour me vendre, ça me rend quand même sacrément curieuse. « Et je veux connaitre mes autres options. Maintenant que les gens savent, je me dis qu’on a l’avenir devant nous et… ce genre d’endroits… » Je désigne la boutique autour de moi. « Ca me parait le meilleur endroit pour apprendre. Et me rendre utile. » Je sais pas si je suis bien claire, parce que je réalise à mesure que je parle ce qui m’a réellement poussée à passer cette porte.
Et je plisse des yeux en fixant le crâne, évitant quand même le vide de ses orbites, on sait jamais. Je laisse filer un silence, avant de laisser échapper une moue. « Je… » J’ai une hésitation, cherchant mes mots. « De base ouais, j’évite de toucher les trucs que je connais pas. C’est une règle de survie ça non ? » Mais y a quand même un truc qui me titille et j’ai l’impression que, si je le dis à haute voix, je vais passer pour la dernière des connes. Sauf que là, je dois dire un truc intelligent. Je finis par soupirer longuement, secouant la tête. « Franchement ? Je capte que dalle. Comme s’il y avait pas de magie qui s’en dégageait. C’est ptet trop pointu pour moi. » Est-ce que je suis déçue ? Carrément ouais. J’ai l’impression d’avoir salement raté le premier test. Comme si je trébuchais à première marche.
There is always some room for improvisation Sorcerer's Pawn, automne 2021 ft. Naya
D
écidément, Naya est une jeune femme loquace. D’une question que tu pensais assez simple, elle déroule toute une confession peut-être un peu trop intime pour la parfaite inconnue que tu représente pour elle. Enfin, tu comprends ce qu’elle te raconte, et tu as même un peu d’empathie pour elle. Pourtant quelque chose te semble tout de même gauche, une impression un détail manquant pour compléter le tableau et finalement cerner cette petite boule d’énergie rousse. Elle a l’air jeune et idéaliste. Tu aimerais beaucoup en apprendre plus sur sa vie et son entourage pour savoir comment elle en est arrivée à rentrer aujourd’hui dans la boutique de Jim pour te tenir ce discours. En fait, elle t’intrigue en tant que personne, en tant qu’arcaniste, mais cet intérêt n’a plus grand-chose de professionnel, malheureusement. Tu remises de toutes manières toutes ces questions lorsqu’il devient enfin question du crâne, justement.
De longues secondes durant, elle observe – sens aussi, peut-être – et tu l’observes observer. Son visage a pris un air plus concentré, et en soi c’est une bonne chose qu’elle prenne la chose au sérieux, bien qu’au final, ce crâne ne soit… comme elle le dit, rien de plus qu’un crâne. Rien de plus à rajouter à propos de l’objet, elle a bien déduit. « En effet, c’est un objet complètement classique, pas de magie là-dedans. » Ce n’est même pas un vrai, en plus ; seulement une réplique réaliste qui sert de totem de magie noire à ceux incapables de la sentir et qui veulent se donner un frisson complètement psychique. Tu crois discerner sur son visage un sourire de soulagement, peut-être même un soupir, et tu te dois malheureusement d’y mettre fin. « En revanche… » et tu n’aimes pas te faire messagère de mauvaises nouvelles, « arrête-moi si je me trompe, mais tu n’as pas la moindre méthode pour juger des qualités magiques d’un objet, pas vrai ? » C’est dit sans la moindre volonté de la rabaisser, mais plus comme un constat qui s’est imposé à toi et dont tu te vois désolée de devoir lui en faire part. Mais au fond, tu sais qu’elle en est consciente aussi.
Par le même sort par lequel tu l’as fait parvenir jusqu’à vous, tu ranges le crâne à la place où tu l’as trouvé. Ton regard navré se pose enfin à nouveau sur la jeune femme à qui tu ne pourras cependant pas retirer l’audace, et tu cherches tes mots. « Bon, tu te doutes bien Naya que ça va être difficile pour moi dans ces conditions de parler de toi au patron pour te faire engager comme vendeuse. » Tu espères au moins qu’elle comprend ça. Or, les questions qui t’ont taraudée lors de son discours de tout à l’heure te reviennent en tête comme un couplet entêtant qui ne se calmera que lorsque tu auras enfin des réponses. « Tu m’as dit que tes parents étaient éveillés à la magie aussi, ils ne te forment pas aux arcanes ? » La voilà, finalement, la grande interrogation. Celle qui complètera le puzzle. « Je veux dire, tu as l’air d’avoir envie d’apprendre et c’est très bien, mais si c’est ta motivation principale il te faut un mentorat, pas un travail dans une boutique de prêt sur gage trésor. » Alors que tu poses doucement tes avant-bras sur le comptoir, tu sembles te détendre finalement un peu. « Si ce sont vraiment les artéfacts et les enchantements qui t’attirent, je peux te conseiller quelques lectures, ce sera avec plaisir, mais je me demande si tu n’en as pas d’autres à terminer avant ? » Tes yeux s’accrochent aux siens et cherchent à lire l’éventuelle vérité un peu honteuse qui se cacherait au fond d’eux. Finalement, elle a encore quelques confessions à te faire pour obtenir le fin mot de cette conversation.
Probablement que je devrais pas en dire autant. Surement même. Mais bon, c’est un peu tard pour ce genre de prise de conscience hein. Foutu pour foutu, je garde quand même la tête haute, essayant de pas trop me démonter alors que je me dis que je suis vraiment en train de m’empêtrer dans mon propre discours.
Et puis, il y a cet espèce de test avec un crâne qui est à peu près aussi magique que mon réveil matin. Bon, il est quand même carrément plus stylé, je peux pas lui enlever ça. Et je suis sure qu’il rendrait super bien dans ma chambre à la fac, pour faire flipper les gens. Bref, c’est pas le sujet et, si je suis soulagée de pas être totalement à côté de la plaque, le reste me déprime un peu. Bon, c’est pas non plus la fin du monde hein, j’en suis bien consciente, mais le verdict est quand même sacrément rude.
J’suis des yeux le crâne quand elle le fait voleter jusqu’à son point de départ et j’me mords l’intérieur de la joue quand elle enchaine, laissant filer un silence avant de hausser une épaule. « Je suppose qu’on peut dire ça oui. » Je vais pas lui mentir, ce serait pas très malin, surtout vu ma prestation. Et puis, je suis pas là non plus pour prendre les gens pour des idiots. Un nouveau soupir silencieux alors qu’elle enfonce le clou et que je me dis qu’au final, j’suis moins susceptible que j’le pensais. Probablement parce qu’elle pointe du doigt des réalités que je m’efforce d’ignorer depuis quelques mois. Et des lacunes dont je suis bien consciente malheureusement.
Pour autant, c’est jamais super agréable d’entendre une parfaite inconnue balancer ça au bout de 42 secondes et demi. Sans exagération aucune, c’est pas le genre de la maison, évidemment. « Je suis formée. Aux arcanes. » Moins aux objets magiques, c’est sûr. D’autant que ouais, je suis pas la plus assidue du monde ces derniers temps mais je pensais pas que ça me sauterait aussi méchamment au visage. « Et j’demande une formation pour ça. » Manquerait plus que Granny l’apprenne, elle serait capable de me faire un AVC en mode drama queen et tout. Le pire ? C’est qu’elle est même pas désagréable en me disant tout ça. J’aurais presque préféré, ce serait plus simple de mal le prendre comme ça.
« C’est un truc qui me plait ouais… » Les artéfacts, même si j’y connais donc que dalle. Au point de me rajouter des lectures alors que c’était pas vraiment ce que j’avais en tête en débarquant ici ? Voire pas du tout pour être honnête. Genre me rajouter des devoirs supplémentaires. Ca craint sérieux. « Ce serait quoi ? Comme genre de lectures ? » Je demande comme ça, juste histoire de me renseigner un peu. Pas comme si je comptais vraiment me pencher dessus. Ou ptet que si. Pour montrer aussi que je suis capable de me démerder de mon côté ? C’est pas impossible. Mais je m’attendais pas vraiment à ce que la discussion tourne comme ça en vérité. Va falloir que je ravale un peu ma déception, alors que j’arrive quand même, sans trop que je sache comment, à soutenir mon regard. Et j’crois que c’est la première fois depuis longtemps que je me sens aussi jeune, inexpérimentée, appelez ça comme vous voulez. Une bonne noob quoi. La joie.
There is always some room for improvisation Sorcerer's Pawn, automne 2021 ft. Naya
B
ien, au moins la petite ne se ment pas à elle-même. En tous cas, tu ne pourras pas lui retirer son audace : toi, tu aurais eu très vite fait de te défiler s’il s’était agi d’aller postuler pour un travail dont tu n’as pas les compétences. C’est une qualité, selon toi ; enfin jusqu’à un certain point mais elle a déjà dû s’en apercevoir. En revanche, et ça tu es certaine qu’elle en a pleinement conscience en ce moment, s’autoriser à oser, c’est ouvrir la porte à la déception. Et cette déception, tu la lis comme une évidence sur le visage de la jeune femme. En écho, tes lèvres ce pincent en un sourire aigre-doux. La perspective de la lecture que tu lui as proposée en compensation n’a pas l’air d’avoir eu l’effet escompté, et tu t’interdis tout commentaire intérieur comprenant le mot « jeune » ou « génération ». Il ne manquerait plus que tu deviennes une vieille conne à ton âge… Mais elle te fait de la peine, la petite Naya qui tente de ravaler sa fierté devant toi. Fervente adepte de l’entraide et du partage, tu ne peux pas laisser sa soif de savoir inassouvie. Et puis, les méthodes d’apprentissage et de transmission des savoirs ne sont pas uniques, le culte du livre a tendance à appartenir à une branche passablement réactionnaire de la population arcaniste.
Tu finis par pincer les lèvres devant l’espèce de casse-tête orange qui est venu se poser à toi. « Quelques grimoires, des traités d’historiens de la magie… Enfin, de quoi se faire une vision un peu plus précise de la magie d’enchantement. » Du coin de l’œil, tu observes un instant le client qui vient de faire tinter la clochette de la porte d’entrée : un habitué qui vient régulièrement s’enquérir des nouveautés du stock. Pas un type très causant, mais il n’a jamais posé de problèmes alors tu peux le laisser vagabonder sans trop de surveillance. De toutes façons, ton don naturel t’aidera à savoir bien assez vite si un indésirable se produit. Ton attention revient finalement au visage déconfit de l’apprentie magicienne. Au moment où tu allais entamer la seconde partie ta réponse, tu relèves la tête en fronçant les sourcils vers une étagère derrière laquelle s’était engagé le nouveau client. « Eh ! On touche avec les yeux ! Les cercles sont pas là pour rien. » Tu roules des yeux devant la jeune femme du comptoir avant cette fois définitivement lui rendre ton attention. « Maîtriser la magie empêche pas d’être mal élevé… » lui concèdes-tu dans un soupir. Nonchalamment, tu finis par poser ton menton contre l’une de tes paumes. « A quelle tradition est-ce qu’on te forme, dans ta famille ? » Ton sixième sens te permet de détecter les flux de magie avec précision, mais tu n’es pas – encore ? – capable d’en discerner la nature. Et quand bien même ce serait le cas, tu devrais la voir à l’œuvre pour en tirer tes conclusions, et à ce moment-là, ce don ne te serait pas bien plus utile qu’un autre de tes sens. Enfin, tu conclus, ne préférant ne pas trop tourner autour du pot pour ne pas accentuer la déception de la petite. « Je peux peut-être pas te faire embaucher comme experte, mais on devrait trouver un moyen de te faire toucher d’un peu plus près aux artéfacts, hm ? » Impossible encore de savoir comment, mais tu es plutôt créative, tu trouveras bien.