|
| | | |
|
Mi-Octobre 2021
J’ai un bref froncement de sourcils alors que je chantonne sans même m’en rendre compte, la musique probablement – sûrement – un peu trop forte, alors que je suis concentré sur ma recette. Il est possible, je dis bien possible, que j’ai passé un peu – beaucoup – de temps à cuisiner. Et pas juste parce que j’aime ça. Mais ouais, j’ai envie de voir la tête d’Elizabeth quand elle goûtera au chili que je suis en train de terminer. Question de fierté ? Pas uniquement, mais je préfère me raccrocher à ça, c’est beaucoup plus facile à accepter.
Ca fait deux semaines que j’ai apporté le cadavre qui me servait d’ordinateur à la brune. On s’est vus quoi ? Deux fois ? Trois ? C’est beaucoup non ? Je me rends pas compte. Juste un ciné, un ou deux verres, rien de bien méchant. Mais je me surprends à attendre ces moments-là, à les anticiper même. Et c’est quelque chose de trop inhabituel pour que je suis totalement à l’aise avec ça. Alors ouais, j’ai un peu hésité quand elle m’a reparlé du diner que je lui ai promis. Mais comme on a acté tous les deux que c’était pas un rencard et bien… c’en est pas un.
Logique implacable.
Hum. Bref. Passons.
Je baisse le feu et je finis par m’adosser contre le comptoir, non sans attraper ma bière. Je coupe la musique sans grand enthousiasme avant d’allumer la télé. Au moins histoire de me tenir au courant des dernières nouvelles. Je zappe rapidement, sans vraiment m’arrêter sur quoi que ce soit qui attire mon regard. Pour une fois, les choses ont l’air plutôt calme. Et c’est tant mieux. J’appréhende un peu Halloween dans quelques jours, mais j’imagine que c’est le cas de tout le monde. Décider de rester au Caern, pour veiller sur les plus jeunes, comme l’année précédente et celle d’avant, me parait être le plan le plus acceptable. Et le plus sûr pour la majorité de la Meute. Joaquin était d’accord et ça m’arrange bien.
Finalement, j’éteins la télé pour remettre la musique en route. Je pianote maladroitement sur mon téléphone pour y arriver tant bien mal. Ouais, bon, c’est passablement laborieux, mais j’ai déjà fait pire. Connu pire. Je sais pas. En tout cas, bizarrement, quand ça concerne la musique, je suis vachement plus réceptif aux explications d’Elizabeth sur la façon d’utiliser le système qu’elle m’a installé. Ca a même surpris Théa quand elle a pris ses quartiers ici il y a quelques jours. Comme quoi, tout peut arriver. Je me demande d’ailleurs où ma nièce a filé ce soir, mais je me suis aussi rappelé de notre deal. Pas de questions gênantes sur ses allées et venues et elle en fait de même pour moi. Juste se tenir au courant pour que personne s’inquiète, c’est déjà pas mal du tout. Et ça m’évite de mentir à son père quand il appelle, ça me va bien soit dit en passant.
Je me concentre sur le nettoyage du plan de travail, poussant peut-être un peu trop ma maniaquerie habituelle sans même y prêter réellement attention. Mais c’est pas à mon âge que je vais changer. Ouais, je sais, c’est une fausse excuse, mais j’aime en user et en abuser. Pas le temps de réfléchir à si ma tenue est acceptable ou pas, une vieille chemise aux manches retroussées et un jeans délavé, que ça sonne à la porte. Le nouveau carillon m’arrache un sourire. Payé par Théa – qui a respecté sa parole – on dirait vraiment que quelqu’un joue de la musique.
Et je vais ouvrir, rendant un sourire à la brune qui se trouve dans l’embrasure. Sourire mesuré. Parfaitement. « Hé, pile à l’heure, je suis impressionné. » Soufflé d’un ton taquin avant de m’effacer pour la laisser entrer. Mon loup pointe le bout de son nez, curieux, avant de rendormir aussi sec. Il connait assez Elizabeth pour pas s’interroger sur les raisons de sa présence. Et c’est pas la pleine lune, il peut pas jouer avec. Aucun intérêt pour lui dans l’immédiat donc. « T’étais déjà venue ? Je sais plus. » J’avoue qu’à force de voir passer des gens, je me paume un peu. Et puis, pour l’installation sonore, elle m’a juste expliqué comment faire sans venir elle-même. Du coup bah… à part ses balades au garage dont je me souviens, la mémoire me fait un peu défaut sur ce coup-là.
|
| | | | | |
| « La rouge, mets la robe rouge. » Je la regarde via le miroir et hausse un sourcil. « Non, elle fait trop… trop. » « Trop rencard ? » Elle ricane et secoue la tête quand je lui tire la langue. « Il est super tôt pour te préparer, me dis pas que c’est pas louche. » « Si je me pointe en retard, il serait capable de me laisser dehors. » Pour de vrai, je suis sûre qu’il est méga relou sur les horaires aussi. « Et non, c’est pas un rencard, j’ai limite dû insister pour y aller… On parle de bouffe, okay ? » Je me retourne en voyant son petit sourire en coin et je l’interromps quand elle ouvre la bouche. « Est-ce que j’ai l’habitude de tourner autour du pot quand un mec me plait ? Tu serais la première informée si quelque chose change ou se passe avec lui, c’est juré. Mais c’est pas le cas. Okay ? » Elle hésite, sourit et finit par sortir. Je me pince l’arête du nez. Elle m’épuise.
Je me fixe dans le miroir et soupire. On s’en moque au final non ? Comme je l’ai dit, ce n’est qu’un repas, avec Samuel. D’autant qu’on s’est revus, quelques fois, alors que c’était pas prévu. Et c’était plutôt sympa. Carrément même, sinon je me serais pas infligée ça de nouveau, je suis gentille pas maso. Et j’aurais pas insisté pour le repas. Enfin, j’ai pas vraiment insisté, je lui ai rappelé. Parce que je ne peux décemment pas laisser un repas fait maison me passer sous le nez, question de bon sens. Et potentiellement parce que ça implique de passer une soirée avec lui. Une soirée ne signifie pas un rencard. Qu’on s’entende bien ou non, c’est même pas la question, c’est pas du tout à l’ordre du jour, ni pour lui ni pour moi. Et puis, disons que ça m’évite de passer une soirée seule, à l’approche d’Halloween. Oui, c’est une très bonne raison ça, éviter de ruminer et… Peut-être vaut-il mieux rester sur le fait que j’apprécie sa compagnie au final.
Après une énième hésitation, je relève mes cheveux sur le haut de mon crâne pour les y attacher. Oui, c’est joli comme ça.
C’est pas un rencard donc.
Je lève la tête en sortant de voiture, de la musique me parvenant de l’appartement au-dessus du garage. Peut-être n’est-elle pas aussi audible pour les humains, toujours est-il que c’est une bonne chose qu’il n’ait pas de voisins immédiats. Je monte et reste sur le pas de la porte, main suspendue, un léger sourire aux lèvres, l’odeur de sa cuisine flottant déjà dans l’air. J’ai dit que je venais pour sa cuisine non ?
Mon sourire s’agrandit en l’entendant venir m’ouvrir et j’écarte les bras. « Evidemment que je suis à l’heure. C’est un de mes plus grands talents. » J’avance, déposant sans réfléchir un baiser sur sa joue en passant près de lui, et je regarde autour de moi. Ne pas réfléchir à ce geste un peu trop familier. « Non, jamais. » Un sifflement m’échappe alors que j’observe la pièce beaucoup trop grande, beaucoup trop classe, beaucoup trop impeccable. « C’est super beau ! J’adore ! » Même si c’est beaucoup trop rangé, au point qu’on croirait une maison témoin. « Oh tiens ! J’ai pris du vin rouge et du vin blanc. Et une surprise. » Je lui tends les bouteilles en souriant, lui laissant le sac contenant vin et whisky, et je fais quelques pas vers la cuisine. « Ça sent trop bon ! Tu prépares quoi ? » |
| | | | | |
| Okay, c’est pas un rencard donc.
Je me répète ça dans un coin de ma tête alors que j’ai quand même un infime temps d’arrêt à la voir aussi jolie dans sa robe. Et je me contente de laisser filer un rire à sa répartie. « C’est normal que j’aie quand même un doute à cette affirmation ? Mais tu sais que je t’aurais pas laissée dehors pour quelques minutes de retard hein. » Je suis un peu toqué, mais pas à ce point-là. Enfin, pas pour une soirée du genre en tout cas. Dans d’autres circonstances, je dis pas par contre. « Mais tu as nombre d’autres talents, ne t’en fais pas. »
Je bats des cils à son baiser sur ma joue et je chasse ça d’une pichenette mentale avant de lui désigner la pièce principale donc. « Ca te plait vraiment ? Cool. » D’un revers de la main, je désigne le couloir et j’ajoute, d’une voix tranquille. « T’as ma chambre et celle de Théa par là. Et les deux salles de bains donc. Ca m’a pris un petit temps de tout retaper, mais j’aime bien le résultat. » Dix ans ? Ouais, un truc du genre. A refaire pièce par pièce, exactement comme je le voulais. A me reconstruire avec cet endroit, brique par brique. La symbolique est importante, j’en suis bien conscient. Tout comme je sais que, même colmatées, certaines fissures sont toujours là.
Une œillade appréciatrice que je vois les deux bouteilles avant de les déposer sur le plan de travail, avant de laisser échapper un sifflement à mon tour. « Oooh, ça me plait ça. » Et je lui montre la marmite, avec un sourire un peu fier. « Du chili con carne. C’est ma spécialité. J’espère que ce sera à la hauteur de tes attentes. » Je mime une révérence devant elle, avant de dévoiler un panier rempli de trucs à grignoter. « Alors, rêve pas, j’ai pas fait ça moi-même, j’ai récupéré ces snacks tout à l’heure, c’est pour te faire patienter le temps que ça finisse de cuire. » Et j’ouvre le frigo, sortant les sauces, avant de reprendre. « Tu veux du vin en apéro ou une bière pour commencer ? »
J’attends sa réponse, alors que je la regarde longuement. Avant de sortir, sans même réfléchir. « Ca te va super bien. Les cheveux. Coiffés comme ça. » Bon, va peut-être falloir que j’assume que c’est potentiellement un peu, mais alors un tout petit peu, un rencard. A mes yeux en tout cas. Je suis à peu près certain que c’est pas réciproque. Son comportement avec moi est surtout amical ou en tout cas, y a rien dans ce qu’elle a pu dire ou faire qui pourrait me faire penser l’inverse. Pour autant, il faut bien que je reconnaisse que je prendre vraiment beaucoup de plaisir à passer du temps avec elle. Beaucoup trop même. « Tu peux choisir la musique si tu veux. » Je fais glisser le téléphone vers elle avant d’ajouter, comme si de rien était. « Note qu’il est toujours entier. Et que j’ai réussi à tout installer sans péter quoi que ce soit. Un véritable exploit, je sais. » Qui va probablement bien la faire marrer. |
| | | | | |
| « Je devrais me vexer devant tant de manque de foi. » Je le fixeavant de hocher la tête en haussant vaguement une épaule. « Je suis pas tout le temps en retard… Et c’est parce que j’ai le vin que tu m’aurais pas laissé dehors, sinon je suis sûre que t’en es capable ! » Je lui tire la langue, mais ne peux qu’acquiescer. « J’ai un nombre infini de talents il est vrai. Je sais super bien faire la roue et jongler avec trois balles. Je suis super douée à Super Mario Kart. Oh, et je sais courir avec des talons aiguilles ! T’es impressionné pas vrai ? » Je dis assez de conneries pour faire oublier mon geste idiot ? Je me rends pas trop compte.
Mais bref passons ! Je jette un regard curieux vers le couloir et me tourne vers lui, sourcils levés. « T’as tout refait ? Tout seul ? C’est hyper impressionnant ! » Je regarde de nouveau le salon, ses poutres apparentes et ses briques, et j’esquisse un sourire. « Tu bosses super bien ! Et ça te ressemble pas mal effectivement. Et oui, ça me plait, c’est chaleureux, t’as réussi à donner un côté authentique et rustique. Enfin pas trop rustique, mais tu vois ce que je veux dire. » Faut que je me taise là non ?
Du coup, j’abandonne le salon pour la cuisine, qui est super sympa elle aussi. Je souris en l’entendant quand il sort les bouteilles, même si mon attention est rapidement captée par la marmite et ce qui s’y trouve. « Ta spécialité carrément ? Tu me vends du rêve là, j’espère aussi que ce sera à la hauteur. » Je souris de plus belle, l’odeur se dégageant déjà du plat me donnant l’eau à la bouche. Un coup d’œil aux snacks et j’en attrape un que je grignote. « Ce serait meilleur maison… Mais je note que tu les as pris pour moi, de peur que je tombe d’inanition ou te dévore dans l’attente, et je t’en suis reconnaissante. Ça aurait fait désordre. » Pour la peine, j’en croque un autre et je désigne la bière posée sur le plan de travail. « Une bière aussi, s’il te… »
Je me fige et ouvre de grands yeux en le dévisageant. Un sourire timide et ravi étire mes lèvres. « Merci. » Evidemment ma main monte trifouiller mes cheveux, et je souris de plus belle. « Contente que ça te plaise. » Même si je ne l’ai pas fait pour lui. Pour de vrai ! J’aime bien cette coiffure, je me trouve jolie avec… Mais si ça lui plait, c’est du bonus. Hum. Ouais. Un bâtonnet de carotte pour détourner l’attention et faire comme si tout était normal. Sofia va trop se foutre de ma gueule, c’est terrible.
Je vois son téléphone atterrir devant moi, me faisant hausser un sourcil. « Sans déconner ? » J’ai un silence. « T’as réussi… ? » Je le fixe et souffle un rire en récupérant le téléphone. « J’avoue que je suis bluffée ! Vous êtes plein de surprises Monsieur Miller ! Peut-être que t’es pas si irrécupérable que ça ! » Je fais défiler les musiques avant de m’arrêter sur du Ray Charles. « Et comment trouves-tu le son du coup ? Tu t’en sers souvent ? »J’ai un sourire un peu moqueur. « T’as pas peur que cette touche de modernité te contamine et te fasse changer d’avis sur la technologie ? » Un regard innocent à la marmite, assortie d’une moue penaude. « C’est bientôt prêt ? Parce que ça sent vraiment trop bon ! »
|
| | | | | |
| Un sourire amusé en réponse, avant de hausser les épaules à sa remarque sur le vin. « Ce qui est merveilleux dans ce genre de supposition, c’est qu’on aura jamais vraiment la réponse. » Un clin d’œil pour appuyer mes propos, alors qu’elle en rajoute une couche. « Tu sais jongler combien de temps avec trois balles ? Et pour le reste… je vais devoir te croire sur parole, sauf si tu veux te taper un sprint autour du garage avec tes talons. » Quant à savoir si je suis impressionné ou pas, je suis plus circonspect du baiser sur la joue que j’ai trouvé tout sauf désagréable. Enfin, c’est pas comme si c’était vraiment important ou, plutôt, comme si ça avait de l’importance pour elle. Ce que je peux penser d’un truc aussi basique pour elle, c’est pas ce qui compte.
Bref, je suis pas peu fier du résultat de l’appart surtout quand je vois sa tête. « Ca m’a pris quelques années quand même. Mais ouais, le bâtiment coûtait que dalle quand je l’ai acheté en arrivant ici. C’est juste qu’il a fallu absolument tout refaire. Je vais pas m’en plaindre, ça m’a apaisé d’une certaine façon. Et ça m’a aidé à me reconstruire. » Au sens propre comme au sens figuré. Brique par brique, semaine après semaine. Rien de parfait évidemment, mais d’assez solide pour continuer d’avancer et me sentir un peu mieux chaque jour. « Rustique hein… » Soufflé avec un sourire narquois alors que je secoue la tête. « Je préfère garder le terme chaleureux, c’est plus flatteur. » Même si je suis bien conscient d’avoir un aspect particulièrement rustique. Du haut de mes 70 ans, difficile de faire autrement.
Marmite désignée et un hochement de tête pour confirmer ce qu’elle me dit. « Ouais, ça doit faire 50 ans que je cuisine ça. Alors, soit on me ment depuis tout ce temps, soit tu devrais te régaler en effet. » Je suis plutôt sûr de moi sur ce coup-là, même si j’aurais préféré avoir le temps de m’occuper des snacks aussi. Mais j’ai pas assez de 24 heures dans une journée en ce moment, surtout avec Halloween qui arrive et la tension au sein du Caern à l’approche de cette soirée. Le compliment m’échappe et à son sourire, mon cœur a un raté que j’ignore royalement. « Ca me plait beaucoup oui. » Je sais pas si j’aurais dû dire ça ou non, mais de toute façon, foutu pour foutu, autant assumer hein.
« T’es bien trop surprise de ma réussite pour que je sois pas un brin vexé quand même. » Bon, en même temps, je me vante tellement d’être réfractaire à tout ça que c’est pas déconnant qu’elle soit étonnée. Mais quand même, elle aurait pu faire un minimum semblant. « J’ai un peu galéré, je te le cache pas. Mais ça marche plutôt bien. Pour le son, j’utilise l’appli que t’as subtilement installée sur mon téléphone. » Un sourire en coin alors que j’ajoute, hochant la tête. « Ouais, tous les jours jeune fille. Je peux pas vivre sans musique. Tu le sais pourtant. » C’est rare que le garage soit silencieux. Et même ici. C’est même pas tant une nécessité de combler le silence qui m’entoure, mais plus un besoin viscéral d’entendre les notes qui s’égrainent au fil du temps. « Mais ça risque pas de me contaminer pour le reste, t’en fais pas pour ça. Tant que j’y trouverais pas un intérêt, tu me verras pas m’y risquer. » Et, au moment où elle demande si c’est bientôt prêt, un ting retentit dans la cuisine. « Le riz est prêt, on va pouvoir manger donc. »
Et, en quelques minutes, je prépare deux assiettes bien garnies. Elle a même droit à des petits pains de maïs maison alors que j’installe le tout devant elle, m’installant en face d’elle avec ma bière. « Ca va être le moment de vérité. » Et j’ajoute, comme si de rien était. « J’ai même trouvé un de ces vieux films dont on a parlé l’autre jour si tu veux après. » J’ai un peu trop réfléchi à cette soirée pour mon bien ouais, je sais. |
| | | | | |
| « Je viendrais sans rien la prochaine fois pour voir. Et en retard ! » Combo ! Je ne peux que lui rendre son sourire, qui est beaucoup trop contagieux. Je hausse les épaules. « Je sais pas pour le jonglage, ça fait longtemps que j’ai pas essayé. » Si ça se trouve, je tiendrais même plus avec deux, mais passons. « Mais je vais éviter de me taper l’affiche en courant sans raison autour de chez toi. J’ai prévu de passer une bonne soirée, pas de finir chez les flics. »
Je me détache de l’observation du salon pour l’observer lui. C’est pas souvent qu’il parle de lui, comme ça je veux dire, de avant en quelque sorte. De ce qu’il a pu ressentir et de ce que ça lui a fait. Oui, une partie de moi est méga curieuse et a envie de savoir ce qu’il s’est passé exactement, parce que j’ai jamais trop su au final. Mais ça me regarde pas, ce sont ses secrets, ses blessures. Savoir qu’il a perdu sa famille – parce que ça je sais quand même – est déjà plus que suffisant en fait. Et savoir que cet appartement est important, symboliquement parlant, parce qu’il s’est reconstruit en même temps qu’il le remettait en état donc, est déjà une jolie confession. Involontaire peut-être, mais quand même. « C’est encore plus chouette si ça t’a autant aidé alors. Ça prend toujours du temps de faire de belles choses. » … Oui, je dois me museler pour ne pas laisser sortir des interrogations malvenues. Je ris de nouveau, presque soulagée qu’il le prenne de la sorte. « C’était quand même un compliment. Mais on garde chaleureux si tu préfères. »
Quand on discute ensemble, qu’on joue aux échecs, qu’on rit ensemble, ou peu importe, j’oublie, qu’il est... plus vieux. Pas si vieux, mais qu’il a quand même quelques – dizaines de – années de plus que moi. Et puis il râle sur la technologie, et que ‘de son temps’ comme dirait ma mère, ou comme là, il le sort naturellement. Est-ce que ça change quelque chose ? Absolument pas. C’est pas comme si c’était important ou que… Ou que c’était un rencard donc. Hum. « Ils ont peut-être peur de te vexer depuis le début. Mais j’espère que non, je serais trop triste sinon. Et j’aurais trop faim. » On ment pas sur la bouffe et… Bon. Okay. La coiffure lui plait. Beaucoup. Et c’est assez important pour que j’en oublie son chili. Mon sourire s’agrandit et se fait plus assuré. Même la louve ricane maintenant. Sisi, ça peut ricaner, je vous jure.
Un rire m’échappe, presque malgré moi, à sa réplique et je secoue la tête. « Oh non, tu peux pas être vexé. C’est comme si… C’est comme si je me vexais un jour parce que tu serais surpris de me voir faire une pizza ! Alors que je sais pas cuire un œuf ! Tu vois, tu peux pas ! » Clairement, il s’améliore, grâce à moi, mais il est carrément pas assez à l’aise, ni assez doué pour que je ne sois pas surprise. « Et puis, c’est plutôt cool de réussir à surprendre les gens ! J’adore les surprises ! » Je lui souris. « Subtilité, c’est mon deuxième prénom. Je suis fière de toi petit padawan. » Une légère moue et un haussement d’épaule. « Tu pourrais continuer d’utiliser ta platine. » L’un n’empêche pas l’autre après tout. « Jamais dire jamais ! Je peux trouver des intérêts. Et puis, t’as pas besoin de t’intéresser à tout non plus, juste arrêter de tout rejeter comme ça, c’est déjà bien ! » Sur ça aussi, il y a du mieux je crois, même si c’est encore loin d’être gagné. Chaque chose en son temps.
Je suis sûre qu’il peut voir mon regard s’illuminer quand il dit que c’est prêt, et je le suis des yeux quand il prépare tout. Dire que ça sent bon serait un euphémisme, et je prends sur moi pour ne pas me tortiller sur la chaise en attendant qu’il amène les assiettes. « T’as fait des pains de maïs ? » Trop bien ! J’en déchire un en deux, reniflant l’odeur qui s’en échappe. « Il sent trop bon aussi. » J’en croque un bout et lui jette un regard. « Il est trop bon. » La bouche pleine évidemment. Mais c’est pas le plus important. Je finis par goûter son chili, une deuxième fourchette suivant la première, juste pour être sûre. « Okay. Ils ont pas menti. » J’avale quelques bouchées supplémentaires. « Il est super bon. Presque autant que le gombo de ma mère. » Si je dis autre chose, elle le saura et j’y aurais plus le droit. Mais, pour un peu, je laisserai filer un gémissement de plaisir. Je lève les yeux vers lui et je lui souris.« C’est délicieux. Tu m’en refais quand tu veux ! » Sauf que je m’arrête, la fourchette pleine, quand il parle des films. « Lequel ? » Peu importe lequel, ça veut dire que je vais rester un peu plus et qu’on va passer toute la soirée ensemble. Oui, je songerai au plaisir que ça me procure plus tard. |
| | | | | |
| « Je note donc qu’il y aura une prochaine fois alors. » Pourquoi est-ce que j’ai dit ça ? Aucune idée. Mais ça me semblait trop évident, naturel et j’ai même pas pris le temps de réfléchir à cette réplique. « Hum. Je dois avoir des oranges qui trainent si tu veux confirmer que tu sais toujours faire. » Du reste, je me contente d’un sourire amusé, avant de finir par parler un peu plus de moi – une fois n’est pas coutume – et surtout, de cet appart que j’ai rénové moi-même. « Ca m’a aidé oui. Et ça m’a pris du temps. J’ai pas totalement fini d’ailleurs. J’ai encore une pièce à laquelle j’ai pas touché. Je sais pas trop quoi en faire. » Pas besoin d’un bureau vu que j’en ai un en bas. Et il y a des livres partout, alors j’ai pas particulièrement envie de faire une bibliothèque. Enfin, c’est pas comme si c’était vraiment important au fond.
Je réalise vaguement qu’elle doit être une des rares personnes avec qui je parle de ça. En général, je préfère pas m’appesantir sur le sujet mais, avec Elizabeth, je ressens moins le besoin de me planquer derrière mes barrières habituelles. Et, sans surprise, mon loup est bien plus détendu en sa présence. Parce que je le suis moi aussi. Mais j’évite là encore de trop y réfléchir. C’est pas dans mes habitudes à dire vrai, mais j’ai comme le sentiment de ne pas pouvoir contrôler grand-chose dans cette histoire. Si tant est que je puisse qualifier ça d’histoire.
Un rire quand on parle bouffe, alors que je secoue la tête, la mine assurée. « J’ai aucun doute sur le fait que mes frangins ou Joaquin auraient eu zéro scrupules à me dire la vérité. » Sachant que l’Ulfric vient souvent manger à la maison, il doit apprécier… ou il est passablement masochiste. « Ce serait terrible que t’aies trop faim. On va tâcher de faire en sorte que ça n’arrive pas donc. » Soufflé d’un ton amusé alors que son sourire à mon compliment me plait autant que ladite coiffure donc. C’est ridicule, je sais. C’est juste une soirée entre amis, rien d’autre. Un bref haussement d’épaules quand on parle de l’installation musicale que j’ai laborieusement réussi à vaincre. Mais je suis plutôt content du résultat. « Oh, mais je continue d’utiliser ma platine, ce serait un sacrilège de totalement l’abandonner. Mes pauvres vinyles s’en remettraient pas. » Surtout que j’ai une collection à en faire pâlir plus d’un. Au reste, je l’observe quelques secondes avant de rétorquer, mutin. « T’emballes pas non plus, je compte pas en faire plus. » Pour le moment en tout cas.
Et je prends de l’observer une fois nos deux assiettes remplies. Si je suis sûr de mon coup, je suis quand même content de voir sa réaction à la première bouchée. « Non mais tu triches. Le gombo de ta mère il dépasse tout ce qu’on connait niveau bouffe. Mais content que ça te plaise en tout cas. » Je bois quelques gorgées de ma bière avant d’attaquer le repas à mon tour, laissant filer quelques instants avant d’enchainer. « Vu que tu râlais de jamais avoir vu les oiseaux d’Hitchcock, je l’ai récupéré. » Et la discussion s’enchaine, alors qu’on parle de films, de classiques plus ou moins vieux. Ca va que je suis plutôt à jour de ce côté-là et que j’ai regardé beaucoup, mais alors beaucoup de films. Evidemment, je ressers une assiette remplie à ras-bord à la jeune femme et j’ai un sourire amusé en voyant qu’elle finit enfin par déclarer qu’elle est calée. « C’est épatant de voir comment un si petit gabarit peut manger autant. Je te ferais un tupperware avec le reste si tu veux. » Comme à mon habitude, je range rapidement la table, histoire de rien laisser trainer, probablement toujours un peu trop maniaque pour un regard extérieur. « J’ai fait une tarte aux noix de pécans pour le dessert. Mais tu veux peut-être digérer un peu avant ? » Soufflé d’un ton presque moqueur, avant de lui désigner le canapé. « Promis, elle s’envolera pas en cours de route. »
Le film est lancé. Et il est possible, je dis bien possible, que je la regarde plus elle que l’écran. Mais vu qu’elle a l’air à fond, je suis à peu près certain qu’elle remarque rien. Tant mieux. Il faut juste que je fasse plus attention à l’avenir. |
| | | | | |
| J’ai une demi-seconde d’arrêt. Ah oui, je suis partie du principe qu’il y aurait une prochaine fois. Pourquoi ce serait pas le cas ? Et puis, ça a l’air de lui aller aussi. C’est cool. Je secoue néanmoins la tête concernant la suite. « Je m’entraînerais d’abord chez moi. » Pas que j’ai beaucoup d’amour-propre là-dessus, mais quand même j’ai pas trop envie de me ridiculiser devant lui dans l’immédiat. Surtout quand je vois ce que lui est capable de faire. Okay, ça n’a aucun rapport, mais disons que c’est pas le moment. J’esquisse un sourire, un peu bêtement heureuse qu’il se confie de la sorte, je sais que c’est pas dans ses habitudes, alors c’est plutôt cool. « Une autre chambre d’ami ? Un coin lecture ? Une salle de sport ? Une salle informatique ? Un dressing ? Une salle de cinéma ? » Je ne fais qu’émettre des propositions, auxquelles il a déjà dû penser mille fois… Sauf peut-être la salle info ou le dressing, pas sûre que ça l’intéresse. Je grimace un sourire d’excuse en me rendant compte que je balance tout trop en vrac. « Mais c’est chouette en tout cas, c’est vraiment chez toi. » Et quoi qu’il en dise, ça lui ressemble, tout rustique que ça semble être. Chaleureux, étant donné qu’il préfère.
Je ne peux qu’acquiescer quand il parle de ses frères. « Ouais, on peut toujours compter sur la famille pour taper là où ça fait mal. Surtout les frangins insupportables. » Ce qui doit valoir pour lui aussi je suppose, du point de vue desdits frères… Je lui jette un coup d’œil, hésitant une seconde avant d’enchaîner les questions. « T’as que des frères ? T’en as combien ? T’es l’ainé ? Tu manges souvent avec le grand chef ? » C’est lui qui a commencé à parler de ça, je ne fais qu’enchaîner…. D’accord, il n’a fait que le mentionner en passant, mais il devrait me connaître et savoir que je suis potentiellement un peu trop curieuse. Quand bien même j’oublie un peu mes questions alors qu’on continue de parler nourriture et qu’il me fait un compliment, qui me fait un peu trop plaisir pour ce que c’est… Ouais, va peut-être falloir que je m’avoue qu’il me plait potentiellement. Ce qui ne change absolument rien quoi qu’il en soit, étant donné qu’il n’est pas intéressé. Je crois. On verra. « Un sacrilège carrément ? » Je souffle un rire. « Mais tu me rassures, je m’en serais voulu qu’ils se sentent délaissés. » Ce serait terrible. Je me contente de l’observer en retour et de lui retourner une moue quand il précise qu’il n’en fera pas plus. Ça sonne carrément comme un défi ça.
Je me doutais bien qu’il mentait pas en disant savoir cuisiner, mais c’est pas juste savoir cuisiner ça. Est-ce que je vais dire à ma mère qu’elle a un concurrent sérieux ? Je sais pas trop. C’est à double tranchant. Soit elle est vexée et va se sentir obligée de faire encore mieux, soit elle est vexée et va m’envoyer bouler. On ne lui dira pas. Non, on ne dira rien. Je lui souris, ravie qu’il soit d’accord concernant la cuisine de ma mère. « Je lui dirais, ça lui fera plaisir. Mais elle a déjà goûté ? Je suis étonnée qu’elle n’ait jamais essayé de copier ta recette. » Quoiqu’elle a ptet essayé qui sait. « Oh trop cool ! Tu l’as déjà vu ? Tu l’aimes bien ?… Y a plein de films que j’ai jamais vu, y a du boulot tu sais ! » Est-ce que je rappelle subtilement qu’il faudra faire d’autres soirées ? Tout à fait, j’ai même pas honte. Je continue de trop parler, sans doute, tout en dévorant… savourant son repas, et j’ai un immense sourire à sa remarque, ne pensant pas une seconde à nier ou à m’en offusquer. « C’est pour me démarquer. Et puis, j’étais obligée de me battre sauvagement quand j’étais petite avec les frangins pour pouvoir manger tranquille. » C’est presque totalement faux. « Et carrément que je veux un tupperware ! Je pourrais narguer les filles en le mangeant devant elles ! »Peut-être que je leur en donnerais un peu. Mon sourcil se hausse alors que je le regarde ranger ce qui traîne – peut-être qu’il explose si c’est pas correctement nettoyé – et un sourire étire de nouveau le coin de mes lèvres, une petite étincelle s’allumant dans mes yeux. « T’as fait une tarte ? » J’ai un grand moment d’hésitation, parce qu’on refuse pas une tarte aux noix de pécan. Bon, c’est pas vraiment refuser. Et puis… un film avec lui, c’est encore mieux non ? « Ça marche, le film d’abord. »
Je m’installe près de lui, jambes repliées sous moi, et je me laisse happer par le film. « C’est quand même super chelou comme film. » Je me tourne vers lui, me perdant un instant à le fixer, oubliant ce que je voulais dire concernant ledit film, qui continue de tourner en fond, ma main allant d’elle-même effleurer sa mâchoire.
D’accord, c’est un rencard. Et ça me va carrément.
J’ouvre la bouche, sursaute quand son téléphone sonne, soufflant un rire nerveux. La sonnerie s’arrête pour redémarrer une seconde plus tard et je retire ma main. « Tu devrais peut-être répondre. » C'est possiblement important. Et puis, ça me permet d'éviter de me taper la honte si jamais je me fais des films...
|
| | | | | |
| Je sais pas vraiment à quoi je m’attendais en lui proposant de venir ici. Enfin, si j’étais parfaitement honnête avec moi-même, je pourrais répondre à cette interrogation. Parce que je sais ce que je peux éprouver en sa compagnie. Je peux pas dire que je l’apprécie, ça va bien au-delà. Alors oui, l’idée qu’il y avait une prochaine fois est loin de me déplaire, que ce soit chez moi ou ailleurs. Mais je me contente d’un sourire quand elle parle de s’entrainer, enchainant sur le reste, alors qu’on discute de mon appart. « Une salle informatique ? Vraiment ? » Rire contenu, alors que je secoue la tête, non sans me frotter le menton. « La salle de lecture, ça peut être sympa. Je pourrais fabriquer des étagères. »
Et je finis par regarder autour de moi, laissant filer quelques secondes de silence. « Oui, j’ai mis un peu de temps à trouver mes marques, mais je me vois pas vivre ailleurs. » Ce que j’aurais pas cru en débarquant à Shreveport il y a des années de ça. Je lui lance une œillade amusée au reste. « On dirait que tu sais très bien de quoi tu parles. Vous êtes combien déjà ? » J’avoue que j’ai pas été très attentif à ce genre de choses à mon arrivée, préférant rester loin des plus jeunes pour éviter de remuer des souvenirs trop douloureux. Et aujourd’hui ? Ca va mieux. Voir les enfants de la Meute ne me pose plus de problèmes, même si je sais que j’ai la réputation d’être passablement bourru quand je m’y mets. « J’ai qu’un seul frère, le père de Théa. Et j’ai deux sœurs, des jumelles. Je suis l’ainé donc. » Un rire avant de reprendre. « On dirait un interrogatoire un peu. Je mange avec Joaquin plusieurs fois par semaine. C’est grave tu crois ? On parle souvent des affaires de la Meute et j’ai toujours trouvé plus sympa de faire ça en cuisinant. Ca détend et ça rend les discussions plus faciles. » En tout cas, c’est l’impression que j’en ai.
Index dressé devant Elizabeth à sa question qui n’en est pas vraiment. « Rien de moins qu’un sacrilège, parfaitement. T’as déjà écouté de la musique via des vinyles au moins ? Ou manipulé des disques ? » Je sais, je sais, je passe pour un vieux relou, mais ça m’amuse et je suis à peu près sûr que c’est le cas pour elle aussi.
Très vite, le repas est englouti. « Mmmmh j’ai un doute sur le fait qu’elle ait déjà goûté mon chili maintenant que j’y pense. Tu veux lui ramener un tupperware aussi ? » Au reste, je la fixe, non sans esquisser un nouveau sourire. « Je l’ai vu il y a des années de ça. Je me souviens plus de tout je t’avoue. Et… on va devoir y remédier alors, s’il y a plein de films que t’as pas vus. » Mon regard accroche le sien quelques instants, avant que je finisse par me concentrer sur mon assiette. Et je secoue la tête, toussant un rire. « Te battre sauvagement ? Je regrette presque de pas avoir assisté à ça. J’espère que vous vous battez plus en tout cas. Je note de te filer tout ce qui restera, y aura même moyen d’en faire plusieurs si t’es sage. » Le plan de travail est impeccable et j’ai une petite inspiration satisfaite, avant de hocher la tête pour confirmer sa question. « Oui m’dame. Mais va pour le film d’abord donc. »
Installés dans le canapé, je retiens ce réflexe sorti de nulle part qui me donne envie de passer mon bras autour de ses épaules. Et je me focalise sur tout sauf elle, presque soulagé que le film se finisse sans que j’aie de geste malencontreux. « Chelou ? Ca c’est de la critique de … » De quoi au juste ? Aucune idée. Ma phrase se meurt d’elle-même quand elle effleure ma mâchoire du bout des doigts et mon regard reste rivé au sien. Okay, okay, c’est probablement un rencard pour elle aussi. Sûrement même. Et je me rends compte que je me suis rapproché d’elle quand j’ai un sursaut en même temps qu’elle à la sonnerie de mon téléphone. « Quoi ? Ah… ouais. » En plus, c’est Joaquin. Il a un sens du timing déplorable, je tiens à le souligner.
Un soupir, alors que je me relève, ma main glissant sur son épaule alors que je m’éloigne d’elle. Quelques échanges rapides avec l’Ulfric et je finis par raccrocher, non sans une grimace. « Je… je vais devoir y aller. On a une petite urgence. Rien de grave, t’en fais pas. » Autant dire que j’ai pas la moindre envie d’y aller et je crois que mon regard parle pour moi. « Je peux t’emballer la tarte si tu veux partir avec. » Ouais, bon, j’aurais pu dire mieux que ça, j’avoue. |
| | | | | |
| J’ai jamais eu de mal pour discuter avec les gens, faut dire que je suis plutôt du genre extravertie. Euphémisme tout ça. Mais il y a des personne avec qui c’est plus facile, plus évident. Et avec Samuel, c’est étonnement évident. Étonnement parce que j’aurais pas parié dessus à la base. Et c’est plutôt cool. Et que c’est peut-être un peu plus que ce que je veux bien m’avouer. Je lui adresse un clin d’œil, mon esquisse se transformant en immense sourire. « Tu vois, il suffisait de me demander. J’ai toujours des idées géniales. »
Je hoche la tête, me faisant davantage pensive. « C’est une bonne chose que tu aies trouvé ta place ici. Dans la Meute. » Surtout si c’est en effet ce qui lui a permis de ne pas sombrer et de se reconstruire. « J’ai deux frères, plus âgés. Être la dernière, ça craint. Les aînés sont toujours les pires. » Oui, c’est gratuit, à son intention, parce que Andrew est pas si horrible que ça, pas tout le temps. « Donc un frangin et deux sœurs, tous plus jeunes. Ça ressemble à un interrogatoire, parce que c’en est un. Et c’est assez inquiétant, mais plus pour Joaquin. D’un autre côté, tu lui fais à manger, donc c’est un bon compromis. » Énième grand sourire de ma part.
Je donne une tape sur son doigt et fronce les sourcils. Manipuler des disques ? Qu’est-ce qu’il raconte ? « Je ne suis pas certaine d’avoir déjà écouté de la musique via des vinyles, ça implique de vivre au siècle dernier et je laisse ça aux vieux ronchons nostalgiques. » Évidemment que je me moque et que ça m’amuse, autant que lui, j’en suis persuadée.
Un sourcil levé, je le regarde presque étonnée. « Jamais en trente ans ? A part le chef, tu cuisines pour personne d’autre ? Je suis une exception ? » Ce qui me ferait presque trop plaisir si c’est le cas. « Va falloir remédier à ça. Mais non, je lui ramènerai pas un tupperware, on organisera un dîner, ça lui fera plaisir. » Ou quelque chose du genre. Et j’aime autant les garder pour moi, les tupperwares, surtout qu’il est vraiment super bon son chili. « Non, je gagnais tout le temps, ça les vexait, donc ils ont arrêtés de m’embêter. Et quand on ne m’embête pas, je suis toujours sage. » Je hoche la tête, ravie d’avance d’avoir les restes du repas, et je ne fais aucune remarque concernant sa légère tendance à la maniaquerie. Je confirme qu’il a dû devenir fou intérieurement à chaque fois qu’il est venu à la maison. Et sans doute que ça devrait pas m’amuser autant de le savoir. J’échange un regard avec lui alors qu’on mentionne, une nouvelle fois, l’air de rien, d’autres films à visionner, donc d’autres soirées à venir, et c’est une perspective… plutôt agréable.
D’autant plus vu comment se passe la suite. Non pas qu’il se passe grand-chose en vérité, si ce n’est ce petit instant hors du temps. Petit instant suffisant pour que j’apprécie la sensation de sa barbe sous mes doigts, pour que mon coeur s’accélère un peu, pour que nos regards restent ancrés l’un dans l’autre un peu trop longtemps. Je saurais même pas dire si je suis déçue ou non d’entendre le téléphone sonner. Sans doute un peu, j’aurais bien aimé savoir s’il se serait rapproché encore ou si j’aurais dû faire les derniers centimètres nous séparant. Sans doute beaucoup d’accord.
Je toussotte et me redresse alors qu’il s’entretient avec Joaquin, me mordillant l’intérieur des joues. Petite urgence. Ça se fait d’engueuler son Ulfric pour avoir gâcher la soirée ? Je suis pas sûre. Pour avoir empêcher un baiser ? Je suis sûre que oui. Un léger froncement de sourcils et je me relève en secouant la tête. « ça n’a pas grand intérêt de la manger toute seule… Tu m’en referas une. » Je lui souris, hésite, et plutôt que de faire une connerie, je vais récupèrer ma veste et mon sac. « C’était super bon, et j’ai passé une soirée extra et… » Non, je vais pas me sauver comme une voleuse non plus, c’est Joaquin qui abuse, pas moi !
Je me retourne et m’approche rapidement de lui. Posant une main sur son torse, je me penche et l’embrasse juste au coin des lèvres. Okay c’était une mauvaise idée. Il se tourne légèrement et mes lèvres frôlent les siennes. Une super mauvaise idée. Je me recule un peu trop précipitament, avant qu’un nouvel appel de l’Ulfric ne vienne gacher un moment plus important. « Tu m’appelles. » Regard ancré dans le sien, c’est plus ordre qu’une demande. Je lui souris, me détache de lui et je vais ouvrir la porte d’entrée. « Tu me dois une tarte. » Je passe la porte, lui fait un signe de la main et la referme. « Et un baiser. » Et oui, je suis sûre qu’il a entendu. |
| | | | | |
| Possible que j’ai eu un sourire passablement idiot quand elle a refermé la porte derrière elle. Possible aussi que j’ai été plus que distrait quand j’ai rejoint Joaquin dans la foulée. Et possible que ce simple baiser et ce qu’il pourrait signifier a tourné en boucle dans mon esprit les jours qui ont suivi. Je pourrais dire que je m’attendais pas à ça, mais ce serait hypocrite de dire que ça m’a pas traversé l’esprit.
Sauf que je me retrouve comme un con, à pas vraiment savoir comment réagir, quelle serait la suite. Si tant est qu’il y ait une suite et que ce soit pas juste un comportement – très – affectueux. Sait-on jamais. Et je suis bien conscient que je me prends la tête tout seul, probablement pour rien soit dit en passant. Mais il y a quelque chose chez elle de solaire, de lumineux. Et bon sang, qu’est-ce qu’elle me plait. Même en essayant de prendre un peu de recul, j’ai pas souvenir d’avoir ressentir depuis… longtemps. Très longtemps. Est-ce que ça me perturbe ? Aucune foutue idée. Probablement que oui, que beaucoup trop de choses anciennes et nouvelles, s’entrechoquent dans mon esprit et me font tourner en rond un peu plus que de raison.
Alors c’est peut-être ce qui me décide, après quelques jours d’échanges de messages aussi normaux que trop fréquents pour être totalement innocents, à aller la voir. J’aurais dû appeler j’imagine. Ca m’aurait évité de la voir sortir accrochée au bras d’Ethan et en train de rire aux éclats. Ouais, j’ai toujours eu un sens du timing déplorable. Un sourire sans joie se dessine sur mes lèvres alors que je secoue la tête et que je tourne les talons sans même aller leur parler. Question d’égo mal placé ? Oh certainement oui. Assez mal placé en tout cas pour que j’essaie même pas de savoir de quoi il en retourne exactement. Je me contente de ronchonner dans mon coin, espaçant les réponses aux messages qu’elle peut m’envoyer et me gardant bien de proposer une autre soirée chez moi. Me faut juste le temps de digérer l’information et de me dire que je l’intéresse pas comme ça. Ou un truc du genre. Oh, je sais que c’est complètement con comme façon de faire mais possible aussi qu’au final, je me dise que c’est mieux comme ça. Qu’il vaut mieux que j’évite de m’engager dans quelque chose de sérieux. Parce que oui, à mes yeux, ça aurait pu l’être. Sérieux.
… oui, je me fatigue.
Le pire ? C’est que discuter avec elle me manque terriblement. Et les moments qu’on a pu passer ensemble. Je me retrouve à fixer mon téléphone comme un idiot plus d’une fois, sans trop savoir quoi faire, avant de me traiter de tous les noms. Sans compter que tout se bouscule et qu’au final, j’ai à peine le temps de me prendre la tête là-dessus.
Et après sa visite et celle de Ciàran, je me retrouve de nouveau chez moi, non sans être allé faire le point avec Joaquin de tout ce qui se passe. J’ai un profond soupir alors que j’ouvre le frigo, piochant de quoi manger alors qu’il est plus de 22 heures. Je me sens épuisé par cette journée et je me frotte le visage à deux mains avant de bricoler un sandwich, m’installant dans le salon alors que je mets un vieux film à la con en bruit de fond. Pour lever un sourcil quand j’entends qu’on frappe à la porte. Forcément, ça me tend un peu et je grimace avant de me relever et d’ouvrir.
Pour me figer un instant quand je vois Lizzie dans l’embrasure. « Oh Salut… tout va bien ? Y a un souci ? » Je me recule pour la laisser entrer et je la fixe longuement. « Il s’est passé quelque chose depuis tout à l’heure ? » Dire que je suis inquiet pour elle est un euphémisme. Mais dans l’immédiat, je me contente de refermer derrière elle, non sans vérifier qu’elle est bien toute seule. |
| | | | | |
| J’ai probablement eu l’air d’une idiote quand j’ai raconté la soirée à Sofia. J’aurais pu esquiver, mais elle me connaît trop bien et j’avais ce stupide sourire ravi collé sur le visage en rentrant à la maison. Evidemment qu’elle s’est foutue de moi – de moi et de mon non rencard – même si ça n’a pas duré et qu’elle a enchainé avec un interrogatoire. Et force est de constater qu’il me plait, et pas qu’un peu. Parce qu’il n’est pas aussi grognon que ce qu’il veut bien montrer, parce que discuter avec lui c’est aussi facile qu’intéressant, parce qu’il cuisine super bien (ça devrait peut-être pas compter, mais ça compte), parce qu’il me fait rire, parce que… je me sens bien avec lui tout simplement. Oh, et son sourire me fait littéralement craquer.
Hum. Ouais, j’aurais dû capter plus tôt je sais bien. Mais peu importe maintenant. Je suis pas sûre que ça aurait changé quelque chose. Est-ce que j’ai dit quelque chose qu’il fallait pas ? Ça peut pas être le baiser, qui n’en était pas vraiment un. Je veux dire, les jours qui ont suivi, c’était carrément cool, par messages, mais carrément cool. On a continué à parler de tout et de rien, souvent, tout le temps, tous les jours.
Sauf qu’il y a forcément eu un truc. Étant donné qu’il a arrêté. Pas brutalement, mais comme on laisse mourir lentement une relation… Alors j’ai fini par arrêté de lui écrire aussi, pour ne plus avoir cette impression de parler toute seule et de profondément l’emmerder. Il s’est peut-être rendu compte que c’était une mauvaise idée pour x raison. Mais il aurait pu me le dire non ? Plutôt que de me laisser dans l’incompréhension comme ça. Et j’aurais pu aller lui demander. Ça aurait été n’importe qui d’autre, je l’aurais fait, j’aime pas vraiment les situations malaisantes et les non-dits. Mais ça aurait été n’importe qui d’autre, je me serais certainement pas autant prise la tête à me questionner sur des ‘peut-être que’, ‘oui mais’ et j’en passe.
J’ai beau avoir dit que c’était compliqué parce que c’est un membre de la Meute, et un vieux ronchon, je sais bien que c’est pas du tout pour ça. Je crois que pour une fois j’avais peur des réponses. Et c’est naze on est d’accord. Comment je pourrais continuer à faire semblant alors qu’il est la première personne à laquelle je pense quand j’ai besoin d’aide ? Comment je pourrais me dire que c’était rien quand une carresse de sa part suffit à raviver ce que j’essayais d’oublier ? Okay, ça veut pas dire que de son côté il y a quelque chose. Mais ça veut dire que je peux pas laisser traîner cette histoire sans mettre les choses au clair.
Ce qui explique que je me retrouve de nouveau chez lui, après y avoir passé l’après-midi – et pas pour de bonnes raisons – à 22h passées. J’inspire quand il ouvre et secoue la tête en entrant. « Non, non, t’inquiète. Enfin, t’inquiète pas plus, y a rien de nouveau… » Je me tourne vers lui et montre ce que j’ai ramené. « T’as sans doute déjà mangé, mais j’ai des Po Boy au bœuf roti. » Un coup d’oeil autour de moi pour m’assurer, à retardement, qu’il est bien seul. Ah, seul mais en train de manger. « Si tu préfères ton sandwich, je les garde pour moi t’en fais pas. » Je soulève le sac qui contient une boîte rectangulaire. « Et j’ai une tarte. Comme tu semble avoir oublié qu’on devait en manger une, je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais. » Un petit tacle gratuit, un. « Je l’ai acheté, je l'ai pas faite, j’avais pas envie qu’on finisse à l’hôpital. » Je me mordille la lèvre et le dévisage, avant de soupirer. « Il faut qu’on discute. » Un silence. « Tu peux pas me mettre dehors, j’ai ramené des offrandes ! »
|
| | | | | |
| Je devrais probablement mettre un terme plus ferme à tout ça. Eviter de répondre aux quelques messages qu’elle m’envoie encore ou d’être trop proche d’elle dès qu’on se voit. Mais je suis bien incapable de m’en empêcher. Et ça m’agace passablement. J’ai l’impression d’avoir de nouveau vingt ans et de pas contrôler mes élans sentimentaux. Ce qui me ressemble pas vraiment.
Alors oui, je pensais que le plus simple serait de moins la voir. De moins lui parler. Sauf que j’ai pleinement conscience que ce que je peux éprouver dès que je la vois ne faiblit pas. Bien au contraire. Là encore, autant dire que ça me met pas spécialement de bonne humeur. Mais j’arrive encore à me persuader qu’il me faut juste un peu plus de temps pour chasser tout ça de mon esprit.
Même si la voir devant ma porte, à cette heure de la journée, fout un peu en l’air mes bonnes résolutions. J’ai un soupir silencieux, soulagé de savoir qu’il n’y a pas de nouveau problème alors que je l’écoute, fronçant légèrement les sourcils à ses paroles. « Je… les Po Boy c’est mieux que mon sandwich. Je suppose. » Je sais même pas pourquoi je réponds ça en réalité. Je suis un brin déstabilisé par sa venue, essayant – sans succès – de trouver pourquoi elle est là. Surtout qu’on a bien pris le temps de discuter il y a quelques heures à peine. Enfin, je suppose que je le saurais bien assez tôt. Surtout avec elle. Elle semble comme trépigner sur place, mais j’ai tout de même un sourire quand elle me parle de la tarte. « J’avais pas oublié. Pour la tarte. Mais je me suis dit que c’était plus forcément d’actualité. » Je suis bien conscient des sous-entendus que ça peut impliquer, mais c’est un peu l’idée de toute façon. « Celle que je t’avais faite a fait la joie des apprentis soit-dit en passant. » J’avais pas particulièrement envie de la manger tout seul. Et encore moins d’en refaire une pour rien. Oui, oui, je suis bien conscient que c’est totalement idiot. « L’occasion ou jamais hein… [/color]» Est-ce que je dois relever ou est-ce que je laisse couler ? Je pense que la seconde option reste tout de même la plus avisée, surtout que je sais toujours pas vraiment où elle veut en venir. « Je suis certain que t’arriverais quand même à faire une tarte, personne peut être aussi peu doué en cuisine quand même non ? » Une œillade un brin amusée qui disparait au reste de ses propos.
« Je… je compte pas te mettre dehors Liz… pourquoi tu penses ça ? » C’est bien quelque chose qui me viendrait jamais à l’idée, quoi qu’elle puisse avoir à me dire. Sourcil levé, je m’éloigne, allant éteindre la télé avant de revenir, désignant les sacs qu’elle porte. « Il faut réchauffer quelque chose ? » Plus pour m’occuper qu’autre chose, j’attrape les assiettes et je sors deux bières du frigo, sans vraiment chercher à briser le silence qui finit par s’installer de nouveau entre nous.
Finalement, j’attrape les sacs et je fais la distribution, m’installant de mon côté de l’ilot avant de finir par prendre une grande inspiration. « Alors… de quoi tu veux qu’on discute ? » Je pourrais tenter de tirer un peu avant de savoir le pourquoi de sa venue, mais je me dis que plus vite on enlève le pansement, plus vite on pourra passer à autre chose. Ou quelque chose du genre. |
| | | | | |
| Si j’avais encore eu des doutes concernant le fait qu’il faille mettre les choses au clair, le temps passé avec lui et Ciàran cet après-midi m’aurait convaincu. Je n’aime pas du tout ce côté neutre avec lui, je n’aime pas du tout cette impression de devoir marcher sur des œufs, je n’aime pas du tout avoir la sensation qu’il y a, qu’il pourrait y avoir, quelque chose, alors qu’il s’efforce de me montrer que ce n’est pas le cas.
Comme là. Je m’attendais pas à un accueil en grande pompe et à une explosion de joie, mais quand même, j’aurais préféré qu’il soit moins… lui. Ou plutôt qu’il soit moins de nouveau le lui d’avant, celui sur la réserve et un peu distant. Ou c’est peut-être dans ma tête, je sais pas trop. Je lui arrache néanmoins un sourire et je vais m’en contenter pour le moment, continuant sur ma lancée en enchaînant sur la tarte, sous-entendant le rendez-vous jamais venu, sans même me sentir coupable de ce coup bas.
Il a le droit à un froncement de sourcil. Comment ça plus d’actualité ? Ouais, ça pique un peu. Beaucoup. C’est con, mais il pourrait le dire autrement qu’au final, je l’intéresse pas non ? Et c’est quoi ça ? C’est toi qui a commencé à le tacler, tu peux pas lui en vouloir de te retourner la politesse. Hum. Je lui retourne néanmoins un sourire. « Contente d’avoir pu faire leur bonheur indirectement. J’espère qu’ils t’ont dit qu’elle était bonne. » Mais qu’est-ce que je raconte ? Qu’est-ce qu’on s’en fout, je suis pas là pour ça. Je le fixe comme si une deuxième tête venait de lui pousser et je ricane, oubliant momentanément mon propre bougonnement. « Une tarte ? Avec tout ce qu’il y a à faire et toutes les étapes là ? Tu sais à qui tu parles ? Il y a deux semaines, j’ai réussi à brûler des pâtes. Des PÂTES. » Je secoue la tête, blasée par moi-même. « Il y a des signes. L’univers ne veut pas que je cuisine. Et je m’en porte très bien soit dit en passant. » Même si ce serait cool de pouvoir me faire des plats et des gâteaux quand j’en ai envie. Heureusement que je vis dans une ville où tout est disponible H24.
Mais le peu de complicité qui commençait à revenir disparaît de nouveau. Par ma faute cette fois-ci soit. Je vois bien que cette petite phrase lancé en l’air, qui ne sort pas totalement de nulle part non plus hein, le rend perplexe et le… chagrine est un peu fort, mais dans le genre. Je lui tends le sac avec les Po Boy sans répondre à sa question pour le moment. « Ils sont peut-être encore chauds, je sais pas. » Je le suis dans la cuisine, me hissant sur un des sièges après avoir posé la tarte sur le plan de travail. Est-ce qu’on a le droit de dire que quelque chose auquel on a eu le droit que deux ou trois fois vous manque ? Droit ou pas, je m’en fous. Ça, ça me manque. Être juste assise avec lui à discuter et à partager un bon moment avec lui. Et en vrai, ça nous est arrivé un peu plus souvent.
J’attrape la bière, et le sandwich, auquel je ne touche pas pour le moment. Je le dévisage et fais un signe de la main entre lui et moi. « De ça. » Je soupire et ferme les yeux, avant d’inspirer profondément en le fixant de nouveau. « Laisse-moi parler. » Pas la peine de tergiverser, ce serait ridicule, j’ai plus quinze ans. « Tu pourrais me mettre dehors parce que t’en as marre, parce que tu veux plus me voir et que tu sais pas comment me le dire autrement… Enfin, me ghoster était pas mal compréhensible, même si je suis particulièrement obstinée. Mais c’est pas une façon de faire déjà. » Je bois rapidement quelques gorgées de bière et reprends. « J’ai essayé de comprendre, mais j’y suis pas arrivée. Je me suis dit que j’avais peut-être dit ou fait quelque chose qui t’avait pas plu, mais je sais pas quoi. Et tu m’as rien dit, tu m’as juste laissé comme ça… comme une vieille chaussette dont on veut plus. » Je hausse une épaule, continuant sans lui laisser le temps d’en placer une. « Et c’est de ma faute aussi, j’aurais dû venir te voir dès le départ et te demander, mettre les choses au clair, sauf que… J’avais pas trop envie d’entendre la réponse. » Presque par dépit, je croque dans mon Po Boy et fronce les sourcils, continuant la bouche à moitié pleine. « Et à dire vrai, si c’était pour que tu me dises que c’était plus d’actualité, c’était pas plus mal. » Je le fixe, clairement mécontente. Ou blessée. « Et c’est pas une façon de le dire non plus. » |
| | | | | |
| Même si elle est clairement agacée, même si je suis bien conscient qu’on ne va pas passer un bon moment, je ne peux pas m’empêcher d’être… heureux. Qu’elle soit revenue. Qu’elle ait envie de me voir. Je sais bien que c’est ridicule et que je dois faire en sorte de ne plus ressentir ce genre de choses mais… difficile de faire autrement. Elle a su réveiller une partie de moi que je pensais vraiment morte depuis longtemps. Et j’ai du mal à l’ignorer maintenant. Enfin, ça reste plus facile quand elle n’est pas là.
J’ai quand même un soupir silencieux à son froncement de sourcils, me frottant la nuque alors que la discussion est… étrangement banale. « Ils ont tout mangé et n’ont pas fait de commentaires. Comme à chaque fois. » Un vague sourire qui ne dure pas, même si j’ai une œillade amusée à son ricanement. « Des pâtes ? Mais comment t’as réussi à faire ça ? Je pensais même pas que c’était possible. » Je la fixe, curieux, penchant la tête sur le côté alors que j’essaie presque de trouver une réponse juste en la regardant. « Ca devient une question de sécurité publique en fait. Faut vraiment quelqu’un pour te faire à manger tout le temps. » Je me crispe moi-même à cette idée, chassant comme je peux le fait que je pourrais être cette personne. Ou que j’aurais pu. J’en sais rien en fait.
Oui, oui, c’est le terme idiot qui convient le mieux là.
Et je la suis des yeux alors qu’elle s’installe, posant mes coudes sur le plan de travail et bien soulagé d’avoir cet espace entre nous, sans trop savoir pourquoi. Les Po Boy qui m’est destiné comme le reste sont mis de côté alors qu’elle nous désigne tous les deux. « Oh, je vois. » Enfin non, je ne vois pas vraiment. Mais elle me demande de la laisser parler. Alors je m’exécute, gardant le silence alors que je me mords l’intérieur de la lèvre, plus par nervosité qu’autre chose. « Je te… ghoste ? Hein ? » Je n’ai pas pu m’empêcher de l’interrompre, perplexe devant le terme, mais j’agite la main pour lui faire signe de continuer à parler. Je finis tout de même par comprendre l’idée et, quand elle me fixe avec cet air attristé, j’ai un profond soupir, gardant le silence quelques instants alors que je cherche mes mots.
Je finis par attraper ma bière et j’en bois quelques gorgées, plus pour m’occuper et peut-être grappiller quelques secondes. « C’est pas… ce que t’as l’air de croire Liz. » Si seulement, ce serait tellement plus simple en vérité. De ne juste plus avoir envie de la voir et ne pas savoir comme lui dire. Ca m’éviterait nombre de prises de tête et de nuits blanches. D’autant que mon loup ne comprend pas absolument pas pourquoi je réfléchis autant à ce sujet. Au moins, il se garde bien d’intervenir dans tout ça, c’est déjà une bonne chose.
« Tu n’as rien dit ou fait… qui ne m’a pas plu. Enfin… ça ne m’a pas plu, mais ce n’est pas de ton fait. » Okay, dans le genre peu clair, ça se pose là. Nouveau soupir, alors que je pince l’arête du nez. « J’ai beaucoup aimé les moments qu’on a passé ensemble. Vraiment beaucoup. » Une longue inspiration, alors que j’ai vraiment du mal à continuer. J’ai même du mal à la regarder, c’est dire. « Mais j’ai compris qu’on n’attendait pas forcément la même chose de ces… rencontres. Je n’avais pas forcément envie qu’on ne soit que des amis et encore moins envie de faire croire le contraire. » Essayer d’expliquer ça sans être pathétique relève d’un exercice que je ne me souviens même pas avoir pratiqué dans ma vie. Et autant dire que c’est tout sauf un moment appréciable.
Un nouveau silence, alors que j’attrape le sachet qu’elle a ramené. « Alors j’ai préféré me mettre en retrait. Avant d’être trop attaché à toi. » J’ai un sourire sans joie, avant de croquer à mon tour dans le Po Boy. « Autant te dire que c’était un peu trop tard pour ça. » Constat soufflé avec une amertume que je n’essaie même pas de cacher. « Je suis désolé de t’avoir jetée comme une vieille chaussette donc. Je pensais pas que ça t’impacterait autant. Mais c’est mieux comme ça. » Ca lui passera, de vouloir chercher mon amitié. Après tout, je suis juste un vieux ronchon qu’elle croise de temps à autre. |
| | | | | | |
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |