Arcanistes : les Purificateurs (2/3)

Né en Angleterre en 1979, il a été abandonné dans un petit village non loin de la côte du Norfolk. C'est une vieille femme qui l'a trouvé et l'a apporté aux moniales d'un couvent local. Lorsqu'il eut cinq ans, les premiers signes de son Éveil se déclarèrent et la mère supérieure du couvent contacta l'abbé d'un monastère appartenant à l'Ordre des Purificateurs.
Ainsi, toute sa vie s'est construite dans un bain doctrinal absolu. Il n'a pas été élevé comme les autres enfants, et à l'heure où les gamins de son âge commençaient à tester leurs limites dans un milieu social normal, lui éprouvait son corps et son esprit afin de devenir le meilleur serviteur de ceux qui représentaient son univers entier.
Pour pallier ce manque, il a été intégré dans la vie religieuse conventionnelle très tôt, et encouragé à s'exposer au monde extérieur et à l'étudier d'une manière quasi systématique. Il n'est jamais sorti de l'encadrement de l'Ordre, mais n'en a jamais ressenti de regret particulier, prenant tout cela comme de la pure préparation à ce qu'il était voué à accomplir plus tard.
À 21 ans, il officiait déjà en tant que diacre, en Irlande. Il s'est engagé dans des missions de prêche un peu partout dans le monde catholique, est allé à la rencontre d'autres communautés religieuses dans une démarche plutôt anthropologique, et a ainsi accumulé les éléments d'une vision plurielle de la religion. Il reste parfaitement convaincu que l'Ordre est le seul à suivre une voie qui permettra au monde d'avancer dans une direction vertueuse, cependant cette ouverture de ses horizons lui accorde un certain recul sur la manière de procéder pour suivre ses objectifs.
Il était un des premiers à avoir eu la charge du secteur louisiannais, et fait partie des observateurs initiaux qui ont motivé la hiérarchie à concentrer davantage son attention sur les événements suivant la Révélation. L'Ordre a usé de son pouvoir pour l'installer comme prêtre responsable de la paroisse de Mooringsport. Un terrain plutôt défavorisé dans le paysage local, un défi à relever. La première de ce qu'il espère être une longue liste de victoires, fut d'y raviver l'attachement des habitants aux anciennes processions du triangle de Foi, en présentant cela comme un élément important du patrimoine et de l'identité de la localité, répondant par ailleurs au hésitations du peuple humain face aux bouleversements post-Révélation.
Rapidement adopté par ses paroissiens, il a une influence conséquente sur les plus fervents d'entre eux, et parvient même à en rallier quelques autres qui ne croyaient plus vraiment aux bénéfices de la religion. Même ceux qui choisissent de rester en dehors du culte se sont familiarisés avec sa présence et sont généralement d'accord pour convenir qu'il s'agit d'un homme sympathique, avec qui il fait bon parler de nouvelles perspectives pour Mooringsport et le futur de la région, ou bien de choses et d'autres.

Les débuts de la vie de Rick se résument à peu près à ses souvenirs de la caravane sordide où il vivait avec sa mère, et où s'entassait davantage la crasse et les mégots que ses affaires. Il n'a pas beaucoup connu son père, parti quand il était enfant. La génitrice n'a jamais compté que sur les aides, ne sachant pas tenir un job plus de deux semaines. Elle n'a pas encouragé son fils à étudier, et l'a envoyé au turbin aussi tôt que possible. Il a été pris comme apprenti chez un ébéniste et est sorti de la fange grâce à la passion du métier transmise par son patron. Ses œuvres préférées étaient principalement destinées à meubler et décorer les édifices religieux. C'est aussi à cette période que son Éveil s'est manifesté ; effrayé plus qu'autre chose, il a appris à juguler sa magie, jusqu'à ce qu'elle s'endorme presque tout à fait.
Il voulait reprendre l'affaire mais le vieux l'a poussé à voir du pays. Il s'installe donc dans une ville un peu plus grande à seulement 22 ans, et y ouvre son atelier. Très bon artisan, il se fait une clientèle un peu plus variée, élargissant son offre en travaillant autant dans le moderne que dans le traditionnel. Mais son ouvrage favori reste le mobilier religieux. Très fervent croyant, il a épousé à l'église et en bonne et due forme une jeune femme croyante elle aussi. Il fait aussi la connaissance du prêtre du coin, le père Edmund Irving.
Le couple peine longtemps à accueillir un enfant, aussi Rick se tourne-t-il d'autant plus vers Dieu, la prière nourrissant son espoir et les échanges avec le père Edmund le rassérénant un peu. Ce dernier, à la surprise de Rick, aborde le sujet de ces dons particuliers qu'il refoule depuis l'adolescence. Le prêtre affirme qu'ils ne sont pas nécessairement la marque du Malin, mais peut-être plutôt un signe d'une élection divine, et qu'il est encore temps pour Rick d'accepter cette part de lui.
Lorsqu'enfin sa femme lui donne des jumeaux en 2004, la reconnaissance de l'ébéniste envers le Ciel n'a d'égal que son bonheur d'être enfin père.
L'essor puissant de sa foi va le mener vers un changement de comportement qui ne plaît pas trop à sa femme d'abord, et finit même par l'inquiéter sérieusement lorsque Rick en vient aux mains avec son beau-frère, lequel a eu le malheur de lui faire une remarque sur ses bondieuseries à tout bout de champ. Voir son époux frapper un membre de sa famille pour une raison qu'elle juge totalement absurde la pousse à filer en catimini chez ses parents "pour quelques temps", emportant les jumeaux avec elle. Rick ne l'entend pas de cette oreille : on ne brise pas la cellule familiale comme ça, c'est une chose sacrée, sous l'autorité du père... Il déboule sur le perron des beaux-parents, qui alertent la police au moment où Rick allait frapper son beau-père.
Gardé au frais un petit moment par la police pour cause de plainte, Rick reçoit la visite du prêtre à qui il a l'habitude de se confier. Ce dernier l'incite à prendre du recul, à se distancer un peu des siens le temps que le calme revienne. Il lui propose d'aller loger dans un petit appartement qu'il loue dans un presbytère à quelques kilomètres de là. La belle-famille obtiendra une ordonnance restrictive et c'est ce qui incite Rick à accepter l'offre du prêtre : nous sommes en 2006 et les enfants allaient bientôt entrer à l'école ; puisqu'il ne peut même plus approcher d'eux en cette période charnière, il décide de s'épargner la souffrance de les apercevoir chaque jour, irrémédiablement loin de lui.
Durant sa période au presbytère qui dure finalement des années, au point que le jeune homme ne ressente plus le mal de ne plus vivre près de sa famille, Rick devient un Gardien de l'Ordre des Purificateurs. Il y apprend à développer ses dons d'Éveillé, et ses nouveaux frères le rassurent en permanence sur le but de son existence au point qu'il soit persuadé que Dieu avait pour projet de le mener précisément là, au service d'un Ordre œuvrant pour Sa gloire.
Pendant les dix années qu'il a passées dans l'Ordre, se déplaçant au gré du besoin que l'on avait de ses talents (jusqu'à poser ses valises à Shreveport il y a environ cinq ans), Rick a appris à respecter son fonctionnement et ce fut un grand honneur pour lui lorsqu'il accéda au grade de Puissance. Jamais il n'a remis en doute le bien-fondé de ce qu'il faisait. Le Mal tentait de s'assurer une place parmi les créatures de Dieu et il était certain au plus profond de lui-même d'agir pour le bien des Hommes et pour la paix, en impliquant tout son être dans la cause de l'Ordre. C'était du moins le cas jusqu'à ce que les conséquences de la Révélation se montrent finalement moins ignobles que ce qu'on lui répétait au départ. Petit à petit, Rick s'est mis à se poser des questions sur la possibilité d'une partie vertueuse de la population CESS. Il voyait à la Une de tous les journaux des créatures du diable passer des accords pour se soumettre aux autorités humaines,et d'autres se mettre en danger pour sauver des vies mortelles dans les faits divers, et il lui était parfois difficile de croire que tout cela se réduisait à un simple terme : "communication".
Bien sûr ses frères et sœurs de l'Ordre se montraient ouverts à discuter de tout cela avec lui, mais bien qu'il tâche de se remettre les idées en place, il restait toujours cette petite ombre curieuse au creux de ses méninges.
Et c'est à partir de ce germe insignifiant que le doute a infecté toute la conscience du purificateur. Tout récemment, il s'est passé quelque chose qui a déclenché cette expansion brutale : Rick a été mobilisé sur une opération de "châtiment" qui fut d'une violence absolue. Au cœur de l'affrontement, le combattant s'est trouvé nez-à-nez avec une adolescente, elle avait peut-être 13 ou 14 ans. Elle était terrifiée, démunie, mais elle était forcément "des leurs" et Rick, au prix d'un étrange effort de zèle, l'a détruite comme les autres.
Malgré la victoire célébrée non sans sérieux par son camp, Rick ne dort plus du sommeil du juste. L'image suppliante de la jeune fille le hante, elle lui rappelle qu'il a laissé derrière lui deux enfants de cet âge et cette analogie grignote ses convictions lentement, mais sûrement. Il redoute de prendre du recul sur tout cela, craint que toutes ses prétentions de légitimité tombent comme autant de voiles devant le vrai visage du purificateur qu'il est devenu, au prix de tant de sacrifices. Rick sait qu'on ne remet pas en cause le verbe qui vient d'En-Haut, sous aucun prétexte. Mais l'heure du bilan est peut-être venue... Et de plus hautes instances ont déjà un œil sur lui, pour le meilleur ou pour le pire.

Née en actuelle Croatie, elle a toujours été une chrétienne convaincue et portée vers les bonnes œuvres. Elle est tombée amoureuse d'un purificateur qui vivait dans un monastère où elle apportait du ravitaillement et aidait quelquefois pour diverses tâches. L'amour était réciproque et c'est en acceptant chacun de traverser la frontière du monde de l'autre qu'ils se sont épousés : lui en se dépouillant de ses vœux de moine, elle en entrant dans l'Ordre des Purificateurs.
Ils eurent cinq enfants, et malgré les difficultés et les conflits qui commençaient à prendre de l'ampleur dans le pays, ils nourrissaient l'espoir d'un futur meilleur. Son mari poursuivait son oeuvre d'artisan pour l'Ordre tandis qu'elle était formée à l'art des guérisseurs, intégrant la division des égides blanches.
Lorsque la guerre éclata pour de bon, elle crut voir son monde s'effondrer. D'abord ce furent deux de ses enfants qui moururent dans le bombardement de leur école, puis ce fut le plus grand qui décéda après avoir intégré une milice rebelle. La première fille de Blanka, qui partait en maraudes pour essayer de récupérer de quoi manger un peu mieux, fut enlevée par des hommes armés pour ne jamais reparaître.
L'Ordre accueillit ce qu'il restait de la famille dans une maison à l'écart des combats. Mais la plus petite de la fratrie, enfin, tomba malade, et la malnutrition lui arracha son dernier souffle.
Au final, la grande maison où l'Ordre cachait ses membres fut attaquée elle aussi, mais non par des soldats ordinaires : marqués par un clan de vampires opportuniste, ils rapportaient la pitance à leurs maîtres. La guerre les engraissait à loisir, les uns de pillage et de viol, les autres du sang des vaincus. Blanka en réchappa avec seulement deux des siens grâce à un sauvetage de l'Ordre, mais elle avait laissé des éclats d'elle-même dans tout cela. Ni son mari, ni ses enfants n'avaient survécu.
Elle fut emmenée par les anges vengeurs en Allemagne, où elle fut hébergée par l'Ordre le temps de se remettre. Elle voulu très vite reprendre une activité pour dépasser les événements, aider comme elle savait le faire. C'est en devenant aide-soignante, puis en travaillant dans un orphelinat qui recueillait des enfants yougoslaves, qu'elle surmonta les horreurs qui peuplaient encore ses nuits.
Parce qu'elle avait fait preuve d'une bravoure exceptionnelle durant sa captivité, et qu'elle continuait à se montrer d'une extrême volonté, elle monta en grade plus rapidement que beaucoup d'autres femmes avant et après elle. Les rangs avaient subi des pertes et elle recruta tout ce qu'elle put de nouvelles égides, les formant chacun et chacune. Dans la division, on lui prêtait l'aura d'une héroïne, élue de Dieu parmi les élus, certains de ses subordonnés la qualifiant de sainte.
C'est aussi durant cette reconstruction qu'elle fit la connaissance de celui qui deviendrait plus tard son second mari. Eberhardt était un bienfaiteur publiquement reconnu, très fortuné et très habitué des cercles mondains. Il mit du temps à convaincre Blanka de le prendre pour époux mais elle finit par dire oui à cet homme qui la vénérait. Ils n'eurent jamais d'enfants, mais Blanka était suffisamment affairée avec les égides pour réellement s'y pencher.
Son ascension dans l'Ordre se poursuivit jusqu'à la consécration ultime, à la suite de celle de son supérieur hiérarchique. Adoubée Vertu, elle le seconde depuis une dizaine d'années, et obtint même de faire venir son mari, alors atteint d'un cancer, à la cérémonie malgré l'habituelle confidentialité de la chose. M. Eberhardt s'éteignit quelques mois plus tard.
Bien qu'elle vive aux États-Unis depuis un moment déjà, l'arrivée de Blanka à Shreveport est relativement récente, mais elle a été minutieusement préparée. Elle a déjà des liens sur place, et s'est vu offrir une oreille attentive par les dirigeants locaux, notamment le maire de Shreveport. Elle a déjà commencé à s'associer à des projets sociaux afin d'aider à leur financement, mais a surtout réussi le tour de force de réunir les informations qui manquaient à l'Ordre pour mener ses guerriers vers leur première victoire sur le sol de Louisiane.