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Ne pleure pas, Bambino • Yago

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Sam 19 Juin - 12:23 (#)

Ne pleure pas, Bambino

yago ft. alaric


Quelque part au Moyen-Orient, à l’automne de l’année 1941

Entourés de chameaux, méchouis et fans de Dalida venus du futur



- Souris, gamin, je vais pas te bouffer!

L’air est étouffant. C’est à se demander comment les saisons peuvent-elles exister dans un endroit aussi aride que celui-ci.  L’atmosphère est chargée d’une humidité latente qui colle à la peau et étouffe les gorges. Alaric n’est pas une créature du soleil. Il préfère le froid, la pluie, le vent, car même s’il ne peut ressentir les effets d’une telle chaleur sur son corps mort, il déteste voir la sueur perler le long des gorges de ses repas. Leur goût n’en est qu’altéré, et le plaisir d’Alaric, atténué. Mais pour son frère et sa famille, il a fait des concessions. Voilà plusieurs semaines maintenant qu’il se trouve dans ce désert aride qui n’offre à ses visiteurs que du sable à perte de vue. L’oasis dans laquelle il est à présent établi est le seul point d’eau à plusieurs kilomètres à la ronde; véritable concentration d’humains venus trouver de l’ombre et du repos.

Pour l’une des premières fois de son existence, cependant, le Français n’est pas ici à la recherche de proies à pervertir, d’êtres à mettre à sa botte. Alaric est en voyage d’affaires.

Le vampire pensait en avoir fini des trahisons. L’équilibre semblait enfin avoir été restauré, entre autre grâce à leur nouvel Essaim de Dallas. Gabriel avait calmé sa furie complotiste, et tout allait pour le mieux. Jusqu’à ce qu’une nouvelle fois, leur soeur ne décide que tout cela ne suffisait pas. Il avait fallu qu’elle ramène ce nouveau clan de Nouveaux-Nés dans les parages. Et comme si cela n’était pas assez, elle avait changé de nom, enterré son ancienne identité comme si sa vie n’était qu’une page d’un livre qu’elle avait la possibilité d’arracher. Les tensions étaient à leur comble, et Alaric, qui avait enfin semblé trouver un semblant de stabilité, avait dû quitter sa nouvelle demeure et traverser l’Atlantique, une nouvelle fois. Sa nature avenante lui faisait certainement défaut. Chaque négociation était remise entre ses mains, et lorsque Gabriel avait appris l’émergence de cette nouvelle figure politique au Moyen-Orient, il avait pressé son frère de partir faire sa connaissance. Au cas où les choses dégénèreraient, avait-il dit. Nul doute la dessus, sa furie était de retour.

La traversée en bateau avait été d’une longueur abominable. Enfermé dans sa cabine la plupart du temps, il avait sommé son dernier Marqué en date de lui apporter de quoi se nourrir dès que besoin était. L’odeur de pourriture qui semblait flotter dans les airs l’avait un peu plus dégoûté de la nature humaine. Lorsqu’il était enfin arrivé en Angleterre, Alaric s’était débarrassé de son Marqué et s’était mis en route. Son voyage avait été d’une courte durée. A peine avait-il posé un pied au Moyen-Orient, l’on avait pu lui indiquer où trouver ce Salâh ad-Dîn Amjad. Son nom semblait éveiller un mélange de peur et d’admiration qui avait laissé le vampire dubitatif. Lorsqu’il l’avait enfin trouvé, Alaric en avait presqu’été déçu. Il s’était attendu à une bête sortie tout droit des Enfers, et s’était retrouvé face à un homme de sa taille à la peau brune et aux cheveux foncés.

Les négociations n’avaient pas été de très longue durée. Salâh connaissait déjà l’existence des Lanuit, et n’opposa aucune opposition à l’idée d’une entente cordiale. Il l’invita à passer une nuit en sa compagnie. Et cette nuit se transforma en semaines. Qu’y pouvait-il? Alaric avait toujours été un bon vivant. Et Salâh était de bonne compagnie. Une nouvelle amitié semblait être née. Gabriel serait ravi de cette nouvelle, Alaric en était certain. Passer quelques temps en plus dans cette région ne ferait de mal à personne. Sauf à ses narines, à priori.

Salâh était toujours entouré d’une multitude de personnes à sa botte et possédait un mode de vie différent de celui des Lanuit auquel Alaric s’adapta volontiers. Ici, les règles n’étaient pas les mêmes. Et, loin du contrôle de son frère et de la furie de sa soeur, le Français se laissa porter par son nouveau compagnon. C’est là qu’il avait rencontré le gamin.

Ses yeux hagards et cet air farouche lui avaient arraché un sourire, la première fois qu’il l’avait vu. C’était à vrai dire le soir de son arrivée; ce petit ne semblait jamais quitter les côtés de son Sire. Alaric n’avait pas tardé à comprendre l’emprise qu’avait Salâh sur lui. Au début, il n’y avait pas réellement prêté attention. Trop égocentrique pour s’intéresser à lui, il l’avait comparé à tous ces marqués et infants qu’il avait laissés dans son sillon. Au fil du temps, cependant, les choses avaient évolué. Le petit semblait avoir peur de lui, sans que le Français ne comprenne pourquoi. Il ne possédait qu'un très mince respect pour la race humaine, et considérait les jeunes vampires comme des bébés, il était vrai, mais il avait toujours su se tenir et ne pas laisser sortir sa Bête quand besoin était. Puis Alaric avait pris le temps de lui parler. Et, sans réellement comprendre pourquoi, il avait vu le reflet de sa jeunesse dans l’iris de ses yeux.

Il avait détesté cette sensation. Alaric ne s’était jamais intéressé à quelqu’un d’autre que sa personne ou sa famille. Et encore. Il n’avait même pas été capable de s’occuper de sa soeur à son Etreinte. Alors il s’était montré dur avec lui, pour tenter d’effacer ce sentiment d’affection avec lequel il n’était pas familier. Cela n’avait pas tenu longtemps. Peu à peu, il s’était laissé engloutir par les airs sauvages de Yago. Il se surprenait à lui donner des conseils, à veiller sur lui et à temporiser les réactions parfois excessives de son Sire. Il se disait cependant que là n’était pas son rôle, et tâchait de rester en retrait.

Jusqu’à cette fameuse nuit, cependant.

C’était la dernière avant la tombée de l’été. En six siècles d’existence, Alaric comptait plus de nuits que le plus vieux des êtres mythologiques. Tellement de nuit passées sur cette Terre qu’il ne gardait le souvenir que de très peu d’entre elles. Le soir où Gabriel avait été Etreint, lorsqu’il avait supplié Héloise d’offrir l’éternité à son frère. Celle où Aurore avait eu raison de lui, et qu’il lui avait donné le cadeau de sa survie. La nuit où il avait mis fin à l’existence de la seule personne qui avait réellement compté à ses yeux. Cette bataille qui avait failli mettre un terme à son éternité et qui l’avait convaincu de quitter les rangs de l’armée française.

Et cette nuit.

Il gardait un souvenir amer des évènements qui s’étaient écoulés et la face que son ami lui avait alors révélée. Alaric avait toujours été connu comme excessif, sans limites. Et pourtant, ses limites s’arrêtaient bien avant celles de Salâh. Il avait commencé à questionner ses véritables intentions, s’était demandé le bien fondé de cette relation. Ils s’appréciaient, nul doute là dessus, mais il se manipulaient, se mentaient, se cachaient. Alaric le savait pertinemment et malgré le désir de Salâh de le voir rester à ses côtés, le Français commençait à faire demi-tour. Et, quand il voyait Yago, ce sentiment n’était qu’exacerbé. Il ne pouvait pas faire l’affront à son ami d’embarquer le petit avec lui, car il savait que si Salâh savait se contrôler, son Infant était la chose la plus à même de lui faire déclencher une guerre. Et ce même contre le clan le plus puissant du monde. Depuis lors, il n’avait de cesse d’y penser. Le départ de son cadet n’avait rien arrangé aux choses. Parti pour rencontrer des étrangers arrivés sur ses terres, Salâh avait laissé à Alaric la lourde tâche de veiller sur Yago durant les quelques nuits de son absence.

Ce qui nous ramène à ce regard sombre posé sur Alaric, cette aura désarticulée et ce mix d’émotions. En général, le vampire tâche de mettre son Auspex en sourdine afin de ne pas être dérangé de toutes ces interférences qui ne l’intéressent pas. Lorsqu’il voit Yago, cependant, il essaie de le décrypter, car son visage est indéchiffrable. Ils sont installés l’un à côté de l’autre, et le gamin est tombé dans un silence qui commence à faire perdre patience à Alaric.

- J’ai faim, - dit-il alors en se levant. Il se tourne vers Yago quand celui-ci ne bronche pas. - Debout, gamin. J’ai promis à ton Sire que je ne te lâcherai pas des yeux, et je tiens aux miens. En route !

Une soirée de chasse en compagnie d’un bambin. Pas vraiment ce qu’il avait envisagé pour l’une de ses dernières nuit sur le continent, mais Alaric s’en contentera. Il fera toute la discussion, si besoin est. Les deux vampires s’éloignent peu à peu des routes principales et ne tardent pas à se retrouver plongés dans l’obscurité. Le Français a besoin de calme, et d’être sûr de se situer loin de toutes oreilles indiscrètes.

- Pas très loquace, hein? - demande-t-il sans se soucier qu’il comprenne ou non les mots qu’il emploie dans un anglais travaillé. - Ne t’en fais pas, je peux m’en contenter. Que veux-tu manger? Si tu tiens à la vie, ne me dis pas un chameau, gamin, - ajoute-t-il en souriant.  

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Ven 25 Juin - 19:48 (#)


Paroles, paroles, paroles.

L'obscure chaleur du désert les enveloppe tous deux, tout comme ce mutisme dont l'Infant se drape depuis le début de la soirée, car il s'entêtait à croire que le moindre mot, la moindre parole qui s'échapperait de sa bouche serait un indice supplémentaire de son état d'esprit. Et la proximité entre son Sire et ce vampire qu'il peinait encore à cerner le mettait mal à l'aise. En temps normal, il se serait méfié. Désormais presque aussi paranoïaque que Salâh ad-Dîn, il aurait craint que le moindre de ses battements de cils ne soit rapporté par Alaric à son Créateur, comme énième preuve de sa défiance envers les règles pourtant clairement édictées. Mais les seize années passées aux côtés du Prince Perse avaient élimé l'Israélite, dont les défenses désormais abattues gisaient sous le sable, bien loin de leur campement actuel.
S'il avait tout d'abord vu d'un mauvais œil l'arrivée de cet étrange énergumène, il se devait bien d'admettre que sa présence offrait également une évasion salvatrice. Comme l'oasis après l'éreintante traversée du désert, Alaric avait le mérite de distraire suffisamment Salâh ad-Dîn pour que ce dernier oublie par moments les manquements de l'Infant de plus en plus récalcitrant. Les failles transperçaient l'autorité du Maître, et si le cadet s'effaçait parfois lorsque les discussions animées prenaient vie entre les deux Antiques, ce n'était que pour mieux se reconnecter à lui-même. Son oreille attentive, toutefois, capturait chaque bribe de conversation, malgré lui intrigué par la relation que partageaient ses deux Aînés. Les Maudits étaient-ils seulement capables de se lier d'amitié entre eux ? Ou tout n'était-il que magouilles et trahisons politiques ? Après seize années passées à parcourir le Royaume de Salâh ad-Dîn, loin de chez lui, à jamais banni de ses terres originelles, il ne croyait plus en rien. Désillusionné, il n'était plus que l'ombre de lui-même, marchant dans les pas de celui en lequel il ne croyait plus qu'à moitié, chahuté par leurs nombreux heurts et par les réprimandes, de plus en plus sévères, qui s'ensuivaient.

Alors, lorsque son Sire leur avait annoncé s'absenter pour plusieurs nuits et qu'il avait confié à Alaric la lourde tâche de veiller sur l'Infant, il en avait ressenti un indicible soulagement. Même si Alaric s'était montré coriace avec lui les premiers jours, il avait perçu cet infime changement d'attitude s'installer, et croyait même reconnaître parfois une certaine bienveillance dans sa voix à l'accent étrange, lorsqu'il s'adressait à lui. Encore trop naïf pour croire à une quelconque manipulation, il s'était attaché à croire qu'Alaric éprouvait quelques bribes d'affection pour lui, tout comme il s'était lié à son Sire.
La nuit dernière, cependant, avait marqué un tournant dans la relation des deux compères. Lorsque son Sire était revenu de sa chasse en compagnie de son ami et qu'il avait regagné leur tente, l'Infant sut qu'une fracture avait opéré. Il avait tenté de le questionner à ce sujet, mais ne s'était heurté qu'à sa mauvaise humeur et à ses illusions colériques. Alors il s'était tu, et s'était endormi avec ses ruminations. Des questions sans réponse. Mais il avait compris une chose : d'une manière ou d'une autre, Alaric avait déçu Salâh ad-Dîn.
Et désormais, ils étaient tous deux installés côte à côte, sans que le Perse ne s'immisce, et même si le Français s'attelait à provoquer un échange prématuré entre eux, l'Infant se sentait honteusement libre. Une sensation qu'il souhaitait savourer, mais la conversation ininterrompue d'Alaric l'empêchait de se réfugier dans le silence.

Lorsque son gardien insiste, il ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel et de souffler par les naseaux, pour marquer sa désapprobation. Il s'arrache toutefois à sa contemplation oisive, abandonne l'observation des étoiles pour se lever et le suivre à contrecœur. Les coussins bédouins sont délaissés, tout comme le confort rassurant de sa tente, simulacre de refuge pour celui devenu nomade précipitamment. Jérusalem lui manque. Le sentiment d'avoir été arraché au ventre de la ville sainte pèse sur son myocarde empoussiéré, plus particulièrement lorsque sa relation avec son Sire se noircit, comme tel était le cas depuis plusieurs mois. Alors, sans un mot, désincarné, l'Infant suit l'Antique ; les mots et les ordres glissent sur lui sans l'atteindre, car rien ne le bouleverse davantage que les collisions et la violence des disputes avec Salâh ad-Dîn. C'est tout juste s'il redresse la tête pour croiser le regard de l'Européen, sans même faire l'effort de comprendre l'intégralité des phrases prononcées, lui qui ne maîtrisait qu'un anglais approximatif, reliquats de son ancien commerce au cœur de Jérusalem.

En sa compagnie, il s'éloigne du campement, la silhouette sinistre, le regard bas. Entouré par les dunes et par la chaleur humide des nuits désertiques, il paraît être dans son élément, pour un œil peu vigilant. Car qui croirait qu'après seize ans de fusion et d'exploration avec son Sire, l'Infant avait le mal du pays et n'aspirait qu'à une chose : retourner chez lui ? Pour se lover contre le flanc de la ville-mère, et y dormir à tout jamais.
Les incessantes paroles d'Alaric l'arrachent une fois encore à son introspection, et cette fois, les prunelles d'ambre quittent le sable pour se plonger dans les iris sombres du Français. Lentement, il en décortique la profondeur, éternellement intimidé par ses six siècles d'existence, véritable puits de sagesse et de connaissances, malgré les frasques parfois cruelles de son interlocuteur. Immobile, l'Israélite sonde celui qui se revendique ami de Salâh ad-Dîn, comme s'il cherchait à percer le secret de la nuit précédente, la raison de la mauvaise humeur de son Sire.

C'est dans cette posture figée qu'il articule lentement, avec un accent à couper au couteau, sans fournir le moindre effort afin de gommer les consonances hébraïques des mots qu'il prononce enfin.
« Je ne veux pas chasser. »
Ses yeux ne quittent pas les siens tandis qu'il lui déclame effrontément son refus d'obtempérer. Si son Sire aurait considéré cela comme une énième provocation, il avait besoin de tester Alaric, de découvrir s'il tiendrait son engagement de remplacer Salâh ad-Dîn en son absence, d'agir comme son reflet exact. Mais quels enjeux animeraient alors l'Aîné, de répliquer ainsi les comportements et brimades du Perse ?
Sans se défaire de son courage, n'ayant plus grand chose à perdre – il s'était déjà dépossédé de tout pour épouser l'immortalité – il s'obstine à conserver son regard planté dans celui du Français. Ose donc jouer de ta supériorité sur moi. Je m'en moque. Plus rien ne m'importe.

Sa langue se délie péniblement face au regard interrogateur d'Alaric, car il se sait examiné en retour, avec bien plus de curiosité que lors de son arrivée au Moyen-Orient. Quelque chose avait changé. Et cette inconnue lui permettrait peut-être de retrouver un semblant de liberté. Pour quelques nuits, au moins. Alors il décide de s'engouffrer dans la faille, persuadé que l'occasion ne se représenterait pas de sitôt.
« Je voudrais… »
Une ultime hésitation lui obstrue la gorge. Inconsciemment, il baisse le front, sa nuque s'offre, mue par l'habitude tenace de se soumettre après un énième débordement. Et cette fois, les prunelles ambrées se décrochent du faciès diaphane et s'enfouissent à nouveau sous le sable, lorsqu'il prend conscience de la dangerosité de la requête. Mais il s'était déjà aventuré en terrain scabreux, et Alaric était trop bavard et trop persévérant pour ne pas le presser à poursuivre la formulation de sa demande.
« Il y a un endroit… dans le désert. Il dirait que c'est interdit. Je l'ai trouvé, une nuit. Seul. Mais j'avais peur… »
Peur que le Sire soit en embuscade, dissimulé sous ses éternelles illusions. Peur de la colère que cet affront engendrerait. Peur des stigmates qui entailleraient sa psyché, encore.
Mais la découverte l'obsédait. Et se savoir hors de portée de son Sire l'incitait à commettre l'irréparable.
« Je ferai ce que tu veux, nous chasserons comme tu le désires, mais je t'en prie… laisse-moi y aller. Juste une nuit. »
Nulle supplique dans sa voix au timbre voilé de tristesse, malgré l'urgence des mots employés.

Sans qu'il ne s'en rende compte, sa dextre à l'annulaire amputé s'est enroulée autour de l'avant-bras d'Alaric. Les gestes tactiles sont naturels pour l'enfant de Judée. Il ne craint plus de lui parler, persuadé au fond de lui qu'Alaric n'est pas aussi cruel et inflexible qu'il le prétend. Habité par l'envie irrépressible de vivre, ne serait-ce que pour une nuit, autre chose que la fusion corrosive avec Salâh ad-Dîn, il resserre son emprise autour du bras du Français. Comme pour renouveler sa requête muette. Et pour trouver le courage d'aborder le sujet qui le taraude.
« Vous vous êtes disputés, toi et Lui. »
Une affirmation, pour celui qui percevait chaque changement infime dans les humeurs de son Sire, annonciateur de tempêtes.
« … pourquoi ? »
As-tu peur de Lui, Alaric ?

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Lun 28 Juin - 19:54 (#)

Ne pleure pas, Bambino

yago ft. alaric



Le gamin a toujours été silencieux. Il ne l’a jamais vu riposter face aux paroles ou aux actions de son Sire; la plupart du temps, sa seule réponse est constituée d’un regard jeté au sol, comme s’il acquiesçait en silence, conscient que ses mots n’auraient aucun poids face à l’emprise et l’expérience du Perse. Alaric n’y a jamais prêté attention, car il n’a jamais prêté attention à Yago. Se soucier d’autres personnes que lui ou les siens est quelque chose demandant une énergie bien trop drainante pour qu’il ne se surcharge de la sorte. Mais depuis que Salâh les a quittés, les nuits sont silencieuses. Extrêmement silencieuses. Les paroles du Français restent en suspend entre eux, soutenues dans les airs par une atmosphère étouffante. Il commence à se lasser, et à perdre patience. Il a besoin que le gamin lui dise quelque chose, n’importe quoi qui l’empêchera de penser à cette fatale expérience. Il ne le lui dit pas, mais Alaric se sent menacé. Menacé dans sa nature, menacé dans ses pensées. Il sait qu’avec l’usage d’arguments de poids, son nouvel ami parviendrait à le dévier du chemin dans lequel le vampire tâche de rester depuis des siècles.

Quand son voisin reprend la parole de son accent marqué, Alaric tourne le visage d’un air désintéressé dans sa direction.  Les mots s’échappent de sa bouche inerte comme ceux d’un enfant capricieux alors que ses yeux font de leur mieux pour ne pas quitter ceux de son aîné. Le vieux hausse un sourcil. Voilà un des rares moments où le petit fait preuve de caractère. Jusqu’où celui-ci peut-il aller, cependant? Alaric se prend à se demander s’il connait le fond de l’âme de son Sire, la noirceur de son aura. La sienne est claire; teintée d’une solitude tangible, absorbée dans une douleur qui ne le lâchera sûrement jamais. Il veut penser que ce gamin perdu peut être sauvé. Il l’espère au fond de lui, même s’il ne se l’avoue pas même à lui-même. Il finit par détourner le regard de son visage, et fixe les dunes qui s’étendent à perte de vue. S’il criait, il est sûr que personne ne l’entendrait. L’atmosphère est si lourde qu’elle semble emprisonner les paroles des pauvres éperdus osant s’aventurer dans cette terre aride.

Il a pourtant bien entendu les cris de ceux qu’il a égorgés de ses crocs, quelques nuits plus tôt. Alaric a vécu. Des centaines d’années durant, il a marqué la terre de son influence, ancré son visage dans des milliers de regards apeurés. C’est la première fois qu’il s'en sent aussi coupable. Car les actions qui se sont déroulées ont laissé dans sa bouche un amer goût semblable à celui d’une poignée de sable. Dans les yeux de ceux à qui il a ôté la vie, il a vu le reflet d’un monstre. Il secoue la tête pour essayer d’enlever ce vif souvenir qui semble accroché derrière ses paupières. Sans succès. C’est encore une fois les paroles de Yago qui le ramènent à la réalité. Cette fois-ci, pourtant, son regard n’est pas provoquant. Sa voix ne porte pas la même certitude que quelques secondes avant, lui qui semblait si enclin à tenir tête au Français. Sa phrase reste en suspend dans les airs, et Alaric fronce les sourcils. Il a baissé le ton de sa voix comme s'il avait peur que quelqu’un ne l’entende. Pas n’importe qui, à vrai dire. L’aîné sait pertinemment que la seule et unique personne avec une telle influence sur lui est celui qui l’a laissé entre ses mains.

- Qu’est-ce que tu veux dire, gamin? - demande-t-il finalement. Toute trace d’humour et de légèreté a délaissé sa voix.

Les limites d’Alaric sont lointaines. La plupart des peuples occidentaux pensent qu’elles sont infinies, cachées derrière des montages de suffisance, parfois de sadisme. Yago, pourtant, vient de les dépasser en une seule phrase.

- Tais-toi, tout de suite.

Il ne sait absolument pas de quoi il parle, et même si son regard s’est soudainement éveillé en pensant à ce fameux endroit, Alaric l’ignore. Il n’est pas là pour s’occuper de lui. Il est là pour veiller sur l’obsession de son nouvel ami. Car de ce qu’il a vu, le vampire a du mal à qualifier ce petit d’Infant. Sa main dénuée d’annulaire qui vient de s’enrouler autour de son bras n’en est que la preuve tangible, absolument terrifiante démonstration de sa véritable nature. Soudainement, Alaric ressent le besoin de partir loin d’ici, de retrouver son Amérique et la normalité de son existence. Ici, il a l’impression de se perdre. Les règles sont si floues qu’elles s’estompent aux limites de la monstruosité.

Les prochaines paroles qui sortent de sa bouche sont teintées de peur, comme dès lors qu’il parle de lui. Cette fois-ci, Alaric hausse un sourcil, amusé. Son Sire est certainement fort, mais il n’aurait aucune chance en duel contre le Français. Il pourrait le casser comme une brindille entre les mains d’un enfant. Lentement, la main du vampire se pose par dessus celle du gamin. Il attrape ses doigts, et serre. Fort. Il ne desserre la pression que lorsque les os sont sur le point de céder, et que Yago a relâché son emprise. Lentement, il accompagne la chute de son bras et le range soigneusement le long du corps de son interlocuteur.

- Il n’existe pas de disputes, petit. Simplement des opinions dissidentes. Me crois-tu assez idiot pour vous prêter assez d’attention au point d’avoir des « disputes »?

Un léger silence s’installe entre eux alors que le Français fige son regard sur l’enfant. Il n’essaie pas même de mettre en branle sa Domination, simplement de faire en sorte qu’il lui porte suffisamment d’attention pour que ses prochaines paroles pénètrent enfin son crâne.

- Tu lui accordes bien trop de crédit, Yago. - C’est certainement la première fois qu’il fait usage de son prénom à voix haute. - Allons donc dans ton entre secrète. J’espère que ça en vaut le détour. Surtout si je me vois forcé d’arracher la tête de son Maître lorsqu’il le découvrira.

Il a déjà commencé à s’éloigner. A une vitesse affreusement lente pour marquer le poids de ses paroles. Cependant, quand Yago ne lui emboîte pas le pas, il se tourne dans sa direction. Un sourire en coin apparaît son visage; celui qu’il utilise la plupart du temps et qui a disparu quelques minutes plus tôt. Celui qui trahit toute la nonchalance dont il fait preuve en temps normal.

- Tu te dégonfles, gamin?  

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Dim 11 Juil - 14:27 (#)


Paroles, paroles, paroles.

L'espace d'un bref instant, il croit voir la flamme de démence danser derrière les prunelles sombres d'Alaric, cette même lueur aliénée qui anime si souvent les orbes de Salâh ad-Dîn. La sécheresse des mots, la requête du silence et l'autorité de sa stature le renforcent aussitôt dans cette conviction qu'il est allé trop loin. Croire qu'Alaric représentait un allié potentiel dans cette nuit sans fin avait été une erreur. De ce qu'il comprenait du monde vampirique, du haut de son très jeune âge, il y avait deux sortes de créatures. Celles qui souffraient de leur humanité arrachée, et erraient dans les limbes, comme lui. Et celles qui avaient pleinement épousé la monstruosité de leur nouvelle nature, et en tiraient une force, comme son Sire. Les nombreux siècles du Français avaient incité le néonate à le ranger dans la deuxième catégorie. Et alors que la prise se resserre sur ses phalanges, et menace de lui broyer définitivement les jointures, il craint de s'être fourvoyé à confier si aisément ses aspirations secrètes à son Aîné. D'un mouvement vif, il tente de s'extirper de cette poigne surnaturelle qui le terrifie, imaginant déjà les remontrances conjointes de son Sire et de son ami. Mais la dextre de son interlocuteur paraît déterminée à briser la sienne, en châtiment de l'affront, et l'Infant ferme alors les yeux, pétrifié par l'imminence de la sentence.

Les paupières ne s'entrouvrent à nouveau que lorsque son bras est replacé dans sa position initiale. Même si l'étreinte violente a pris fin, le souvenir de l'étau demeure présent autour de sa main de glace, réveillant inéluctablement la douleur fantôme du membre absent – l'intolérable anomalie. Et si le ton de son interlocuteur conserve sa dureté, il comprend néanmoins qu'il a peut-être déniché la faille nécessaire. Il se garde toutefois de répondre, ni suffisamment stupide ni suffisamment arrogant pour se risquer à répliquer à des concepts qu'il peine encore à comprendre. Des opinions dissidentes. S'il ne s'agissait que de cela, la colère du Perse n'aurait pas éclaté sous la tente. Mais il ne dit rien ; en seize années, il avait eu le temps d'apprendre que certaines paroles déclenchaient irrémédiablement l'ire de ses Aînés.

Son prénom prononcé avec cet accent si étrange l'immobilise. Il peine à y croire, à s'accrocher à cette promesse que le Français accepte d'être le complice de cet affront, voire l'encourage à déborder du cadre imposé par le Perse. Etait-ce ces opinions dissidentes qui poussaient Alaric à guider l'Infant hors du sentier battu ? Ou alors Alaric était-il, comme son Sire le prétendait, un agent du chaos qui aimait bouleverser l'ordre établi, et bafouer les règles tangibles ?
Comme à chaque prise de parole, il formule tout d'abord silencieusement les phrases, les construit et les répète mentalement avant de les prononcer, ce qui confère à son discours une lenteur criante.
« Mais je n'ai que Lui, Alaric. »
Il verbalise l'évidence, pour répondre à ce qu'il interprète comme une accusation de la part de son Aîné. Il m'a dépossédé de tout le reste. Alors malgré les heurts, malgré la violence et les incompréhensions, malgré les opinions dissidentes, il s'accrochait à son Créateur de toute son âme. Car il n'avait pas le choix. Tout le reste avait disparu, était devenu hors de portée depuis trop longtemps. Et il refusait encore de se retrouver seul, perdu dans ce monde trop vaste dont il peinait encore trop à en comprendre les rouages.

S'il lui faut quelques secondes avant d'emboîter le pas de l'Européen, sa démarche se gorge d'une assurance nouvelle lorsqu'il le rattrape enfin, le menton redressé par la pique de son interlocuteur. Même s'il a encore du mal à réaliser que son vœu sera bientôt exaucé, son orgueil oriental reprend le dessus et il siffle en dépassant son Aîné, susceptible.
« Je ne me dégonfle pas. »
Plus que tout, il désire faire honneur à cette confiance inattendue que lui accorde Alaric, et ne pas décevoir cette étonnante complicité qu'il lui autorise.
« Prenons des chevaux. Nous irons plus vite. »
A présent qu'il réalise l'abolition définitive de l'interdit, l'impatience le gagne et, pour la première fois depuis longtemps, il se sent presque revivre, excité par cet horizon nouveau que lui propose son compagnon temporaire.
Revenus près du campement, il scelle son cheval d'un geste trahissant l'habitude, attentif au bien-être de sa monture.
« Je dois parler à… quelqu'un. »
Sans transition aucune, entre une caresse pour l'équidé et une vérification de son équipement, il s'adresse de nouveau à son gardien éphémère, l'anglais maladroit se mêlant à l'instabilité de sa psyché.
« Là-bas. Mais tu ne pourras pas le voir. Je comprendrais que tu m'attendes devant. Je comprendrais… que tu ne cautionnes pas. »
S'il partageait les convictions de Salâh ad-Dîn sur ce point, nul doute que sa colère éclaterait. Mais il ne voulait plus revenir en arrière. Désormais hissé sur son pur-sang arabe à la robe sombre, il adresse un dernier regard à Alaric avant de lancer l'animal au galop et d'initier une courte traversée du désert en sa compagnie.

Même s'il chevauche en tête, il ne peut s'empêcher de jeter de temps à autre un regard pour celui qui le talonne, stupéfait par sa stature, par son port de tête altier en toute circonstance. La flagrance de leurs différences culturelles le saisissait pleinement, et il était fasciné par cette élégance à la française, en opposition avec son attitude sauvage et déstructurée. La nonchalance d'Alaric ne ternit que peu le tableau dans les yeux de l'Oriental, éternellement curieux de cet exotisme que dégage son Aîné. Peut-être le regarde-t-il trop intensément. Peut-être que l'ami de son Sire éprouvera de la gêne à être décortiqué de la sorte. L'Infant n'en a cure. Pour la première fois depuis le début de son Éternité, il éprouve le sentiment qu'il pourrait enfin se lier avec l'un de ses semblables, autre que son Sire, et ce malgré les siècles qui les séparent. Charmé par cette idée, il en oublie jusqu'au risque encouru par sa désobéissance effrontée, indiciblement rassuré par la présence d'Alaric à ses côtés. Même si rien ne lui prouve que le Français ne se retournera pas contre lui au moment de rendre des comptes au Maître, il décide de croire que ce dernier tiendra de son côté, quoi qu'il lui en coûte. Car il a Foi en lui.

C'est cette même Foi qui le guide à nouveau vers le lieu sacré ; il ralentit l'allure à son abord, lorsque les premières ruines se dessinent dans l'épaisseur de la nuit. Le sable étouffe le bruit de ses chaussures lorsqu'il met pied à terre et, après avoir flatté l'encolure de sa monture, il enrobe de ses prunelles envieuses le temple désossé, dépouillé de sa splendeur d'antan. Les colonnes, détruites pour la plupart, témoignent de l'armature globale de la structure : le bâtiment devait être haut et pouvoir accueillir une bonne centaine de fidèles. A présent, seuls des lambeaux de façade demeurent distinguibles parmi les gravats et les dunes. Avec les siècles, la majorité du sanctuaire a été enseveli par les sables, et l'entrée est réduite à une lucarne béante, suffisamment large pour permettre le passage d'un homme, à condition de se baisser pour pénétrer les lieux. Sous le sable, et dans la pénombre de cette caverne mystérieuse, l'Infant devine la présence d'une salle qu'il meurt d'envie d'explorer. Mais, encore bouleversé par cette découverte comme par l'interdiction implicite, il abandonne sa contemplation muette pour se tourner à nouveau vers Alaric et réclamer tacitement son approbation.
« Je… j'étais… »
Il cherche ses mots, soudainement éprouvé par cette nécessité de se justifier auprès de celui qui avait accepté de l'accompagner, sans même connaître la destination de leur périple. Et le Français devinera aisément que l'hésitation n'est pas seulement issue de sa maîtrise précaire de l'anglais.
« … Juif. Auparavant. »
Pouvait-il encore se targuer de l'être, désormais…?
Tristement, il décroche son regard des sombres iris d'Alaric pour observer l’Étoile de David, presque effacée par le temps et les tempêtes de sable, mais qu'un œil averti peut deviner, surmontant encore la devanture du temple. Sous leurs pieds, il imagine aisément une esplanade, engloutie par les dunes depuis des siècles peut-être.

Intimidé, il s'approche à pas lents de l'édifice presque entièrement ravagé par le temps, encore écrasé par ce sentiment d'illégitimité quant à se tenir face à ce vestige d'une époque révolue.
Tu ne devrais pas être ici.
Et pourtant, l'Infant capricieux et le Français effronté se tiennent là, face à ces ruines ensevelies d'une civilisation d'un autre âge, blasphémant de leur nature cet ancien lieu de culte. Et malgré l'outrage, la tentation d'y pénétrer demeure intarissable pour l'Exilé.
« Depuis que je suis mort, je ne peux plus entrer dans les édifices religieux… et je sais que je ne dois pas y penser, Salâh ad-Dîn se mettrait en colère, mais je… lorsque j'ai vu ce temple… »
Il voudrait avoir une main à serrer, sentir un réconfort les lier par un geste tactile, mais il n'ose plus entrer en contact de cette façon avec Alaric, les doigts encore traumatisés par le contact mordant avec les siens.
Et il se sent stupide soudainement, stupide et ridicule, de l'avoir entraîné là, lui, vampire de plus de sept siècles, et de lui formuler l'impensable requête. Lui qui avait chevauché aux côtés de son Sire sans même lui prêter attention. Lui qui paraissait connaître tous les secrets du monde. Lui à qui il n'osait pas encore poser toutes les questions qui le brûlaient pourtant. Mais il est si démuni qu'il ne trouve un ancrage qu'en Alaric, nécessaire à sa survie immédiate. Alors, s'approchant à nouveau de lui, relevant des yeux encore trop humains, il lui demande l'autorisation, à lui et au désert uniquement.
« Alaric, ai-je le droit d'entrer et… prier ? »

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Mar 17 Aoû - 19:50 (#)

Ne pleure pas, Bambino

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Le petit possède une intensité dans son regard qu’Alaric a parfois du mal à cerner. Il ne brise que très rarement le contact visuel, pas par défiance, mais plus comme s’il était incapable de détourner son attention. Les paroles du Français font toujours mouche en sa présence, et même s’il ne fait aucun effort particulier pour adapter son langage et son accent à celui qui se tient à ses côtés, il sait qu’il comprend tout ce qu’il lui dit. Il le sait à la façon qu’à Yago de réagir, à la manière dont ses pupilles se dilatent face à ses paroles crues et cinglantes. Alaric n’a jamais été à sa place, n’a jamais ressenti aucun dégout ou peur face à cette nature qui les a engloutis sans leur laisser le choix, et pourtant, il a parfois l’impression de se voir, des siècles plus tôt. Peut-être est-ce dans l’adoration que semble porter Yago à son Sire. Alaric a mis des décennies à s’en défaire; peut-être Heloise sera-t-elle même toujours aussi ancrée sous sa peau glacée malgré le temps passé.

Malgré la douleur infligée et le peu de considération avec laquelle le Français remet son bras en place, le petit ne bronche pas et tâche de maintenir un faciès fermé, refusant de lui offrir toutes les faiblesses semblant danser derrière ses yeux sombres. Alaric s’en veut presque de lui infliger cela; il doit bien en avoir assez avec Salâh ad-Dîn. C’est ce qu’il lui confirme en reprenant la parole. Alors que Yago lui confirme la solitude ambiante dans laquelle il est plongé et qui semble lui coller à la peau, Alaric se demande l’espace de quelques secondes si c’est là ce à quoi il aspire. Dénuer ses compagnons de toute autre chose que lui pour assurer leur fidélité. Ce gamin est perdu et ne semble se rattacher qu’à son Sire, si bien que la seule idée qu’il puisse lui arriver quelque chose réveille en lui une peur qui l’embaume entièrement. Ou peut-être n’est-ce là que la crainte même de l’homme, l’idée de le trahir et qu’il puisse s’en rendre compte. En regardant Yago, le Français se rend compte que son nouvel ami est cruel. Une cruauté qu’Alaric a rarement rencontrée au cours de sa longue existence et dont lui-même n’apprécie pas faire preuve. Sa nonchalance l’empêche de se soucier suffisamment du monde qui l’entoure pour en user.

Il y a bien longtemps qu’un congénère aussi jeune et expérimenté n’a pas obtenu de lui le sourire qui se dessine sur son visage alors qu’il le dépasse, menton haut, comme piqué par ses paroles. Sans rien dire, Alaric lui emboîte le pas. Ce n’est que lorsqu’ils se retrouvent tous deux à sceller les chevaux qu’il trouve enfin le courage pour reprendre la parole. Le français se hisse gracieusement sur sa monture et laisse tomber son visage sur le gamin, encore à terre.

- Quelqu’un? J’espère que ce quelqu’un en vaut le coup pour que tu aies besoin de moi pour tromper ton maître de la sorte.

Ses prochaines paroles sont encore plus floues et laisse flotter entre eux un mystère que le Français n’affectionne pas particulièrement. Il n’est pas effrayé par l’inconnu qui les attend, plus agacé par le peu de précision de ses paroles. Il ne sait pas si c’est cela est dû à l’anglais peu aiguisé qu’emploie Yago; alors ses sourcils se froncent et il montre pour la première fois un semblant d’impatience.

- Tu auras tout le temps de dorloter ta monture plus tard, et même la mienne gamin. En attendant monte. Je n’ai pas toute la nuit. Ton Sire non plus.

Quelques instants plus tard, ils se retrouvent seuls, perdus au milieu du désert sombre et lourd. Alaric a laissé Yago ouvrir la marche, et observe avec amusement la flagrante différence de culture se ressentant jusque dans la manière qu’ont les deux vampires de monter à cheval. Yago se tourne souvent dans sa direction, et chaque fois, le français soutient son regard d’un air amusé, guère gêné de l’attention que lui porte son cadet. Il semble comme fasciné par les différences qui les animent. S’il le pouvait, Alaric lui en apprendrait certainement plus sur les coutumes occidentales et ce qui anime les foules au delà des continents. Il sait cependant qu’il n’en fera pas. Le peu d’éducation que semble posséder le petit sur le sujet n’est certainement pas anodine et trahit une nouvelle fois les desseins de son Sire. Le français commence à se rendre compte de l’étendu de ce dans quoi il vient de mettre les pieds. La façade se fissure et l’attitude du gamin ne fait que raviver les souvenirs encore brûlants de cette chasse à l’homme entamée quelques jours plus tôt par le Perse.

L’allure se réduit subitement. Posant enfin pied à terre, le vampire observe les alentours et ne tarde pas à discerner ce qui semble être les ruines d’un temple. Seule une colonne trône encore au milieu des débris de ce qui était auparavant un lieu de culte. Incertain de comprendre la situation, Alaric tourne son visage en direction de son voisin. Ses yeux sont grands ouverts, brillant d’une lueur qu’il ne leur a jamais connu auparavant. Son attention est entièrement portée sur l’édifice qui se dresse devant eux et ce n’est qu’alors que le français comprend que là est la destination de leur court voyage. La réalisation le frappe comme une bourrasque de sable et lui hôte passagèrement toute légèreté. La cruauté de Salâh s’est étendue jusqu’au point de rendre son fidèle effrayé à l’idée de pouvoir aduler quelconque autre personne, vivante ou non, réelle ou non. La tolérance que possède l’Occidental vis à vis de la Foi n’est pas tant due à une bonté d’âme qu’au désintéressement qui l’a toujours frappé. Alaric ne se soucie tout simplement pas suffisamment du monde qui l’entoure pour posséder l’envie de se forger une idée sur le sujet. Quand Yago tourne le visage vers lui et lui adresse ces paroles emplies de peur et d’incertitude, cependant, Alaric se demande comme a-t-il pu en arriver là. Même si la réponse semble simple et ne se résume qu’à un mot.

La réponse sarcastique qui menace de lui échapper s’étouffe au bord de ses lèvres quand le petit reprend la parole. Il le laisse avancer de quelques pas sans rien dire, et quand il se stoppe de nouveau quelques mètres plus loin, le Français l’y rejoint, les yeux rivés sur ce monument qui devait briller quelques décennies plus tôt. Puis, les doutes éveillés quelques secondes plus tôt se confirment quand son cadet prend de nouveau la parole, toujours aussi effrayé et incertain. Alaric ne devrait pas ressentir cet élan de sympathie, mélangé à un accès de colère dirigé contre celui qui a fait de ce gamin un être aussi malléable et effrayé. Alaric se fout du monde autour de lui. Il devrait se ficher Yago tout autant.

Et, pourtant, quand il lui demande l’autorisation de pénétrer dans l’antre, et que son regard rempli de tristesse se pose sur le sien une nouvelle fois, la main d’Alaric se lève de nouveau dans sa direction. Cette fois-ci, cependant, elle ne fait pas preuve de violence mais se pose sur sa nuque. Leurs regards s’ancrent l’un dans l’autre et Alaric garde le silence quelques secondes durant, comme pour laisser filer la promesse de leur secret entre eux deux. Finalement, il parle.

- Fais ce que tu as à faire, gamin. Je t’attends là.

Brisant le contact physique, le Français fait un pas en arrière, comme pour lui laisser l’intimité dont il a besoin.

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Sam 11 Sep - 16:04 (#)


Paroles, paroles, paroles.

Il regrette presque d'avoir osé formuler l'impensable auprès de son Aîné. Presque, car le désespoir qui avait englouti sa psyché depuis une période indéfinissable, avait contraint l'Israélite à abdiquer face à bon nombre de ses principes. Dans l'infini du désert qu'était devenu sa non-vie, le seul repère qui s'érigeait dans le néant était un Sire totalitaire, contre lequel il n'avait que le choix de se blottir, s'il espérait perpétuer un tant soit peu son existence.
S'il avait été en pleine possession de ses moyens, peut-être n'aurait-il jamais accordé sa confiance à cet Européen qu'il connaissait si peu, cet homme qui l'avait ignoré en premier lieu, pas par méchanceté, mais seulement car il l'avait perçu comme ce qu'il était devenu : un être insignifiant, une ombre dans le sillage d'un vampire multicentenaire ; un individu incapable de penser par lui-même, détestablement dépendant d'un autre. De son Autre. Ce qu'il restait encore d'humanité en lui rugissait à cette prise de conscience, s'insurgeait de cette soumission passive, de cette absence de révolte et de libre arbitre.
A quel moment était-il devenu ce fantôme de lui-même ? Cette négation, qu'abhorrerait sa mère ? qu'aurait détesté Aliénor ? A quel instant précis avait opéré la Fracture ? Avait-il été amputé de son caractère en même temps que de son annulaire, cette nuit-là, il y avait désormais seize ans de cela ? Quand donc était-il devenu cette créature lâche et docile, que l'on ne remarquait même pas ?

Ce qui ressemble à de la colère bouillonne alors dans ses veines – colère contre lui-même, mépris envers celui qu'il est devenu, honte d'avoir enterré l'homme qu'il avait été. Il était surpris qu'Alaric s'entête à le surnommer gamin. Même s'il se doutait que la différence d'âge l'avait affublé de ce surnom, il avait sans cesse l'impression que le Français s'adressait à une partie précise de lui-même, un morceau auquel lui-même n'avait plus accès depuis des années. Et cela le bouleversait. Car c'était le même pan de son être que Salâh ad-Dîn s'acharnait à nier inlassablement, nuit après nuit, à enliser sous le sable.
Ce gamin qui avait aperçu, du haut de ses huit ans, la silhouette d'Aliénor se percher à la fenêtre de sa chambre. Ce même gamin auquel elle s'était attachée, tout comme Alaric semblait se lier avec pudeur à lui, après avoir enfin prononcé son prénom pour la première fois. Cette possibilité offerte d'être quelqu'un d'autre.

Non, pas un autre. Lui-même.
Pas ce mensonge auquel il avait adhéré malgré lui, avec les années.
Pas cet étranger qui l'avait remplacé.

Alors, lorsque la main d'Alaric s'approche de nouveau, il ne frémit pas. Car il sait qu'il ne craint rien de plus que le courroux de son Sire. Même si la poigne d'Alaric l'avait déstabilisé, renouveler l'expérience ne serait jamais pire que subir les colères de Salâh ad-Dîn. La dextre bienveillante qui recueille sa nuque suffit à lui insuffler toute la confiance nécessaire, et l'emplit d'une détermination nouvelle, d'un courage qui lui avait cruellement manqué ces derniers années. Les prunelles se fondent dans celles de son Aîné, dans cette promesse silencieuse qu'il comprend et qui résonne en lui, nouveau roc dans la tempête sur lequel il peut s'ériger, loin de son Sire. Promesse d'un refuge, promesse d'un ailleurs, promesse de toutes ces possibilités que son esprit conditionné ne parvenait plus à imaginer, étriqué dans la tenaille de l'autorité de son Créateur.
Il voudrait étreindre cet homme plus que de raison, pour ses paroles libératrices. Pour ce qu'il lui donnait alors – peut-être trois fois rien à ses yeux, mais tellement plus pour son cadet – cet horizon renouvelé et ce sanctuaire qu'il avait le droit de fouler. Et il avait besoin de l'entendre de la bouche d'Alaric pour oser décrocher son regard du sien et s'autoriser lui-même à pénétrer dans le temple – alors que la menace implicite de son Sire, même absent, l'aurait en temps normal dissuadé de franchir le seuil du lieu interdit.

Il s'efforce de ne pas s'élancer à corps perdu vers les ruines, malgré son impatience et son besoin irrépressible de se ressourcer entre ces murs effondrés, autrefois sanctifiés. Intimidé malgré tout par l'aura des vestiges, même s'il ne subsiste de l'endroit que peu de gravats et que l'imagination doit s'atteler à redessiner la plupart des contours et des ornements, il avance toutefois, la démarche respectueuse lorsqu'il franchit ce qu'il croit être le seuil, après un dernier regard pour Alaric. Apercevoir la silhouette du Français et se remémorer la promesse tacite suffit à lui octroyer le courage nécessaire à la poursuite de son avancée.

C'est seul qu'il entre dans les ruines, la tête basse, subjugué par la beauté surannée des lieux dont l’œil humain ne distingue pourtant rien. Mais il n'a pas besoin de voir pour croire que la salle resplendissait autrefois d'une véritable magnificence. La plupart des inscriptions, sur les rares murs qui ne s'étaient pas effondrés, s'étaient effacés avec le temps, conférant au temple une neutralité bienvenue, qui permettait à l'Enfant de Jérusalem de projeter son esprit et de combler les manques. Il n'a pas besoin de fermer les yeux pour se croire dans une synagogue, entouré de cette aura protectrice parmi laquelle il évolue avec une dévotion religieuse.
Par habitude, il a ôté ses chaussures à l'entrée, et ses pieds nus foulent le sable millénaire. Presque par automatisme, comme happé par la mysticité des lieux qu'Alaric ne percevrait peut-être pas, il marche jusqu'à ce qui s'apparente à un autel, dressé au centre de la pièce au plafond parfois crevé, derrière lequel il devine le ciel.
Les yeux levés vers la voûte céleste, il se force à inspirer artificiellement, à s'imprégner de tout le sacré du temple, comme pour inconsciemment capturer l'instant et emplir son être de ce dont il risque d'être privé à nouveau des années durant. Puis, ses prunelles se décrochent des hauteurs et il chemine jusqu'à l'autel devant lequel il choit. Ses genoux s'enfoncent dans le sol meuble et ocre, tout comme ses coudes et ses avant-bras ; il voudrait ne former plus qu'un avec les ruines sacrées, communier pour une dernière fois avec le Très-Haut qui le répudie probablement. S'oublier et renaître.

Lorsqu'il regagne la surface et s'extirpe des vestiges, il est incapable de déterminer le temps écoulé depuis sa disparition. Mais il sait, il sent qu'il a rarement prié si ardemment. Et que cette expérience restera gravée dans sa mémoire, tout comme elle s'est inscrite sous son derme, pour lui conférer une force nouvelle, cette volonté qui lui manquait cruellement depuis des années. Le regard presque pétillant, il cherche Alaric des yeux, trottine dans le sable jusqu'à lui, et les phalanges se posent en toute confiance contre son avant-bras. Lorsque les prunelles se croisent, il lui témoigne toute sa reconnaissance en un seul regard, aussi puissant que ce qu'il a ressenti dans ces ruines, lui et lui seul.
« Merci… »
Une gratitude sincère, prononcée avec cette déférence qu'il éprouve désormais à l'égard du Français. Celui qui lui a permis de redevenir lui-même, une nuit. Lentement, il retire sa main, conscient que le geste tactile pourrait une fois encore brusquer l'Occidental.
« Je sais que peu de choses sont gratuites, dans le monde vampirique. Et même si tu as peut-être agi de façon désintéressée, s'il y a quoi que ce soit que je puisse faire… peu importe ce dont il s'agit… demande-le moi. Ici ou ailleurs. Maintenant, ou dans un siècle. »

Il ignorait les raisons de ce qui s'apparenterait à une trahison, aux yeux de Salâh ad-Dîn. Il ignorait presque tout de l'homme qui lui avait accordé son souhait le plus cher, alors qu'ils se connaissaient à peine. Il ignorait le prix de ce secret, s'il y en avait un. Mais il savait que désormais, un pacte les liait étroitement, tous les deux. Et puisque son Aîné semblait si enclin à lui faire confiance, il ne peut s'empêcher de lui demander avec prudence, animé d'une véritable curiosité à son égard.
« Pourquoi…? Pourquoi prendre un tel risque ? »

Pourquoi t'opposer à Lui en m'offrant cette liberté interdite ?
Ne crains-tu donc pas Sa colère ?
As-tu raison d'affirmer que je lui accorde trop de crédit ?

Je voudrais être aussi fort et aussi insouciant que toi. Tu parais survoler le monde sans que rien ne te blesse jamais. Comme un oiseau au vol éternel, qui jamais ne se pose. Comme si tu n'avais besoin d'aucun répit, d'aucun oasis où te reposer après cette longue traversée du désert.
Comme si tu étais inatteignable.


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Mer 22 Déc - 12:10 (#)

Ne pleure pas, Bambino

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Les silencieuses secondes qui s’écoulent entre l’Aîné et l’enfant s’étirent alors que la brise vient lentement les enrouler dans ses bras. Alaric ne commence qu’à comprendre l’ampleur de sa demande, et les conséquences de son offrande. Le regard que pose Yago sur lui paraît si tourmenté que le Français est à deux doigts de retirer sa bénédiction. Il devrait faire demi-tour et entraîner le gamin avec lui, le déposer nonchalamment aux pieds de son Maître et ne plus se mêler de la sordide relation qui semble les unir. Il ne devrait pas être là, encore moins avec lui; là n’est ni sa mission, ni sa volonté. Pourtant, il reste immobile, observe silencieusement le petit et se dit qu’il affrontera les conséquences de leurs actes pour eux deux si besoin est. La peur de devoir faire face à Salâh Ad-Dîn n’est pas la raison de l’étrange sensation qui semble traverser son corps sans vie, mais plutôt la réalisation de ce qu’il est en train de faire, et l’absence de raison l’ayant poussé à suivre Yago jusqu’ici. Alaric n’est pas généreux. Il n’est pas bienveillant, encore moins désintéressé. Pourtant, il ne parvient pas à trouver ne serait-ce qu’une raison à sa présence devant ces ruines. Il décide de ne pas y prêter attention pour le moment et range soigneusement cette question dans un coin de son esprit.

Yago s’est éloigné, le laissant seul en compagnie de ses pensées tumultueuses. Lentement, le vampire se retourne, tournant le dos au lieu de culte et laisse son regard traîner jusqu’à l’horizon. Dans les tréfonds de sa mémoire, il part à la recherche du visage d’Héloïse. Il se rappelle la façon dont il était incapable de s’opposer à elle, encore moins d’en ressentir la volonté. Sa voix aurait pu lui faire commettre un massacre sans sourciller. Le pouvoir qu’elle avait sur lui était tel que sa Sire a longtemps remplacé son frère et sa soeur au centre de ses pensées. Voilà une raison de plus de ne pas intervenir. Alaric se convainc qu’il n’en a ni le besoin ni l’envie. D’ici quelques jours, il sera reparti et n’aura plus à se soucier de ce regard éperdu et terrifié. Il pourra l’oublier. Il pourra reprendre ses activités immorales et se recentrer sur la seule et unique personne qui ne l’a jamais déçu ou trahi: lui-même.

Le ciel est peint d’une traînée d’étoiles qui dessinent des constellations éclatantes. Le silence du désert n’est interrompu que par le bruit de la brise venant claquer les grains de sables à ses pieds. Les secondes s’étirent en de longues minutes, mais Alaric ne bouge pas. Immobile, son champ de vision s’est obscurci pour ne le laisser entrevoir qu’un point de lumière au loin. Il n’aime pas cet endroit. Ici, il n’est pas lui-même. Ce lieu le force à faire face à des choses qu’il a passé des siècles à faire mine d’oublier. Il doit partir, et ne jamais revenir.

Quand Yago émerge enfin des ruines auxquelles il tourne toujours le dos, l’Aîné s’applique à afficher un sourire flegmatique avant de tourner le visage vers lui. Son regard abrite une tempête sur le point d’éclater, risquant de les engloutir tous deux. Alaric n’a jamais affectionné quelconque religion, associée pour lui à l’idée de contrôle sur l’homme, déjà prone à la faiblesse. Mais le vague “merci” murmuré entre les deux corps inertes lui fait comprendre, durant une courte seconde, la signification de ce que le Français vient de lui accorder. S’il se détache de ce regard qui paraît apeuré, torturé en permanence, il aperçoit l’éphémère sentiment d’accalmie qui dénoue le creux formé entre ses deux sourcils, apaise le soucieux étirement de sa bouche. Les doigts du petit sont enroulés autour de son avant-bras. Cette fois-ci, Alaric n’a pas bronché, pas même cillé. Il est incapable de se résoudre à user de sa nonchalance pour rétablir la relation de pouvoir qu’il établit avec chaque créature qu’il croise. Il se sent entraîné par ce torrent d’humanité. Ses mains sont sur le point de lâcher le rivage auquel il s’accroche depuis des siècles. Quand Yago retire sa main, les yeux du Français tombent enfin là où elle était posée quelques secondes plus tôt, avant de retrouver le regard de l’Israélite qui reprend la parole.

Les mots qui emplissent l’atmosphère les enroulant le sortent enfin de sa trance. Un mince sourire étire ses lèvres, celui qui remonte toujours plus d’un côté que de l’autre et qui n’annonce en général rien de bon. Pour la première fois depuis deux cent quatre-vint-huit ans, Alaric ment.

- “Désintéressé” n’est pas un mot qui fait partie de mon vocabulaire, gamin.

La vérité est qu’il n’attend strictement rien du petit, et que même si cela était le cas, il ne serait pas en mesure de lui apporter ce dont il a besoin. Sans doute car l’Aîné n’en a pas la moindre idée lui-même. Il ne lui fait pas part de ses pensées, cependant, et entame la marche les menant jusqu’à leurs montures. La voix de Yago s’élève une nouvelle fois dans son dos. Il attrape les rênes, pose sa main sur la crinière de son cheval, et tourne le visage vers le petit.

- Si tu crois que ce que nous venons de faire est un risque que j’ai décidé de prendre malgré tout, réfléchis encore.

Le retour au campement est silencieux. Salâh Ad-Dîn n’est toujours pas de retour. Un serviteur mène Alaric jusqu’à la tente du maître; il ne laisse pas de choix à Yago et l’entraîne avec lui. Les battements réguliers du coeur de l’homme qui ouvre pour eux les pans de toile lui rappellent qu’il n’a rien mangé, en fin de compte. Peut-être pourra-t-il se satisfaire de cet humain. Il peut encore patienter quelques heures. Attrapant un ouvrage flânant sur le divan, Alaric s’y allonge confortablement, dos appuyé contre le dossier. Il reprend sa lecture à la dernière page cornée par ses soins, et parvient à se concentrer moins de cinq minutes avant que l’aura de Yago ne le déconcentre de nouveau.

- Tais-toi un peu, j’essaie de me détendre, gamin, - lui dit-il sans tourner son regard dans sa direction.

C’est comme s’il était entouré d’un halo de tourments, flottant autour de lui comme s’il attendait le moment opportun pour l’étouffer. Il a peur, et Alaric n’en connait que trop bien les causes et conséquences. Son aura est si bruyante qu’elle semble souffler une mélodie dans les oreilles du Français. Finalement, l’ouvrage ouvert est déposé contre son torse, et son regard se tourne vers lui.

- Yago.

Il se redresse, pose le livre à ses côtés, pieds à terre. Il se penche légèrement vers le petit, et fixe son regard dans ses orbites assombries.

- Je pourrais te faire oublier ce qu’il vient de se passer. Oter de cet esprit torturé les moindres souvenirs de cet endroit, - dit-il en tendant la main, posant son index sur la tempe de son cadet. - Ne me fais pas regretter mon choix de te laisser ce souvenir.

Se redressant comme si de rien n’était, il lui sourit de manière effrontée, avant de se réinstaller confortablement.

- Maintenant, cesse de gigoter. J’essaie de me détendre.

Il sait que Yago n’a aucun contrôle sur son aura et ne sait probablement pas de quoi il parle de toute façon. Il pourrait le forcer à se calmer, insuffler la sérénité dans son esprit par la force de son regard. Alaric décide de ne pas s’attarder sur les raisons qui font qu’il décide de ne pas le faire.

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Dim 23 Jan - 22:13 (#)


Paroles, paroles, paroles.

Dissonance.
Il est désarçonné par le revirement soudain des humeurs d'Alaric, et le doute s'implante dans son esprit tourmenté : le Français ne se rit-il pas de lui depuis le début ?
Perturbé, il scrute son visage changeant, mais la longue prière à laquelle il vient de s'adonner le rend bien trop à fleur de peau, et il sent que ses capacités s'éliment au contact de son Aîné. Incapable de discerner le vrai du faux, il ne peut que se résigner à le suivre en silence, à chevaucher de nouveau sa monture et à galoper jusqu'au campement. La durée du trajet suffira à transformer sa perplexité en véritable angoisse. S'était-il fourvoyé, en plaçant l'entièreté de sa confiance en cet homme qu'il ne se connaissait pas réellement ? L'allié de son Sire le trahirait-il, et révèlerait-il le secret qu'il n'avait peut-être jamais eu, en fin de compte, l'intention de garder pour lui ?

Il est fébrile lorsqu'ils retrouvent les siens et l'agitation du camp nomade. Il sait qu'il n'est intégré parmi ces voyageurs uniquement par son statut d'Infant. Ici, et malgré les années passées aux côtés de Salâh ad-Dîn, rien ne lui semble familier. Tout lui demeure étranger : les gens qu'il côtoie sans réellement apprendre à les connaître, l'environnement qui change parfois chaque nuit, au gré des déplacements et des caprices de son Sire. Les visages sans cesse renouvelés. Les alliances qui se tissent et se détricotent, et qu'il peine encore à comprendre. Tout un univers qu'il épouse encore difficilement, malgré les exigences de son Créateur. Et les humeurs lunatiques d'Alaric ne l'aidaient nullement à se sentir à l'aise parmi tous ces hommes qui le jugeaient parfois encore du coin de l’œil, ou pire encore, ne le remarquaient pas.
A croire qu'il ne serait jamais à la hauteur.

Sans réellement l'avoir décidé, il avait suivi le Français dans la tente de son Sire et s'était installé au pied du divan, sur un coussin moelleux dans lequel il échouait souvent. L'inquiétude déforme son faciès tandis qu'il scrute inlassablement le visage multicentenaire, à la recherche du moindre indice l'informant de son état d'esprit. Si sa cage thoracique pouvait encore se soulever, sa respiration serait saccadée et insupportablement sifflante. Nerveux, il triture un morceau de couverture, et le contraste entre l'apparente sérénité d'Alaric et son propre tourment ne fait qu'accentuer ses gestes névrosés.
C'est peut-être cela qui extirpe finalement le Français de son calme olympien et l'incite à le rabrouer, et le cadet sursaute à sa remarque, persuadé de ne pas avoir prononcé la moindre parole depuis leur retour au campement. Pourtant, l'Européen lui reproche ce bruit incessant. D'où provenait-il ? Entendait-il ses pensées ? Tous ces sons qui se bousculaient à l'intérieur de son crâne ? De sa poitrine ?

« Alaric… »
Mal à l'aise, il profite malgré tout de la reprise de la conversation pour accrocher son regard du sien, lorsque le vampire daigne reposer l'ouvrage pour lui accorder à nouveau une once d'attention. Il ne peut s'empêcher de tenter de déchiffrer le titre du livre délaissé, rédigé dans une langue qu'il ne comprend pas. S'il l'osait, il lui demanderait de lui faire la lecture, de lui apprendre à manier ce verbe si élégant, si différent des idiomes qu'il maîtrise. Mais la menace de l'annihilation du souvenir le plonge dans un effroi qu'il peine à dissimuler. Sans comprendre ce sec revirement de situation, il se contente de secouer vigoureusement la tête, trop habitué aux avertissements de son Sire généralement suivis d'une exécution, pour douter des propos d'Alaric.
« Je ne veux pas oublier. C'est tout ce qu'il me reste. »
Il se retient de le supplier, abattu par la sécheresse des ordres et par la rugosité du faciès désormais hermétique. Même les rictus ne désamorcent pas le mal-être profondément enlisé sous le derme de l'Oriental.

C'est probablement pour préserver à tout prix ce lien qu'il croyait avoir établi avec lui, qu'il se redresse finalement avec maladresse, abandonne le confort de la tente et titube presque jusqu'à l'extérieur. Les cieux étoilés l'accueillent à nouveau, seul, et il s'éloigne d'un pas rapide de la tente de son Sire, y délaissant Alaric. Il ne comprend pas la provenance de ce bruit qui semblait tant avoir dérangé le Français, mais il préfère ne pas s'y attarder et simplement se soustraire. S'effacer, se faire oublier. De nouveau, il foule le sable et erre parmi les tentes ; son regard croise parfois celui des hommes de Salâh ad-Dîn, mélange de défiance et de lassitude. En lui commence à naître un sentiment qui ne le quittera plus jusqu'à son départ définitif : quelque chose s'était définitivement brisé entre lui et son Sire. Ces nomades ne l'accepteront jamais parmi les leurs. Et cette vie loin de sa Jérusalem natale ne lui convient plus.
Il réalise qu'il ne rentrera jamais chez lui.
A jamais, condamné à errer de par le monde, définitivement exilé du seul endroit sur Terre qui lui conférait ce sentiment de sécurité, la chaleur d'un foyer.
Sa ville lui manque. Sa mère lui manque. Sa boutique, son travail, ses horloges lui manquent.
Respirer lui manque. Aimer une femme lui manque.
Aliénor lui manque plus que tout.

Il lui faut s'égarer une petite heure parmi les dunes pour que la déchirure sous sa poitrine se referme un tant soit peu. Lorsqu'il fait de nouveau irruption dans la tente pour y retrouver Alaric, il est accompagné du serviteur qui avait guidé l'invité dans le campement, l'un de ceux qui remplit le rôle de poche de sang pour le Maître.
Cette fois, il s'efforce de se montrer le plus silencieux possible lorsqu'il s'installe de nouveau à ses côtés, sur le même coussin qu'il avait occupé précédemment. L'humain, visiblement habitué à être utilisé pour prolonger l'éternité des démons qu'il servait, s'agenouille d'un geste trahissant l'habitude. Une main caleuse rapatrie ses cheveux tressés vers l'arrière, dégageant l'accès à sa carotide. Lentement, il déboutonne sa chemise : sa peau sombre est criblée des cratères des morsures régulières qu'il subit, aberrations qui bafouent sa beauté sauvage. L'homme ne doit pas avoir plus de trente ans, mais son regard affirmé témoigne d'une expérience de vie bien plus lourde que son jeune âge.

Prudemment, l'Infant se penche vers le Français et lui murmure d'un ton chaleureux :
« Ihsan est le calice favori de Salâh ad-Dîn. Tu peux en jouir comme bon te semble. Je peux te laisser seul avec lui, si tu préfères. »
Il ne connaissait pas suffisamment son Aîné pour déceler ses préférences, tout comme le degré d'intimité qu'il souhaitait nouer avec son calice. En général et depuis son arrivée, il le laissait en compagnie de son Sire et se nourrissait de son côté, comme s'il avait bien conscience que ce qui se jouait entre le Perse et l'Européen le dépassait.
Puis, sans pouvoir s'en empêcher, il ajoute plus bas tout en s'efforçant de le regarder.
« Pardon pour le bruit, tout à l'heure. »
Avant de se redresser pour lui accorder l'intimité qu'Alaric exigera peut-être, il se concentre pour déceler ce qui demeurera éternellement imperceptible au Français, paupières closes et phalanges jointes devant lui. Durant de longues secondes, il se connecte à l'invisible, à ce lien qui dépasse l'entendement et qui l'effraie autant qu'il le rassure, parfois.
« Salâh ad-Dîn est encore loin. Et je n'ai pas l'impression qu'Il cavale vers nous. Peut-être ne rentrera-t-Il même pas cette nuit. »
Ses iris d'ambre retrouvent les billes sombres d'Alaric lorsqu'il se lève. Ses doigts accrochent les pans de la tente pour les écarter et retrouver la voûte céleste. S'il le lui demande, il est prêt à sortir de nouveau.

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Lun 21 Mar - 18:25 (#)

Ne pleure pas, Bambino

yago ft. alaric



Sans savoir pourquoi, et surtout sans avoir envie de s’y attarder, le Français ne parvient pas à mettre en sourdine les milliers de démons qui semblent vaciller au dessus du petit, comme attendant le moindre faux pas pour s’y jeter et dévorer sa chair immortelle. D’ordinaire, Alaric apprécie sa paix et ne prête pas attention aux tourments et auras des personnes qui l’entourent. La voix sèche et emplie de reproches qui s’échappe de sa gorge laisse reposer entre eux un silence lourd d’opportunités inavouées. Le regard sombre de Yago accroche son visage, et quand il reprend la parole, d’une voix qui le supplie presque de ne pas lui arracher la seule chose qui lui reste, Alaric, pour la première fois, détourne le regard.

C’en est trop. Il déteste la sensation qui le traverse, déteste sentir sa gorge se nouer, déteste avoir envie d’arracher une main à son ami pour lui faire payer les tourments infligés à son Infant.

Assis sur le divan de cette tente luxueuse arpentant les dunes sableuses de cet empire infini, l’Eternel ne bouge pas quand le petit disparait. Coudes fermement ancrés sur ses genoux, il ferme finalement les yeux et laisse légèrement sa tête tomber entre ses épaules. Il ne sait pas ce qu’il fait réellement ici, au final. Chaque voyage effectué dans cette contrée est une atteinte de plus à la nonchalance qu’il s’est toujours appliqué à afficher. L’idée d’avoir trouvé sur ce continent monstre plus cruel que n’importe quel Lanuit le terrifie. L’idée d’avoir trouvé quelqu’un dont les morales le laissent incertain, lui qui n’a jamais réfléchi aux conséquences de ses actes, le terrifie.

L’idée de devoir laisser Yago entre ses griffes et repartir le terrifie.

Mais Alaric ne fera rien, et il le sait. Il se contentera de sourire, de ce rictus appréciatif, et remerciera son ami de son hospitalité. Il ne lancera pas un autre regard à l’Infant. Ses prunelles, pourtant, le hanteront sûrement des décennies.

Lentement, son doigt se recourbe et son ongle s’enfonce dans la paume de sa main. Il y fait pression jusqu’à ce que sa peau ne soit sur le point de céder. Puis subitement, il se redresse, attrape son livre, se rallonge et reprend sa lecture, le visage impassible. Quand il rentrera, il relatera ses découvertes et les nouvelles alliances établies à son frère en veillant à mettre dans ses discours le brin de décadence dont Gabriel raffole en secret. Et c’est tout ce qu’il ramènera de son voyage en Perse.

C’est lorsqu’il tourne la dernière page de l’ouvrage que les pans de la tente ne s’ouvrent à nouveau. L’odeur humaine parvient jusqu’à lui, Yago s’approche. Mais Alaric prend le temps de terminer sa lecture avant de relever le regard vers le petit, désintéressé malgré les effluves de globule rouge emplissant ses sens. Il ne devrait pas être agacé, ni même énervé. Il ne devrait pas non plus reverser sa frustration sur lui, mais c’est sans le sourire qui l’accompagne d’habitude qu’il se redresse une nouvelle fois.

Ce sont les nouvelles excuses prononcées de la voix tremblante qui lui font finalement regarder Yago. Alors qu’il semble sur le point de déguerpir, encore, son regard le fixe une nouvelle fois. Le silence est lourd de sens. Comme il semble l’être à chacune de leur interaction. L’ainé ne parvient plus à trouver remarque acerbe et délurée qui les feront oublier cette soirée.

Sans le lâcher du regard, il se penche vers le Calice, pose une main sur sa gorge pour le mener jusqu’à ses crocs, qui se déplient déjà. Ce n’est que lorsque les premières traces de sang le libèrent de sa soif qu’il ferme les yeux, délaissant Yago à ses côtés; il n’est pas pudique. Il s’abreuve jusqu’à sentir le pouls de l’homme ralentir drastiquement, sa carotide s’affaiblissant sous son pouce. Alors, il le relâche, le laisse s’affaler au sol sans lui épargner un seul regard.

- Bien, - dit-il finalement à l’attention du gamin. L’idée d’une nuit de répit jusqu’à la rentrée de son ami le soulage plus que de raison.

Il reconnait la peur qui arpente sa voix, l’appréhension qui parcourt ses traits. Il ne reconnait également que trop bien le lien qui unit Yago à son Sire, et les répercussions qu’auront une telle emprise sur son éternité. Alaric aurait les ressources de faire quelque chose, le pouvoir de rompre, si ce n’est que de manière temporaire, cette corde qui relie Salâh ad-Din à celui qui lui tourne présentement le dos, une main tenant fermement les pans de la pente alors qu’il attend une nouvelle injonction. C’est la seule manière dont il semble pouvoir s’exprimer, en obéissant tête baissée au monde qui l’entoure. De sa position, le Français aperçoit de nouveau le trou qui sépare le majeur de l’auriculaire. La lune perce un rayon au travers du creux, baignant le sol sablonneux de la tente d’un puits de lumière comme l’espoir de pouvoir appartenir à quelque chose d’autre, ou rien du tout.

Alaric aurait le pouvoir de le libérer. Et pourtant, quand il reprend la parole, il décide de les libérer tous les deux de cet espoir fugace.

- Referme derrière toi.

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