ADMIN ۰ Dalida - Elle devra choisir entre son amour et sa mort.
♚ TAKE AWAY THE COLOUR ♚
"Eh bien ; la guerre."
En un mot : La Vipère sous la rose.
Qui es-tu ? :
"Don't die with a clean sword."
♚ Caïnite âgée de trois siècles ; Accomplie du bel âge à portée d'ongles carmins.
♚ L'Ambition la ronge, mais laquelle ? ; le vide de nuits interminables la détruit plus sûrement que n'importe quelle balle en argent. L'Ennui pour seul véritable danger.
♚ Gorgone gauloise, sa réputation parle pour elle, surnommée Mère sanglante ou Reine rouge. Nombre d'enfants sont tombés sous ses crocs.
♚ Fille de corsaire, héritière de ses lettres de Marque ; navigua au service de Louis XV dans les eaux des Caraïbes à la tête de l'Espérance, frégate à l'équipage composé de deux centaines d'hommes.
♚ Trahie par un Britannique ; capturée et ramenée de force sur l'île de Mona, torturée , abusée, échappée - mourante (malaria). Transformée par un autre, à l'aube de sa trentaine.
♚ Éprise de coups d'État et féroce opposante à l'Essaim. Antique imperméable à l'ordre. Partisane du clan du Chaos. Danseuse sur le fil acéré de leur rigueur.
♚ Maudite ; aucun enfant n'a pu sortir de son ventre. Aucun Infant n'a pu résister à son vice, transmis tel un fléau. Sire matricide par deux fois. Échec toujours en gestation.
♚ Sang turc dans les veines, manie les us et coutumes perses. Son réseau d'Orient et d'Occident est dessiné comme une arachnide file sa soie.
♚ Incapable d'aimer son époque ; craintive pour l'avenir, répudiant son passé.
♚ Se joue d'une beauté en laquelle seuls les autres croient. Compagne de Serguey Diatlov, mère de substitution de Yago Mustafaï, protectrice de Mei Long.
♚ Pie voleuse, elle a dérobé le Clan du Chaos aux mains trop glissantes de Salâh ad-Dîn Amjad, qu'elle compte bien refonder en un ordre sérieux pour s'opposer à la Mascarade ainsi qu'au dictat de l'Essaim en place.
« On ne peut m’accuser de tout ce qui a été commis. Le fardeau de tous ces désastres s’est trouvé confondu en un seul, que l’on m’a mis sur les épaules. Nous n’attendions rien d’autre que la mort. Les os brisés sur la roue. »
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Avril 1747. Port de Léogane. Colonie française de Saint-Domingue.
« C’est vraiment la dernière fois que j’accepte de faire une chose pareille. »
La puanteur remonte jusque sur le pont récemment lavé à grandes eaux. Peut-être espère-t-elle, par la répétition plus que de raison de ces nettoiements superflus, aider les miasmes à s’évader plus vite, de la proue à la poupe, du balcon jusqu’à la vigie en passant par les écoutilles. Le voyage n’avait été que de courte durée, comparé aux trajets d’ordinaire effectués par les négriers depuis les côtes africaines. Et pourtant, ces quelques jours passés à naviguer pour transporter une cargaison d’esclaves d’une terre à une autre lui avaient paru durer une éternité.
« J’ai l’impression de t’avoir entendu répéter cela au moins une bonne trentaine de fois. Tu sais que ça n’effacera pas la réalité n’est-ce pas ? » « Je le répète pour être bien sûre de m’être faite comprendre, et que le message passe. Moi, je ne dois rien à aucun autre bâtiment pas fichu de faire réparer quand la situation l’exige. » « Le transport de ce type de marchandises abîme les vaisseaux plus rapidement qu’à l’ordinaire. » « Eh bien ce n’est pas mon problème. Qu’ils dirigent un aviso, si le carénage les dérange. »
Lui ne relève même pas, secoue la tête et referme ses doigts épais sur la barre, fixant l’horizon et, plus particulièrement, les rivages qui se rapprochent à vue d’œil, désormais.
« Fais déployer, sur l’artimon. » « Pas la peine. Le vent nous affale vers la côte, que nous le voulions ou non. Laisse-le travailler pour nous. »
Elle acquiesce, ne discutant pas l’expérience de son aîné, malgré sa position hiérarchique subalterne. Toute sa nuque lui semble raide. Raide de tension. Sa paume vient chercher la naissance de l’échine, s’étend, jusqu’à ce que la pointe de ses doigts puisse s’emparer de la pointe d’une omoplate. Elle remue l’épaule, cherche à décoincer ce qui rend son articulation douloureuse, et la moindre station debout presque insupportable. Le roulis, pourtant correct, aggrave son malaise, et la faiblesse de son bras droit. Sa moue boudeuse et ses sourcils froncés, renforcés par le soleil qui l’aveugle en se reflétant sur les eaux, n’aident pas Charles Pollard à oublier d’où vient le capitaine de L’Espérance. Du haut de ses vingt-huit ans, voilà maintenant quatre ans que les lettres de marque vont et viennent, depuis la mort de Guillaume. Les débuts ont été périlleux. Pour ne pas dire tragiques. C’est qu’ils en ont passé, des nuits pleines d’incertitude, à craindre la mutinerie, à penser que la mutation partielle de l’équipage se produirait tôt ou tard dans le sang et la révolte. Pourtant, rien n’est venu. Le ton est monté, les rangs ont grogné. Et cependant, ils voguent toujours. C’est la seule chose qui importe encore au vieux renard des mers dont le ton paternaliste ne masque jamais totalement l’affection qu’il porte à cette gamine qu’il a vu commencer mousse. Il remarque l’inconfort de la jeune femme, et se permet un mot malicieux.
« Ta bannette est toujours la même, et d'habitude, tu dors de plomb. Tu dois être sacrément contrariée pour souffrir ainsi. » « Je n’ai pas envie que la frégate soit dégradée. » « Ce n’est pas l’état de la frégate, qui te pèse. »
D’un mouvement élégant, d’une pression calculée, Pollard les fait virer, les aidant à garder le cap. Aliénor, pour sa part, soupire. Charles a raison. C’est qu’elle ne dort plus exactement comme avant, depuis que le bruit, par elle, s’est répandu. Ses lèvres sèches et gercées par le sel et les bourrasques d’écume crissent sous la langue qui les effleure, cherchant en vain à apaiser la soif qui commence à lui démanger le gosier. Agacée, elle repousse une mèche de cheveux minuscule, échappée de la longue tresse qui bat jusqu’au creux de ses reins. Sa chemise blanche fait bouffer ses membres supérieurs, là où la brise s’engouffre et rafraîchit leur carne chauffée par le soleil qui s’acharne à briller haut et dur, ces derniers temps. À ce moment précis, un nuage pestilentiel lui parvient de plus belle, l’obligeant à fermer les yeux pour juguler une nausée autant qu’un juron. Elle n’ose pas imaginer ce qu’il doit en être, là-dessous.
« Je suis fatiguée. » « Tu as peur de le lui dire ? » « Évidemment, que j’ai peur. Je suis sûre qu’il aurait préféré que nous gardions cela pour nous. Mais c’est impossible. » Ses paumes se juchent sur ses hanches cerclées par une ceinture épaisse, tandis qu’elle contemple le ballet des hommes qui vaquent à leurs occupations en contrebas. Elle les entend déjà, faire le point sur leur maigre fortune ou leurs prolifiques économies, envisager une nuit de fête et de débauche, qu’elle ne leur interdira pas. Ce soir, elle aussi aura besoin du secours du rhum, si elle veut affronter le regard sombre qu’elle redoute déjà. « Le Pacte, c’est une chose. Ce n’est déjà pas… banal, en soi. Tant que ça ne nuit pas à la couronne de France, je m’en moque. Je préfère savoir sur qui je peux compter, et plus d’une fois l’histoire nous a prouvé que nous avions eu raison. Mais ça… Ça, Charles, c’est autre chose. Les Britanniques le traqueront, en feront ce qu’ils en voudront, mais je ne veux pas d’un traître en train de moisir dans les parages en attendant de nous tomber dessus. Il connaît nos méthodes, il connaît nos terrains de prédilection. Je me suis déjà laissée surprendre une fois, hors de question de permettre à ce chien de passer d’une niche à l’autre sans lui faire comprendre qu’une allégeance se doit d’être unique, pour exister. Moi je n’ai pas prêté allégeance aux traîtres. J’ai signé un traité d’alliance. C’est complètement différent. Mon allégeance, elle, n’a jamais changé de bord. » Qui cherche-t-elle à convaincre ? Charles ? Elle-même ? Elle croit sûrement qu’à force de se répéter ce mantra jour et nuit, elle parviendra à s’acheter une stabilité qu’aucune remarque, aucune gueulante ne pourra démettre. L’épreuve est de taille. Elle se bat contre ce qu’elle ne peut déjà plus changer, sans pouvoir toutefois nommer cette incertitude : regret. Regrette-t-elle d’avoir dénoncé Connor Epps aux autorités ? Non. Elle n’aurait jamais pu revenir sur la décision de condamner le tout nouveau pirate à qui voulait bien recueillir cette précieuse information. Au moins lui rendait-elle service, quelque part. Au moins serait-il désormais libre d’arborer la voile noire sans craindre de salir sa réputation. Elle s’en était chargée pour lui.
Le souffle un peu court, elle observe le port qui se dessine désormais en détail, et abandonne une main contre le bras de son ami et mentor. « Je te laisse réduire la toile et surveiller les encablures. Parez aux manœuvres sans moi. Je reviens. »
Ses bottes touchent à peine le plancher de son navire, tandis qu’elle descend les marches pour se rapprocher, bon gré mal gré, de la bouche sombre ouvrant sur les profondeurs de la nef. Dans son dos, Pollard aboie les premiers ordres, et les marins à sa portée s’activent autour d’elle, l’esquivant avec une grâce que seuls possèdent les hommes qui vivent sur l’océan. Malgré sa détermination, elle plaque presque douloureusement l’une de ses manches contre ses narines, avant de s’engager dans une nouvelle volée aux degrés étroits. Plus elle progresse, plus l’odeur devient insoutenable. Le mélange, atroce, comporte sans nul doute la sueur des hommes noirs enferrés contre les bardis, sans compter l’urine, les vomissures, les déjections qui ont accompagné ces six jours de capture dans les cales du navire. Jamais elle ne parviendra à se débarrasser d’une infection pareille, songe-t-elle. Sa propre cabine s'est transformée en un bagne putride, malgré la porte qu’elle laisse fermée en permanence. Elle fera radouber la frégate à peine le débarquement des futurs esclaves effectués, elle se le jure. Aucun marin ne consommera la moindre goutte d'alcool tant que les soutes n’auront pas été récurées avec soin. Elle se réjouit de leur escale prolongée : reprendre la mer derechef aurait été un supplice qu’elle n’est pas prête à concéder pour le moment.
« Thomas ! »
Le lieutenant de bord Jolivet se redresse en apercevant son capitaine, s’approchant de la Bellovaque avec la même expression crispée sur le visage. Lui aussi souffre, supervisant du mieux qu’il le peut ce transport exceptionnel qu’ils ne sont pas habitués à préparer.
« Je veux… Je veux que vous procédiez au débarquement immédiatement. Commencez à les sortir de là. » « Oui. Je crois que ce sera encore le mieux… » Elle s’empêche de respirer par les narines, aspirant une bouffée d’air par sa bouche entrouverte, tout en le désignant du menton : « Combien de pertes… ? » « Seulement quatre. Un enfant, deux hommes et une femme. » « Est-ce que… ? » « Non… Non, je crois qu’ils étaient seulement… enfin, ils étaient déjà très faibles, au moment de monter à bord. » « Pas de symptômes parmi les nôtres ? » « Non, rien de notable. Toutefois, je me dois de vous demander si cette exception est vouée à se reproduire. » « Les hommes se sont beaucoup plaints, je suppose ? » « Oui, pas mal. La plupart ont d’ailleurs préféré dormir sur le pont, où ils le pouvaient. » Elle hoche la tête un peu sèchement, pas décidée à effectuer un rappel à l’ordre sur les consignes en application d’ordinaire. Aux grands maux les grands remèdes. « Je vais tout faire pour que cela ne se reproduise pas. Mais je n’avais pas le choix d’accepter, et la paye en valait le coup. » « Pourquoi n’ont-ils pas tout de suite été conduits à la bonne destination ? » « Mauvaise compréhension des consignes. Une nouvelle plantation s’est établie, et il s’agirait d’une stupide erreur de communication. Le temps que les courriers soient transmis, inutile de te dire qu’il était déjà trop tard. Ajoute à cela leur pinasse en mauvais état et un écueil juste avant leur arrivée… Ils n’étaient même plus capables de compléter leur transport. » « Je vois. Eh bien, nous allons nous mettre au travail, dans ce cas. » « Personne ne débarque à terre autre que pour décharger ces foutus esclaves. Après ça, c’est récurage pour tout le monde, et je ne veux rien entendre. »
Le sourire de Jolivet appelle au sien, rendant sa voix moins péremptoire, et l’officier acquiesce sans broncher. Fidèle à sa loyauté ordinaire et à son efficacité qu’aucun ici, ne remettrait jamais en question.
•••
Même le chant des chaînes qui n’en finissent pas de tinter menace de lui donner la migraine. Depuis son bord, Aliénor observe la lente et longue procession de malheureux destinés à se casser le dos et les reins au service des colons blancs. Elle les contemple sans émotion particulière. Elle n’envie pas leur sort, mais elle ne les plaint pas non plus. La corsaire s’est toujours placée au-dessus de ces combats qui ne sont pas les siens. Quelques rares voix s’élèvent, de part et d’autre, militent vaguement pour augmenter le confort du traitement de ces damnés de la terre. Elle n’y est pas opposée. Ses propres futailles d’eau douce ont été largement entamées par les langues assoiffées des esclaves, sans qu’à un seul instant elle ne se soit élevée contre leurs distributions. Transporter des cadavres n’est ni rentable, ni profitable pour le moral de l’équipage – et du sien. Leur peau sombre luit encore de la transpiration macérée pendant leur dernier voyage. Elle, pourtant rompue aux fragrances désagréables sur le pont d’un vaisseau, pousse une véritable expiration soulagée. Le transport est terminé. Et elle ne deviendra jamais négrière elle-même. Elle laisse cette tâche sordide à d’autres, sans comprendre quel appât du gain peut pousser un homme à endurer comme à faire endurer dix-huit mois de navigation à ces pantins aux yeux vagabonds. Leurs forces terrassées par cette épreuve, elle les voit observer mollement leur environnement, leur nouvelle patrie. L’astre solaire cogne toujours dur sur les râbles fatigués, en plein cœur de cette après-midi chaude du printemps caribéen. Plus que tout, ce qui la gratifie d’un apaisement conséquent, c’est de savoir qu’aucune épidémie n’a éclaté dans l’entrepont. L’avenir de ces pauvres hères ne la concerne plus. Dérangée par la détresse de leur attitude, elle finit par s’en détourner, contaminée par un malaise dont elle n’explique pas la source. Son père aurait nommé cela « bon sentiment ». Elle préfère y voir une inaccoutumance. Jamais encore elle n’avait participé à un tel commerce. Bien rétribuée pour avoir su prêter son bâtiment et ses hommes à des manœuvres encore jamais esquissées, elle comprend d’autant mieux, désormais, pourquoi une telle entreprise ne l’a jamais attirée. Elle sait qu’aucune gloire ne couronne ceux qui se gavent de l’exploitation des autres. Sa propre entreprise, bien plus noble, ne sera pas salie par la monnaie qui récompense cette mascarade.
Ses bras se croisent dans un frisson. Elle espère bien ne jamais revoir des diables pareils sur L’Espérance. Son tempérament superstitieux s’est substitué sans difficulté à un vide que son absence de foi en Dieu avait laissé. Elle ne craint ni l’Enfer, ni le Jugement dernier. Elle craint, cependant, la rémanence des souvenirs, l’imprégnation des âmes sur ses planchers, jusqu’alors vides de tout sévices. Ajouté à la trahison de Connor et à la décision qu’elle se doit désormais d’assumer, tout cela commence à faire beaucoup.
Et en parlant de beau diable…
Elle le remarque aussitôt, probablement attiré par les voiles qu’il a peut-être déjà reconnu. Il est beau, son Espagnol, lorsqu’il s’avance et s’approche, reconnaissable entre mille par cette démarche fière, presque provocante. Elle oublie les esclaves, la misère que l’homme ne cesse d’infliger à son prochain, l’atmosphère fétide qui a envahi les coursives. Elle lui adresse un signe, levant le bras pour capter son attention et lui indiquer qu’elle le rejoint. Incapable de masquer son sourire. En quelques minutes, la Française foule les terres de la future Haïti, se jouant des badauds malgré sa petite taille qui lui a si souvent joué de bien mauvais tours. Chaque pas la rapproche de celui qu’elle désire toujours, qu’importe le temps qui passe. Ils ont toujours su se comprendre – ou presque – dans ce mélange de mauvais espagnol et de français massacré. Le hélant sans manière, elle glapit, laisse échapper gouaille et bonne humeur, enfin libérée de ses devoirs, jusqu’à nouvel ordre.