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Have you ever considered piracy ? [Dana]

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MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
Rhys Archos
Rhys Archos
MJ ۰ Trop de DC, pas assez de décès.
L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

Have you ever considered piracy ? [Dana] S83t

« Wild men who caught and
sang the sun in flight,
And learn, too late, they
grieved it on its way,
Do not go gentle
into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
Ivresse sur voie publique ;
Expert du pistolet à clous ;
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Dim 7 Mai - 5:56 (#)

HAVE YOU EVER CONSIDERED PIRACY ?

Essaie CTRL + Shift + R ?

DÉBUT DÉCEMBRE 2021 L'éclat mourant du soleil inondait l'Artspace avec la saturation du crépuscule qui tombe, étirant toujours plus la moindre des ombres de cette indolence caractéristique et propre au lent passage du temps. L'astre toucherait bientôt l'horizon, frôlant la courbure de la terre dans un alignement parfait. Je n'avais pas besoin de le regarder pour savoir avec une exactitude terrifiante quand ce moment arriverait. Voilà une petite demie heure, déjà, que je sentais la tension de cette échéance monter lentement dans mes tripes, une caresse sur la nuque qui se faisait petit à petit plus croche, hérissant l'instinct et le poil d'une promesse à venir. Celle que, très bientôt, le feu dans le ciel ne pourrait plus nous atteindre, nous les fils des bêtes, et que ma chair retrouverait cette malléabilité si précieuse.

Mes yeux glissent un instant vers l'éclat écarlate au travers de la fenêtre, ma rétine soutenant avec insolence le défi de son regard avant de me détourner après plusieurs secondes douloureuses. Jamais je ne pourrais m'habituer à ça, jamais je ne pourrais ne pas haïr le Soleil et, une fois encore, il y a cette indignation sous-jacente, une interrogation sans réponse où la logique ne parvient pas à déterminer pourquoi ce putain de jour nous chie toujours à la gueule. Je suis pas un vampire, merde. Pourquoi on pourrait pas se pavaner le cul à l'air et plein de poils aussi facilement sous le jour que sous la nuit, hein ? Je soupire. Même dans ces moments où je suis en plein cœur du béton de la ville, j'accueille cet instant avec une certaine gravité, mon attention détournée sur cette sensation des muscles qui subtilement se tendent à l'intérieur. C'est un peu le moment sacré de la journée, l'opposé du jour qui se lève et qui fait grincer des dents. Le moment où t'as l'impression qu'on t'enlève, enfin, cette putain de laisse.

Mercredi fin d'après midi, 17:30. Les chaises sont déjà sur les tables et moi en train de passer un coup de serpillère. Mon T-shirt affiche un slogan débile du genre Je suis codeur. J'écris du code, je ne répare pas les ordis, avec ma chaîne au bout duquel un petit jésus en argent pendouille par-dessus. Le silence du rez-de-chaussée semble presque surnaturel pour une fois que les postes sont éteints. Fini le bourdonnement imperceptible des transformateurs et le chuintement permanent des ventilateurs. Je me perds un peu dans cet instant de solitude, sans me hâter, alors que les derniers rayons du soleil teintent tout ce qu'ils touchent d'une intense lueur rougeoyante. L'instant est propice à la traîne, les pensées vagabondent. C'est le soir de la semaine que je préfère, parce qu'on ne termine pas tard et que le lendemain l'Artspace n'ouvre pas avant midi. C'est le soir tout désigné pour allonger la nuit, pour abuser des espaces sauvages et retrouver une fraîcheur bienvenue. Le souvenir d'un vent sauvage m'effleure une seconde. Ma peau se rappelle le rugueux des écailles du crocodile, mes oreilles le bruit de moteur hypnotique du tigre, ma peau le fourmillement secret des bêtes de l'herbe dans le bayou.

C'est aussi le soir où Joey vient squatter, comme une habitude bien réglée, pour jouer à des jeux absurdes ou pour discuter avec Dana autour d'une pizza amenée par les pizzaïolos rigolos comme dit Jimmy. C'est toujours marrant quand il passe, Léandro, avec son accent à couper au couteau et ses manières bourrues, qu'essaie de te faire manger comme si t'avais pas vu un plat depuis une semaine. Et Gregory, ouais, c'est sûr, il vient pas livrer les pizzas pour rien. J'ai peut-être été démoulé trop chaud pour certains trucs, mais je suis pas aveugle, hein, j'ai le crayon dans l’œil et faudrait être attardé pour pas voir qu'il en pince pour Dana.

Et pis Joey... Je sais pas. Il est cool, ouais, mais y a un truc. Un truc en plus. Insaisissable, presque. Des fois, j'ai l'impression d'un reflet qui passe dans ses yeux, un truc bien plus profond que tout ce qu'il dit ou fait, qu'est là, qu'existe et qui sait qu'il existe, plein de secrets et d'une astuce pas commune. Je veux dire, encore une fois, j'ai pas de la saucisse dans les yeux, hein. Y se passe des trucs au Artspace qui dépassent ce que les gens sont autorisés à voir. Plus d'une fois je me suis posé des questions sur des petits détails, mais, bon, je ferme ma gueule. Parce que c'est la meilleure logique à adopter : pas de questions et je respecte trop ce que Joey et Dana m'ont donné.

Mais ce soir est un peu particulier. C'est le jour annuel du rangement et des inventaires, où l'Artspace est fermé pendant qu'on fait le bilan de toutes les merdes qui traînent, de combien de souris il y a encore en stock et de s'il faut ou non jeter ces vieilles affiches que Jimmy veut à tout prix garder. J'entends des bribes étouffées de la conversation entre les deux au premier étage. Je m'arrête un instant, sourcils froncés, remarquant que j'avais déjà nettoyé cette zone.

En fait, pourquoi je reste ici ?

Une fébrilité électrique soudaine, les muscles qui veulent couler sous la peau alors que le soleil vient de toucher la ligne d'horizon en cet instant précis. Dehors, la fraîcheur pâle et presque surréaliste d'une atmosphère cristalline d'hiver fait paraître très loin l'été étouffant et humide de la Louisiane.

Y a toutes ces histoires de papiers, oui. Pour moi, pour Inna, toutes ces merdes à rembourser parce que ça coûte au moins deux couilles et que ça pousse pas en claquant des doigts. Pourtant...

Le cœur bat un peu plus vite, pris d'une incertitude terrible. Comme si l'espace entre maintenant et la fin du jour était un compte à rebours dangereux. Je range la serpillère, je vide l'eau sale, je remets le matériel là où il était. D'un coup d’œil, je vérifie que tout est en ordre, remettant ma casquette Ravens à l'envers, sur des cheveux décolorés en blond à cause d'un pari stupide passé avec Jimmy et que j'ai perdu.

Ouais, pourtant, ça fait au moins un mois, à chaque mercredi soir, que j'essaie de basculer d'un côté ou de l'autre. Poser des questions, des fois, c'est déjà un peu donner des réponses. Est-ce que je fais confiance à Dana et Joey ? Une mélancolie un peu amère se dessine, comme une frontière entre moi et eux. Le genre de truc qui te dit que ouais, t'es à l'aise avec ces gens-là, plus qu'avec les autres, en tout cas, et que tu crèves d'envie de les suivre, mais que y a un monde qui nous sépare.

Je remonte les escaliers, en comptant les marches une par une comme si c'était un détail d'une importance cruciale. Il y a une agitation certaine, là, étouffée dans le fond de l’œil sous les silences habituels de tout ce qui ne doit jamais sortir.

Mes yeux scrutent la salle du premier étage pour y déceler tous les détails en un regard circulaire. La manette de Joey est aux couleurs des Ravens. Une couture du canapé est en train de se défaire. J'entends Dana qui, pourtant, est hors de vue en cet instant. Des traces d'effluves de saucisson flottent quelque part, un courant d'air froid caresse ma peau. La lumière qui repeint tout en une vibrante et sursaturée couleur d'or et de sang.

D'un coup, je suis frappé par une évidence. Celle d'une affection envers ces gens, d'un élan d'attachement qui me rappelle à eux. Ça fait combien de mois que je suis là ? Un an ? Un peu plus ? Dans le fond, la moyenne de temps passée à l'Artspace hors des horaires de travail augmente petit à petit, lentement mais sûrement, à mesure que le temps passe. C'est sûr que Dana sait y faire pour mettre les gens à l'aise. Sa manière bien à elle de laisser un espace personnel aux gens, en étant parfois la maladresse incarnée. Elle aussi a son aura propre à elle, un genre de truc... Rond ? Je sais pas, ça n'a aucun sens. L'image d'un radiateur ou d'une boîte en carton se forme fugacement dans mon esprit, avant que le splat d'un truc mou et collant ne me frappe sur la peau de l'avant bras.

_Rhys, tu m'écoutes ?

Immédiatement, ça sent le saucisson. Mes pupilles s'étrécissent et je reviens à la réalité, alors que la petite rondelle de viande que vient de me jeter Joey tombe au sol dans un bruit mat. Je la regarde d'un air un peu dégoûté. C'est que, bon, la viande hein, je vais pas faire un dessin, mon père c'est un cochon sauvage je rappelle.

Nonchalamment, je me penche pour le ramasser. J'hésite une seconde, les narines cruellement tentées par cette viande, sentant le processus de salivation déjà activé. Et puis, merde.

Je le mets dans ma bouche, mastiquant d'un air peu convaincu par la texture de la viande. Mes yeux tombent presque par hasard sur Joey, en cet instant, qui me regarde comme si je venais de me couper un doigt. Faut dire aussi, j'emmerde tout le monde à dire que je mange pas des bouts d'animaux, à me faire passer pour un con de végétarien. Ça me dégoûte un peu, leur viande de supermarché ultra morbide, mais là, putain, c'est quand même bon, fait chier.

_ Mais... Rhys ??

Je mange mon bout de gras avec l'aplomb caractéristique des chats qui font tomber des trucs même quand on leur dit non, passant rapidement à autre chose, ignorant le sourire à demi incrédule de Joey.

_ Quoi ?

Très vite, pourtant, mes pensées sont ramenées à des choses très précises. Y a quelque chose, là, une nervosité subtile mais sous-jacente qu'un esprit affûté comme celui du Rat - il porte bien son nom - finira bien par commencer à deviner. Un peu comme les va-et-vient réguliers de la queue d'un chat qui s'agite, en signe d'avertissement. J'ai encore rien décidé, et ça m'emmerde. Peut être que je devrais juste fermer ma gueule et oublier cette idée.

_ Dana ?

Je m'avance un peu plus, pour voir ce qu'elle fout. Je pense vaguement à lui lancer un tu travailles encore sur ton jour de repos ?? qui est devenu un running gag, mais l'enthousiasme est un peu constipé et je me retiens de sonner creux. »
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Dana Campbell
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Lun 3 Juil - 23:50 (#)


- Humm…? Réponds au prénom. Suivi d’un toc sourd sous la longue table de conférence qui trônait dans la pièce vitrée. Un grognement de douleur, un juron bien illustré difficile à comprendre quand on a entre les dents, deux bouts de câbles Ethernet renforcé d’un double blindage en feuille d’aluminium, recouvert de PVC et et plaqué or. Ça avait beau être les câbles CAT 8, ce qui est nécessairement overkill pour le commun des mortels, mais elle pouvait remercier leur rigidité en bouche pour amortir le choc de la table sur le dessus de son crâne.

Un amas de câbles et de fils entourait la patronne des lieux. Des serpents de 2,000MHz de bandwidth et de transmission de data allant jusqu’à 40Gbps juchaient le sol sous la table, par un trou le long d’un mur. Le boa filaire s’éparpillait pour se diviser et s’enrouler autour de Dana puis s’enfuir dans une armoire basse, aux portes grandes ouvertes. À l’intérieur, cela pouvait ressembler à un grille-pain technologique et branché. Ça avait l’air de… de juste des entrées et des sorties de câbles, avec des lumières, des prises et des boutons pour activer/désactiver des machins.

Un (autre) serveur privé. Un network custom et un home lab. Une bête pour monitorer les réseaux et surveiller les alertes de ses serveurs distants et un point d’accès UAP câblé. Blindé, ce machin était même waterproof. Et cette bête, il fallait la tenir loin des autres. La cacher. La protéger…

Une tête échevelée sort de sous la table et lève le bout du nez vers son employé favori. Oui. Rhys, c’est son préféré. Elle a tous les droits de faire du favoritisme avec les personnes qui travaillaient pour elle. Jimmy, qui travaillait au ArtSpace presque aussi longtemps qu’elle, lui donnait encore parfois l’impression d’être un blob. Une masse molle et utile quand on avait besoin d’une masse molle. Elle l’appréciait, ne vous détrompez pas, mais ça restait un chic type fiancé, avec des problèmes mondains et une fiancée complètement barjot.

- Il y a encore des graffiti sur la bâtisse ? demande-t-elle après avoir sortir les câbles d’entre ses lèvres, inquiète. Encore parce que, depuis quelques semaines, l’ArtSpace était assailli de charmant message haineux, anti-cess et anti-anti-cess. « Keep out Supernat’ », «  CESS OUT ! » , «  Make America Human Again », «  Human settlers go home ! » , «  Cess live matters », « Not welcome, go home ! ». Le genre de slogan qui ne faisait pas chaud au cœur à l’approche des fêtes et qui couvrait, plus souvent qu’autrement, les arrières de l’ArtSpace, dans la ruelle, où ses caméras de sécurité n’arrivaient pas à identifier les artistes.

Parce que, si vous ne l’aviez pas remarqué encore, il y avait des tensions en ville.

Même la toile était en pagaille.

Une brise de chaos à l’horizon.

Dana remonte ses lunettes sur son nez puis tourne son attention de l’autre côté du mur vitré, apercevoir leRat en train de bouffer du saucisson (Il vient d’où, ce saucisson ?), ses yeux rivés sur son cellulaire, assis d’une étrange manière, à moitié en équilibre sur une jambe et un coin de fessier, plié et recroquevillé vers son écran, à taper des trucs avec ses doigts, un sourire crédule sur son visage. Elle peut même l’apercevoir rigoler seul une seconde.

Joey était aussi préféré.
Il n’y avait rien de normal chez lui. En plus d’être un génie à l’état pur, c’était vraiment un type bien. Difficile à comprendre ou à suivre, il était complexe, mais pas compliqué. Elle pouvait compter sur lui pour l’aider avec son serveur privé… quoi que jusqu’à maintenant, il avait plus joué à COD et avait siphonné quelques bières.

Bref, Dana avait un truc pour les cas borderline psychiatriques, socialement presque fonctionnel, avec un pied dans la marge et une belle gueule. Si Ian savait qu’elle le plaçait dans cette catégorie aussi, il en serait absolument dégoûté. Alexandra, beaucoup moins.

Dans tous les cas, avec un charmant sourire sur l’humeur du Rat, la geek se retourne enfin vers Rhys et l’observe. De sa casquette à l’envers qui cachait mal ses cheveux peroxydés, à son look décontracté puis remarque cette ombre qui planait dans son non verbale. Habituellement, l’homme à tout faire est occupé, ou curieux, ou observe ou … bref, il est actif. Là, elle avait l’impression qu’il hésitait…

- Ya un truc qui merde ? T’as besoin de moi pour quelque chose ? Ça va ? Tu n’es pas obligé de bouffer le saucisson qu’il t’offre… je ne sais pas d’où ça vient. C’est peut-être vieux et… dangereusement périmé.
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Ven 14 Juil - 19:05 (#)


Dana, comme à son habitude, en train de farfouiller dans des kilomètres de fils électriques sortant des murs d'une manière aussi incongrue que mystérieuse. C'est comme des petits brins de lumière avait été la formulation la plus poétique et la plus facile à retenir lorsqu'elle avait un jour tenté d'expliquer le fonctionnement des internets et de la communication optique. Dans le fond, tout ça, ça n'avait jamais rien évoqué d'autre dans ma tête qu'une grande autoroute pleine de lucioles et il y avait là une complexité qui me laissait, il fallait bien se rendre à l'évidence, perplexe. D'aucuns ne comprenaient pas comment certaines prouesses surnaturelles pouvaient avoir lieu, et bien moi je persistais à considérer que ce qu'elle faisait relevait principalement des arcanes. La technologie entière était une sorte de sorcellerie sur laquelle l'humanité, jamais, n'aurait dû poser sa main. À peine cette pensée était-elle venue que déjà elle s'évanouissait, non sans laisser derrière elle une conclusion au goût médiocre : après le garage du vieux Pete, les ordinateurs de Dana. Vraiment, des activités parfaites en lien avec la nature.

Y a pas à dire, j'étais un peu con quand même.

Mais j'étais pas là pour me plaindre et y avait, dans les dernières paroles de Dana, le genre de ton sous-jacent annonciateur d'une catastrophe insoupçonnée. D'où venait ce saucisson ? L'ombre d'un doute terrible se posa soudain sur mes épaules, fronçant les sourcils et plissant le nez dans une crispation qui redoutait de connaître la vérité. De toutes manières, périmé ou pas, trouvé dans une poubelle ou pas, ça changeait rien à la merde que c'était et le goût résiduel me dégoûta alors. Tout, dans ce monde, te hurlait tout le temps d'abandonner, de lâcher prise et de finir par rejoindre ce côté dégénéré de la ligne où se vautraient les humains.

Jamais.

Je balaye alors les inquiétudes de la boss d'un revers de la main.

_ Nan, ça va, je sais pas où il l'a trouvé mais ça a l'air... Correct. Et pas de nouveau message sur la porte de derrière, t'inquiètes.

Je hausse les épaules, pas convaincu. Les gens qui avaient fait ça étaient probablement des retardés mentaux et j'avais peu de considération pour leurs messages. C'était pas trois graffitis sur un mur qui allaient me faire peur mais ça prouvait bien que la dernière des choses à faire c'était de se comporter comme si y avait quelque chose à cacher. Toute cette merde c'était que le reflet de la crasse dans laquelle on vivait tous, une folie dégénérée où l'animal malade était l'humain. C'est sûr que ça annonçait rien de bien, hein, mais qu'est-ce que ça changeait, dans le fond, pour nous ? Pour moi ? Ils auraient été capables de me transformer en steaks si j'avais pris une forme de cheval même sans la folie récente, alors quoi ?

À vrai dire, ça m'a que convaincu de recommander des flashlight 3000. Y en avait au moins un à chaque étage de l'Artspace maintenant, planqués dans des endroits accessibles facilement en cas d'urgence, plus du rab si quelqu'un avait besoin de rentrer tard en solo. Fallait vraiment être bas du front pour dépenser une fortune en argent quand ce truc pouvait mettre n'importe qui par terre ou faire cuire des yeux si c'était allumé trop proche de la tête. Avec juste trois boutons. Hé ouais, c'est qui le génie ?

_ Si j'en choppe un qui pisse encore derrière, je lui cloue la queue sur une poubelle et je le bastonne jusqu'à ce que sa mère le reconnaisse plus.

C'était dit d'une manière détachée, comme j'aurais pu affirmer que demain je m'occuperais de repeindre les radiateurs. Après tout, c'était que de la pisse et des bombes de peintures. Mais il y avait là, quelque part dissimulé dans les replis de ce qui se cache, la certitude inconsciente que si je devais en tabasser un, ça serait pas pour des graffitis qu'il paierait.

_ Et euh, ouais...

Dana est une sorcière, mais le genre de sorcière dont j'ai besoin. C'est pas la nature qui allait briser la technologie, nan, fallait prendre l'humanité à son propre jeu.

Je m'accroupis à côté d'elle, faisant attention à ne pas écraser ses fils en plastique qui coûtent un salaire. Il y avait un petit côté conciliabule, baissant la voix par instinct alors que ce n'était pas spécialement nécessaire mais qui eut l'exact effet opposé : Joey remarqua soudain que quelque chose avait changé et écouta d'une oreille attentive, un petit sourire mutin sur les lèvres alors qu'il pianotait lui aussi sur un clavier.

_ Bon, tous ces trucs d'ordis là, et de... Cartes plastiques...

Je mime vite fait un truc qui veut rien dire avec mes doigts, mais je sais qu'elle sait que je veux parler du business de faux papiers, d'adresses mails et de comptes bancaires.

_ J'ai deux questions.

Ouais, j'essaie de faire comme Tyler là, qui cherche des informations sur les assassinats de plantes sur wikipédia avec autant de chill qu'une grand-mère qui cherche sa prochaine recette de gâteau, mais y avait trop de sérieux pour que ça soit anodin.

_ Est-ce qu'on peut effacer quelqu'un du système ? Genre, complètement, adieu, jamais existé ? Plus de photos, plus d'adresse, plus de dossiers, plus de traces ?

Et est-ce que c'est dur d'espionner quelqu'un ? Genre, un téléphone par exemple. Pour savoir ce qui se passe, les messages, les appels, les mots de passe rentrés... La localisation ?


Ouais, c'est sûr que ça soulevait plein de questions, encore plus maintenant après qu'un gars ait été crucifié dans un incendie parce qu'il égorgeait des putains d'enfants pour des suceurs. Mais je vais vous dire, moi : si t'égorges des enfants, tu l'as peut-être mérité d'être cloué sur un poteau, hein.

À ce moment-là, le son caractéristique de cette chanson se mit à retentir, un sourire éclatant sur le visage de Joey.

Je le regarde un instant, presque ahuri, trop avancé dans mes inquiétudes du moment pour comprendre rapidement.

_ C'est le saucisson qui te fait cet effet ?

P't'être qu'il avait cru que j'allais inviter Dana à un date pour célébrer le démoulage du petit Jésus, qui sait...




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Lun 11 Sep - 16:52 (#)


La propriétaire des lieux lève à peine un sourcil sous la menace de son employé envers les prochains connards qui s’en prendrait à l’ArtSpace. La violence de ces propos lui fait soulever un coin de ses lèvres, d’une manière à peine perceptible. Faudrait quand même pas démontrer une forme d’enthousiasme à cette brutalité sous-jacente. Ça serait encouragé l’agressivité et les problèmes qu’elle ne pourrait pas régler elle-même. Oui, elle était aussi armée, mais elle savait très bien que c’était une maigre solution contre certaines situations. N’empêche que le ton froid et détaché de Rhys ne la dérangea pas. Dana pouvait comprendre ces élans de fantasmes violents et n’avait aucune difficulté à croire qu’il serait capable d’une telle chose. Il cachait beaucoup de secrets, son employé préféré. Secrets qu’elle n’avait jamais osé aller piquer avec des questions indiscrètes.

Après tout, si une personne portait des secrets, c’était bien elle. Il s’était montré tout aussi réservé. Un genre d’accord tacite semblait s’être déposé entre eux. 

Rhys vient la rejoindre presque sous la table. Elle ne le quitte pas des yeux pendant qu’il s’accroupit entre ses câbles avec précaution. C’était un beau bordel autour d’elle, mais un bordel qu’elle gérait plutôt bien jusqu’à présent. Il lui restait à faire les branchements et s’assurer que chacun des fils était bien à la bonne place. Ensuite, ça serait de les dissimuler sur le plancher — elle avait déjà la panoplie pour ça — puis sur le mur et contre le meuble. Créer le chemin pour son python filaire, qu’elle puisse le laisser mordre son serveur et faire tout les ravages qu’elle a promis.

La geekette continuait de tirer sur un câble jusqu’à ce qu’il soit complètement à l’intérieur de la pièce, via un trou au plancher quand elle s’arrête pour déposer ses prunelles azurées sur les gestes devant elle, qui la fait sourire sans pouvoir se retenir. Puis son expression changea quand il expliqua qu’il avait deux questions. Curiosité l’emporte, parce qu’il n’était pas du genre à demander quoi que ce soit, quand elle, elle était prête à lui donner tout ce qu’il avait besoin dans la mesure du possible (et les possibles avec Dana étaient vastes), elle l’encourage d’un « Vas-y ».

Les questions n’avaient rien d’anodines. Bien entendu qu’il se doutait de l’étendue de ses moyens. Après ce qu’elle lui a fourni, papier et identité, c’était facile de comprendre que, à moins d’être dans une clique louche, son employeur avait des talents assez inusités. Son horaire la gardait quasi en tout temps au cybercafé ou scotché à son écran dans son appartement qui éliminait facilement des activités avec la pègre… à moins qu’elle soit la reine de son propre clan ?

Elle ouvrit la bouche pour y répondre, mais fut coupée par une trame sonore plus que désagréable. C’était à peine le mois de décembre que déjà, cette chanson tapissait les ondes sonores partout. Comme s’il existait qu’un hymne au temps des fêtes. Un hymne d’amoureux et de joie simple de Noël.

Au secours.

Fronçant les sourcils, elle relève le menton, pour regarder l’autre par-dessus la table de conférence sous laquelle ils étaient presque. Accusatrice, elle secoue légèrement la tête de gauche à droite, ce qui fait redoubler le sourire de Joey.

- Oh, allez ! Ne me dites pas que vous ne sentez pas ce qu’il y a dans l’air ?

Joey prend une grande inspiration qui remplit ses poumons, puis se redresse d’un bond, en joie.

- D’ailleurs, j’ai la déco qui faut pour l’occasion…

Il fout le restant de saucissons dans sa bouche, pendant que Mariah continue de hurler ses sons aigus festifs et il se met à chantonner la bouche pleine pendant qu’il fouille dans les poches de ses jeans, puis de sa veste… et grogne, ne trouvant pas ce qu’il cherche, pour fouiller dans son sac à dos.

Dana retourne son attention sur Rhys avec une expression un peu désolée pour lui. Pourtant, elle savait que lui et leRat étaient devenus plus proches avec le temps. Deux créatures différentes et pourtant si semblables…

- Alors, pour répondre à tes questions. Oui, je peux effacer quelqu’un du système. Enfin, il faut voir de quel système. Il y en a qui sont plus difficiles que d’autre à percer, mais somme toute, il y a moyen de… détourner ou de cacher les informations qu’on ne veut pas qu’elles soient vues.

Elle prend une longue inspiration puis commence à enrouler sur lui-même un des fils sous elle avec application.

-Espionner est relativement accessible. Les téléphones de nos jours sont assez ouverts puis les gens sont… assez cons. Il y a plusieurs manières de faire : envoyer un virus par message privé, ou courriel, avoir accès aux réseaux du même cellulaire, par exemple, s’il se branche sur le wifi du café… Il y a même des périphériques qui permettent de copier les données du téléphone si l’on se trouve à proximité donc, pour s’insérer plus facilement après. Ensuite, le plus rapide, c’est toujours d’avoir le téléphone en main pendant un instant pour y ajouter un petit extra, tranquille…

Son attention se retourne vers le DJ du moment, qui est en train d’installer un truc au-dessus de la porte.

- Oh bordel, Joey ! Qu’est-ce que tu fous ?
- Ça se voit pas ? Dit-il en mâchouillant une dernière bouchée de saucisson maudit. Un bout de ses pieds botté, armé de papier collant sur les doigts, un petit paquet de branches vertes pend dans le cadre de la porte. Viscum album, ou communément appelé le gui. Il pose un dernier morceau de papier collant puis recule pour observer son œuvre, fier comme un paon. J’en ai d’autres dans mon sac, finalement. Un pour ton bureau et un pour… je sais pas trop où encore.

Dana se pince le haut des sourcils et grogne :

- Tu n’es pas sérieux ? Je ne comprends pas comment la période des fêtes qui approche peut autant te rendre enthousiaste.

Parce que dans son cas, ça n’avait jamais rien eu de réjouissant.
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Mer 20 Sep - 2:08 (#)


Parfois, Joey était un peu débile, c'était mignon. Et parfois il était vraiment attardé, mais un genre de stupidité cousine à celle dont je pouvais faire preuve et qui entrait dangereusement en résonance avec mes propres capacités mentales négatives. C'était comme d'avoir un super pouvoir, là, celui de rire de tout et de s'auto provoquer des failles dans le cerveau. C'était un peu naïf, souvent, mais y avait cette espèce de fraîcheur spontanée, presque gentille, qui finissait quand même par arracher un sourire. En l'occurrence, bien que le moment soit mal choisi pour faire du jardinage mural, la vue d'une Dana exaspérée, le front pincé, m'arrache un brusque spasme de rire que je tente vainement de déguiser en une toux inattendue. Autant dire que c'était pas vraiment convaincant et mes yeux glissent ailleurs pendant je me mords l'intérieur de la joue, pour pas éclater.

Ne pas la regarder, ne pas la regarder...
Inspire... Expire...


C'est un peu nerveux, c'est sûr. Parce que dans le fond, je pouvais bien décorer la réalité avec des guirlandes et des petits Santa qui chantent Oh Oh Oh y avait pas vraiment de quoi rire. Mais cette distraction soudaine était pas si mal venue, en vrai. Parce que... Ouais, parce que qu'est-ce que je réponds à Dana ?

Jetant un œil vers Joey et son œuvre d'art, c'était sûr qu'il était allé le cueillir lui-même, ce truc, dans un jardin ou dans un parc, avec cette idée en tête préparée depuis un moment. Il y a, un instant, l'idée d'un traquenard derrière tout ça.

_ Pourquoi tu les mets pas dans des pots ? Ils vont crever là tes buissons.

Réflexion purement pragmatique et fondamentalement dangereuse si Dana ne voulait pas se retrouver avec des pots de fleur au-dessus de chaque porte. Déjà, j'avais discrètement commencé une invasion depuis quelques mois, en ramenant des petites plantes pour égayer l'Artspace. C'est joli avait été l'explication la plus sincère. Dana ignorait encore que le spécimen sur son bureau pouvait atteindre plus de deux mètres de haut en quelques années.

_ Viscum Album ne pousse pas dans des pots, Rhys, il parasite les autres arbres. Et puis ça serait ôter la beauté de la chose si c'était là toute l'année. Penses-y.

_ T'as qu'à en accrocher un près du coin des cours du soir de Jimmy alors, il aura toutes les mamies en folie pour lui après.

_ ...... Ouuuuh !

Tournant la tête vers Dana en un semblant de conciliabule, je lui adresse mon fameux double haussement de sourcils coquin pour appuyer cette idée avant qu'elle puisse protester. En vrai, Jimmy était loin d'avoir que des mamies inaptes en ordinateurs dans son cours mais j'aimais bien l'embêter avec ça. Et pour le bureau, c'était sûr que ça allait bien arranger Dana ça tiens, d'avoir ce machin accroché dans un Artspace parfois bondé de geeks en chaleurs venus jouer à ce jeu nul là, la ligue des légendes.

Un instant, y a comme un silence suspendu, seulement bercé par le petit fredonnement d'un Joey vivant sa meilleure vie, concentré sur son affaire. Quelques secondes maladroites où le sujet de conversation s'estompe alors que je suis toujours là, face à elle sous la table, essayant presque de me rappeler ce qu'elle m'avait donné comme réponse. À ce moment, l'éclat d'un quelque chose de presque secret passe dans mon regard, et on aurait vraiment cru que j'hésitais à lui demander un date.

Mais est-ce que c'était pas équivalent, de lui demander des trucs de hacker ?

Je pouvais pas juste vivre cette vie de façade comme une vraie vie, en attendant le moment où soit tout exploserait ou soit je m'oublierai moi-même dans un abandon de normalité. Je pouvais pas juste laisser Kaidan étouffer avec sa laisse au cou. Un jour, ils allaient lui rappeler qu'il était qu'un chien, et adieu cette semi liberté amère, cette insultée crachée à sa figure, à la nôtre. Fallait agir, et le cœur de toute cette merde était composée de trois noms : Sima, Seta, Siméon.

Y avait qu'une putain de question à se poser maintenant : est-ce que je faisais confiance à Dana ? Par extension, Joey aussi, puisqu'il était présent, mais y avait une sacrée différence entre pas poser de questions et pas savoir, et mettre un doigt dans un engrenage laissant se dévoiler des contours insoupçonnés. J'avais pas peur des réponses de Dana, mais des questions qu'elle pourrait se poser. La perspective que ça se passe mal, qu'elle m'envoie chier, que ça change cet équilibre précaire entre nous... Ça a pris le temps mais à l'Artspace, y a un truc, une ambiance, un quelque chose qui fait que les muscles se détendent enfin, l'esprit relâchant prise. Des soirées comme celle-là, des bêtises comme celles de Joey.

Si fallait tout abandonner et tout refaire, est-ce que j'aurais le courage ?

Je la fixe droit dans les yeux, sans détours du regard. J'ai besoin de savoir comment elle va réagir, comment elle va me regarder après. Finalement, je lui réponds avec le calme serein de celui qui a choisi, la tranquillité d'une mer plate absolue renvoyant au ciel sa propre image.

_ Je veux espionner quelqu'un avec son téléphone.

Bien sûr, c'était déjà sous-entendu avec mes précédentes questions.

_ Je veux tout savoir : ses appels, ses messages, ses internets, son agenda, ses contacts, ses photos, ses mots de passe, sa localisation.

Il n'y avait pas de justification et j'espérais qu'elle en demanderait pas, même si ça devenait soudain un peu sinistre et qu'elle serait en droit de le faire, vu les risques.

_ Je connais déjà son numéro pro et perso, son adresse mail, son adresse physique, tous ces trucs.

Mais, ouais, y avait forcément anguille sous roche, Baleine sous gravillon. Étron sous feuille morte, dirait l'autre. Une hésitation, un instant, tandis que dans le fond, Joey continuait de s'occuper de ses affaires, ou écoutait en faisant semblant ? Je baisse alors un peu la voix.

_ C'est un agent du PASUA, ses appareils sont protégés. Comment, j'en sais rien, mais je sais deux choses : je dois pouvoir m'arranger pour t'apporter un autre appareil téléphonique du PASUA si tu veux explorer leurs sécurités, pendant quelques heures. Et ensuite, si tu me dis qu'il faut brancher un truc sur la cible pour lui injecter quelque chose, je pense pouvoir le faire.

Si Kaidan était au courant que je comptais l'utiliser comme agent à l'intérieur ? Bien sûr que non. Tout dépendrait de ce qu'en dirait Dana et de si je pouvais seulement avoir quelque chose à offrir en échange. J'avais déjà pas mal de dettes chez elle mais, pour l'instant, j'étais surtout concentré sur sa réaction, m'abstenant de tout commentaire de plus, attendant.




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Sam 21 Oct - 14:39 (#)


Face à leur échange, Dana sourit en agitant sa tête doucement de gauche à droite, exaspérée. En terminant de rouler ses câbles autour de ses jambes, elle ne peut s’empêcher de penser que, parfois, son entourage était simplement surréaliste. Entre le SDF sexy et intelligent et surdoué et son mystérieux homme à tout faire qui semblait s’être encore fourrés dans des trucs plus ou moins légaux, les moments entre eux avaient tendance à dériver vers le grotesque. Ce n’était pas désagréable. Ça donnait une illusion de compartimenter chacune de leur personnalité. Après tout, Joey pouvait être le type débile qui accrochait des feuilles de gui dans le cadre des portes d’un cybercafé, il était aussi le type qui l’avait aidé à brancher et acheter les matériaux nécessaires pour installer ce nouveau serveur béton et puissant. Il l’aidera aussi à s’assurer que tout soit bien connecté et sans failles. Il était un membre de la Neptune Fleet irremplaçable, même s’il était plutôt « versatile ».

Pauvre Jimmy. Il ne faisait pas le poids sous l’absurdité de Rhys et Joey. Son autre employé était plutôt simple, geek et naturellement joyeux. Il s’inquiétait souvent des actions de l’homme à tout faire de l’ArtSpace ou de la manière dont Joey squattait le cybercafé tout le temps. Elle le voyait se sentir dépasser par certaines réflexions ou choses qu’ils exprimaient. Passant dans son bureau pour s’assurer si c’était normal ceci ou cela. C’était beaucoup mieux qu’au début et il avait pris en affection les deux types, même s’il ne les comprenait pas toujours.

Dana relève son regard pour croiser celui de son employé plus ou moins légal, quand il soulève les sourcils de manière suggestive. Elle émet un bref, son qui tenait d’un rire un peu ironique :

- Tu te rends compte que son but avec les branches de gui, c’est de réussir à nous voler un baiser ?

Et comme pour répondre à cette évidence, le décorateur en herbe avec ses tatouages et sa dégaine de punk du dimanche se met à chanter à voix haute : « All I Want for Christmas Is Youuuu » en terminant d’accrocher son buisson.

Mais sous la table, le sujet retourne vers les inquiétudes et les questions que la geekette avait décidé de répondre sans prendre de détour. Il travaillait pour elle depuis assez longtemps, puis il avait la paix à cause de ses supers pouvoirs de hackeuse, garder Rhys dans cette étrange demi-vérité de sa double vie.

Elle ouvre d’abord la bouche pour demander un truc : Comment il pouvait avoir accès à un téléphone du PASUA, mais se ravisa et le laisse terminer sans l’interrompe. Ses lèvres s’entrouvrent une deuxième fois pour lui demander comment il pensait brancher un truc sur une cible et réussir, mais encore une fois, change d’avis et garde le silence en l’observant derrière ses grosses lunettes.

Puis elle pousse un soupir.

Comment le hasard pouvait-il aussi bien faire les choses ? Comment les trucs pouvaient-ils s’aligner aussi facilement pour que tout ce qu’elle allait tenter de faire soit un succès ? Décidément, le destin, le karma ou les astres — blâmez qui vous voulez — se casaient trop bien autour d’elle.

À croire que quelqu’un, quelque part, avait déjà décidé que c’était sa destinée et qu’elle devait l’accomplir.

Elle grogne un instant puis relève ses lunettes pour les glisser dans les cheveux au-dessus de sa tête. Au lieu de discuter sur les emmerdes qu’il allait s’attirer en empruntant cette voie, Dana demande :

- Et je vois que c’est n’est même pas un problème pour toi. Ce n’est pas la première fois que tu voles des trucs ou ça te tient vraiment à cœur… ou les deux. J’ai vu des personnes chier une brique juste à l’idée de simplement frôler cette organisation. Ce n’est pas ton cas.
- Le mien non plus, chantonne leRat, qui ne manquait décidément rien de la conversation. Pour protéger Dana ou s’assurer que son ami allait s’en sortir en un morceau ? Qui sait ses motivations.
- On le sait, toi. Ajoute-t-elle à voix haute. Puis son ton s’adoucit ; Si tu me trouves un téléphone qui leur appartient et que j’ai le temps de m’amuser avec quelque temps, avec le reste des informations que tu peux me trouver, je serais en mesure de te donner ce que tu veux savoir.

Son attention se retourne vers les câbles bien enroulés puis déniche une première attache autobloquante, qu’elle passe autour d’un paquet de fils et ferme dans un son de « zip » de plastique.

- Se brancher directement à leur réseau via un de leur agent, ou quelqu’un qui peut s’insérer dans leurs bureaux serait vraiment très, très utile.

Dana tourne légèrement la tête pour l’observer du coin de l’œil. Est-ce qu’il était cette personne ? Un de ces contacts ? On pouvait lui faire confiance ?

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Dim 22 Oct - 1:22 (#)


Il y avait cette demie seconde, étirée à l'infini, où l'esprit se découvrait le temps de survoler des mondes entiers sur le tempo des battements d'un cœur attentif et étrangement serein. Est-ce que je m'attendais à cette réponse ? Est-ce que je m'attendais à ce qu'elle considère la chose presque comme si c'était la plus naturelle des banalités ? Mes yeux dévisagent en silence ceux de Dana à mesure qu'elle me répond, à la recherche d'une vérité qui puisse me donner des clefs de compréhension. C'est trop dangereux qu'elle aurait pu dire. Tu sais ce que tu demandes comme risques ? aurait répondu la raison. Il y avait quelque chose, là, que je ne comprenais pas, une sorte d'espoir insensé qu'elle faisait naître avec la simplicité d'une aube qui se lève, qu'il n'aurait fallu que demander pour la voir arriver. Qu'est-ce qui se passe, exactement ? C'était évident que cette requête laissait un champ entier de questions sans réponses mais il y avait, en face, un équivalent tout aussi mystérieux et assuré.

Le mien non plus. Mes yeux se braquent une seconde sur la figure du Rat qui, malgré la situation, n'estime pas que c'est une raison suffisante pour s'arrêter de gratifier de ses décorations kitschs les murs de l'Artspace. Le mien. Non. Plus. L'instinct bloque sur cette butée et les sous-entendus qui s'y décèlent, sans pourtant parvenir à y poser une once de rationalité. La confusion est la seule réaction qui naît, avant d'être emportée par la suite.

Et puis c'est ça, c'est tout. Presque aussi facile qu'une lettre à la poste : pas de questions gênantes, pas de mise en garde, pas de méfiance. Juste... De la confiance ? Un vertige insoupçonné s'ouvre en silence, alors que le rythme cardiaque repart à la hausse. Est-ce qu'elle pourrait vraiment le faire ? Est-ce qu'il y aurait une solution à portée de main, pour de vrai ? Des shady shits, il y en avait plein ici, probablement plus que ce que j'imaginais mais là, , c'était un gros poisson. Un très gros poisson.

J'ouvre la bouche un instant, comme pour dire quelque chose, avant de me raviser. Quelque chose ne tourne pas rond, ça non. Un trouble certain ombrage les traits de mon visage, tandis que mon regard va tour à tour sur Joey puis Dana, Dana puis Joey.

_ Mais...

Pris au dépourvu ? oui.

_ C'est tout ? Je veux dire...

PASUA = les SWATs de la magie. En un mot comme un cent, des emmerdes qui laissaient aucune place à l'erreur, sous peine de foutre en l'air toute perspective d'avenir. Bloqué sur cette idée, bloqué sur cet espoir, une agitation certaine venait de remplacer la tranquillité fragile.

Soudain, je comprends ce qu'il manque : de la peur. Elle semblait totalement absente de leurs réactions. Et puis ? C'était délicat de leur poser trop de questions, c'était leurs secrets. Oui, mais si ça foirait, c'était Kaidan qui allait en prendre plein la gueule, et l'idée de jouer sa vie comme ça en donnait la nausée.

Mes doigts viennent frotter l'espace entre mes sourcils froncés, yeux fermés un instant. Pourquoi c'est moi qui panique ? Je prends une seconde pour rassembler mes idées, pour réfléchir.

_ C'est dangereux. Je sais que c'est évident mais, c'est dangereux, vous savez ça, hein ?

Mes yeux se reposent sur eux, soucieux. Y a pas que moi dans l'histoire, y a un tas de personnes, et foirer un truc briserait tellement de choses. C'était un saut dans le vide sans deuxième chance. Dans le fond, Dana se trompait : affronter le PASUA me terrifiait, parce qu'ils incarnaient cette course contre l'extinction qui chaque jour nous étouffait un peu plus et parce qu'ils avaient des otages. Mais si c'était en mon pouvoir de les faire exploser, j'hésiterai pas un seul instant.

J'inspire. J'expire.

Naturellement j'ai pas envie de donner plus d'informations. La méfiance et le secret sont deux alliées qui se contrôlent plus une fois lâchées, mais la voilà l'épreuve de foi : pour avancer dans cet espoir, je dois leur faire confiance si je leur demande de l'aide. Rationel, sois rationel.

_ Je connais quelqu'un, à l'intérieur.

Je parle lentement, le temps de peser les mots, de tenter de maîtriser la tension en un flux uniforme et lisse. Il y avait là un tremblement sous-jacent, une incertitude à se confier qui dépassait les plus élémentaires des bases.

_ Une personne qui peut connecter le wifi si tu veux, oui, donner des noms, des hiérarchies et des procédures si ça aide. Ou n'importe quoi d'autre tant que c'est passif. Je peux même sûrement te ramener un ordinateur ou un badge d'accès, n'importe quoi, mais il y a deux choses que tu dois savoir en plus.

C'était obligé qu'elle allait se poser la question, du rapport avec des CESS. Pourquoi, sinon, s'emmerder chez le PASUA ?

_ La première, c'est que cette personne qui peut m'aider est peut-être déjà surveillée passivement. Si un truc électronique sort, il faut que ça soit sur un temps limité, sans empreintes étrangères, sans prendre de risques d'enregistrements de micro ou de caméra. Et le trajet gps utilisé ne doit pas être suspect, quitte à faire ça en plusieurs fois.

_ La deuxième...

Comment formuler ça ?

_ La meilleure façon de cacher quelque chose, c'est de ne pas savoir qu'il faut la trouver. Il ne faut pas mettre en danger la personne qui va sortir ces objets ou agir, ni attirer l'attention sur elle. Si cette personne est compromise...

Et puis ? S'il arrivait des trucs à Kaidan, qu'est-ce que je pourrais faire, de toutes façons ? J'avais l'impression de prendre des trucs en otage, de mettre la pression à Dana pour rien. C'est mon père. Impossible de lui dire ça. Des fois, aller braquer un flingue directement dans la bouche d'Otto semblait tellement plus simple...

J'évite son regard, réticent, parce que c'est beaucoup plus facile comme ça.

_ Je serais obligé de disparaître.

C'est comme si j'avais honte de dire ça, d'une façon qui sonnait la résignation inexorable. Finalement, je termine à voix plus basse, les gestes légèrement plus crispés, serrant les mains pour contenir un tremblement subtil. S'il fallait affronter l'enfer pour réussir ces plans, la question ne se posait même pas, l'esprit empreint d'une loyauté presque suicidaire. Mais là, laisser vulnérable ces choses qui restent dans l'ombre, c'était tellement difficile en cet instant.

_ Écoute, je sais que t'as toujours été super gentille avec moi, que tu m'as jamais rien demandé et que j'ai la meilleure chance du monde d'être tombé sur toi, et sur toi aussi Joey, et que ça doit sûrement être le plus merdique des shady shit que je vous donne en cet instant, je suis désolé. Vraiment. Je vous aime beaucoup, plus que vous imaginez, et je comprends si tu veux pas, Dana, ou si t'exiges de moi que je réponde à des questions. Je suis prêt à faire tout ce qu'il faudra pour cette chance, si tu me dis que c'est vraiment possible. Je peux trouver de l'argent ou d'autres informations, n'importe quoi s'il faut, mais à la seule condition de pas mettre en danger cette personne.

Le temps était compté, dans le fond, et y avait pas trente-six solutions possibles. Elle m'aurait demandé de me prostituer ou de tuer quelqu'un en cet instant en échange que je me serais même pas posé de questions.




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Dim 12 Nov - 21:42 (#)


« Bien évidemment que l’on sait que c’est dangereux. Très dangereux même. Le PASUA est reconnu pour ses frontières infranchissables. Leur équipe de l’IT posté à Shreveport est extrêmement douée. Rien à avoir avec la mairie ou le service de police. Ils ont des standards et des protocoles bien rodés. Parfois, je me demande s’ils ne sous-traitent pas à des hackers… » Ce qui est probablement le cas. Peut-être même qu’ils utilisaient le chantage pour garder les meilleurs au bout d’une laisse. Ça serait logique et déontologiquement abject, mais pas surprenant.

Elle pousse un bref soupir, essayant d’être rassurant : « Espionner est quand même moins compliqué que d’effacer les traces de quelqu’un. » Elle secoue la tête, un instant, puis se reprend : « C’est moins compliqué, mais ça le reste quand même. Je dirais que les risques et les efforts sont différents. »

Un sourcil fronce quand son employé chéri lui explique qu’il va devoir disparaitre si son contact était compromis, suivit d’une déclaration d’amour et d’amitié qui semblait faire échos à une possible fin tragique.

OK.
Wouah.
Ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde là.

Ses mains se soulèvent légèrement comme dans un signe universel de « stop ». « Attends. Attends… » Puis elle se relève de sous la table, son capuchon glissant sur son crâne pour tomber sur ses épaules. Elle repousse une mèche de cheveux qui glisse sur son front, qui s’évadait de son unique tresse lousse sur son épaule. Un coup d’œil à Joey, qui était appuyé dans le cadre de la porte de la pièce de conférence qu’ils étaient, lui confirmait qu’il avait tout entendu et à son air dubitatif, ne semblait pas totalement comprendre les enjeux. Mais d’un signe de tête, il lui donnait son approbation pour parler de ce qu’ils faisaient dans « leurs temps libres ».  

Shady shit qu’était « ce temps libre », d’ailleurs.

Lunette sur le bout de son nez, qu’elle remonte d’un geste mû par l’habitude, elle observe son homme à tout faire toujours au sol : « Tu avais compris que je n’étais pas juste une geek qui travaille dans un cybercafé, n’est-ce pas ? » Une pause, pour le scruter patiemment, comprendre que, ça n’avait jamais été éclairci avant maintenant.

Comment l’on annonce ça ?

« Tu sais que… Nah, attends, lève toi, je t’en prie. »  Debout, il faisait une tête de plus qu’elle. Géant mystérieux qui n’avait jamais manqué une journée de travail en échange de sa nouvelle identité. Souriante malgré elle, Dana remonte donc son petit nez en trompette vers lui et plante son regard azuré dans le sien. Elle s’approche, réduisant la distance entre eux. Sa voix était aussi douce et basse qu’elle pouvait et sur le ton de la confidence, expliqua que : « 4B53NC3, c’est moi. Il n’y a pas d’intermédiaire. Joey t’a carrément juste donné mes infos pour t’aider. S’infiltrer à l’intérieur du PASUA est le rêve le plus fou de n’importe quel pirate informatique de talent. Le Saint-Graal du vingt-et-unième siècle. Bien sûr que c’est dangereux de même essayer de les approcher, mais mon équipe et moi aimons bien carburer au défi de taille. » Dana penche la tête pour faire un clin d’œil appréciatif à Joey qui n’avait pas bougé de sa place, laissant la patronne faire. « Ce n’est pas pour rien que je suis aussi douée. »

« Pfft. Le voilà, ton gros égo. »
« C’est vrai que tu as certains talents aussi… »
« Ouais ouais, c’est ça. Fais ta flibustière solopreneur. On le sait que tu ne pourrais pas y arriver sans notre aide. » Puis il détourne son regard au sol, un sourire en coin qui plane sur cette complicité entre lui et elle.

Dana attrape une grande main de Rhys. Elle tremblait contre la sienne.

« Je comprends que ce contact est important pour toi. C’est de la famille ? Un ami ? » Elle secoue la tête, négativement puis reprend : « Tu n’es pas obligé de me le dire. » Elle soupire ensuite et ajoute : « Tu fais partie de notre vie, Rhys. L’on t’aime beaucoup aussi. » Aucun doute pour leRat derrière, qui plantait des guis partout pour avoir l’occasion de lui rouler une pèle, mais dont elle savait qu’ils étaient amis bien avant qu’elle ne le rencontre. « Tu fais partie de la famille du ArtSpace, qui est carrément chez moi, et nettement, tu as ce qu’il faut pour… faire partie de l’équipage. »  Pas toujours besoin d’être doué en informatique pour être un atout sur un bateau de pirate, mais elle y reviendrait. « Je suis une pro des trucs pas nette. Les tiens ne me font pas peur. Je te promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas mettre cette personne en danger. J’ai peut-être d’autre contact à l’intérieur, ou peut-être qu’avec ton aide, on pourrait y arriver sans mettre dans l’eau chaude ton lien ? »

Sa main serre un peu plus fort la sienne.

« Peut-être aussi que ta demande arrive juste au bon moment ? » Elle prend une pause et le scrute son visage en silence, un instant puis demande : « Est-ce que c’est ton dossier au PASUA que tu souhaites que l’on efface ? Sujet #05773. Fiché dangereux, agression et vol de voiture… Ils n’ont pas les meilleures photos de toi, mais ça date de 2019. L’Halloween. T’étais là ? »

Bon.
On se calme.
Comment est-ce que Dana sait ça ?
Si seulement c’était parce qu’elle avait de jolis yeux.

« … j’ai reçu un message dernièrement. Ne t’inquiète pas, c’était pour m’atteindre, moi. Ils ne feront rien avec cette info. » Pas après le service qu’elle allait leur rendre. « Tu es fiché au PASUA. Il n’y a pas de nom, mais c’est nettement toi… » D’ailleurs, comment avaient-ils eu l’info, eux ? « Bref, c’est ça que tu veux que l’on efface ? »

Définitivement, l’occasion se présentera peut-être plus rapidement qu’il ne l’imaginait.

« Je ne te ferais rien payer, allons. Tu me dois encore de l’argent. Ton aide et ta discrétion seront assez. »  

Parce que maintenant, Rhys était complice.
Qu’il le veuille, ou non.
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Rhys Archos
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L'IVRESSE SOLAIRE DU CRÉPUSCULE

Have you ever considered piracy ? [Dana] S83t

« Wild men who caught and
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grieved it on its way,
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into that good night. »

En un mot : Émeute, Sang et Fiel
Qui es-tu ? : Sans visage, une force animale grouillant sous une peau humaine qui s'étire, trop étriquée, n'attendant que de jaillir à l'intérieur du monde pour le ravager.
Facultés :

Trouble à l'ordre public ;
Outrage à agents ;
Attentat à la pudeur ;
Violation de propriété privée ;
Ivresse sur voie publique ;
Expert du pistolet à clous ;
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Lun 20 Nov - 1:40 (#)


J'observe Dana qui se lève, sur le point de mettre un holà à tout ça. J'hoche silencieusement la tête à sa première question, lentement, les yeux levés vers elle avec une certaine appréhension. À ce moment je sais pas trop à quelle sauce je vais être mangé, je suis juste prêt à prendre le prochain truc qu'elle va sortir comme un rugbyman s'attend à l'impact. Y a juste la question de savoir sur quoi elle va poser le doigt et ce réflexe de survie d'anticiper quelles façons de présenter la vérité serait la moins pire. Quand elle me demande de me lever, je m'exécute sans rien dire, mais planté là devant elle, aussi proche, c'était impossible d'éviter son regard. Une connexion directe et trop sincère, qui ne pouvait pas se faire berner par les mensonges que tissent les mots. C'était comme un piège mais un piège avec le cœur.

Et puis... Et puis...

Quoi ?

Dans mes yeux, l'éclat d'une confusion déstabilisée passe un instant, laissant clairement comprendre que non, j'avais même pas pensé à cette possibilité. 4BS3NC3 ? C'était elle ? Je jette un coup d’œil dubitatif à Joey, appuyé sur le chambranle de la porte, avec des boules de gui dans les mains et son expression du diable qui hausse deux fois les sourcils de son air le plus coquin.

Il me faut de longues secondes, pour comprendre et remonter le fil des implications d'une telle chose, parce que y a soudain un tas de trucs à reconsidérer et qu'elle enchaîne sur le PASUA. Mes yeux s'agitent d'un œil à l'autre de Dana, alternativement, plus vite à mesure que j'intègre l'intérêt précieux d'avoir une entrée secrète dans la tour des Wizard Cops. C'est comme si mon cerveau était soudain attardé et avait du mal à démarrer, sautant d'une évidence à une autre avec un train de retard.

Mais la suite...

C'était facile de regarder le monde des Hommes et de pencher sur ce sentiment de dégoût, de se mettre à le détester, de vouloir se l'arracher de la tête et de pourtant être dépendant de ce corps, de ces interactions, de cette conscience supérieure qui traçait la ligne entre le sauvage naïf et innocent et l'arme de destruction la plus terrible qui puisse existe : la pensée. C'était facile, ouais, de détester et d'afficher à ce monde la façade d'une normalité banale, d'un mensonge si puissamment ancré à l'intérieur qu'on finissait par se fissurer l'esprit avec, par s'ôter une partie de l'essence qui nous composait pour la laisser s'éteindre en dedans. C'était ça, la frontière fondamentale qui séparait en secret les deux mondes : une solitude si dense et si compacte qu'elle en laissait les mots impuissants à la percer. Nécessaire à la survie, mais dure à porter.

Si dure, en fait, que Dana était en train de balayer des murs de silence avec une désarmante facilité, un coup au cœur qui faisait plus de mal que tout le reste, des mots si simples et qui portaient une chaleur presque interdite. Elle était humaine, ouais, et puis ? Comment la détester, elle ou Joey, en cet instant ? C'était quand, la dernière fois que y avait eu cette impression de pouvoir se confier à quelqu'un ? Sans arrière-pensée, sans mentir, sans se dire que demain faudrait peut-être tout abandonner ? En cet instant, ouais, je regrette qu'ils soient pas comme moi.

Y a ce moment, terrible, où toutes ces émotions ravagent l'intérieur, ce vertige qui passe dans mon regard alors qu'elle vient d'enlever, pour quelques minutes ou quelques heures, un poids trop longtemps imprégné dans les chairs. Un instant où on dirait que ses yeux prennent tout l'espace et qu'elle n'observe rien d'autre que la forme véritable qui se cache sous cette peau d'homme. Mes doigts serrent les siens en retour, contact silencieux et presque brûlant, comme si les lâcher c'était tomber, alors que ma respiration est plus forte, plus rapide. Ouais, y a quelque chose de fucked up à l'intérieur, ça sert à rien d'essayer de le cacher maintenant.

_ Merci Dana.

Ces deux mots, juste ces deux putains de mots sont tellement durs à prononcer dans la gorge, empêtrés dans un tas d'émotions.

La suite, je vais pas mentir, elle me serait passé à moitié au-dessus de la tête si Dana avait pas évoqué ces autres sujets. En deux nouvelles secondes elle venait de balancer des bombes nucléaires, mais une part de moi était tellement rincée en cet instant que ça paraissait arriver de très loin. L'instinct de survie finit néanmoins par rebrancher les neurones et par petit à petit relancer la machine, assimilant ce qu'elle venait de dire. Trop d'informations à apprendre d'un coup, trop de problèmes qui requéraient une attention immédiate et qui criaient danger ! sous la pensée. C'était difficile, de revenir à la réalité, et mon attention était toujours piégée par la proximité désarmante de Dana et de son regard, et ce contact physique inhabituel.

Un peu idiot, un léger sentiment de culpabilité se laisse percevoir, un demi sourire fautif et un peu honteux sur les lèvres :

_ Ça veut dire que tu sais que j'étais pas vraiment malade l'autre jour...

Merde, Dana devait avoir tiré la gueule à recevoir deux messages différents, un pour elle, un pour 4BS3NC3. Putain elle avait dû me prendre pour un con.

_ Le papier que j'ai reçu. Il parlait de toi alors. Mais je comprends pas... Pourquoi quelqu'un me le dirait, faut être un peu con non ?

Une seconde, je sors de mes pensées et j'observe Dana, puis Joey. Les photos d'expériences animales... Est-ce qu'ils en savent plus sur moi que ce qu'ils disent ?

Ils ont l'air... Incroyablement cools, en fait, pour des gens qui reçoivent des menaces et qui parlent d'attaquer le NRD comme d'un challenge. En cet instant y a une part de moi qui est sur le point de tout faire éclater, inexorablement envieuse de cette confiance qu'ils dégagent, admirative aussi de leur intelligence. Une part qui crie à l'aide et qui lutte contre cette autre partie en laquelle sont inscrites en lettres gravées dans la chair Do it or die. Cette contradiction, soudain, met en exergue ce paradoxe qui oppose survie et confiance et je me rends compte que là, je peux pas tout faire tout seul, non. Je peux pas et quelque chose en moi meurt d'envie de leur dire. De leur dire tout, en vrac, sans distinction, et de pas gérer les conséquences. Une possibilité qui ouvre un gouffre d'angoisse, un pas au-dessus du vide que s'est toujours refusé à faire un animal sauvage.

Je soupire. Profondément, fatigué.

_ Et j'avais oublié ce dossier.

Une constatation, comme un aveu un peu désabusé, alors que mes yeux glissent vers ailleurs avant de retomber sur Joey, dont je sens le regard attentif, curieux mais empreint - une fois n'est pas coutume - d'une certaine réserve tandis qu'il écoute. Son visage s'illumine avec un sourire qui en devient idiot tellement il paraît naïf, mais le genre de sourire qui fait du bien. Une vague réponse s'esquisse au coin des lèvres. Je sais pas ce que j'aurais fait sans ces deux-là, en fait, et tout semble plus facile maintenant que Dana a mis les deux pieds dans la soupe.

_ Ça date d'Halloween, oui. Y a eu...

Ça peut pas être un hasard, impossible. Un instant, un frisson remonte le long de mon échine. La violence de ce soir-là paraît si loin, si irréelle. Y a une crispation, là à l'intérieur, qui nie tout en bloc mais sans pouvoir oublier l'empreinte que ça a laissé dans la chair : une colère, presque une transe, qu'avait parfois des allures d'épiphanie. Quelque chose qui en appelait à tout ce qui avait été enfoui et muselé, quelque chose de terrifiant.

Ma main se tord, brûlante par cette température corporelle toujours un cran au-dessus, sans pourtant oser la défaire complètement.

_ Je sais pas ce qu'y a eu.

Une vérité résumée en une sincérité désarmante, mais qui ne fait qu'ébaucher un pan entier de la réalité.

_ Ce truc-là vient forcément de l'intérieur. Personne d'autre aurait pu y avoir accès. Ça doit être la même personne qui m'a envoyé des trucs bizarres, l'autre jour, et qui parlait de toi. Y a des gens qui savent où j'habitais.

Est-ce que c'était Otto ?
Si c'était ce petit connard, j'étais foutu.
J'inspire. J'expire. À l'intérieur, je pense à Inna, son calme placide, et au bruissement du vent dans les arbres, le murmure des chants de Mémé et la chaleur d'un pelage contre la peau. L'existence aveugle du bayou, qui enveloppe tout et nous ramène jusqu'au centre de ce qui tourbillonne. Les eaux se calment, tranquilles, à l'affût. Je dois être le prédateur immobile, non la proie impatiente.

_ Joey, t'as eu des trucs aussi ?

Il hausse les épaules, agitant sa boule de gui comme un chiffon pour illustrer son propos, répandant quelques feuilles ici et là.

_ Des gens bizarres qui viennent faire des trucs pas normaux dans mes squats ? Tous les jours Rhys, tous les jours. Mais rien d'aussi sexy que vous pour l'instant. Faut croire que c'est moi qui vais devoir vous servir de garde du corps les enfants, oh gurl.

Toujours son haussement de sourcil, celui qu'il m'avait volé. Fallait croire que rien pouvait vraiment l'atteindre - en apparence - et qu'il était aussi malin qu'il prétendait être.

_ Écoutez...

Je regarde un instant Joey, lui fais signe de s'approcher aussi de la tête. Là avec son buisson il dit plus rien, mais tout ça tombe pas dans l’œil d'un sourd. Il met une seconde à réagir, mais il se ramène avec sa putain de boule de gui qui met des feuilles ici et là par terre. Je prends le bras de Dana à droite, celui de Joey à gauche, comme si la promiscuité de ce conciliabule pouvait nous rendre plus discret, dévier l'attention des murs et de quiconque écouterait là dans le vide du silence. Le reste, je le dis à voix basse, presque par superstition, d'un ton un peu gauche et qui ose pas trop les regarder.

_ Je sais pas comment dire ça... Vous êtes les premières personnes avec qui je me sens... Bien. Vous foutez pas de ma gueule, c'est vrai. Tous les jours, je dois mentir aux gens, inventer des histoires, des faux détails, une fausse vie, me cacher... Tous les jours ils voient quelqu'un que je suis pas : le type marrant de l'Artspace avec ses T-shirt et ses  plantes, le mec chelou qui comprend jamais les réfs de ces putains de geeks, le gars-là qui savait même pas utiliser un ordi... Tous les jours y a des gens qui m'appellent Christopher et ce nom est écrit partout : dans leurs têtes, sur ces putains de badges, dans les mots dans leurs bouches... Ça me dégoûte, en fait. Parce que je m'appelle pas comme ça, parce que je peux pas leur dire, parce que ce monde entier c'est de la merde.

C'était complètement en train de déraper, c'était pas du tout ce que je voulais dire. Une seconde, je m'interromps, comme si je m'en rendais compte, comme si fallait tout arrêter avant que la chute soit trop avancée. J'étais fatigué, voilà tout. Voilà le constat amer, que je leur lâchais dans un souffle :

_ Y a presque plus que vous qui savez. Tous les autres sont morts où ils ont disparu.

Les mots manquent de s'étrangler. C'était un effort colossal pour pas céder à l'émotion contenu dans cette phrase. Cette phrase qui semblait acter la mort de tout le monde, les tuer définitivement, les trahir. Pour le reste, Kaidan était piégé chez les wizard cops et Inna dansait sur l'arrête des choses qui fusionnent avec la nature. Ouais, qui d'autres m'appelait encore Rhys, hein ? Pas les morts, ni les disparus. C'était que des souvenirs, tout ça, des trucs qu'existaient plus. Y avait de la colère, là-dedans, le seul truc autant en abondance que l'amertume, enfoncée plus profondément que tout le reste, et qui servait de terreau à des idées qui un jour finiraient par tuer quelqu'un, que ce soit moi ou les autres. Une tempête, qui se muselait elle-même, et qui ne sortirait qu'une seule et unique fois. Mais cette fois-là...

_ C'est mon père qu'est à l'intérieur. Les gens du PASUA l'ont torturé, ils l'ont réduit à l'état de chien forcé de travailler pour eux, dans leur tour en acier où ils se cachent derrière leurs jolis mots. Ils l'ont pris lui, et mes deux sœurs et mon frère à peine nés qu'ils gardent en otage, pour lui tenir les couilles bien gentiment. Mais ça durera pas éternellement. Y a un jour, ils auront plus besoin de lui et là...

Je déglutis, tremblant. Voilà pourquoi je peux pas me tromper. Si je fais confiance à n'importe qui, c'est game over. Y avait, là à l'intérieur, la menace d'un gouffre de violence dans lequel tomber ne laissait plus aucun espoir d'en ressortir et, quelque part, je me demandais parfois si c'était pas déjà trop tard.

Je les regarde de nouveau, avec cette tempête silencieuse dans les yeux. C'était la promesse implicite qu'ils auraient tout ce qu'ils voulaient, tout ce qui pourrait servir à piller la forteresse des wizard cops, à leur faire du mal. Toute cette conviction ne se résumait alors plus qu'en une seule et unique brûlante certitude :

_ Je leur arracherais tout ce que je peux.




Adopte ces beaux scénarios !
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Ven 9 Fév - 15:50 (#)


L’Halloween 2019 se résumait à quelques mots assez illustrés :

De
La
Grosse
Merde.

Elle n’avait pas eu l’occasion de beaucoup s’étendre sur le sujet ni d’en discuter avec d’autre, comme la plupart des Shreverportois bénéficiaient d’une soudainement amnésie ultra utile après les évènements de la nuit du 31.

Elle n’en voulait pas à Rhys de ne pas souhaiter en parler avec elle. C’était peut-être mieux de ne pas tout savoir non plus.

Dans tous les cas, oui, de l’intérieur, ou autre chose. C’était vraiment des informations extraciblées. Rien à voir avec le worm qu’ils programmaient laisser s’alimenter dans la donnée du PASUA. Fallait avoir la main mise sur certains accès directement sur place OU être un hacker magicien… ou être un magicien.

Au moins, contrairement à Ian, Alex et Rhys, Joey avait le loisir de ne pas être tombé dans la boite courriel de Dana comme pseudomoyen de pression. Il en avait vu d’autres, leRat. Parfois, elle se demandait si son incroyable aptitude à vivre le moment présent et son intelligence décontractée ne lui permettait pas d’affronter le tout avec philosophie et un calme enthousiasme devant chaque défi.

«On devrait peut-être être un peu plus comme Joey. 

« Et qu’est-ce qui te dit que ce papier parlait de moi ? Je veux dire… Il y a plusieurs “Elle” dans les parages. »

Bref, la proximité de Rhys et de celle de Joey qui finit par les rejoindre lui faisait du bien, plus qu’elle ne voudrait jamais l’avouer. Même si cette situation n’avait rien de normal, Dana avait l’impression de s’en approcher dangereusement. De cette « normalité ». Un semblant de. Un pont de cordage au-dessus d’un gouffre qui servait de vie à la geekette. Pourtant, elle l’écoute les aveux de son employé sans sourire, accueillant seulement son inconfort d’une double vie à cacher qui il était vraiment. Un truc qu’elle connaissait bien.

Le monde entier, c’est de la merde.

Face à ce dégout profond, elle avait l’impression qu’il avait connu jadis, autre chose. Un moment mieux, qui lui rendait son existence présente, insupportable. Quand il avoua ensuite que tout le monde était morts ou disparu, elle sent sa gorge se coincer. Elle consulte d’un silence complice le regard du Rat devant elle pour remarquer, lui aussi, ses traits marqués d’émotions mal contenues.

Joey glisse une main ferme et rassurante sur l’épaule de Rhys et la serre dans sa poigne, pour lui administrer deux claques brèves, mais bien senties, comme seuls les hommes arrivent à le faire.

« Bordel mec, t’aurais du m’en parler plus tôt.» Murmure-t-il avec une pointe de regret.

Dana reste sans mots, n’en trouvant aucun d’adéquat dans l’immédiat. Autant ne pas aggraver la situation avec sa classique awkwardness. Elle se contenta de lui serrer l’avant-bras, compatissante.

Par contre, la suite lui fait entrouvrir les lèvres, sans voix, surprise. D’abord que Rhys est un contact aussi direct au PASUA et tenait du miracle, ou du hasard, ou de la destinée. Comment ça sera facile de… gosh ! Si elle avait su plus tôt ! Mais elle se força à calmer ses instincts d’acquisition et de domination pour se concentrer sur la suite. Une suite tout aussi sale que le reste.

«Fuck. C’est scandaleux. Le genre de technique qu’ils doivent garder secret dans les grandes instances de l’organisation. Ça va à l’encontre de tout ce qui… de… C’est de l’esclavage moderne, carrément. Ton père ne doit pas être le seul à subir ce genre de traitement.»

OK ! Elle n’avait pas l’âme d’une justicière. Dana restait, selon elle, une personne dont la notion du « Greater good » était assez vaste et modulable, comme le reste de ses valeurs. Par contre, si on s’en prenait à un ami… ou la famille d’un ami…

… une raison de plus de rejoindre la cause de Disorder. D’exposer les salopards qui sacrifient des vies pour leur avancement personnel. Avec ce qu’ils vont causer, elle va pouvoir trouver où se trouvent son frère, ses sœurs, puis libérer son père.

«On va t’aider sans bruler sa couverture. Il n’aura pas grand-chose à faire, seulement… Je t’expliquerais. Par contre, le résultat sera… turbulent et inconfortable pendant un moment. »

Elle le consulte du regard, très sérieuse :

«Ça va nécessairement créer un peu de chaos. Tu peux gérer ça, n’est-ce pas ? La double vie, les secrets… tu sais déjà comment faire. Tu nous fais confiance. L’on te fait confiance. Tu ne seras plus seul, maintenant. »

Il y avait un pacte qui se signait entre eux en ce moment.
Un contrat qui contenait des risques.
Chaque nouveau membre de l’équipage était une menace pour le groupe.
Une incertitude pour l’avenir.

LeRat hocha la tête avec enthousiasme, une approbation certaine à cet embarquement imminent. Emballé, il agite une de ses boules de gui au-dessus de sa tête :

«On scelle nos engagements à l’ancienne, à l’ArtSpace.»
«T’es vraiment con.»
«Quoi ? Les Romains étaient friands de baisers publics pour sceller des contrats légaux. C’était pratique. Les taux d’alphabétisations étaient faib…»

Et Dana bouge rapidement pour le faire taire d’un baiser rapide sur ses lèvres, qui n’avait rien de sensuel puis se retourne vers Rhys, se lève sur le bout des pieds et fait de même, avec tout de fois, un peu plus de douceur que l’autre membre de son équipage, mais, sans s’attarder non plus.

«T’es content là ?»
LeRat rigole comme un gamin.

Un roulement des yeux, exaspéré, elle tourne son attention sur son homme à tout faire et lui sourit chaleureusement :

«Bienvenue à bord de la Neptune Fleet, Rhys.»
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Mar 27 Fév - 11:39 (#)



Je hoche la tête en silence face à ses injonctions. Garder des secrets ? Ouais. Faire semblant ? Ouais. Avoir l'air d'un débile parce que j'ai encore du mal à lire sans accrocs ? Ouais. C'était facile de passer pour un mongol, le monde entier attendait que de te juger toi et les autres sur les petites différences qui sortaient de cette uniformisation à gerber. Et pas être humain, bon, c'était pas le bon plan à ce niveau en général.

En cet instant, Dana et Joey faisaient paraître toutes ces promesses comme les choses les plus simples du monde, appelant à se reposer sur leur génie et oublier une seconde le bourbier qu'était cette merde pas possible. Ce brusque afflux de solidarité était vertigineux, une fenêtre qui s'ouvrait vers des horizons sur lesquels on avait arrêté de poser les yeux, et qui faisait battre le cœur à toute vitesse. C'était la première fois depuis toutes ces années que j'entendais ces mots, qu'ils étaient pas juste un fantasme imaginé ou un cauchemar formé des ténèbres de la nuit. Nan, y avait, vraiment, un quelque chose de tangible, un chemin qui se dessinait et qui paraissait complètement fou. L'impression tenace de pas mériter cette confiance s'accrochait pourtant à l'esprit avec la hargne d'une griffe de chaton affamé, et j'avais un peu honte de la vérité devant la remarque de Joey.

_ …Je suis désolé Joey…

Il fait son regard inhabituel, ultra sérieux, où il a rien besoin de dire pour faire comprendre que tu dis de la merde. J'avais déjà imaginé lui raconter des trucs, oui, mais quand tu commences avec ces histoires, tu peux pas juste mettre un doigt, c'est tout le bras qui se fait vite attraper et qui manque de te broyer en entier. Déjà, une pensée se formait pour envisager l'angle sous lequel avouer à mon père que je venais d'engager toutes ces choses sans lui en parler. Il allait forcément me demander si je leur faisais confiance et la réponse… Était évidente.

Et pis, y a ce petit détail, rendu encore plus lointain par son insignifiance face à l'importance du reste de la conversation, mais un froncement subtil agite mes sourcils face au manège du Rat. Comme par une espèce de malédiction tenace, Mariah Carey chante encore dans le fond sonore de l'Artspace, et il réussit enfin à voler son baiser à Dana. Enfin, elle le lui vole, avant de venir poser ses lèvres sur les miennes dans un moment de proximité. Y a ce petit instant d'étonnement, ce petit battement de cœur qui va un peu plus vite et qui rend les mains moites. Est-ce que ça me laisse insensible ? Faudrait avoir des trous de cul à la place des yeux pour pas comprendre que non, ou alors c'est la confusion, mais je lui rends son baiser de cet étrange pacte dans les mêmes formes, avec cette connotation rituelle sacrée et une délicatesse presque trop respectueuse.

Les chamailleries entre eux sont une petite lumière auxquelles vient s'ajouter les mots de Dana, qui réussissent à m'arracher un début de sourire jusque dans un regard pourtant fatigué. Il y a, dans l'air, l'odeur lointaine du soleil après une pluie fraîche, l'humide d'une terre qui retrouve de l'eau.

_ Merci…

Un silence de quelques secondes, pleines d'une attente insoutenable pour l'un d'entre nous.
S'agitant d'autant plus, Joey ne comptait pas laisser passer ce moment.

_ Hé ho hé ho, il faut le faire aussi, sinon ça compte pas !

Il agite sa boule de gui comme un pompom, quelques feuilles sacrifiées nonchalamment tombent par terre avec son haussement de sourcils mutin.

Mon froncement intérieur revient en cet instant, intrigué. Comment il sait ?
Une seconde passe où, dans le fond, on dirait presque que j'hésite.

_ Tu sais que là d'où je viens… Ça veut dire que tu échanges un morceau de ton âme avec l'autre à travers ta respiration ?

Je le laisse mariner une seconde, cet instant exact où il est dans une interrogation nouvelle qui permette de le surprendre avant de me pencher vers lui pour sceller la pratique rituelle sous son offrande de gui, dans un genre de solennité sérieuse qui détonnait avec son propre frétillement.
Est-ce que…

Je me redresse, l'observant, observant Dana.

_ C'est comme… Un genre d'union sacrée. Comme les hippies qui se tiennent nus par le petit doigt sous la pleine Lune avec du lait de chèvre, sauf que ça c'est du pipeau.

Joey semble avoir une soudaine illumination.

_ Oh… Oh ouais on devrait faire ça aussi Dana ! Je sais où trouver des chèvres en plus.

Je laisse éclater un petit rire, sans donner de réponse à cette idée qui semble beaucoup trop lui plaire. C'était avec le Souffle qu'on rendait les choses au cycle, qu'on libérait les êtres arrachés à leurs existences. Le vent, lui, n'était rien d'autre que le Souffle de la Terre, sa respiration. C'est ce qu'elle disait, mémé. Enfin, je suis pas sûr qu'on voit ces mêmes choses, mais une impulsion urgente s'est précipitée en moi pour le dire avant que je ne change d'avis.

Un instant, je comprends au regard furtif que jette Joey vers Dana que j'ai laissé glisser une pointe d'un truc trop sérieux et qui a semé le doute. Là, il doit sûrement se demander si je suis un Romain. Presque. Je ne lui laisse pas vraiment le temps de réfléchir plus pour l'emporter avec Dana dans une étreinte pour un câlin à trois, un moment un peu gauche et vulnérable mais qui agit comme la crevaison d'un truc trop gonflé depuis trop longtemps.

_ Je… Merci. Vraiment. J'sais pas quoi dire, merci d'être là.

_ ... Meh, ça va aller on est là.

Bon, ça s'entend que j'essaie de pas laisser échapper ces larmes qui deviennent soudain compliquées. Je soupire, un relâchement qui se répercute dans tout le corps et fait trembler le bras gauche une seconde, profitant de ces quelques secondes de chaleur. Ça me rappelle, quelque part, ces moments secrets de caresses volées en forme de chat. C'est bizarre, cette sensation, comme si tout coulait hors de moi sans pouvoir l'en empêcher. J'ai plus envie de bouger, juste cette impression d'être assommé. Je finis pourtant par les relâcher, avant de m'affaler dans le canapé moelleux des soirées jeux et chips, un peu soulagé, un peu honteux. Des questions idiotes sortent directement de ma bouche sans passer par la case pensée, comme pour détourner l'attention.

_ C'est qui Neptune ? Est-ce que vous parlez comme les débiles qui jouent à La Mer des Pirates avec des arrh?! et en fermant un œil ? Est-ce que je dois avoir un nom de code comme vous ? Et, Joey… T'as un surnom aussi, avoue. J'espère que c'est pas Le Rat quand même ?

Je veux dire, tout le monde l'appelle comme ça. Ça serait con non ?
Mes yeux les regardent, de cette position ni assise ni allongée, à moitié écrasé.

_ Et sinon je connais pas d'autre Elle qui pourrait savoir des trucs, Dana. J'ai préféré pas prendre de risques, j'ai déménagé la nuit-même.




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