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If you never try, you'll never know ♦ Honor & Abel

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Ven 4 Jan - 20:18 (#)



IF YOU NEVER TRY, YOU'LL NEVER KNOW
Lire un livre que l'on ne connaît pas, c'est comme si l'on possédait un bon ami ; revoir un livre déjà lu, c'est comme si l'on retrouvait un ancien ami.
J’ai le regard fixe, sur la pile de bouquins qui orne ma chambre, j’les connais tous, je les ai lu au moins deux fois chacun, j’pense aux quelques billets qui représentent déjà une bonne partie de ma richesse, abandonnés dans un porte feuille qui a pas bougé de ma table de chevet depuis plusieurs jours. J’pousse un long soupir, parce que j’ai plus d’excuse, on dirait, pour éviter de foutre un pied dehors, pour éviter le monde réel et mes pulsions, parce que j’ai plus rien à faire pour m’occuper l’esprit, que Lexie est sortie et que j’vais tourner en rond comme un fauve en cage, si je trouve rien à faire de mes mains. Je compte le nombre de dollars délaissés, qui seraient déjà passés en drogues, y’a quelques mois. J’m’habille à contrecœur, comme un môme qu’on force à sortir de sa chambre, qu’on force à préparer ses affaires pour aller en cours. J’fais un point, dans ma tête, de ma situation, à l’intérieur, la Bête, cette chose encore inconnue qui se partage l’espace de mon corps, est calme, apaisée par le repas que j’ai pris, par la Frénésie qui aurait pu se réveiller quand mes crocs ont percé la chair, un peu plus tôt.

Décision prise, quoique encore un peu hésitant, j’me dirige vers la sortie du nid de l’Essaim, la rue m’accueille avec ses bruits multiples que je percevais même plus vraiment dans mes trips, encore humain, qui viennent à moi comme tant d’évidences maintenant. J’ose plus respirer, pose sur mes oreilles un casque qui happe la réalité, m’aide à me plonger dans un état de contemplation un peu végétatif, où rien m’atteint réellement, la réalité m’effraie, j’la garde loin de moi et de mes envies parfois folles, parfois écœurantes.
J’traîne des pieds dans des ruelles crasseuses de Stoner Hill par lequel j’ai fait un détour, regarde les quelques âmes qui s’y égarent, j’me demande s’ils le sont plus que moi, ces gens, perdus. Les mains enfoncés au fond des poches, j’regarde le monde que j’ai toujours connu sans vraiment le reconnaître, sans vraiment le percevoir parce que j’m’empêche de le faire. Un passant me touche presque, j’me décale au dernier moment, lui jette à peine un coup d’œil et sort une clope que j’prends au bec avant de l’allumer. Filtre de fumée entre l’air et ce qu’il transporte et moi, anesthésie pour mon nez et ma bouche, y’a que le tabac. J’continue ma route, ne m’intéresse que peu aux visages qui pourtant pourraient appartenir à quelques fantômes de mon passé. Arrivé dans la ruelle où m’attend habituellement mon compagnon d’infortune, Jack, grand chien bigarré qui hésite pas à m’approcher, un air joyeux scotché à la gueule quand il m’aperçoit, j’le cherche des yeux, siffle un grand coup et il apparaît, trottinant un peu plus vite qu’au début. Je lui flatte la tête quand il est à portée de bras et sort son habituelle tranche de jambon du film qui l’entourait, elle disparaît bien vite dans la large gueule, un sachet de croquette, ça pourrait être pas mal, aussi. J’me demande s’il y en a, dans la supérette miteuse ou j’vais pour croiser personne, la nuit. Quelques caresses données, un sourire léger sur les lèvres, j’repars et il me suit sur une vingtaine de mètres, le bestiaux, avant de s’en retourner à ses occupations quand j’tourne dans une rue un peu plus fréquentée que ce que je le voudrais. J’y suis presque, à la seule librairie que j’peux me permettre de fréquenter, elle ferme tard, puis la vendeuse m’a l’air aussi empêtrée que moi dans ses pensées, ne parle pas vraiment, elle me pose pas de questions.

En fait, j’crois qu’on a juste échangé des regards, j’connais le son de sa voix ? J’tente de me souvenir de notre dernière entrevue, le seul souvenir auditif que j’possède de la rencontre se limite à un vieux morceau de rap US et j’me rend compte de l’impolitesse dont j’fais preuve, depuis que j’ai peur de moi-même. La cigarette rejoint les autres déchets qui ornent déjà le sol sale d’un quartier que je délaisse, rentrant à nouveau dans Downtown, me préparant à potentiellement croiser quelques fêtards qui commencent leurs soirées un peu trop tôt, tentations néfastes qui attirent souvent mon regard, me donnent Soif.

Tête basse, ombre anonyme déambulant dans les rues les moins vivantes, je marmonne les paroles d’un vieux blues en oubliant que j’suis pas dans le couloir de l’hôtel, qu’ici, j’peux blesser, j’peux tuer, sur un moment de vide mal calculé. ¨poings serrés, j’accélère, j’ai hâte de retrouver mon lit, mon bureau couvert de dessins, gribouillages comme preuves de mon ennui, ébauches sombres d’expression. Je jette un œil à la pancarte qui m’indique ma rue, soulagé d’apercevoir de la lumière provenant de l’enseigne qui m’intéresse, une dernière ligne droite et j’aurais parcouru la moitié du chemin, il me restera plus qu’à rentrer, m’allonger et me plonger dans les aventures d’un autre, d’une autre. Je baisse le volume de la trap qui résonne dans mon casque, m’assure de pouvoir entendre les sons qui pourraient me parvenir du monde extérieur. Pas de souffle, comme toujours, parce que j’sais pas, ce qui pourrait me parvenir, comme odeur, parce que je suis pire qu’un grand blanc, quand il s’agit de flairer du sang. Alors si on m’y force pas, j’pendrais pas le risque de respirer, inutile danger pouvant être évité. J’pousse la porte et entre.

Un signe de tête sans vraiment voir la personne derrière le comptoir, sûrement la jeune fille qui y est traditionnellement depuis que je viens, plus ou moins souvent, quand j’peux échapper à la vigilance de ma Sire, que j’suis suffisamment sûr de moi que me plonger dans une apnée constante peut suffire à être normal, ou presque. Je file entre les rayons, comme pour fuir la présence que j’sais pourtant exister, laisse mes yeux parcourir les étalages en espérant trouver quelque chose qui retienne mon attention. Je m’arrête sur un livre que j’ai lu adolescent quand j’taffais, souvenir lointain, tout allait bien et… J’interromps le flux de mes pensées dérivant vers quelque chose de trop douloureux pour que je veuille y réfléchir, là, quand je ne suis pas tout seul. Je tire l’exemplaire d’Alice au pays des Merveilles, hésite et le garde en main après avoir mémorisé son prix. J’continue mes recherches sur la douceur d’un accent espagnol qui chante en fond, me perd sur les titres, Jack London et son Appel rejoint le premier retenu dans mes mains et j’me limite à trois, aujourd’hui, m’efforcerais de pas en finir un d’ici le lever du jour, de les faire durer un peu, contrairement aux précédents à avoir rejoint ma collection grandissante. Comme quoi, être un sanguinaire vampire sans contrôle, ça a du positif, je lis beaucoup plus, depuis que j’veux plus sortir pour pas égorger un pecnot qui passerait au mauvais endroit au mauvais moment. Je pianote sur une étagère, distrait, perdu dans une exploration rapide de mes choix, de ce que je vais lire les prochains jours, faute de trouver meilleure occupation. C’est que j’suis pas le seul dont elle a écopé, Lexie, puis elle va pas se le traîner à chaque minute de sa non-vie, le boulet que j’suis, faut bien qu’elle souffle un peu, parce que j’dois être sacrément chiant, parfois. Mes mauvais jours j’peux être un sacré connard. Quand l’manque est trop fort, que j’ai envie de plonger mes canines dans la gorge de n’importe quel trouduc qui aurait pris un truc illicite.

Divagations oubliées je peine à choisir un dernier livre, songe un instant aller demander l’avis de la personne que j’peux assez facilement deviner timide. J’suis là, mes deux premiers choix dans la main, immobile entre deux étagères à regarder vers le comptoir, à me demander si j’vais oser ouvrir la bouche, si j’vais réussir à parler normalement avec elle.
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Mer 30 Jan - 18:30 (#)


if you never try, you'll never know

Les chiffres s’emmêlent devant ses yeux. Elle n’y a jamais compris grand chose aux mathématiques et à tout ce qui doit s’additionner, se diviser ou se soustraire. Ce n’est rien qu’une langue qu’elle a eu beau tenté d’apprendre, elle n’y comprend toujours rien. Trisha l’a laissée là, encore. Ce soir, il n’y a que quelques curieux qui viennent et en levant les yeux de temps en temps, battant le rythme avec son crayon gris, elle observe le couple de vacanciers venu se perdre parmi les rayonnages, crachotant leurs confidences dans des murmures qu’elle peine à entendre. Se trouvant trop curieuse, elle baisse à nouveau le regard sur le livre de comptes, fronçant les sourcils face à tout ce qu’elle doit calculer. C’est bien la seule tâche qui lui pèse dans ce boulot qu’elle fait pourtant depuis plus de trois ans. Des pas s’approchent du comptoir et elle n’est pas surprise de voir le couple de clients s’en aller, faisant encore sonner le carillon qui casse le rythme de la musique qui marmonne en fond. Dans un soupir agacé, elle repose brutalement le crayon dont elle a mâchonné la gomme sous la concentration qui n’a menée à rien, se recule pour trouver le paquet d’allumette qui se trouve sur l’une des étagères derrière elle. Le bout rouge glisse vivement contre le bois et l’éclat d’une flamme apparait, baignant un instant ses traits dans l’or de sa flamme, soulignant ses cernes et sa peau hâlée. Elle l’observe quelques secondes, hypnotisée par son déhanchement lancinant avant de la mener vers le bout d’un bâton d’encens. Un souffle plus tard et une odeur musquée s’enroule dans les airs en même temps que la fumée. Satisfaite, elle se détourne de sa contemplation pour se poser à nouveau sur le tabouret usé, chopant son portable au passage. Tout est mieux que les chiffres, pour l’instant. Honor se perd sur l’écran lumineux avant de se lasser, replaçant la chemise d’un bleu roi qu’elle a enfilé à la va vite en début d’après-midi. Les gestes sont nerveux, fait pour l’occuper et finalement, elle abandonne, cédant à la tentation des mots et de l’histoire qu’elle est en train de découvrir depuis la veille. Le livre est rapidement ouvert, le marque-page, vieille photo élimée d’une mère de cœur qui reste silencieuse et d’elle, encore capable de sourire, puis sans soucis, Honor oublie le reste, se replonge dans une épopée qu’elle ne vivra jamais.

S’écoule peut-être quelques minutes ou une heure, pour ce qu’elle en sait mais la sonnette en métal fixée au-dessus de la porte se remet à sonner. Encore accrochée à une ligne dont elle veut connaître la fin, elle prend le temps de relever la tête et se fige en découvrant une silhouette connue. Son myocarde manque un battement et redémarre à nouveau alors qu’il ne lui adresse qu’un bref signe de tête auquel elle répond stupidement. Il ne l’a pas regardé, encore une fois. Parfois, leurs regards peuvent s’accrocher mais chacun les détournent bien vite. Pinçant ses lèvres sèches, elle reste immobile encore un instant, remontant doucement son livre vers son visage, comme un rempart pour mieux l’examiner de loin. Sa peau sombre se mélange presque aux ombres qui sillonnent la librairie que Trisha veut toujours dans une semi-obscurité, ses gestes sont toujours un peu nerveux, comme habité par une rage qu’il ne veut pas faire sortir. Honor l’observe peut-être trop longtemps et dans un bref sursaut, elle se remet à lire. Du moins, elle tente. Mais les mots, étrangement, deviennent comme les chiffres, des choses sans aucun sens, des phrases longues, lues et relues trois fois. Pourtant, elle persiste, incapable de se décider à se lever pour ouvrir la danse à une discussion qui n’aura peut-être rien d’intéressant. Elle ne l’est pas, de toute façon. Elle ne sait pas parler, varier les sujets comme Jana sait le faire, badiner comme elle peut parfois l’observer dans les endroits publics. Doucement, la colère se distille dans ses veines, vient lui murmurer son ras-le-bol d’être prisonnière de ses angoisses. Et l’autre partie d’elle-même, celle qui ne cesse jamais de trembler, celle qui reste figée au moindre contact, celle-ci lui dit de rester à sa place car ça ne tourne jamais bien.

Le papier crisse sous la pression plus forte de son pouce et elle finit par lever encore une fois les yeux sur lui. Il n’a pas de nom. Il est une visage qui a l’air aussi paumé qu’elle. Toujours autant frappé par la fragilité qui lui sert de deuxième vêtement, Honor le regarde à la dérobée et elle passe du froid au chaud quand leurs prunelles se fichent l’une dans l’autre. Honor, par réflexe, détourne vivement la tête, prise sur le fait. Grimaçant discrètement, elle cesse de réfléchir, posant son livre sur le comptoir, se décidant à s’avancer vers ce client qui revient, souvent, sans jamais rien dire de plus que des marques de politesse. En quelques pas traînant, ralentissant doucement, comme pour retarder son arrivée, elle se poste à une distance bien calculée. Les livres qu’il tient entre ses mains attirent son attention et esquissant un bref sourire qui se fane aussi vite, elle demande “Je peux vous aider, peut-être ?” Dans un raclement de gorge nerveux, elle porte sa main au creux de son cou, vieux réflexe avant de laisser retomber son bras pour nouer ses mains entre elles “Enfin, j’suis sûre que vous vous y connaissez mais je travaille là donc …” Un soupire désemparé plus qu’un rire ne lui échappe alors qu’elle continue de balbutier, désignant l’un des livres “Celui-ci est plutôt cool.” Hochant lentement la tête, elle oscille entre la couverture et son visage, continuant ce manège de regards comme pour éviter de découvrir qu’il la trouve stupide ou agaçante. Prête à détaler, elle finit par fixer son regard sur le vide, attendant la sentence. Il y a parfois des silences qui ne devraient pas être brisés après tout.



(c) corvidae
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Mer 6 Fév - 19:46 (#)



IF YOU NEVER TRY, YOU'LL NEVER KNOW
Lire un livre que l'on ne connaît pas, c'est comme si l'on possédait un bon ami ; revoir un livre déjà lu, c'est comme si l'on retrouvait un ancien ami.
J’suis paralysé et sûrement bizarre, vu de l’extérieur, à pas savoir quoi faire, j’hésite même à aller régler, en prendre que deux et filer sans demander mon reste. J’suis à envisager mes options quand elle me prend de court, que son regard vient trouver le mien, se ficher droit dedans, qu’elle détourne la tête et que j’fais de même. Pas assez vite par contre, pour éviter le gros malaise qui pointe le bout de son nez, comme si on était deux adolescents qui osent pas s’adresser la parole, on doit avoir l’air finauds. Bon, super, maintenant t’es sûrement le type louche qui la fixe, à ses yeux, super entrée en matière Abel, pour commencer sur des bases de confiance, comme toujours. Y’a des jours, vaudrait mieux rester chez toi et éviter de se sentir con, parce que là j’me sens comme le plus débile des débiles, à même pas pouvoir aller adresser la parole à une fille, quand j’étais ce mec un peu trop sociable, fut un temps, quelqu’un de populaire, y’a encore plus longtemps. Alors que j’suis là à me demander ce que je peux faire maintenant que j’ai été surpris en flagrant délit, les pas qui résonnent dans le lieu calme m’alertent et sûrement que mon coeur aurait loupé un battement, si j’étais encore humain. J’me fais statue de sel, pas vraiment certain de pouvoir avoir une discussion normale avec elle, emprisonné dans mes habituelles peurs, muselé par ma nature que j’contiens pas assez selon moi. J’enlève mon casque au son déjà faible, par politesse, quand elle apparaît dans mon champ de vision et qu’il semble que je sois sur le point de percer mon mystère du jour. Quelle voix elle a ?

Comme attendu, elle a l’air aussi gênée que moi, laisse une petite distance qui me rassure sûrement plus qu’elle, sans qu’elle le sache. J’me tend un peu, serre dans ma main les livres que j’ai choisi faute de savoir quoi prendre d’autre. Sa voix s’élève et ça me surprend un peu au fond, parce que franchement, des deux, j’sais pas lequel à le plus de souci à prendre la parole selon moi, ça a pas l’air d’être une grande extravertie et j’l’avais jamais vu se lever de derrière son comptoir, p’t’être parce que j’viens un peu plus tôt d’habitude, qu’il est déjà arrivé que j’croise d’autres clients, totalement mal sans le montrer quand c’est arrivé. C’est terrifiant, de pas savoir ce qu’on fera en cas d’imprévu, de pas être maître de soi.

J’me frotte l’arrière du crâne, ne sachant pas vraiment comment réagir, ne voulant pas la plonger dans l’embarras ou dire n’importe quoi. Déjà, faudrait que j’enclenche le processus de « parler » pour commencer, l’inspiration est hésitante, plus franche quand l’odeur entêtante de l’encens me parvient, masquant une bonne partie des autres que j’ignore sans trop de mal, enregistrant tout de même celle de l’employée dans un coin de mon cerveau, pas vraiment connue sans être une inconnue. C’est carrément étrange, d’être un vampire, c’est entre le terrorisant et le complètement louche, comme situation, et ça me désespère de penser à ça maintenant au lieu de chercher une réponse appropriée pour pas rester silencieux trop longtemps. Et avoir l’air plus paumé que ce que j’l’ai déjà. -Euh… Je commence à prendre la parole, pas certain de ce que je fais, de ce que je dis, p’t’être qu’elle me prend pour le dernier des abrutis. -Sûrement que oui, vous pouvez m’aider… Je laisse mes yeux parcourir le petit commerce, se poser sur une étagère, lire quelques titres qui ne m’inspirent pas grand-chose. -Et pour être honnête... non j’y connais pas grand-chose, je lisais pas tant que ça avant que… j’ai plus de temps libre. Donc vous devez être plus renseignée que moi, surtout que vous travaillez là.  Aveux un peu hésitants, que j’fais en évitant de croiser à nouveau son regard, depuis quand j’suis devenu un inapte total aux relations humaines, c’est quand même dingue, qu’un des gars les plus populaire d’un lycée finisse comme ça, quand bien même ce lycée c’était une vraie merde. J’souris faiblement, clairement gêné par la situation, osant même pas m’approcher d’un pas, une main fixée au meuble à côté de moi comme si je m’y ancrais. Je jette un œil au livre désigné, note bien le manège entamé par ses yeux, un peu soulagé quelque part de constater que j’suis pas le seul à être totalement stressé par l’action qui se déroule.

-Du coup comme vous avez l’air d’avoir assez bon goût en matière de lecture, je voulais vous demander conseil pour un troisième livre, parce que j’suis un peu paumé, jusque là j’me suis basé sur des valeurs sûres et j’arrive à la fin de mes compétences pas bien grandes en lecture… Si y’a bien un truc que j’prenais plus le temps de faire, après la prison, c’est bien lire, il m’arrivait de bouquiner quand j’étais au lycée, quand j’étais en taule aussi, y’avait pas grand-chose d’autre à foutre, mais la plupart de mes lectures là bas m’échappent, comme si mon cerveau zappait volontairement cette période de ma vie des fois, ce qui est pas plus mal. -J’recherche… un thriller, peut-être, ou en tout cas quelque chose d’un peu plus récent pour changer un peu des classiques du siècle dernier. Puis pas besoin d’histoires fantastiques de plus, ma vie en est une, quand j’y réfléchis, puis j’peux pas lire que des livres d’un seul genre, c’est un coup à me lasser, et faut pas que j’arrive à me gonfler de mon activité principale ces derniers temps. Ou j’vais à nouveau avoir trop de temps libre pour penser à tout ce que j’évite actuellement, avec ce genre d’aventures clandestines, sorties non approuvées par ma Sire que j’fais quand même, parce que j’ai l’impression d’être un animal enfermé, même si c’est pour mon propre bien autant que pour celui des autres, j’en peux plus des fois, j’ai besoin de m’aérer la gueule.

-Pourquoi vous fermez aussi tard…? J’crois que vous êtes la seule librairie encore ouverte à cette heure-ci, ou j’en ai pas trouvé d’autre, en tout cas… Curiosité mal placée, Lexie m’a dit que certains commerces se sont adaptés, modelant leurs horaires pour convenir aux diverses communautés de CESS, j’me demande si c’est le cas de celui-ci, une sorte de boutique pour vampires, peut-être, même si y’a rien de particulier qui s’en dégage et que mon odorat développé capte pas plus d’effluves vampiriques que la normale, une très légère, ancienne, ne retient pas mon attention et je plonge mes yeux dans ceux de celle qui me fait face, un peu dépité de constater qu’au final j’aurais même pas eu le courage d’aller lui parler, qu’il aura fallu que ce soit elle qui vienne bousculer mes habitudes de petit vampire apeuré. J’soupirerais bien, si elle était pas là pour risquer de le prendre pour elle, mais j’me retiens du coup, aussi parce que sa signifie respirer à plein poumons pour le faire. Je passe d’un pied sur l’autre, pas plus à l’aise qu’un peu plus tôt, même si rien n’est susceptible de me faire péter un boulon j’reste inquiet, c’est peut-être ancré profondément dans ma nature, maintenant, de m’en faire pour que dalle. Ou peut-être que le vampirisme ça me rend juste parano et qu’il va falloir que j’apprenne à me détendre parce que je suis d’un chiant qui consternerait mon ancien moi. Un vrai coincé c’est pas possible. Je me gratte le dos tatoué d’une main, cherchant une contenance que j’sais pourtant perdue pour le moment, intimidé par celle qui doit être la plus timide des personnes que j’ai rencontré dernièrement, parfait, j’sais pas à quel moment la société est devenue aussi effrayante, ou si c’est moi qui déraille complètement mais bordel, c’est compliqué de pas tout voir de travers, quand on est moi. C’est dur de pas voir le danger absolument partout, même si j’essaie de faire taire mes pensées, d’avoir une interaction sociale un tant soit peu normale, pour une fois.
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Dim 17 Fév - 3:33 (#)


if you never try, you'll never know

Le silence se fêle sous ses mots, prend la tournure d’une mélodie fragile, qui s’éteint pour mieux remonter, hésite sur des syllabes qui vrillent contre l’anglais qu’elle gère comme elle peut. Ses yeux oscillent dans un manège hésitant, ne s’arrête jamais trop longtemps sur lui. Il va voir à quel point ça se casse à l’intérieur, que même si sa bouche reste cimentée par le silence, elle pousse sans cesse des hurlements, si longs, si déchirants, que lorsqu’elle se remet à parler, il n’en sort qu’une voix éraillée une fois la folie passée. Il ne l’entendra jamais. Elle esquisse un sourire puis le gomme à nouveau. chatouillant de ses doigts l’ourlet de sa chemise dans laquelle flotte le spectre de son corps. Du coin de l’œil, elle le voit hésiter, aussi mal à l’aise qu’elle, remarque son désarroi et quand enfin sa voix file d’entre ses lèvres, elle manque de sursauter. Remontant lentement les yeux vers lui, cette fois, elle y reste, attendant patiemment qu’il poursuive. Peut-être l’enverra-t-il voir ailleurs, que les regards échangés sous le joug d’un éternel silence l’ont menée sur la fausse piste. Parfois, elle a pensé y voir une envie de parler puis la cassure, la frustration et alors, il détournait la tête sans revenir vers elle. Le cliquetis de l’entrée annonçait seulement sa sortie et laissait derrière lui un vide étrange, un goût d’inachevé. Dans les phrases qui se délient, elle tente de comprendre, de savoir comment elle pourra bien être utile. Elle ne l’a jamais vraiment été. Bonne à créer du désastre, à casser les choses sans savoir comment les réparer. Elle cache ses mains coupables dans son dos, comme par peur d’en créer d’autres, des cauchemars. Honor l’observe et plus il parle et plus son cœur dévale des escaliers, s’éclate contre les marches de chaque battements avec une violence inouïe. Elle panique, pour rien. Serrant les lèvres, elle laisse elle-même errer ses yeux sur les livres qui remplissent les bibliothèques, entrouvre les lèvres avant de ciller. Avant ? Avant quoi ? Elle pose sur lui un regard qui doit trop parler, il doit questionner sans qu’elle ne le veuille alors dans une brusque inspiration, elle se détourne un peu, lui offre son profil pour faire mine de glisser ses doigts sur les tranches des livres usés ou plus neufs. Avant quoi ? Peut-être qu’elle ne se trompe pas finalement. Peut-être que ce poids terrible qu’elle semble entendre à chacun de ses pas n’est pas qu’une illusion. Tout dans sa manière de bouger et d’observer les choses la fait douter que quelque chose lui colle à la peau, l’empêche de pleinement respirer.

Dans un crissement indélicat, elle laisse retomber sa main des livres effleurés, écoutant ses demandes d’une oreille attentive, se concentrant pour ne pas s’étrangler avec sa propre salive sous les déglutissements nerveux qu’elle a entamé. Elle se sent de plus en plus stupide, préfère presque les chiffres à cette situation où elle est sûre de faire une erreur. “Un thriller, oui. Je peux peut-être aider.” Elle le regarde à travers les boucles qui lui tombent encore sur les yeux, croise son regard et aperçoit son sourire nerveux. Honor se détourne vivement, l’invitant silencieusement à la suivre avant de se forcer au calme. Le flot de sa respiration s’apaise alors qu’elle tombe enfin sur la bonne section, observant les titres défiler. Le même manège recommence, comme un rituel nécessaire; ses ongles passent et repassent sur les titres, en caresse la surface de la pulpe de ses doigts et comme attiré par les pages, elle se laisse porter par les mots, y cherche un titre ou deux. Elle ne retient pas une exclamation ravie quand, enfin, elle tombe sur les titres voulus. Se rendant compte de son attitude trop familière, elle esquisse un sourire à son tour “Désolée. J’ai tendance à … m’emballer.” Sa voix s’effrite, consciente qu’il ne doit pas s’intéresser à ses excuses ou à sa passion trop vive pour les mots. Ils détiennent tant de pouvoirs, une magie qui ne lui fait jamais mal, une puissance qui atteint son coeur avec plus de bienveillance. “Je ne suis pas une adepte des thrillers. Pour tout dire, j’en lis assez peu. Je dois faire partie de ces gens qui rêvent plus d’aventures fantastiques que de la réelle cruauté qui hante le monde.” Honor délie sa langue d’une voix posée, plus douce, hantée par les souvenirs. Elle a trop connue les scénarios glauques et gris des thrillers dans sa propre vie. Son existence entière pourrait se coucher sur du papier et elle pourrait lui donner un titre vulgairement cliché. Relevant son visage vers lui, ses deux chargées des bouquins volés aux étagères, elle reprend finalement la parole “L’un raconte une histoire un peu post-apocalyptique. Et si le 21 décembre 2012 avait vraiment sonné la fin du monde ? Un garçon nommé Léo saute du toit d’un hôpital, il rate sa chute, tombe dans le coma et s’éveille avec aucun souvenir de sa vie d’avant. Seulement, le voilà accusé du meurtre d’un homme qu’il ne connait ni d’Eve ni d’Adam. Sa vie devient un cauchemar et une sorte de chasse à l’homme sur un fond d’apocalypse.” Dans un geste toujours délicat, elle montre l’autre “Ici, c’est un thriller plus connu. Du moins, les lecteurs en disent beaucoup de bien. Ca raconte l’histoire d’une femme vivant au Mexique qui, en pleine journée, dans un lieu bondé, se fait enlever son enfant d’à peine quelques jours, sans savoir pourquoi Son mariage tombe à l’eau et elle s’engage alors à retrouver son fils, seule, même si elle sait qu’elle devra affronter la mafia et la police qui n’est jamais très … clean ?” Consciente d’avoir trop parlé ou d’en avoir trop dit, elle hausse finalement les épaules, plus gênée encore “Je suis pas douée pour donner envie aux gens. Je vais continuer de chercher …” Prenant les deux livres contre elle, elle se remet à fouiller, ignorant son corps transi par un froid étrange mais aucune douleur ne pointe sa lame contre ses muscles. Ce n’est rien. Rien d’autre qu’un malaise malvenu. Il n’est personne. Qu’une silhouette récurrente venant ici pour y trouver un bout de bonheur.

La question qui vient l’étonne à peine, si souvent posée. Pourtant, elle tourne un regard surpris vers lui avant de balbutier sans savoir quoi répondre. Finalement, elle secoue la tête avant de soupirer “Ma patronne pense que ça attire plus de clients. Disons qu’on est pas au mieux, niveau ventes. Sûrement que la déco n’attire pas ou que les gens préfèrent acheter sur internet maintenant.” Son regard dévie sur les doigts sombres grattant la peau noircie d’encre et elle y reste figée un instant avant de se sentir plus intruse encore. Elle observe tout, tout le temps, sans même s’en rendre compte. Elle, qui ne sait pas regarder quelqu’un dans les yeux plus de cinq secondes. Des centaines de phrases lui viennent sur la langue, des excuses, des phrases bateaux pour combler le silence gênant, des rires nerveux aussi ridicules les uns que les autres. Elle reste pourtant silencieuse un moment avant d’oser rouvrir la bouche “Et vous ? Pourquoi vous venez si tard ?” Pinçant ses lèvres, elle se rend compte de sa bavure, grimace face aux livres, décidément aussi adroite que l’homme rencontré des semaines plus tôt à cette soirée étrange “Enfin, ça ne me regarde pas, pardon. Je suis juste un peu curieuse parce que vous venez souvent à la même heure.” Quand le soleil tombe, quand les passants se font plus rares. Honor se fige alors, incapable de réfréner sa hantise, la paranoïa entamant doucement son processus en elle. L’angoisse explose au fond du myocarde et réveille une vieille nausée. Peut-être est-il des leurs. Ces monstres cachés dans l’ombre, ceux qui ont si durement plantés leur venin dans son cou, riaient quand elle hurlait de douleur, murmuraient des mots inavouables au creux de son oreille en lui faisant croire que son plaisir n’était pas factice. Tu aimeras ça toi aussi, chaton ... Bientôt. Attends encore. Une voix, toujours la même, murmure encore, lui promet la délivrance alors que des doigts pétrissent ses cuisses, s’approchent trop lentement du coeur de son corps. Elle sort brutalement de son souvenir quand les livres qu’elle tenait entre ses bras tombent brutalement. Leur dégringolade arrive à l’éveiller dans un sursaut et elle s’abaisse “P-Pardon.” Le souffle est plus court, haché par la peur noire qui ne la quitte jamais vraiment. Ils seront toujours là, faisant pulser les cicatrices au creux de son cou, chuchotant des horreurs à ses oreilles, mordant la peau. “Vous … Vous aviez besoin d’autre chose ?” Elle n’ose plus le regard à présent, incertaine quant à ses propres réactions, certaines de paraître encore plus folle ou idiote qu’avant. Et son myocarde continue toujours de chanter sa panique, de hurler ses douleurs.



(c) corvidae
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Anonymous
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Ven 26 Juil - 16:29 (#)



IF YOU NEVER TRY, YOU'LL NEVER KNOW
Lire un livre que l'on ne connaît pas, c'est comme si l'on possédait un bon ami ; revoir un livre déjà lu, c'est comme si l'on retrouvait un ancien ami.
Quand j’ouvre la bouche, j’la vois qui tressaille, comme si c’était là un miracle, une chose qu’elle n’attendait plus, je suis ses expressions au travers de quelques regards qui osent s’attarder, lis les questions qu’elle ne posera pas et auxquelles je n’apporterais pas d’éclaircissement. Elle se détourne finalement et je suis des yeux ses gestes, détaille son profil et sa gêne que je peux lire comme les lignes de n’importe lequel de ces livres. On est peut-être un peu pareil, tous les deux, un peu brisés, abîmés, incapables de réellement s’ouvrir aux autres, incapables de se contenter de vivre simplement, rendant tout compliqué. C’est son regard qui vient trouver le mien qui me fait décrocher de mes pensées, de mes réflexions intrusives sur elle et ce qui ne me regarde absolument pas, je fais mine de m’intéresser aux ouvrages que je tiens avec peut-être un peu trop d’intensité pour éviter son regard. Je la suis dans un silence presque religieux, à petits pas, comme un gamin caché derrière les jambes de sa mère, la regarde faire courir ses doigts sur les bouquins exposés, ne retient pas un sourire quand une exclamation me surprend, il y a bien quelque chose qui fait encore briller ses yeux, éveille un intérêt qu’elle ne feint pas. Tout compte fait, elle est sûrement bien différente de moi, je cherche encore, ce qui m’arrachera un cri de joie, ce qui secouera l’envie de me bouger qui se tapit pour le moment loin de mes considérations. Je balaie toutes ces pensées quand elle reprend la parole, l’écoute avec une attention qui ne m’est plus coutumière, c’est quand, la dernière fois que j’ai parlé lecture avec un humain ? Que j’ai parlé tout court, avec un humain, en fait. Alors j’écoute, penche légèrement la tête sur ma gauche, pensif alors qu’elle me présente les ouvrages tirés, j’ai sûrement assez pour les deux, peut-être que ce serait un bon investissement.

La fin de sa tirade me fait hausser un sourcil mais je ne réplique rien, si elle n’est, selon ses dires, pas douée pour donner envie aux autres, je ne suis pas le meilleur des réconforts, moi, le trop froid Abel, le détaché vampire qui ne sait plus communiquer. Alors je me tais, me contente de suivre jusqu’à ce que je m’intéresse aux horaires d’ouverture pour faire la discussion, pour ne pas laisser un malaise s’instaurer. Mais le voilà qui vient s’instaurer tout de même, l’insidieux silence que personne n’ose briser, celui qui pose ses bagages et ne part plus, sauf qu’elle le chasse, me prend de court d’une question que j’ai provoqué quand j’y réfléchis et je m’embourbe, dans ce que je voudrais dire, dans le mensonge que je vais devoir sortir parce que je n’avouerais pas. Pas que je suis un monstre, que j’ai perdu ma chère humanité et que je suis désormais un de ces oiseaux de nuit, une sangsue. Je me suis arrêté, figé, perdu, face à l’horreur de la question. Je suis un monstre, tu sais, le genre de personne que tu voudrais pas fréquenter. Je déglutis avec difficulté et stoppe le tremblement de ma main, réflexe trop humain, nervosité palpable que je camoufle en serrant un peu plus fort mes futurs acquisitions. D’ailleurs, tu devrais pas rester trop près, j’vais forcément finir par te blesser. Je me tend une seconde, essaie d’ignorer la tempête qui s’éveille, remords, regrets et peurs se mêlent, s’embrassent pour ne former qu’un mal-être permanent que je masque derrière une indifférence jouée. C’est le fracas provoqué par la chute des livres qu’elle serrait contre elle qui me sort de la spirale infernale dans laquelle je m’étais jeté tête la première et je sursaute, esquisse déjà un pas en arrière, une fuite nécessaire avant de me rendre compte de ma bêtise. Puis viens cette impression que je ne connais que trop bien, celle qui me dit « Pars, avant que tu ne fasses quelque chose de grave, avant que tu regrettes. » mais je reste planté là, les bras ballants, parce que j’ai entendu son cœur qui s’affole, qui part pour un rythme effréné, son souffle qui se saccade. Et je me hais, de reconnaître aussi facilement la peur.

J’ai fais un pas en arrière, sans m’en rendre compte, parce que j’ai anticipé l’éveil du Monstre qui vient titiller quelque chose de malsain en moi. Je le fais taire, il n’y a pas de raison, je suis ici, dans cette librairie calme, qui doit le rester. L’odeur de l’encens, entêtante, prenante, m’aide, me fait oublier toute autre chose et il me faut quelques secondes de plus pour que je sorte de ma latence. -Excusez-moi… je… euh… j’ai eu un petit moment de… vide. Du coup… si je viens tard c’est que je ne supporte pas vraiment les gens… quand il y en a trop ça… m’angoisse. Une vérité partielle, un mensonge par omission, un détail que je n’évoque pas. Ah et accessoirement je me nourris de leur sang, de ces gens mais je suis pas foutu de me contrôler, sauf que ça me terrifie. Je serre les dents, tente de remettre ma crise existentielle à plus tard. Je veux oublier, putain.

Faut que je pense à autre chose, que je dévie le courant de mes idées de l’horreur, du sang, alors je la regarde plus franchement, un appel à l’aide silencieux, une détresse que je ne laisserais jamais personne entendre, parce que ça ne regarde que moi. -Pour les livres… je vais sûrement vous prendre les deux, comme quoi, vous arrivez quand même à persuader quelqu’un… Une ébauche de sourire vient naître sur mes lèvres pour y mourir aussitôt, j’y arrive pas alors je préfère directement enchaîner, ne surtout pas la laisser entrevoir le bordel qu’il y a, là-dedans. -Donc… votre truc c’est plus le fantastique, la prochaine fois pourquoi pas, va bien falloir que je varie mes lectures, avec tout le temps que j’ai à perdre. Je manquerais pas de venir vous demander conseil… Et je lui dirais bien, qu’elle peut se calmer, que je sais pas ce qu’elle a mais que c’est rien, qu’elle est pas en danger, mais ce serait aussi faux que ce serait bizarre donc je garde mes bonnes intentions au placard et je la boucle. T’oserais pas Abel, sortir un mensonge aussi éhonté, lui faire croire qu’elle est en sécurité quand tu es là, hein ? Ma gorge se serre, la musique qui continue, trop basse pour que ses humaines oreilles l’entendent m’apaise un tant soit peu et je relâche l’étau de mes mains qui s’étaient fermés sur mes échappatoires pour quelques nuits, efface la contrariété pour ne pas qu’elle la déchiffre sur mes traits parfois trop expressifs. En un instant, je suis redevenu ce mec blasé, qui se retient de tout, qui a peur de perdre le contrôle et tout détruire, briser les gens c’est si facile que je pourrais le faire sans m’en rendre compte. Elle a l’air d’avoir déjà un bon paquet de fantômes, la demoiselle, il serait malvenu de ma part d’ajouter ma petite pierre à l’édifice de sa peur. Ce qui ne ferait que m’ajouter une chaîne de plus, un poids sur une conscience déjà trop salie par mes crimes. Et pour une énième fois aujourd’hui, je me sors de mes idées moroses de justesse, empêche la détresse de se saisir de moi pour ne laisser que ce garçon recroquevillé dans ses terreurs, dans l’épouvante de devenir une abomination, un être hors de contrôle.
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Dim 28 Juil - 16:16 (#)


if you never try, you'll never know

Ignoble. Ignoble la peur qui se glisse dans les interstices des millions de failles qui pigmentent sa peau, la remplisse d'une amertume douloureuse. Là, dans son cocon tant espéré, parfumé aux vieux livres et à l'encens, elle se sent brutalement mise à nue. Éveil brutal des monstruosités qui hantent encore son esprit, les corps maudits tombés à l'eau, les phalanges qui s'esquintent contre la peau, la douleur aiguë de l'ivoire plongeant dans la peau. Le meurtre de la dignité est silencieux, s'évase dans sa tête cabossée de cauchemars alors qu'elle s'abaisse, manquant de refaire tomber en ouvrage. Et elle le voit, ce pas en arrière, cette fuite avortée, se relevant lentement jusqu'à croiser les prunelles qui s'illuminent d'une angoisse qu'elle reconnait presque comme jumelle de la sienne. Un dégoût profond pour soi-même, cancérigène, asphyxiante. Elle le connait ce rejet vibrant qui nous donne envie de se flageller jusqu'à ne plus être. Je rêve parfois de devenir poussière ou écume. Et toi ? Et toi, tu y penses ? Elle n'ose pas demander Honor, se mure dans le silence de ses lèvres pincées, chassant comme elle le peut les voix qui murmurent leurs psaumes belliqueux au creux de son oreille, vantant les plaisirs d'une relation forcée. Oui, elle devait être magnifique sur ce sol souillé. Elle devait être magnifique dans la médiocrité. Elle se fige chaque fois qu'elle croise un regard, dans la peur, idiote, qu'on y voit l'état lamentable dans lequel elle s'est retrouvée au fond de cet entrepôt. Absurde pensée qu'elle écrase. Que les voix la laissent en paix le temps d'un instant de paix fragile. "Excusez-moi… je… euh… j’ai eu un petit moment de… vide. Du coup… si je viens tard c’est que je ne supporte pas vraiment les gens… quand il y en a trop ça… m’angoisse." Les muscles crispés s'apaisent, un peu, pas assez pour qu'elle soit tout à fait sereine. Tu ne le seras plus jamais, condamnée à mourir dans l'angoisse. Mais elle esquisse un sourire Honor, compréhensif, tentant d'apaiser la tension qui s'est brutalement installée entre eux. Il n'y en a jamais eu alors elle préfère la chasser. "Je comprends. Les gens sont parfois un Enfer à eux seuls pour certaines personnes." Là, dans le silence qui murmure, Honor essaie d'attraper son regard, celui qu'il persiste à fuir, celui qu'elle tente de voler maintenant. Une chasse infinie qui s'enferme dans un cercle vicieux.

Les livres contre sa poitrine sont un bouclier rassurant contre le reste du monde. Ils lui promettent de belles histoires, des légendes et des mythes qui donnent envie d'être une autre. Elle connait bien trop cette sensation de ne pas être la bonne époque, de ne pas être comprise de l'autre. Elle est une énigme sans solution et que les gens ne cherchent plus à résoudre. Elle n'est qu'une ombre parmi les ombres qui peuplent la ville, rêvant à un ailleurs plus solaire. "Pour les livres… je vais sûrement vous prendre les deux, comme quoi, vous arrivez quand même à persuader quelqu’un…" Le rire est discret, à peine soufflé par le nez alors qu'elle abaisse la tête, remplie d'un ravissement infini. "J'fais que mon travail. J'essaie … J'essaie de transmettre les émotions que m'apportent tous les bijoux que j'ai autour de moi. C'est toujours un plaisir de voir que certains sont réceptifs à ce qu'on dit. Ou juste réceptifs à nos émotions." Si elle n'apporte que malheur et tragédie, elle se sait capable, ici, de faire semblant d'être vendeuse d'un plaisir sans fin. Des enfants repartant avec leur premier livre, avides de le déguster à ceux qui rentrent sceptiques et ressortent curieux. "Donc… votre truc c’est plus le fantastique, la prochaine fois pourquoi pas, va bien falloir que je varie mes lectures, avec tout le temps que j’ai à perdre. Je manquerais pas de venir vous demander conseil…" Le sourire qu'il esquisse est si bref qu'elle croit à une illusion, une éclipse fugace, un trait de lumière qui passe mais ne persiste jamais. Elle y voit la nervosité, l'envie d'essayer et la certitude d'échouer. Le cœur s'arrête, repart dans sa course folle et elle baisse les yeux Honor, incapable de saisir la nature de ses angoisses. Est-ce elle ? Peut-être qu'il l'a enfin vu, cette laideur qui luit en elle, cette boule qui ne cesse de gonfler et l'étouffe, cette créature infernal, tentant d'avaler la moindre graine de magie passant par là. Est-ce qu'il voit en elle le poison qui ne cesse jamais de couler ?

Le fou continue de battre sous la poitrine, incendiant ses oreilles pour ne lui faire entendre que ça, les mini-explosions du myocarde essayant de survivre à la torture qu'elle lui fait subir. Les livres se tendent vers lui, unique offrande de paix. "Vous faites des études ?" La curiosité prend toujours trop pas, grignote la peur, la surplombe même pour la mener direct dans les bras aimant et possessifs du danger. Un rire nerveux lui échappe alors que sa main remonte jusqu'à son cou qu'elle caresse un instant, mauvaise manie cherchant à dissimuler les stigmates déjà camouflés par le col roulé. "Désolée, ça m'intrigue comme vous parliez de temps libre." Le corps s'agite dans un haussement d'épaules qui dissimulent les prémisses d'une excuse. L'excuse d'avoir parlé, l'excuse d'être là, l'excuse d'exister. L'excuse absurde de persiste à se lier au monde. À tenter un pas vers lui qu'elle n'a jamais connu autrement que dans des conversations silencieuses, des regards échangés mais vite détournés. Ils marchent sur du verre pilé, tentant de ne pas faire tomber l'autre. Et finalement le ridicule de la situation se révèle sous ses yeux, dessinant l'esquisse d'un sourire sincère au coin de ses lèvres dont l'ourlet est presque malicieux. Les prunelles remplies d'un miel sombre se relèvent alors que la main se tend "Honor." Et elle trouve ça trop bref, sortit de nul part. "Enfin j'veux dire, c'est mon prénom. Si vous le voulez." Elle balbutie sans savoir si ça a vraiment un sens, s'attend à du rejet mais ses yeux dérivent déjà vers la porte "Hm si vous voulez, tant qu'on est là, je peux vous offrir quelque chose à boire ? J'ai de la verveine en sachet et peut-être du jus de fruit. Ou de l'eau, simplement." Et le cœur chante encore plus forte, convulsant dans une torsion presque douloureuse attendant le rejet, le mépris, peut-être une gêne plus intense.
Dommage.
Dommage car le sourire avait l'air beau.
Dommage car elle aimerait en savoir plus.
Dommage parce qu'elle les entends presque,
toutes les choses qu'ils ont à dire sans jamais oser.




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Jeu 16 Jan - 16:57 (#)



IF YOU NEVER TRY, YOU'LL NEVER KNOW
Lire un livre que l'on ne connaît pas, c'est comme si l'on possédait un bon ami ; revoir un livre déjà lu, c'est comme si l'on retrouvait un ancien ami.
Si les gens sont un enfer, tu es sûrement un démon, un démon qui ne rôde jamais loin, Abel. Douloureuse constatation que je me fais. Elle m’est sympathique, cette libraire emmurée dans sa timidité, dans ses peurs que je sens aussi clairement que si elles étaient miennes. Et je me demande, si j’ai encore le droit à la qualification de “personne”, c’est sûrement trop gentil, pour un monstre comme moi, un nouveau-né qui ne sait absolument pas ce qu’il fait, ce qu’il fera, dans ce monde. Capable du pire mais pas du meilleur. Une bête qui se voudrait apprivoisée sans réussir à abandonner instincts et pulsions. Une erreur, en somme.
Mais voilà que je me retrouve à fuire un regard, j’sais jamais quoi faire, quand des pupilles viennent chasser les miennes, s’accrocher à elles pour un échange silencieux, un de ceux que les mots ne peuvent expliquer ou résumer. Et c’est sûrement ceux-là, qui me terrifient le plus. Qu’est ce qu’on peut bien y trouver, dans mes yeux sombres? Moi j’le sais, les autres devraient rester dans l’ignorance.

Il n’y a que morts et fantômes, au fond de mes iris, enfin, c’est ce que je crois, des fantômes drapés d’une tristesse qui ne s’arrête pas vraiment. Et cette peur qui, comme perchée sur mon épaule, ne se détache jamais de moi, ne fuit que lorsque la Bête vient tout saccager.
Et on est peut-être semblables, sur quelques points, sur la terreur qui si facilement s’invite au creux de nos poitrines. Mais elle restera infiniment meilleure que moi. Elle, l’humaine, moi, l’immortel condamné à une éternité à se détester.

Mais faut que je me secoue, que je reste concentré sur cette conversation, bouffée d’air frais si rare dans cette existence déjà trop longue quand bien même elle ne fait que débuter. Incertaine, elle me répond, elle ne fait donc que son travail, mais elle le fait bien, assez pour que j’en vienne à ouvrir la bouche en sa présence, pas totalement pétrifié par mes démons. “-Un travail bien fait alors, la preuve, vous avez réussi à me vendre des livres, et me faire parler, ce sont deux victoires.” Ma voix n’est qu’un souffle, un bruissement timide pour exprimer un compliment. Et j’me rend compte que j’ai pas dû complimenter quelqu’un depuis l’Etreinte, parce que j’suis trop focalisé sur ma douleur, sur ma petite personne. Encore un égoïsme qui n’aurait jamais eu lieu, avant. Pas avec l’Abel solaire que j’ai été, que je voudrais redevenir. Et qu’est ce que je donnerais pas, pour une journée seulement d’humanité. Une dernière avant l’immuable vérité qui est la mienne.

Mais elle m’arrache à mes pérégrinations internes, pose une question qui vient piquer l’adolescent qui voulait un monde plus juste. Qui me paraît si loin, maintenant. “-Des études…? J’ai voulu en faire, j’avais commencé… Pour être avocat. Mais non, je fais plus grand chose, en ce moment.” Et ça ne l’étonnerait pas, si elle savait. Mais elle ne doit pas savoir, parce qu’elle me verrait mon vrai visage et que je ne veux pas voir la peur teinter son expression chaque fois qu’elle me regardera. Si elle accepte encore de supporter ma présence, dans l’éventualité où elle ne refuserait pas tout simplement de se tenir ainsi, en face de moi.

J’ai assez de mon propre rejet, quand je pense à ce que je suis devenu.

La main tendue agite le coeur lent qui bat sous ma peau à un rythme inhabituel, me laisse hésitant durant une seconde interminable. J’finis tout de même par tendre la mienne, me saisis du membre ainsi offert, la chaleur contraste avec le froid et je ne garde pas longtemps l’otage ainsi pris. “-Abel.” Et me revoilà à sourire, faiblement certes, mais je ne peux lui donner mieux, à Honor. Et la proposition d’une boisson me donne l’impression qu’il va exploser, mon palpitant qui ne palpite plus tant que ça, une offre empreinte de bonté que j’voudrais accepter, que je pourrais accepter, pour lui donner l’illusion que je ne suis qu’un type normal. Et je vais le faire, parce que le répit est trop rare, dans mon enfer personnel. Et elle me donne l’impression que j’peux faire mieux, la métisse. Comme si pour quelques minutes salvatrices, j’étais un peu plus qu’un simulacre absurde d’humain.

“-Je prendrai bien un verre d’eau, alors, mais je voudrais pas vous déranger.” Et je sais, que ça aura un goût horrible, que je vais me faire violence pour pas grimacer comme un abruti en buvant un truc qui est pas sensé avoir de goût. Mais tout est dégueulasse, quand on est obligé de se nourrir du sang des autres, comme si la vie n’avait rien trouvé de mieux comme châtiment que de me priver du goût si cher à mes yeux des différentes boissons que j’ai tant aimé.

Et je suis silencieusement la jeune femme vers la promesse d’un verre cristallin, d’une boisson que j’vais devoir recracher plus tard, parce que je connais le prix à payer pour l’ingurgiter, Lexie m’a prévenu, m’a conseillé de ne pas le faire. Mais comme pour le reste, j’vais prendre le gauche, sûrement le regretter plus tard, juste pour pouvoir discuter un peu plus longtemps avec elle, qui me permet de mettre ma nature aux oubliettes le temps de quelques mots, de quelques lectures.
Et quand elle me donne le contenant transparent, je la remercie doucement, porte le verre à mes lèvres et avale une gorgée en essayant d’ignorer les protestations de mes pupilles qui ne sont plus faite pour ça. Et j’ai l’impression d’avoir pris une pleine poignée dans un cendrier pour la gober mais n’en montre rien, déglutis difficilement avant de reposer calmement l’eau. Je le finirais, mais tout avaler en une fois me paraît impossible alors je me laisse un temps pour m’en remettre, préfère inspirer doucement, capter les subtiles nuances de l’encens qui parfume la pièce. “-Et vous…? Vous faites des études, en plus de votre boulot? Si vous finissez aussi tard, vous devez pas commencer si tôt..." La musique s’est arrêtée, dans mes écouteurs, je n’entends plus que la ville qui vit dehors, son coeur agité qui ne se calme pas, le doux tapotement de mon pied sur le sol, qui doit lui échapper. “-Enfin, je voulais pas être indiscret non plus, vous êtes pas obligée de répondre, pardon.” Comme un disque rayé qui se répète, chacun se heurte à la gêne, après la curiosité, n’ose jamais vraiment malgré l’envie bien présente.

Et j’suis persuadé que je l’aurais adorée, cette fille, si j’étais encore humain, sûrement que le Abel encore en vie l’aurait trouvé à son goût, intéressante, avec ses démons qu’elle dissimule tant bien que mal, ses questions posées à demi-mots et ses peurs si ancrées en elle qu’elle me rappelle le garçon terrifié, au procès, en prison, à l’enterrement, à chaque visite, quand il constatait que sa mère n’allait pas mieux.
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Sam 28 Nov - 22:31 (#)


if you never try, you'll never know


Éclat brutal, tonnerre entre ses mains qui, au bout de tous ces mois, se relient enfin. Elle retient une grimace, un élan de recul qui la pousserait à fuir en temps normal, vieille feuille tremblante tombant du haut de sa branche bousculée par la brise obscur d’un quelque chose de glacial et terriblement mort. Sa poigne se resserre un instant autour de celle de ce Abel au nom qui en dit tant. Abel, ce n’est pas commun. Abel, fils d’Adam, frère de Caïn, sacrifié par jalousie. Elle soupire un tremblement mais ne laisse rien paraître, refusant de se laisser avoir par les ombres qui, malheureusement, engloutissent la mélasse de son esprit. Les doigts qui s’entremêlent, les phalanges bien froides, aussi froides que celles qui l’ont un jour touché. Au fond de cette cave, nombreuses ont été les phalanges a trouvé refuge dans un ventre asséché ou humidifié par l’ambroisie qu’on lui injectait. Un vertige la saisit alors qu’elle s’arrache à la poigne, peut-être trop violemment, le mirant de son air interdit, incertaine. Sa paume picote sans réellement le faire, comme si la magie elle-même hésitait à agresser sa peau déjà laminé par ce qui pétille dans l’air d’un Shreveport agacé sans cesse par le mysticisme qui y règne en maître. Elle ne se voit pas rebondir sur le reste, s’égarer dans une conversation qui lui paraitrait bien creuse face aux questions plus profondes qui lui viennent alors. Que risquerait-elle à lui en parler ? Les Immortels se sont éveillés au grand jour depuis quelques années à présent, lui aussi doit bien le savoir. Et peut-être n’a-t-il que le sang froid, faisant partie de ceux qui, malgré la chaleur étouffante, se voit sans cesse torturé par la glace intérieur. Il n’est pas mort. Abel n’est pas mort, pas aussi mort que le fut celui dont il a hérité le doux prénom.

« Abel. Vous savez ce que ça signifie ? » Elle expire presque un rire sonnant de toute cette nervosité qui arpente les moindres lignes d’un corps enseveli par l’horreur d’un passif incendié par la tragédie, abaissant ses prunelles que la lueur lunaire expose parfois plus clair, le marron sombre se transformant en une ambre profonde sous l’oraison des cils qui s’abaissent, un sourire bien rêveur se dessinant sur les lèvres de celle qui ne s’autorise plus qu’à cauchemarder sa vie comme ses nuits, à avoir peur de tout et surtout d’elle-même. Encore une main tremblante, celle profanée par la froideur terrible, s’élève vers le col roulé en grosse maille, comme si elle semblait s’étrangler « Fils d’Adam, frère de Caïn, lui-même qui devint le père des immortels dans certains mythes, un traître parmi tant d’autres si j’ose dire. » Elle redresse son regard, se hasarde à mirer ce Abel dont elle n’a jamais rien su finalement mais ce soir les langues décident à se délier de leurs nœuds bien serrés et leurs deux silhouettes se confondent dans cette obscurité qui pourrait paraître perfide aux yeux des passants devant la vitre où les lettres d’or s’effacent, s’appuyant contre l’arête acéré du comptoir la protégeant encore de lui, une distance qu’elle met sans le vouloir, entre eux, l’observant boire, presque fascinée par la déglutition, sa méfiance se métamorphosant en cette affreuse méfiance lui disant qu’il ne faut pas s’attarder trop longtemps auprès de lui et que le soir, il lui faut rentrer avant qu’on ne vienne l’attaquer car c’est un soir comme celui-ci qu’elle fut jeté dans la cage de béton d’une cave où on la prit pour amante et bout de viande non-consentante. Abel est d’une douceur bien tendre avec elle, laisse s’exposer sa voix jusqu’à elle dans ce silence paisible qui pourrait la bercer si la main ne retenait pas encore ce froid étrange, de claquement sourd du verre abandonné à peine entamé. Elle ne sait rien des vicieux monstres qui l’ont un jour attaqués, ignore même s’ils peuvent se cacher parmi les humains, grignoter les mêmes choses qu’eux, s’abreuver d’une eau sans la régurgiter et pour l’instant, l’homme qu’elle veut croire encore humain ne semble pas prise de convulsions qu’elle a elle-même connu, éprise par la tortueuse emprise de la magie circulant en son corps qui n’a jamais été créé pour en absorber la puissance. S’il savait. S’il savait qu’il ne faudrait pas grand chose pour qu’il meurt attaqué par elle sans même qu’elle le veuille et combien d’hommes ont péris sous ses impulsions sortis comme du napalm de son corps expulsant la pureté noirâtre de la magie qui tourmentait celles qui se voulaient protectrices avec elles. Les premières qui l’ont alors jetées bien loin de leur pseudo-coven pour la donner aux renégats.

Revenir au présent lui parait plus sage, s’interdisant la plongée sous-marine dans les abysses profondes et sans lueurs de souvenirs qui feraient se crisper jusqu’à son ventre. Se détournant, elle se décale de quelques pas à peine pour se servir à son tour un verre d’eau et abreuver sa gorge sèche de trop grosses gorgées, honteuse de s’entendre déglutir aussi bruyamment, s’éclaircissant la gorge alors qu’elle revient vers lui « Oui je … J’étudie les langues anciennes, le Proche et Moyen Orient en fait. Ici … c’est juste un job à côté qui aide à payer les factures et tout ce qui s’en suit. C’était pas le projet de ma vie de finir ici. » De finir pleine de couardise. Elle se trouve bien ennuyeuse, peu attrayante dans ses palabres creuses et finit par s’appuyer plus franchement contre le comptoir où les cahiers de comptes sont délaissés, stylos et crayons déposés en travers des feuilles où noms et chiffres se mélangent, l’encens brûlant toujours laissant émaner entre eux une douce atmosphère mystique. « Avocat alors ? Pourquoi ce métier en particulier ? » Elle cille, quelques boucles de ses cheveux ayant l’audace de caresser ses pommettes bien hautes d’un visage qu’on pourrait croire hanté par quelques héritages asiatiques quand il n’en est rien. Penchée ainsi vers lui, elle se détend presque, secouant brièvement la tête « Une envie de défendre les innocents ou … les criminels ? De défendre quoi exactement ? » Elle ne se rend qu’à peine compte que ses questionnements s’enchaînent mais elle aimerait creuser cette façade de chat noir bien sage, comprendre ce que veulent lui dire ses grands yeux noirs qui s’évadent souvent loin des siens, profiter de ces mots qu’il veut bien lui offrir ce soir. « C’est dommage de ne pas avoir … continué. » Un sourire, un autre, un de ces rares qui arrive à ne pas s’effacer trop vite aussi certainement que l’écume emporte les traces des pas des passants au fil de ses passages « J’aurais aimé avoir la force de défendre certaines choses moi aussi. De faire bien plus, de faire tellement plus que … ce que je fais ici. » Lassitude évidente dans ce timbre délicat, amertume, acidité, tristesse lui collant à la langue. Un ongle flirte avec le bord de son verre où la trace de ses lèvres se perçoit encore en quelques gouttes semblant comme de la pluie s’étendant le long d’une vitre, ses phalanges s’enroulant à nouveau autour du verre en songeant à l’ivresse qu’elle aimerait parfois s’autoriser « Vous buvez … autre chose que de l’eau ? J’veux dire enfin … » Elle balbutie, la langue trébuchant contre les moindres syllabes et l’accent mexicain ne pouvant que ressortir lorsqu’elle arrive à demander « J’veux dire, j’connais un bar pas très loin. On pourrait y aller pour être plus au calme. » Tout tremble désormais, même le souffle alors qu’elle ose le regarder un bref instant, se recule finalement comme pour se rétracter avan que la bouche ne l’avoue « Enfin oui, non, j’suppose que vous avez mieux à faire. Il est tard et ici … les rues ne sont pas sûres quand il fait trop nuit. J'voudrais pas ... que vous fassiez de mauvaises rencontres. » Elle n’a pas besoin de préciser pourquoi, lui jetant un regard qui l’alerte sur ce qu’elle n’ose prononcer, la terreur ne pouvant se dissimuler lorsqu’elle passe chaque bouquin sous le néon rouge de la machine, préférant s’occuper les mains que s’encombrer la bouche de propositions plus stupides les unes que les autres.


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