Le billet d'humeur

Bon. Hier soir, j'étais d'astreinte, donc je taff de 21h à minuit. Je m'apprête à une nuit aussi calme que celle de lundi à mardi, sauf que les premiers appels sont tout sauf "lambdas". Parmi eux, celui d'un mec que, pour des raisons de confidentialité évidentes, nous surnommerons "Bob". Bob m'appelle pour gueuler parce que son bac de tri sélectif (papiers, cartons et emballages) n'a pas été collecté par les services de la mairie. En prime, son bac a été entouré de rubalise avec marqué "TRI NON CONFORME". Il s'agit de la procédure standard lorsque des détritus impropres à la collecte du tri sélectif échouent dans un bac, puisque ce n'est évidemment pas aux agents de refaire le tri derrière. Bon, en gros je me dis que le mec est peut-être un peu concon mais pas méchant, donc je lui explique la procédure. Sauf que dès le départ, je me dis que ça va être compliqué, étant donné qu'il galère ne serait-ce qu'à donner sa propre adresse, comme s'il était bourré ou dans une autre dimension, un peu. Très vite, je me rends compte que je parle dans le vide. Bob est en roue libre dans le délire, et me demande qu'est-ce qu'il aurait pu mettre qui n'est pas conforme. Au bout d'un moment je lui réponds que je peux pas le savoir et qu'il n'a qu'à découper le ruban. Il me répond : "Ah non moi je fais pas ça, ça me fait peur." Je lui demande pourquoi. "Bah parce que couper un ruban c'est dangereux, il faut prendre des ciseaux et puis c'est la République hein, c'est le contrat social." Outch. Okay. Toi… J'essaye de lui faire entendre raison, j'en suis même à un stade d'agacement ou je m'énerve presque tellement ça me rend ouf, tout en remarquant qu'il fait appel à la même "blague" pas drôle à coups de "je sais pas si c'est une enseigne qui a découpé une mémé et qui l'a mise dedans hein", jusqu'à carrément me balancer : "Oui en fait j'ai tué ma femme, je l'ai découpée et je l'ai mise dans la poubelle. …" "Pardon ?" "... Non je plaisante."
PARFAIT. Le tout pour terminer à grands renforts de "Je suis handicapé du bras gauche, je me sers du droit pour me faire du bien."
DAKOR.
Donc bon l'appel se termine, et je décide sur le champ de faire un mail à mes superviseurs (les quatre, alors que techniquement je ne dépend plus que d'un seul, mais bon il me semble que dans un service de COMMUNICATION, communiquer avec l'ensemble de sa hiérarchie directe c'est un peu important), pour suggérer de placer Bob dans la catégorie sociale écoute (des gens qui nécessitent une écoute particulière, soit parce qu'ils souffrent de troubles mentaux évidents, soit qu'ils sont visiblement fragiles, phobiques sociaux, anxieux, etc.). On n'est évidemment pas dans de la discrimination, mais il s'agit surtout de mieux assister et accompagner ces usagers qui méritent que leurs appels soient pris en charge au mieux malgré cela (même si, on est d'accord, quand une Mamie t'appelle en te disant que le gouvernement complote à Disneyland avec le restaurant du bas de son immeuble qui envoie des ondes électriques traverser le plafond pour arriver jusqu'à elle afin de communiquer avec des extra-terrestres •je précise que j'invente rien hein•, bah c'est un peu compliqué de lui faire entendre raison ou de lui expliquer comment refaire sa carte d'identité). Or, c'est un peu à nous les agents de suggérer à notre hiérarchie de "placer" ces gens sous cette nomenclature de sociale écoute, évidemment qu'on ne décide rien. J'envoie un mail long comme mon bras en détaillant l'appel histoire d'argumenter, j'envoie tout ça, et ce matin je reste après 7h du matin pour m'en entretenir avec Muriel, ma superviseure préférée et qui connaît ma famille depuis vingt ans (ma mère a juste donné des cours d'anglais à ses gamins et à son mari pour l'aider à obtenir une promotion, donc BON). Elle m'écoute, me rappelle juste que j'ai fait une petite erreur de procédure par rapport au tri sélectif tout en me disant que c'est pas grave, qu'on ne peut pas se rappeler de tout et que ce genre d'appels est tellement rare que y'a pas mort d'homme. Mais trop tard, moi j'm'en veux direct en me disant que déjà j'aurais pas dû me planter, et j'ai un mauvais pressentiment en me disant que ça va me retomber sur la gueule cette histoire de mail.

Ce soir, j'embauche à 21h. J'arrive encore sur le fil à pile pour le deuxième soir consécutif, donc déjà ça me gonfle, et en plus ce soir, les gens ont tous décidés de se garer là où je me mets, donc je perds du temps à trouver une place. À peine connecté, je vais direct voir mes mails en m'attendant à une réponse officielle à mon signalement. J'me prends pas un pavé dans la gueule par Muriel comme quoi déjà j'me suis trompé de procédure pour le tri (mais encore une fois on s'en BAT LES COUILLES EN FAIT DANS LE CONTEXTE. J'lui aurais sorti mot pour mot le texte écrit noir sur blanc à Bob, que ça aurait rien changé, déjà, donc à partir du moment où tu me l'as expliqué une fois, c'est bon j'ai compris). Mais en plus, elle sous-entend dans mon mail que je n'ai pas à décider de qui sera en sociale écoute, tout en mettant en copie dans sa réponse la directrice-adjointe du service, qui est une connasse. Mais pourquoi en fait ? Pour lui montrer que tu m'as mis un tir ? Que j'ai fait soi-disant une connerie alors que j'ai juste "suggéré" comme vous nous avez demandé de le faire et que les propos du gars m'ont paru juste AHURISSANTS ?! Fin, si j'avais rien dit, et qu'au final peut-être, le gars avait vraiment tué sa femme et mise dans la poubelle, on me serait pas tombé dessus pour avoir rien signalé ? J'ai juste voulu me protéger autant que communiquer avec mes boss en fait, et me prendre un "c'est pas toi qui décide" doublé d'un "on ne dit pas que nous plaçons les gens dans la catégorie sociale écoute ça peut donner l'impression qu'on trie et qu'on fait de la discrimination", bah...




Bah écoutez. Très bien. La prochaine fois je me contenterai de faire le strict minimum du coup. J'préviendrai personne et je me prendrai un taquet parce que j'aurais rien dit. Ca vaudra toujours mieux que de me prendre DEUX rappels de manquement à la procédure ("mais c'est pas grave t'en fais pas hihi", à part ça), et de recevoir un mail comme ça de la part d'une superviseure que j'estime et qui a longtemps été juste adorable avant moi… avant que je passe en 3/8. Même les collègues de mon équipe étaient outrés, m'ont dit que c'était une histoire de jalousie parce que, je cite "Elle a mis des années à avoir le concours de catégorie B, elle sait que tu vas passer le A, tout le monde dit que tu vas l'avoir même sans prépa, et en plus vu le mail que t'as envoyé pour avertir tout le monde, ça se voit que t'es plus intelligent qu'elle et ça doit la faire chier. La mesquinerie c'est le leitmotiv ici de toute façon, alors voilà, maintenant tu sais, bienvenue dans le service." Charmant.

Du coup ça m'a juste… déprimé. Non seulement je déteste faire des conneries sur le plan professionnel, même si elles demeurent aussi anodines, mais ce genre de retour de flammes, bah non merci en fait. À part braquer les gens je vois pas à quoi ça sert.

Et encore sorry pour le pavé.