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Come as you are | Michael & Heidi

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Mer 13 Oct - 19:01 (#)



Come as you are
Mansfield, hiver 2021
ft. Michael Adamson




« - Bonjour, je m’appelle Marcus, et je suis sobre depuis 13 jours.

- Bonjour Marcus. »



E
t ainsi commence la réunion. Marcus se lève, se présente, et toute l’assemblée lui répond d’une seule voix lente et monotone. Tous les regards sont braqués sur lui, et le sien fixe le lino d’un orange fade qui recouvre le sol à ses pieds, comme si allait en surgir la solution à tous les problèmes qu’il va passer une demi-heure à conter à son audience. Installés inconfortablement sur la vingtaine de chaises que tu as disposées en cercle avant qu’ils n’arrivent, les membres des alcooliques anonymes ressemblent à une bande de morts-vivants sortis de terre dans le seul but d’aller braquer une usine de prozac. Et pourtant, à force de les écouter parler, tu as fini par apprendre à tous les connaître ; Marcus, Jeff, Sandy, Scooter… leurs noms, mais aussi les raisons de leur présence ici. Mary, la trentenaire qui joue nerveusement avec les manches de son pull, a atterri ici parce qu’elle n’arrivait pas à supporter la pression de son travail dans un fonds d’investissement obscur. Ed, deux chaises à gauche de Mary, n’a trouvé de réconfort que dans la liqueur après que sa femme l’a quitté pour son jeune frère. Encore deux sièges à gauche de lui se trouve Luke ; lui ne parle pas beaucoup, mais les plaques d’identité qui pendent sur la flanelle usée de sa chemise le font pour lui.
Toi, tu ne te mêles pas à eux, bien que tu y aurais tout à fait ta place. Ici, à part la médiatrice, personne ne sait vraiment qui tu es. Ton nom, ton âge, même la langue que tu parles, rien du tout. Pour toutes ces âmes errantes, tu n’es qu’une présence presque invisible et muette dans un coin de la salle, une décoration de plus entre les posters aux couleurs vives et aux slogans culpabilisants jurant avec l’ambiance grisâtre des réunions dans ce centre communautaire quelconque. C’est toi qui rangeras les mêmes chaises que tu as installées une fois que tout le monde sera parti, c’est toi qui passeras le balai pour faire disparaître les miettes des gâteaux du maigre buffet autour duquel se délieront certaines langues plus timides. Pour faire simple, tu es une bénévole. Un beau jour de décembre, tu as pointé le bout de ton nez quelques minutes avant le début d’une réunion pour en faire laconiquement la demande, et depuis tu hantes les lieux deux soirs par semaine. Tu occupes toujours le même siège, dans un coin de la salle, et tu écoutes en attendant que l’heure de ranger vienne, les mains dans les poches et la tête baissée, toujours vêtue de tes accoutrements de jais.

Pourtant tu n’es pas chrétienne. Tu n’as rien à voir avec leurs psaumes et leurs prières. En vérité, tu as autant de foi en Jésus Christ et le soi-disant Tout-Puissant qu’en ta cousine. Pourquoi alors t’impliquer dans cette association ? Tu n’en as sincèrement pas la moindre idée. Il te fallait en choisir une, c’était une des missions que ta marraine t’avait confiées, et c’est la première qui t’est passée par la tête. Forcément, le choix est loin d’être anodin et ta sobriété toute récemment acquise a déjà été menacée plus d’une fois depuis le changement drastique de ta routine, mais ton psy pense que ça ne peut pas te faire de mal alors tu continues d’y aller. Tu continues d’écouter en silence les histoires tantôt tragiques, tantôt banales de tous les pauvres hères qui forment ce cercle de misère.

Marcus poursuit. Il raconte comment le décès de sa mère l’a fait sombrer. Il raconte comment il s’est laissé noyer dans ce paradis artificiel sans même se rendre compte que chaque jour il manquait un peu plus d’air, comment il a réalisé il y a treize jours qu’il venait d’avoir trente-sept ans et que personne n’avait eu de pensée pour lui cette année, qu’il n’avait plus aucun ami, aucune famille, rien d’autre que ses propres yeux pour pleurer devant le spectacle de sa propre déchéance. Il raconte comment il en a eu assez de vivre de cette manière et comment depuis chaque jour est une véritable bataille pour ne pas replonger.
Tu n’as aucune sympathie pour Marcus, pas plus que pour n’importe qui d’autre ici, mais en ton for intérieur, tu es forcée de reconnaître que beaucoup de ses paroles font écho à ta propre vie. A vrai dire, tu hais l’exactitude avec laquelle il décrit ses sentiments parce qu’ils résonnent bien plus que ce que tu ne voudras jamais l’avouer.
Marcus livre la peur qui le hante depuis sa prise de conscience : aura-t-il à vivre le reste de ses jours avec le manque et la dépendance ? Treize jours pour lui, quatre-vingt-dix-neuf pour toi, mais les questionnements restent les mêmes.

Finalement, il conclut et les applaudissements timides du reste des membres percent le silence gênant qui allait s'installer. La médiatrice le remercie, demande aux autres s’ils veulent parler à leur tour, mais personne ne répond. Pendant quelques instants, les regards se lancent et se perdent lorsqu’ils ne sont pas directement rivés sur le sol. C’est donc l’heure de la prière ; on dirait que tu vas pouvoir partir plus tôt.
Pendant que tous joignent leurs mains et se mettent à réciter leurs inepties, tu te lèves discrètement. Dans la pièce adjacente, tu t’en vas chercher le grand thermos de café sans goût et la boite de cholestérol en forme de beignets qui l’accompagne sobrement. Tu les disposes sur la table et poses à côté une pile de gobelets en carton et un rouleau d’essuie-tout, au cas où certains d’entre eux aient par miracle l’idée de devenir propres par eux-mêmes. Sait-on jamais, pourquoi ne pas demander un miracle supplémentaire pendant la prière ?

Dans un soupir discret, tu t’éclipses à nouveau dans ton coin juste avant que la médiatrice ne libère ses agneaux de leurs sièges. D’un œil détaché, tu les regarde se jeter sur le sucre et la caféine à leur disposition comme tu t’es jetée entre les crocs d’une vampire pour compenser le vide qui hantait tes veines. Tu jettes un coup d’œil à travers la lucarne pour seulement voir le ciel noir d’une froide nuit d’hiver. Tu viens peut-être de décrocher ton permis de conduire, mais sans voiture pour aller avec, tu préfèreras ne pas rester trop tard pour ne pas attendre le bus trop longtemps dans l’atmosphère fraîche de la sorgue.


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Dim 20 Mar - 18:17 (#)

Come as you are, as you were
As I want you to be
As a friend, as a friend
As an old enemy

Come As You Are, Nirvana.

Une vie entière. C'est le temps nécessaire pour quitter une addiction. Chaque jour restant sera une épreuve, comme un supplice de Sisyphe qui recommence encore et encore. On pourrait penser qu'il en va de même de tous les besoin physiologiques, manger chaque jour, dormir chaque jour, respirer chaque instant, pourtant le Seigneur a voulu que ces choses soient aussi un plaisir, rendant la tâche beaucoup plus acceptable. Mais se sevrer de l'alcool, quel plaisir peut-il y avoir ?

Alors que chacun parle pour expliquer son parcours, Michael ne peut s'empêcher d'entendre ce que n'est pas dit : l'injustice de la fatalité incompréhensible qui fait que ces raisons ont conduit à l'alcool là où pour la majorité de la population, la conclusion aurait été bien différente. Certes on voit des causes, mais on reste aveugle aux plus importantes. Pourquoi l'alcool devient la fuite de certains mais pas d'autres ? Une question aussi insolvable que de savoir pourquoi on est gaucher ou droitier, pourquoi on aime une chose plutôt qu'une autre, pourquoi on a la foi ou non...

Derrière ce rideau de rationalisation reste toujours un monde de mystère, un univers entier du "pourquoi moi ?", et la froide réalité : nous n'avons pas les mêmes combats à mener, sans aucune raison apparente pour l'expliquer. Nous ne pouvons pas le comprendre, nous ne pouvons que nous y résigner, nous résigner à ce futur d'une éternelle lutte contre soi-même, sans espoir de délivrance si ce n'est par la mort elle-même.

S'il est un message du Christ à placer au-dessus de tout, c'est le devoir de charité : aime ton prochain comme toi-même. Mais quel sens a ce message pour une personne qui passe le restant de sa vie à lutter contre elle-même ? Comment font Marcus, Jeff, Sandy, Scooter, Mary, Ed, Luke, pour aimer les autres ? C'est bien là la raison même d'être de ce groupe de parole. Partager ses petites réussites, s'aimer dans ses victoires, jour après jour, s'aimer dans le soutien que l'on peut apporter à d'autres qui, comme soi-même, luttent chaque jour pour rester debout.

S'il ne connaît pas d'expérience ce problème, Michael a un profond respect pour ces personnes. Si pour beaucoup elles sont le rappel de la faiblesse de l'être humain, pour le prêtre, elles sont au contraire le rappel de ses forces les plus nobles : l'humilité de reconnaître ses problèmes, le courage de les affronter, la persévérance de continuer le combat, la cohésion pour soutenir ses semblables. Sous son petit air de bonhomme maladroit, Marcus est l'incarnation du repentir, de la rédemption, chaque jour étant un pas de plus vers le Christ, et pour cela, il mérite le plus grand des respects.

Michael applaudit lui-aussi pour ponctuer les propos de Marcus, non sans laisser passer quelques secondes pour lui laisser l'opportunité d'ajouter une dernière chose, mais aussi parce qu'il est lui-même touché par ces mots et qu'il lui faut un temps pour les laisser résonner, vibrer, puis passer. Le regard du prêtre se porte sur la médiatrice qui propose une dernière intervention dans les minutes qui restent, mais personne ne reprend la parole. C'est le souvenir de l'histoire émouvante de Marcus qui restera dans les mémoires pour la prière, et tout le monde se donne la main alors que Michael improvise les mots pour le Seigneur, sous l'influence des discussions de cette séance.

- Père, nous te remercions pour cette opportunité d'avoir pu partager nos histoires, partager nos joies et nos peines comme tu nous l'as appris, d'avoir pu ressentir le soutien de notre communauté. Nous te remercions pour la force que tu nous donnes d'affronter ces difficultés, jour après jour, de pouvoir reprendre une vie pleine, une vie d'émotions et de sensations variées et réelles. Nous te demandons humblement, Père, de nous porter dans nos moments difficiles pour persévérer et continuer d'avancer malgré la tentation, malgré la douleur, et de nous offrir la joie d'avoir su tenir encore un peu plus. Notre Père, qui est aux cieux...

La suite de la prière n'est qu'une des nombreuses récitations du Notre Père, qui laisse l'esprit de Michael se perdre dans la suite de ses pensées, mais aussi se retrouver dans ce sentiment de chaleur qu'il ressent dans la prière. Le cercle des participants le rejoint pour réciter avec lui.

- ... que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne...

Quand chacun prend la parole, ce sont les silences que l'on entend le plus. Le prêtre n'est pas présent à chaque réunion, car il alterne entre plusieurs groupes du même genre, mais il ne peut s'empêcher de remarquer à ce moment-là la voix la plus assourdissante par son absence, celle de cette jeune fille en noir dans un coin de la pièce. Ces petites mains qui servent, sans rien demander, même pas de l'attention ni de la reconnaissance.

- ... ne nous soumets pas à la tentation...

Pourquoi ? La plupart vient ici pour parler, d'autres viennent pour écouter, d'autres encore viennent pour accompagner, mais une seule vient ici pour disparaître. Pourquoi ?

- ... car c'est à toi qu'appartiennent ...

La puissance prend quelques instants la place de l'homme d'église. Est-ce que quelqu'un cherche à servir ? Il existe bien des façons de servir et l'une d'elles passe par les purificateurs. Une jeune brebis égarée, en quête de sens, c'est une personne idéale pour rejoindre l'Ordre.

- ... aux siècles des siècles, Amen.

Le cercle se brise, et ses participants se dirigent vers le buffet pour reprendre, avec plus de liberté et de légèreté, des échanges et des paroles de soutien. Mais de son côté, Michael décide de se diriger vers le petit mouton noir dans le coin de la salle, affichant toujours le léger sourire qu'il arbore quand il va s'adresser à quelqu'un. Elle regarde à l'extérieur, peut-être pour se distraire, peut-être par préoccupation, peut-être pour fuir la discussion qui se rapproche d'elle d'un pas déterminé.

- Est-ce que tout va bien ? lui lance-t-il une fois à proximité.

La question est ouverte, sans imposer de direction, pour laisser à cette jeune personne le loisir de dessiner elle-même le cadre dans lequel cet échange pourra se faire.

- Tu as entendu des choses qui t'ont intéressée pendant le groupe de discussion ?

Elle ne semble pas avoir réellement écouté le groupe de parole. Michael essaye de la tester alors. Il se trompe volontairement sur le prénom de Marcus.

- L'histoire de Marius était vraiment intéressante, pourtant.

Il la regarde, cherchant dans ses expressions un signe, un indice, quelque chose qui lui permettra de savoir s'il doit partir dans cette direction ou dans une autre. La jeune fille reste pour l'instant un mystère, elle pourrait être une sainte en plein acte de dévotion ou une psychopathe en quête d'une victime fragile, tout est possible. C'est à la fois fascinant et intriguant. Le prêtre plisse légèrement les yeux, un mouvement quasiment imperceptible, mais qui trahit sa curiosité, et la tentative peut-être absurde et vaine de comprendre son interlocutrice. Qui, où, mais surtout pourquoi.
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Lun 21 Mar - 20:56 (#)



Come as you are
Mansfield, hiver 2021
ft. Michael Adamson


U
n pas de plus. Le ciel est noir et la terre froide, battue par une pluie légère mais incessante. Autour, aucun relief, l’horizon s’étend à l’infini dans chaque direction. Il ne fait ni jour ni nuit, si bien qu’il semble suffire de se figer pour arrêter le temps. Il n’y a pas un bruit si ce n’est celui de ses propres chaussures sur le sol humide et de ses vêtements qui se froissent dans tes mouvements.
Un pas de plus. Comment alors choisir sa direction ? Pourquoi seulement en choisir une alors qu’il suffirait peut-être d’attendre sur place ? Dans chacun des cas, la question reste la même : qu’espère-t-on ? Dans cette lande désolée et infinie, quel est le plus absurde : patienter sans même savoir si quelque chose se produira ou bien marcher vers une destination dont on ne sait même pas si elle existe ?
Un pas de plus. Tu es de ceux qui ont choisi de marcher, tout droit et sans jamais t’arrêter. Tu es sûre de ton choix et jamais tu n’as ressenti le besoin de le remettre en question. Et pourtant, tu n’es pas pour autant aussi libre que tu le désires. Dans cet espace vide de tout sens, ta faiblesse est de sans cesse te retourner en espérant voir, le long du chemin que tu as parcouru, quelque chose de différent.
Un pas de plus. L’espoir est le propre de l’Homme, une bénédiction unique pour certains. Pour toi, il reste la cause de tous tes tourments. Alors tu continues inlassablement de fouler ce sol stérile, dans l’espoir qu’il s’épuise avant toi. Marcher jusqu’à tuer l’espoir ; marcher jusqu’à tuer Dieu.
 
Un pas de plus, mais celui-ci n’est pas de toi. Il fait trembler le sol et voler momentanément en éclat ce monde solitaire dans lequel tu t’étais échappée pour accomplir ton pèlerinage déicide. Ton regarde se détourne de la lucarne qui l’accaparait pour lascivement se poser sur l’homme qui t’a trouvée malgré ton camouflage. C’est lui qui a lancé la prière de ce soir ; il porte l’aura de ceux que l’on aime et qui portent sur leur dos la confiance des autres. Il a la tenue d’un prêtre, de ceux qui dealent de l’espoir et qui se font féliciter pour ça.
Il s’approche de toi et t’adresse la parole, et tu n’as à ce moment pas la moindre idée de ce qu’il veut de toi. Il veut peut-être discuter, ou alors savoir qui tu es, ou peu importent ses raisons finalement : s’il veut quelque chose, qu’il le demande directement pour que vous puissiez abréger cet échange le plus vite possible. Tu as une réalité à fuir, et il a sans doute un sacerdoce à honorer.
 
Tu n’es pas bavarde, c’est un trait qui pourrait presque se lire sur ton visage. Et pourtant, il semble vouloir obtenir de toi le miracle d’une discussion. Peut-être celui d’une confession ? Malheureusement pour lui, tu n’as rien à avouer, aucun péché à laver ni le moindre regret que tu pourrais absoudre simplement en en parlant.
En laissant le silence reprendre quelques instants ses droits entre vous, tu souffles longuement. Mal à l’aise quant à ce que le genre de questions qu’il te pose innocemment cherche à te faire dire, tu ne sais pas quoi répondre. Tu n’as pas envie de parler de toi, pas à un inconnu, pas à quelqu’un qui voudrait te faire reconsidérer tes convictions. Tu finis pourtant pas répondre, d’une voix froide comme le métal après une nuit d’hiver, mais néanmoins discrète.
 
- J’ai pas écouté ce que Marcus a dit.
 
Tu avais fini par détourner les yeux, d’abord vers le sol puis vers la lucarne dans l’espoir d’y retrouver un passage vers ton univers vide, mais tu ne trouves rien de la sorte, alors tes pupilles de jade retrouvent celles de l’homme au col romain, d’un bleu perçant.
 
- J’aime pas entendre les gens…
 
Pleurer ? C’est ainsi que tu aurais aimé finir ta phrase ? Tu refuses pourtant de prononcer ce mot, laissant alors suspendue la fin de ta réponse. Tu n’aimes pas les pleurs. Tu détestes ça, à vrai dire. Tu en as entendu tellement dans ta vie, que ce soit les tiens se réverbérant contre les murs de ta chambre ou ceux des autres à travers des parois dressées pour donner l’illusion de l’intimité, tu as fini par ne plus les supporter. Ils provoquent colère, dégoût, amertume et surtout douleur. Ils résonnent, toujours bien plus fort que les rires et les chants.
Être aussi courageux ? C’est ce que tu aimerais leur reconnaître, mais ta fierté rend cela impossible. Ces gens qui ont traversé et survécu à leurs propres tragédies, ils se relèvent aujourd’hui et surtout ils osent avouer devant le monde et surtout eux-mêmes à quel point ils ont été misérables. Tu l’as été toi aussi, tu as touché le fond tant de fois, et tu as si honte d’avoir été celle que tu étais à cette époque. Comment font­­-ils pour se regarder en face tous les matins, et surtout pour se dire qu’ils sont toujours les mêmes qu’avant ?
 
- J’aime pas entendre les gens dire qu’ils sont dépendants. 

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Mar 22 Mar - 18:43 (#)

Un silence, un souffle... À nouveau, quand tout le monde parle, ce sont les silences que l'on entend le plus. La jeune fille est visiblement ennuyée qu'on lui adresse la parole, mais Michael ne s'en offusque pas, c'est une situation fréquente quand on parle avec des adolescents qui ont tendance à considérer que personne ne peut comprendre leur situation. Cependant la jeune fille a l'air un peu trop âgée pour être adolescente. Ou peut-être le prêtre estime-t-il mal son âge. Il décide de ne pas non plus écarter l'hypothèse d'une cause extérieure. Peut-être la jeune fille a une source de contrariété récente, et du mal à s'en détacher. Ne pas conclure trop vite.

Elle ouvre la bouche pour laisser tout de même sortir quelques mots dénués de toute émotion. Michael est interdit par cette réponse, qui dit une chose et son contraire à la fois. Si la jeune fille n'a pas écouté, elle a pourtant bien retenu son prénom correctement, et ce, malgré l'erreur que le prêtre avait volontairement faite.

- Tu as au mois assez écouté pour te rappeler qu'il s'appelle Marcus et non Marius.

Si elle n'a pas écouté ce qu'a dit Marcus, elle a en commun avec lui ce réflexe de fuir du regard vers le sol, comme pour se faire disparaître entre les carrés de lino, mais contrairement à Marcus, elle reprend le dessus en affrontant son interlocuteur. Est-ce un défi ? Une posture de rebellion ? Une habitude d'avoir été trop souvent dans cette situation ? Ou une affirmation de soi dans la volonté de ne pas être Marcus ? Michael ne peut rien en conclure, si ce n'est qu'il a la sensation d'un flux et reflux, de désirs contradictoires, d'une personne qui ne dit pas tout ce qu'elle pense, et ne pense probablement pas tout ce qu'elle dit.

Michael vient se mettre à côté d'elle et s'accroupit, tourné maintenant lui aussi vers le buffet, où le reste du groupe commence à s'étioller. Plus besoin de soutenir mutuellement leurs regards, pas de confrontation, le prêtre considère que la discussion sera plus simple comme ça, tels deux inconnus assis sur un banc public qui regardent passer les promeneurs.

- Je n'ai pas compris son histoire de cette façon. De mon point de vue, Marcus a plutôt dit qu'il n'était plus dépendant. J'ai plutôt entendu un message réjouissant. Selon toi, il nous confiait sa propre dépendance ?

Michael écoute la jeune fille répondre. Il est curieux de comprendre ce qu'elle peut ressentir et entendre, même si elle prétend ne pas avoir écouté, et parle avec la froideur de ceux qui ne peuvent pas non plus ressentir quoi que ce soit.

- Donc tu es venue faire du bénévolat pour un groupe de parole sur l'alcoolisme dans l'objectif de ne pas entendre des gens dire qu'ils sont dépendants ? Avoue que c'est intrigant.

Sa voix se veut douce, légère. C'est un trait d'humour qu'il fait, et non un reproche sur l'absurdité potentielle de la situation, mais rien ne garantit qu'elle le prendra comme tel. Il se sait marcher en territoire inconnu, et un faux pas pourrait mettre fin à cet échange.

- Qu'est-ce qui t'a donné envie de venir ici ce soir ? Je suis sûr que les personnes de ton âge ont une liste interminable de choses plus amusantes qu'elles pourraient faire pendant ce temps.

Michael ne peut s'empêcher de repenser à qui il était au même âge. Non, il n'avait pas de choses plus amusantes à faire. Entre sa thèse et sa formation au sein de l'ordre, il n'avait ni le temps d'arpenter les bars, ni celui de s'inviter chez une fraternité, ni celui d'aller au cinéma, ni l'envie de chercher la personne avec laquelle il pourrait projeter sa vie ou sa nuit. Il se risque une phrase à voix basse, un peu plus sérieuse, un peu plus hésitante.

- Quelqu'un t'a forcée ? Si c'est le cas, on peut trouver un arrangement. Je ne crois pas que le service mérite qu'on le fasse à contrecœur. L'envie doit venir de là.

Il montre son propre cœur, le sentant ponctuer son geste d'un battement. Il se perd dans l'idée de ce cœur qui bât et battra jusqu'à la fin, juste parce que c'est sa raison d'être. Et la raison d'être de l'être humain, c'est d'éprouver la joie. Pourquoi aucune joie dans cette jeune fille ? Qu'est-ce qui a pu la vider de sa raison d'être ? Entre le désir d'aider, et celui de respecter son libre arbitre, Michael se perd. C'est toujours une situation délicate. Sommes-nous en droit de faire le bien d'autrui contre son gré ? Est-ce que ce n'est pas ce que pense faire tout dictateur ? L'enfer est pavé de bonnes intentions.
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Jeu 24 Mar - 11:12 (#)



Come as you are
Mansfield, hiver 2021
ft. Michael Adamson


M
arcus, Marius, quelle différence est-ce que ça peut faire ? Que tu connaisses son prénom correctement ou non, est-ce que ça changerait quelque chose à son histoire ou à la manière dont elle ne t’atteint pas ? Bien sûr que si, il raconte qu’il est dépendant. L’entièreté de leur programme leur fait répéter encore et encore, jour après jour, réunion après réunion. On est ici parce qu’on cherche la force de lutter contre cette dépendance qui nous consume car elle ne nous quittera jamais. C’est ça qu’on bourre dans le crâne de ces gens. On leur rappelle sans cesse qu’ils ne sont pas normaux, qu’ils ne valent pas autant que ceux qui nous regardent de haut lorsqu’ils apprennent que la vie a déjà réussi à nous terrasser. Tu n’as qu’une seule envie pour tous ces gens, c’est de leur infliger tout ce que tu as subit pour en arriver là pour les voir à leur tour se tordre de douleur à tes pieds. Pour enfin pouvoir les regarder de haut.

 
Au final, il questionne les raisons de ta présence ici. Il n’avait qu’à le dire tout de suite, tu aurais pu lui répondre directement que ça ne le regardait pas. As-tu vraiment besoin d’une raison pour être ici ? A-t-il besoin d’une raison, lui ?
Fatiguée, tu te frottes les yeux pendant que le prêtre prend place à côté de toi. Ces derniers temps, tu ne dors pas beaucoup et tu aurais vraiment besoin d’une nuit entière pour ne plus être aussi à fleur de peau. Tu avais enfin réussi à te débarrasser de cette boule au ventre qui t’avait accompagnée pendant deux décennies, mais depuis que tu sais qu’Elle est de retour, elle ne te quitte plus. Tu es terrifiée à l’idée de la revoir, et peu importe à qui tu en parles, ce sentiment n’arrive pas à quitter les faubourgs de ton esprit, jetant sur lui un voile sombre et menaçant dès qu’il n’a plus de quoi s’occuper. Tu ne caches même pas les cernes soulignant profondément d’améthyste tes yeux de jade.
Tu ne regardes pas le Père lorsqu’il s’accroupit à côté de toi, préférant de loin fixer le vague qu’un visage encore inconnu. Cependant, tu détournes les yeux en sa direction lorsqu’il te demande avec plus de gravité si tu es ici de ton plein gré. Tu sais que ça n’était pas son intention, mais tu ressens un élan de vexation à l’entendre penser que tu ne pourrais pas être maîtresse de tes propres actes. Tu le dévisages en coin un long moment avant de soupirer puis d’enfin lui répondre d’une voix monocorde.
 
- Personne me force à être là.
 
Cette réponse risque de ne pas lui suffire, et tu préfères couper court à sa curiosité en lui donnant un os à mâchouiller. Tu prends néanmoins une paire de seconde supplémentaire pour choisir tes mots.
 
- J’ai promis à quelqu’un que je le ferai, c’est mon propre choix.
 
Tes iris clairs se détachent de ceux du prêtre pour aller trouver avec lassitude la petite foule qui s’est rassemblée autour du buffet que tu as installé. Tout le monde est là, un verre en carton dans un main et une viennoiserie dans l’autre. Ils s’adressent tous des sourires timides, tristes, désolés. Chacun d’entre eux sait par quoi est passé son voisin et ils se félicitent tous les uns et les autres d’être encore en vie aujourd’hui.
Tu aimerais qu’on te félicite toi aussi, qu’on observe chacun de tes accomplissements et qu’on te dise « bravo, c’est très bien Heidi, tu peux être fière de toi ». Tu jalouses profondément ces gens qui acceptent leurs faiblesses et qui savent, ou au moins apprennent à vivre avec en se satisfaisant de leurs efforts. Mais ça n’est pas compatible avec la voie que tu as choisie ; celle de la fierté absolue, celle de l’autosuffisance et du refus de toute faiblesse. Tu es forte et tu n’as besoin de personne pour l’être, mais c’est un choix qui blesse en permanence.
Quelque chose dans ta posture, ou peut-être dans ton intonation laisse croire que tu as encore des choses à dire. Pourtant, rien de plus ne sort de ta bouche. Tes traits sont froids, mais on pourrait presque y deviner ton chagrin tandis que tu te laisses glisser un peu plus contre le dossier de ta chaise et que tu décroises les bras pour fourrer tes mains dans tes poches lentement.
 
- Qu’est-ce que vous auriez fait vous, à mon âge, si vous aviez eu l’impression de vous noyer pendant toute votre vie ?
 
La question est lancée sur un ton neutre, désabusé, et surtout sans agressivité. Tu fixes toujours le petit groupe d’anonymes depuis ton coin de la pièce. Tu rajoutes cependant quelques mots rapidement, anticipant déjà la réponse bateau d’un prêtre à la recherche de brebis égarées à convertir.
 
- Et je vous en supplie, me parlez pas de Dieu.

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Jeu 24 Mar - 15:31 (#)

Personne et pourtant quelqu'un. Cette jeune fille reste bien mystérieuse. Une personne lui a donc demandé de venir aider, et pourtant, elle ne le fait pas de gaité de cœur. La question du choix est alors bien plus complexe qu'il n'y paraît. Est-ce que le choix est celui d'aider le groupe de parole ou est-ce que le choix est celui de satisfaire les désirs de cette autre personne ? Si l'effet réel est bien le même, l'intention est radicalement différente, et aux yeux de Dieu, c'est ce qui est dans nos cœurs qui est important, pas ce qui est dans nos mains. Faire le bien sans en avoir eu le désir ne nourrit pas l'âme, il garantit juste un meilleur ordre social. C'est d'ailleurs bien à ce niveau que l'on peut comprendre la distinction entre la justice humaine et la justice divine. La justice divine a une approche morale, elle cherche à faire ce qui est bien, ce qui élève l'âme, alors que la justice humaine a une approche pragmatique, elle cherche à maintenir l'ordre social, à démotiver les comportements qui lui sont délétères et à motiver ceux qui le garantissent. Michael en conclut donc, peut-être trop rapidement, même, que la jeune fille a une vision conséquentialiste de son acte, et non morale. Elle ne rend pas service pour se satisfaire de l'avoir fait, mais pour atteindre un objectif, au mieux purement émotionnel, ou pire, froid et calculé.

Ne sachant pas quoi répondre dans l'immédiat, il laisse passer quelques secondes, et détecte du coin de l'oeil les mouvements peut-être de malaise, peut-être d'impatience, que la jeune fille effectue sur sa chaise. Il pourrait reprendre la parole, animer la discussion, mais préfère de loin la laisser goûter à son propre poison : le silence.

Quand elle rouvre la bouche, Michael a le sentiment qu'elle ne reprend pas la discussion là où elle en était, comme s'il manquait une page à ce livre. A-t-elle pensé quelque chose qu'elle ne veut pas dire ? Il vient poser un pied à plat, dans une position asymétrique, pour reposer un peu ses cuisses et éviter une crampe qui pourrait tout à fait intervenir s'il restait trop longtemps accroupi. Quel ridicule incongru s'il venait à crier et sautiller pendant une discussion jusqu'alors plutôt sombre et sérieuse.

- Interdire à un prêtre de parler de Dieu, c'est un sacré handicap que tu m'imposes, là. C'est encore plus cruel que de prendre son téléphone à un ado...

Lui-même à son âge, et sans parler de Dieu, il ne resterait plus grand chose à dire. Il ne peut pas lui raconter qu'il passait des heures à s'entraîner au combat, à apprendre la théorie magique, à tisser des charmes et des sortilèges, à décortiquer des rapports d'affrontement entre des membres de l'ordre et des arcanistes pour en tirer des leçons stratégiques, et à se flageller pour avoir désiré faire autre chose que tout ça, parfois, de rare fois, du moins souhaitait-il s'en convaincre.

- Quand on se noie, les deux choses les plus importantes, c'est tenter de saisir une bouée, et alerter de sa présence. Si je laisse de côté la métaphore pour abstraire une réponse qui ne parle pas de Dieu, je dirais qu'il y a deux façons de réagir à une situation de détresse. soit on cherche un responsable, soit on cherche de l'aide. Chercher un responsable, à mon avis, c'est une très mauvaise solution, ça n'apporte que de la rancœur et de l'amertume, ça nous force à nous fermer pour nous protéger, ou pire, pour protéger les autres de nous-mêmes. Chercher de l'aide, en revanche, ça nous ouvre aux autres, ça nous permet de rechercher des solutions et du soutien. La tristesse n'est pas là pour torturer gratuitement l'être humain, elle a une fonction, elle permet de transmettre notre mal-être à nos semblables pour qu'ils puissent nous aider. Garder sa tristesse pour soi, c'est comme écrire un SMS à un ami mais se l'envoyer à soi-même à la place.

Sa réponse était générique, et pour ainsi dire, un peu à côté de la question. Il voulait bien jouer le jeu, mais il avait besoin de réfléchir, et cette petite parenthèse théorique lui avait donné les secondes nécessaire pour penser sa réponse.

- Quant-à moi. Si à ton âge j'avais eu l'impression de me noyer pendant toute ma vie, j'aurais cherché à en parler aux personnes les plus proches de moi, ou aux personnes les plus éloignées. Dans un cas comme dans l'autre, je pense que ça m'aurait fait du bien. Je présume que cette sensation de noyade est accompagnée d'une sensation de se débattre sans espoir de s'en sortir. Je me trompe ? C'est dommage que tu n'aies pas écouté le groupe de parole, car c'était exactement le sujet.

Il laisse passer quelques secondes pour reprendre sa respiration, regarder quelques instants le buffet qui se vide, changer de pied d'appui, et reprendre.

- Tu m'as interdit Dieu, mais tu ne m'as pas interdit Spinoza. Il disait que le désir est la seule force motrice de l'être humain. Pour avoir de l'espoir, il faut avoir des désirs. L'un ne va pas sans l'autre. Toute décision, tout refus, tout choix, toute action, tout est motivé par un désir, ou démotivé par un autre désir plus grand. La question est donc : qu'est-ce que tu désires réellement, au fond de toi ?

À ces derniers mots, Michael s'était tourné vers la jeune fille, la fixant droit dans ses yeux d'un vert de jade, et avait montré du doigt son cœur à elle, cette fois-ci.
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Ven 25 Mar - 12:57 (#)



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Mansfield, hiver 2021
ft. Michael Adamson


C
’est la deuxième fois que le prête tente de faire de l’humour. Malheureusement pour lui, il essuie un deuxième échec cuisant. Tu ne ris pas, et tu ne souris qu’avec ceux que tu aimes. Il y a quelques années, si ce n’est quelque mois, tu ne riais et ne souriais pas, tout simplement. Ni toute seule, ni en public ; il était impossible d’effacer de ton visage ta mine triste et furieuse à la fois. Pas de masque : tu n’avais rien à perdre à afficher tes émotions telles qu’elles étaient. Mais aujourd’hui les choses sont différentes. Il y a deux âmes que à qui tu accordes une valeur inestimable, et c’est un détail qui bouleverse tout ton univers de cynisme et de haine féroce.

Seulement, les ruines sont tenaces, d’autant plus lorsque les changements en question sont aussi récents. Tu n’éprouves toujours pas la moindre sympathie pour autrui, et particulièrement pas pour l’homme qui se tient baissé à côté de toi. Tu ne le trouves pas plus désagréable qu’un autre, mais son envie manifeste de t’aider sans même te connaître t’agace. Et la manière dont il s’y prend, les mots qu’il utilise, son refrain suintant de bienveillance, encore plus.
 
En vérité, le Père arrive quinze ans trop tard. C’est un sermon que la petite fille turbulente et agitée que tu étais aurait eu grand besoin d’entendre à une époque où elle ne connaissait rien d’autre que le rejet. Mon Père, il aurait fallu être là quand ce besoin pathologique d’attention et d’amour ne s’était pas encore mu en haine absurde et aveugle. Alors peut-être la petite Heidi aurait trouvé dans ces mots assez de réconfort et d’équilibre pour ne pas finir une décennie et demie plus tard dans cette situation.
Aujourd’hui, lorsqu’il te parle d’appels à l’aide, de cris de détresse, tu repenses à tous ceux que tu as émis et qui n’ont jamais trouvé d’écho. Tes sourcils se froncent subtilement et les muscles de ton cou se contractent un moment ; tu tentes muettement de dissiper toute la colère que ses mots provoquent. Spinoza a tort : la haine est également un moteur très efficace.
 
Une sensation de se débattre sans espoir de s’en sortir ? Est-ce que tu ressens ça ? Tu l’as déjà ressenti, c’est une certitude, mais est-ce toujours le cas ? A-t-il déjà été à ta place pour te parler de cette manière ?
Tu n’es pas comme ces gens ; eux avaient quelque chose avant de sombrer. Eux ont déjà connu le soleil à la surface, la sérénité des vagues sous un ciel bleu et sans nuage, le parfum rassurant de l’iode flottant indifférent dans l’air. Toi, on t’a jetée dans l’eau dès que tu as su parler en exigeant que tu apprennes à nager par tes propres moyens. Aujourd’hui, la tempête commence seulement à se calmer et la vérité c’est que tu as peur de sortir la tête hors de l’eau car tu ne sais pas ce que tu y trouveras.
 
Tu laisses encore un long moment s’écouler avant de répondre au prêtre. Le regard et la moue qui sont apparus sur ton visage ne font aucun doute quant à la nature des souvenirs qu’il a invoqué. Tu ne le regardes pas, ça ne sert à rien. Tu préfères autant qu’il ne voie pas dans tes yeux toutes les bouteilles que tu as jetées à la mer sans qu’aucune ne te revienne. Et puis, tu réponds, avec la même nonchalance que précédemment. Tu n’as pas envie de laisser cette conversation t’atteindre, c’est une sorte de barricade d’indifférence que tu t’efforces de dresser pour ne pâtir que de ce que tu auras décidé.
 
- Si je vous disais vraiment ce que je veux…

Tu lâches un discret ricanement jaune, instantanément noyé dans l’absurdité de ce qu’il se passe dans ton esprit. Il appellerait peut-être la police, ou un hôpital. Tu veux voir tous ceux qui un jour ont refusé de te tendre la main souffrir à leur tour. Tu veux voir naître un monde dans lequel tu aurais le pouvoir de leur faire regretter leurs actes. Tu soupires, et tu baisses un peu les yeux.
 
- Je veux arrêter d’avoir mal. Je veux arrêter d’être en colère.
 
A nouveau, le silence relatif de la salle commune vous enveloppe. Les âmes hantant le buffet commencent à s’en aller, chacune leur tour, lentement, et tu fermes les yeux encore un court moment.
 
- Je veux arrêter de croire qu’il y a une raison à ma douleur et tuer ce putain d’espoir qu’un jour elle s’en ira.
 
Tu serres les dents, mais ta voix reste froide, monotone. Tu ne sais pas pourquoi tu te confies à cet inconnu, ni pourquoi lui-même t’écoute. 

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Lun 4 Avr - 21:40 (#)

(Je ne sais pas trop pourquoi, mais lire ta réponse m'a rappelé cette musique)

Si chaque seconde de silence dans cette discussion avait rapporté 1 dollar au mendiant en bas de la rue, il pourrait se payer un excellent restaurant, ce soir. Encore une fois, Michael préfère laisser Heidi prendre son temps, quitte à attendre, plutôt que de meubler maladroitement, trahissant le malaise qui s'intallait de plus en plus entre eux.

À nouveau la jeune fille dévoile pour mieux cacher. Elle ne dit pas ce qu'elle veut, mais elle suggère que c'est une chose qui ne peut pas être entendue. Ce type de propos peut laisser son interlocuteur imaginer tout un tas de choses. Mais Michael a déjà reçu de nombreuses fois les confessions de jeunes personnes perdues dans un monde qui a trop changé pour eux. Comme si le bouleversement des nouvelles technologies, de la rupture de la barrière entre le privé et le public qu'elles ont entrainée, du culte de l'apparence plus que de l'être ou de l'acte, la révélation a été un coup de plus dans la fragile confiance que cette génération pouvait avoir en ses prédécesseurs. Si les générations avant moi n'ont pas vu ni vécu le surnaturel, comment peuvent-elles comprendre ce que je vis, et que peuvent-elles encore ignorer d'autre, tout en me faisant la morale ?

Le prêtre aimerait lui dire que tout le monde n'a pas attendu la révélation pour connaître ce monde de l'ombre, et qu'elle peut lui parler ouvertement. Mais il n'en a pas le droit, pour la cause de l'Ordre. Il accepte donc que cette jeune fille l'imagine probablement comme une chose antique et dépassée, incapable de comprendre quoi que ce soit du monde contemporain. Et pourtant... Il avait certainement affronté le surnaturel avant qu'elle ne soit capable d'écrire son prénom.

- Je ne sais pas si tu mesures la portée de tes paroles. Ne plus ressentir ni la douleur ni la colère, ce n'est pas le bonheur, c'est la mort. Les émotions portent bien leur nom, c'est ce qui bouge en nous. Ne plus avoir d'émotion, c'est être une coquille vide. Même la colère ou la douleur peuvent être génératrices de désirs. Peut-être le désir de se révolter, ou celui de fuir, mais un désir tout de même qui nous met en mouvement. Sans ces émotions, nous ne serions pas plus vivants qu'une pierre sur le bas-côté.

Le prêtre se risque à regarder furtivement le visage de la jeune fille pour y déceler la moindre expression qui le contredira, qu'elle n'a cherché que la provocation, car désormais, il n'est plus curieux, il est inquiet, bien plus inquiet que quand Marcus exprimait sa peur de craquer devant la bouteille. Marcus cherche à communiquer, à s'exprimer, à partager, à changer. Mais la jeune fille discrète au fond de la salle, elle, ne cherche qu'à disparaître dans ses ténèbres. Elle ne fera clairement pas une recrue pour l'Ordre dans l'immédiat, ça, il en est sûr, mais elle risque de ne pas non plus rester vivante longtemps en portant un tel fardeau.

Dans sa tête, il entend son sermon monter tout seul. Il devrait lui rappeler que Jésus l'aime, qu'elle peut trouver du soutien au sein de l'église, et par la foi, que Dieu n'abandonne pas ses brebis, mais en considérant leurs échanges jusqu'à présent, il lui semble clair que ces mots ne feraient que renforcer le mur dont elle s'est entourée.

- Une raison... Il y a forcément une cause, mais je ne sais pas si c'est ce que tu entends par "raison". Si c'est de finalité que tu parles, je ne pense pas qu'il y en ait une. La douleur est là parce qu'elle te permet de t'ouvrir et de communiquer ta détresse. Elle a une fonction, mais pas un but en elle-même. C'est nous qui reconnaissons une finalité aux choses, parce qu'on les crée ou les manipule avec une volonté et une intention. Si tu veux tuer l'espoir qu'elle s'en ira, est-ce que tu souhaites qu'elle n'ait pas de fin ? Est-ce que ça serait plus simple pour toi de te dire que ta souffrance ne te quittera jamais ? J'ai du mal à le croire. L'espoir est là pour que l'on arrive à endurer et à avancer. Est-ce que c'est la résignation que tu cherches ?

Si l'espoir fait vivre, est-ce que l'absence d'espoir tue ? Michael trace une liste mentale des solutions possibles : raisonner la jeune fille, prévenir une association qu'elle risque de passer à l'acte, chercher si elle a des proches joignables, procéder à un internement à la demande d'un tier. Et pourtant, aucune de ces solutions ne le satisfait. Non, il veut que la solution passe par elle, qu'elle soit actrice de son bien être. Nous sommes en Amérique, le pays de la liberté, pas celui de la bonne intention contre son gré.

- Est-ce que tu as des personnes proches à qui te peux en parler ? Si tu veux, je peux te recevoir au confessionnal pour que tu puisses parler un peu plus. Ou si tu préfères, je peux aussi trouver des spécialistes qui sauront t'écouter et t'aiguiller pour résoudre cette situation.

Alors que le buffet est presque vide, et que la salle ne tarde pas à se retrouver dans le même état que lui, Michael se relève.

- Est-ce que je peux au moins te raccompagner chez toi ? Je serai plus rassurer de te savoir à l'abri plutôt que dans la rue.

Il met les mains dans les poches et attend quelques instants pour hésiter, puis poursuivre.

- Est-ce que je peux te demander ce qui te fait souffrir ?
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Jeu 7 Avr - 17:48 (#)



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Mansfield, hiver 2021
ft. Michael Adamson


O
h que si, tu mesures la portée de tes paroles. Et quand bien même, elles n’engagent que toi. Ce n’est que ta propre vie que tu menaces avec un calme défiant les plus grands prix Nobel de la paix. Sans sourciller, tu écoutes ce père que tu n’as jamais eu définir et disserter comme si l’on avait laissé un professeur de philosophie allumé après la fin de son cours, sautant sur la moindre occasion pour tirer des conclusions métaphysiques à tes propos aussi contradictoires que chargés de nihilisme. Il a peut-être du mal à comprendre que tu as eu tout le temps nécessaire et bien plus encore pour toi aussi tirer tes propres conclusions des idées rôdant dans ton esprit comme autant de petits êtres familiers avec qui tu as appris à dialoguer. La dernière image de son début de tirade t’arrache un sourire amusé dissonant complètement avec toute l’atmosphère que tu as toi-même contribué à poser à l’échelle de ton petit coin de pièce.

Qu’y a-t-il de mal à être une pierre sur le bas-côté ? Tu en es persuadée : tu serais la pierre la plus heureuse du monde.
 
Et le voilà qui tente de t’expliquer ta douleur. Tout ce que tu entends est un aveu d’impuissance en forme de sermon dont il ne doit même pas se douter d’à quel point il est méprisant. Voilà maintenant vingt-cinq ans que tu abrites les sentiments dont tu lui parles, tu as eu tant de temps pour le comprendre et les connaître ; tu sais très exactement de quoi ils naissent et de quoi ils se nourrissent pour grandir.
D’ailleurs, c’est dans les instants où tu devrais prendre les choses trop à cœur, comme en ce moment, qu’une fausse désinvolture prend le dessus sur ton attitude. Quand les deux seuls choix qui s’offrent à toi sont de hurler et vider tes poumons en espérant vainement que le colère suive, ou faire semblant de ne plus la voir, seule un des deux est socialement acceptable. Non pas que tu t’en soucies, mais maintenant que tu aspires à changer, tu devrais.
Le contraste est flagrant : tout ton corps jusque-là crispé à l’extrême se détend, laissant seulement quelques nœuds dans tes épaules. Ta voix jusque là sans éclat se berce alors de quelques notes sarcastiques et moqueuses.
 
- Hors de question, non, je rentre chez moi toute seule.
 
Ton regard trouve le sien un instant pour bien lui faire comprendre que malgré le ton léger, les propos étaient on ne peut plus sincères.
 
- J’ai vraiment l’air d’une clocharde pour qu’on pense que je dors dans la rue ?
 
Que tu dors encore dans la rue. Ça t’est arrivé, peut-être un ou deux fois, il y a de ça de très longues années, et jamais pour très longtemps. Fins de soirées tardives et ivresses traitresses, tu as déjà trouvé quelques heures de repos sur un banc public avant de rentrer chez toi une fois réveillée par les rayons brûlants du soleil de Louisiane.
Tu soupires, en espérant qu’il ne répondra pas à ta dernière question, tandis que tu t’interroges une dernière fois pour savoir si toi tu vas répondre à la sienne. Singeant à moitié inconsciemment la posture de ton interlocuteur, tu plonges les mains au fond des poches de ton ample pantalon. Comme à chaque fois, il passe quelques secondes de silence avant que tu ne reprennes la parole. La parole n’est pas un don facile à maitriser, et même si tu le voulais tu serais incapable de lui offrir une phrase intelligible en moins de temps que cela.
Le ton est toujours désabusé et moqueur, mais le fond de tes paroles est peut-être l’aveu le plus triste que tu feras de la soirée. Malgré toute cette façade que tu t’efforces à ériger et à rendre la plus crédible possible, tu n’arrives pas à te résoudre à le regarder dans les yeux cette fois. Tout comme les anonymes qui se livraient il y a quelques dizaines de minutes au milieu de la salle, c’est à ton tour de cacher ton regard de peur que l’on y lise toute la profondeur de tes mots.
 
- J’ai eu vingt-cinq ans il y a quelques mois, vous savez. Et en vingt-cinq ans, j’ai jamais su ce que ça fait, d’être aimée. Je suis jalouse, tellement jalouse, à chaque instant que votre dieu fait.
 
Un grand sourire plein d’amertume s’échoue tristement sur ton visage tandis que tu hausses les épaules. Même avec tes deux rencontres charnières, tu ne peux pas dire qu’elles t’aiment comme toi tu les aimes. Ou en tous cas tu en doutes sincèrement. Elinor t’estime peut-être, elle apprécie peut-être ta compagnie mais elle ne t’aime pas. Anaïs passe peut-être quelques bons moments avec toi, mais elle ne t’aime pas. Toi-même, tu ne t’aimes pas.
 
- Et je vous en supplie, me dites pas que Jésus m’aime. S’il m’aimait, il m’aurait pas laissée grandir dans la haine, l’indifférence et le dégoût. Même ces parents qui m’ont dit droit dans les yeux qu’ils auraient souhaité ne jamais m’avoir étaient aimés. Même ces gosses qui me tiraient les cheveux en m’insultant étaient aimés. Mais moi je suis née sans, y’a peut-être quelque chose ou quelqu’un qui a décidé quand j’ai poussé mon premier cri que je ne le méritais pas. Qu’est-ce que j’en sais, après tout ? Ça me ferait du bien, de le savoir, je crois. Qu’on me le dise enfin en face.
 
Ton large sourire se désagrège lentement pour ne laisser qu’une léger rictus pensif, presque soulagé.
 
- Vous croyez que vous pourriez me le dire, vous ? Vous me regardez dans les yeux, et vous me dites « Heidi, tu n’es pas née pour être aimée, mais ça n’est pas grave ». Ca me ferait vraiment du bien.
 
 

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Lun 11 Avr - 20:48 (#)

Michael change soudainement d'expression en entendant les mots d'Heidi. Il était loin d'imaginer que ses propos pouvaient être interprétés comme le sous-entendu qu'elle avait l'apparence de quelqu'un qui dort dans la rue. De son point, il pensait surtout qu'entre ici et chez elle, il y avait une rue dangereuse. Il efface rapidement la confusion qui s'affichait sur son visage.

- Je n'ai...

Mais quelque chose l'arrête, cette incompréhension cache autre chose. Pourquoi de toutes les interprétations possibles Heidi n'a conservé que la plus dégradante pour sa personne ? C'est à ce moment qu'il comprend l'étendu des dégâts. Privilégier l'hypothèse que l'on est une victime du comportement ou des mots d'autrui, c'est avant tout un réflexe d'une personne qui se perçoit déjà comme une victime. Michael en vient à conclure que la jeune fille n'a pas encore tout dit sur elle-même, quand bien même elle enchaîne par un déferlement de malheurs à en faire pâlir le marquis de Sade.

- Tu as décidé de me retirer toutes mes armes, ce soir ? Interdiction de parler de Dieu, interdiction de rappeler que Jésus t'aime. Est-ce que tu vas finir par m'interdire le col blanc ? Je devrais moi aussi t'imposer des interdictions, pour respecter une forme de réciprocité dans notre échange.

Mais cette petite parenthèse sur Jésus n'est qu'une diversion pendant que ses pensées d'organisent dans son esprit. Heidi a une vision d'un Dieu responsable de tout car omnipotent. C'est une position que Michael a déjà entendu de nombreuses fois, et probablement que tout un chacun passe par une phase similaire. Si Dieu peut tout faire et nous aime, pourquoi nous autorise-t-il à souffrir ?

- Tu aurais vraiment envie d'un Dieu dictateur qui nous impose tous nos actes au quotidien afin de s'assurer que chacun soit à l'abri de la souffrance ? Quelle place resterait-il à notre propre existence sans notre faculté de réflexion et de décision ? Nous ne serions que des membres de Dieu. Et nous ne serions probablement pas conscients. Dieu ne peut pas être tenu responsable des erreurs des êtres humains, car l'alternative à cette réalité est bien plus effrayante. Un parent digne de ce nom n'enferme pas son enfant dans une chambre capitonnée avec une camisole de force pour être sûr qu'il ne souffre jamais. C'est de la maltraitance. Dieu lui-même ne peut pas nous contraindre à ne faire que sa volonté, et la joie est justement de trouver nous-mêmes ce qui est juste et d'en ressentir de la satisfaction, pas parce qu'on l'a fait, mais parce qu'on l'a voulu.

Le prêtre marque un petit temps d'arrêt. Il sait que ses prochains mots ne vont pas plaire, et ne vont pas être agréables à entendre. Mais il n'est pas là pour conforter Heidi dans sa position d'autodénigrement, il veut lui montrer une autre perspective. Il se rappelle de sa propre enfance, la cilice qui lui brûlait la peau, les coups de règle quand il avait l'impudence d'outrepasser sa position d'enfant soumis, les heures à expier ses fautes, par la prière, par le supplice, mais jamais il ne s'était posé la question d'être ou non aimé. À ses yeux, c'était la seule alternative qu'il connaissait. Abandonné à un orphelinat, il avait vite compris que même ses parents ne voulaient pas de lui, et que c'était à lui de se faire une place, et se contraindre et se meurtrir pour rentrer dans le seul cadre qui s'offrait à lui. Il ne s'était pas non plus senti haï par ses précepteurs. Ses précepteurs le frappaient parce qu'il le fallait. Lui-même l'acceptait aussi parce qu'il le fallait, parce que c'était dans l'ordre des choses.

Il comprend qu'une grande différence entre Heidi est lui réside dans le fait qu'il n'avait pas d'autres modèles. Heidi pouvait voir d'autres enfants vivre d'autres vies, et s'émanciper contre sa propre situation, en ressentir une anormalité. Lui n'avait pas cette distraction. Les seuls autres enfants qu'il croisait était ses semblables, ni mieux ni moins bien traités. Il chasse ces souvenirs pour se recentrer sur le présent.

- Je ne peux pas te dire ça, Heidi, car je n'ai pas la connaissance qui va derrière ces mots. Quelle valeur auront-ils si je mens ? Tout ce que je peux te dire, c'est que la joie, ce n'est pas d'être aimé, c'est d'aimer, et de voir le résultat du bien que l'on fait autour de soi. Ca, c'est une chose que je peux dire sans mentir, car c'est ce que mes 42 ans de vie de dévotion m'ont appris quotidiennement. Peut-être que la vie ne te permettra pas d'être aimée, peut-être qu'elle te le permettra, mais ce n'est pas important. Ce qui est important, c'est si toi, tu vas t'autoriser à aimer, ou si tu vas te murer, à l'abri de tout risque de souffrir, et de tout risque d'être heureuse aussi.

Sans avoir vu les choses se passer, Michael réalise que la salle est désormais vide, tout comme les boîtes de donuts sur la table. Il ne reste que quelques miettes dans un coin, des miettes auxquelles personne n'a vraiment fait attention, qui sont restées entre elles, dans leur petit coin d'ombre, probablement à parler de la raison pour laquelle elle n'ont pas été mangées.
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Jeu 14 Avr - 16:21 (#)



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ft. Michael Adamson


L
e prêtre hasarde un nouveau trait d’humour, et tout comme le précédent il échoue. Tu as beau afficher à cet instant un sourire nonchalant, tu n’as absolument pas envie de rire. A vrai dire, tu détestes qu’il ne prenne pas ce que tu lui dis au sérieux. Si tu avais eu envie de rire avec lui, tu lui aurais raconté une blague, pas la misère qui pèse sur ton cœur.
Ce n’est pas un combat, il n’a pas besoin d’armes, et elles ont encore moins besoin d’être réciproques. Cette discussion n’est pas une croisade qu’il peut mener pour ouvrir les portes de ton âme à Jésus Christ. Tout ce qu’il fait en utilisant cette métaphore, c’est au contraire te rendre encore plus hermétique à ses propos, comme peut le montrer la mine sombre qui remplace bientôt ton masque de fausse légèreté. Le dialogue tourne en rond et tu finis par perdre le moindre espoir qu’elle puisse t’apporter le moindre bien ou le moindre réconfort.

Or, la suite de son discours se rend bien pire que son amorce maladroite. Le quarantenaire enchaîne les questions se voulant rhétoriques et les parallèles outrageux qui éliment ta patience comme autant de coups de pioche contre un mur déjà délabré. S’il voulait savoir ce qui se trouve derrière, félicitations à lui, il ne va pas tarder à le savoir ; sinon, ce sera bien fait, personne ne pourra te reprocher de ne pas lui avoir accordé toute la bonne foi dont tu es capable. Alors voilà, en maintenant délibérément tes barricades baissées tu en subis les conséquences : ses mots t’atteignent personnellement au lieu de simplement ricocher contre ton armure de sarcasme et de mépris. Tu laisses chaque mot qu’il prononce s’adresser à la gamine esseulée que tu es et attiser sa colère sans pouvoir rien y faire si ce n’est la regarder trembler tout au fond de toi.

Pour une raison qui t’est inconnue, tu es restée assise à côté de lui jusqu’à ce qu’il conclue sa réponse. Or, dès que sa tirade a trouvé un point d’orgue, tu n’es levée et es partie en direction du buffet maintenant vide et abandonné. Ton regard est devenu sombre, hargneux, un orage prêt à éclater en un clin d’œil. Pour toi-même, tu marmonnes en fermant les yeux, dos au col blanc, tout en essayant coûte que coûte aux exercices de respiration que tu as appris en thérapie.

- Un parent digne de ce nom…

Peut-être l’a-t-il fait exprès ? Peut-être Dieu a-t-il placé son toutou sur le chemin de la brebis galeuse pour évaluer ses progrès ? Alors félicitations, Dieu, tu as réussi à la faire céder.
Ta main attrape un gobelet en carton vide et légèrement imbibé de café froid et l’écrase entre ses doigts pour assouvir la pulsion de violence croissante qui lui parvient depuis le reste de ton corps crispé à l’extrême. Tu sens ton cœur s’accélérer tandis que tu luttes pour garder ton calme et que tu appliques de plus en plus vainement les exercices de respiration. Ta mâchoire tremble, supportant de moins en moins le poids des mots qui s’accumulent au bout de ta langue et qui ne réclament que d’enfin sortir.

Soulage-toi, Heidi. Crie, ça te fera du bien. Hurle, tu en as besoin. Plus que tout au monde, en cet instant.


Alors, le visage empourpré par une colère sourde, tu finis par enfin pousser ce cri qui te démange depuis ce qui te paraît être une éternité. Le regard rivé sur le plateau en plastique plein de miettes de la table que tu es censée nettoyer, tu te laisses aller pour la première fois depuis longtemps à un réel éclat de rage dans ce qu’elle a de plus sincère.

- Comment osez-vous me parler de maltraitance ?! Vous voulez que je vous dise ce que c’est vraiment, la maltraitance ?!

L’écho de ta voix te revient en plein visage après s’être réverbéré contre les murs indifférents du la salle. Le béton se fiche bien que tu souffres, et le prêtre l’aura sans doute oublié aussi dans une semaine.
Les yeux rougis par les larmes qui ne veulent plus sortir, lassées de toujours couler pour les mêmes raisons, tu te retournes vers lui pour planter ce regard que tu aurais voulu littéralement assassin droit dans le sien. Et tu continues à vomir toute cette haine acide qui te brûle l'estomac, aussi fort que tu le peux, jusqu’à en manquer d’air.

- La maltraitance, c’est répéter à sa fille tous les jours où on veut bien lui adresser la parole qu’elle n’a jamais fait autre chose que décevoir ! La maltraitance, c’est dire à sa fille qu’elle l’a sans doute bien mérité si elle se faisait frapper et insulter à l’école ! La maltraitance c’est de ne lui laisser aucune autre solution que de se saouler la gueule toute seule dans sa chambre d’internat pour oublier ses problèmes, qu’elle finisse alcoolique avant même de sortir du lycée et dix ans plus tard qu’elle doive prétendre être bénévole pour assister aux réunions de soutien parce qu’elle a tellement peur d’en parler qu’elle ne peut même pas s’y présenter !

Il y a une vive douleur, là, en plein milieu de ta poitrine. Est-ce ton cœur qui tente de se faire le plus petit possible ou bien tes poumons qui te brûlent pour avoir autant embrasé l’air autour de toi ? Quelques secondes de silence passent, et tu reprends ton souffle, immobile à quelques mètres de lui. Dans un siècle précédent, on t’aurait sans aucun doute qualifiée d’hystérique. En vérité, tu es seulement à bout de nerfs.
Ta voix s’est calmée, mais le Courroux demande plus. Toujours plus. Il est enfermé et contraint depuis si longtemps, alors il profitera de cette occasion jusqu’à la moindre lucarne qui lui sera encore ouverte.

- Et vous osez me dire qu’un parent trop protecteur maltraiterait son enfant ? Est-ce que vous avez la moindre idée de ce que j’aurais donné pour que quelqu’un me protège ? Tout ce que j’aurais donné pour qu’on prenne soin de moi ?

Et tu la sens remonter, comme le mouvement des vagues à marée haute, étreindre ta gorge et ne la relâcher que pour laisser passer plus de haine encore. Le ton monte encore, et tu finis une nouvelle fois par crier.

- Et vous osez me reprocher d’essayer de ne plus souffrir ?! Mais pour qui vous vous prenez ?! Pourquoi j’aurais envie de faire le putain de bien autour de moi, hein ?! Le monde peut pas me cracher à la gueule pendant vingt-cinq ans et attendre de moi que je sois un putain de bisounours, les choses ne fonctionnent pas comme ça !

Une nouvelle plage de silence. Seule ta respiration chaotique trouble le rien auquel tu as permis de s’installer. Ton regard furieux et inquisiteur se reporte sur la table sale. Dans ta main, le gobelet de carton innocent est complètement broyé, unique victime collatérale de l’explosion. Tu demeures muette et immobile encore quelques secondes avant de reprendre une dernière fois la parole, sur un ton d’un calme glacialement placide, presque aérien après la débâcle de violence à laquelle tu t’es laissée aller, et sans daigner lui rendre cet ultime regard.

- Maintenant dégagez de là, j’ai du travail à finir.

Il y avait dans ces derniers mots une forme de politesse, une délicatesse toute relative qui consistait à trouver un prétexte pour le jeter dehors au lieu de simplement lui dire que la prochaine étape s’il décide d’ignorer ta demande sera d’en venir aux mains, que tu gagnes ou non. Tu espères qu’il saura s’en rendre compte et apprécier cette attention.

 

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Sam 16 Avr - 22:21 (#)

La réaction d'Heidi est aux antipodes de ce que Michael avait imaginé, car il est une chose qui avait échappé au regard du prêtre jusqu'à présent, mais qui lui saute désormais aux yeux : Heidi vit dans un délire de persécution. De toute l'explication qu'il lui a donnée, elle n'a retenu qu'un seul mot : maltraitance. Par ailleurs, elle a interprété l'analogie de Dieu en tant que parent comme un propos littéral sur ses propres parents à elle. Pourtant, cette analogie est très commune, comme le confirme la prière du Notre Père. De toutes les interprétations possibles aux mots du prêtre, l'esprit de la jeune fille n'a sélectionné que celle qui la plaçait une nouvelle fois en victime. Et ses propos suivants le confirment : "Le monde ne peut pas me cracher à la gueule pendant vingt-cinq ans". Le monde ? Son esprit considère-t-il qu'à vingt-cinq ans, il peut généraliser les observations faites sur son entourage ? Son entourage est-il un échantillon représentatif de l'humanité ? Sept milliards de personnes doivent-elles payer pour les agissements de quelques dizaines ou, soyons large, centaines d'individus ?

À nouveau, du conseil sur l'ouverture au monde, Heidi ne retient que le propos sur la souffrance. Tout indique qu'elle n'entend qu'une partie des mots, ceux qui la blessent, l'insultent, lui font rejouer les scènes de son enfance. Elle se protège de la main tendue comme un enfant battu qui estime qu'on va encore le gifler.

Et encore une fois, l'échange est asymétrique. Michael ne peut pas expliquer ce que lui aurait donné pour avoir des parents, quitte à ce que ce soit eux qui le maltraitent, plutôt que les moines. En d'autres circonstances, il aurait voulu partager avec elle son propre vécu, et les similarités qu'il voit entre leurs deux vies. Mais l'ordre est plus important que ça, plus important qu'Heidi, plus important que lui-même. Il n'a pas le loisir de rentrer dans une compétition de qui a eu la pire enfance, pas là, pas avec Heidi. Qu'elle l'imagine comme un enfant gâté pourri qui n'a eu comme réel souci dans la vie que celui de pousser son premier cri, ça n'a pas d'importance.

Alors que la colère de la jeune fille devient de plus en plus palpable, presque au stade où Michael pourrait la voir se dresser comme un mur de briques entre elle et lui, il réalise qu'il devra parler de cet incident à l'organisatrice de ce groupe de parole. Si Heidi vient en tant que bénévole pour s'éviter de venir en tant que membre du groupe, c'est une situation grave. La psychologue aura d'ailleurs probablement un avis éclairé à émettre. Le fait qu'Heidi contienne une telle colère est inquiétant. Qu'est-ce qui l'empêcherait d'exploser en pleine réunion, parce qu'une parole ou un témoignage auront fissuré sa carapace au mauvais moment ? Les conséquences sur les participants et participantes seraient désastreuses. Non, plus il y pense et plus il lui semble évident qu'il faudra communiquer sur cet incident.

Michael aimerait rappeler à Heidi qu'il ne lui a fait aucun reproche, qu'il ne fait que partager un point de vue, et expliquer pourquoi il ne peut pas lui dire froidement qu'elle n'est pas née pour être aimée. Il aimerait aussi lui rappeler qu'une analogie sert d'illustration, non de démonstration, et qu'elle ne doit pas être prise au sens littéral. Il aimerait lui dire qu'à défaut d'avoir reçu une réponse cohérente avec ses propres propos, il était reconnaissant d'avoir eu le droit d'entrevoir une part du réel fond de la pensée d'Heidi. Il aurait aimé aussi, continuer la discussion sur l'importance d'aimer les autres pour sortir du cercle vicieux de persécution dans lequel elle était enfermée aujourd'hui. Il aurait pu lui conseiller une excellente psychiatre qui l'aurait aidée initialement avec un traitement antipsychotique, le temps que le travail psychologique puisse avancer. Probablement qu'Heidi n'aurait pas de suite accepté, mais elle aurait retrouvé plusieurs semaines plus tard le petit morceau de papier avec le numéro de téléphone du Docteur Acopian, réalisant alors qu'il ne serait jamais trop tard pour mettre fin aux consultations si jamais elles tournaient mal ou lui déplaisaient. Quelques mois plus tard, Michael aurait croisé Heidi par hasard dans la rue, plus souriante, discutant avec une amie en buvant un smoothie. Ils ne se seraient pas dit grand chose, auraient juste échangé quelques politesses, mais Michael aurait été heureux à cette image. Il n'aurait pas été heureux parce que fier de lui, mais il aurait été heureux parce que fier d'Heidi, de la lutte qu'elle aurait mené, et de ce formidable sauvetage de sa propre santé mentale qu'elle aurait réussi à accomplir. Il ne lui aurait parlé ni de Jésus, ni de Dieu, ni même de cette soirée sombre à parler devant un buffet de donuts. Il n'aurait pas cherché à la recruter dans l'ordre, la préférant heureuse et libre que soumise à une cause. Ils ne se seraient plus revu, et ça aurait été la meilleure fin à ses yeux.

Mais les derniers mots d'Heidi brisent cette idée comme une vulgaire flute à champagne jetée au sol. Le sourire du prêtre disparaît, et sa voix se fait plus froide, plus grave.

- Vous vous égarez, jeune personne, c'est peut-être la façon dont vous avez l'habitude de vous adresser à vos proches, mais ce n'est clairement pas une façon de vous adresser à un aîné, ni à un concitoyen, ni même à un pair*. C'est vous qui pouvez rentrer chez vous, vous êtes relevée de votre bénévolat pour ce soir.

Étant donnée la façon dont le gobelet en carton hurlait à l'aide, entre les doigts d'Heidi blanchis par leur crispation, Michael s'attendait à ce qu'elle passe à l'acte. De persécution à agression, la limite est très fine. Les muscles du prêtre se mettent instinctivement en tension, comme ils ont l'habitude de le faire juste avant le son de cloche qui marque le début de chacun de ses combats dans l'octagone.

*NDLR : Pair ? Tu as la blague ? huhuhu
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Anonymous
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Lun 18 Avr - 14:46 (#)



Come as you are
Mansfield, hiver 2021
ft. Michael Adamson


C
omment tu te sens, Heidi ? Il vaudrait mieux que la réponse soit positive, sinon tu te serais encore énervée pour rien. Oui, ça fait longtemps, et c’est très bien, mais tu ne devrais plus le faire. C’est comme ça que tu creuses le fossé qui te sépare du reste du monde. Tu ne t’en rends peut-être pas vraiment compte, mais un jour il sera si profond que personne ne pourra plus le franchir. Tu sais que ce n’est pas ce dont tu as envie, ma belle, tu sais que tu n’as plus envie d’être seule.
Au fond de ton esprit, cette voix résonne. Elle est douce, apaisante, mature, bienveillante ; c’est la voix d’un fantasme qui te colle à la peau depuis que tu as eu l’idée de l’imaginer il y a de longues années de ça. Tu rêves éveillée de la personne à qui elle pourrait appartenir : une femme magnifique aux traits élégamment soulignés par l’âge et au sourire franc et délicat. Tu l’imagines te prendre dans ses bras et te caresser les cheveux avec tendresse en te disant que tout ira bien, qu’avec elle tu es en sécurité. Tu l’entends te dire qu’elle voit tous les efforts que tu fais au quotidien pour garder la tête hors de l’eau et qu’elle est très fière de toi.
Et pourtant, elle te fait du mal cette voix, bien malgré elle, parce qu’elle n’existe qu’entre les os trop durs de ta petite tête brûlée. Tu as beau l’imaginer avec autant de ferveur que tu le peux, ton esprit n’est pas capable de te faire croire à la chaleur de cette étreinte fantasmée. Pas d’oasis lumineuse et parfumée, il n’y a que le froid de cette salle trop grande pour seulement deux personnes et l’écho de ton désir le plus farouche.

Tiraillée entre colère et amertume, tu sens ton cœur palpiter dans ta poitrine comme si tes émotions parvenaient à l’empoisonner en coulant dans tes veines. Le prêtre reprend la parole, et une nouvelle fois, il dit l’exact opposé de ce que tu aurais voulu entendre. Il a sur le visage l’air sévère de celui qui regarde une gamine mal élevée, un air que tu ne connais que trop bien et qui a le don de systématiquement te rendre plus belliqueuse encore.
Ta réponse, tu l’as déjà en tête. Les mots blessants ne mettent que très peu de temps à trouver ta conscience, ils sont devenus de véritables réflexes qui mettent en péril ta survie autant qu’ils l’assurent. Allez vous faire foutre. Vous n’êtes ni un aîné, ni un concitoyen, juste un petit trou du cul irritant qui croit être le premier à me faire la morale. Des mots sincères que tu ne regretterais absolument pas, mais qui pour une raison inconnue ne sortent pas de ta bouche tandis que tu assassines l’homme du regard en serrant la mâchoire. Sur l’épaule de la petite fille, une main maternelle se pose et lui demande avec tendresse de songer un court instant à ce qu’elle s’apprête à faire.
Comme paralysée en plein élan, tu restes figée un moment, les muscles douloureusement contractés pour lutter contre tes réflexes primaires. Quatre, peut-être cinq pas à faire pour te retrouver assez proche de lui pour lui décocher le coup qui te démange. Prenant de plus de place dans ta tête, la vision du corps vacillant du prêtre tombant à la renverse au ralenti après que son visage a rencontré ton poing. Personne ne saura jamais pour les pulsions de violence qui t’étouffent, et personne ne connaîtra jamais l’ampleur des efforts que tu mets en œuvre pour ne pas te laisser aller à tes instincts. Le père n’aura jamais la moindre idée de toute la force mobilisée ne serait-ce que pour retenir tes dernières insultes. Il ne voit qu’en toi une pauvre fille, complètement désaxée et ayant perdu pied avec la réalité depuis longtemps. Ça aussi, c’est profondément exaspérant.

Après peut-être une dizaine de secondes de lutte autant physique que morale contre toi-même, c’est le fantasme de cette mère aimante qui finit par l’emporter. Sans répondre le moindre mot, tu te retournes vers la table encore en désordre et tu entreprends de fébrilement empiler les verres vides et usagés. Tu n’es pas sûre d’avoir réussi à retenir l’humidité autour de tes yeux jusqu’à ce que ton visage soit complètement hors de sa vue. Tu as envie de pleurer, parce que la voix qui te félicitera de ne pas avoir tenté de lever la main sur l’Autre ce soir ne sera jamais autre que la tienne.
Alors, n’en déplaise au fils de Dieu, tu vas finir le travail que tu as commencé ici et que l’on attend de toi, même si pour ça il te faut l’ignorer.

Tu aimerais vraiment qu’il s’en aille, pour enfin te retrouver seule et ne plus subir la pression qui opprime ton palpitant, mais tu es incapable de l’exprimer correctement. Tu es incapable d’exprimer quoi que ce soit correctement. Alors, bien ironiquement, tu te reposes sur l’espoir que les autres sauront interpréter tes mots maladroits et combler les lacunes que tu n’exprimes pas dans tes réponses.
Tu aimerais que cette voix sage et rayonnante qui se manifeste sporadiquement soit entendue par d’autres et qu’elle explique tout à ta place. Mais tu dois te faire une raison, tu es trop vieille pour laisser ta maman pour toi. Tu es trop vieille pour rêver d’une maman. Alors en attendant que ça passe, tu continues à nettoyer et ordonner la table. Tu fais confiance à tes oreilles pour deviner les mouvements du prêtre et savoir à quel moment tu pourras te détourner de ce poste pour aller ranger les chaises toujours arrangées en cercle au milieu de la salle presque déserte.


CODAGE PAR JFB / Contry.
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Anonymous
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Invité
Lun 18 Avr - 16:04 (#)

La réaction d'Heidi est une nouvelle fois incompréhensible pour Michael. Il s'attendait à ce qu'elle hurle à nouveau, à ce qu'elle le frappe, à ce qu'elle parte en claquant la porte, à ce qu'elle lui crache dessus, jette une boîte de donuts vide, tout sauf ce qu'il vient de voir.

Il avait voulu lui rappeler la limite que tout le monde est en devoir de respecter, celle qui permet de garantir l'ordre social et le fait que les citoyens ne vont pas s'étriper à tout bout de champ. Étant donnée la tendance de son interlocutrice à présumer un désir d'oppression chez autrui, il lui avait offert cette interprétation sur un plateau d'argent. Ses mots étaient durs, et dirigés personnellement vers elle. Pourquoi donc n'a-t-elle pas souhaité exploser comme les fois précédentes. Qu'est-ce qui avait bien pu tourner dans sa tête pour la libérer de l'emprise de ses émotions ?

Par un quelconque miracle, quelque chose contenait encore les délires d'Heidi, et les canalisait. Elle a donc repris sa tâche comme si rien de tout ce qui s'était dit dans les minutes précédentes n'avait été prononcé. Sa crispation sur le gobelet en carton a laissé place à la légèreté de gestes qui empilent et plient les emballages méthodologiquement. Pris à contre-pied, Michael ne sait quoi dire ni quoi faire.

Dans son esprit, la phrase "dégagez de là" résonne encore. Pour 99% de la population, cette phrase est l'expression d'une forme de domination, indiquant que la personne se sent légitime d'ordonner aux autres leurs actes, si ce n'est dans l'absolu, au moins dans le lieu ou le contexte actuel, un peu à la façon d'un chien qui viendrait uriner pour marquer son territoire. Mais le comportement d'Heidi est troublant à ce sujet. Cette posture d'autorité est rapidement remplacée par une forme de soumission par le silence, comme si les mots dans sa bouche n'avaient pas la même signification que pour le reste de l'univers, une anormalité, au sens premier : quelque chose qui ne respecte pas la norme.

Le prêtre laisse donc le bénéfice du doute. Peut-être Heidi ne cherche pas à manquer de respect, mais exprimer, à la manière d'une personne qui se sent persécutée, donc agressivement, son besoin de solitude. Il tente de laisser un message plus positif. Sa voix est plus calme, plus douce.

- Heidi, si vous avez besoin d'être seule et au calme, je peux l'entendre, vous pouvez lever la main droite pour me le faire comprendre.

Si les mots ne fonctionnent plus, peut-être que les gestes pourront s'y substituer. Michael récupère sa veste sur le dossier de sa chaise et l'enfile dans un geste souple et rapide. D'un regard, il estime ce qui reste à faire. Quelques chaises et la table à vider, dans 5 minutes, Heidi aura terminée.

- Je ne sais pas ce qui vous a permis de vous apaiser aussi rapidement, mais ne le lâchez pas.

Même s'il éprouve une forme d'empathie pour la peine de la jeune fille, il se refuse à retourner au tutoiement. C'est trop tard, leur contact est brisé, et ils ne pourront plus jamais être familiers, ou du moins, authentiques l'un envers l'autre.

Sans ajouter d'autre mot, Michael quitte la pièce, le bâtiment, la rue, la ville, s'enfonçant dans la nuit entre Shreveport et Mooringsport. Sur son véhicule, il cherche à se rassurer, à se raisonner. Si le Christ n'a pu sauver ceux qui refusent son aide, comment lui-même, simple prêtre d'une petite ville de Louisiane pourrait-il y arriver ? Il y a des combats qu'il faut accepter de perdre, dans l'idée de pouvoir en tirer des enseignements pour en gagner des plus importants. Quels enseignements tirer de l'échange de ce soit ? L'avenir le dira. Pour l'instant, il y a des choses plus graves à régler, la nuit s'épaissit et les CESS sortent de leur tanière.
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