Lettres manuscrites, délicatement galbées sur un dossier qui semble plutôt fourni entre les mains pâles et délicates de Blair. Elle se souvenait l’avoir lu. Et relu. Comme un roman dont on cherche à décortiquer les moindres détails. Inlassable recherche et découverte de cet autre qu’on ne connait pas encore, de cet être qui peut-être cherche à être sauvé ou au contraire à plonger plus profondément dans les abysses des méandres de l’âme humaine.
Si sa confrère Veronica Swagal n’avait pas été muté, jamais elle n’aurait eu ce dossier entre les mains, jamais elle n’aurait eu la possibilité de rencontrer Morgane. Et les recommandations avaient été nombreuses concernant la jeune femme, Veronica n’avait pas tari d’éloges mais aussi d’avertissement concernant la prise du traitement. La vie restait faite d’un hasard dicté par un semblant de destinée. Blair ne croyait pas en grand-chose mais elle voulait bien croire que rien n’arrivait par hasard. Elle espérait juste que ce hasard serait de bonne augure, autant pour elle que pour sa future patiente.
Blair n’avait pas d’apriori, elle n’était pas là pour ça et de toute manière cela ne lui ressemblait pas, elle avait croisé assez de gens pour ne plus être surprise ou prise de court, du moins à son humble avis. Après personne ne put dire que la réalité fut tout autre. Son premier rendez-vous s’étant terminé pile à l’heure, Blair avait le temps de faire un peu de rangement, réinstallant les coussins du canapé, laissant l’eau chauffer au cas où la jeune femme souhaiterait un thé, les effluves de café de son dernier patient emplissant toujours la pièce.
Quelques fleurs, des bougies éteintes sur les étagères, une myriade de romans et quelques tableaux de femmes à l’aquarelle qui habillent les murs, un tourne disque dans un ces rouges criard, un plaid moelleux sur le rebord du canapé et deux fauteuils qui entoure ce dernier, voilà ce qui composait le bureau de Blair Jackson. Tout fut fait pour se sentir serein et en sécurité. Du moins c’est ce que Blair espérait. La baie vitrée donnait sur le jardin, sur les fleurs multiplient et colorées que Blair s’évertuait à garder en vie malgré que sa main fut bien loin d’être verte.
On ne pourrait pas lui ôter qu’au moins elle essayait.
Trônant sur une petite table d’appoint un petit carnet couverture mat dorée, sans la moindre inscription, avec juste à côté un stylo noir, prêt à l’emploi. Blair ne saurait expliquer pourquoi dans la myriade de carnets qu’elle possédait, elle avait choisi pour les séances avec Morgane celui-ci. Un élan d’optimisme sans doute. Ou juste un feeling. Des fois ça ne tenait pas à grand-chose.
Elle se laisse le plaisir de mettre en route le tourne disque, un peu de jazz qui lui arrache un sourire, alors qu’elle règle le son pour ne l’avoir qu’en fond. Cela lui fit pendant un bref instant penser à la trompettiste croisée récemment. Les rencontres se suivaient sans se ressembler ces derniers jours.
Ses talons en viennent à claquer doucement sur le vieux plancher, alors qu’elle termine de tout mettre en place, se dirigeant doucement vers la porte pour l’ouvrir sur sa salle d’attente, un sourire doux aux lèvres alors qu’elle tombe finalement face à celle qu’elle présume être : Morgane. « Morgane Wuntherson ? Je suis le Docteur Blair Jackson, enchanté de faire ta connaissance, le Docteur Swagal m’a transmis ton dossier, pour qu’on continue les séances ensemble. Tu es prête ? On y va ? »
Un sourire doux, sincère alors qu’elle la rencontre pour la première fois, ouvrant en grand la porte du bureau pour la laisser entrer à son aise et à son rythme, fermant délicatement la porte derrière elles.
« Est-ce que je peux t’offrir un thé ou bien un café ? Installe où ça te fait plaisir, cette première séance est surtout pour faire connaissance. Et surtout n’hésite pas si tu as des questions ou si quelque chose te dérange d’accord ? »
Blair attend que la jeune fille s’installe pour finalement prendre place dans un des fauteuils, son carnet à portée de main, attentive au bienêtre de la jeune femme, attendant de voir si elle souhaiterait boire quelque chose ou non.
Le pied de Morgane bat nerveusement l’air tandis qu’elle attend dans la salle d’attente du médecin. Rien n’a changé ici, mais l’imagination de Morgane s’agite déjà nerveusement en fixant la porte où figurait jusqu’à il y a peu le nom de Veronica Swagal.
Morgane n’aimait guère la psychiatre, trop intelligente pour se laisser berner comme tant d’autres. La jeune femme en était venue à complètement occulter des pans de sa vie et à profiter de son emploi du temps chargé pour éviter que les trous dans sa vie ne se remarque.
Plusieurs fois, les questions du Dr. Swagal étaient venues frôler la vérité, au bord de percer Morgane à jour. Si l’étudiante suivait toujours ces séances, bien des années après son passage dans une cellule d’un hôpital spécialisé, c’était pour se prémunir du risque que cela ne revienne la hanter.
Personne, à l’université, ne savait pour son passage au royaume des aliénés, et elle n’en avait parlé que brièvement à Eoghan qu’une seule fois, afin d’être honnête avec lui. Ce suivi, c’était l’héritage de son père, un ultime coup dans le crâne de la fillette qu’elle n’avait jamais pu être.
Lorsque Veronica Swagal avait annoncé à Wuntherson qu’il s’agissait de leur ultime séance, la jeune femme avait naïvement cru qu’elle allait être libérée du joug des séances. Une pensée idiote qu’elle se détestait aujourd’hui d’avoir eu. Elle avait soupiré et roulé des yeux en apprenant le départ de Swagal et le transfert à la remplaçante de celle-ci.
« Tu verras Morgane, le Dr. Jackson est tout aussi capable que moi. » Avait-elle conclu l’échange avant d’entamer les échanges d’adieux qu’il est d’usage d’avoir. L’espoir, la volonté de voir Morgane s’épanouir : les brèves habituelles. L’étudiante ne l’avait pas montré, mais le départ de Swagal l’avait affligé. Leur relation avait duré presque deux ans, à raison d’une visite toute les trois semaines ; un rythme arbitraire, décidé par le médecin et sur lequel l’avis de Morgane n’avait eu que peu d’incidence.
Si elle mentait sur sa vie arcanique, sa vie humaine, elle, était consignée dans les dossiers de l’hôpital. Ainsi, Veronica Swagal connaissait ses notes à la fac, ses amies, son opinion sur une quantité de sujets affolant, ses peines et ses joies. Avec le recul, Morgane s’était surprise à penser à le médecin muté autrement qu’en une ennemie.
Cela lui arrivait régulièrement, depuis peu. Elle avait grandi et certaines choses d’avant lui paraissaient futiles, voir, elle les oubliait. Certains moments, elle était même redevenue bègue, articulant avec difficulté des mots qui ne lui avaient posé aucun problème depuis longtemps. Julia, sa meilleure (par défaut, puisque étant la seule) amie à la faculté lui avait même annoncé que son attitude avait changé. Elle avait ri, puis détourné le sujet.
Toujours est-il, qu’en cette après-midi, Morgane est stressée. Le changement apporte généralement son lot bénéfique, mais cela n’empêche pas l’arcaniste de le redouter, notamment lorsqu’elle n’a pas la main mise dessus.
Armée de son hoodie fétiche de la NASA, ainsi que d’un jean troué et d’un paire de Conserve, elle ne parvient pas à détourner son regard de la plaque accrochée au mur.
Blair S. Jackson.
Morgane s’imagine déjà aux mains d’une vieille femme, mutée à Shreveport pour venir terminer sa carrière sur un beau coup. Lorsque la porte s’ouvre finalement, Wuntherson est médusée. Si l’allure général de Veronica Swagal lui donnait l’impression de sortir du bayou pour venir traiter ses patients, il n’en est rien pour la doctoresse qu’elle a en face d’elle.
- Morgane Wuntherson ? Je suis le Docteur Blair Jackson, enchanté de faire ta connaissance, le Docteur Swagal m’a transmis ton dossier, pour qu’on continue les séances ensemble. Tu es prête ? On y va ? Rangeant son téléphone dans sa poche de manière mécanique, Morgane affiche un grand sourire, qui dissimule sa surprise.
-Enchantée, Docteur. Réponds l’étudiante, sur un ton mièvre qui ferait exploser de rire n’importe laquelle des connaissances de Morgane. Le bureau n’a plus rien à voir avec ce qu’il était de l’ère Swagal. La musique, c’est nouveau, pense la jeune femme, tout en balayant la pièce du regard et en s’approchant d’un des deux fauteuils. J’aime bien votre déco, et la vue sur le jardin, Dr. Swagal préférait vue sur les rideaux. Dit-elle, se retournant vers la médecin en train de fermer la porte.
- Est-ce que je peux t’offrir un thé ou bien un café ? Installe où ça te fait plaisir, cette première séance est surtout pour faire connaissance. Et surtout n’hésite pas si tu as des questions ou si quelque chose te dérange d’accord ?
N’hésitant pas, Morgane par se lover dans un des fauteuils. Une habitude héritée de la précédente psychiatre, Wuntherson hésite, en cherchant l’accord du Dr. Jackson du regard. Elle est là avant tout pour jauger cette nouvelle doctoresse et voir le danger qu’elle représente pour ses secrets. Plissant légèrement des yeux tout en regardant le Dr. Jackson s’installer, elle remarque le carnet et le stylo dont se saisit son interlocutrice.
Une autre petite différence. Swagal n’utilisait que des feuilles volantes, qu’elle griffonnait dans tous les sens.
-Tisane, menthe si vous avez. Je ne bois pas de caféine et rar…rare…rarement de la théine. Se mordant la lèvre, l’arcaniste inspire profondément. Comme si elle avait besoin de ça maintenant. Il faut te ressaisir ma vieille, pense Morgane pour elle-même, affichant toujours son sourire creux. Heu. En général, c’était la doc’ qui me posait les questions, faisait qu’y répondre, mais si vous voulez, j’hésiterai pas.
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