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Killer on the road - Ft. Astaad Sayegh

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Anonymous
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Mar 27 Oct - 14:47 (#)

Killer on the road




… Mais délivre-nous du Mal. Amen.

La prière s’éteint telle une bougie qu’on souffle, laissant les mots disparaître dans le silence comme la fumée dans le vent. Derrière-lui, on tousse et on murmure, un son qui fait grincer les dents de l’homme et qui hérisse son poil. Ces paroles vides, ces pensées vagues résonnent sur les pierres de la paroisse, font vibrer les vitraux, attisent un agacement naissant, qu’il éteint bien vite.

Il ne dit rien, mais n’en pense pas moins.

De ses doigts, il touche son front et son torse, puis l’épaule gauche et enfin la droite, se relevant, la tête toujours inclinée. Ses genoux craquent, lui rappelant le bois des bancs de l’église, le cuir neuf qu’on étire, le poids des années passées. D’une voix basse et grave, il remercie le prêtre, et d’un pas lent et lourd sort de l’église, laissant le soleil frapper ses paupières closes. Une bouffée d’air et l’odeur de la rue emplit ses poumons noircis par le tabac, obscure corruption qu’il allume entre ses lèvres, remplaçant le parfum de l’asphalte et de la vie par la pesante brume de la mort. Sur les marches de la paroisse, un homme en guenilles tend une main frêle et tremblante, ignorée soigneusement par les agnus Dei qui prêchent Son message sans vraiment l’écouter, apparemment. Purefoy soupire, saluant le mendiant et lâchant quelques billets froissés sur cette paume sale qui se referme avidement. Son regard se porte ensuite sur les talons des paroissiens, leurs yeux aveugles à la détresse des démunis, disparaissant au plus vite dans cette jungle de goudron, de verre et d’acier. Christ, qu’ils ne méritaient pas Sa lumière.

Un taxi passe, bruyante abeille de jaune et de noir vêtue qu’il hèle d’une main lasse, éteignant sa clope dans une poubelle crevée. Le conducteur était un petit homme qui avait tout du porc. Son visage rougeaud trahissait son amour pour la boisson et son ventre arrondi sa passion pour la nourriture grasse. Il cachait une calvitie avancée sous une casquette tâchée de moutarde, son haut humide témoignait de la chaleur qui régnait dans l’habitacle, et la gnôle qu’il s’enfilait tout en conduisant semblait n’avoir que peu d’effet sur sa conduite déjà désastreuse. Il mentionna son ex-femme, sa fille qu’il voyait à peine, leur maison d’autrefois, près de la frontière, avant leur divorce. Il avait un chien, elle l’avait récupéré aussi.
Il en avait fait des rencontres sur la route. Criminels évadés, adolescents en fuite, femmes battues, campeurs perdus. Il prenait souvent les marginaux qui levaient le pouce le long des sentiers, il en était un lui-même après tout. Il avait un don pour jauger les gens, qu’il disait, un flair de limier. On avait essayé de le braquer, plus d’une fois. “Ces foutus mexicains”, selon ses dires. Ses blagues volaient aussi bas que la chique qu’il avait la décence de cracher par la fenêtre, au moins. Un individu simple, lourdeau, mais simple. Libre, à sa manière, éloigné des responsabilités, du fardeau gênant des liens sociaux. Les deux types n’étaient pas si différents, après tout. Près de la route, loin des gens.


Le voyage avait été déplaisant. Son babillage incessant n’était interrompu que par la flasque qu’il portait à ses lèvres et par les rots qu’il dégageait sans gêne. Purefoy hochais la tête à ses remarques, l’air absent, et ses pensées vagabondaient au loin, vers les nuages noirs et grondants, vers les toits si petits à l’horizon brouillée par la distance. Les panneaux qui longeaient l’asphalte étaient en grande partie effacés, seule la peinture de quelques lettres blanches avaient survécu aux ravages du temps et des éléments.

Lorsque vint le moment, ce fut avec plaisir que Purefoy finit par sortir de son siège pour poser le pied sur un sol dur et inégal. Le soleil disparaissait presque, projetant les ombres de cette ville décharnée sur les trottoirs. Un autre soupir, plus long cette fois-ci, et il passe le pas de sa porte, la refermant avec précaution derrière lui, comme pour ne pas déranger le silence pesant qui régnait en maître dans son humble échoppe.

------

L’eau finit enfin de couler le long de son corps. Le tissu rêche de la serviette vient en effacer les dernières traces, capturant aussi quelques longs cheveux perdus. Ceux-ci sècheront plus tard, et l’homme passe autour de ses épaules une chemise lavande qui a connu des jours meilleurs. Un simple jean sur lequel on peut trouver des traces de peinture vient compléter l’ensemble. Toute la scène est empreint d’un automatisme flagrant. De la manière dont il boutonne son haut, lorsqu’il attrape de quoi se couvrir, alors qu’il ouvre un coffre-fort pour en sortir une arme au métal mat, lorsqu’il remplit ses poches de chargeurs pleins.
Le flingue vient se loger dans le harnais passé à son épaule, le sac qu’il porte sur l’autre accueille une longue chaîne en argent, un tube noir comme la nuit, un crucifix de belle taille, un poignard aux courbes vicieuses.

Avant de partir, il jette un dernier coup d’œil aux alentours, son regard s’arrêtant sur la lourde croix pendue à son mur, consultant aussi le calepin qu’il tient, ouvert, dans sa paume. On peut y lire un nom, une adresse, quelques ratures. Il sort enfin, ne troublant plus la quiétude qui s’installe après son passage.

-----

Au loin, les lumières embrumées du motel, qui est sa destination. Il marche depuis un bout de temps, maintenant, le froid se glissant dans les plis de ses habits et meurtrissant sa peau. Purefoy tousse, s’allume une autre clope, tire une longue bouffée qu’il recrache lentement, ralentissant son pas jusqu’à l’arrêt. C’est dans une ruelle sombre qu’il enfile des gants d’un latex bleu, attache finalement le silencieux à son arme, qu’il murmure à demi-mots une prière, embrassant le canon de son Colt 1911. Il sait que Dieu guidera sa main, le moment voulu.

Il reprend sa route, l’oeil alerte, soufflant une dernière fois avant de jeter sa cigarette au loin. Dans son coeur, aucune peur, mais l’adrénaline du guerrier qui sent venir le combat. Purefoy sait à quoi il a affaire, mais ses mains sont sûres et ne tremblent pas.
Le motel se rapproche, les panneaux lumineux perçant l’obscurité comme autant de phares perdus en mer. L’endroit semble délabré, la peinture écaillée fuyant chaque mur, chaque poutre devant lesquelles il passe sans s’arrêter. Un numéro branlant, cloué négligemment sur une porte retient finalement son attention. Son souffle se fait plus court, et il se force à inspirer longuement. Les environs sont désert, au premier regard.
Pft. La serrure éclate sous la pression de la balle, gerbe d’étincelles qui s’éteignent aussitôt, le fin panneau de bois s’écartant sous les assauts de sa semelle. Lorsque Purefoy rentre, c’est l’arme au poing, tombant presque nez-à-nez avec un type malingre, torse nu, lavant ses avant-bras poisseux d’un sang pourpre dans l’évier de la salle de bain ouverte. Leurs yeux se croisent, sur fond de House of the Rising Sun que crache une vieille radio, posée sur un meuble.

-----


Le type ne semblait pas être un mauvais bougre, et pourtant. Il était arrivé en ville il y’a de ça quelques jours, peut-être quelques semaines. Il logeait où il pouvait, et où on ne lui posait que peu de question, la couleur de l’argent fait se taire la plupart des curieux. La journée, il vaquait à ses occupations, buvait un coup dès que l’occasion se présentait, lâchait son CV dans les boîtes aux lettres des entreprises devant lesquelles il passait. Il était prompt à la colère, et effrayé par celle-ci. Il aimait s’isoler la nuit, et marcher sans but le long des sentiers, loin de toute civilisation. Pourtant, lorsqu’il cédait à la Bête, c’est vers la ville qu’il se dirigeait.

Ils étaient nombreux, ceux qui étaient tombés dans son sillage. D’abord deux jeunes garçons, l’écho de leurs rires qui emplit l’air. Les premières gouttes tombaient sur leurs capuches relevées, cachant dans leurs ombres les visages lisses aux joues duveteuses. Ils se pensaient maîtres de leur destin, capitaines de leurs âmes. Le plus vieux n’avait que dix-neuf ans, rassurant le plus jeune d’un sourire d’ivrogne. Ils mettaient de côté les peurs enfantines propres à leur âge, les poitrines gonflées par l’inquiétude et le désir de la cacher. Ils sautaient, chantaient, se vautraient dans les rires. Puis hurlaient, pleuraient, imploraient la créature qui les avaient acculé dans une ruelle. Ils étaient morts dans la douleur et l’horreur, terrifiés, seuls.

Quelques jours plus tard, c’était au tour d’une femme. Elle arpentait la nuit sur des talons trop hauts, une jupe trop courte et un gilet trop mince pour cette saison. Elle gardait son téléphone à la main, jetait des regards aux alentours et derrière elle, sûrement suspicieuse de l’absence des sons de la vie nocturne. Trop loin de sa voiture pour s’y cacher, pas assez rapide pour échapper à son sort.

Et puis d’autres encore, beaucoup trop. Plus que Purefoy ne pouvait supporter.

-----

Pft Pft

Bruit d’impact, râle étouffé, deux roses sanglantes se dessinant sur la poitrine, le ventre et le sol de l’autre homme. Celui-ci ouvre la bouche, les yeux hagards, ne crachant que du sang au lieu de mots. Il bouge, faiblement, ses doigts gourds tendus vers Purefoy qui s’approche, puis s’agenouille.

Aide...moi

Je ne peux pas, mon garçon.

L’autre pleure, une larme venant brouiller le rouge maculant ses joues. Purefoy se saisit des doigts tendus, serrant sa large paume sur celle, plus frêle, tremblante de l’autre.

J’ai...peur…Fait froid...

Je sais, je suis là.

Longue inspiration, la poitrine nue se soulève faiblement.

Je...suis...désolé…

Aye, mon enfant. Je le sais. La main de Purefoy vient caresser la joue du type, puis ses cheveux. Je le sais.

Les minutes passent, les battements de coeur ralentissent, puis s’arrêtent. Seule la musique continue de briser le silence. Purefoy embrasse le front du pauvre homme, puis lui ferme ses yeux maintenant fixes. Il étreint de ses mains celle, inerte, du cadavre, penchant le front.

Repose en paix, mon garçon. Qu’Il t’accueille malgré tes péchés, qu’Il préserve ton âme du Mal. Amen.

Il laisse la main tomber avec douceur, couvrant ensuite le corps d’un drap jauni par la crasse et le temps. Sa main vient presser le bouton de la radio, vient éteindre la lumière, puis fermer la porte derrière-lui alors qu’il quitte les lieux sans un regard en arrière.
Codage par Libella sur Graphiorum
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Anonymous
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Mer 4 Nov - 8:46 (#)


Killer on the road
Early this morning When you knocked Upon my door Early this morning When you knocked Upon my door An I say Hello Satan I believe it's time to go



D’ébènes sont les pensées.
Elle gratte des notes de service depuis des heures, s’offre aux clients, aux passants, aux idiots ivres rentrant à pas d’heure et empestant, la sueur, l’alcool, le sexe sans même s’en cacher, parfois accompagné des pouliches raflées sur les trottoirs, se fichant du regard du pilier silencieux tenant l’accueil. A l’abri des regards des proprios désormais partis, elle s’autorise le cancer consumé d’une clope du bout de ses lèvres dénuées d’artifices, les yeux maquillés de fatigue, explosé des nuits courtes, obsession pointée vers la dernière métamorphose, plombée par les cauchemars de Nadja, hantée par ses hurlements de détresse. Nadja n’a jamais quitté l’Égypte, Nadja reste ancrée dans les racines sableuses desquelles on les a arrachées malgré elle, à cause d’elle aussi. Souvent les « Et si » se confondent avec son présent, se dessinent autre chose que cette foutue Destinée éprise de fatalité, de ces décisions prises qui engrangent forcément la machination évidente de causes à effets. Les actes ont des conséquences et les siens ont emportés Sadia, ses parents et peut-être quelques bouts d’elle aussi. Ses actes ont meurtris sa propre peau et flagellés ses sœurs de cœur qui ne baignent plus que dans l’espoir de pouvoir vivre autre chose qu’une vie de miséreuses et de prisonnières. Ce soir, la culpabilité la mord davantage que d’habitude, la bouscule de l’intérieur, un cataclysme d’émotions qu’aucun masque impassible ne pourrait troubler. De ses phalanges habituées à tenir le sillon d’une cigarette, elle mène le poison à ses lèvres flinguées par l’amertume, ignore Félix et ses bavardages provenant de l’extérieur, faisant la conversation à elle ne sait qui encore, ne pouvant s’empêcher de fermer sa grande gueule, déblatérant ses histoires dont elle se fiche et il l’a trop bien compris. Un mouvement attire un coup d’œil et elle voit passer l’ombre masculine et sans traits d’un inconnu. Client, elle en doute, visiteur, peut-être mais sans bien savoir ce qui la ronge, continuant de consumer sa clope interdite derrière son comptoir, elle fixe l’extérieur au travers de la porte à la vitre jaunis où le mot « ACCUEIL » est marqué en lettres blanches s’effaçant sur les bords car tout s’écaille ici, même les propriétaires semblent prêts à rendre l’âme malgré leur énergie perdue dans des disputes sans fins. Le silence du motel lui est pesant ce soir, Sage n’est pas là pour le combler et si les maux de tête se font puissants, toujours après une métamorphose douloureuse, elle ne peut s’empêcher de ressentir un léger manque de cette présence jeune et lumineuse. Sage sait rire de tout, alléger l’ambiance terrifiante qui plane autour du motel depuis quelques semaines. Et elle sait. Elle sait pourquoi. Elle sait trop souvent pourquoi.

Elle fut l’une des premières à être témoin des crimes mal orchestrés par l’un des clients réguliers du motel sans nom aux néons fatigués. Lui aussi le semblait, esseulé par un long voyage, peut-être un baroudeur qui voulait voir un coin de Louisiane plus vert que d’autres coins, la souffrance dans les prunelles mais la conversation douce et intéressante. Si elle ne pouvait que lui parler avec une légère détente auparavant, c’est le soir où elle l’a vu se métamorphoser et laminer les corps de deux garçons qui ne faisaient que passer, la pluie frappant Shreveport une fois de plus, une bruine légère mais dont elle se souviendrait à jamais. L’odeur du sang, les cadavres délaissés et l’animal fuyant lorsqu’elle s’est précipité pour aider ces jeunes âmes qui s’éteignaient déjà. L’un d’entre eux à agoniser, la poitrine s’emplissant de sang, le recrachant par là où il le pouvait et une fois de plus, sous ses yeux, la mort s’est montrée. Un cadavre et un autre, deux jeunes qui n’auraient jamais dû passer par ici, se trouvant dans le North où, certes, il n’y a pas grand chose mais où aucun CESS ne cessera de sévir. C’est une planque parfaite pour eux, évidente pour d’autres, chassant des gens que personne ne cherche vraiment mais s’attaquer à la jeunesse d’une ville où certains visages se font de plus en plus connaître, c’est une erreur à ne pas commettre, solution idéale pour se faire conspuer par les plus anciens de cette ville souffrante. Si le maudit s’est enfuit, elle l’a vu revenir d’entre les arbres bordant le motel, a fait mine de ne rien voir et rentrée chez elle ce soir-là, muette, l’a rendue malade. Le sang semblait avoir infiltré ses ongles et sa peau et elle revoyait encore et toujours Sadia et sa gorge ouverte par la lame courbée de Favashi, cachant toujours ses tremblements à Nejma et Nadja pour qu’elles ne se doutent pas un seul instant qu’elle venait de faire face à l’un des odieux visage de la Vie et ses coups bas. Les morts arrivent, il suffit d’un rien, d’un pas de trop dans une rue où l’on ne devait pas aller, pour se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Le client est encore là, comme si aucun toit, si aucun proche ne l’attendait jamais. C’est ici, à ce comptoir, qu’il continue de payer quelques nuits de plus, le teint de plus en plus pâle, la mine grise, les prunelles devenant des crevasses où la douleur est la seule émotion qui semble s’être installée chez lui. Elle hait que l’étrange affronte l’humain et lui fasse mal, elle hait plus que tout l’idée qu’un maudit soit parmi eux et soit capable de faire du mal à n’importe quel passant. Et il y en a eu d’autres, bien trop pour qu’elle ait envie de s’en souvenir. Massant sa tempe de ses doigts, le filet de fumée continuant d’envelopper l’atmosphère, elle fixe toujours la porte, obsédée par l’ombre qu’elle a vu passer, plus longiligne que celle de Félix, moins immense aussi. Celui-ci lui coupe finalement la vue en revenant, la fusillant du regard lorsqu’il remarque la clope se consumer entre ses phalanges « Tu t’crois où ? » L’agressivité fait mouche et elle cille, ses traits se crispant un instant, sa voix provenant tout droit de cette gorge éraflée par la fatigue crachotant un « Hein ? »  Qui n’a rien d’amical, un coup de poing frappant ce silence qui les entoure, un décor à lui seul dans ce hall ridicule et jaunis tant par les lumières que par la tapisserie ignoble et le temps qui passe. D’un coup de menton, l’adjoint désigne son méfait brûlant encore entre ses doigts soufflant un « Eteins moi ça. Direct. » passant comme de ce pas militaire pressé devant le comptoir avant de rejoindre l’étage, son parfum de savon embaumant un instant l’atmosphère. Figée, les lèvres entrouvertes, le fiel plein les prunelles, elle observe sa haute silhouette grimper les escaliers, soufflant une insulte dans cette langue qu’il ne pourrait comprendre. La clope finit écrasée contre la semelle de l’une de ses bottes avant d’être jetée dans la poubelle car après tout, même ici, elle n’est que sous-fifre, bonne qu’à écouter les ordres. La ligne de la mâchoire tendue, elle se détourne alors vers la porte jaunie quand un bruit qui n’a rien d’habituel lui parvient. Tout est silencieux, rien ne bouge et l’ombre lui revient.

Le doute s’insinue dans les ridules d’un froncement de sourcils, sa queue de cheval oscillant dans le vide tandis qu’elle penche la tête, se penchant davantage comme pour apercevoir l’invisible, la porte demeurant close. Le myocarde s’affole et elle craint le pire car le pire semble toujours vouloir la poursuivre depuis sa naissance, la suivant comme une ombre, la touchant parfois mais la testant trop souvent dans le décor qui habille son monde. Jetant un coup d’œil à l’escalier où a disparu Félix, elle s’assure d’être seule avant de se détourner pour trouver la cachette dans laquelle elle a barricadé son fusil. Il le fallait. Depuis les premiers meurtres, elle est parvenue à le dissimuler dans le débarras tout près de l’accueil, Sage étant la seule à partager ce secret. Il le fallait. Il le fallait, se répète-t-elle tout en vérifiant que l’arme demeure chargée. Dans la pénombre de la ménagerie où balais, seaux, serpillières et autres produits ménagers se mélangent, elle hésite, le souffle court mais le temps court et n’attend rien alors elle se décide à ressortir, ouvrant doucement la porte d’entrée, tenant son fusil aussi sûrement que lorsqu’elle était celle qui fuyait l’Ordre et ses membres, certaines d’être piégée. En quelques sortes, Raphael l’a fait. D’une secte il l’a mené à une autre. La rage fait grincer ses dents serrées et une inspiration marque sa détermination, ses phalanges se resserrant sur le fusil qu’elle n’a jamais quitté depuis son arrivée en Louisiane. Le couloir extérieur semble vide, ses bottes de cuir frappant lentement le béton, son jean bruissant à peine quand son pull au tissus trop léger ne cache pas grand chose de l’échancrure dévoilant sa poitrine. L’air est frais mais elle ne peut se morigéner de ne pas avoir enfilé une veste. Le temps presse et elle le sait. Elle ne perçoit que son propre souffle avant d’entendre les murmures étouffés de voix masculines s’emmêler sans qu’elle n’en comprenne quoi que ce soit. Malgré la fièvre sanglante qui remonte de ses mains jusqu’à son esprit, elle ne perd pas sa vigilance, jetant plusieurs coups d’œils derrière elle, sur le parking où dorment les bagnoles des clients, dont la sienne. Tout semble à sa place, même les rares voitures passants sur la route, provenant d’un coin à un autre de la ville, revenant d’elle ne sait où, des passants, eux aussi, qui pourraient la trouver coupable, arme à la main. C’est l’absence de bruits qui attire de nouveau son attention sur l’une des portes, prête à blêmir lorsqu’elle pense comprendre d’où provenait la sordide musique de ces voix emmêlées, de cette brève mélodie, les bourdonnements étouffés par les murs isolants étonnamment bien du reste. Les lèvres sèches, le souvenir de la nicotine planant encore sur sa langue, embrassant son parfum et le bout de ses doigts, elle s’avance avant de se faire de marbre lorsque la porte s’entrouvre et que le coupable en sort. La surprise se dessine sur les traits d’une maudite épuisée mais la poigne sur son arme se resserre et alors, elle n’hésite plus alors même que le claquement de la porte de la chambre numéro 340 se referme sans réellement perturber le mutisme de la nuit.

D’un coup sec, elle charge la longue chambre du fusil et pointe son canon sur le dos de l’intrus. « Arrête toi. » Elle crache son venin entre ses molaires serrées sans réellement hausser le ton, craignant ce qu’il a bien pu se passer dans cette chambre où elle s’est souvent aventurée, nettoyant la crasse, changeant les draps, passant l’aspirateur sur la moquette tachées et usées. Elle ne montrera rien de sa crainte, s’aventurant face au danger sans hésitation, emmerdant Félix et son ancien boulot d’agent de sécurité qu’il a dû oublier dans les tréfonds de sa mémoire trop remplie d’histoires morbides et de leçons philosophiques qui ne valent rien. Elle ne s’avance que de deux pas, prête à tirer s’il le faut, écoutant toujours les murmures de cet ami qui, autrefois, lui a fait promettre de ne blesser que si c’est nécessaire, de ne pas alourdir sa conscience. Cette scène nocturne lui rappelle sa rencontre avec celui qui l’a menée jusqu’ici, qui l’a sauvé pour mieux la condamner. La douleur, la rage et la crainte se mêlent et implosent alors que de sa voix d’enragée, l'accent d'ailleurs ressortant, ayant pour muse la colère, elle reprend « J’te conseille de poster ton flingue, de te retourner lentement, putain et de m’expliquer ce que tu viens foutre ici. » Une œillade vers la porte à la serrure explosé lui renvoie l’image d’un mauvais présage. L’homme n’est pas venu pour une visite de courtoisie et elle ignore ce qu’elle trouvera lorsqu’elle poussera le battant. Reportant son regard sur celui qui ne demeure qu’une ombre, elle expire à nouveau son fiel dans ce silence visqueux « Retourne toi et pose ton flingue ou j’te tire dans le dos sans regrets. »  


(c) corvidae
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