Prédatrice avide. Depuis plusieurs nuits déjà la féline se coule dans l'obscurité de la ville, ombre passagère et anonyme qui déambule au milieu des badauds, ignorée et méprisante, laissant les corps la frôler sans la marquer, les visages défiler sans réellement les voir, toute son attention portée sur Lui. Toujours à bonne distance, elle calque ses pas aux siens, ajuste sa démarche à la sienne. Chaque ruelle, chaque lieu visité, chaque vitrine regardée plus qu'une autre devient une nouvelle gravure dans son esprit. Perverse invisible, chacun de ses gestes est épié, analysé, répété. Et quand le jour l'oblige à le quitter, ses déambulations nocturnes reviennent la hanter durant ses longues heures de sommeil, impatiente de retrouver la grande Nyx pour redevenir carnassière. Animal tapi dans les hautes herbes et qui attend l'instant parfait, cette seconde entre trop tôt et trop tard qui lui ferait perdre sa proie. À n'en pas douter elle est animale. Deux décennies d'une profonde torpeur ne peuvent effacer sa nature. Elle, taisant ses pas en se glissant dans les ombres, jouant de ses dons pour devenir cette créature dangereuse et invisible aux regards les plus banals, s'amusant à parfois combler un peu trop le vide qui les sépare, juste assez pour qu'il sente une présence sans déterminer avec certitude son origine. La première fois simplement pour être sûre. Le forcer à s'interroger, à stopper ses pérégrinations, à tourner le visage pour identifier une possible menace. Ses yeux. Mon Dieu ses yeux. Animal eux aussi. Deux billes claires sondant la foule sans la voir. Alors elle avait su. Les autres fois par simple goût du risque, par plaisir malsain et sadique à le faire se sentir cible, par besoin de vengeance, par envie de le voir pantin. Après tout, il était parti...
Seule. Tu m'as laissé seule, avec pour unique compagne ma folie.
Proie désirée. Tant de nuits passées à le détailler, à imprégner dans son esprit tous les changements opérés. Lui autrefois si frêle, d'apparence si fragile, si juvénile. Les épaules étaient devenues plus carrées, le torse s'était étoffé, et de jeune éphèbe il était devenu homme. Mais toujours cette douceur, la délicatesse de ses traits. Visage d'ange pour cacher une folie toute aussi meurtrière que la sienne. Ange déchu dont les mains couvertes de sang n'avaient rien à envier aux pires créatures des enfers. Mais Lucifer aussi avait été le plus bel ange, le favori du Tout-Puissant. Comme il avait été le sien pendant un temps. Quand ? Combien d'années ? Les souvenirs avaient beau l'avoir marqué plus sûrement que les cicatrices lui striant le dos, la notion même de temps lui échappait. Il avait été si longtemps un fantôme dans un esprit déjà chargé de trop de visages, une vague présence que la Vampire avait tout faire pour enterrer, dans cette vie dont personne ne connaissait l'existence à part eux. Piégés dans cette bulle intemporelle où rien d'autre n'existait sinon eux. Elle ne sait si le repousser aussi loin dans sa mémoire avait été une façon de préserver le peu de raison qui lui restait à l'époque ou le préserver lui des Autres, des nouveaux souvenirs implantés au fil des ans et qui finissaient par évincer inexorablement les plus anciens. Quoi qu'il en soit, il avait fini par devenir moins présent, moins important, par s'atténuer... Pourtant, quelques syllabes massacrées par l'un des microbes puants du motel avait suffit à éveiller ce qui était endormi depuis si longtemps, à alimenter ce qui était tari. Une simple rumeur, une banale coïncidence, une impossibilité presque douloureuse à accepter ce fait s'étaient muées en un besoin irrépressible de certitudes. Ça ne pouvait pas être Lui. Il était mort depuis longtemps. Mais il lui avait fallut savoir.
Elle sait. Maintenant elle sait. Le fantôme n'en est pas un. La rumeur n'est plus. Il a ses yeux, sa démarche, son odeur....
Gautièr Montignac. Mon Loup.
L'asiatique a attendu que sa patience s'étiole complètement jusqu'à ne plus pouvoir contenir son envie pour se décider à agir. Elle est pourtant d'une triste banalité, dans ce carcan de vêtements modernes qu'elle exècre mais qui lui ont permis de se fondre plus aisément dans la faune locale. Un vulgaire jean noir, tellement américain. Un haut de coton blanc d'un tissu bas de gamme et si désagréable sur la peau. Une veste qui se veut chic au rabais, et de simples bottines en cuir aux pieds. Elle ressemble à n'importe quelle touriste venue s'imprégner du Sud vêtue ainsi. À une catin d'amerloque. Pour couronner le tout, il a choisi un bouge qu'elle juge minable pour s'enivrer. Elle attend. Sagement. Dans l'ombre, de l'autre côté de la rue. Admire d'interminables minutes ce profil déformé par la vitre et la distance qui les séparent et dont le souvenir qu'elle en a continue de prendre le pas sur l'homme qu'il est devenu. Un instant elle hésite. A-t-elle été reléguée à l'état de fantôme elle aussi ? La croit-il morte ? Quand bien même il l'aurait cherché il ne l'aurait pas trouvé. L'a-t-il cherché ? Est-il revenu dans leur tanière une fois qu'elle n'y était plus ? A-t-il regretté de l'y avoir laissée ?
Seule. Tu m'as laissé seule.
Le jeu en vaut la chandelle, même s'il n'est que cela. De la poche de son jean elle extirpe un morceau de tissu d'un blanc virginal. De la soie, qui glisse sous ses doigts avec légèreté. Sur le tissu, des symboles chinois inscrits au feutre indélébile d'un rouge flamboyant. Ça lui a coûté de souiller quelque chose de si noble, mais l'effet recherché en vaut la peine. Ses doigts glissent sur les lignes, réécrivant Son prénom dans sa langue maternelle. Gautièr. À nouveau ses yeux le sondent sans qu'il ne puisse la voir, se remémorant sa folie, sa violence. Prédateur devenu proie. Un sourire étire ses lèvres alors que l'immortelle fait signe à une jeune femme de s'approcher. Une femme ne se méfie jamais d'une comparse. Quelle erreur. Il ne lui fait guère plus de quelques secondes pour obtenir de cette catin de bas étage ce qu'elle désire. Tel un automate l'américaine prend la direction du bar dans lequel son loup s'abandonne à l'alcool, observant ses pas se rapprocher de lui. Si son cœur était vivant nul doute que les battements cogneraient contre sa poitrine. Elle attend. Sagement. Que l'inconnue l'interrompe, qu'il lui offre son attention, que le morceau de tissu glisse dans ses mains. Au moment où il le déplie, son ongle lacère l'intérieur de la paume de sa main, laissant volontairement quelques gouttes de sang choir sur le bitume. Elle attend. Sagement. Que ses yeux lisent les symboles, qu'il percute, qu'un souvenir se forme dans les méandres de son esprit tout aussi torturé que le sien. Alors seulement, elle s'éclipse dans la ruelle avant de se faire repérer. Une cinquantaine de mètres plus loin, alors qu'elle s'enfonce dans le dédale des rues pour quitter l'effervescence de la foule, elle écorche une nouvelle fois sa paume. Quelques gouttes de sang supplémentaires sur le sol, et elle continue sa route.
Soie blanche. Encre rouge. Gautièr en symboles chinois. Si peu d'indices, et tant à la fois.
Ne me laisse pas seule. Viens jouer.
code by EXORDIUM. | imgs by tumblr
Gautièr Montignac
ADMIN ۰ Mignon comme Tchoupi, aussi vnr que Moundir : le Loup d'la Vieille (la chair vivante, c'est gourmang-croquang)
◖ INACHEVÉ ◗
"C'est une histoire de dingue.
Une histoire bête à pleurer."
En un mot : Meursault d'Occident. Sorel d'Amérique.
Qui es-tu ? :
"J'irais bien voir la mer.
Écouter les gens se taire."
◖◗ Homme du pays occitan, dans le Sud de la France. Né au cœur des Pyrénées aux sommets blanchis, entre le soleil et la rocaille du mois de juillet 1898.
◖◗ Loup-garou Bêta condamné à fuir famille et village, jeté sur les voies forestières d'un exil, des frontières d'Espagne aux vallées de Lozère. Voyageur infatigable, jusqu'au Nord de la France et la côte est américaine.
◖◗ Relation d'amour et de haine pour cette France ingrate. Son sang a coulé pour des généraux dont le pied n'a jamais foulé le no man's land de la Grande Guerre. Membre d'un réseau clandestin dans les années 40.
◖◗ Rêveur misanthrope à la philosophie d'un autre temps. Passe sans mal de l'empathie au jugement, de la tolérance au dégoût. Aide lorsqu'il le peut. Tue quand il le doit. Bestiole dans le crâne qui commandite d'étranges désirs.
◖◗ Homme à tout faire : capable de nettoyer les chiottes, de garder un musée, de balayer la rue ou de tenir une caisse. Prédilection pour les postes de serveur, aidé par ses hanches étroites et ses bras solides. Poste d'observation privilégié pour tous les comportements humains et non-humains.
◖◗ Rebut. Incapable de s'adapter pleinement à une meute. Chaque tentative se solde par un échec plus ou moins pénible. Solitaire, se protège derrière la barrière de mensonges qui résistent encore aux outrages du temps. Prétend n'être rien d'autre que la Bête du Gévaudan. S'en convainc parfois, ou bien d'être un descendant.
◖◗ A subi les affres du sang et de la rumeur capable de frapper tous les bourgs et hameaux des campagnes profondes. Accusé de crimes qu'il n'a pas commis. N'a jamais eu l'occasion de racheter son honneur parmi les siens.
◖◗ Amant de Mei Long, poupée chinoise de sang royal. La rencontre entre deux écorchés de la vie, entre deux psychés abîmées, vouées à toutes les folies et aux errances mortifères dans les bois du Maryland.
◖◗ Poursuivi par des flics qui n'ont pas pour habitude de lâcher prise. Connu des autorités américaines depuis les années 70. En cavale permanente. Passé maître dans l'art des identités plastiques, artificielles. Espère trouver à Shreveport l'abri de la dernière chance, en incorporant les rangs de la meute. Tueur de flics et de femmes. Traqueur traqué de Medea Comucci.
◖◗ Mélancolique. Dans ses bons jours, capable de déceler la beauté dissimulée derrière tous les aspects de l'existence. Amoureux d'Histoire et de littérature, lecteur infatigable de Camus et de Céline.
◖◗ Dérangeant. Par ses regards perçants, par ses paroles sans filtre, par ses rires grinçants : inadapté, mais sympathique, si son interlocuteur s'y prête.
◖BÊTE DU GÉVAUDAN◗
"L'a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y'a qu'le décor qui évolue.
La mentalité est la même.
Tous des tocards, tous des faux culs."
Facultés : ◖◗ Faiseur d'histoires. Capable d'inventer mythes et récits sans effort. Charmant ou effrayant tour à tour. Se réinvente sans cesse, personnage protéiforme.
◖◗ Passé maître dans l'art de dissimuler un corps et d'en ôter la vie. Tous les moyens sont bons.
◖◗ Sait comment survivre face au froid, à la pluie, à la grisaille et à la brume, aux mers, aux monts et aux coups bas. Aux morsures, aux traîtrises, aux caresses, aux promesses.
Thème : Le Fleuve ◖◗ Noir Désir
◖MINDHUNTER◗
"Je vais les rues je vais les lieux où on ne m'attend pas. Ceux que je croise au fond des yeux, non, ne me voient pas. Je parle à des gens comme moi qui n'ont l'air de rien. Des esclaves en muselière qui n'en pensent pas moins."
Pseudo : Nero
Célébrité : Harry Lloyd.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Ian C. Calloway
Son flair le prévient. Il l’a prévenu depuis la veille. Une fragrance est venue se joindre au tableau kaléidoscopique des senteurs de la rue, de la ville, du quartier. L’équilibre est rompu. S’il accorde cette prudence paranoïaque à son odorat développé (impossible), il n’imagine pas que l’instinct le plus profond est le seul responsable, caché au travers de préconçus malhabiles. Quelque chose a changé. Comme toujours. Cela fait seulement trois mois qu’il est là, occupé à trouver ses repères, à prendre ses quartiers dans une ville plus si marquée, en apparence, par le Grand cauchemar du mois d’octobre. Tant mieux. Il n’est pas d’humeur à baguenauder dans un bourg en ruines. Les ruines, il en a assez vu. Les ruines, il peut encore les dessiner, esquissées derrière les volutes grises, poussées par le vent, comme un artiste soufflerait sur les résidus de fusain. Les ruines, il les a recouvertes du cuir de ses bottes, les a recouvertes de son épouvante. Il a trop vu les ruines. Il ne les trouve guère romantiques. Seuls les plus grands poètes peuvent s’en émouvoir, ceux qui n’ont fait que frôler du bout des doigts les colonnes détruites, les murs défaits. Qui ont contemplé de loin en loin les remous du paysage, cavités creusées à même la terre, sur laquelle la vie a repoussé. Mais sous l’herbe et les spores, les cadavres dorment toujours. Même un Aloysius Bertrand ne pourrait le réconcilier avec cette poétique des ruines, cette mélancolie presque vulgaire, pour celui qui a vu la métamorphose, la transformation. De l’Eden à l’Enfer. Les plaines si vertes du Nord, entachées par les terrils, résidus miniers s’élevant en de modestes pyramides granuleuses, couleur de cendres ; il a vu la boue, le sang et la pluie tuer ce vert, tuer cette vie, et alors, quand le feu se joignait au limon, quand les bombes faisaient trembler les sols, personne n’aurait pu le convaincre qu’ils demeuraient toujours en terre française, et non pas dans les abysses rougeoyants qui engloutiraient leurs âmes, tôt ou tard.
Alors, non. Pas les ruines. Il en a également soupé des forêts taiseuses, où l’on n’entend rien d’autre que le vent sinuant entre les branches, hurlant ses litanies ou chuchotant ses travers. Il préfère les éclats de voix des hommes – les vrais, hommes. Il préfère les rires des femmes heureuses, comblées ou non, les cris des enfants dont on n’a pas encore volé l’innocence. Il préfère les cloches clinquantes de la ligne de bus, ressemblant parfois à celles des anciens tramways de sa connaissance. Il préfère les klaxons assourdissants, les bruits de pas sur les trottoirs sans neige, la musique émanant de partout, bien que pas autant qu’à New York ou New Orleans. Un retour à l’existence, à la chaleur pleine et entière. Il se sent mieux, depuis son installation. Il passe beaucoup de temps, accoudé à sa fenêtre, à observer les passants déambuler, les lumières qui scintillent, les voitures qui défilent. La vue imprenable du haut de son quatrième étage dégagé le rend chaque jour plus reconnaissant, empli d’une sincère gratitude. Et cependant, il n’est pas pour rien, dans la création de sa chance. Roublard, opportuniste, saisissant les loyers quelque peu abaissés, les chambres vidées par le désastre automnal, pour s’installer dans un nid abandonné. Maintenant qu’il y est, il y reste. Il y restera. Jusqu’à ce que ses pas le mènent ailleurs, si l’invitation à rejoindre la Meute prend l’eau et se termine, comme les précédentes, en une énième déception. Cependant, ce quelque chose dans l’air, ce changement précoce ne lui dit rien qui vaille. Il s’agit d’autre chose que la traque dont il est l’objet. Il s’agit de quelque chose de plus sinueux qu’une enquête menée par des « flics » incompétents. Quelque chose que ses mensonges ordinaires ne pourraient pas duper. Quelque chose qu’il a dans la peau. Il a eu beau se retourner, beau se montrer attentif (scruter, attendre, changer de trottoir), rien. Il n’y a rien. Même depuis sa fenêtre, se détachant de l’horizon plat (si plat), lorsqu’il a baissé la tête pour mieux distinguer l’anormal, il n’a rien remarqué. Il mange, travaille, se couche et se lève avec ce sentiment ténu, qui ne le lâche pas d’une semelle. En dépit du caractère désagréable d’un tel instinct aux abois, il doit reconnaître ne pas éprouver le besoin de fuir, de repartir en cavale. Différent. Ce pressentiment est différent.
Il a décidé de ne pas se comporter autrement. Qui sait ? Peut-être que la Bestiole est à l’origine de ce trouble persistant. S’il fait comme si elle n’existait pas, s’il ne lui accorde aucune attention, alors la nuisance s’étiolera d’elle-même. Elle est comme ça, la Bestiole. Souvent, c’est lorsqu’il l’écoute trop qu’il passe à l’acte. Qu’il commet le pire. Il n’a pas débauché, aujourd’hui. Tout simplement parce qu’il ne travaille jamais le lundi. Reclus presque tout le jour dans son appartement à lire et relire de vieux textes dont certains appris par cœur, il a décidé d’honorer Arkansas Street de sa présence modeste, et notamment de pénétrer dans l’un des troquets de sa connaissance. Il ressemble à l’épicerie / bureau de tabac auprès duquel il se ravitaille souvent. Simplement, il y a moins de Noirs ici. La population, plus hétéroclite, se contente de voguer à ses occupations triviales : boire, manger, rire, gueuler. Face à la rue, il s’est accoudé, boudant le comptoir qui l’a vu se servir auprès du barman. Une bière épaisse, une assiette correcte, et un vieil exemplaire de l’Héliopolis qui traîne là. Le voilà occupé à en feuilleter les pages, comme pour se gorger de l’atmosphère de Shreveport pré-attaque. Pré-occupation. Il juge d’un œil sévère les interviews bancales accordées à ceux que l’on nomme CESS. Il fronce nez et sourcils, perpétuellement étonné de ces termes, vocables apposés comme des étiquettes en usine, sur tout ce qui a besoin d’être nommé par le quidam moyen, de toute évidence. Il ne comprend pas. Féru de mots, de littérature, c’est là où sa passion s’arrête, s’entête. C’est qu’il n’a jamais apprécié Rousseau. Ses recueils et ouvrages lui ont toujours glissé entre les doigts. Pourquoi ? Parce qu’il n’aime pas son esprit. Il n’aime pas cette façon de nommer, de désigner, cette nécessité absolue de pouvoir définir par des lettres étriquées un concept, un animal, un comportement. Les hommes ne savent plus, depuis longtemps, laisser à la Nature sa part de sacré. Il n’avait pas besoin, lui, dans les Pyrénées, de connaître le nom latin ou vernaculaire de chaque herbe, chaque plante, chaque oiseau, chaque insecte. Il lui suffisait de s’imprégner de la sagesse des anciens, pour se fier à leur savoir et comprendre quelle herbe était bénéfique. Quelle plante était vénéneuse. Quel oiseau poussait quel cri, et quel insecte stridulait dans les champs. Reconnaître les contours, les caractéristiques. Ne pas se perdre dans une énumération stupide de vieillard cacochyme étalant sa science comme n’importe quel cuistre.
L’ambre frais coule dans sa gorge, et le loup savoure cette trêve de l’âme et du corps, ces jours de repos le voyant livré à lui-même, à cette liberté qu’il a tant désiré. L’a-t-il obtenue, dès lors ? Vaste débat. Il ne le tiendra pas cette nuit, ni demain. Demain, le réveil sonnera, marquant le début d’un nouveau cycle : cinq jours de travail consécutifs à devoir planquer, plus encore, le monstre que le temps, ses propres faiblesses et la cruauté du monde l’ont obligé à devenir.
« Monsieur ? »
L’anglais crisse à ses oreilles, mais il s’y est habitué, et parvient même à en apprécier les consonances, avec le temps. Sa pinte à la main, il se détourne avec nonchalance vers une femme plutôt grande, aux cheveux blonds, aux yeux clairs, et au visage presque lunaire. Il remarque aussitôt ses prunelles vitreuses. Elle ressemble à une somnambule prise au piège de sa transe. Elle n’attend pas, lui remet quelque chose qu’il saisit avec moult précautions. Puis, elle se détourne. Repart. Sans tituber, mais sans grande assurance non plus. Sous ses doigts, la texture est douce au toucher. On dirait de la soie. Il repose la pinte, le nez baissé vers l’étoffe qu’il rechigne à ouvrir. Une dernière fois, il jette un coup d’œil par-dessus son épaule, guettant un détail pouvant le mettre sur une piste. Rien, cependant. Il est seul, avec ce morceau de tissu immaculé. Il faut l’ouvrir. Comme s’il s’agissait de cristal, il en soulève les extrémités.
Lettres écarlates. Sinogrammes précis. (Tracés dans la terre, de la pointe d’un bâton). Ses dextres manquent de le lâcher. (La prononciation, étrange, dérangeante [mais pas entre ses lèvres]).
La réaction est immédiate, vive, comme le venin d’un reptile chercherait la faille, remontant jusqu’au cœur. Ce dernier s’emballe, ses dents claquent quelques secondes durant, et il ne sent plus ses jambes, tandis que son estomac se contracte à lui en donner la nausée. Un vertige, et le voilà debout, cherchant dans l’obscurité de la rue un indice de plus.
Le Flair. Il porte la soie à ses narines et inspire, profondément, à s’en faire mal. Il relâche une expiration tétanisée, un soupir ressemblant à une plainte, et une main remonte, griffant sa joue, de la pommette à l’orée du menton. Rester là. Présent. Ne pas perdre la tête. Ne pas laisser cliqueter la bestiole. Trois billets verts abandonnés là, près d’une assiette à moitié pleine. Il sort, comme si le diable s’était (enfin) décidé à se lancer à ses trousses. Il le craint bien plus que les hommes du PASUA. Dehors, un vent léger souffle, compliquant les choses. Il inspire, encore, cherche le parfum de…
Non. Prononcer son nom, même en pensée, est justement tout bonnement impensable. Il se lance dans une série de calculs qui le terrifient. Il remonte, décline toutes les années, toutes les dernières décennies. Il cherche, fait le tri dans ses fantômes (parodie de quête, il sait déjà). Le palpitant tambourine, ses jambes ne lui semblent pas solides. Au milieu des passants qui remontent le trottoir, pas si bondé, il remarque finalement une ruelle, traçant sa route entre deux immeubles épais. Les pans de sa veste flottent doucement, et le tissu d’une chemise de bonne facture (ancienne, elle aussi. Très ancienne), moule son ventre au supplice, cachant ses entrailles tordues d’angoisse. Lui aussi s’est plié à la bassesse de ce siècle. Mais même le jean sombre qui le moule ne pourrait, comme Elle, tromper un esprit vif et perspicace. Ils ne sont pas de cette époque. Les Richelieu opaques se confondraient presque avec le bitume qu’il foule, bravant les mécaniques hurlantes pour traverser en trombe et rejoindre l’autre côté. Là où la ruelle commence. Tout en gardant serré fort dans sa main le bout de soie marqué par ses mots, il tremble, s’approche, se demande s’il ne devrait pas tourner les talons. Il s’agit peut-être d’une nouvelle crise. Démence, dont il a l’habitude. Car comment ? Par quelle nouvelle calamité, au nom de quel augure vicelard, Gautièr Montignac pourrait-il de nouveau croiser le chemin de Mei Long ? Cinquante ans ont passé. Cinquante ans d’une fadeur se disputant aux épisodes sanguinaires, aux interrogatoires de routine, aux trahisons successives. Dans les deux camps. Cinquante ans passés à effacer coûte que coûte sa présence, son odeur, ses vilénies. Cinquante ans. Il s’en est passé des choses, en cinquante ans. Depuis son propre exil, depuis qu’il avait décidé de cesser de courir les bois auprès d’une démone égoïste, étrange, aux mœurs contradictoires. Cinquante ans, cinquante ans de décadence, cinquante ans de quintessence faiblarde. Il a peur de la suivre de nouveau. Mais il y a bien pire que de suivre la poupée chinoise. C'est bien de ne pas la suivre lorsqu'elle l'y invite.
Tout s’agence, tout se recompose. Il comprend. Effrayé, il ne prendra pas le risque de la laisser le frapper par surprise. Alors, retenant son souffle, il s’aventure dans cet espace silencieux, où chaque bruit, chaque son, se répercute sur les parois et rebondit, résonne, jusqu’aux cieux dégagés. Il n’ose pas parler. L’appeler. Il se raccroche encore à l’espoir d’un délire de sa part, d’un rêve, même, qui sait ? Alors, il tend sa main libre, écorche sa paume contre la brique dure, aux aspérités parfois sévères. Non. Il est bien là. Il ne s’agit pas du pays des songes, mais bien de cette même patrie ayant vu se rencontrer deux êtres que le destin n’aurait pas dû mêler. Une part de lui se reprocher de céder. Il devrait partir. Jeter là cette signature marquant l’opprobre. Ne pas lui donner une chance de l’égorger, ici-même. Se défendrait-il ? La supplierait-il ? Et s’il ne s’agit pas d’un mirage, s’il retrouve le visage de sa princesse au sang froid, que dire ? Que faire ? Il marche. Il étouffe autant que possible le son produit par son avancée.
Prédatrice avide. Elle coule dans les ténèbres, fidèles alliées de sa longue existence. Ses pas la portent dans le dédale des rues jugées crasseuses et aux relents malodorants, son esprit étonnamment léger. La belle ne le niera pas, elle n'a vécu ces derniers jours que pour cet instant. Vérité brute. Excitation à son paroxysme. De cette haine farouche et rancoeur exacerbée elle puise toute sa force, toute sa vilenie. Elle n'est pas gentille, elle n'est pas compatissante et l'empathie est une inconnue qu'elle n'a jamais cherché à faire sienne. Garce impudique, elle exulte. Chasseuse, elle se refuse à être proie. Pas ce soir. Pas pour Lui. Et l'immortelle sait. Qu'il suivra. Sans même se retourner, sans chercher à savoir si les pas de l'homme marchent sur les siens, elle sait. Si la curiosité ne l'emporte pas, le doute fera son œuvre. Ce peut-être. Insidieux. Dévorant. Destructeur. C'est ce qui l'avait portée depuis une semaine, et c'est précisément ce qui le portera à pousser sa carcasse lupine jusqu'à elle.
Gautièr. Et son instabilité. Gautièr. Et sa folie. Comment ne pas vouloir être certain que cette rancunière harpie sillonne encore le monde et le persécute de ses humeurs capricieuses ? Qu'elle se nourrit encore de ce chaos général ? De cette futilité toute humaine ? Après tout ce temps...toutes ces décennies écoulées sans jamais la toucher, même d'un lointain regard. Il viendra. Il suivra. Docile petit chiot en manque d'attention, réclamant des caresses tout en craignant le bâton pour se faire battre. Masochiste de l'âme. Tueur. Fou. Torturé.
Viens....
Ses mains glissent sur la brique tandis que les échos de l'agitation nocturne laisse place à un silence inquiétant. Sourire aux lèvres, elle ne sait combien de temps elle déambule ainsi, s'enfonçant dans le cœur putride de cette ville encore étrangère. Ils le sont tous ce soir non ? Réunion macabre. Stoppant ses pas, elle tend l'oreille, attentive au moindre signe d'une activité humaine et lève finalement les yeux vers les lumières électriques qui éclairent sommairement cette ruelle sordide. Nonchalamment, l'Asiatique attrape un morceau de roche, puis un second, et, visée impeccable, un bruit de verre retentit suivi d'un grésillement sinistre. La lumière vacille un instant, puis le noir absolu. Seule la lune tente de préserver une infime source de lumière dans ce coupe gorge créé pour l'occasion.
Tic tac. Tic tac. Elle attend, patiemment. Compte les secondes qui s'égrènent à un rythme régulier. Tapie dans l'ombre, elle ferme les yeux, attendant que sa proie du jour ose la narguer dans ce danger qu'elle a initié. Elle le sent plus qu'elle ne l'entend. C'est qu'il sait se faire discret, son loup, quand l'occasion s'y prête. Qu'il était loin le temps des cris assourdissants, des hurlements paniqués, de la saveur du sang tiède qui coule sur sa gorge et l'intoxique de son parfum enivrant, de son goût extatique. Qu'il était loin le temps de cette absolue liberté. Elle avait promis d'être sage. Mei. Sage. C'est presque un oxymore irréel. Elle avait promis d'être discrète, de ne plus se laisser consumer par sa Soif, par cette absence de contrôle qui la caractérisait si bien. Discrète, elle l'était présentement. Féline silencieuse qui attend son heure. Quant à être sage, elle ne pouvait rien promettre. Pas ici. Pas pour Lui. Pas avec Lui. Il était parti, et l'avait laissé seule. Il avait osé. C'était à lui de ramper. Ce soir il ne serait pas loup. Ce soir il serait chien.
Alors quand sa présence se fait certaine, quand la vampire peut presque toucher du bout des doigts l'électricité qui parcourt l'air dans ce bout de ruelle, les yeux toujours fermés, elle les appelle, ses précieuses alliées. Ténèbres. Obténébration. Elle se moque de la force que ça lui demande, encore plus avec son nouveau régime alimentaire. Elle les recouvre tous deux de ce manteau de plomb, de cette noirceur qui autrefois a été la leur. L'astre lunaire lui-même devient invisible et ne reste que le néant. Leur néant. Loup y es-tu ?
« Tu as grandi, garçon. »
Invisible, toujours tapie comme la prédatrice qu'elle se veut être ce soir, elle laisse sa voix résonner dans cette atmosphère de film d'horreur. Le dernier mot est soufflé avec dédain et l'orientale se plaît à le faire sonner comme une insulte. Petit garçon devenu homme. Cinquante années. Cinquante. Avec combien d'autres était-il devenu cet homme ? Combien de catins de bas étage avaient profité de cette passion dévorante, de ses caresses enflammées, de ses lèvres avides de chair, de son vit ?
Tu n'es qu'un homme, après tout.
Délaissant sa cachette, elle se confond avec les ombres et joue de la peur qu'elle fait naître. Il est sur ses gardes. Oui, ne pas savoir est la pire des tortures mentales. Quand ? Comment ? Il la connaît. Trop bien. Mais pouvait-on vraiment se targuer de connaître une princesse si instable, si capricieuse, doucereuse un jour et antipathique au possible le lendemain ? Réclamant l'affection pour mieux vous la cracher au visage la seconde d'après. Le chaud. Le froid. Le loup. La Sans-Vie. Dans son dos, elle se fait tombe. Ne bouge plus. Attend. Écoute sa respiration qu'il tente de contrôler. Seulement alors elle les laisse disparaître. Ses précieuses alliées. Les ténèbres se dispersent et la lune éclaire de nouveau faiblement ce territoire presque conquis.
« Te voilà homme. »
Il se retourne et l'obsidienne rencontre l'émeraude. Face à face percutant. Elle ne cède pas, se noie à nouveau dans ses prunelles claires qui l'avaient toujours fascinée. Poupée de porcelaine, elle ne montre rien. Ni joie. Ni colère. Absolument rien. Se nourrissant de tout ce qui semble naître en lui. Il sait. Maintenant il sait. Le laissant assimiler cette vérité, cette vision, elle se rapproche dans une lenteur calculée, autant pour ne pas l'effrayer que pour laisser le temps à son regard de le détailler dans son entièreté. Si semblable et si différent... « Gautièr... » Elle le fait danser sur sa langue, sonorités étrangères qu'elle n'a plus l'habitude d'utiliser. « Gautièr... » Un pas de plus vers lui, discret, lent, mesuré. « Gautièr... » Elle arrive à sa hauteur, ses iris d'encre noire toujours plongées dans les siennes. Elle se veut douce, inoffensive, comme un ange tout droit tombé du ciel.
« Gautièr... » Le revers de sa main percute sa mâchoire sans ménagement. « Faible... » Elle rit tandis qu'elle glisse à ses côtés, sa main venant frôler son bras, remontant le long de son épaule pour en apprécier les nouvelles formes, les muscles plus développés. Dans son dos, elle se hisse sur la pointe des pieds pour parvenir à son cou dont elle hume l'odeur sans retenue. « Gautièr... » Ses bras glissent sous les siens, ceinture sa taille toujours aussi fine, et son corps contre le sien, sa bouche au creux de son de son oreille, elle susurre, succube « Mon loup... »
code by EXORDIUM. | imgs by tumblr
Gautièr Montignac
ADMIN ۰ Mignon comme Tchoupi, aussi vnr que Moundir : le Loup d'la Vieille (la chair vivante, c'est gourmang-croquang)
◖ INACHEVÉ ◗
"C'est une histoire de dingue.
Une histoire bête à pleurer."
En un mot : Meursault d'Occident. Sorel d'Amérique.
Qui es-tu ? :
"J'irais bien voir la mer.
Écouter les gens se taire."
◖◗ Homme du pays occitan, dans le Sud de la France. Né au cœur des Pyrénées aux sommets blanchis, entre le soleil et la rocaille du mois de juillet 1898.
◖◗ Loup-garou Bêta condamné à fuir famille et village, jeté sur les voies forestières d'un exil, des frontières d'Espagne aux vallées de Lozère. Voyageur infatigable, jusqu'au Nord de la France et la côte est américaine.
◖◗ Relation d'amour et de haine pour cette France ingrate. Son sang a coulé pour des généraux dont le pied n'a jamais foulé le no man's land de la Grande Guerre. Membre d'un réseau clandestin dans les années 40.
◖◗ Rêveur misanthrope à la philosophie d'un autre temps. Passe sans mal de l'empathie au jugement, de la tolérance au dégoût. Aide lorsqu'il le peut. Tue quand il le doit. Bestiole dans le crâne qui commandite d'étranges désirs.
◖◗ Homme à tout faire : capable de nettoyer les chiottes, de garder un musée, de balayer la rue ou de tenir une caisse. Prédilection pour les postes de serveur, aidé par ses hanches étroites et ses bras solides. Poste d'observation privilégié pour tous les comportements humains et non-humains.
◖◗ Rebut. Incapable de s'adapter pleinement à une meute. Chaque tentative se solde par un échec plus ou moins pénible. Solitaire, se protège derrière la barrière de mensonges qui résistent encore aux outrages du temps. Prétend n'être rien d'autre que la Bête du Gévaudan. S'en convainc parfois, ou bien d'être un descendant.
◖◗ A subi les affres du sang et de la rumeur capable de frapper tous les bourgs et hameaux des campagnes profondes. Accusé de crimes qu'il n'a pas commis. N'a jamais eu l'occasion de racheter son honneur parmi les siens.
◖◗ Amant de Mei Long, poupée chinoise de sang royal. La rencontre entre deux écorchés de la vie, entre deux psychés abîmées, vouées à toutes les folies et aux errances mortifères dans les bois du Maryland.
◖◗ Poursuivi par des flics qui n'ont pas pour habitude de lâcher prise. Connu des autorités américaines depuis les années 70. En cavale permanente. Passé maître dans l'art des identités plastiques, artificielles. Espère trouver à Shreveport l'abri de la dernière chance, en incorporant les rangs de la meute. Tueur de flics et de femmes. Traqueur traqué de Medea Comucci.
◖◗ Mélancolique. Dans ses bons jours, capable de déceler la beauté dissimulée derrière tous les aspects de l'existence. Amoureux d'Histoire et de littérature, lecteur infatigable de Camus et de Céline.
◖◗ Dérangeant. Par ses regards perçants, par ses paroles sans filtre, par ses rires grinçants : inadapté, mais sympathique, si son interlocuteur s'y prête.
◖BÊTE DU GÉVAUDAN◗
"L'a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y'a qu'le décor qui évolue.
La mentalité est la même.
Tous des tocards, tous des faux culs."
Facultés : ◖◗ Faiseur d'histoires. Capable d'inventer mythes et récits sans effort. Charmant ou effrayant tour à tour. Se réinvente sans cesse, personnage protéiforme.
◖◗ Passé maître dans l'art de dissimuler un corps et d'en ôter la vie. Tous les moyens sont bons.
◖◗ Sait comment survivre face au froid, à la pluie, à la grisaille et à la brume, aux mers, aux monts et aux coups bas. Aux morsures, aux traîtrises, aux caresses, aux promesses.
Thème : Le Fleuve ◖◗ Noir Désir
◖MINDHUNTER◗
"Je vais les rues je vais les lieux où on ne m'attend pas. Ceux que je croise au fond des yeux, non, ne me voient pas. Je parle à des gens comme moi qui n'ont l'air de rien. Des esclaves en muselière qui n'en pensent pas moins."
Pseudo : Nero
Célébrité : Harry Lloyd.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Ian C. Calloway
Il retient parfois sa respiration, à s’en faire mal aux côtes. Plus si malingre, mais pas très épais non plus, il ressent avec une acuité décuplée chaque parcelle de lui. La pulpe de ses doigts éraflée par le contact rugueux du crépi de part et d’autre de lui (assurer son équilibre, comme s’il remontait une corde suspendue au-dessus du vide), l’humidité presque pénible à supporter, chape qui l’empêchait d’aspirer l’air pur, comme il l’aurait voulu, et sa peau hérissée des millions de dômes de frissons, les nerfs mis à vif. Saisi, il laisse la ruelle se refermer sur lui. Il n’entend plus les voitures qui passent, les habitants parler, rire ou vivre. Il est seul. Seul, entouré de ces murs trop hauts, qui ne le rassurent tout d’un coup plus autant que les troncs centenaires qui le rebutent à présent. Il n’y a pas d’échappatoire, ici. Aucun moyen de grimper à l’assaut de ces parois trop imposantes, murs de prison dont la simple pensée le ramène à des souvenirs terribles. Quelques gouttes de claustrophobie sont venues se déposer sur le fil de sa langue, en picotant le dard. Il sursaute lorsqu’une flaque infime clapote sous son pied par mégarde. Rien du tout, tâche dérisoire dans le paysage sonore qui, en dépit des apparences, ne s’est pas tu comme par miracle. Alors pourquoi persiste-t-il à croire que le monde entier retient son souffle, à son image ? Plus il avance, plus l’issue mal éclairée dans son dos s’éloigne. Il s’enfonce, profondément, dans un piège conçu pour lui, taillé à sa mesure. Qu’importe. Il doit aller jusqu’au bout. Fuyard mais pas lâche, ni peureux, il n’a jamais tourné les talons. Même face au pire. Surtout face au pire. Par fierté, par orgueil, il refuse de montrer le dos au cauchemar vivant qui, pendant des lustres, a hanté ses désirs, rendu ses reins bouillants, frustrés de ne rencontrer que le vide, et de ne plus sentir la caresse inquiétante des paumes asiatiques. Il souffre. Une pierre lourde et invisible semble occupée à broyer son sternum, les os de sa cage thoracique avec une application redoutable. Il n’en peut plus de cette attente qui s’éternise, en même temps que ses pas à lui ralentissent. Il est trop tard pour faire demi-tour. Il ne distingue qu’à peine l’éventuel tournant annonçant la débouchée sur un autre pâté d’immeubles, et l’entrée qu’il a emprunté est déjà loin. Comme pour le conforter dans ses craintes, un bruit de verre caractéristique paraît éclater à ses tympans, lui tirant un sursaut de plus (si fébrile) mais stoppant également son avancée. Cette fois, il laisse échapper une expiration boursouflée de frousse. En plus de l’ampoule éclatée, quelques mètres plus loin, plus haut, quelque chose d’autre est tombé, résonnant de façon caractéristique sur le sol abîmé. Ce n’est évidemment pas un hasard. Il doit forcer sur ses prunelles nyctalopes, mais bien moins que les siennes. Le peu de luminosité qui lui était accordé jusqu’alors s’évanouit, et il lui faut dérober quelques précieuses secondes supplémentaires pour ajuster sa vision. Comme un enfant pris au piège d’un cauchemar le voyant incapable de s’enfuir sur le champ, il a cessé de marcher. Il ne parvient plus à se remettre en route, en branle, et son cœur s’emballe, cherche à se défaire de sa prison de chair, à grands renforts de tambourinements déchaînés. Il exhale un air empoisonné par la peur qu’il contient à grand peine. Il devine ce qui n’est qu’une provocation gigantesque, attendre une réponse qu’il refuse de fournir. Les lèvres entrouvertes mais les dents serrées, sa mâchoire manque de claquer, comme pour chercher à se refermer sur un indice, sur la prédatrice qui, à une époque, aurait fait d’office taire toute tentative de rébellion.
Cinquante ans. Cinquante ans qui ont changé la face de la terre. Et la leur.
Ça ne peut pas être pire. Et pourtant. Un infime frémissement dans l’air alerte ce fils de la nature profonde. Déjà, humain, il était capable dès lors de percevoir le changement porté par le vent : la pluie qui s’annonce, l’orage qui s’en vient, en fonction du vol des nuages, de leur accroche aux cimes familières, au vol bas des rapaces et au comportement des bovidés, des moutons et des chevaux. Jusqu’aux chiens dont il fallait lire les signes : avertissements de prédateurs en approche, d’une mort à venir ; hurlements macabres, prédisant le pire. Oui. Intuitif depuis sa naissance, il n’a jamais déambulé à l’aveugle. C’est ce qui a toujours fait la différence entre lui et ceux qui, à son image, se sont laissés prendre par les autorités humaines bien trop longtemps, à défaut d’avoir prêté allégeance à une synesthésie encore vitale, qu’aucun progrès technologique, qu’aucune avancée sociétale ne pourraient venir réduire à néant. Il ne s’est jamais coupé de cette animalité parfois envahissante. Cette nuit, il en a besoin, plus que jamais. Mais trop tard. Il les renifle, ces pans d’obscurité qui rendent l’atmosphère nocive. Elle devient plus pesante encore, et d'un seul coup, le moindre éclat luminescent s’évanouit, soufflé comme la flamme d’une bougie sur sa fin. À présent, il s’immobilise totalement. Son imagination travaille déjà. Il imagine des pans de falaise tout autour de lui. Un seul pas de côté, un seul pas de travers, et il basculera dans le Néant, courra à sa perte, enfin avalé par cette matière glaiseuse qui, déjà, avait cherché à l’engloutir, plus d’un siècle auparavant.
« Tu as grandi, garçon. »
Le magma boueux aurait pu émettre ce même constat. Dans le délire de sa psyché explosée, influencée par la Bestiole, il aurait pu entendre cet appel au meurtre, cette plainte bougonne. La terre n’a pas réussi à le manger une première fois. Qui sait quel démon elle a pu engager, mettre à son service, pour le rattraper par la cheville et le tirer dans une tranchée venue d’un autre monde ? Sa raison, cependant, l’alerte. Elle lui tire la manche, l’implore, l’incite à ne pas perdre de vue celle pour laquelle il s’est infiltré aussi loin, au risque de le payer de sa vie. Elle. Ce ne peut être qu’elle. Cette voix pareille à celle d’une déité appartenant à partout et nulle part, dont l’écho pourrait provenir du ciel comme des tréfonds, des entrailles sous ses pieds, résonne profondément en lui, et il lui en faudrait peu pour ne pas concevoir cette sensation de vibration comme si le sol s'était mis à trembler. Quatre mots. Quatre mots pour que tous ses organes palpitent, que son organisme se perturbe de lui-même. Un simple bouton pressé capable de déclencher des réactions en chaîne inouïes. Sait-elle, seulement, l’impact que ces quatre seuls mots peuvent avoir sur lui ? Oui ou non, il ne serait étonné ni de l’un ni de l’autre. Et puis le mépris. Il y a ce mépris dangereux qui émane des syllabes articulées. Il n’y a aucune bienveillance, aucune aménité pouvant l’inciter à penser que tout se passera bien, et qu’il pénètre dans cet antre, devenu presque personnel – comme toutes celles que l’Antique s’approprie, crée et remodèle au rythme de ses caprices – sans risquer d’y laisser ne serait-ce qu'un bout de son âme morcelée.
L’air ondoie encore, les atomes se déplaçant par paquets presque compacts, presque visibles, en dépit de l’opacité totale. Il n’ose tendre les phalanges à tâtons, ayant cette fois ramené ses poings tout contre lui, se faisant plus mince, moins accessible, tentative qui n’en est même pas une, au fond, de limiter la casse, les dégâts, de rétrécir la cible qu’il représente, aux yeux d’ébène de son ancienne amante. Il guette, sans comprendre que la lucidité ne le sauvera pas de ses griffes, prêtes à se planter dans son dos.
Lorsque la lumière de la lune, ce soir amie, lui revient et l’invite à lever les yeux vers elle, comme pour prier l’astre de l’éclairer encore, il est trop tard. La voix de la Maudite tonne de plus belle, et il pivote brutalement, se retourne pour se retrouver nez à nez avec elle, dont le portrait le plonge dans un trouble indéfinissable. Il n’y a d’abord aucun plaisir à la vue de ces traits n’ayant guère changé. Pas d’un cil. Le même teint blafard, les mêmes cheveux de soie, la même bouche impériale, et cette absence de sourire, cette absence de toute expression la consacrant si aisément cadavre. Une silhouette morte, privée de toute vie, contre laquelle il avait pourtant dormi, espéré, s’était nourri et avait craint pour l’avenir, alors amas de cendres, consumé avant même d’avoir été attendu. Elle approche, et il se recule. Il fuit ce parfum de stupre qu’elle sait si bien cacher, enfouir, comme elle le faisait déjà avant qu’ils ne se rencontrent, s’abritant de la lueur du jour dans les forêts du Maryland. Elle, l’air de rien, intouchable, intouchée, sauf quand elle l’exige. Hypocrisie ou caprices soigneusement étudiés, il ne l’a jamais su. A-t-elle changé ? Que se passe-t-il par-delà son front imperturbable que nulle ride ne vient égratigner ? Elle lui semble aussi superbe qu’au premier jour où, errant et dément, il l’a trouvée dans ce modeste chez lui aménagé sommairement. Il ne l’a jamais vue aussi impeccable. Aussi maîtrisée. Il a presque du mal à croire qu’il s’agit de la même dame vampire capable de céder aux meurtres, de s’abreuver sur des litres et des litres de sang, la rendant à la fois repue mais gourmande d’autre chose, dès lors. Au fur et à mesure que les syllabes de son prénom se balancent comme les cloches qui tintent (le son des cloches lui manque), des cloches prophétiques et étranges, plusieurs frémissements l’assaillent, l’atteignent et le clouent à moitié sur place, lorsqu’il décide de s’arrêter là, quand l’un des murs commence à se faire proche derrière lui. Il a décidé de ne pas être pleutre. Il assumera jusqu’au bout. Il sait ce que ses expressions trahissent, révèlent de lui. Il sait le choc qu’elle doit lire sans mal, le mélange de terreur, de désir et de fascination qu’elle a toujours réussi à exacerber, chez lui. Elle ne respire pas, mais il cherche quand même un autre indice témoignant de la vie qu’elle est capable de simuler, au moins un peu. Elle lui faisait si peur, lorsqu’elle dormait. Lorsqu’aucun mouvement de ventre, aucun frémissement de paupières ne venaient lui prouver qu’il ne résidait pas aux côtés d’un macchabée aux traits préservés jusqu’à la fin de l’éternité. Même Dieu n’aurait alors été capable d’un tel prodige.
Homme, il l’est, oui. Il n’a plus grand-chose à voir avec la bête éprouvée par deux guerres mondiales successives, comme il aime à s’en persuader. Il n’a pu changer en totale profondeur, mais il s’est renforcé physiquement, mentalement (en bien, comme en mal, dans ses résolutions comme dans ses travers), et il se pense doté d’armes plus solides, au fil moins émoussé, pour affronter en tête à tête celle pour qui il a accepté de se nier lui-même. Il n’a pas le temps d’articuler : une gifle, moins faite pour blesser que pour l’humilier, claque et l’oblige à détourner le regard sous l’élan propulsé. Il tremble, retient une plainte, se mord l’intérieur de la joue pour contenir sa rage, mais plus encore la douleur que provoque ce rire, celui qu’il attend depuis la première seconde. La façon dont elle le touche, dont il sent cette main ramper le long de son bras, de son corps, le plonge dans un état de sidération telle que de nombreuses victimes ont connu, connaissent et connaîtront. Lui qui se croyait prêt à la repousser au moment où elle chercherait à outrepasser ses limites, se voit continuer de fixer le vide, le vague, le sombre, attentif au parcours de ses phalanges qu’il devine glacées au travers de ses vêtements. Souple comme une ombre, elle disparaît, se dissimule derrière lui, le respire. Il se tend aussitôt, comme pour se grandir davantage, lui demeurer inaccessible ; en vain. Elle l’enserre, le voyant entrouvrir les lèvres, battre des paupières, contraint et forcé d’encaisser ce chaud et froid détestable, qui n’est qu’un jeu de sa part. Il voudrait que cette scène n’ait jamais eu lieu. Il voudrait ne jamais avoir été obligé de la revoir. Et si une part infime, réagit sans heurt, s’il remercie d’une part les étoiles dont il a perdu l’amour de le réunir avec celle qui l’a vu ressentir comme jamais auparavant, il sait qu’elle n’est pas bonne, pour lui. Il sait que de leurs retrouvailles, réunion sacrilège, seule la mort peut naître encore. Il ne peut se le permettre. Pas maintenant. Pas déjà.
Que dire ? Que faire ? Elle, agrippée à lui. Il ne peut la repousser. Elle prend l’apparence, soudain, de l’ensemble de ses tourments, crimes, remords et douleurs, le maintenant en vie depuis presque aussi longtemps qu’elle. Oh, il cèdera avant. Il n’est pas fait pour errer ici-bas sans commencement ni fin, comme de nombreux Longue-Vies. Cette masse personnifiée, il ne peut l’assassiner. Ni la hache, ni le bâton de berger, ni la baïonnette, ni le revolver, ni le couteau de boucher, ni la bombe nucléaire ne peuvent tuer cet automate. Ni vivante, ni défunte. Tandis que son parfum l’enveloppe, qu’il résiste à l’envie, au besoin de s’adosser un peu à elle, il essaie de comprendre par quel moyen la Sauvage l’a retrouvé. Modelé par une paranoïa nécessaire, obsédé par l’idée d’échapper à tout et à tout le monde, véritable Céline dont le voyage au bout d’une nuit sans contours le blesse autant qu’il le porte, il craint d’avoir pris une confiance aveugle, de ne pas avoir camouflé ses traces comme il l’aurait dû.
Il ne prononce pas son nom. Toujours pas. Il en est incapable.
Le bouton de rose de ses lèvres, si proche contre son lobe, susurre et murmure, l’affaiblit et l’incite à déposer les armes, toutes ces armes factices ou inutiles. Il baisse les yeux vers les mains ayant semé l’indice fatidique ; le bout de soie. « Depuis quand… ? » Il articule l’anglais. Pas de français entre eux deux, ce soir. Son accent adouci mais encore prononcé, il tremble de la réponse. « Depuis quand tu sais que je suis ici ? » Un spasme de plus. Prisonnier. Claustrophobe. Il bouge, manifeste son trouble, bandant déjà ses muscles sans oser, pour l’heure, chercher à lui échapper franchement. « Tu me traques depuis longtemps… ? » Depuis tout ce temps ? « Ou bien ce n’est qu’un hasard de plus ? » Y croirait-il ? Difficile à dire. Le monde et ses habitants se sont complexifiés. Plus aucun cliché ni raisonnement tout fait ne serait bon à dérober sans s’y reprendre à deux fois. Elle n’imagine peut-être pas la dose de bravoure qu’il doit rassembler pour oser s’adresser à elle ainsi. Presque pour la défier. Pour lui prouver qu’il a su continuer sans elle. Qu’elle ne lui était pas indispensable ; ou du moins pas à sa survie. Une chaleur intolérable l’envahit, lorsqu’il poursuit alors, se voulant implacable, déterminé. Pas faible.
Nuit docile. Nuit câline. Elle exulte, là, tout contre lui, plaquant sans pudeur son corps contre le sien, s’enivrant de son odeur si masculine dont elle n’a jamais réellement oublié les effluves. Cinquante années. Un demi-siècle de rancœur, cinq décennies d’oubli. Et pourtant, pourtant, sa mémoire ne lui fait pas défaut. Si la chronologie des souvenirs n’est pas, n’est plus, les connexions explosent, là, dans sa petite boîte crânienne, prenant conscience que les filaments qu’elle pensait s’être effilochés au gré des années écoulées surgissent à nouveau, soigneusement rangés dans ses trop nombreux souvenirs. Sa présence, ses orbes clairs, et le timbre de sa voix qui, enfin, résonne dans cette ruelle sordide. Devenue succube, elle ferme les yeux, savourant chaque syllabe qui s’échappe de ses lèvres maintes fois possédées. Écho d’un passé révolu et qui l’a néanmoins façonnée plus sûrement qu’elle ne l’admettra jamais. L’Anglais ne lui sied guère et l’immortelle se voit déçue de constater que l’accent s’est émoussé, le rendant moins Français et plus Américain. Quelle répugnante idée!
Derrière son dos, la question lui arrache un sourire sadique et ravi, combinaison qui la définit finalement si bien. Et c’est de façon toute aussi sadique que la Belle se mure dans un silence volontaire, laissant les bruits de la nuit les envelopper à chacun de ses blancs. Oh oui, plonge… Dans ces abysses emplies de doutes, de ces abîmes noyés par la paranoïa. Prédateur devenu proie qui s’interroge, dénoue la bobine et se rejoue le film des derniers jours, des dernières semaines, des derniers mois? Harpie sans scrupules qui le laisse glisser vers les limbes d’une folie qu’elle sait ne disparaît jamais vraiment. Elle en est, après tout, le parfait exemple. Poupée docile qui se contient. Pantin décharné qui se maîtrise depuis son éveil, rattrapant ces deux décennies d’absolu néant. Et toi? Existe-t-il encore, dans un coin reculé, l’ombre menaçante de la Bête? L’est-elle, d’ailleurs, tapie? Ou suffirait-il qu’elle gratte un peu la surface cette pellicule de vernis pour la faire surgir à nouveau? À présent découverts aux yeux du monde, Mei ne doute pas qu’il a tenté de se faire discret. C’est la seule réponse logique au fait que son loup soit encore en vie. Oh oui… et son cœur bat si fort, là, dans cette poitrine qu’elle serre un peu plus, le marquant de son odeur, réclamant son dû. Possessive. Égoïste. Maîtresse. La violence, puis la caresse. Le froid. Le chaud. C’est ainsi que l’on dresse les animaux. Clébard insolent. “Quelle importance…” Un souffle, là, dans son cou, là où la peau est si fine, là où la veine palpite, là, où, en de trop rares occasions, elle aime mordre, s’abreuver, déchiqueter, tuer. “Un jour, une vie.” Son sourire s’élargit tandis qu’elle lui refuse les réponses quémandées. On ne demande pas face à elle, on s’exécute. Mais parce que la vampire se nourrit de ses doutes, de sa peur, de la colère qu’elle sent suinter par tous les pores de sa peau, elle pique, encore et encore, visant le point de rupture, la corde qui craquera. C’est un jeu auquel elle ne s’est pas adonné depuis trop longtemps à son goût et il est des plus savoureux. Au moins tant qu’elle en est maîtresse. “Suffisamment pour connaître tes habitudes, mon amour.” Elle laisse sa langue couler sur les deux derniers mots, autant pour le tenter que pour lui signifier qu’elle n’a rien oublié et qu’il est à elle, rien qu’à elle. Et que cette possessivité le concernant est toute aussi dangereuse aujourd’hui qu’à l’époque. Que de ce lien qui les unit il n’en est pas défait. Que la corde du destin est toujours solidement nouée autour de leurs deux existences.
Que veut-elle?
Ce que l’impératrice déchue a toujours voulu. Ce qui lui revient de droit. De naissance, et du reste. Mais à nouveau le silence plane, longtemps, assez pour instiller tout ce qu’il y a de plus vil dans ce refus. Elle ne cède aucun mètre de terrain, ne concède rien. Le serrant contre elle, juchée sur la pointe des pieds, ses lèvres viennent se plaquer un peu plus contre son oreille. “Je veux tout.” Aussi vite qu’elle l’a étreint l’immortelle se défait, le contourne pour venir se planter face à lui, daignant enfin l’affronter. Le chaud. Le froid.
Se laissant dominer par sa hauteur d’homme, elle ne se sent pas diminuée pour autant et sur ses traits l’asiatique laisse filtrer son intérêt, sa nostalgie, un semblant… d’affection? Ses yeux. Mon Dieu ses yeux. Elle si longtemps habituée à la noirceur des regards orientaux, elle s’y noie volontiers. Si clairs, si profonds, si beaux. Son visage porte de nouvelles marques qu’elle tente d’imprégner dans sa mémoire afin que cette version de Lui supplante l’ancienne. Gautièr homme. Lentement, comme par crainte de le voir s’évaporer, sa main princière se relève pour mieux épouser sa joue, souriant quand elle la sent légèrement râpeuse sous la pulpe de ses doigts. Si chaud, si vivant… Redessinant dans une lenteur calculée sa mâchoire plus affirmée, son autre main court sur son torse, sur son ventre qu’elle sent se tendre avec satisfaction sous la caresse. Et quand son index et son majeur se perdent sur les lèvres du loup, elle ne peut s’empêcher de mordiller sensuellement la sienne. Se lovant contre lui, toujours impudique, leurs deux corps s’harmonisent et elle se rapproche, envahissant son espace vital, ses lèvres à quelques centimètres des siennes. “Je t’ai manqué?” Assez habile pour donner une inflexion innocente à sa question, ses iris s’ancrent dans les siennes, attrapant du bout des doigts l’une de ses mains pour la porter à sa taille, elle se fait suppliante. “Touche moi….”
code by EXORDIUM. | imgs by tumblr
Gautièr Montignac
ADMIN ۰ Mignon comme Tchoupi, aussi vnr que Moundir : le Loup d'la Vieille (la chair vivante, c'est gourmang-croquang)
◖ INACHEVÉ ◗
"C'est une histoire de dingue.
Une histoire bête à pleurer."
En un mot : Meursault d'Occident. Sorel d'Amérique.
Qui es-tu ? :
"J'irais bien voir la mer.
Écouter les gens se taire."
◖◗ Homme du pays occitan, dans le Sud de la France. Né au cœur des Pyrénées aux sommets blanchis, entre le soleil et la rocaille du mois de juillet 1898.
◖◗ Loup-garou Bêta condamné à fuir famille et village, jeté sur les voies forestières d'un exil, des frontières d'Espagne aux vallées de Lozère. Voyageur infatigable, jusqu'au Nord de la France et la côte est américaine.
◖◗ Relation d'amour et de haine pour cette France ingrate. Son sang a coulé pour des généraux dont le pied n'a jamais foulé le no man's land de la Grande Guerre. Membre d'un réseau clandestin dans les années 40.
◖◗ Rêveur misanthrope à la philosophie d'un autre temps. Passe sans mal de l'empathie au jugement, de la tolérance au dégoût. Aide lorsqu'il le peut. Tue quand il le doit. Bestiole dans le crâne qui commandite d'étranges désirs.
◖◗ Homme à tout faire : capable de nettoyer les chiottes, de garder un musée, de balayer la rue ou de tenir une caisse. Prédilection pour les postes de serveur, aidé par ses hanches étroites et ses bras solides. Poste d'observation privilégié pour tous les comportements humains et non-humains.
◖◗ Rebut. Incapable de s'adapter pleinement à une meute. Chaque tentative se solde par un échec plus ou moins pénible. Solitaire, se protège derrière la barrière de mensonges qui résistent encore aux outrages du temps. Prétend n'être rien d'autre que la Bête du Gévaudan. S'en convainc parfois, ou bien d'être un descendant.
◖◗ A subi les affres du sang et de la rumeur capable de frapper tous les bourgs et hameaux des campagnes profondes. Accusé de crimes qu'il n'a pas commis. N'a jamais eu l'occasion de racheter son honneur parmi les siens.
◖◗ Amant de Mei Long, poupée chinoise de sang royal. La rencontre entre deux écorchés de la vie, entre deux psychés abîmées, vouées à toutes les folies et aux errances mortifères dans les bois du Maryland.
◖◗ Poursuivi par des flics qui n'ont pas pour habitude de lâcher prise. Connu des autorités américaines depuis les années 70. En cavale permanente. Passé maître dans l'art des identités plastiques, artificielles. Espère trouver à Shreveport l'abri de la dernière chance, en incorporant les rangs de la meute. Tueur de flics et de femmes. Traqueur traqué de Medea Comucci.
◖◗ Mélancolique. Dans ses bons jours, capable de déceler la beauté dissimulée derrière tous les aspects de l'existence. Amoureux d'Histoire et de littérature, lecteur infatigable de Camus et de Céline.
◖◗ Dérangeant. Par ses regards perçants, par ses paroles sans filtre, par ses rires grinçants : inadapté, mais sympathique, si son interlocuteur s'y prête.
◖BÊTE DU GÉVAUDAN◗
"L'a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y'a qu'le décor qui évolue.
La mentalité est la même.
Tous des tocards, tous des faux culs."
Facultés : ◖◗ Faiseur d'histoires. Capable d'inventer mythes et récits sans effort. Charmant ou effrayant tour à tour. Se réinvente sans cesse, personnage protéiforme.
◖◗ Passé maître dans l'art de dissimuler un corps et d'en ôter la vie. Tous les moyens sont bons.
◖◗ Sait comment survivre face au froid, à la pluie, à la grisaille et à la brume, aux mers, aux monts et aux coups bas. Aux morsures, aux traîtrises, aux caresses, aux promesses.
Thème : Le Fleuve ◖◗ Noir Désir
◖MINDHUNTER◗
"Je vais les rues je vais les lieux où on ne m'attend pas. Ceux que je croise au fond des yeux, non, ne me voient pas. Je parle à des gens comme moi qui n'ont l'air de rien. Des esclaves en muselière qui n'en pensent pas moins."
Pseudo : Nero
Célébrité : Harry Lloyd.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Ian C. Calloway
Les souvenirs de ses tueries semblent bien pâles en comparaison. Il est effrayé. Effrayé par elle, alors même qu’elle commence déjà à parasiter son échine. Il décèle, redécouvre sa force de par l’étreinte qu’elle lui donne, et le voilà déjà prêt à entrouvrir les lèvres, en quête d’une bouffée d’air destinée à le prémunir de l’asphyxie. Il oublie que les serpents dans son genre, monstre étouffant leur pitance, n’attendent que cela : qu’une inspiration propice à écraser toujours davantage bronches, os, organes. C’est peut-être ce qui explique son immobilisme, cette paralysie pire que celles vécues en plein sommeil. Cette fascination morbide pour elle, cette impression totalement irréelle d’avoir affaire à une femme qu’il croyait perdue, enterrée, oubliée quelque part – peut-être restée là-bas, au fond des bois. Le passé ne cesse de lui courir après, de le rattraper perpétuellement. Il ne réussit jamais à détaler suffisamment vite. Trois mois. Trois mois et déjà, son anonymat s’est envolé. La maigre tranquillité d’esprit qu’il croyait s’être accordé, déjà déchirée par les griffes de son amante dont il ne supporte qu’à peine le poids intolérable, ses mots enduits d’une huile puante tout juste bonne à le clouer sur place, à l’empêcher de fuir tant qu’il est encore temps. La lune ne peut plus rien pour lui. Il est seul. Détestablement seul, bien plus que lors de ses premières années d’exil entre les monts pyrénéens. Il peut encore entendre le claquement de la main contre sa mâchoire, frappe humiliante, marquant le début d’une nouvelle ère. Aucune tendresse. Aucune prudence. Juste ce coup léger, pas destiné à faire mal, mais simplement à lui rappeler où est sa place. Rien ne pourrait être pire. Et s’il s’interroge en lui-même, s’il se regarde avec honnêteté, il sait qu’il a fantasmé de possibles retrouvailles. Elles ne ressemblaient guère à cela.
Mei.
Tout aurait pu être si simple (bien sûr que non). Malgré leur appartenance à deux races bien distinctes, jamais la guerre naturelle ne les avait séparés. Ils s’étaient questionnés, interrogés, observés en chien de faïence l’un et l’autre pendant ce qu’il avait paru être une éternité, ouvertement ou en leur for intérieur, mais rien ne les avait, de façon innée, dressés l’un contre l’autre. Auraient-ils pu avoir un avenir ? Non. Certainement pas. Leur alliance aussi éphémère que née du hasard n’avait pu créer que la mort, une certaine forme de folie que n’auraient pas répugné à analyser une bonne partie des psychothérapeutes occidentaux, ainsi qu’une relation déséquilibrée, dont les rênes n’avaient toujours été tenues que par elle, et uniquement par elle. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela avait bien pu révéler de lui ? N’avait-il donc été que cela ? « Faible », dont le potentiel n’était parvenu que tardivement aux oreilles de ses comparses humains d’alors, et que les femmes aimaient surplomber, profitant de son absence de velléité machiste, d’agressivité trop spontanée ? Il ne s’était jamais attardé sur la question. Après l’avoir quittée, il avait cherché à effacer leurs souvenirs de sa mémoire immédiate. Il n’avait pas voulu l’oublier, mais revoir son visage en pensée n'engendrait que douleur et tourment, toute une énergie gâchée, une paix absente ; et New York lui avait déjà demandé tellement. Seule Médéa avait été piégée. Médéa, qu’il avait su punir dans un rire, dont il avait tordu les plans avec une délectation telle qu’il en avait été apeuré. Affronter Mei, en revanche, relevait d’une autre paire de manches. Elle représentait encore aujourd’hui la puissance féminine la plus entichée, la plus enferrée dans le sol sous leurs pieds, qu’il soit fait de goudron ou de terre humide. Il ne l’avait jamais vraiment vu faiblir, et même les frénésies la changeant en tornade avide de sexe et de passion ne pouvaient constituer, à ses yeux, un moyen de la considérer comme inférieure. Elle portait cette autorité dans son sang, même mélangé à celui de ses victimes. De la plante de ses pieds jusqu’aux racines des cheveux noirs, elle respirait une royauté datée, passée, mais qui pour lui n’avait pas vieilli d’une ride. Il faisait lui aussi partie de ce monde d’avant, celui qui reconnaissait encore les monarchies, les empereurs, et dont les ordres et les commandements dépassaient de loin les postures de pastiche des derniers souverains contemporains.
L’absence de souffle véritable le perturbe. Il n’a plus l’habitude de toucher une vampire. Elle est la seule qu’il ait aimée. Pour lui, resté un homme aux principes toujours présents, toujours dormants malgré ce qu’il est lui-même devenu, cajoler un cadavre demeure une aberration. Il met cette inclinaison à l’égard de l’Asiatique au même titre que les corps qu’il a semé derrière lui, assassinés par ses soins. Attaché au rythme naturel, au grand cycle voulant que tout être humain naisse, vive, puis meure, sa propre existence est un crime qu’elle semble éprouver avec bien moins de scrupules. Elle le contourne, et lorsqu’il la toise, lorsqu’il la regarde vêtue comme n’importe quelle habitante de Shreveport, la sensation d’irréalité s’accentue. Ils n’ont rien à faire ensemble. Ils ne représentent que deux composés dont l’union produit le poison le plus nocif. Mais elle ne s’en ira pas. Elle ne s’en ira plus. Il se noie dans la tourbe de pupilles au noir sans fond, et une légère nausée manque de le faire vaciller, roseau effleuré par une brise vaguement menaçante. Il ferme les yeux le premier, la privant de la jade qu’elle a autrefois porté en bijou, au lieu de les trouver dans les cavités creuses de ses orbites. Le noir l’aide, le soutient, fait taire un peu de ce vertige tordant son estomac comme son crâne comprimé par une tension permanente. La main qui l’empaume l’oblige à invoquer un contrôle de lui qu’il est à deux doigts de laisser s’échapper. Il retient un soupir in extremis, serre les dents d’autant plus, mais tressaille cette fois sans que le détail ne puisse lui échapper. Les phalanges contre ses lèvres pèsent si fort, le voyant contracter une poignée de spasmes sporadiques mais violents. Elle le contamine de son venin, bouleverse le fonctionnement de ses globules, de ses cellules, la progression de son sang jusqu’au cœur, voire ses muscles respiratoires. Son ventre se tend oui, trop conscient de la proximité intolérable, ravivant des courants chauds, bouillants, dont elle se sait l’instigatrice. Ses paupières se rouvrent avec force lorsqu’elle l’empoigne pour l’obliger à enserrer sa taille, et la sentir là, si solide sous sa paume, ne fait qu’accroître la panique qui monte, monte et monte encore. Il la désire, mais il ne peut succomber. Plus maintenant.
« Arrête. »
Il déglutit mal, écarte sa main pour conserver quelques centimètres nécessaires, entre le creux et sa peau. « Quoi que tu essayes de faire… Arrête, s’il te plaît. » Il a baissé la tête, fixant les bottines noires, et son attention cavale depuis le buste aux courbes de rêve jusqu'à ses longues jambes moulées dans un tissu qui ne lui fait pas honneur. Ce nouveau siècle les abîme, les écorche. Sûrement n’aimera-t-elle-même pas cette énième version de lui-même, elle non plus. Alors à quoi bon ? Pourquoi le surnommer aussi affectueusement ? Pourquoi l’obliger à la palper là, dans cette ruelle sordide, quand elle est née dans la soie et l’argent ? Même lui ne prêterait pas le flanc à un tel environnement. Lui est né dans le lin rugueux, la paille qui démange, la pierre chauffée au soleil. Ils n'ont rien à faire ici. Rien à faire ensemble. Leur ère est révolue. Les monstres sont à présent chassés. « Je veux savoir comment tu m’as trouvé. » Plutôt que de lui infliger des caresses stupides, il remonte jusqu’à s’emparer de son menton, la fixant sans égard, désormais. Il en tremblerait d’une colère sourde, qui ne parvient pas à exploser pour le moment. Elle lui donnerait l’air d’un gosse terrifié, ce qu’il refuse par-dessus tout. « Tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas… revenir comme ça. Débarquer dans ma vie et croire que rien n’a changé en un demi-siècle. Un demi-siècle. » Il a beau l’observer, il ne repère en rien un signe d’alimentation récente. Aucune goutte de sang ne vient la trahir, contrastant avec le diaphane de ses joues incroyables, de ses tempes dorées. « Qu’est-ce que tu veux ? Et ne me réponds pas « tout ». Ce n'est pas vrai. »
Ne fais pas ça.
Il la pousse, s’avance, la fait reculer et se dresse davantage tout en étant au fait que se grandir quelque peu n’y changera rien. Ils n’en sont plus là, tous les deux. « Tu ne t’es pas nourrie. Tu n’es pas folle, ce soir. Pourtant, tu te comportes comme une putain prête à être prise. Pourquoi ? » Il n’a pas haussé le ton, et à son incompréhension se dispute presque une forme de déception. Pourquoi ? Pourquoi n’es-tu pas restée un souvenir ? « Tu crois que j’ai peur ? Tu crois vraiment… que rien n’a bougé, depuis tout ce temps ? » Il ne lui fait pas confiance. Elle l’a dépossédé de cette assurance dès les premières nuits. Et si son pouce s’empêche de flatter à son tour l’angle d’une mâchoire prononcée dont il a toujours adoré le fil acéré, c’est avec moins de brutalité qu’il l’aurait voulu qu’il la relâche, la toisant sévèrement. « Qu’est-ce que tu fais à Shreveport ? »
Si faible. Quelques secondes égrenées et déjà le loup courbe l’échine, supplie, perd de sa superbe. Une déception de plus face à laquelle la Belle reste imperturbable, d’une neutralité presque inquiétante. Ne serait-il donc que ça? Une ombre mouvante parmi les autres? Le résidu crasseux de cette Bête grandiose qu’elle a si intimement côtoyée? Qu’elle a si viscéralement haïe? Si passionnément adoré? La tête baissée, les épaules voûtées, la caresse qui s’échappe et rompt le contact de peur de céder? D’aimer? Petit chiot sans défenses qui se couche. Pathétique! Elle qui l’a connu si puissant, si sauvage, si entier ne retrouve rien dans cet homme qui prend l’apparence de mille autres tout aussi insignifiants. Des insectes, nuisibles à exterminer comme elle en a connu des centaines. Gautièr est devenu banal. Fade. Inconsistant. Et de ce terrifiant constat découle un manque d’intérêt grandissant. De cette excitation retrouvée à l’entente de son nom, de cet espoir naissant depuis cette quête de sa personne, il n’en reste peu à peu rien. Un infime grain de sable perdu sur une plage désertée. Celle des souvenirs, celle de la souffrance, celle de la folie. A-t-il guéri? C’est un mystère qu’elle n’est même pas certaine de vouloir percer.
Le délaisser, là, maintenant. Se retourner et se fondre dans les ténèbres, précieuses alliées de son immortalité. Sans un regard en arrière. Le plonger dans un doute duquel il ne sortirait jamais. De cette peur qu’elle soit là, par-dessus son épaule, à l’observer, le surveiller, le guetter jusqu’au premier faux pas. Ultime vengeance d’un ego blessé. Il ne mérite que cela. Rien de plus. Vermine!
Résignée, ses doigts sous son menton qui obligent au contact visuel lui redonnent pourtant vie et si son cœur était capable d’une telle prouesse, Mei en est certaine, il battrait la chamade pour lui à cet instant précis. Parce qu’il est le seul à la connaître ainsi, le seul capable de la faire se sentir si vivante, écorchée vive par sa seule présence. Il ignore tout du pouvoir qu’il a sur elle et la cloue parfois sur place mais il est là, puissant, impérieux. Alors elle attend. Le moindre signe qui lui prouverait que son loup est encore là, quelque part sous cette fragile pellicule de vernis, tapie derrière ce pseudo self control qu’il s’inflige. Les murailles ne sont pourtant pas si hautes, et certainement pas infranchissables. Chaque rempart a son défaut, chaque solidification sa faille. Tu ne peux pas… L’immortelle arque un sourcil surpris, quelque peu amusé, et pourtant empli d’un défi qu’il connaît trop bien. “Je peux tout” tranche cette dernière dans une pique vainement déguisée.
Un sourire mesquin finit par se peindre sur sa bouche quand elle élude son énième question. Le doute est son refuge, il lui confère un pouvoir supérieur dont la vampire n’est pas prête de se défaire. Il avance, elle recule, attentive, excitée, quémandeuse. Oh oui, montre-toi! Viens! Je t’attends mon amour. Elle ne devient docile que pour le voir se révéler, ne serait-ce qu’un peu. Il vise juste et son sourire s’élargit seulement pour devenir plus énigmatique encore. Non, elle n’est pas repue ce soir, n’est pas portée par cette jumelle indécente, décadente. Et il le sait. Le sent. Le mot putain la prend néanmoins de court et son sourire s’efface au profit d’une grimace assassine, de celle annonciatrice d’un élan de rage. Il lui faut toute la force nécessaire et plus encore pour ne pas fondre sur le Français et le marquer, pour ne pas lui infliger un autre coup. Comment ose-t-il? Lui? Le paysan crasseux! “Et tu sembles connaître ton sujet” réplique-t-elle dans un souffle venimeux. Cette main sur sa peau, dont elle daigne lui autoriser le contact, combien en a-t-elle caressé, de ces fameuses putains?!
Chaque seconde porte une nouvelle humeur et un rire moqueur franchit sa gorge. “Tu as peur depuis le premier jour garçon. De ce qui coule dans tes veines, de ce qui anime ma personne, de ce qui nous lie depuis que nos regards se sont croisés, de ce que je pourrais te faire ici et maintenant.” Crache-t-elle en relevant ce menton qu’il tient dans une attitude altière qui lui va si bien. “Il serait si facile d’en finir, de te renvoyer dans les méandres de souvenirs déjà étiolés. Tu sais que j’aurais pu le faire depuis plusieurs semaines déjà.” Elle lui concède un indice de temps dans ce qui semble être une bévue et non un aveu désiré. “Que j’aurais dû le faire.” Précise-t-elle pour qu’il comprenne que si l’orientale n’avait pas agi depuis tout ce temps il était peu probable qu’elle le fasse présentement.
À nouveau l’asiatique renvoie sa question et ne lui avoue rien, aucun indice sur les raisons de sa présence ici, sur son lieu de vie, sur le cercle qu’elle côtoie. Rien. Par méfiance d’abord, et surtout parce que ce n’est pas dans ses considérations du soir. Plantant ses prunelles noires dans la clarté des siennes, elle change d’angle d’attaque. Mei est ainsi faite. Ne conservant jamais la même humeur trop longtemps. Trop complexe, trop difficile à suivre, impossible à cerner. Imprévisible. Démon. Ange. Vindicative. Docile. Haineuse. Affectueuse. “Je voulais te faire payer. Pour m’avoir laissé, pour m’avoir si facilement oublié.” Avoue-t-elle finalement dans un souffle, les traits de son visage se radoucissant lentement. “Le temps est abstrait. Cinquante années pour toi ne le sont pas forcément pour moi.” La Belle n’en dit pas plus, le laisse interpréter librement ses paroles, taisant son coma. “Je voulais te voir souffrir pour avoir tourné la page.” D’un revers de la main elle évince la sienne, recouvrant sa liberté. “Et puis je t’ai vu et je n’ai pas pu” Les mâchoires serrées, par fierté, elle détourne son regard et le repousse violemment du plat de ses mains sur son torse, le faisant reculer de quelques pas. “Je ne suis pas à Shreveport pour toi Gautièr.”
Enfin. Pendant quelques secondes, ce jeu malsain revêt une certaine sincérité. Elle brise le masque, juste ce qu’il faut. Peut-être parce qu’au fond l’Immortelle craint qu’il fasse demi-tour et ne la laisse là, dans cette ruelle sordide, seule. Qu’il l’abandonne. Encore. Et parce que la meilleure défense est encore l’attaque…Ses yeux se relèvent à nouveau dans les siens.
“Te trouver n’est, au mieux, qu’une savoureuse surprise, au pire, une douloureuse déception. Et ce choix est tien.” Il veut le pouvoir? Elle lui offre sur un plateau d’argent. “Emmène-moi avec toi ou abandonne-moi, encore.”
code by EXORDIUM. | imgs by tumblr
Gautièr Montignac
ADMIN ۰ Mignon comme Tchoupi, aussi vnr que Moundir : le Loup d'la Vieille (la chair vivante, c'est gourmang-croquang)
◖ INACHEVÉ ◗
"C'est une histoire de dingue.
Une histoire bête à pleurer."
En un mot : Meursault d'Occident. Sorel d'Amérique.
Qui es-tu ? :
"J'irais bien voir la mer.
Écouter les gens se taire."
◖◗ Homme du pays occitan, dans le Sud de la France. Né au cœur des Pyrénées aux sommets blanchis, entre le soleil et la rocaille du mois de juillet 1898.
◖◗ Loup-garou Bêta condamné à fuir famille et village, jeté sur les voies forestières d'un exil, des frontières d'Espagne aux vallées de Lozère. Voyageur infatigable, jusqu'au Nord de la France et la côte est américaine.
◖◗ Relation d'amour et de haine pour cette France ingrate. Son sang a coulé pour des généraux dont le pied n'a jamais foulé le no man's land de la Grande Guerre. Membre d'un réseau clandestin dans les années 40.
◖◗ Rêveur misanthrope à la philosophie d'un autre temps. Passe sans mal de l'empathie au jugement, de la tolérance au dégoût. Aide lorsqu'il le peut. Tue quand il le doit. Bestiole dans le crâne qui commandite d'étranges désirs.
◖◗ Homme à tout faire : capable de nettoyer les chiottes, de garder un musée, de balayer la rue ou de tenir une caisse. Prédilection pour les postes de serveur, aidé par ses hanches étroites et ses bras solides. Poste d'observation privilégié pour tous les comportements humains et non-humains.
◖◗ Rebut. Incapable de s'adapter pleinement à une meute. Chaque tentative se solde par un échec plus ou moins pénible. Solitaire, se protège derrière la barrière de mensonges qui résistent encore aux outrages du temps. Prétend n'être rien d'autre que la Bête du Gévaudan. S'en convainc parfois, ou bien d'être un descendant.
◖◗ A subi les affres du sang et de la rumeur capable de frapper tous les bourgs et hameaux des campagnes profondes. Accusé de crimes qu'il n'a pas commis. N'a jamais eu l'occasion de racheter son honneur parmi les siens.
◖◗ Amant de Mei Long, poupée chinoise de sang royal. La rencontre entre deux écorchés de la vie, entre deux psychés abîmées, vouées à toutes les folies et aux errances mortifères dans les bois du Maryland.
◖◗ Poursuivi par des flics qui n'ont pas pour habitude de lâcher prise. Connu des autorités américaines depuis les années 70. En cavale permanente. Passé maître dans l'art des identités plastiques, artificielles. Espère trouver à Shreveport l'abri de la dernière chance, en incorporant les rangs de la meute. Tueur de flics et de femmes. Traqueur traqué de Medea Comucci.
◖◗ Mélancolique. Dans ses bons jours, capable de déceler la beauté dissimulée derrière tous les aspects de l'existence. Amoureux d'Histoire et de littérature, lecteur infatigable de Camus et de Céline.
◖◗ Dérangeant. Par ses regards perçants, par ses paroles sans filtre, par ses rires grinçants : inadapté, mais sympathique, si son interlocuteur s'y prête.
◖BÊTE DU GÉVAUDAN◗
"L'a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y'a qu'le décor qui évolue.
La mentalité est la même.
Tous des tocards, tous des faux culs."
Facultés : ◖◗ Faiseur d'histoires. Capable d'inventer mythes et récits sans effort. Charmant ou effrayant tour à tour. Se réinvente sans cesse, personnage protéiforme.
◖◗ Passé maître dans l'art de dissimuler un corps et d'en ôter la vie. Tous les moyens sont bons.
◖◗ Sait comment survivre face au froid, à la pluie, à la grisaille et à la brume, aux mers, aux monts et aux coups bas. Aux morsures, aux traîtrises, aux caresses, aux promesses.
Thème : Le Fleuve ◖◗ Noir Désir
◖MINDHUNTER◗
"Je vais les rues je vais les lieux où on ne m'attend pas. Ceux que je croise au fond des yeux, non, ne me voient pas. Je parle à des gens comme moi qui n'ont l'air de rien. Des esclaves en muselière qui n'en pensent pas moins."
Pseudo : Nero
Célébrité : Harry Lloyd.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Ian C. Calloway
Elle ne lui a jamais paru aussi forte. Aussi déterminée. Le retour à la ville n’a visiblement pas affecté que sa personne. Mei aussi. Mei est là, respirant une forme d’aisance, de confort matériel similaire au sien, rayant de la carte de ses pensées tout résidu de terre, de mousse et de feuilles mortes. Ils ont changé de sphère. Changé d’état d’esprit. Pires qu’avant ? Au moins, autrefois, leur apparence était le reflet de leur psyché dérangée. Oh certes, Mei avait toujours réussi à conserver cette stature princière, cette élégance incroyable, aidée par quelques tissus dont elle s’échinait à prendre soin, malgré leurs conditions de vie spartiates. Néanmoins, de par leurs silences éternels, de par ses déambulations éthérées, inhumaines, elle conservait ces relents de banshee terrible, sorcière aux yeux bridés perdue au fond des bois, un étrange familier en guise de compagnon. Lui. De son côté, son aspect illuminé en avait effrayé plus d’un, allumant l’effroi avant de leur dérober la vie, figeant leur expression pour toujours. Au moins étaient-ils honnêtes. Ils assumaient leur figure de monstre, ne trichant presque pas l’un envers l’autre, ou envers eux-mêmes. Presque. Ils avaient mis des mois pour se trouver, se comprendre, se désirer avec cette rage qui semblait ne pas appartenir aux mœurs civillisationnelles. Mais une fois l’osmose acquise, une fois leur équilibre conçu, alors ils ne formaient plus que les composés malades de la même cellule au caractère déviant ; cancéreuse. Ils étaient deux paumés livrés à eux-mêmes, sans but ni ambition autre que de survivre jusqu’au lendemain, de trouver le noir total pour s’abriter du jour, pour dénicher la viande à dépiauter de ses canines affamées. Une existence de prédateurs banals, un retour au monde animal aux règles élémentaires. Quant à sa princesse de Chine, il la trouvait belle dans sa fragilité, dans son besoin systématique de s’en aller chasser, de ne jamais trop pouvoir s’écarter des zones habitées. De devoir résister aux tueries qui la démangeaient, et de ce mélange de consternation, de peur et de vice enfin satisfait lorsqu’elle y cédait.
Elle n’est plus la même femme, celle qui se tient avec un panache presque détestable devant lui. Parlaient-ils autant, alors ? Échangeaient-ils avec la même vivacité, le même cruel intérêt qu’aujourd’hui ? Il ne se rappelle plus. Ce ne sont pas leurs discussions, qui l’ont le plus marqué. Souvent, les mots faisaient mal. Elle le rabrouait. Elle n’était pas gentille. Comme maintenant. Il secoue la tête, exaspéré par cet orgueil qui ne lui sied que lorsqu’elle l’exhale sans même s’en rendre compte. Il n’aime pas qu’elle l’utilise comme d’une arme émoussée, cherchant à appuyer sur la ligne rougie des vieilles plaies afin d’en éprouver la cicatrisation ; solide ou non. Ce sourire, il voudrait l’effacer d’un grognement sourd, de son front pressé contre le sien, de son regard plongé dans celui de la succube pour la faire taire, pour lui faire comprendre qu’elle s’avance trop loin. Il a changé, lui aussi. Il a surtout trop souffert pour l’accueillir à bras ouverts. Il ne rouvrira pas la porte au tourment qu’elle incarne. Il ne revivra pas le même sacrifice. Ainsi, il demeure de marbre lorsqu’il assiste au masque qui se fissure, quand elle paraît comprendre qu’elle ne peut l’impressionner aussi facilement. Qu’il n’est pas aussi faible qu’elle le présume.
Les vrais motifs de rancœur tombent. Il n’est pas étonné. Peut-être même que ces éléments de réponse apaisent un peu sa colère manifeste. Il se redresse, carrant à nouveau les épaules. Prise de recul. C’est vrai qu’il l’a abandonnée. Longtemps, la culpabilité lui a mordu l’échine. Il lui avait fallu un temps infini avant qu’il ne comprenne que leur histoire était de toute façon vouée à l’échec. Ils n’auraient pu tenir. Il n’avait aucun avenir avec elle, aucun futur, aucune chance de revenir à un état normal. Avec elle, revenir dans le monde des hommes était impossible. Il lui fallait avancer. Fuir les bois qui le rendaient fou. Elle s’échappe, mais il l’avait déjà lâchée. Il reste impassible. Jusqu’à ce qu’elle le repousse avec une force qu’il reconnaît aussitôt. Il n’y résiste pas, et se laisse en effet déporter vers l’arrière, de quelques pas. Il entend la souffrance, derrière la vilénie. À sa demande, il soupire, la fixant avec sérieux, mais aussi une once de pitié et presque d’empathie.
« T’emmener avec moi ? » Il ricane, jaune. « Est-ce une vraie demande de ta part ? Ou bien un jeu ? Un test ? Tu t’attends à ce que j’accepte pour mieux me fausser compagnie et te venger ? Parce que je n’ai pas l’intention de participer à ce nouveau délire avec toi. » Il repousse ses cheveux d’une main lasse, baissant finalement les yeux. En souffrance, il se sent obligé de poser des mots sur le malaise qui le broie. « Ce n’est pas normal… toi et moi, ici. Ce n’est pas normal. » Sa bouche s’assèche sous l’effet de l’angoisse. « Nous ne parlions pas autant, avant. Nous n’élevions quasiment jamais la voix. » Il tourne la tête vers l’extrémité de la ruelle, du côté de là où il s’est engouffré. De nouveau, comme s’il n’avait jamais traversé cette phase de monde englouti, de fonds marins occultant tout autre signe de vie, il perçoit les voitures et les gens, les sources de lumière jurant dans la pénombre qui les entoure. « Leur monde nous a rattrapés, toi et moi… Il nous a rattrapés. » C’est peut-être cela, et justement bien ce point précis qui pourrait le faire céder. Le pousser à l’emmener avec lui. Partir. Retrouver une cabane, une grotte, un repaire d’ermite d’où personne ne pourrait les débusquer. Mais la technologie aussi, les rattraperait alors. Plus une seule parcelle de terre, semble-t-il, qui ne soit pas scannée par un drone ou recouverte d’une couverture satellite. Il n’y a plus d’éden, sur Terre. Plus pour eux. Ce constat le blesse, plus encore que les piques enduites de venin que Mei pourrait lui jeter au visage. Il ne reprend la parole que pour lui épargner plus longtemps la proéminence de mensonges que l’immortelle a eu tout le loisir d’ériger dans sa tête. Il ne supporte pas l’approximation, le manque de vérité entre eux deux. Il ressent le besoin de se justifier.
« Je n’ai pas voulu t’abandonner. J’ai voulu essayer de me sauver moi-même. C’est totalement différent. » Ses iris marécageux la retrouvent, la cherchent. Regarde-toi en face. « Tu étais horrible avec moi. Horrible. Tu me tirais constamment vers le bas. Tu prenais, mais tu ne donnais rien. Moi, je t’ai tout donné. Je t’ai veillé le jour, j’attirais des humains jusqu’à chez nous. Je nous trouvais toujours de nouveaux abris. J’ai voulu que tu ne manques de rien. J’aurais tout fait. Tout, à l’époque. Tu n’avais qu’un mot à dire. Et tu le savais. » Cette crispation dans la mâchoire, témoignage éloquent de l’homme éraflé des ongles féminins, Brel à la voix rauque, haïssant celle qu’il aime et qu’il vénère pourtant, se retrouvant toujours seul face au mur de l’incompréhension, la frontière infranchissable. « Tu étais égoïste. Un jour, j’ai compris que je ne le supporterais pas une nuit de plus. Alors, je suis parti. »
Un souvenir. Brûlant. Discussion dans un appartement placé haut dans les étages new-yorkais. Sa geôlière provoquée. Le français s’écoulant d’entre ses lèvres. Quelques vers de Hugo.
« Bien sûr que j’avais peur. Je n’en ai pas honte. J’ai souvent connu la peur dans ma vie, et pourquoi devrais-je m’en cacher ? Il n’y a pas de courage sans peur. Il n’y a aucune gloire à se prétendre intouchable de la peur. Je ne tomberai pas dans ce piège. Et si tu n’avais pas peur de nous, de ce qui nous lie comme tu aimes à le dire, alors tu devrais mieux y réfléchir. Seulement… » Il se moque qu’elle le frappe ou pire. Le loup se rapproche d’elle, un peu moins incisif, maintenant que le bubon a été crevé. Il respire avec une intensité plus perceptible que d’ordinaire. Mei est là. Mei, et tout ce qu’elle représente. Il n’est pas insensible à sa beauté. Il n’a jamais plus rencontré de créature aussi belle qu’elle. Aussi… habile à le toucher là où personne ne l’avait fait avant, ni ne l’avait fait depuis. Sa paume s’élève pour encadrer une joue, à peine. La frôler lui paraît être devenu sacrilège, comme à l’époque. « J’ai vaincu ma peur. Sur beaucoup de choses. Y compris te concernant. » Il reste lucide. Tout n’est pas résolu. Il ne la connaît plus, dans l’intimité. Il ne sait plus, ce qu’elle serait capable de le faire ressentir. Dans un lit, étendu près d’elle, nu et vulnérable, peut-être que ses anciens réflexes reviendront. Reviendraient. Mais debout face à elle dans cette ruelle sordide, il commence alors à éprouver un semblant de plaisir réel à la retrouver, à la couver de ses prunelles masquant durement leur émerveillement de la revoir là. Elle est vivante. Un miracle. Un miracle, et il ne sait à qui il le doit.
« Tu peux tout, oui. »
Un sourire. Timide. Presque tendre. Il prend garde, à ne pas tomber dans la trappe branlante sous ses pieds. Il veut simplement s’accorder quelques moments de paix, la contemplant avec ce bonheur secret qui le voit renouer avec ses traits immuables, remettre enfin une couche de peinture fraîche sur ses souvenirs décrépis. Il ne possède aucune photo d’elle. Ce manque a été terrible, mais aussi salvateur, pour l’aider à oublier, à se détacher.
« Tu es jalouse. Et possessive. Tu es une furie que jamais je n’aurais pu oublier. Pourquoi fais-tu comme si c’était aussi facile ? » Il s’étonne de ce regard neuf qu’il pose sur elle. De cette confrontation surprenante, alimentée par cinquante ans de séparation. Il n’est plus le même. Il a gardé le même fond, tapissé des pousses qu’elle a déjà foulé, mais le sommet a germé en d’autres bourgeons. « Tant mieux, si tu n’es pas à Shreveport pour moi. Cela me prouve que tu es sûrement entourée. Que tu as repris pied, toi aussi, quelque part. » Lui ? Lui, il pourrait répondre également par la positive, mais ce serait se montrer parjure. Elle ignore tout de ce qu’il a traversé ces vingt dernières années. La fin du siècle a été difficile, et le nouveau ne s’est pas réellement montré plus clément. Il ne peut pas le lui dire. Il ne le souhaite pas. Il n’a pas envie de rendre son propre tableau plus sombre et plus décevant qu’il ne le lui est déjà.
« Si je ne suis qu’une savoureuse surprise ou une douloureuse déception… alors qu’est-ce que tu fais ici encore face à moi ? Tu as donc tant de temps à gaspiller que tu le gâches avec ma compagnie ? Ou bien n’est-ce que de la curiosité morbide me concernant ? »
Sa main se retire. Le grain de sa peau, il l’éprouve avec une acuité toute particulière. Aimanté par elle, ses doigts se saisissent légèrement de ceux, plus fins et délicats, de celle qui fut son amante. Il éprouve les phalanges taillées par un artisan visiblement épris, redécouvrant à sa façon, prudente, différents aspects de son être, à défaut d’apprécier ses paroles aigries.
« Venge-toi, alors. »
Je t’attendais.
« Venge-toi si tu en éprouves le désir. Je suis là, maintenant. Devant toi. Cinquante ans, ce n’est rien, pour toi. Mais cela t’a sûrement donné des idées. C’est le moment. »
Au détour de chaque rue.
Lentement, il porte la paume asiatique à ses lèvres, qui s’y déposent dans le creux strié de lignes imperceptibles, en profitant pour humer la saignée du poignet à portée. Les orbes fichés dans les siens.
Son rire pourrait s’apparenter à mille lames chauffées à blanc transperçant ses chairs. Il pourrait posséder ce pouvoir rare de blesser son orgueil, de la voir douter de cette attraction presque surnaturelle qu’elle se sait posséder, bien loin des dons que lui confèrent son statut d’immortelle. Ceux-là mêmes que la créature a usés jusqu’à l’os depuis que sa conscience a assimilé les lois primaires de la manipulation. Qu’il lui a été aisé de faire céder, même dans sa condition de femme, les lois humaines et patriarcales par un joli minois qui ne laisse jamais indifférent. Combien ont pensé la formater? La réduire à ceci? Combien en sont morts, soufflés par la folie engendrée par d’autres, par les circonstances, par la guerre, le pouvoir, la déchéance, la privation et surtout les prédispositions qu’un esprit aussi torturé que le sien semble posséder depuis que le monde est monde? L’inné. L’acquis. Éternel débat. Oui, ce sourire pourrait nourrir n’importe quelle réaction mais seul un sourire fend son visage. Discret, presque imperceptible. Parce qu’il ne la rejette pas. Gautièr interroge, cherche la faille dans cette simple requête, le piège, sans se rendre compte qu’il prend déjà forme autour de lui. La toile, parfaitement dessinée depuis plusieurs semaines se referme tel un étau invisible et il ne peut lui échapper. Plus maintenant. Qu’il ose changer ses habitudes, qu’il la mette au défi de remonter sa piste d’un bout à l’autre de la ville. Elle le retrouverait, quitte à y passer l’éternité. Le loup lui appartient. Cette Bête indomptable est sienne. Quant à l’homme, peu importe qu’il ait évolué, qu’il se pense plus mûr, plus réfléchi. Il pliera comme toutes les autres fois.
Petit chiot au rire goguenard qui soupçonne, qui questionne, sans jamais trouver de réponses. Qu’il se nourrisse de cette frustration retrouvée en sa compagnie. Mei ne lui offrira qu’une faible consolation au gré de son humeur. Donner n’est pas dans sa nature, pas gratuitement. Jamais. “Mais tu participes déjà, mon loup…” murmure-t-elle sur un ton plein de sarcasmes. Encore face à elle, lui offrant sur un plateau d’argent le temps nécessaire. Parce que tout ne se résume qu’à ça. Du temps. La question n’a jamais été de savoir s’il céderait mais quand. “Comment peux-tu désirer la normalité quand tu côtoies l’extraordinaire?” Quand leur monde, leur condition et tout ce qu’ils représentent semblent un affront à ce qu’il susurre du bout des lèvres. Et que veut-il? Qu’elle lui minaude quelques déclarations futiles? Qu’elle s’épanche sur le manque et un passé révolu? “Seulement parce que tu savais me faire taire!” Lui crache-t-elle au visage de ses orbes noirs qui lancent des éclairs. Oh qu’elle aimerait prétendre ne pas se souvenir de leurs étreintes passionnelles, de la marque de ses mains agrippées à ses hanches, de la folie de leurs échanges, de sa façon de la posséder. Mais Gautièr l’a marquée plus sûrement que n’importe qui d’autre. Plus profondément que Jian lui-même pour qui, pourtant, elle a tout abandonné, tout renié. Pour lequel elle s’est oubliée. Longtemps déjà la promesse de ne pas laisser un autre homme gagner ses faveurs a été faite. De ne plus aimer à nouveau, qu’elle en fusse capable ou non. Tous y avaient un jour posé un nom. Possession, dominance, déraison, folie, bestialité, mais jamais amour. Et qui étaient-ils pour juger? Même les poètes les plus aguerris se heurtaient aux limites des mots face à cette énigme aussi vieille que le monde.
Ses yeux se confrontent à nouveau aux siens et elle se perd dans ce vert si particulier. Les autres voient-elles les paillettes d’or qui s’animent au gré de ses humeurs? Les nuances subtiles qui s’opèrent quand la colère ou la passion le dominent? La profondeur et la noirceur que ses iris expriment quand il semble absorber tout ce qui l’entoure? Ou ne s’extasient-elles que par une clarté banale que le commun des mortels adulent? Les vérités sont renvoyées et Mei trouve peu de choses à répliquer tant la précision est acide. Oui, elle a été horrible. Mesquine, vindicative, jalouse, mauvaise, égoïste. Jamais douce, jamais bienveillante. En a-t-elle seulement honte? Non. Parce que c’est ce qu’il fallait à l’époque pour faire ressortir le meilleur en lui et précisément ce qu’il tentait de rejeter. “Encore une fois, question de point de vue. Tu étais superbe dans ta folie. Superbe…” Mais il n’écoute pas, prisonnier de ce bon sens que ce nouveau millénaire semble avoir traîné misérablement avec lui. Mais Gautièr se trompe sur un point, le seul qui la heurte douloureusement. Elle, l’intouchable, qui ne confère jamais le pouvoir aux autres d’être blessée. Il le fait, peut-être inconsciemment, sûrement même, mais elle le sent, là, dans cette poitrine dont le cœur mort depuis plus d’un siècle lui semble soudainement peser une tonne. Les mâchoires serrées, l’immortelle encaisse pourtant, conservant son venin qu’elle sent presque couler dans ses veines. C’est après tout dans ses capacités, tel le plus dangereux des serpents. Le sang froid, la discrétion pour elle et l’envie farouche de mordre et de tuer.
Mais le serpent s’éclipse à l’instant même où sa main effleure sa peau. À peine. Trop peu. Imperceptiblement son visage s’incline pour davantage de contact. Si chaude. Rugueuse par sa vie d’humain qui ne l’a guère épargné. Pourquoi ne peut-il pas simplement la serrer tout contre son corps, lui prouver qu’elle existe dans ce monde plutôt que comme le souvenir tortueux qui le met si mal? Vivante et non pas ces volutes assassines qui semblent l’avoir tant tourmenté. Mais il se contente de peu. De trop peu et c’est une nouvelle frustration à encaisser. Les mots pleuvent mais l’asiatique ne les assimile guère, plongée dans un état cotonneux où son esprit lui hurle des choses quand son corps la supplie de céder à plus. Duel antique qu’elle n’a jamais su appréhender, comprendre et encore moins dompter. Gautièr vise juste et le volcan ne fait que gronder un peu plus, là, dans chaque fibre de son être. Ce qu’elle aimerait le faire taire, le priver de ce pouvoir qu’il a sur elle sans même s’en rendre compte, en le niant à chaque nouvelle phrase, chaque nouvelle syllabe qu’il concède. Sa main s’échappe et ne reste que le vide, incommensurable.
Et puis… sa main dans la sienne, qui étudie, redécouvre. Un frisson parcourt son échine, remonte sa colonne vertébrale, fait s’hérisser les cheveux de sa nuque. Il questionne, toujours il questionne. Pourquoi désirer si avidement des réponses qui ne mèneront à rien?
Venge toi.
Ce n’est qu’au moment où ses yeux percutent à nouveau les siens qu’elle prend conscience que ses paupières étaient jusqu’ici closes. Ses mâchoires se desserrent alors qu’il porte sa paume à ses lèvres qui s’y déposent telle une caresse, l’hypnotisant définitivement. Une dernière requête, voilà comment sonnent ses mots. La dernière volonté d’un condamné. Mais son loup ne mourra pas ce soir, ce n’est de cette façon qu’elle le damnera. “Je te l’ai dit, je ne peux pas.” Sa voix s’est cassée en un millier de souvenirs et de fragments emplis de traumatismes en tout genre. “Chaque fibre de mon être me hurle de mettre un terme à tout ça, de te faire payer ce que tu m’as fait. Chaque cellule qui compose mon corps me crie de t’arracher le cœur." Grogne cette dernière sur un ton qui porte mille choses mais définitivement pas de ce venin qui lui est si coutumier. “Je pourrais te tuer ici, te torturer des semaines durant avant de t’achever, détruire tout ce que tu as si durement construit, annihiler chaque personne dont tu as si dûment gagné la confiance mais tous ces plans conduisent inévitablement au même résultat” explique-t-elle certes maladroitement mais avec une honnêteté qui lui ressemble guère. “Je te perdrai.”
Abaissant sa main toujours dans la sienne, elle entrelace ses doigts aux siens, rapprochant son corps lentement de celui du loup. “Aussi fort est mon désir de vengeance, l’idée de te perdre et surtout son refus la dépasse. Si tu ne l’as pas compris alors tu es plus sot encore que je ne le pensais.” Un faible sourire étire ses lèvres, presque doux, autant que l’un d’eux peut l’être, presque charmé. “Oui, j’ai été horrible et non, je ne suis pas devenue gentille. Oui, je suis jalouse, possessive, égoïste. Je suis une furie, une harpie. Je suis tout ça et plus encore. Mais si tu penses que je ne t’ai rien donné alors tu n’as rien compris.” Elle se rapproche encore, sur la pointe des pieds, pour n’être qu’à quelques centimètres à peine de ses lèvres. Elle veut qu’il inspire ses prochaines paroles, qu’il s’imprègne de chaque syllabe. “Je t’ai donné plus que n’importe qui dans cette vie…” susurre-t-elle alors que ses bras se referment autour de son cou, le maintenant proche d’elle. Épousant pleinement les courbes masculines de son corps d’homme, s’enivrant de son odeur si familière, de nouveau docile et malléable. Oh, jamais totalement.
Viens dans ma toile Gautièr.
“Je veux entendre ton histoire.Je veux tout savoir de toi. Tu n’as peut-être plus peur mais tu restes à moi. Ne te méprends pas, je serai dans ta vie, que tu le veuilles ou non. Je préférerai juste y être invitée.”
code by EXORDIUM. | imgs by tumblr
Gautièr Montignac
ADMIN ۰ Mignon comme Tchoupi, aussi vnr que Moundir : le Loup d'la Vieille (la chair vivante, c'est gourmang-croquang)
◖ INACHEVÉ ◗
"C'est une histoire de dingue.
Une histoire bête à pleurer."
En un mot : Meursault d'Occident. Sorel d'Amérique.
Qui es-tu ? :
"J'irais bien voir la mer.
Écouter les gens se taire."
◖◗ Homme du pays occitan, dans le Sud de la France. Né au cœur des Pyrénées aux sommets blanchis, entre le soleil et la rocaille du mois de juillet 1898.
◖◗ Loup-garou Bêta condamné à fuir famille et village, jeté sur les voies forestières d'un exil, des frontières d'Espagne aux vallées de Lozère. Voyageur infatigable, jusqu'au Nord de la France et la côte est américaine.
◖◗ Relation d'amour et de haine pour cette France ingrate. Son sang a coulé pour des généraux dont le pied n'a jamais foulé le no man's land de la Grande Guerre. Membre d'un réseau clandestin dans les années 40.
◖◗ Rêveur misanthrope à la philosophie d'un autre temps. Passe sans mal de l'empathie au jugement, de la tolérance au dégoût. Aide lorsqu'il le peut. Tue quand il le doit. Bestiole dans le crâne qui commandite d'étranges désirs.
◖◗ Homme à tout faire : capable de nettoyer les chiottes, de garder un musée, de balayer la rue ou de tenir une caisse. Prédilection pour les postes de serveur, aidé par ses hanches étroites et ses bras solides. Poste d'observation privilégié pour tous les comportements humains et non-humains.
◖◗ Rebut. Incapable de s'adapter pleinement à une meute. Chaque tentative se solde par un échec plus ou moins pénible. Solitaire, se protège derrière la barrière de mensonges qui résistent encore aux outrages du temps. Prétend n'être rien d'autre que la Bête du Gévaudan. S'en convainc parfois, ou bien d'être un descendant.
◖◗ A subi les affres du sang et de la rumeur capable de frapper tous les bourgs et hameaux des campagnes profondes. Accusé de crimes qu'il n'a pas commis. N'a jamais eu l'occasion de racheter son honneur parmi les siens.
◖◗ Amant de Mei Long, poupée chinoise de sang royal. La rencontre entre deux écorchés de la vie, entre deux psychés abîmées, vouées à toutes les folies et aux errances mortifères dans les bois du Maryland.
◖◗ Poursuivi par des flics qui n'ont pas pour habitude de lâcher prise. Connu des autorités américaines depuis les années 70. En cavale permanente. Passé maître dans l'art des identités plastiques, artificielles. Espère trouver à Shreveport l'abri de la dernière chance, en incorporant les rangs de la meute. Tueur de flics et de femmes. Traqueur traqué de Medea Comucci.
◖◗ Mélancolique. Dans ses bons jours, capable de déceler la beauté dissimulée derrière tous les aspects de l'existence. Amoureux d'Histoire et de littérature, lecteur infatigable de Camus et de Céline.
◖◗ Dérangeant. Par ses regards perçants, par ses paroles sans filtre, par ses rires grinçants : inadapté, mais sympathique, si son interlocuteur s'y prête.
◖BÊTE DU GÉVAUDAN◗
"L'a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y'a qu'le décor qui évolue.
La mentalité est la même.
Tous des tocards, tous des faux culs."
Facultés : ◖◗ Faiseur d'histoires. Capable d'inventer mythes et récits sans effort. Charmant ou effrayant tour à tour. Se réinvente sans cesse, personnage protéiforme.
◖◗ Passé maître dans l'art de dissimuler un corps et d'en ôter la vie. Tous les moyens sont bons.
◖◗ Sait comment survivre face au froid, à la pluie, à la grisaille et à la brume, aux mers, aux monts et aux coups bas. Aux morsures, aux traîtrises, aux caresses, aux promesses.
Thème : Le Fleuve ◖◗ Noir Désir
◖MINDHUNTER◗
"Je vais les rues je vais les lieux où on ne m'attend pas. Ceux que je croise au fond des yeux, non, ne me voient pas. Je parle à des gens comme moi qui n'ont l'air de rien. Des esclaves en muselière qui n'en pensent pas moins."
Pseudo : Nero
Célébrité : Harry Lloyd.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Ian C. Calloway
Il s’amuse de constater que les trois femmes ayant gouverné son existence n’ont eu de cesse, à terme, que de souhaiter sa mort sans jamais pouvoir pleinement s’y résoudre.
Isaline l’avait haï de cette hargne animale, une rancœur de paysanne frustrée par sa condition, hantée par la mémoire trouée d’une famille d’hommes morts, amputés, blessés à jamais. Elle avait cru aimer un époux qui avait su la rendre mère, mais qui avait apporté avec l’accroissement de leur foyer une réalité amère. Isaline Montignac détestait sa vie de gueuse montagnarde, ne savait pas s’y prendre ni avec Aelis, ni avec Julian, ni avec ses enfants, et encore moins avec ses beaux-parents. Vive et capricieuse, elle avait succombé à la tentation, à la pire des vengeances, croyant y trouver une forme de paix, l’éradication définitive de tout ce qu’elle estimait encombrer son espace. Aujourd’hui encore, il ignorait si elle avait atteint son but. Une part de lui l’espérait. L’autre regrettait toujours de n’avoir pu la tuer de ses mains.
Medea… Medea le pourchasserait sûrement jusqu’à son dernier souffle. Elle n’avait jamais su lâcher prise. Elle ne savait pas abandonner. Son entêtement conférait à une stupidité telle qu’il ne comptait plus les épisodes où sa colère se juxtaposait sans mal à son ébahissement. Trop orgueilleuse, trop confiante en des capacités certes solides mais entachées par sa nature d’humaine, elle avait toujours eu l’art de placer la barre trop haute. Et, surtout, il s’était glissé en elle, jusqu’à ce que l’Italienne l’ait dans la peau, s’entiche de lui si profondément que même le Loup, à l’époque, en concevait une certaine culpabilité. Il savait qu’il la blesserait à mort, le jour où l’occasion se présenterait d’échapper à l’emprise du Pasua. Cela lui avait pris une dizaine d’années, mais il avait tenu parole. Il n’ose pas imaginer ce qu’elle a pu ressentir, à son départ.
Et maintenant, Mei. Mei, toujours en proie à ses vieux démons, apparemment suffisamment tenus en laisse par il ne sait quelle prodige, puisqu’aucun de ses comparses, aucune loi humaine ni aucun chasseur n’ont réussi à lui trouer la panse à l’argent, à la livrer aux flammes et autres séances de décapitation ou tortures pratiquées par leurs ennemis. Mei qui n’a toujours pas digéré, au bout de cinq décennies, l’abandon d’un amant plus mort que vif, écorché, incapable de retrouver son chemin dans le noir de ses cheveux, de ses yeux, du cocon d’obscurité dans lequel ils vivotaient alors ensemble.
Aucune des trois n’avait réussi à le tuer. Lui aussi est encore là. Il n’accorde pas une grande importance au nombre de jours qu’il lui reste à fouler. Il garde en tête quelques dernières volontés, désirs peut-être puérils mais qu’il tentera de faire valoir dans la mesure du possible. Il est encore là, quand tant d’autres auraient mérité de retarder l’heure de leur fin. Cette injustice ne l’a jamais privé de sommeil, mais il parvient à en concevoir les contours, et tout ce qu’elle pourrait allumer comme colère dans le cœur de certains mortels.
Son Impératrice déchue se glisse contre lui, retourne dans son giron. Ses bras d’arachnide entourant sa nuque, il capitule, abaisse légèrement l’échine jusqu’à ce que son front touche le sien. Il ne se résigne que parce qu’il sait que toute résistance serait vaine et hypocrite. Il a envie de profiter de ce moment étrange auprès d’elle. À défaut de faire la paix, il veut savourer l’absence de guerre, entre eux deux. Ses demandes innocentes, il peut les satisfaire. Même s’il devrait se méfier, calculer peut-être, ce que lui coûteront ses confidences. Un tic, réflexe qui le fait grimacer intérieurement. Les dix années de captivité passées sous la coupe de Medea ont laissé des traces. Il a oublié que Mei en sait à la fois tant et si peu, sur lui. Il ne sait même pas ce qu’elle en a retenu. Les détails qu’il lui a relatés. Et à elle, au moins, il lui a donné son identité véritable, nom et prénom en guise d’offrande, que la profiler, elle, n’a jamais réussi à obtenir. Doucement, ses bras entourent sa taille. Pleinement. Un soupir, timide, qui s’échappe de sa cage thoracique contractée. Amants cachés, comme ils l’étaient déjà autrefois, bien que ce soit désormais cette jungle urbaine qui les dissimule aux regards indiscrets. Un sourire fin, qui revient.
Mei.
« Je n’ai jamais prétendu être quelqu’un de très intelligent, souviens-toi. »
Serait-ce possible ? Une nuit ? Plusieurs ? Caresser l’espoir d’un lien tissé différemment ? Ou peut-être que non. Elle n’est pas venue ici pour lui. Elle n’est pas seule, à Shreveport. Il ignore s’il doit craindre la présence d’un potentiel rival, ou seulement redouter l’affadissement de leur duo, ici, en cette époque. Ne risquent-ils pas de se trucider pour de bon ? S’abîmeront-ils plus encore ? Y a-t-il vraiment un avenir, pour deux êtres comme eux ? Il connaît les réponses à toutes ces questions. Il ne peut pas encore les accepter pleinement, mais il les connaît. Il n’est pas souhaitable de saccager toute son entreprise de rebâtir un chapitre nouveau juste pour les beaux yeux d’une femme qui l’a brutalisé de toutes les manières possibles. Qui le brutalisera encore. Toutefois, ils ont changé. C’est une partie de poker qui s’amorce, entre deux créatures ayant eu largement le temps d’affiner leur jeu, de savoir se montrer roublardes et habiles. Il serait facile de retomber dans ses travers. Dans le vieux piège. Il n’aurait plus d’excuse, cette fois. Il la connaît, désormais. Quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse pour s’accrocher et s’imposer dans son horizon comme elle l’exige, il ne tient qu’à lui de la fuir encore. Sa cavale n’en finit pas. Il peut bien en fuir deux, plutôt que de se contenter de conserver la NRD comme seule dans son viseur. Il n’aura aucune excuse, s’il doit blâmer l’hégémonie d’une reine qu’il aura lui-même installée sur son trône. Le dilemme est rude. Il ne peut de toute manière pas en décider ce soir. Quelques heures… cette nuit. Cette nuit, il peut bien la lui accorder. Il ne s’imagine pas un seul instant la planter là, tourner les talons avec une obstination déplacée. La tenir là, contre lui, est un émerveillement dont il s’empêche d’en recevoir encore tout l’impact. Mais lorsque l'émerveillement viendra...
« De toute manière, ce qui est fait est fait. Je ne regrette pas d’être parti. Je n’ai jamais voulu te blesser à mort. Je savais que tu t’en remettrais. Tu es forte. La preuve en est. Je n’imaginais pas te retrouver ainsi, aussi longtemps après. » Il dit vrai. Il la trouve solide. Puissante. Glissée dans une armure civilisée qui lui sied, bien qu’il devine sans doute aucun ce qu’elle dissimule. Cette sauvagerie sans limite. Il est presque admiratif de la manière dont elle a réussi à survivre, malgré sa personnalité aussi déglinguée que la sienne. Ils ne se sont pas aimés pour rien. Même maintenant, ils ne peuvent se détacher l’un de l’autre. Il laisse glisser une contestation vaine. Il n’est pas encore certain de comprendre ce qu’elle entend, en mentionnant le don. Que se sont-ils donné l’un à l’autre ? Un temps mort, peut-être. Une compagnie. La sensation de ne plus être seuls, damnés errant sans but autre que de saigner, se nourrir, faire pourrir les proies animales comme humaines. Il n’ose nommer « amour » ce qui a éclot dans leurs cœurs fracassés. Il n’est même pas certain d’avoir été touché par ce concept si puissant que même la littérature qu’il vénère n’en parle pas avec autant de verve qu’il le voudrait. Il sait simplement qu’il n’a jamais senti aussi fort qu’avec elle ce désir d’appartenance, de s’enterrer profondément avec elle dans leur terre, leur no man’s land de troncs et de verdure. Medea n’avait jamais eu aucune chance. Elle ne suscitait pas les mêmes sentiments. La même envie de se plier à ses ordres. Il n’était pas libre, avec elle. Mei, elle, ne l’avait entravé que grâce à sa propre bénédiction, tout compte fait. Il lui était d’autant plus difficile de lui en vouloir.
Une main remonte suffisamment pour caresser les longs cheveux de soie. Il en frissonne, tant ce contact doux et parfumé le renvoie des années en arrière. L’étreinte se solidifie. Il se sent maladroit, à la serrer ainsi, mais il ne peut faire autrement. « Je n’ai jamais été superbe. C’était laid. Ce que nous faisions était laid. Mais tant que c’était avec toi… alors à moi, ça me convenait. » Cette lucidité, il ne l’avait recouvré qu’au début du siècle, obligé de regarder en face les clichés mis sous les yeux par l’agente du FBI, par les médics de la NRD. Il y avait eu de sales moments. Loin de la nature Toute-Puissante, la Bestiole était confrontée au pire de ses dérives. Il y avait eu du remords, entre deux sourires torves, deux diatribes convaincues que l’homme, que la femme assassiné(e) par ses soins avaient mérité leur sort. Il savait que ce n’était pas normal. Même Mei ne pouvait le détourner de cet état de fait. Ils sont deux tueurs plus dangereux que jamais, et leur union n’a guère réussi à tarir ces instants meurtriers pour autant. Au contraire. Ils s’encourageaient, s’entraînaient l’un l’autre sur une pente glissante qu’il avait préféré finir par cavaler seul.
Et elle, jalouse, possessive, égoïste… Un bref instant, il caresse l’espoir qu’elle le garde, le protège du reste de ce monde qu’il ne comprend plus depuis la fin de la guerre. C’est peut-être cela qui le pousse à l’enlacer avec un besoin aussi palpable. Une émotion sourde le prend à la gorge et l’empêche de parler un moment. Lorsqu’il rouvre la bouche, ses lèvres frôlant le pavillon de son oreille, son timbre s’est fait plus rauque. « Tu n’aurais rien à détruire. Je n’ai rien construit. Je n’ai gagné la confiance de personne. » Depuis elle, sa solitude est restée. Tenace. La dernière compagne qui n’aurait, elle, jamais pu trahir. « Quant aux tortures… » Il ne peut continuer, cette fois. Il ravale son orgueil d’homme, en un sourire frisant le rire nerveux. « … D’autres s’en sont chargés avant toi, si ça peut te réconforter un tant soit peu. » Il sait que cela ne la réconfortera pas. Qu’au contraire, il vient de piquer d’une aiguille une vipère furieuse, et que sa curiosité risque de s’enflammer sous l’aveu esquissé. Il se redresse, cueille son visage entre ses paumes et embrasse son front, habité de sa pudeur habituelle.
« Pas ici. Est-ce que… tu vis dans les parages ? Je n’ai pas envie de rester là. »
Fugace est le sourire qui ourle un bref instant ses lèvres. La dévalorisation semble être une constante dans la personnalité du loup. Combien d’années a-t-il passé à se restreindre au rang de meurtrier, d’infâme créature? À ne voir chez lui que les traits les plus abjects. Antithèse la plus parfaite et pourtant miroir de l’âme de l’autre. Si différents mais couplés de la même folie. Elle qui n’a de cesse de prôner sa supériorité de race et sa valeur aux yeux du monde, elle qui ne baisse le menton que pour mieux laisser croire à ses comparses qu’ils détiennent un pouvoir vain sur sa personne. Ruser pour mieux tromper, céder pour mieux conquérir. La vie entière, l’immortalité la plus infinie n’était qu’un jeu d’échecs grandeur nature. Chaque parole, chaque geste, chaque intention se calculait cinq coups à l’avance. Insaisissable, menteuse, on ne savait jamais sur quel pied danser, on ne savait prévoir ses réactions ou la sincérité de ses propos. Désirer la connaître s’apparentait à retenir l’eau entre les paumes d’une poigne solide. Inexorablement, celle-ci finissait par vous filer entre les doigts. Si la mesure de ses mots est un savant calcul, si la pondération qui l’habite ce soir est une entreprise délicate qui lui demande beaucoup, elle n’en reste pas moins sincère, autant que Mei peut l’être. Le jeu est là, il ne disparaît jamais vraiment mais le vice s’éclipse au profit d’une chose plus sombre et plus dangereuse encore.
L’affection.
Quel mot savamment choisi. Lui, l’amoureux de littérature et des grands noms du genre. Gautièr a beau se rabaisser il n’en reste pas moins cultivé, bien plus qu’elle ne le sera jamais de ces grimoires poussiéreux dans lesquels l’écho des mots ne l’a jamais touché. Peut-être un jour a-t-elle été piquée par la résonance de quelques vers de Tennyson, sans doute davantage bercée par la douceur des rimes que par la portée de ceux-ci.
“Beat, happy stars, timing with things below, Beat with my heart more blest than heart can tell, Blest, but for some dark undercurrent woe That seems to draw - but it shall not be so : Let all be well, be well.”
Mais les cloches de Londres avaient sonné la fin de ce poète plusieurs siècles plus tôt et ne restait aujourd’hui que le souvenir de ses vers, inconnus par une grande majorité.
L’affection.
Maladie. Sentiment. Deux sens qui n’auraient pu être plus percutants et vrais pour deux viles créatures comme eux.
Les bras qui entourent sa taille tels deux serpents comme ceux qu’elle affectionne tant. Ils sont une métaphore plus parlante que tous les mots qui pourraient la décrire. Sont-il signe des sentiments qu’il lui porte encore ou la dernière ancre d’un drogué en manque qui prend son dernier shoot jusqu’à l’overdose? Qu’il se consume, tant que c’était avec elle. Qu’il rende son dernier souffle de lucidité si elle était celle qui le plongeait de nouveau dans cette douce transe. Non pas que l’immortelle veuille le voir perdre pied tout de suite, plus intriguée encore par ce nouvel homme qui lui fait face. Tant de choses à découvrir, tant de mystères à percer, tant de travail pour retrouver celui qui a su faire naître toutes ces choses en elle, cinquante ans plus tôt. Un demi-siècle d’attente jamais réellement morte, un demi-siècle d’espoir jamais réellement perdu. Un demi-siècle d’une flamme jamais réellement éteinte. Une étincelle. Il suffirait d’une étincelle pour raviver de brasier ardent, elle le sait. Mais pas ce soir. Non, la vampire aurait mille et une autres occasions pour piquer.
Oui elle était forte. Plus que son loup le pensait. Moins qu’elle aimerait. Mais elle l’était. Sa famille, dont les souvenirs s'apparentaient davantage aujourd’hui à un dessin jauni par le temps dont les traits se laissaient deviner, ne l’avait pas mis en cage. Son maître et amant ne l’avait pas totalement modelée à son image. Cette paysanne, dans les plaines humides de sa Mandchourie tant aimée ne lui avait pas courbé l’échine. La Guerre ne l’avait pas tué, les Japonais ne l’avaient pas brisé. Et lui…
… Lui.
Plus l’étau de sa prise sur elle se resserre et plus il lui est difficile de mettre des mots sur ce que Gautièr lui inspire. Son esprit dérive vers des limbes qu’elle ne pensait plus visiter, pas alors qu’après lui son corps n’avait été souillé que par quelques pantins malhabiles dont chaque coup de rein était un supplice. S’en était suivi le néant. Plus aucune main ne l’avait touché après ça. Plus aucun homme ne l’avait possédé. Depuis, il n’y avait eu qu’Aliénor et sa capacité hors norme à s’immiscer dans sa bulle intime tant chérie.
Il avait été le dernier à compter.
L’ignorance lui offrait au moins le gage du pouvoir. Ne pas connaître l’impact qu’il avait pu avoir sur sa personne lui offrait autant de promesses de lendemains sanglants.
“J’ai payé le prix fort pour rester en vie…” se contente-t-elle de répondre, sans volonté de donner dans un énième mystère. Ça n’avait été que deux décennies de torpeur contre la torture et la Mort Ultime. Pour beaucoup, le prix ne serait pas assez élevé, pas après toutes les horreurs commises. Pour un ego aussi démesuré que le sien, c’était déjà trop. Deux décennies gâchées dans un sommeil miséreux, là, dans l’humidité sordide d’un cachot sombre.
Mais la torpeur n’a plus de sens quand chaque caresse l’éveille un peu plus. Elle se sent vivante, là, dans ses bras, dans son étreinte. Loin de la Soif, loin du désir ardent de mordre et de déchiqueter qu’elle contient chaque seconde de ses nuits. Chaque seconde. Rien n’est plus vrai que la morsure, que le goût ferrique du sang dans sa trachée. Ce que l’homme lui offre est un éveil tout autre qu’elle avait presque oublié avec les années. “Le monde entier est laid. L’Histoire dans sa globalité est laide. Mais nos victimes ne l’étaient pas moins que nous. Que toi. Que moi. Cesse de les voir comme des agneaux purs et innocents. Tous étaient teintés de vices. Tous, sans exception.” Elle et son mépris de la vie humaine, elle et son détachement des autres. “C’était toi et moi contre eux. Toi et moi contre le reste du monde.” Souffle-t-elle sur un ton qui laisse filtrer toute la nostalgie qu’elle peut éprouver. Et c’est là qu’ils différaient. Encore.
Son souffle dans le creux de son oreille la force à fermer les yeux pour mieux savourer cette intimité. Rien à détruire. Rien à briser. Un sourire sadique étire ses lèvres face à la réalité d’une solitude bien misérable. Il sera d’autant plus facile à berner, s’il lui en laisse l’occasion. Sourire qui perd trop rapidement de sa superbe quand le sous-entendu sur certains traumatismes la tirent de sa rêverie, de ce cocon savoureux. Son regard devient glace, ses traits se durcissent de ce sentiment de vengeance bien trop coutumier. “Je les tuerai tous, pour toi” murmure-t-elle dans un râle acide et bien trop sincère. Quiconque s’octroierait le droit de le blesser autrement que par sa volonté en paierait le prix. Il en avait toujours été ainsi, il en serait toujours. Le baiser sur son front, chaud, ne saurait éteindre ce que Gautièr vient d’éveiller, mais a au moins le mérite de la ramener vers leur réalité présente. Peu désireuse de briser cette proximité, elle hoche légèrement la tête de gauche à droite en signe de négation. “Tu n’y serais pas en sécurité, mon loup” déclare cette dernière en accentuant le dernier mot pour lui signifier que c’est bien sa condition qui le placerait en ligne de mire.
Prenant ses mains dans les siennes en les retirant à regrets de ses joues, elle les garde dans les siennes. Refusant de se résoudre à lâcher totalement prise, l’immortelle préserve le contact comme elle le peut. “Si tu ne veux pas m’inviter chez toi, il y a un hôtel pas loin, un endroit neutre” concède-t-elle difficilement. Un pas après l’autre. La patience était une vertu, une des rares qu’elle possédait. Un antre pour la nuit, pour les souvenirs, pour rattraper le temps, ne serait-ce qu’un peu, cimenter les nouvelles bases de ce que leurs retrouvailles laissent présager dans le futur.
Reculant, ses doigts ne quittent pas les siens et elle l’attire dans son giron, bifurquant dans une ruelle adjacente pour retrouver la foule et l’activité nocturne. Le bruit, les badauds, la musique, tout la sort de cette bulle hors du temps qu’ils viennent de partager et jamais sa main ne quitte celle de Gautièr. Il est son point d’ancrage et l’idée tenace qu’il lui échappe si elle lui en laisse l’occasion la force à ne pas lâcher prise. Le passage à l’accueil est une épreuve bien plus difficile à encaisser et sa prise se raffermit sur sa main pour ne pas céder à l’envie de faire ravaler le sourire en coin et le sous-entendu pourtant non évoqué oralement à l’homme qui leur fait face quand Mei réserve pour la nuit, ou ce qu’il en reste. La clé dans une main, l’autre désespérément attachée à la sienne, les deux étages sont avalés dans un silence lourd. La clé tourne dans un cliquetis caractéristique et ouvrant la porte, elle le précède, relâchant enfin sa prise. Expirant lourdement pour évacuer la pression que ce court épisode a suscité en elle, la brune se déleste de la veste bas de gamme qui lui couvrait inutilement les épaules. Là, dans ce pantalon non taillé pour sa taille de guêpe, dans ce chemisier qui laisse place à l’imagination des regards impudiques, son regard se perd sur les couleurs fades des murs, sur le lit laqué et brillant, sur les draps au coton râpeux. “Tout est si froid maintenant, si bruyant, si… électrique.” Tout va trop vite, même l’information. Les relations sont régies par des doigts agités sur des écrans noirs et vides. La vie entière se résume à ces petits rectangles de plastique. Il n’y a plus de magie, plus de vérité brute, plus de spontanéité. Dos à lui, elle ferme les yeux pour oublier que mille autres âmes ont parcouru cette chambre avant eux. “Quand tu t’es résigné à me penser morte et ne jamais croiser ma route à nouveau, as-tu été soulagé ou quelques regrets t’ont-ils traversé?” Lentement, lui faisant face, elle conserve une distance raisonnable même si elle ne rêve que d’oubli dès que ses yeux se posent sur lui. “Je te raconte mon histoire, si tu me racontes la tienne…”
code by EXORDIUM. | imgs by tumblr
Gautièr Montignac
ADMIN ۰ Mignon comme Tchoupi, aussi vnr que Moundir : le Loup d'la Vieille (la chair vivante, c'est gourmang-croquang)
◖ INACHEVÉ ◗
"C'est une histoire de dingue.
Une histoire bête à pleurer."
En un mot : Meursault d'Occident. Sorel d'Amérique.
Qui es-tu ? :
"J'irais bien voir la mer.
Écouter les gens se taire."
◖◗ Homme du pays occitan, dans le Sud de la France. Né au cœur des Pyrénées aux sommets blanchis, entre le soleil et la rocaille du mois de juillet 1898.
◖◗ Loup-garou Bêta condamné à fuir famille et village, jeté sur les voies forestières d'un exil, des frontières d'Espagne aux vallées de Lozère. Voyageur infatigable, jusqu'au Nord de la France et la côte est américaine.
◖◗ Relation d'amour et de haine pour cette France ingrate. Son sang a coulé pour des généraux dont le pied n'a jamais foulé le no man's land de la Grande Guerre. Membre d'un réseau clandestin dans les années 40.
◖◗ Rêveur misanthrope à la philosophie d'un autre temps. Passe sans mal de l'empathie au jugement, de la tolérance au dégoût. Aide lorsqu'il le peut. Tue quand il le doit. Bestiole dans le crâne qui commandite d'étranges désirs.
◖◗ Homme à tout faire : capable de nettoyer les chiottes, de garder un musée, de balayer la rue ou de tenir une caisse. Prédilection pour les postes de serveur, aidé par ses hanches étroites et ses bras solides. Poste d'observation privilégié pour tous les comportements humains et non-humains.
◖◗ Rebut. Incapable de s'adapter pleinement à une meute. Chaque tentative se solde par un échec plus ou moins pénible. Solitaire, se protège derrière la barrière de mensonges qui résistent encore aux outrages du temps. Prétend n'être rien d'autre que la Bête du Gévaudan. S'en convainc parfois, ou bien d'être un descendant.
◖◗ A subi les affres du sang et de la rumeur capable de frapper tous les bourgs et hameaux des campagnes profondes. Accusé de crimes qu'il n'a pas commis. N'a jamais eu l'occasion de racheter son honneur parmi les siens.
◖◗ Amant de Mei Long, poupée chinoise de sang royal. La rencontre entre deux écorchés de la vie, entre deux psychés abîmées, vouées à toutes les folies et aux errances mortifères dans les bois du Maryland.
◖◗ Poursuivi par des flics qui n'ont pas pour habitude de lâcher prise. Connu des autorités américaines depuis les années 70. En cavale permanente. Passé maître dans l'art des identités plastiques, artificielles. Espère trouver à Shreveport l'abri de la dernière chance, en incorporant les rangs de la meute. Tueur de flics et de femmes. Traqueur traqué de Medea Comucci.
◖◗ Mélancolique. Dans ses bons jours, capable de déceler la beauté dissimulée derrière tous les aspects de l'existence. Amoureux d'Histoire et de littérature, lecteur infatigable de Camus et de Céline.
◖◗ Dérangeant. Par ses regards perçants, par ses paroles sans filtre, par ses rires grinçants : inadapté, mais sympathique, si son interlocuteur s'y prête.
◖BÊTE DU GÉVAUDAN◗
"L'a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y'a qu'le décor qui évolue.
La mentalité est la même.
Tous des tocards, tous des faux culs."
Facultés : ◖◗ Faiseur d'histoires. Capable d'inventer mythes et récits sans effort. Charmant ou effrayant tour à tour. Se réinvente sans cesse, personnage protéiforme.
◖◗ Passé maître dans l'art de dissimuler un corps et d'en ôter la vie. Tous les moyens sont bons.
◖◗ Sait comment survivre face au froid, à la pluie, à la grisaille et à la brume, aux mers, aux monts et aux coups bas. Aux morsures, aux traîtrises, aux caresses, aux promesses.
Thème : Le Fleuve ◖◗ Noir Désir
◖MINDHUNTER◗
"Je vais les rues je vais les lieux où on ne m'attend pas. Ceux que je croise au fond des yeux, non, ne me voient pas. Je parle à des gens comme moi qui n'ont l'air de rien. Des esclaves en muselière qui n'en pensent pas moins."
Pseudo : Nero
Célébrité : Harry Lloyd.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Ian C. Calloway
Il n’aurait pas dû entrer dans cette ruelle. Il n’est pas assez fort pour tourner les talons et repartir, emportant avec lui défiance, dignité et détermination, préservée sous la forme de son refus clair et définitif. Car elle lui a manqué. Car il ne parvient pas à réaliser que c’est bien elle qui se trouve sous ses yeux, et non pas l'équivalent d'un yūrei de l'Ouest revenu le hanter jusqu’à l’entraîner à son tour dans les méandres d’une folie éternelle. Il se tient encore sur la réserve – une part infime de lui du moins – car il sait trop ce que ses délires sont capables de lui faire endurer. Il se raccroche à tout. À son parfum enjôleur, à la pièce de soie qu’il sait avoir enfoui dans sa poche, à l’intensité du regard de l’immortelle, et à la présence de ses formes moulées contre lui. Il a manqué de resserrer ses bras plus fort sur elle. Il s’en est fallu de peu. L’effusion viendra plus tard. Il laisse glisser sa volonté, comme il le faisait autrefois. Il lui est si confortable de la laisser prendre le dessus. Si aisé. Telle une sorcière revenue envoûter ce Loup qu’elle aime rendre clébard à ses pieds, il lui abandonne une part de son destin, aussi facilement qu’elle lui est reparue. L’absurdité de leurs retrouvailles lui semble pareille à un rêve sans queue ni tête, brumes composées de mille images tissées pendant son sommeil et dont le sens entravé hoquète, se dissimule une fois sur deux, telle une peinture cubique.
C’était toi et moi contre eux. Toi et moi contre le reste du monde.
Tout est dit. Il s’agit de la seule loi face à laquelle il n’a jamais eu envie de se révolter. L’évidence même.
Alors, lorsqu’elle l’entraîne hors de la ruelle, c’est à deux qu’ils débouchent sur l’artère bondée. Sa main dans la sienne, il ne fait pas mine de vouloir la reprendre. Ils déambulent, pareils à n’importe quel couple de cette ville, de l’État, du pays. Parfois, son regard glisse sur elle ; très brièvement. Il a encore peur de caresser longuement son portrait, maintenant qu’ils sont sujets à l’attention d’une foule qui lui paraît hostile. Jamais ils n’ont marché côte à côte le long d’un boulevard. Il s’agit d’une aberration dont il n’est pas insensible à la poésie. C’est comme s’ils se mettaient à narguer le monde entier, et un sourire effleure de temps en temps la ligne mince de ses lèvres. Deux cauchemars pour l’humanité se promènent, pareils au dernier des quidams. L’un comme l’autre se sont voués à des crimes qui auraient de quoi faire frémir le plus aguerri des passants qu’ils croisent. Et pourtant ils sont là, sous les yeux distraits des anonymes comme ceux inconscients des caméras qui jalonnent cet axe fréquenté par les véhicules comme les piétons. Ils sont un formidable pied-de-nez aux autorités qui les recherchent depuis plusieurs décennies. Une forme de bonheur primitive s’est installée au creux de son ventre. Ce bonheur le prive d’une partie de sa lucidité, et avant même d’avoir pu réaliser quelle incroyable sensation Mei lui procure, la voix de son amante résonne dans la chambre réservée pour eux deux. Il prend le temps de humer l’air, saturé des produits d’entretien. L’odeur a beau être puissante, il la trouve agréable. Il a toujours aimé les hôtels. Il pourrait coller son nez contre les draps pour se shooter davantage à ces fragrances chimiques et douces à la fois. Là encore, le lycan doit absorber le choc. La dernière fois qu’ils étaient ensemble, ce n’était pas au cœur d’une pièce impeccable, encadrée par des murs bien droits. La dernière fois, la bâtisse miteuse qu’ils avaient investie laissait passer les courants d’air. Les insectes s’y promenaient en toute liberté. Le confort, plus que sommaire, n’avait rien de celui d’un palace, pour celle qu’il aurait voulu préserver de la terre, des brindilles, des feuilles mortes qui, parfois, s’emmêlaient dans sa chevelure de damnée. La dernière fois, ils n’auraient pu percevoir le ronronnement en sourdine du petite frigo-bar à leur disposition, et encore moins les pâles d’un climatiseur bienvenu, alors même que le printemps commençait à peine à envahir la Louisiane. Il n’y avait pas non plus de salle de bain rutilante aux savonnettes impeccables et à usage unique. Il n’y avait pas de vue plongeante sur une ville grouillante de vie et d’interactions humaines. Le contraste est si puissant que le vertige qu’il en conçoit est réel.
Il érafle sa gorge de ses ongles, pris d’une petite démangeaison imputée à ses nerfs éprouvés. Contournant Mei, le garou se laisse alors tomber sur le rebord du lit au matelas confortable. Il devine aussitôt que la Longue-Vie juge bien cruellement l’aspect général du cadre ; il la trouverait de mauvaise foi, alors. Il se penche, mains jointes entre ses cuisses, mais son échine se redresse pour conserver ce lien visuel avec elle. Il sourit, un peu. Il est ému de la voir installée dans ce cadre qui, décidément, n’est pas fait pour elle. Aucun emplacement, aucune scène ni estrade de ce pays ne paraissent lui convenir. Seul un palais incroyable, tout de cramoisi, d’or et de jade érigé, lui semble être l’ornement digne de la princesse Chinoise. Il la trouve belle, même dans ce chemisier tout simple, ce jean mal taillé pour rendre hommage à ses courbes. « Tu as raison. Le monde est laid. Il l’était presque plus encore, lorsque nous nous sommes rencontrés, pourtant. Parfois, je crois que les choses ont empiré. En réalité, je pense qu’elles ne font que suivre un cours logique, cohérent. » Il se rappelle encore de ses cicatrices. Les cicatrices immondes dans le dos de la femme qu’il a aimé, et peut-être qu’il aime encore, jamais il n’aurait pu les oublier. Il sait qu’elles sont toujours là, cachées derrière le tissu. Il se rappelle de l’effroi qui le tordait, chaque fois qu’il pouvait les apercevoir. C’était comme si quelque chose avait voulu la déchirer de l’intérieur, comme si une Bestiole pareille à celle qui hante son crâne avait voulu faire exploser colonne, vertèbres et omoplates pour se libérer du carcan de chair et répandre sa calamité sur tous les continents. Il avait demandé, bien sûr. Elle avait toujours daigné conserver un silence dont il n’avait pas cherché à la déposséder. Il ne lui était resté que toutes les hypothèses, toutes les théories immondes pouvant justifier qui, quoi, comment, avait occasionné des stigmates pareils.
Il récite avec tendresse un vers de Beckett, concluant alors sa pensée. « Ne disons pas de mal de notre époque, elle n'est pas plus malheureuse que les précédentes. N'en disons pas de bien non plus. » Mais leurs victimes ? Il a du mal à statuer. Il sent que Mei ne pourra faire parler son objectivité. Entêtée, convaincue que leurs actions étaient légitimes, il abandonne déjà l’idée de chercher à la convaincre de quoi que ce soit. En juge impitoyable mais également en tant que victime lui-même, il ne la blâme pas pour une dureté qu’il se sait lui aussi capable d’éprouver. Bientôt, son visage reprend cette expression qui lui est la plus coutumière : un brin mélancolique, pourvu d’une douceur inexplicable, concentré sur les indices qu’elle laisse déjà filtrer en amont de ses confessions qui, il l’espère, viendront bientôt. Qu’a-t-elle vécu, qu’il ignore encore ? Il ne lui a pas rendu le serment, mais lui aussi se sait prêt à beaucoup pour cette femme qu’il a vénéré. Il soupire, frottant le creux de sa paume du bout de ses doigts.
« Je ne savais pas si tu étais morte ou toujours en vie. L’un comme l’autre ne m’auraient pas étonné. Je sais que tu es capable de survivre, même dans le pire des environnements. Toi et moi, nous sommes pareils. Nous sommes malheureux, mais nous nous raccrochons à cette vie comme des tiques affamées. » L’image ne lui plaira pas, il le pressent. Il s’en amuse, sans le montrer. « Je ne suis pas parti de gaieté de cœur. Je te l’ai dit. Je suis parti parce que je sentais que toi et moi ne pouvions plus continuer de vivre ensemble. Je ne voulais pas que la haine vienne entacher ce que je ressentais pour toi. Et qui n’était pas forcément réciproque. » L’aveu est douloureux. Une pierre, déjà, vient se nicher au fond de sa gorge. Il décide de ne pas se cacher derrière des voiles. Ils ont attendu trop longtemps pour cela. C’est au nom de tout ce qui le porte encore envers elle qu’il laisse tomber, terrorisé par ses propres paroles : « Je t’aimais. Je suis parti parce que je t’aimais. Je voulais conserver certaines images de toi. Même les pires. Si tout cela avait duré, j’aurais fini par les déchirer, dans ma tête. Je t’aurais… effacé de mes souvenirs, autant que faire se peut. Ça n’a jamais été le cas. »
Il reprend son souffle. L’insonorisation parfaite de la chambre est une bénédiction autant qu’un poison. D’un mouvement d’épaules subtil, il fait glisser les premiers pans de sa veste, avant de s’en débarrasser tout à fait, à l’image de la succube. Il la lance, la laisse s’échouer sur le bras d’un fauteuil, à quelques centimètres de lui. Machinalement, il remonte les manches de la chemise d’un blanc crémeux sur ses avant-bras. Puis, ses longues phalanges repassent mettre de l’ordre dans ses cheveux bruns, qui n’en ont pas besoin. « Je suis parti à New-York. J’ai rapidement trouvé du travail, comme serveur. Mon expérience à Paris est vite revenue. Je suis entré au Copacabana. Là-bas, j’ai été retrouvé, puis arrêté. J’ai été relâché sous conditions, sous l’égide de services qui travaillaient avec le FBI. Mais ce n’était pas eux. » Le Pasua, déjà. Une bande d’emmerdeurs, d’empêcheurs de tourner en rond qui n’avaient eu de cesse que de mettre des bâtons dans des roues déjà fort endommagées. « J’ai erré, de meute en meute… Je suis resté seul, la plupart du temps. Je suis remonté jusque dans les forêts du Maine. Ce n’était pas comme avec toi, dans le Maryland. » Il humecte ses lèvres brutalement devenues sèches, fixant la moquette sans couleur. « C’était sinistre. Je crois… que je ne me suis jamais senti aussi seul que dans ces forêts-là. J’ai eu peur, parfois. J’aurais voulu que tu sois avec moi. Je t’ai appelé. Tu n’es pas venue. » Lassitude. Peine. Avait-il délibérément rechigné à se montrer aussi prudent qu’il l’avait été, jusqu’alors ? Toujours est-il que… « Je me suis fait prendre, en 2001. J’ai été récupéré par la NRD. Confié à une humaine, une sorte de profiler du FBI, qui travaillait en collaboration avec eux, comme consultante. Sous sa coupe, j’ai été obligée de faire profiter de mon expérience de surnat’, comme ils disent… entre deux expérimentations plus ou moins abominables. » Il sourit sans joie, tandis qu’il sait déjà que révéler tous les détails de sa relation avec Medea risquerait de se montrer plus dangereux qu’autre chose. Ça ne la regarde pas. Ce qui s’est passé entre l’Italienne et lui constitue une ardoise personnel qu’il sera le seul à pouvoir régler. « Elle s’est attachée à moi, au fil des mois et des années. Elle a fini par se montrer trop laxiste. Un jour, je me suis enfui. J’ai réussi à retrouver ma liberté. Quelque temps seulement, avant de me refaire prendre à nouveau, dans une autre antenne, à Atlanta. J’y ai retrouvé certains de mes anciens tortionnaires, et j’y ai rencontré un des miens, ou presque. Un homme qui n’était pas un garou, mais… cela y ressemblait. Nos cellules étaient voisines. Sans doute espéraient-ils que nous nous vendrions l’un l’autre, comme des indics. Ça n’est jamais arrivé. Mes lèvres sont restées closes, comme les siennes. À la fin, nous avons été séparés. J’ai été emmené dans un centre loin de tout, mais à peine arrivé, il s’est passé quelque chose… comme s’il y avait eu une faille dans la sécurité. J’ai réussi à disparaître une fois de plus. Et cette fois, ils ne m’ont pas encore récupéré. »
Il parle comme si l’inéluctabilité d’une prochaine prise lui apparaissait claire. Il évite de s’interroger sur cette manière de formuler le récit. Il poursuit, la regardant à nouveau. « Je suis venu à Shreveport pour me perdre dans la masse des créatures venues en nombre, ici. Et puis, j’étais curieux, je dois bien l’avouer. » Le silence retombe, à présent que son parcours lui a été relaté. Il est avare de détails. Il est trop intrigué à l’idée d’entendre à son tour l’histoire de son amante. « Et toi… ? Où est-ce que tu vis, ici ? Pourquoi est-ce que je n’y serais pas en sécurité, exactement ? » Il s’en veut déjà, lorsqu’il formule, malgré lui : « Tu as un nouveau compagnon ? Quelqu’un dont tu préfères qu’il ne connaisse pas mon existence ? Ou c’est un peu plus compliqué que ça ? » Il pourrait presque se réjouir. S’il est encore capable de ressentir quelque chose d’aussi mesquin qu’un peu de jalousie, c’est qu’il n’est pas totalement devenu une cause perdue. Il est capable de pulser. Surtout pour une personne aussi primordiale que la Caïnite venue d’Orient.
Quelques vers d’un poète dont elle ne saurait reconnaître la plume et encore moins l’empreinte lui arrachent un sourire tandis que ses pas la conduisent vers la fenêtre, lui tournant un instant le dos. Gautièr avait toujours aimé les mots, ceux gravés par d’autres et répétés avec cette aisance pour s’en approprier l’essence que peu possède en ce bas monde. Jamais elle n’avait dévalorisé sa propension à user de l’intelligence de grands noms du genre. Cette faculté à les faire résonner comme siens était un don qu’elle lui avait toujours envié, dans une certaine mesure. Qu’ils soient pertinents ou non, qu’elle décide d’en absorber l’effluve ou de les laisser glisser sur elle avec cette déférence qui lui sied si bien n’avait aucune espèce d’importance. Il était là, dans l’intimité toute relative offerte par cette chambre. Un instant, le temps ne semble plus avoir d’emprise. Les décennies d’absence s’effacent au profit de souvenirs morts mais encore bien trop présents. Ici, avec lui, avec le peu de chance - ou risques - qu’ils avaient de se retrouver, tout lui semble possible, tout semble permis, dans une déraisonnable raison qu’elle apprend encore à dompter. Mei ne ressemble en rien à cette diablesse enragée qu’il a connue. Et pourtant, pourtant… Une étincelle suffirait à embraser ce feu qui se veut maintenant éteint.
Le regard suivant distraitement quelques badauds en contrebas, la métaphore animale qu’il choisit d’émettre la fait se tendre et ses yeux se relèvent dans le miroir que lui offre la vitre et dans le reflet de son loup, sur le lit. La comparer à un insecte ne reflète pas l’atout verbal qu’elle lui a prêté plus tôt, assurément. La justification qu’il tente de lui faire avaler la force à lui faire de nouveau face, ses encres profondes fixées sur lui, le laissant donner sa vérité. Ce ne sont que des mots, aussi beaux soient-ils, aussi savamment tournés. Des mots dont la résonance la laisse de marbre et ne pardonne rien. Ni l’abandon, ni la haine ressentie alors. Elle s’apprête d’ailleurs à le couper quand son ancien amant la prend à revers et lui assène un coup mortel. L’aveu brutal de ses sentiments la prend de court et une chape de plomb semble soudainement peser sur sa cage thoracique. Ce n’est peut-être que sa vérité mais elle fait mouche, rouvre des plaies qu’elle pensait à présent cicatrisées, des tentations lointaines dont la marque offre encore quelque frisson sur son épiderme, des fourmillements qui ravivent ce qu’elle jugeait, après tout ce temps, mort et enterré. Là, dans un inconscient aveugle et sourd, aujourd’hui inatteignable. Mei attendait tout de cette nuit et rien à la fois et la voici… émue? Bien incapable en tout cas de fomenter un nouveau plan pour le voir courber l’échine et le réduire à l’état de chiot obéissant. En une phrase, en un aveu, il vient de reprendre l’avantage et de reprendre ce pouvoir qu’elle s’était juré de ne plus jamais concéder. Tous ses gestes semblent ralentir un peu plus cette parenthèse. Le haussement d’épaules, la veste qui coule sur ses bras, les manches retroussées qui laissent apparaître la peau. Elle n’a qu'une envie sur l’instant, rompre la distance, confondre la froideur de sa peau à la chaleur de la sienne, se lover à l’intérieur de ses bras et laisser toute pensée cohérente la déserter. Mais parce que la Vampire est ce qu’elle est, rien ne filtre et celle-ci reste sagement prostrée dos à la fenêtre, conservant une distance sécuritaire. Elle veut savoir tout ce qui a forgé l’homme qu’il est devenu aujourd’hui, plus que n’importe quoi d’autre. Ses caprices devront attendre encore un peu.
Aucun mot n’est soufflé tout le long de son récit où mille émotions la taraudent et écorchent ses sens. L’inquiétude d’abord, qu’il se soit fait prendre saupoudrée d’une suffisance très personnelle. L’Immortelle rêve de lui cracher que s’il était resté, rien de tout ceci ne serait arrivé mais elle s’abstient. Il lui serait trop aisé de retourner l’argument contre elle après toute l’attention qu’on lui avait portée aussi à elle, pendant un temps. “Tu ne m’as pas appelé assez fort” glisse-t-elle comme une pique sans parvenir à la faire résonner comme tel. D’ailleurs, chaque fois que le discours s’obscurcit, un pas inconscient la rapproche du loup. Les expériences subies sans les nommer n’ont pas besoin d’une imagination fertile pour les visualiser. Ou peut-être transpose-t-elle les siennes dans de dangereuses visions qui n’amèneront rien de bon. Mei ne sait que trop bien ce que l’Homme est capable d’infliger à son semblable, alors à une créature surnaturelle jugée néfaste… La colère s’en mêle avec ce besoin vicieux et impérieux de vengeance et de meurtre. Oh oui, elle rêve d’une revanche commune sans aucun droit pourtant de s’en attribuer les droits. Bien loin de ses considérations, son regard lance des éclairs quand la même femme citée plus tôt revient sur le devant de la scène et que certains sentiments sont sous-entendus. L’affection en tout cas. Elle ne cherche aucunement à masquer la possessivité qu’un tel aveu fait ressurgir chez elle et sans pouvoir mettre un visage sur cette vipère, elle s’imagine sans mal briser les os de sa nuque. Un pas en avant. La méfiance s’installe, non pas pour lui mais pour la situation précaire de Gautièr. Il est encore recherché. Dans cette vie, dans le chaos ambiant, avec son tempérament, rien de bon ne peut découler de leurs retrouvailles. Le côtoyer devient un risque non calculé et autant d’arguments contre elle qu’on pourra lui retourner. Là, elle devrait se stopper, prendre la veste abandonnée sur le dossier de la chaise et fuir dans la nuit sans se retourner. Pour se préserver. Mais quand son loup termine son discours, elle n’est plus qu’à un mètre de lui. Distance qu’elle rompt jusqu’à le dominer de sa hauteur sans spécialement chercher à asseoir une quelconque ascendance. Nul besoin, il a mordu à l’hameçon et est déjà dans sa toile. “Je pourrais dire que je suis désolée pour tout ce qui t’est arrivé mais c’est faux. Je ressens tout un tas de choses mais pas ça. De la colère assurément. Je pourrais tuer tous ceux qui t’ont fait du mal si tu me le demandais. Encore plus si tu me l'interdisais." Un mince sourire ourle un instant ses lèvres, il la connaît trop bien pour douter de la véracité de ces menaces à peine déguisées. Elle rebondirait sur le reste plus tard car le voici déjà qui lui rend la faveur et qu’elle doit se prêter à son tour au jeu des confidences. L’allusion sur un possible nouvel amant lui fait arquer un sourcil et étire un peu plus son sourire. Le voilà un tantinet jaloux? Parfait. La toile continuait de se refermer sans qu’elle n’ait à fournir le moindre effort. “Il y a… quelqu’un” se contente de répondre l’Antique simplement pour surfer sur cette vague qu’il a lui-même créée.
Mais ce n’est pas ainsi qu’elle le capturera à nouveau dans ses filets. Ce qui a un jour perdu le Gautièr d’antan ne saurait fonctionner de la même façon, surtout pas après tout ce qu’il venait de lui narrer. Il lui faut user de nouveaux stratagèmes qu’il n’a pas connus. Index et majeurs sous le menton de son ancien amant, elle le force à relever le museau vers elle sans pouvoir se soustraire ni se dérober. “Par où commencer…” Le temps n’a pas la même emprise sur elle après vingt années de torpeur. Trou béant dans sa longue existence, il rend certains souvenirs plus vivaces, qu’elle les ait choisi ou non. “Mon état ne s’est pas amélioré après ton départ, bien au contraire.” Toujours debout entre les jambes du Français, elle pose un genou sur le matelas, juste à côté de sa cuisse. “J’ai fait de vilaines choses. De très, très vilaines choses. Assez pour attirer l’attention.” Une grimace vient déformer un instant ses traits figés. “Alors j’ai migré, laissant derrière moi un sillon sanglant.” Un bref haussement d’épaules comme pour seule justification, comme pour seul témoin, avant que son second genou s'appose à son tour dans un geste symétrique sur le lit, tout contre son autre cuisse. “J’ai tué tellement de gens que j’ai arrêté de compter et puis… j’ai atterri à New York moi aussi.” Ironie funeste. Si proche l’un de l’autre sans savoir que leur jumeau maléfique se trouvait à portée de bras. “Je t’ai cherché un temps, pensant que tu avais fui à l’autre bout du monde, que tu étais peut-être reparti dans tes Pyrénées. Je ne regrette pas de ne pas t’avoir croisé à cette époque. Je t’aurais probablement tué.” Il n’y a pas plus sincère que cet aveu. Et il le sait. L’abandon aurait été trop récent et l’amertume trop grande. Elle l’aurait torturé, aurait annihilé tout ce qui restait de lui sans une once de remords. “J’ai trouvé un pigeon aux antipodes de toi. De ceux qui n’ont pas connu l’odeur du foin, n’ont jamais eu les pieds dans la boue et se félicitent de faire partie d’une élite qu’ils n’ont atteint que par droit de sang. Je l’ai tué lui aussi. Il n’était rien. Mais…. j’ai fait une rencontre qui a changé ma vision de notre monde et m’a aidé à avancer.” La succube s’abaisse enfin, prenant une place de choix sur lui, l’enrobant sans doute un peu trop intimement alors que ses mains cherchent ancrage sur ses épaules. “Une Antique, plus âgée. C’était la première que je rencontrais depuis mon éveil. Je lui ai rendu service et… elle a tenté un temps de calmer mes ardeurs. Ça a fonctionné mais étant ce que je suis, je me suis laissée rattraper par mes démons. Cette fois, ils ont envoyé un assassin pour préserver le secret. Mon amie est intervenue juste à temps et a convaincu mon bourreau que je pouvais être… il n’y a pas de terme je crois. Soignée? Domptée?” Un rire passe sa gorge alors qu’une main remonte effleurer sa joue. “Il est devenu un Sire de substitution, implacable, froid,ne me laissant commettre aucun impair. Je suppose que tu devines la suite…” La boucle reprenait, inlassablement. “Pour ne pas mourir, j’ai consenti à la torpeur. Pour ne pas les trahir eux, pour ne pas les trahir tous. Pour je ne sais quelle autre futile raison qui m’a semblé raisonnable à l’époque. Je pensais que ça ne durerait que quelques mois, années tout au plus.” Son regard se perd un instant derrière lui, sur ce mur froid avant qu’elle ne force une nouvelle expiration. “Vingt ans. Ils m’ont gardé endormie vingt ans. Je me suis réveillée il y a peu, pour apprendre que le secret était tombé même sans mon aide.” Un rire, sifflé entre ses lèvres, teinte toute l’ironie de la chose et le mépris qu’elle en ressent. “Parachutée dans cette décennie qui me donne le tournis.” Mei ou sa propension à se faire plaindre et à passer pour victime même en qualité de bourreau.
Ses bras s’enroulent autour de sa nuque, se rapprochant de lui, toujours un peu plus. La douceur n’est pas une chose à laquelle Gautièr est habitué. Mais il doit penser qu’elle a changé et est maintenant plus abordable, moins furie, qu’il peut se tailler une place dans cette nouvelle vie. Il est à elle, depuis l’instant où son regard s’est porté sur sa personne, même après un demi-siècle d’une séparation pourtant salutaire, elle refusait qu’il appartienne à qui que ce soit d’autre. La douceur pour l’amadouer. Qui est le piégeur? Qui est le piégé? Peut-être n’a-t-elle besoin que de se convaincre d’une énième manipulation pour occulter l’idée simple qu’elle en a envie, qu’elle a besoin. Qu’elle le veut dans sa vie. “Je suis venue pour retrouver ma vieille amie. Pour ne pas retomber dans mes anciens travers. J’y parviens plutôt bien, jusqu’ici.” L’une de ses mains remonte dans sa nuque, effleurant du bout des ongles la peau si fine et sensible, ses doigts se fondent dans le chatain de sa chevelure, en agrippe une poignée pour le forcer à relever un peu plus le visage vers elle, rapprochant ses lèvres à quelques centimètres des siennes. “Je ne te demande pas de fuir dans les forêts et de massacrer à tout va. Ce n’est probablement plus toi et ce ne sera plus jamais nous. Mais tu ne peux pas nier ça. Tu ne peux pas nier ce lien. Je pourrais détruire ce monde pour toi ou tous ceux qui se dresseront sur ton chemin ou simplement continuer de le mépriser. Mais je refuse de te laisser disparaître une nouvelle fois dans la nuit.” Ses lèvres effleurent à peine les siennes, un goût de promesses pleines de réserve, d’inachevé, de peut-être. “Ose me dire que tu n’en as pas envie, là, maintenant, droit dans les yeux. Ou embrasse-moi.” Invitation. Il n’y aurait rien de plus ce soir, peut-être même jamais, pas sans cette jumelle dont la décadence n’est plus à prouver. Mais si Mei ne lui offrait pas ce premier pas, elle le perdrait une nouvelle fois.
code by EXORDIUM. | imgs by tumblr
Gautièr Montignac
ADMIN ۰ Mignon comme Tchoupi, aussi vnr que Moundir : le Loup d'la Vieille (la chair vivante, c'est gourmang-croquang)
◖ INACHEVÉ ◗
"C'est une histoire de dingue.
Une histoire bête à pleurer."
En un mot : Meursault d'Occident. Sorel d'Amérique.
Qui es-tu ? :
"J'irais bien voir la mer.
Écouter les gens se taire."
◖◗ Homme du pays occitan, dans le Sud de la France. Né au cœur des Pyrénées aux sommets blanchis, entre le soleil et la rocaille du mois de juillet 1898.
◖◗ Loup-garou Bêta condamné à fuir famille et village, jeté sur les voies forestières d'un exil, des frontières d'Espagne aux vallées de Lozère. Voyageur infatigable, jusqu'au Nord de la France et la côte est américaine.
◖◗ Relation d'amour et de haine pour cette France ingrate. Son sang a coulé pour des généraux dont le pied n'a jamais foulé le no man's land de la Grande Guerre. Membre d'un réseau clandestin dans les années 40.
◖◗ Rêveur misanthrope à la philosophie d'un autre temps. Passe sans mal de l'empathie au jugement, de la tolérance au dégoût. Aide lorsqu'il le peut. Tue quand il le doit. Bestiole dans le crâne qui commandite d'étranges désirs.
◖◗ Homme à tout faire : capable de nettoyer les chiottes, de garder un musée, de balayer la rue ou de tenir une caisse. Prédilection pour les postes de serveur, aidé par ses hanches étroites et ses bras solides. Poste d'observation privilégié pour tous les comportements humains et non-humains.
◖◗ Rebut. Incapable de s'adapter pleinement à une meute. Chaque tentative se solde par un échec plus ou moins pénible. Solitaire, se protège derrière la barrière de mensonges qui résistent encore aux outrages du temps. Prétend n'être rien d'autre que la Bête du Gévaudan. S'en convainc parfois, ou bien d'être un descendant.
◖◗ A subi les affres du sang et de la rumeur capable de frapper tous les bourgs et hameaux des campagnes profondes. Accusé de crimes qu'il n'a pas commis. N'a jamais eu l'occasion de racheter son honneur parmi les siens.
◖◗ Amant de Mei Long, poupée chinoise de sang royal. La rencontre entre deux écorchés de la vie, entre deux psychés abîmées, vouées à toutes les folies et aux errances mortifères dans les bois du Maryland.
◖◗ Poursuivi par des flics qui n'ont pas pour habitude de lâcher prise. Connu des autorités américaines depuis les années 70. En cavale permanente. Passé maître dans l'art des identités plastiques, artificielles. Espère trouver à Shreveport l'abri de la dernière chance, en incorporant les rangs de la meute. Tueur de flics et de femmes. Traqueur traqué de Medea Comucci.
◖◗ Mélancolique. Dans ses bons jours, capable de déceler la beauté dissimulée derrière tous les aspects de l'existence. Amoureux d'Histoire et de littérature, lecteur infatigable de Camus et de Céline.
◖◗ Dérangeant. Par ses regards perçants, par ses paroles sans filtre, par ses rires grinçants : inadapté, mais sympathique, si son interlocuteur s'y prête.
◖BÊTE DU GÉVAUDAN◗
"L'a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y'a qu'le décor qui évolue.
La mentalité est la même.
Tous des tocards, tous des faux culs."
Facultés : ◖◗ Faiseur d'histoires. Capable d'inventer mythes et récits sans effort. Charmant ou effrayant tour à tour. Se réinvente sans cesse, personnage protéiforme.
◖◗ Passé maître dans l'art de dissimuler un corps et d'en ôter la vie. Tous les moyens sont bons.
◖◗ Sait comment survivre face au froid, à la pluie, à la grisaille et à la brume, aux mers, aux monts et aux coups bas. Aux morsures, aux traîtrises, aux caresses, aux promesses.
Thème : Le Fleuve ◖◗ Noir Désir
◖MINDHUNTER◗
"Je vais les rues je vais les lieux où on ne m'attend pas. Ceux que je croise au fond des yeux, non, ne me voient pas. Je parle à des gens comme moi qui n'ont l'air de rien. Des esclaves en muselière qui n'en pensent pas moins."
Pseudo : Nero
Célébrité : Harry Lloyd.
Double compte : Eoghan Underwood, Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque & Ian C. Calloway
Elle règne. Sublime. Comme systématiquement devant les femmes qui ont régenté sa vie, il éprouve ce frisson familier, celui qui le précipite dans le giron de ce bourreau et tortionnaire. Comme avant Medea, et comme après Medea. Comme maintenant.
Elle règne. Elle s’approche, et chacun de ses pas paraît sonner le glas d’une ère passée, prête à céder la place à une autre. Cinquante ans d’histoire, de leur histoire, s’achèvent tout de suite. Aucune nostalgie ne l’émeut, alors. Il était temps de déchirer la page, d’en écrire une nouvelle, et de s’abandonner à des turpitudes neuves. Effacer l’atroce, l’immonde, oublier les os blanchis semés sur leur passage. Un nouvel âge d’horreurs s’ouvre dans une chambre d’hôtel banale, près d’un boulevard banal, dans une ville qui, elle, ne l’est plus tellement, depuis une décennie. Il espère que ce sera le dernier passage. Le dernier acte. Il espère que ce sera elle, qui en baissera le rideau écarlate. Maîtresse de cérémonie impétueuse, elle marquera peut-être la temporalité souvent bafouée par leurs délires, celle qui leur a tant manqué. Mei s’est reprise. Elle ne ressemble en effet plus du tout à la madone rencontrée dans les bois orangés par l’automne. C’était comme si la forêt toute entière brûlait sous les rayons du couchant. Tous les soirs, le même émerveillement poussait le Loup à sortir de sa tanière, à humer l’air humide, et à caresser de ses iris hallucinés le spectacle de tout un monde en train de faner. Et quand la nuit était arrivée, elle avait déposé sur son seuil cette créature aussi mauvaise que lui. Non. Plus mauvaise encore. La bête qui loge dans le cœur mort de l’Antique semble s’être apaisé. Il bougonne, admoneste et feule, mais il n’a pas encore discerné ce qui la rendait terrifiante, cette dernière image que bon nombre d’humains ont emporté dans leur dernière demeure, toute bâtie de feuilles mortes et de brindilles.
Elle règne. Chaque fois qu’il a posé les yeux sur l’Italienne et la Chinoise, il s’est souvenu de son rang de Bêta. Il n’a jamais eu l’âme d’un Alpha. Pour son malheur, il est tombé dans les bras de deux filles d’Eve retorses qui ont su se saisir des rênes traînant à terre. Par deux fois il avait su les leur arracher des mains. Les leur reprendre. Mais ce soir, il n’en ressent pas l’envie. Il y a ce désir torve, planqué en lui, qui rêve de retrouver cette sensation de lui appartenir. De ne plus être qu’à elle, soumis à son autorité détestable, à ses coups humiliants, à ses ordres capricieux. Il ne retrouve pas ce désir de révolte qui l’avait animé par intervalles irréguliers, lorsqu’il se trouvait sous la coupe de Medea. Cette dernière, trop jeune, trop confiante, trop encline à se laisser porter par des émotions bel et bien humaines, n’était pas de taille pour placarder sa mainmise sur lui sans date de péremption. Elle l’avait payé cher.
Elle règne. Et il pourrait venir lui manger dans la main. Comme si ces cinquante ans n’avaient jamais existé.
Il lève les yeux vers elle qui domine par le seul ancrage de ses semelles devant lui. Le désir naît avec une spontanéité qui le surprend, mais qu’il accueille sans remords. Il a envie d’elle. Lui qui s’est si souvent éloigné des femmes de mauvaise vie, des amantes d’un seul soir, se voit rappelé à l’ordre sévèrement par la silhouette qui a si longtemps habillé ses rêves. Et elle, continue de le tarauder de doutes. Il y a quelqu’un. Son ventre se creuse d’autre chose que de cette envie de l'étreindre. Une tristesse sourde et sournoise se répand dans ses veines, pas assez mortelle pour le tuer, mais trop nocive pour le laisser insensible. Sa gorge se serre d’une déception immature qu’il n’apprécie pas. Elle l’invite à la contempler d’en bas, et il ne dérobe pas le regard. À l’intérieur brille encore la flamme de sa dévotion, de la vénération qui n’a cessé de le ramener dans les marais poisseux de sa dépendance envers elle.
Comme si ces cinquante ans n’avaient jamais existé.
Elle se rapproche. Elle s’alanguit sur lui, avec de plus en plus de poids. Il n’a basculé qu’un tantinet vers l’arrière, afin de ne surtout pas la perdre de vue. Son buste, sa poitrine arrogante, les puits noirs de ses orbites et la chevelure faite du même ébène dont les pointes lèchent l’immaculé de son chemisier, sont autant de points que l’attention accroche, sans discontinuer. Plus elle le touche, plus elle lui parle, et plus il se sent englué dans la vase qui s’accumule entre eux. La chambre disparaît, remplacée par une portion de forêt éloignée de la civilisation, plus que toute autre. Il peut presque sentir sa peau le démanger par la faute des moustiques et autres moucherons qui salissent le décor par leurs bourdonnements et vrilles infectes. Il apprend que sa princesse de Chine s’est endormie. C’est sans doute ce qu’elle pouvait faire de mieux, ne peut-il s’empêcher de penser. Il ignore s’il aura le courage de le formuler à haute voix. L’enchantement se poursuit. Il incline son visage contre la main qui caresse, profitant de ce moment de répit, au cas où une nouvelle gifle ne vienne rompre le charme. Il peut mieux comprendre, à présent, le changement de tempérament qu’il ne peut que remarquer. Mei a vécu. Quelqu’un a bien réussi à tuer la harpie. Il aura fallu ce sommeil propre aux immortels, celui-là même qu’il haïssait tandis qu’il essayait de la protéger du jour, pour qu’enfin elle cesse d’en vouloir à l’univers entier.
Rappelé à l’ordre d’un geste sec et possessif, les vieux réflexes reviennent vite, et ses paumes restées sages jusqu’alors se greffent à la taille de la Caïnite. Sa bouche est si proche, et pourtant aucun souffle ne s’en dégage. Il avait oublié ce détail troublant.
“Tu ne m’as pas appelé assez fort”
Il ne cesse d’y penser. Les sèmes cognent dur contre sa tempe. Est-ce vraiment cela ? Ne l’a-t-il donc pas appelée assez fort ? L’histoire aurait-elle pu être différente ? Contre ses lèvres, il balbutie, ne fixant plus que le mince interstice les séparant encore.
« Tu n’as pas bu de sang. Tu ne peux rien ressentir, sur le plan charnel. Tu n’as pas vraiment envie que je t’embrasse. »
L’hésitation, terrible.
« Si tu ne me tues pas maintenant, c’est parce que tu souhaites me le faire payer avant. C’est cela, n’est-ce pas ? »
Il s’évade. Oh, pas de beaucoup. La pointe de son nez se dérobe pour mieux s’éprendre de l’arête de cette mâchoire, juste là d’où pointe un parfum qu’il ne lui connaît pas. Il la découvre, la redécouvre, apprend cette nouvelle empreinte olfactive pour la faire sienne. Ses phalanges demeurent prudentes, ne caressent qu’à peine le creux, de part et d’autre de sa ligne. « Je n’ai jamais nié nous deux. J’ai si souvent pensé à toi. Tu étais toujours là, dans un coin de ma tête. Même quand je ne le voulais pas. Je t’ai comparé à toutes celles qui ont croisé ma route, depuis. Il suffisait que je les voie marcher sur un trottoir pour que ton ombre apparaisse derrière leur épaule. Aucune ne te ressemblait. » Cette fois, c’est sa joue qui frotte celle de l’impériale, en un mouvement presque trop brusque, nécessaire. Un besoin primaire, non, primitif. Soudain, il referme ses palmes avec plus de force au-dessus de la ceinture. Il peine à desserrer les dents, pris d’une montée de hargne, d’amour et de convoitise à lui en faire monter une nausée. « Si tu crois que ce fut facile pour moi… tu te trompes. J’ai essayé de nous sauver. Même si tu ne le voyais pas. » Même si tu ne le vois toujours pas. Un soupir, une expiration terrible, et ses prunelles se rouvrent, se fichent dans les siennes. Le souffle lui manque, quand il prend entre ses mains le visage ciselé de celle qui fut son amante. « Tu sais que je t’aimerais toujours. Alors pourquoi me tourmenter ? Tu as gagné. C’est ce que tu voulais entendre ? Tu as gagné. Je ne suis plus en état de fuir, même si je le voulais. Que ce soit toi ou la NRD, il en faudrait bien un pour me reprendre une fois de plus. Tu es la première. Félicitations, ma superbe. »
Il doit lutter pour ne pas l’embrasser. Sa passion tambourine à l’intérieur, griffe à tout rompre pour qu’on la laisse se dégager et enfin éclore à l’air libre. « Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Si tu en aimes un autre, si tu as trouvé un Nid, alors reste avec eux. Emporte avec toi l’image de moi à genoux et va-t-en. Puisque tu ne me pardonneras jamais… Il n’y a pas d’avenir pour nous deux. Tu es sauve, et protégée. Reste sur ce chemin-là. Pour moi, ce sera bientôt terminé. Je le sens. »
Il ne l’avait jamais verbalisé, avant elle. Il ne s’était pas rendu compte que la mélodie en sourdine qui se jouait dans sa tête, comme on perçoit les notes séduisantes bien que sinistres d’une boîte à musique démodée, n’était rien d’autre qu’un chant du cygne ne laissant présager qu’une poignée d’années ou de mois à venir, avant l’agonie. Ses mires brillent d’une émotion alimentée par tant de flux et de faisceaux qu’il peine toujours à respirer normalement. Il étouffe. « Si tu n’es pas désolée… si ce n’est rien d’autre que la vengeance qui t’anime, alors tue-moi maintenant. Tu es la seule que j’attendais pour le faire. Tu es la seule de qui je l’accepterais. »
Souffler le chaud et le froid. Donner sans jamais s’offrir pleinement. Laisser quelque espérance s’immiscer sans certitude qu’un jour, elles seraient réalisées. Les étapes s’imbriquent comme les fondations solides coulées dans du béton. Et de cette belle assurance Mei en tire toute la fierté qui lui sied si bien et une profonde satisfaction de ce pouvoir qu’elle possède encore sur Lui. Prise dans ce qu’elle pense être un acquis intemporel, l’Immortelle oublie que son loup la connaît mieux qu’elle ne veut l’admettre. Qu’elle lui a offert plus de facettes qu’à nul autre. Le déni est un fardeau pour quiconque joue le jeu dangereux de la manipulation. Il la connaît. Et c’est une épine dans son pied pour le plan savamment étudié qui les as conduit ici cette nuit. Alors qu’elle le pense perdu, que ses paupières se sont déjà fermées de moitié par anticipation de ses lèvres sur les siennes, il réplique, posément, fait mouche, précisément là où elle s’était interdit de le laisser s’octroyer une place. Parce qu’il lui fait… mal.
Les yeux dans les siens, ses sourcils se froncent imperceptiblement, troublée par la réplique, par ce que le Français laisse deviner, par cette accusation indirecte. Piquée, elle y voit tout autant une arme tournée contre elle qu’une insulte. Certes, elle ne s’est jamais offerte à lui autrement que sous les coups de frénésie. Mais elle ne parle pas de vulgaires coups de butoir dans des draps moites aux relents de sueur et de stupre. Elle ne parle pas de se faire prendre comme une putain de bas étage. Il fait tomber une luxure répugnante sur un besoin d’intimité. Un baiser. Elle ne voulait qu’un baiser. Et de ça elle est capable. L’haptophobie qui lui pourrit la vie n’existe pas une fois le lien établi. La Vampire ne rejette pas les caresses de son amie et aînée, se gorge de cette bulle qui n’appartient qu’à elles et parfois même s’enorgueillit de quelques regards plus appuyés d’Aliénor. Elle aime ça. En a besoin. Lui souffler qu’elle en est incapable est au mieux une bassesse masculine, au pire, la preuve qu’il lui fallait de la vision étriquée qu’il a d’elle.
La suite de son discours fait se tourner la lame dans la plaie. Alors que l’agacement reprend, elle doit se concentrer sur son visage contre le sien et ses mains qui, enfin, se décident pour ne pas l’étrangler ici-même sur ce lit. Au moins lui donnerait-elle raison, puisqu’il semble si persuadé de ses intentions. Les yeux clos, elle se laisse bercer par ses paroles, bien plus agréables que les précédentes attaques. Oui, qu’il lui souffle à quel point elle l’a obsédé durant ce demi-siècle, qu’il lui confirme que rien n’a été oublié, qu’il lui accorde une victoire facile et une domination pleine et entière sur sa personne. Que Gautièr donne, car Gautièr est sien. Elle n’a besoin ni de sa permission, ni de son consentement. Le jour où il a posé les yeux sur elle, il était perdu.
Le visage dans sa coupe, forcée de sceller son regard au sien, les traits se durcissent alors qu’il lui offre jusqu’à sa vie, ici, maintenant. Pauvre petit toutou qui quémande le martinet… Pourquoi faut-il que ce soit lui qui possède cet ascendant sur elle? Pourquoi faut-il qu’elle soit incapable de lui offrir ce qu’il supplie presque comme un gamin qui en aurait marre de la vie? Un baiser, elle ne voulait qu’un baiser, se prouver que ce lien, cette intimité, ce… peu importe ce qui les unit, existe encore. Elle s’est persuadée qu’une chose aussi forte ne pouvait mourir sinon avec l’un d’eux. Ou peut-être s’y est-elle trop accrochée. La vérité est une chose étrange pour tout être qui a trop vécu. Les souvenirs s’étiolent, se mêlent à d’autres, les visages en supplantent d’autres si bien qu’il est parfois difficile de s’y retrouver. Les liens s’estompent, s’effacent, alors on leur donne une dimension, qui, peut-être n’a jamais existé.
D’un geste las et agacé, l'Immortelle retire les mains de son visage. “Si tu veux jouer les masochistes, trouve-toi une catin en cuir et en latex” crache-t-elle en se redressant, rompant ainsi tout contact avec elle. Caractérielle, susceptible, elle voit un affront là où, souvent, il n’y en a pas. “Je t’interdis de supposer mes intentions.” Un regard froid coule vers lui alors qu’elle se met à faire les cent pas. “Je te l’ai dit, je ne suis pas ici pour te tuer. Je te l’ai dit à plusieurs reprises mais tu en es pourtant convaincu. Et si je ne le fais pas ce soir, tu t’attends à une éternité de tourments.” C’est presque avec dégoût qu’elle daigne poser de nouveau son regard sur lui. À moins que ce soit de la déception ? “Tu tords et interprètes.”
Elle se détourne, revient se poster vers la fenêtre, les bras croisés sous sa poitrine comme pour mieux signifier que la porte est maintenant close. Le moment est passé et la froideur reprend le dessus. Les yeux de nouveau sur les badauds qui grouillent telle une fourmilière, elle force un soupir. “Je n’ai pas dit que j’en aimais un autre, j’ai dit que je n’étais pas seule. Et c’est une femme. Une amie, une alliée, peu importe” s’agace-t-elle toute seule de devoir se justifier. Mais il le faut. “Il n’y en a pas eu d’autre après toi. Aucun qui a compté. Des pigeons, pour ma survie. Aucun qui ne te ressemblait. Aucun qui avait connu le travail de la terre, l’odeur du foin, le bruit de la caillasse sous des chaussures faites mains. Ils sont tous morts, je les ai tous tués. Tous les hommes qui ont partagé ma vie sont morts et tous par ma main.” Si les traits sont durs quand la Vampire tourne son visage vers lui, ses yeux la trahissent. “Tous sauf toi” lui fait-elle réaliser avant de changer encore de place pour prendre l’un de ces carnets estampillés au nom de l’hôtel et un crayon de bois. “Voilà l’endroit où tu peux me trouver, si tu parviens à te décider.” D’une belle écriture cursive qui ne souffle aucun défaut, elle inscrit le Lucky Star Motel et le numéro de sa chambre. “Ne rentre pas. Je saurais que tu es là.” Le prévient-elle en pliant en deux le morceau de papier qu’elle laisse sur le meuble.
Se tournant vers lui, elle attrape la veste laissée sur le rebord de la chaise auparavant. “Ne me compare plus jamais à celles qui ont partagé un bout de ta vie. Plus jamais” Menace--t-elle sans faire l’effort de faire sonner la phrase autrement. “Ne te méprends pas. Je ne t’offre pas la liberté. Tu es à moi et tu l’as dit, tu m’aimeras toujours. Toujours. Je n'ai pas besoin de ta permission pour quoi que ce soit, ni même pour te tuer. Non, je ne t’offre pas la liberté, seulement le choix de la façon dont tu perdras. Comme ce petit chiot masochiste qui implore que je le tue ou comme ce loup qui, un jour, a suscité mon attention. Reviens Gautièr. Je n’ai pas besoin de l’ombre de toi-même. Je veux ta haine, je veux tes mots, je veux ta passion, je veux ta superbe. Je veux tout, mais pas… ça.” Elle le détaille un instant de haut en bas avant de prendre la direction de la porte. L’entrouvrant, elle fouille dans la poche de son pantalon et jouant un instant à enrouler son index autour de l’objet qui s’y trouve, elle le retire en le cachant précieusement dans la paume fermée de sa main.
Dos tourné au loup, elle hésite, serre les mâchoires et se dit que puisque les grands discours ne lui offriront pas ce qu’elle désire, les gestes sauront lui donner le poids qu’elle recherche. “Je voulais que tu m’embrasses” Un aveu du bout des lèvres alors qu’elle enroule l’objet planqué dans sa main autour de la poignée de la porte. Elle pourrait s’en aller sans se retourner, pourtant, après ces quelques mots, son visage se tourne légèrement vers lui, juste le temps de s’accrocher quelques secondes pour lui prouver sa sincérité.
Elle referme derrière elle, referme sur lui, ferme entre eux ce pont initié plus tôt dans la soirée. Alors que ses pas la traînent le long du couloir, un sourire mesquin étire ses lèvres et sur son visage, un petit air de victoire.
Sur la poignée, pendant et se balançant encore tel un métronome, le collier offert par son loup, cinquante ans plus tôt.