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To love a swamp, however, is to love what is muted and marginal. | Inna & June

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Anonymous
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Lun 12 Juin - 14:30 (#)

Inna
&
June
to love a swamp, however, is to love what is muted and marginal.
Le vieux vinyle de Janis Joplin tourne, laissant la voix de la Mama Cosmique emplir l’espace, tandis que June est allongée au sol, à fixer les fissures du plafond, la tête hochant au rythme de Me and Bobby McGee. Les pieds nus battent la mesure, tandis que les courants d’airs balayent le corps léger de l’outre, qui se délecte de la sensation du vent chaud et humide de la végétation qui l’entoure, soulève légèrement son tee-shirt trop large, vestige de ses années d’études à Chicago. Le short de tennis laisse libre cours aux courants pour balayer les longues jambes.  

Le soleil est sur le point de se lever sur la Louisiane, mais cette nuit, June n’a pas choisi le sommeil artificiel comme à son habitude. Profitant d’une liberté retrouvée, elle a laissé ses barrières se baisser, l’expression de son corps se faire, chercher à capter la vie tout autour d’elle. La douce langue veineuse des arbres s’est fait sentir sur la peau de ses bras, le vrombissement des insectes s’est mu jusqu’à ses oreilles, tandis que la plante de ses pieds captait la pousse des racines au plus profond de la terre. June a alors soupiré, prisonnière en visite, en escale pour un temps. Pas une âme humaine autour d’elle qui soit captable par ses dons de soma.

Cette nuit, June a profité, comme elle profite à chaque fois, de son retour à la vie en campagne. Le repas fut festif : des crackers et du fromage, de la bière, un ragout aux épices cajuns comme le faisait son père chaque samedi, gâteau à l’orange en dessert. Puis elle s’est installée aux portes du jardin, lovée dans une chaise de bois et de métal, éclairée à la lumière des bulbes colorées, la dernière lubie de la jeune femme. Ils pendent, de toutes les couleurs, aux cadres blancs de l’arche de jardin. Dans ce silence, June en a profité pour lire, jusqu’à ce que le sommeil commence à l’appeler. Elle s’est alors allongée dans le salon, à même le sol, avec pour seul confort le tapis recouvrant le plancher récemment refait. Elle est tombée sur une presse de Pearl, et n’a pas hésité longtemps.

Du salon, l’escalier qui monte dans les étages, dont le troisième est toujours condamné tant que June n’aura pas fini de restaurer le deuxième. N’étant présente qu’en fin de semaine, et pour deux à trois jours à chaque fois, les travaux n’avancent pas à la vitesse où elle le souhaiterait. Cette semaine pourtant, elle a eu le droit à des congés, alors elle en profite, loin de la ville et de ses problèmes ; June ne parle pas de fuite, mais de retraite. Son esprit y trouve une paix impossible à avoir à Shreveport : trop de monde, tout le temps, partout. La nature a ça pour elle, elle vit en harmonie, n’est pas bruyante comme l’homme, mais plutôt en volupté, présente partout, en équilibre.

Le vinyle est terminé, et le soleil est déjà haut dans le ciel, quand June se réveille. s’est June passe du salon à la cuisine, sur le même étage, se prépare un café. Aujourd’hui, elle veut s’occuper de son jardin, juste derrière le perron et l’arche où elle a passé la soirée. Tomates, pastèques, patates douces, poivres et autres cultures s’épanouissent dans les terres du marais, sans que Washington n’ait à s’en occuper la semaine. Si elle adore son potager en ville, dont elle a la charge, il n’a rien à voir avec celui qu’elle tient ici. En ville, elle doit composer avec les lois humaines, s’acharner à libérer la terre des mauvaises plantes, tenir compte des envies des résidents de l’immeuble, aussi stupide soient-elles. Ici, les plantes sont libres, à son image. Elle leur parle avec plus d’aisance, peut rester à leur chevet sans être dévisagée, interrogée par cette passion pour la flore. La plus belle musique est celle qu’aucun autre que June n’est capable d’entendre. Ici, elle peut aider les plantes à guérir, à s’approprier le sol et ses nutriments. Lorsqu’elle est en ville, June s’impose un régime strict, s’interdit le moindre usage de son don, qualifie chaque utilisation de perte de contrôle. Dans son jardin, à l’abri, elle se libère, vient en aide.

Parfois, elle le sait, elle l’a vu, quelque chose s’avance du marais, vient prélever quelques légumes et repart. Elle n’aime pas ce mot, quelque chose, mais June n’en a pas de meilleurs dans son vocabulaire. Elle est aussi quelque chose, mais cette personne, c’est différent. Son cœur bat comme un humain, l’air est inspiré et expiré, mais le frisson de son sang, lui, n’a rien d’humain. Bien trop bas, parfois, pour être un mammifère vivant et capable de se déplacer. June a déjà aperçu, en un éclair, des éclats de mèches parmi les arbres ; mais elle a choisi de ne pas suivre.

Nous pouvons appeler cela l’instinct, mais le plus adapté serait de dire que June n’en a rien à faire. En ville, ils ne connaissent pas la vie dans les bayous. Beaucoup en parle, mais beaucoup ont oublié. Ils ne pensent qu’en vitesse, à l’argent, à leur prochain achat, à ce qu’ils vont faire demain, et après-demain, quel restaurant choisir, quels vêtements mettre. Il n’y a rien de mal à vouloir être coquet, à s’amuser ; elle ne jette pas la pierre, June adore s’amuser. Cependant, ils ne voient pas le reste, ce qu’ils choisissent d’ignorer. Ils n’entendent pas la crasse de la ville, la pourriture qui se terre sous la surface, qui gratte pour se libérer. Ils ne sentent pas la puanteur de l’humanité, n’entendent pas le chaos des cœurs et des bouches.  

Alors, quiconque choisit de vivre libre, June le respecte, l’envie même. Il y a bien trop de fruits et de légumes pour elle seule, alors au diable l’avarice. Parfois, l’outre se demande ce que ça fait, de vivre complètement libérée ; et elle ne doute pas qu’elle y arrivera parfois. Elle s’est déjà égarée, malgré les quelques repères qu’elle possède sur les alentours de la maison.

Si le devant de la bâtisse est fermé par une clôture basse, abimée par endroit, l’arrière donne sur le bayou et s’enfonce dans les marais. Du perron, on accède au jardin, quelques dizaines de rangées à peine ordonnées, puis une dizaine de mètres d’herbes sauvages avant que les arbres n’arrivent. Entre ceux-ci, un chemin tracé bien avant que le père de June ne soit un enfant, qui emmène à travers l’épaisse forêt du sud. Le chemin continue quelques centaines de mètres, de plus en plus sauvage, jusqu’à se perdre dans la végétation. June s’est souvent demandé où il menait, mais elle n’a jamais rien trouvé encore qui ressemble à un vestige humain.

Elle baille, en attendant que le café ne coule, passe à l’étage, pour prendre une douche, comme elle en a l’habitude, malgré la journée de labeur au soleil qui l’attend.
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Cannot a Beast be tamed
Inna Archos
Inna Archos
Cannot a Beast be tamed
THE ANGRY RIVER

En un mot : The angry river rises
Qui es-tu ? :
- Métamorphe patiente et silencieuse à l'instar de son reflet intérieur, le crocodile marin. Mélancolique parfois, rêveuse souvent, elle exhale un parfum désuet de nature indomptée.
- Membre du petit clan de métamorphes, les Archos. Sœur de Kaidan et de Rhys Archos, avec lesquels elle cherche à être réunie.
- Le concept même de l’humanité lui échappe totalement, elle qui n’est attirée ni par les possessions matérielles, ni par l’argent, encore moins par les humains.
- Depuis toujours, son esprit est trop différent pour comprendre les motivations humaines. Ermite vivant au cœur du bayou, elle évite les villes et leurs relents nauséabonds.
- Le bayou Carouge est son refuge, un labyrinthe sauvage et traître qui rejette les humains. Des nombreux racontars locaux circulent à son encontre.

Facultés :
- Sa véritable nature n'est autre que l'énorme crocodile marin. Un reflet intérieur lui conférant une force explosive, une grande résistance physique et une tolérance élevée aux poisons.
- Acquise lors d'une Chasse Sacrée tardive, elle possède la forme de la tortue alligator. Une nouvelle forme dont elle apprend encore patiemment la maîtrise et le mode de vie.
- Grâce à leur lien fusionnel, le bayou lui prête sa force. La métamorphe parvient à se transformer même durant la journée, tant qu'elle demeure au sein du bayou.
- Véritable fantôme pour l'humanité, elle n'a jamais rien possédé, ni biens, ni identité. Pour les autorités humaines, la métamorphe n'a jamais existé.
- Un calme souverain cache en réalité une profonde aversion pour l'humanité, qu'elle accuse d'empoisonner les siens et de les mener à leur perte.

Thème : The Hat : The Angry River
The awful cost of all we lost
As we looked the other way
We've paid the price of this cruel device
'Til we've nothing left to pay
The river goes where the current flows
The light we must destroy
Events conspire to set afire
The methods we employ
These dead men walk on water
Cold blood runs through their veins
The angry river rises
As we step into the rain

Pseudo : Carm'
Célébrité : Mackenzie Davis
Double compte : Alexandra Zimmer & Elinor V. Lanuit
Messages : 27
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Crédits : Lyrics: The Hat ; Images: Pixabay ; Avatar: Carm'
Dim 25 Juin - 23:16 (#)

To love a swamp, however, is to love what is muted and marginal

L’aube l’avait trouvée assoupie. Entre les roseaux ployant sous le baiser du vent, la silhouette à la fois sinueuse et massive du crocodile endormi, s’était lovée dans un trou d’eau peu profond, recouvert d’une pellicule de lentilles d’eau ; un cercle saumâtre découpé dans la rive du canal, et entouré d’un muret irrégulier d’herbes folles. Une souche desséchée avait chuté dans cette alcôve isolée, où ses branches disparaissaient à présent sous la surface à la couleur de l’émeraude. Une tâche mouvante d’insectes volaient autour du tronc devenu blanc pâle sous l’assaut du soleil d’été. Cette bulle d’humidité était toutefois trop petite pour le crocodile. Sa queue massive trouait le rideau vert de la surface miroitante, et s’étalait sur la boue de la rive, sur laquelle prenaient racine les joncs ; le soleil levant faisait alors resplendir les écailles de nuances d’or vert et d’onyx.

Une libellule arrêta son vol sur la narine du reptile. L’épaisse mâchoire dépassait à moitié de l’eau ; ses yeux étaient clos. Des feuilles mortes ponctuaient par endroit la peau cuirassée de son énorme crâne, que la lumière dorée de l’aube réchauffait lentement, en dépit de la fraîcheur matinale. Des écharpes de brume se levaient des profondeurs de la boue épaisse, avant de s’étioler dans la faible brise, qui apportait les senteurs capiteuses de l’humus froid et humide. Parmi celles-ci, le parfum de l’herbe pourrissante dominait tout, en enveloppant les alentours du mince canal d’une étreinte olfactive à la fois doucereuse et mélancolique ; ici la vie respirait au rythme doux de l’automne, et d’une promesse d’hiver à venir. La texture même de l’air avait la saveur fermentée de l’abandon ; le vert estival n’était alors qu’un souvenir lointain et précieux.

La libellule était partie. Au centre du napperon de duckweed, un œil doré creva la verdure, et son iris fendu se serra de méfiance sous l’éclat du soleil. Comme contrarié d’être ainsi arraché à sa torpeur, le reptile émit un grondement profond, qui fit clapoter la petite étendue d’eau croupie ; quelques insectes alors posés sur ses écailles émergées s’envolèrent, puis la masse reptilienne se mit en mouvement. Elle se souleva du fond, le corps parsemé d’algues accrochées comme des lianes aquatiques, et bientôt sa gueule épaisse se décolla de la gangue de vase. Une myriade de gouttelettes chutèrent des innombrables interstices de sa peau, où la lumière du soleil faisait éclater une multitude de couleurs irisées, étincelantes et éphémères.

Mais l’animal ne se traîna pas sur la terre. Il se redressa de l’eau, qui chutait en cascades multicolores de son ventre, et bientôt, la verticalité de sa posture dépassa celle d’un simple crocodile : toute son anatomie se modifia à mesure qu’il s’extirpait de son sommeil aquatique. Ses pattes arrières s’étirèrent pour supporter la station bipède, son torse s’élargit en formant des épaules, son cou se courba et s’affina, pour permettre à sa tête de pivoter de part et d’autre. Bientôt, ce fut un être hybride qui marchait sous les lueurs de l’aube ; peu à peu, le crocodile s’était muée en une forme humaine qui conservait ses écailles, sa mâchoire et sa queue, assemblées les unes aux autres pour former une silhouette fantaisiste et humanoïde.

Inna marcha un moment ainsi. Loin des premières constructions humaines, elle n’avait aucune crainte d’être aperçue, et prit alors plaisir à conserver un temps les apparences de sa nature profonde. Elle s’ébroua sous la caresse chaude du jour, dont les rayons impudiques étaient désormais impuissants à lui imposer leur volonté ; l’appel de sa forme humaine était là, suppliant, mais ce matin, elle choisit de la faire taire quelques minutes encore. Ainsi, elle traversa les herbes hautes avec lenteur, sa queue massive de crocodile dessinant une fine tranchée dans son sillage, alors que les os de ses pattes avant s’affinaient et s’allongeaient, pour donner naissance à des bras. Mais la métamorphose ralentit, à mi-chemin entre humanité et reptile. Tout son dos était encore semé de plaques osseuses épaisses, tout comme ses jambes et son énorme mâchoire.

Elle huma l’air matinal. Des saveurs vivifiantes ravissaient ses sens, encore béni d’une précision surnaturelle par cette anatomie hybride, et ses yeux dorés cherchèrent des repères visuels dans son environnement. Elle avait laissé ces vêtements non loin, un tas de frusques déchirées en réalité, dans l’ombre d’un saule ; il lui fallut seulement quelques secondes pour se repérer. La métamorphe s’avança d’un pas lourd dans cette direction, pendant que les fourrées et les branches basses caressaient ses écailles, en bruissant doucement. Lentement, sa marche à l’allure mesurée la conduisit sur cet étroit et antique sentier, qui courait entre des bandes de prairies en friche, où croissaient des arbres solitaires, alourdis des vrilles de plantes aériennes.

L’être à demi animal, à demi humain, s’arrêta à l’ombre du vieux saule. Son énorme mufle inspira les odeurs familières d’un tas de haillons coincés dans les branches de l’arbre et, apparemment satisfait, les saisit entre ses bras désormais aussi déliés que des membres humains. La métamorphose s’accéléra. Des craquements osseux jouèrent de concert avec les brindilles, que sa queue massive faisait craquer en se rétrécissant peu à peu. Sa colonne vertébrale se réduisit, entérinant la disparition des énormes écailles cuirassées, tandis que sa mâchoire fondait, et la forme de sa tête s’arrondissait rapidement ; une masse de cheveux hirsutes fleurit enfin, terminant de faire naître cette apparence secondaire, que certains reconnaissaient par le nom d’Inna.

La métamorphe secoua ses vêtements, non pour faire tomber les feuilles coincées dans les fibres, mais pour déplier ces morceaux de tissu qui tenaient encore ensemble par un miracle inconnu : les jambières de son pantalon s’arrêtaient désormais aux genoux et l’antique débardeur avait autant de trous qu’une fourmilière. Les rayons intrusifs du soleil caressaient ses épaules nues. Elle frissonna. Revêtir cette peau frêle nécessitait toujours un temps d’adaptation ; elle enfila, sans se presser, ses vêtements rapiécés. Ceux-là avaient perdu depuis bien longtemps leurs odeurs industrielles, exhalant les mêmes odeurs de tourbes, d’herbes sèches et de bois flotté que le marais. Leurs fibres flottèrent sur sa peau nue, immaculée après sa métamorphose, avant qu’elle n’enfile ensuite ses sandales, faites à la main avec un bout de corde et une vieille semelle.

Son estomac émit une plainte. Elle commença à marcher, l’esprit battant la campagne comme souvent, en direction du sentier croisé auparavant ; Inna n’avait aucun but, aucune intention. Elle suivait ses instincts, une seconde après l’autre, et n’avait rien planifié de sa matinée ; qu’est-ce que la planification, en somme ? Elle n’aurait su le dire. Ses paumes perpendiculaires au sol scintillant de rosée, elle retrouva finalement ce sentier déjà emprunté depuis plusieurs semaines, et déambula, en caressant les tiges brunes du bout de ses doigts. Au-dessus d’elle, l’enchevêtrement des arbres dépouillés formaient la maille d’une vaste couverture, qui filtrait les rayons du soleil, à la manière d’une cathédrale trouée de milliers de petites ouvertures.

J’ai faim.
Et ce fut sa toute première pensée.
Inna tâta machinalement l’une des poches encore intactes de son pantalon pour s’assurer de la présence de l’épaisse dent de reptile, qu’elle avait découverte au cœur du bayou.

Quelque part, derrière l’écran des troncs et des futaies, se cachaient les poteaux de travers d’une clôture et, plus loin encore, les murs d’une maison délabrée ; elle l’avait observé de loin. Près de cette construction qui lui paraissait abandonnée, l’air était épicé des senteurs de légumes sauvages ; parfois elle venait prélever là une tomate, ici un poivron, au fil de son appétit. Pour elle, il n’y avait aucun vol. Qu’était-ce le vol, au juste?Elle n’en avait aucune idée. Elle ne l’avait pas appris durant la nuit, si bien que la métamorphe traversa sans hâte les bosquets en friche et les taillis de ronces qui tâchaient d’avaler le mince sentier. Inna se faufila avec l’adresse d’une créature née ici, sans éveiller plus de bruit que le discret froissement de ses vêtements sur la tendresse des feuilles ; ces pieds eux, n’émettaient aucun son, tant elle était faite pour vivre dans le bayou.

Bientôt, l’orée du chemin s’éclaircit, les arbres se firent épars, remplacés par des bancs d’herbes duveteuses et laissées libres, qui cachaient encore les lignes symétriques du potager. Inna ne tenta aucun effort pour se cacher ; à quoi bon ? Aucun humain n’avait cherché à l’arrêter ici, et si elle avait bien noté une présence par ci, par là, les interactions ne l’intéressaient pas le moins du monde. Elle s’arrêta à la frontière, entre potager et forêt marécageuse, sur ce seuil qui symbolisait tout son univers à mi-chemin entre reptile et humanité. Là devant elle, les vrilles des tomates couraient librement sur le sol, tandis que les globes rouges et imparfaits des fruits se gorgeaient du soleil de Louisiane, dans un abandon paisible, dont elle aimait la quiétude.

Laquelle choisir ? Inna hésita.

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Mar 27 Juin - 15:30 (#)

Inna
&
June
to love a swamp, however, is to love what is muted and marginal.
L’eau coule sur son visage, envahit ses sens. Les yeux fermés, June n’entend que le fracas des gouttes sur sa peau, qui vient absorber le reste des bruits du monde avoisinant. D’un geste, elle passe ses cheveux en arrière, bouge légèrement le chef de gauche à droite. La sensation de froid la stimule, agite son corps, un plaisir dont elle ne se lasse pas. Son don se libère, aveugle et sourd, incapable d’entendre ou de voir autre chose que l’averse.

Aucun filtre n’est présent, June se sent comme libérée. Elle présente son dos, libère l’air de ses poumons dans un frisson glacé qui prendra fin au moment même où les robinets vétustes seront fermés. Bien qu’elle puisse en profiter à la ville aussi, la vie de l’immeuble l’appelle trop vite dès que les dernières gouttes sont tombées, dans un clapotis léger, tandis que le syphon évacue les peaux mortes et le savon. Ici, il n’y a pas tout ça.

Il n’y a que le sentiment de vague, le vent qui vient bruire dans les feuilles des arbres hauts, qui ont commencé leur lente transformation pour accueillir l’automne qui se prépare. Un mouvement langoureux, qui s’agrémente de l’agréable sensation de l’herbe qui absorbe les rayons chaud du soleil, se nourrissent du sol riche et fertile des abords du marais. Il y a des battements, lents et réguliers, des rongeurs qui courent sous le parquais, des oiseaux de nuit qui dorment au creux des peupliers et des aulnes qui jonchent la maison. Une osmose dont elle rêve de faire partie.

Elle quitte le bac, ruissèle sur le tapis. La serviette vient s’enrouler autour de son corps, épouse ses formes. June essore doucement ses cheveux dans une seconde serviette, ses narines viennent capter l’odeur meuble de la terre, des branches et des feuilles qui se décompensent, la fragrance de la mort qui se mêle aux sons de la vie, vient parachever son tableau mental des lieux. Certains ne supportent pas cette odeur, qu’ils trouvent repoussante, qu’ils veulent cacher. Si June adore son propre parfum ; son savon à la lavande, l’amande de son shampoing ; elle n’a pris cette habitude que pour sauvegarder son corps, pour s’infiltrer au sein de l’humanité. Elle adore lorsque ses mains sentent la terre après une journée de travail, les pétales naturels qui sont tombés dans ses cheveux, qui ont démarré leur lente décomposition, le sel de la sueur qui a perlé sur son corps.

La serviette tombe dans la chambre, tandis qu’elle enfile un débardeur et une culotte, puis un short rapiécé, bon pour le jardinage qui l’attend. Ses pieds glissent dans les chaussures basses, tout aussi usées. Une main vient ramener les cheveux en arrière, qui tombent devant son visage. Ils sécheront seuls. Elle descend les escaliers sans se presser, à son rythme, celui des arbres.

Dans sa tasse fétiche, vieille de plus d’une décennie, dont le motif s’est effacé depuis le temps, elle sert le café sombre, qui tourbillonne légèrement. C’est là que le don de June capte enfin cette présence, à nouveau, discrète. L’outre s’arrête un instant, peu sur d’elle tant l’onde, s’il est possible de qualifier ce ressentiment ainsi, cette captation d’un battement lent, tout aussi en symbiose avec l’environnement qu’il est possible de l’être, pourtant en léger décalage ; comme si une part d’humanité subsistait.

L’outre doute. Ces derniers temps, elle n’a plus confiance en elle, en ses capacités. Elle passe trop de temps à les contrôler, à tenter de faire taire les sensations qui l’assaillent. Ainsi libérée, peut-être est-ce seulement un piège de son imagination, un souvenir qui vient se mêler à la douceur de la journée, à la vie sauvage qu’elle affectionne tant.

June s’avance vers le perron, tasse à la main, scrute le jardin qui se dévoile à elle. L’humanité n’a pas encore découvert ce lieu ; ou plutôt, a choisi de l’oublier. La fleuriste aurait pu choisir de vendre la propriété, de payer des réparateurs, de laisser entre le chaos de ville dans ce havre de paix. Elle n’a pas choisi cette voie-là, pour une raison simple : au-delà des souvenirs de sa famille, de cette époque révolue où sa mère et son père étaient de ce monde, la maison de bric et de broc semble aujourd’hui pour elle le dernier refuge où elle peut s’épanouir.

Dans un mouvement, elle aperçoit le reflet d’un cheveux, dissimulé entre les plantes, tout à l’orée de la forêt, à une dizaine de mètres de là. Est-ce que l’intrus l’a aperçu et a disparu, aussi brièvement qu’il a été aperçu dans les limbes naturelles qui font osciller les sens de l’outre ? June n’en sait rien, pas plus qu’elle ne sait si elle souhaite ou pas aller à la rencontre de l’individu. Il s’agit probablement du cueilleur que la jeune femme a déjà croisé de loin, par ses dons, par une fenêtre ; à peine plus qu’une éclipse comme à présent. La curiosité l’anime, au même titre que la peur ; cette personne n’a aucune raison de venir briser l’équilibre du lieu, en témoigne sa discrétion, son union avec les lieux.

Fermant les yeux, June se concentre. Elle a perdu l’habitude de l’exercice. Parmi les bruits qui circulent, elle cherche à entendre. Baboum, baboum ; Il est là, à la limite de la portée de son talent, ce cœur lent et régulier. Il fait le bruit du cœur humain ; baboum baboum ; mais plus mesuré.  Un vertige, et June s’appuie contre l’ouverture de la porte. Elle n’a plus l’habitude du tout, trop résignée.

Son regard scrute à nouveau les lieux, en quête d’un visage, d’un mouvement. Qui que cette personne soit, elle lui ressemble, sur un point au moins : dans sa poitrine, un cœur qui bat.

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THE ANGRY RIVER

En un mot : The angry river rises
Qui es-tu ? :
- Métamorphe patiente et silencieuse à l'instar de son reflet intérieur, le crocodile marin. Mélancolique parfois, rêveuse souvent, elle exhale un parfum désuet de nature indomptée.
- Membre du petit clan de métamorphes, les Archos. Sœur de Kaidan et de Rhys Archos, avec lesquels elle cherche à être réunie.
- Le concept même de l’humanité lui échappe totalement, elle qui n’est attirée ni par les possessions matérielles, ni par l’argent, encore moins par les humains.
- Depuis toujours, son esprit est trop différent pour comprendre les motivations humaines. Ermite vivant au cœur du bayou, elle évite les villes et leurs relents nauséabonds.
- Le bayou Carouge est son refuge, un labyrinthe sauvage et traître qui rejette les humains. Des nombreux racontars locaux circulent à son encontre.

Facultés :
- Sa véritable nature n'est autre que l'énorme crocodile marin. Un reflet intérieur lui conférant une force explosive, une grande résistance physique et une tolérance élevée aux poisons.
- Acquise lors d'une Chasse Sacrée tardive, elle possède la forme de la tortue alligator. Une nouvelle forme dont elle apprend encore patiemment la maîtrise et le mode de vie.
- Grâce à leur lien fusionnel, le bayou lui prête sa force. La métamorphe parvient à se transformer même durant la journée, tant qu'elle demeure au sein du bayou.
- Véritable fantôme pour l'humanité, elle n'a jamais rien possédé, ni biens, ni identité. Pour les autorités humaines, la métamorphe n'a jamais existé.
- Un calme souverain cache en réalité une profonde aversion pour l'humanité, qu'elle accuse d'empoisonner les siens et de les mener à leur perte.

Thème : The Hat : The Angry River
The awful cost of all we lost
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Sam 1 Juil - 21:08 (#)

To love a swamp, however, is to love what is muted and marginal

Les jardins des hommes n’avaient aucun charme.
Avec leurs allées tracées au cordeau et leur verdure symétrique, ordonnée et millimétrée, ils n’étaient que des enclos pour Inna ; des bulles où les mains humaines avaient comprimé la beauté naturelle, la dévoyant. D’ordinaire elle les fuyait. De loin, la métamorphe avait déjà observé ces carrés verts, de pelouse comme ils les appelaient, uniformes et stériles, où ne subsistait qu’une vie filtrée, aseptisée et dépourvue de nuances. Là-bas, dans ces jardinets tant transformés par l’urbanisme, ne survivait qu’à peine la parodie d’un monde sauvage, où les insectes n’avaient plus leur place, où les fleurs de saison étaient achevées avant d’éclore. Là, dans ce cimetière à ciel ouvert, s’élevaient les plaintes inaudibles d’une terre souillée par la chimie et l’huile de barbecue, où les humains pouvaient marcher pied nus sur l’humus, sans risquer leur frêle existence.

Ici, tout était différent.
Dans ce jardin abandonné qui s’ouvrait sans avarice sur le bayou, une forme de vie innocente renaissait, et tâchait de renouer avec ce parfum primal, perdu, qui avait abandonné les autres jardins. Ici la chair et les os d’Inna ressentaient la vie circuler dans le sol, à mesure que les veines telluriques du bayou croissaient sous les herbes folles poussant sans encombre. Alors qu’elle se tenait debout, entre les vrilles des tomates qui couraient librement au sol, toute sa concentration était dédiée au choix d’un fruit ; elle n’éprouvait plus ce sentiment constant d’être inopportune. Ici, elle pouvait, dans une certaine mesure, être inattentive et se repaître des senteurs sauvages qui exhalaient de l’humus et des plantes ; l’empreinte humaine était absente dans ce jardin. Nulle crainte n’éveillait ces instincts, nulle crasse ne venait troubler ses sens sensibles.

Même les tomates lui plaisaient. Aucune n’était ronde et lisse, parfaitement calibrée, comme celles que son père lui achetait autrefois, en dépit de l’absence des authentiques parfums qu’elle appréciait tant. Plus que la saveur du fruit en lui-même, Inna aimait inspirer l’odeur de la sève et des feuilles coupées, la texture de la terre sur la peau non pelée, et les écorchures râpeuses que les averses avaient creusé. Cela faisait partie du plaisir. Cela la nourrissait aussi, d’une certaine façon. Inspirer et se nourrir des éléments naturels qui avaient façonné le fruit était un rituel au-delà de l’alimentaire ; il parlait à son essence profonde, à cette facette qui ne tolérait rien d’autre que le miel de la terre. Les fruits humains, eux, la rendaient nauséeuse. Voilà pourquoi la métamorphe avait passé toute son enfance à chasser, car la chair sauvage, elle, ne mentait pas.

Inna en choisit une, enfin. Elle s’accroupit pour cueillir délicatement une tomate très mûre, dont l’une des faces était déjà trop sombre, restée trop longtemps au soleil, et l’autre face avait été piquetée par la pluie. Le reste, elle viendrait le cueillir plus tard, quand la faim lui imposerait. La métamorphe brisa net entre le pouce et l’index la tige reliant le fruit aux vrilles, en n’abîmant rien, en n’effleurant qu’à peine la structure de la plante qui, au lieu de s’enrouler sur un piquet, avait été laissée libre de courir au sol. D’une main leste, elle fit tourna la tomate sous l’éclat du soleil matinal, se remit debout, et la porta à son nez pour inspirer toutes ces nuances qui avaient disparu de tout jardin cultivé par l’homme ; elle sentit la terre et l’averse, les feuilles et la rosée du matin, la poussière d’écorce et des insectes séchés, et une subtile odeur d’automne.

Inna prenait plaisir à cette errance.
Un fait rare à l’ombre d’une construction humaine, qu’elle frôlait de sa présence depuis plusieurs semaines déjà, sans oser s’approcher plus avant ; et pour cause, la maison ne l’intéressait pas. Tout cela n’était, en fin de compte, qu’un amas de matière morte, tuées et transformées à l’excès, malgré les tentatives des herbes et des futaies de conquérir ces murs. Elle caressa cette tomate, d’une manière tendre et appliquée comme un véritable trésor, -ce qui était le cas à ses yeux-, et marcha sans se presser vers l’ombre d’un arbre proche. Une libellule revint planer au-dessus de sa chevelure en friche, dont la brillance de blé brillait sous le soleil, et l’insecte s’y accrocha pendant quelques secondes, sans que la métamorphe ne s’en aperçut. Devant elle, un vieil arbre formait une fourche à hauteur de torse, où son écorce noueuse se divisait en deux branches.

Gardant le fruit contre son ventre, Inna se hissa d’une main sur l’arbre, en s’appuyant du pied sur un rocher qui affleurait, moussu et à demi enfoui sous le lierre, entre les racines mises à nues. Elle s’assit ainsi avec un plaisir presque enfantin, de celle qui n’alourdissait son esprit d’aucun impératif, aucune apparence ; tout ce que la femme crocodile avait désiré, était ici, dans le bayou, et une tomate était un parfait cadeau qu’elle célébrait avec le même enthousiasme. Qu’aurait-elle désiré d’autre ? Elle, qui fut toujours étrangère aux notions humaines d’avidité, d’avarice et de propriété, se savait bénie par la moindre brise parfumée, la moindre caresse des herbes hautes, les couleurs de la moindre fleur, et les milliers d’attentions que le bayou lui accordaient chaque seconde de sa vie. À la perfection ne manquait que la présence de sa famille.

Un soupir d’aise s’échappa d’entre son sourire muet.
L’écorce sous son dos craquait, mais le frottement rêche faisait partie de son bonheur, car l’odeur parfumée de la sève se mêlait à celle de la terre chaude et humide. En dessous d’elle, les rayons matinaux évaporaient la rosée nocturne, créant des écharpes vaporeuses qui flânaient paresseusement entre les feuilles du saule, comme des nuages miniatures. Ainsi, les traits de lumière solaire se faufilaient au sein des vieilles branches, et ponctuaient la chevelure, tout comme les vêtements d’Inna, de tâches amarantes ; lorsque la chaleur se blottissait contre sa poitrine, elle exhalait l’odeur d’humus et de mousse qui s’était infiltré dans le tissu. Un oiseau solitaire vint se reposer sur la plus haute branche du saule, et entonna une hymne à l’aube, que Inna connaissait par cœur : entre les arbres coule une rivière, et son chant n’est autre que son cœur qui bat.

La métamorphe palpa le fruit entre ses paumes. Celui-ci avait été rendu mou par l’assaut du soleil, mais sa peau avait cette texture résistante et marbrée de tâches de pluie, comme Inna l’aimait ; d’ailleurs, cette résistance ne lui posait pas de problème. Elle se laissa aller à la métamorphose, qui prenait ses forces dans le bayou et le lien tutélaire entre eux, mais toutefois, concentra cette force dans sa mâchoire. Ainsi, une partie de ses dents humaines se remodelèrent : ses molaires plates se déformèrent et se firent tranchantes, alors que son sang de reptile irriguait avec vivacité les muscles de ses mandibules. Aussitôt fait, elle mordit dans la tomate, que ses dents solides coupèrent sans difficulté, en arrachant la peau épaisse. Le jus du fruit jaillit, arrosant son menton, avant que son index ne le collecte pour ne rien perdre de ce petit plaisir.

Au loin, la lumière estivale douchait encore le toit vermoulu de la maison, où l’attention d’Inna dériva, alors qu’elle mastiquait la tomate innocemment chapardée. Depuis son perchoir dans les bras du vieux saule, elle discernait les mouvements lents d’une silhouette près du bâtiment, là-bas, à la naissance du sentier sauvage qui s’écoulait depuis le perron usé. Elle n’y prêta que peu d’attention. Cette quiétude naturelle enveloppant ce lieu, apaisait ses instincts prédateurs, si bien que la métamorphe n’éprouvait aucun malaise si quelqu’un ou quelque chose l’observait ; quelque part, le crocodile était chez lui, qui plus est au sommet de la chaîne alimentaire du bayou. Bien que cet endroit ne fasse pas partie de son territoire, elle y affirmait sa présence, plus par plaisir de vagabonder que par désir de conquête ; la propriété aussi était une notion humaine.

Seule la tomate l’intéressait. Les branches du vieux saule oscillèrent de ci de là, la cajolant dans une étreinte chaude, que le vent des marais parfumait de milles senteurs aquatiques. Elle aimait être ici.

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Ven 7 Juil - 10:38 (#)

Inna
&
June
to love a swamp, however, is to love what is muted and marginal.
Au rythme d’une lente valse, le cœur battant avait avancé dans le jardin ; et June n’était pas intervenue. Elle était curieuse, pour sûr, mais ses propres occupations avaient pris le dessus sur les questions qui étaient venues prendre position dans son esprit. Ici, elle est chez elle ; et chez elle, il n’y a pas besoin de s’annoncer pour venir chercher un fruit ou un légume, tant que l’on respecte les lieux, qu’il n’y a ni saccage ni pillage.

La tasse toujours enserrée entre ses doigts, June s’est assise sur le perron de la demeure, les yeux clos, à écouter ce cœur ; ni humain, ni animal, mais quelque part entre les deux. Elle se rappelait les contes de son père, sur le marais et ses mystères, sur les Lwas qui prennent possessions des arbres et des pierres. La peur et la défiance lui reviennent également, lorsque son père, cherchant à rationnaliser le don de sa fille, en avait appelé à Sakpata de reprendre sa création.

Refusant de laisser son esprit s’assombrir par les souvenirs douloureux, June ouvre les yeux, les laissent se balader sur le jardin, sur les arbres qui se dandinent doucement au grès du vent. Ses cheveux humides ondulent légèrement, sèchent à leur rythme, dessinant petit à petit les boucles naturelles dont ses amies sont si jalouses. Déposant la tasse, elle s’allonge un instant sur les planches blanches du montoir, laisse le soleil réchauffer son corps. Dans ses divagations mentales, elle a perdu l’écoute de ce cœur ; sûrement cette personne est partie, une fois sa récolte terminée. Peut-être reviendra-t-elle, et elle et June se croiseront. Elle aimerait bien mettre un visage, une forme plus concise qu’un simple reflet dans les branchages.

Son imagination commence à s’emballer à nouveau, le moment est opportun pour se mettre en mouvement. En passant par la cuisine, l’outre dépose la tasse dans l’évier, y sert un peu d’eau, pour s’hydrater, puis prend la direction du jardin. Dans une caisse à proximité du perron, June y sort l’attirail nécessaire au besoin : sécateur et cisaille, petite pelle, plantoir et transplantoir, arrosoir. Elle y fourre le tout dans un panier tout aussi usé que le matériel.

En prenant le temps, June s’avance parmi les rangées sauvages, qui vivent une vie mêlée aux insectes et aux plantes sauvages ; que ce soit son père ou sa patronne, ils s’arracheraient les cheveux en voyant l’état des rayons, en dehors de tous les concepts humains de l’ordre qu’il est censé régner dans une plantation. Les quelques pieds de haricots sont juste là, entortillés entre eux comme autant de bras d’amis qui s’enserrent pour un câlin de groupe.

June s’assied en tailleur, à leur hauteur. Doucement, elle soulève quelques tiges, dont les feuilles recouvrent d’autres plants, plus faibles à cause du manque de soleil, dissimulé par les plus grands plants. Moins un agencement qu’un petit écart, elle réarrange rapidement le tout, pour permettre à chacune des tiges de pousser. Il s’agit malgré tout d’un jardin, et s’il s’agit d’une sélection naturelle évidente sur les pieds les plus forts, ici, June veut laisser sa chance à toutes les plantes.

Tout en travaillant, elle fredonne, doucement. L’air n’appartient pas une chanson particulière, sonne dissonant, entre les rythmes. Une des tiges les plus frêles en main, June se concentre, légèrement. Il y a encore un espoir, quelque part dans les tissus fibreux et les feuilles maladives.

« Je vais te donner un coup de main. » murmure-t-elle à la plante, avec un sourire. Un spam, léger, tandis que June puise dans ses forces intérieures. Elle ordonne, et la matière obéit. Les racines légèrement plus profondes, les feuilles légèrement plus épaisses. Dans sa main, la feuille froissée semble s’aplanir, reprendre un aspect plus fort. L’outre peut sentir la terre s’écarter tandis que les racines s’enfoncent plus loin dans le sol, s’étendent comme une toile, elle sent les nutriments de la Terre qui sont puisés, d’abord faiblement, puis si fort, comme lorsque l’on est assoiffé, et qu’un verre d’eau nous est tendu. Il n’y a aucune retenu, un besoin vital.

« Nous y voilà… » La voix de June est tendre, pleine d’espoir. « Je reviens te voir demain, voir comment tu t’en sors. » Certaines personnes ne comprennent pas qu’il soit possible de discuter avec les plantes ; aux yeux de June, c’est l’inverse qui est inenvisageable. Si les végétaux ne comprennent pas l’anglais, ou n’importe quelle autre langue humaine, ils comprennent l’attention qu’on leur porte, ils sont vivants, simplement différents.

Se redressant, June s’apprête à reprendre sa marche, lorsque, dans un mouvement, elle remarque, au creux d’un des arbres qui trônent fièrement à l’orée du courtil, une femme en haillon, les cheveux de pailles, une tomate à la main. Elle soupçonne ; à juste titre, mais June ne le sait pas encore ; qu’il s’agit là de la cueilleuse. Une question vient ensuite s’imposer dans l’esprit de l’outre : l’a-t-elle vu utiliser son don ? A-t-elle vu le plant reprendre forme et force ? Puis le calme revient : June est chez elle, loin de l’humanité, du mépris et du rejet. Cette femme peut-être dangereuse, peut-être est-elle juste de passage, vivant quelque part dans le marais. Une marginale, en quelque sorte.

« Cette tomate est-elle à ton goût ? » La phrase est dite sans animosité, comme une invitation à la discussion. June n’avait pas prévu de parler aujourd’hui, mais prise sur le fait d’une rencontre, elle s’y contraint, surement l’éducation qu’elle a reçue, d’accueillir les visites que l’on reçoit, qu’elles soient désirées ou non. Un petit sourire sur le visage de June, qui trahit une appréhension discrète : avant que l’invitée ne reparte, la petite outre doit savoir, si son secret a été percé ; mais surtout, si son interlocutrice risque de briser le havre de paix que June s’est bâtie.


CODAGE PAR AMIANTE
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Cannot a Beast be tamed
Inna Archos
Inna Archos
Cannot a Beast be tamed
THE ANGRY RIVER

En un mot : The angry river rises
Qui es-tu ? :
- Métamorphe patiente et silencieuse à l'instar de son reflet intérieur, le crocodile marin. Mélancolique parfois, rêveuse souvent, elle exhale un parfum désuet de nature indomptée.
- Membre du petit clan de métamorphes, les Archos. Sœur de Kaidan et de Rhys Archos, avec lesquels elle cherche à être réunie.
- Le concept même de l’humanité lui échappe totalement, elle qui n’est attirée ni par les possessions matérielles, ni par l’argent, encore moins par les humains.
- Depuis toujours, son esprit est trop différent pour comprendre les motivations humaines. Ermite vivant au cœur du bayou, elle évite les villes et leurs relents nauséabonds.
- Le bayou Carouge est son refuge, un labyrinthe sauvage et traître qui rejette les humains. Des nombreux racontars locaux circulent à son encontre.

Facultés :
- Sa véritable nature n'est autre que l'énorme crocodile marin. Un reflet intérieur lui conférant une force explosive, une grande résistance physique et une tolérance élevée aux poisons.
- Acquise lors d'une Chasse Sacrée tardive, elle possède la forme de la tortue alligator. Une nouvelle forme dont elle apprend encore patiemment la maîtrise et le mode de vie.
- Grâce à leur lien fusionnel, le bayou lui prête sa force. La métamorphe parvient à se transformer même durant la journée, tant qu'elle demeure au sein du bayou.
- Véritable fantôme pour l'humanité, elle n'a jamais rien possédé, ni biens, ni identité. Pour les autorités humaines, la métamorphe n'a jamais existé.
- Un calme souverain cache en réalité une profonde aversion pour l'humanité, qu'elle accuse d'empoisonner les siens et de les mener à leur perte.

Thème : The Hat : The Angry River
The awful cost of all we lost
As we looked the other way
We've paid the price of this cruel device
'Til we've nothing left to pay
The river goes where the current flows
The light we must destroy
Events conspire to set afire
The methods we employ
These dead men walk on water
Cold blood runs through their veins
The angry river rises
As we step into the rain

Pseudo : Carm'
Célébrité : Mackenzie Davis
Double compte : Alexandra Zimmer & Elinor V. Lanuit
Messages : 27
Date d'inscription : 23/04/2023
Crédits : Lyrics: The Hat ; Images: Pixabay ; Avatar: Carm'
Sam 15 Juil - 23:25 (#)

To love a swamp, however, is to love what is muted and marginal

Une quiétude atypique projetait le jardin hors du réel.
Pour un peu, Inna se serait assoupie.

L’écorce mouvante du saule oscillait contre son dos, comme la brise remuait la ramure de l’arbre, imprimant un lent mouvement de balancier pareil à une respiration. Quelques feuilles jaunies chutaient parfois, à côté et sur les cheveux d’Inna, que des insectes errants venaient visiter sans s’attarder ; elle ne les chassait pas, à défaut de s’en apercevoir. Ses jambes étaient étendues sur la fourche de bois vermoulu, au bout de laquelle ses sandales dépassaient au-dessus du vide ; à peine de quoi masquer ses pieds, qui auraient pu tout aussi bien être nus. Autour d’elle ne résonnait que le chant du vent, le froissement des fourrés, le fredonnement des insectes, et le son rythmique de sa mastication ; la métamorphe, elle, fixait un point lointain parmi le dense rideau des arbres qui marquait la fin de l’étrange jardin et le début du monde sauvage.

Loin au-delà de cette limite, l’attendait le bayou. Pourtant, en dépit de cette distance, Inna ne ressentait pas ce malaise viscéral qui la saisissait habituellement, lorsqu’elle frôlait de sa présence les terres souillées par l’humanité. Dans ce jardin, les instincts du crocodile s’apaisaient et se laissaient emporter par la mélancolie doucereuse qui semblait imbiber de l’humus du potager, jusqu’à la sève des arbres ; dans ces lieux, tout se reposait, chacun à sa manière. Inna n’aurait su définir ces sensations. Tout comme elle ne pouvait expliquer à l’aide des mots, ces sons humains bien inutiles, cette force indescriptible que la métamorphe percevait au cœur du bayou Carouge. Des émotions pures et primitives, toutefois bien différentes de ces lieux-ci.

Car, dans ce jardin, vivait une poésie douce-amère. Comme si, tant bien que mal, la vie cherchait ici à reprendre ses droits, dans un dernier effort d’optimisme un peu vain, alourdi par une humanité omniprésente qui ne la laisserait jamais véritablement en paix. Une forme de fatalité dans l’air. Inna percevait, parfois de manière inconsciente, ce désespoir de mal-vivre qui suffoquait une authenticité primitive, opiniâtre et délicate, mais cependant vouée à disparaître. Comme la bulbe de la fleur, enfermée dans un cocon d’hiver, attendait avec philosophie l’arrivée d’un printemps qui ne viendrait jamais ; une certaine tristesse abîma l’humeur d’Inna à cette pensée. Elle s’empressa de mordre à pleine dents dans la tomate, dans l’espoir que la fraîcheur du jus de fruit disperserait l’ombre fataliste et étouffante qui semblait s’élever des profondeurs du jardin.

Mais ce fut un mouvement au sein des allées désordonnées du jardin qui attira l’attention d’Inna, et lui ôta momentanément cette lourde chape de mélancolie. À la périphérie de sa vision, déambulait sans se presser une silhouette féminine, un panier à la main, sa chevelure sombre formant des boucles qui oscillaient dans la torpeur matinale de cette fin d’été. La métamorphe la suivit des yeux, attentive et immobile. L’inconnue à la peau cuivrée ne l’avait manifestement pas vue, si bien qu’elle put l’observer en toute discrétion, rassurée par la possibilité de s’effacer à tout moment ; Inna restait une animale, somme toute, plus prompte à fuir la présence humaine qu’à l’affronter. Pour mieux l’observer, elle se tourna lentement sur le côté, tandis que la jeune femme s’accroupissait parmi les rayons, chaotiques à dire vrai, des haricots et des tomates.

Inna prit une bouchée du fruit, l’une des dernières. À quelques mètres de là, l’inconnue accroupie chantait et murmurait ; des sons qui sonnèrent étonnamment doux à l’oreille de celle qui, d’ordinaire, n’éprouvait aucun amour pour les bruits des humains. La femme crocodile la scruta alors avec une curiosité renouvelée, de celle qui découvre une plante exotique ; à ses yeux, cette femme n’était qu’un élément du jardin. À cet instant, celle-ci lui paraissait parfaitement adéquate dans ce cadre singulier, qui renfermait tant de solitude et de mélancolie. À la voir ainsi, cette mince silhouette chuchoter tendrement des comptines aux haricots, les accessoires abîmés qu’elle tenait dans ses mains, Inna comprit, quoique de manière inconsciente, que l’être en face d’elle devait être la source de l’atmosphère rêveuse que cet endroit exhalait.

Alors, Inna ne dit rien. La lumière du soleil jouait dans les boucles humides de l’inconnue, alors que sa petite silhouette, perdue au milieu d’un dédale anarchiques de plantes, exhalait une simplicité et une fragilité que Inna ne voulait pas interrompre. Elle croqua en silence une nouvelle bouchée de tomate. Plus loin, la jeune femme paraissait apposer ses paumes sur la terre, autour d’un des plants de haricots, lequel parut aussitôt se redresser et reprendre de la vigueur ; Inna suspendit son geste, sa tomate à mi-chemin de sa bouche. Elle resta quelques secondes ainsi, décontenancée, incertaine d’avoir bien vu. Jamais elle n’avait assisté à un tel spectacle ; cela ressemblait à un petit miracle, comme ceux que May lui avait montrés autrefois.

Désormais piquée par une curiosité où se mêlait la méfiance, Inna croqua la dernière bouchée de tomate et s’allongea plus confortablement contre l’épaisse branche du saule pour mieux observer l’anomalie humaine. Celle-ci venait de se redresser à son tour et, sans doute grâce au mouvement de la métamorphe, elle remarqua enfin la présence de cette dernière. Quand la voix de l’inconnue s’éleva, Inna ne cessa de la fixer, la joue contre la vieille écorche rêche et chaude, lézardant à l’ombre de ses branches comme la simple reptile qu’elle était. Obnubilée par cette découverte, elle en oublia momentanément ses dents pointues.

« Oui. » Inna ne trouva rien de mieux à dire. Elle n’essaya même pas. Quelque peu éraillée, sa voix douce et lente démontrait le peu d’usage qu’elle en faisait ; une réponse simple à une question simple.

Toutefois, cette curiosité était plus forte, qui l’incita à alimenter la conversation à son tour, en dépit de cette présence qui aurait dû la repousser. « Tu fais pousser les haricots. C’est beau. »

Ces quelques mots ne contenaient qu’un fait. Rien d’autre. Pas d’intentions cachées, pas de reproches, pas d’animosité, pas de malveillance comme les humains seuls en étaient capables. Elle délivrait ses perceptions personnelles devant un phénomène étonnant et unique, dont la métamorphe n’avait jamais été la témoin. En dépit de sa méconnaissance, Inna était persuadée qu’elle venait d’assister à quelque chose de personnel, et même d’intime, si bien que le doute s’empara d’elle : peut-être n’aurait-elle pas dû assister à ce miracle.

Elle fronça les sourcils, saisie de scrupules. « Est-ce que… tu veux que je parte ? »

Qui d’autre que la métamorphe, dont les humains piétinaient depuis toujours sa race et leur espace de vie, connaissait mieux que quiconque le viol de l’intimité ? Elle-même n’aimait pas la présence humaine au sein du bayou Carouge, et détestait même voir ces embarcations bruyantes, puantes, déformer les flots des canaux. Certes, rien de tout cela ne lui appartenait, cette notion lui était inconnue, mais elle ne pouvait que se montrer défiante face aux immondices que produisaient les hommes. Dans ce jardin, le bayou était loin et cette intimité n’était pas la sienne ; elle ne voulait pas s’imposer ici. Que l’inconnue lui intima de quitter ces lieux, Inna l’accepterait volontiers ; elle savait reconnaître les sanctuaires sacrés.

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