"I shouldn't be here" ft. January

Jane ne décolérait pas. Elle voulait se battre, rouvrir le théâtre, relancer la programmation, mais le directeur avait décidé de fermer, sans même laisser l’opportunité d’accueillir les gens dans les salles qui avaient été suffisamment préservées pour être rénovées suffisamment rapidement et montrer que le Capri ne se laisserait pas intimider. Elle ne pouvait même pas dire qu’elle comprenait, ou plutôt si : elle comprenait qu’il cédait aux opposants aux créatures surnaturelles. Peut-être en était-il un lui-même. Aurait-il pu chercher à intimider ses employés qui en étaient tout en s’attirant la sympathie des gens pour les dégradations du théâtre ? Ce n’était pas à son employée d’enquêter mais plus ça allait, moins elle cautionnait la couardise de son directeur. S’il était l’un des leurs… ça expliquerait tout. Une légère bouffée de haine, bien inhabituelle pour la jeune femme, la prit soudainement, avec l’envie d’aller lui demander des comptes.

Peut-être aurait-elle cédé à l’impulsion, si elle n’avait pas soudainement entendu du bruit, un bruit inhabituel et inattendu, alors que personne n’aurait dû être là. Elle-même ne l’aurait pas dû, mais elle ignorait sciemment les recommandations de son supérieur et était bien déterminée à déblayer les lieux au plus vite et à prendre sa mine la plus innocente pour annoncer que les rénovations allaient plus vite que prévu. Sur ses gardes, vérifiant que le revolver qu’elle avait acquis illégalement était bien en place et qu’elle pouvait le saisir facilement, elle s’avança en direction de l’intrusion sans un bruit, plus rapidement qu’elle ne s’y attendait, encore surprise par les dons que lui conféraient son statut de Marquée.

Elle aurait pu neutraliser l’intrus d’un coup, sans qu’il ne s’en rende compte, mais s’il s’agissait d’un assaillant qui voulait nuire aux créatures surnaturelles, elle ne pouvait prendre ce risque. Peut-être possédait-il des bombes, ou pire. La noirceur des lieux, le couloir pas du tout éclairé, l’empêchait de réellement voir à qui elle avait à faire, et de reconnaître la personne qui se trouvait là. Avec un peu de chance, si c’était un humain, allumer subitement la lumière pourrait l’aveugler. Sans plus hésiter, elle actionna l’interrupteur, baignant la pièce de la lueur jaunâtre, révélant définitivement sa position alors qu’elle s’adressait à l’intrus. « Vous n’avez aucun droit d’être ici ! Partez ou je tire ! C’est une propriété privée. » Pendant la rénovation, du moins, le théâtre n’étant pas ouvert au public.

Plissant les lieux, elle finit par reconnaître la silhouette, et le visage sur cette dernière. « Oh non ! Je suis désolée ! Tout va bien ? Je ne te ferai rien, je… Je pensais que c’était une des personnes qui avait dégradé le théâtre. » Elle esquissa une grimace confuse avant de lui sourire d’un air qu’elle voulait avenant. « Je suis désolée, vraiment. Mais tu aurais dû me contacter. » Plutôt que de s’introduire comme un voleur dans un lieu où il pouvait, par ailleurs, sérieusement se blesser.

« Mais ce n’est pas grave. Tu as pu tout récupérer ? Je… J’ai déplacé du matériel dans une réserve, pour ne pas qu’il traine ici. » Elle était même étonnée qu’il en reste ici, mais elle était préoccupée, il n’était pas impossible qu’elle en ait oublié. « Je peux t’y amener, mais… enfin, tout est dégradé. » Elle avait presque honte de ça, comme si elle en était responsable. « Fais attention où tu mets les pieds. » Elle n’avait pas vraiment attendu qu’il acquiesce, mais il n’avait pas vraiment le choix, de toute façon, s’il lui manquait quelque chose. Elle ne saurait pas forcément reconnaître que c’était à lui.[/color] »

Tournant légèrement la tête derrière elle, elle reprit la parole. « Tu vas bien ? Avec… avec tout ce qu’il se passe ? » Elias était assez discret, et peut-être n’était-il pas du tout touché par les malheurs qui frappaient Shreveport, mais difficile de ne pas poser la question.

Il était dans le coin ? C’était… surprenant. Tout était fermé, personne devait trop venir, à part les gens pour rénover. Fronçant les sourcils, elle marqua un instant d’hésitation face à Elias. Est-ce qu’il avait des soucis ? Est-ce que… Est-ce qu’il se disait qu’il pouvait squatter ici, sans que personne le trouve ? « Dis-moi… T’as besoin d’un endroit où crécher ? C’est pour ça que t’étais ici, t’as pas d’appart ? Je peux… Enfin, je peux te laisser mon appart, si tu veux. » C’était peut-être stupide et impulsif, mais elle pourrait bien aller au motel, ou demander à Myrtle, ou… Enfin, elle se débrouillerait. Elle avait l’habitude des galères. Au pire, elle, elle pourrait dormir au Capri, ça serait moins surprenant de la trouver là.

Elle n’imaginait pas un seul instant qu’elle se trompait sur la raison pour laquelle il venait sans prévenir, rodait dans le noir, et se comportait de manière franchement suspecte. S’il était tombé sur quelqu’un d’autre… peut-être que son interlocuteur n’aurait pas été si clément. Mais elle voyait le bien partout, et elle était aussi incroyablement généreuse, à sa façon, envers les gens qu’elle connaissait. Ce n’était pas un ami, évidemment, mais elle lui faisait confiance – peut-être à tort, elle le connaissait peu, comme la plupart des artistes qui s’étaient joints à son projet, au final.

« Tant mieux… Vu que tout le monde a l’air de prendre… » Même un humain comme lui, comme elle presque, à ceci près que Myrtle l’avait marquée, pouvait être la cible d’un mécontent ou d’un autre. Mais peut-être que c’était ça, en fin de compte ? Il avait peut-être vu son appartement vandalisé et se retrouvait à la rue. « Je pense pas qu’ils voulaient quelque chose en particulier, juste que c’était des connards. » Elle jurait pas souvent, mais elle était vraiment révoltée par ce qu’ils avaient fait subir aux théâtres et aux gens qui y travaillaient. S’ils avaient un problème avec elle… C’est à elle qu’ils auraient dû s’en prendre. « C’est des minables intolérants qui assument pas leur opinion. Si je les avais eus en face… » Quoi ? Difficile d’imaginer la frêle jeune femme faire quoi que ce soit. Mais elle était plus forte, maintenant, grâce à Myrtle. Et elle avait son flingue. Elle aurait pas hésité. C’était une intrusion, elle aurait été en cas de légitime défense.

Jane laissa un petit sourire incertain fleurir sur ses lèvres, alors qu’il lui assurait avoir d’autres endroits où dormir. « Tant mieux, je suis rassurée. » Ses paroles pouvaient, devaient sûrement, sembler incongrues, mais elle les pensait réellement. Elle avait beau le connaître peu, elle aurait été contrariée à l’idée de le savoir à la rue : parce qu’elle était généreuse et soucieuse d’autrui, a fortiori quand la personne n’était pas une totale inconnue. Pas que ça lui aurait posé problème de lui prêter son appart, même si elle l’avait proposé impulsivement, mais s’il avait un chez-lui où il se sentait à l’aise, c’était tout de même beaucoup mieux.

Elle releva subitement la tête, alors qu’il lui annonçait de but en blanc qu’elle serait morte, serrant malgré elle les poings. « Je suis plus forte que tu ne le crois. Plus fort que le premier bigot qui croirait pouvoir s’en prendre à moi. » Ce n’était pas vrai, pas tout à fait en tout cas, mais tout dans sa posture, sa voix, son affirmation invitait Elias à essayer de la défier, de contredire ce qu’elle venait de lui dire. Bien sûr, comme elle dissimulait les marques de crocs qui parsemaient son corps et ne partiraient peut-être jamais, qu’elle ne criait pas sur tous les toits être une Marquée, il ne pouvait rien en savoir. Il ne pouvait pas savoir non plus qu’elle n’hésiterait pas à tirer, pour ne plus jamais se retrouver aussi impuissante que face à Aodh. C’était normal qu’il sous-estime la jeune femme chétive qui lui faisait face, mais elle ne voulait plus être une proie, plus être une brebis inoffensive. Plus jamais.

« Si le Capri devenait une zone de feu, ça ne sera pas de mon fait. Mais je ne les laisserai pas faire. » Qu’il la prenne pour une idiote, une idéaliste, un parangon de la justice totalement hors de la réalité, elle s’en fichait. Elle croyait dur comme fer à ce qu’elle disait, et ce ne serait pas le premier à la juger.