ADMIN ۰ Se faire péter la vitrine : bien plus qu'un métier, une passion. Featuring : Dramaking
⛤ SMALLTOWN BOY ⛤
"This is not the right way."
En un mot : Sorcier venimeux ondulé de la toiture. Gosse du bayou.
Qui es-tu ? :
"Let it spread like a disease."
⛤ Maître des arcanes, sorcier à l'essence écarlate. 37 ans de vice (et râles) et de chair corrompue. Manipulateur d'hormones, télépathe patenté.
⛤ Second, bras droit de Circé van derr Ven dans la secte de l'Irae. S'y démarque pour sa loyauté ciselée par les griffes de Morgan Leroy (missing). Mais les failles perlent.
⛤ Incube de Louisiane ; fils de ces terres marécageuses, du bayou poisseux et des routes cahoteuses. Né à Bâton-Rouge, n'a connu que Shreveport et les frontières de son État.
⛤ Né seul homme dans la famille des sorcières irlandaises Mulligan. Privé de père (tué) par la harpie noire : élevé par Sylia Mulligan, descendant du Rouge de sa grand-mère Julianna.
⛤ Cauchemar des femmes ; nourrit sa magie (Rougeoyante) des hormones sexuelles de ses partenaires, ainsi que des émotions primaires.
⛤ Traître à ses passions, criminel et meurtrier de Johanna Andros (missing). Pourfendeur d'amitiés, éternel débiteur, clébard soumis à ses attaches.
⛤ Ne vit que pour les Mardi-Gras de New Orleans ; caresse le rêve de s'y installer un jour dans son propre "shotgun", malgré le fantôme de Katrina.
⛤ Mystique, déchiré entre deux hommes : partagé entre le sorcier et l'humain, entre la sagesse et une ire destructrice. Le latin s'efface sans mal sous l'accent du Sud, coriace sous sa langue.
⛤ Commerçant du Downtown (Crawling life), antre de ses serpents vénérés, lézards et autres reptiles, dont il cède les corps, les soins et les cages de verre.
⛤ Pratique à l'arrière de sa boutique, dans un laboratoire farouchement défendu et protégé par les runes. Recèle secrets et savoirs, expérimentations douteuses et dangereuses.
⛤ Mauvais mentor. L'une de ses apprenties en a subi les conséquences. Guide de Morgane Wuntherson et d'Halina Meyer. Meilleur ami indigne de Vinzent Henkermann et cousin de Shannon Mulligan.
⛤ Pacte tissé avec Scox : Prince démon s'étant dissimulé derrière les brumes de Baal. Immortalité odieusement acquise, âme vouée à obéir et marcher aux côtés des Antiques. 38 ans d'âge réel ; 36 ans d'apparence.
⛤ ENAE VOLARE MEZZO ⛤
"I put a spell on you."
Facultés : ⛤ La Rougeoyante s'infiltre dans les corps et y bouleverse les hormones ; flèche apollonide : distille poison, fléau, mort, mais aussi fièvre rouge saphique. Chaos total.
⛤ Télépathe raisonnable : ne s'infiltre de préférence que dans les esprits des humains misérables. Capable de communiquer en pensée avec quiconque lui ouvre les grilles de son esprit. Savant fou ; capable désormais de connecter sa psyché aux êtres muets, cobras et crotales comme cobayes, corbeaux et autres créatures rampantes.
⛤ Herboriste né, sa maîtrise des potions n'a d'égale que celle de son mentor maternel. Capable d'élaborer des philtres complexes ; créateur infatigable de breuvages en tous genres.
⛤ La Rougeoyante se défend et protège son hôte plus férocement qu'elle n'attaque : limitée par la nécessité d'un contact physique. Sorcier doué au corps-à-corps, secondé par son aisance au maniement d'athamés et autres lames rituelles.
⛤ Chercheur d'artefacts, quémandé des Longue-Vies : détisseur de leurs malédictions et autres mauvais sorts.
Thème : The Way ⛤ Zack Hemsey.
⛤ VENGEANCE ⛤
"Before I die alone."
Pseudo : Nero
Célébrité : Ian Somerhalder.
Double compte : Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque, Ian C. Calloway & Gautièr Montignac.
Des cartons qui s’entrechoquent, du papier d’Arménie consumé, une vague odeur de tabac décelée. C’était ce qui planait alors dans la boutique d’Arkady Jacobs. La climatisation bienvenue procréait à une atmosphère agréable, presque trop fraîche. Les murs étaient sombres, leur écorce si foncée qu’il se demandait comment le maître des lieux parvenait à s’y retrouver. Les parois de son propre commerce n’étaient pas plus claires, mais les veilleuses et lampes diverses des terrariums avaient au moins pour avantage de conférer une luminosité perceptible, se contentant de tamiser l’ambiance à l’intérieur. Ici, il régnait un sens de la confidentialité assez intimidant, qui allait de pair avec l’arcaniste irascible. Vêtu de noir, ce dernier reparut, muni d’une boîte qui n’était pas scellée. Une fois de plus, Eoghan songea que le visage d’Arkady avait ce il ne savait quoi d’inquiétant. La cicatrice courant de ses narines à sa lèvre supérieure (il aurait donné cher pour savoir dans quelles circonstances elle était apparue), le regard particulièrement torve, habile à rendre mal à l’aise, mais aussi la démarche étrangement souple et vive accouplée aux sourires sans joie, sans vie… tout cela avait contribué à forger la légende du maître d’œuvre. Ils ne se connaissaient pas intimement, mais il savait qu’il disposait d’une place particulièrement confortable, dans la guilde commerciale. Il garda le silence, et se rapprocha du comptoir pour observer le mercenaire ouvrir la longue boîte d’ébène. Apparurent deux lames, d’une longueur plus que respectable, dont les finitions lui coupèrent le souffle à peine furent-elles dévoilées. Il n’eut pas le cœur à jouer les impassibles, et ses yeux n’en brillèrent que davantage. Intuitif, Jacobs devança tout compliment : « Ouais. Je sais. »
Comme s’il maniait du cristal, les mains d’artisan s’emparèrent de l’une d’elles, qu’il déposa au creux de ses paumes, les tendant comme en offrande au manieur d’athamé. « Comme tu me l’as demandé. Argent. Pommeau et lame. Trente centimètres, dont treize de manche. Ils ressemblent aux derniers que tu m’avais pris, il y a deux ans à peu près. Je les ai fait travailler un peu plus. » Eoghan s’empara à son tour de l’arme, la rapprochant encore, décryptant chaque centimètre luisant avec la plus grande attention. Le tranchant de la lame l’intéressait par-dessus tout. Les gravures creusaient le métal. Et il savait pourquoi. Il sourit, admiratif. « Pour… ? » « Oui. » Un frisson le secoua. « Nettoie-les bien chaque fois après usage. Comme d’habitude. » De la pulpe de son pouce, il pressa la pointe pour en évaluer la finesse, et il n’eut pas à presser trop avant pour comprendre qu’elle était redoutable, à l’égal du reste. « C’est parfait. » Visiblement satisfait, Arkady lui reprit l’objet, l’allongea dans son fourreau de velours aux côtés de son jumeau et referma le coffre de bois, dont les attaches claquèrent significativement. Les semelles de Mina se firent entendre depuis l’arrière-boutique, et le visage de l’employée apparut. Elle croisa le regard du Second de l’Irae et le salua brièvement, gênée à l’idée de les interrompre. Il fit de même, d’un hochement de tête. « J’y vais. » Eoghan la suivit longuement du regard. Il ne connaissait la Belinski que de réputation. Après tout, elle s’était fait un nom, dans le milieu. Elle suscitait l’admiration de nombreux chasseurs d’artefacts. Si Yago avait été au fait de son existence, il lui aurait accordé une attention plus grande que si elle s’était simplement présentée en tant que potentielle « Elle acariâtre ».
Un claquement de doigt sonore éclata sous son nez, le rappelant à son vis-à-vis. Ce dernier, la mine un peu plus fermée, le désigna d’un hochement de tête un peu plus agressif que nécessaire. La bête s’était réveillée, songea le sorcier. La jalousie. « Comment va ce connard de Crowe ? Ça marche toujours bien, son affaire ? » Dans un soupir las, il sortit en guise de réponse son paquet de clopes, en coinça une au coin de ses lèvres et fit rouler la seconde sur le zinc, du côté du vendeur. « Comme si ça t’intéressait vraiment. » Acceptant le présent, c’est Arkady qui leur offrit le feu tandis que son client balançait les dollars demandés à leur tour, et tous deux consumèrent leur mégot en même temps. « Non, t’as raison. J’m’en branle. Par contre… » Il s’accouda devant lui, en une posture puant le sarcasme, la provoc’ et l’intelligence. « Comment ça s’passe, par chez vous, hum ? Vous vous êtes remis d’aplomb d’puis tout ce temps… ? J’t’ai pas beaucoup vu depuis… l’incident. » Alerté mais encore calme, les iris arctiques affrontèrent ce faciès de serpent, comme pour le défier de ne pas pousser trop loin. « Et ? » « T’as rien à me dire… ? » Un ricanement lui échappa, et il tira longuement sur le filtre de sa Pall Mall. « On n’est pas si proches, Jacobs. » « Les dieux m’en gardent. » Peu désireux de prolonger l’échange, il lui sourit sans joie et s’empara du sachet dans lequel la boîte avait été glissée. Vive, la main de son interlocuteur saisit la sienne brusquement, l’interrompant dans son mouvement. « Pourquoi t’es pas venu, après ? Pourquoi tu t’es même pas demandé c’qu’il avait bien pu m’arriver ? On s’connaît depuis un bail, non ? Pas si proches, mais tout de même… entre « collègues »… j’ai été surpris. Déçu, même. » Il ne chercha pas à lui échapper. Arkady n’attendait que ça. Sobrement, il se contenta de hausser les épaules : « J’ai été occupé, disons ? T’es pas l’seul à avoir morflé d’cette histoire. » Un rire mauvais. « Tu m’prends vraiment pour un abruti en fait, c’est dingue… » « Tu veux quoi ? » « Vous savez qu’à force de jouer au plus con, ça va mal s’finir… T’es au courant d’ça ? » « Si Seth veut m’voir, tu sais où m’trouver. Maintenant si tu permets… » Il força et s’arracha à la pression, récupérant le fruit de son achat et se reculant, sans pour autant vouloir paraître plus suspect encore. « Ouh… On a rendez-vous ? » « J’te signale que c’est chez « vous » qu’je file. Au JB. J’vous ramène un client. » « T’as raison d’en profiter… tant qu’tu l’peux encore. » Il fit mine de ne pas comprendre ce qu’impliquait la menace, s’ingéniant à croire au bluff, art dans lequel Arkady était passé maître. « Ouais, et dis à Hay-Lin que si elle s’repointe à l’improviste chez moi ça va pas bien s’passer. » « Excuse-moi, je crois que tu m’as confondu avec quelqu’un qui en avait quelque chose à foutre. » Un dos tourné et un majeur en l’air plus tard, il retrouva un soleil radieux et une chaleur écrasante, recraché sur le trottoir du Downtown.
•••
La foule, partout. Il n’était pas encore midi, heure de pointe dans n’importe quel aéroport du pays, notamment pour la population humaine ou du moins, capable de voyager sans avoir à se poser des questions sur l'impact de la course solaire. C’était la première fois pour lui qu’il foulait le sol du Shreveport Regional Airport. Serguey lui avait donné rendez-vous en un endroit précis, et il regrettait soudain de ne pas avoir insisté pour l’attendre dehors, sur le parking. Impressionné par les pas pressés des voyageurs en retard, par la placidité et le calme extrêmes de ceux qui, à l’inverse, se prélassaient au creux de fauteuils plus ou moins confortables, par les gamins hurlant et courant partout, par le roulement permanent des valises aux roulettes parfois abîmées, aux couleurs diverses, par les annonces proférées par des haut-parleurs disposés absolument dans tous les coins, par ce formidable chaos organisé. Il était des lieux qui le voyaient se sentir étranger. Même dans sa propre ville. Celui-ci en était un exemple sublime. Il tâchait de dissimuler son appréhension et son manque d’habitude en se concentrant sur les panneaux, sur les plans à sa portée. Il lui était particulièrement étrange de rencontrer l’Estonien à cette heure-ci. Chaque fois qu’ils s’étaient croisés depuis leur rencontre, cela n’avait été que pour des beuveries de courtes durées, tard le soir, des heures passées à tuer le temps autour d’une bière. Pas de conversations sérieuses, jamais. Les deux hommes parlaient de la vie, du boulot, des nanas, de la pluie et du beau temps. Avec Serguey, il savait qu’il n’avait jamais besoin de justifier la consommation d’une pinte de plus. En particulier lorsqu’elle n’était pas nécessaire. Le verre de trop. Il lui avait laissé du temps, en échange. Un temps infini pour se planquer derrière ses secrets, derrière l’armure épaisse dans laquelle s’était muré le géant lui ayant sauvé la vie. De son côté, il n’avait pas été particulièrement prolixe non plus. Au moins, ils s’étaient trouvés sur un même pied d’égalité. À présent, cela ne lui suffisait plus. Alors, quand il avait proposé à Diatlov de se familiariser avec le monde arcaniste de sa cité d’adoption, il avait été plus que surpris de le voir accepter. Sa patience avait sûrement enfin payé. Enfin, il pourrait creuser un peu plus loin, et surtout comprendre ce qui faisait de cet arcaniste nécromant un homme brisé, amputé, détruit car une partie de son Essence lui demeurait inaccessible. Inaccessible, et non pas disparue. Eoghan refusait d’accepter cette fatalité. S’il y avait blocage, alors ils le désamorceraient. Il ignorait comment, ni quand, mais il se savait redevenu fort. Puissant. S’il pouvait se mettre aux services de ses pairs, de ses frères et semblables au-delà de toute considération clanique, alors son énergie serait un don bienvenu fait à celui qu’il espérait, un jour, pouvoir nommer « ami ». La sympathie qu’il éprouvait à l’endroit de Serguey était cependant largement installée pour qu’il ne doute pas que ce moment, lui aussi, viendrait un jour. Il lui promettait des découvertes nécessaires, des conversations primordiales, et il espérait que son compagnon accepterait enfin, un peu, de baisser la garde. Impatient comme un môme, il s’arrêta au point de rendez-vous fixé par le chef de la sécurité aéroportuaire – un poste dont le seul intitulé avait de quoi en mettre plein la vue à un type comme lui. Il envoya un message au colosse pour le prévenir de son arrivée, puis entreprit de dévisager les visiteurs, se demandant pour chacun leur provenance, leur destination, se retenant de se lancer à l’assaut de leurs esprits, disponibles et accessibles aussi aisément que des livres ouverts devant lui. Il ne se sentait pas ici comme chez lui non, mais il découvrait avec un plaisir étonnant un autre point chaud de vie, d’activité fourmillante, grouillant d’émotions et d’ondes qu’un sorcier rouge comme lui ne pouvait délibérément pas ignorer. Sensible.
Il faisait chaud, ce matin-là. Le soleil atteignait péniblement son apogée, et les larges baies vitrées de l'aéroport de Shreveport recrachaient la lumière sur la foule agglomérée et sans cesse mouvante. Sous cette fournaise, les directions se précisent, parfois s'emmêlent, les silhouettes se regroupent ou se bousculent. La vie foisonne dans le hall, stagne aux terminaux, reprend lorsque l'embarquement est annoncé. A la croisée des chemins, il règne en maître sans le savoir. Étonnamment humble parmi cet environnement foisonnant, Serguey Diatlov dirige, réprimande, anticipe. Son poste mobilise toutes ses compétences cognitives, et il est heureux de pouvoir utiliser à bon escient son esprit analytique, mis au service de ce qu'il estime être la bonne cause. Après l'armée, travailler dans la sécurité d'un aéroport se révèle un travail stimulant, une suite logique, où chaque jour devient le terrain d'une potentielle nouvelle catastrophe à prévenir et éviter. Depuis les attentats, le territoire américain s'était gonflé d'une paranoïa compréhensible, et la Révélation n'avait fait qu'amplifier cette émulsion. Races et nationalités se croisent et empiètent les unes sur les autres, dans toute cette cohue orchestrée qu'il se doit d'encadrer, afin d'empêcher tout débordement. Une œuvre colossale à laquelle il participe de bon gré chaque jour, chaque nuit, sans cesse émerveillé par le renouveau d'une mission qui le mobilise et le satisfait au plus haut point.
Il n'est toutefois pas mécontent de retirer son badge et de s'humidifier le visage à la fin de son service, heureux de quitter l'aéroport pour mieux le retrouver le lendemain. S'il aime son emploi, la vraie vie ne réside toutefois pas là et, pour lui comme pour tout hédoniste, les véritables expériences ne surviennent qu'une fois l'uniforme raccroché. Après s'être rafraîchi, il abandonne les vestiaires et les bureaux de l'équipe régissant la sécurité de l'aéroport, la mise impeccable, chemise blanche immaculée glissée avec soin sous un jean noir, ceinture parfaitement alignée, coiffure retravaillée. Il ne lésine pas sur l'apparence, fier de retrouver son compagnon de biture en des circonstances cette fois différentes. C'est sous le tableau d'annonce des arrivées qu'il avait décidé de le retrouver, et repère facilement sa silhouette de dos, ce qui le fait décocher un sourire ravi. Avec une tendresse bienveillante, il imagine sans mal Eoghan palper magiquement ce nouvel environnement, s'emplir des émotions et des vécus qui le traversent probablement en cet instant, et s'en nourrir passivement, comme il l'aurait fait lui-même, s'il en était encore capable. C'est donc sans nostalgie qu'il lui adresse un aimable salut, d'arcaniste à arcaniste, positionné à trente centimètres derrière lui. « Tu as sorti les antennes ? » Il sourit amicalement au visage d'Eoghan Underwood lorsque ce dernier pivote pour lui faire face, et l'épaule aussitôt, subjugué par l'émotion de le retrouver et de vivre en sa compagnie cette nouvelle expérience. S'ouvrir à lui, peut-être. Découvrir les secrets de Shreveport, dont il s'était pour l'heure respectueusement tenu éloigné. Par honte, probablement, longtemps trop fier pour admettre qu'il avait besoin d'aide et que ce n'est pas seul qu'il dénicherait la solution à son problème.
Patient, il lui accorde quelques instants pour profiter du bain de foule et du crépitement d'émotions, sans l'envier inutilement, au contraire heureux de le savoir revigoré en ces lieux de synergie, plateforme tournante de la ville, énième petit centre de l'univers. La contemplation sensorielle d'Eoghan lui permet de faire le vide, aussi impatient que gorgé d'appréhension à l'idée de ce qui s'ensuivra, même si la curiosité de l'expérience imminente prendra toujours le dessus sur la moindre crainte et sur tout orgueil mal placé. Ce n'est que lorsqu'il estime son compère rassasié qu'il lui enjoint de lui emboîter le pas, et le guide d'une démarche aussi sereine qu'assurée à travers le hall, adressant de temps à autre un signe de tête respectueux à ceux qui le reconnaissent comme un chef magnanime, à l'autorité légitime et au sang-froid remarquable.
Il bute contre l'air extérieur, dont il croyait naïvement que la première bouffée le rafraîchirait comme l'eau sur le visage de l'homme après le labeur. Il n'en est rien. L'atmosphère est encore plus étouffante sur le parking qu'entre les murs de l'aéroport, où les allées et venues incessantes confèrent au moins l'illusion du brassage et du renouvellement de l'air. Il inspire malgré tout à pleins poumons, et l'organe atrophié siffle légèrement lorsqu'il s'emplit d'oxygène pollué ; il achève le rituel en écartant les bras pour s'étirer de toute son envergure, puis cherche des yeux le pick-up bleu électrique du sorcier natif de Louisiane. « Alors, où elle est, ta citrouille tout-terrain ? » Plutôt familier des modèles sportifs et élancés, il avait chambré Eoghan dès lors qu'il avait aperçu sa voiture pour la première fois, et ne cessait depuis de le taquiner à son propos. Tandis qu'ils se promènent à travers les rangées de véhicules, l'Estonien s'exclame finalement en apercevant leur moyen de locomotion : « Ah, v'là la bouseuse ! C'est bien la première fois que j'm'installerai sur le siège passager avec toi. T'as intérêt à assurer. » C'est que d'ordinaire, c'est plutôt lui qui dépose le sorcier après avoir refait le monde au bar, avant de regagner ses pénates à l'extérieur de l'agglomération, une route qu'il ne pouvait exécuter qu'en voiture (ou en taxi, lorsqu'ils abusaient tous deux un peu trop de la boisson).
Le ton gentiment moqueur masque sa pudeur encore voilée à l'idée de franchir un nouveau degré de proximité avec le sorcier rouge, un moment qu'il espérait comme redoutait vivement. Aujourd'hui sonnerait peut-être le début du renouveau auquel il avait tant aspiré, en décidant d'accompagner Aliénor jusqu'à Shreveport, le vivier post-Révélation des CESS. Les pistes pour la reconquête de ses propres terres intérieures se révélaient bien décevantes jusqu'à présent, mais il avait bon espoir qu'un homme comme Eoghan, natif de la région, avec un large réseau et de solides connaissances en la matière, serait une première étape pour se familiariser avec le monde des arcanes de Shreveport. Et il espérait bien s'en approcher davantage, en ce jour bien plus qu'en ces nombreux mois passés ici, à vainement écumer les possibilités sans oser pourtant se noyer pleinement dans l'une d'entre elles. Il songe à Honor et à son pouvoir aux contours encore flous, à leurs échanges autour de cette magie qu'elle n'assumait pas vraiment, face à celui privé de ce qu'elle redoutait tant. Leur rencontre et leur relation si particulière tenait presque de l'ironie, tant leur situation respective tanguait sous cette ambivalence, entre nature inaltérable et danger aliénant. Et malgré tous ces handicaps, il espérait encore l'aider.
Confortablement installé aux côtés d'Eoghan, il s'octroie la liberté de reculer le siège passager au maximum, afin d'offrir à ses jambes l'espace suffisant à la détente. « Alors Choupette, tu m'emmènes où, sous ce cagnard ? Un endroit frais j'espère, j'suis plus habitué aux rudes hivers qu'à cette chaleur étouffante. Première fois qu'on va pas se bourrer la gueule entre couilles, alors faudrait pas me décevoir. Et t'as intérêt à conduire correctement. J't'ai à l’œil, et j'suis un juge implacable là-dessus. » Une tape amicale sur le genou du sorcier, le clic caractéristique de la ceinture de sécurité enclenchée, un discret coup d’œil dans le rétroviseur pour vérifier le mouvement capillaire, et le voilà paré à une journée qu'il imagine riche en rebondissements et en révélations. Impatient, il guette le démarrage, le sourire léger et l'iris déjà éveillé aux nouveautés qui s'offriront bientôt à lui. « T'sais, j'suis content de passer la journée avec toi. J'veux dire, autrement que d'habitude. Ca m'fait plaisir que tu me l'aies proposé et… j'crois qu'il était temps, pas vrai ? » Ce sera peut-être douloureux, ça bousculera peut-être certaines de mes croyances, mais je suis prêt.
(c) AMIANTE
Eoghan Underwood
ADMIN ۰ Se faire péter la vitrine : bien plus qu'un métier, une passion. Featuring : Dramaking
⛤ SMALLTOWN BOY ⛤
"This is not the right way."
En un mot : Sorcier venimeux ondulé de la toiture. Gosse du bayou.
Qui es-tu ? :
"Let it spread like a disease."
⛤ Maître des arcanes, sorcier à l'essence écarlate. 37 ans de vice (et râles) et de chair corrompue. Manipulateur d'hormones, télépathe patenté.
⛤ Second, bras droit de Circé van derr Ven dans la secte de l'Irae. S'y démarque pour sa loyauté ciselée par les griffes de Morgan Leroy (missing). Mais les failles perlent.
⛤ Incube de Louisiane ; fils de ces terres marécageuses, du bayou poisseux et des routes cahoteuses. Né à Bâton-Rouge, n'a connu que Shreveport et les frontières de son État.
⛤ Né seul homme dans la famille des sorcières irlandaises Mulligan. Privé de père (tué) par la harpie noire : élevé par Sylia Mulligan, descendant du Rouge de sa grand-mère Julianna.
⛤ Cauchemar des femmes ; nourrit sa magie (Rougeoyante) des hormones sexuelles de ses partenaires, ainsi que des émotions primaires.
⛤ Traître à ses passions, criminel et meurtrier de Johanna Andros (missing). Pourfendeur d'amitiés, éternel débiteur, clébard soumis à ses attaches.
⛤ Ne vit que pour les Mardi-Gras de New Orleans ; caresse le rêve de s'y installer un jour dans son propre "shotgun", malgré le fantôme de Katrina.
⛤ Mystique, déchiré entre deux hommes : partagé entre le sorcier et l'humain, entre la sagesse et une ire destructrice. Le latin s'efface sans mal sous l'accent du Sud, coriace sous sa langue.
⛤ Commerçant du Downtown (Crawling life), antre de ses serpents vénérés, lézards et autres reptiles, dont il cède les corps, les soins et les cages de verre.
⛤ Pratique à l'arrière de sa boutique, dans un laboratoire farouchement défendu et protégé par les runes. Recèle secrets et savoirs, expérimentations douteuses et dangereuses.
⛤ Mauvais mentor. L'une de ses apprenties en a subi les conséquences. Guide de Morgane Wuntherson et d'Halina Meyer. Meilleur ami indigne de Vinzent Henkermann et cousin de Shannon Mulligan.
⛤ Pacte tissé avec Scox : Prince démon s'étant dissimulé derrière les brumes de Baal. Immortalité odieusement acquise, âme vouée à obéir et marcher aux côtés des Antiques. 38 ans d'âge réel ; 36 ans d'apparence.
⛤ ENAE VOLARE MEZZO ⛤
"I put a spell on you."
Facultés : ⛤ La Rougeoyante s'infiltre dans les corps et y bouleverse les hormones ; flèche apollonide : distille poison, fléau, mort, mais aussi fièvre rouge saphique. Chaos total.
⛤ Télépathe raisonnable : ne s'infiltre de préférence que dans les esprits des humains misérables. Capable de communiquer en pensée avec quiconque lui ouvre les grilles de son esprit. Savant fou ; capable désormais de connecter sa psyché aux êtres muets, cobras et crotales comme cobayes, corbeaux et autres créatures rampantes.
⛤ Herboriste né, sa maîtrise des potions n'a d'égale que celle de son mentor maternel. Capable d'élaborer des philtres complexes ; créateur infatigable de breuvages en tous genres.
⛤ La Rougeoyante se défend et protège son hôte plus férocement qu'elle n'attaque : limitée par la nécessité d'un contact physique. Sorcier doué au corps-à-corps, secondé par son aisance au maniement d'athamés et autres lames rituelles.
⛤ Chercheur d'artefacts, quémandé des Longue-Vies : détisseur de leurs malédictions et autres mauvais sorts.
Thème : The Way ⛤ Zack Hemsey.
⛤ VENGEANCE ⛤
"Before I die alone."
Pseudo : Nero
Célébrité : Ian Somerhalder.
Double compte : Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque, Ian C. Calloway & Gautièr Montignac.
Le sorcier sursauta, brutalement arraché à sa transe. La vision rendue floue par l’absorption des émotions extraordinairement condensées, superposées en couches au travers desquelles il n’avait qu’à puiser pour s’emparer de ce shoot délectable, il se retourna un peu trop vite, et dut rétablir son équilibre d’un pas vers l’arrière. Ses paupières papillonnèrent le temps de recouvrer une vision normale, et surtout pour embrasser le tableau du colosse, toujours élégamment vêtu, malgré sa dégaine de brute à peine apprivoisée. Il lui sourit un peu maladroitement, comme pris sur le fait, et glissa une main de son front aux mèches brunes qu’il repoussa vers l’arrière. Un début de rire stupide et sa paume libre venue s’enfouir dans sa poche arrière complétèrent le portrait de l’arcaniste encore sujet à la transe agréable dans laquelle il s’était plongée. Le poids des phalanges solides sur son épaule lui tira une expression plus complice encore, voyant son comparse aussi content que lui-même de se retrouver en cet endroit insolite, tellement éloigné du secret des arcanes, en apparence.
« Hey, Serguey… On peut rien t’cacher, hein ? » C’était presque intime. Aucun humain n’aurait pu comprendre ce que l’Estonien, lui, avait aussitôt décelé. Son affection pour lui n’en fut que plus renforcée, et il poussa un soupir, se détendant de nouveau en contemplant la foule encore un moment, comme il le lui fut permis. Les bips, les discussions diverses et les annonces aléatoires sorties des haut-parleurs continuèrent de rythmer cette observation encore un moment, avant qu’il n’emboîte le pas au vaudouisant pour quitter les lieux bondés. Il ne fut pas sans remarquer la façon dont on regardait son partenaire de beuverie le plus fidèle, et à plus d’une reprise, il risqua un coup d’œil admiratif en direction du géant. Aujourd’hui, les questions qu’alimentait d’ordinaire Serguey paraissaient plus nombreuses, plus pressantes. Comme si, inconsciemment, il avait compris que cette journée particulière servirait de détonateur, de déclic pour leur permettre de passer à la vitesse supérieure et ainsi de se délester de ce jeu d’apparences – éviter les points sensibles, ne pas trop mentionner la magie, ne pas trop interroger l’autre sur sa vie privée, ses casseroles, etc. C’était maintenant ou jamais. S’ils rataient le coche, s’ils ne s’autorisaient pas enfin à aborder ce qui les taraudait depuis le jour de leur rencontre, alors il avait la sensation qu’ils passeraient à côté l’un de l’autre pour de bon, et qu’ils ne trouveraient plus jamais le cran de franchir le fossé qu’ils avaient creusé par respect l’un pour l’autre. Un fossé devenu artificiel, aux yeux du Louisianais. Son sourire revint à la charge en le voyant s’étirer, tout en souffrant visiblement du mur de chaleur et d’humidité qu’offrait l’extérieur. Eoghan ne fit pas de commentaire désobligeant. Il connaissait la souffrance des touristes et étrangers relative au climat. Pour sa part, il s’y était habitué depuis si longtemps qu’il lui arrivait fréquemment d’oublier le poids de la chaleur pesant sur la poitrine, les poumons, l’ensemble de l’appareil respiratoire au supplice. Déraciné, arraché à cette météo capricieuse et exigeante, il se serait lui-même définitivement senti perdu.
Les moqueries sempiternelles de Serguey lui firent lever les yeux au ciel, tandis qu’il le guida vers son véhicule, rutilant sous la lumière pénétrante d’un cagnard retors. Il fit comme d’habitude mine de ne pas être interpellé le moins du monde par les piques qu’il ne comptait plus, provenant de son ami, et s’installa derrière le volant sans commentaires, jusqu’à voir son genou tapoté par la paluche conséquente de l’arcaniste. Sa main s’empara de la sienne, l’écartant délibérément de l’articulation. « Premièrement… Le respect c’est comme la clim, Diatlov. Dans ma bagnole c’est pas une option mais un fondamental donc tu vas tout de suite te calmer. Deuxièmement, y’a pas de choupette, et y’a pas de citrouille tout terrain. Tu redescends tout de suite si tu veux pas te prendre un shoot là où il faut pas ou que j’m’amuse à lire dans ta tête des trucs qu’t’as pas envie que je sache. » Il dut se retenir de rire, feignant un sérieux et une menace dont ni l’un, ni l’autre, ne se seraient convaincu. « Et troisièmement, j’conduis très bien. Jamais eu un seul accident de ma vie, alors l’inspecteur des travaux finis, tu le ranges avec ton costard de responsable de la sécurité. »
Il démarra le moteur et, rapidement, entreprit de les faire sortir du parking de l’aéroport pour revenir vers le centre-ville. Tout en manoeuvrant le pick-up, il plaça l’air de rien : « Quant au fait de se bourrer la gueule entre couilles comme tu dis, hé, y’a rien qui empêche ce soir en rentrant de se pignoler la gueule bien comme il faut, hein. Puis qui sait, t’en auras peut-être bien besoin, à la fin. Et moi aussi. » Il profita de la circulation relativement clémente pour ne pas perdre de temps et rouler bon train, heureux de savoir l’Estonien à ses côtés pour plusieurs heures de liberté. « J’ai vu comment on te regardait, à l’aéroport. Tes collègues, j’veux dire. Pas les nanas, hein. Parce que ça, bon, on a l’habitude. C’est dingue… ça s’voit qu’ils te respectent. Et j’suis sûr que c’est pas qu’une question d’apparence physique, j’me trompe ? » Il ne lui jeta qu’un bref coup d’œil, peu désireux d’abandonner la route de son champ de vision. « C’est marrant. Quand on traîne dans les bars, jamais on pourrait t’imaginer comme ça. Aussi à l’aise dans un poste à responsabilités super sensible. Tu caches bien ton jeu, n’empêche. » Était-ce un trait caractéristique des arcanistes ? À force d’apprendre à dissimuler leur vraie nature, parvenaient-ils tous comme eux deux à planquer et compartimenter si facilement divers aspects de leur vie ? Sous les roues solides, les claquements provoqués par la vitesse sur les irrégularités de l’asphalte dopaient son moral, sa bonne humeur, le tout conjugué au parfum désormais familier de son vis-à-vis, et de ce qui se dégageait de sa seule présence. Exactement comme ce qu’il ressentait chaque fois qu’il se sentait touché, épaulé, effleuré par lui : un sentiment rassurant, évident.
« Mais ouais… Moi aussi j’suis content de passer la journée avec toi. J’m’attendais à ce que tu m’envoies chier, pour être honnête. Et c’est cool que t’aies dit oui. J’espère que tu regretteras pas, surtout. » Il n’avait pour ainsi dire qu’une idée très vague du programme de la journée. Plusieurs hypothèses gravitaient dans son esprit, mais il savait qu’il s’adapterait principalement aux désidératas de Serguey, peu désireux de le contraindre à quoi que ce soit. « J’aurais bien voulu qu’on passe d’abord par le Juggler’s. On aura le temps de parler, en chemin. J’sais pas à quel point t’as pris conscience du merdier que c’était peu à peu devenu, à Shreveport. Y’a longtemps, on était plutôt peinards à ce niveau-là, mais la Révélation a tout bouleversé et accéléré. » Il inclina la tête, légèrement. « J’parle des tensions entre clans, bien sûr. De c'qui s'passe ici, grosso merdo. » Le véhicule amorça la longue descente depuis le pont de la voie rapide les situant en hauteur, pour plonger vers le Downtown, et ainsi gagner le cœur de son centre commercial, culturel et historique. Vivant. « J’voulais quand même te d’mander si… si y’avait des trucs tabous qu’tu préférerais qu’on aborde pas. Je voudrais bien qu’on s’la joue franco, mais bon, j’commence un peu à te connaître, toi et ta manie de claquer la porte dès que tu t’sens un peu trop pressé de questions ou obligé d’évoquer des trucs sensibles, donc autant que tu m’le dises tout de suite si t’as encore des scrupules avec moi, ou si on décide de s’faire confiance jusqu’au bout. »
Il profita d’un feu rouge pour se tourner plus clairement vers lui, cherchant son regard du sien. « Moi j’aimerais bien qu’on s’fasse confiance, en tout cas. »
« Dis donc Underwood, va falloir songer à retirer ce balai de ton derche un d'ces quatre. Et si tu l'fais pas c'est moi qui vais m'y coller, et crois-moi ça va pas te plaire. » Peu sensible à la piète défense du Louisianais face à ses piques habituelles, l'Estonien se contente de se mettre à l'aise et de soupirer de soulagement lorsque la climatisation souffle ses premières bribes de fraîcheur. La main chassée plonge dans sa poche pour en extirper un mouchoir, et à coups de grands gestes, il s'éponge le front non sans quelques soupirs contrariés. Étonnamment, il supportait beaucoup moins la chaleur de Louisiane que celle du désert du Moyen-Orient. Pas la même guerre. Il a toutefois conscience de la stérilité de toute plainte éventuelle et se contente d'apprécier l'air conditionné de l'habitacle, les mains désormais à plat sur ses cuisses légèrement écartées, les yeux rivés sur la route qu'il prend plaisir à redécouvrir comme durant chaque trajet en taxi, lorsqu'il n'est pas obligé de se concentrer sur la circulation pour pouvoir regagner le motel sans encombre. « C'est vrai que tu te débrouilles bien au volant. En même temps, fallait bien que t'aies tout de même quelques compétences. Parce qu'entre les fois où j'dois te sauver les miches dans les cimetières, et celles où j'dois te raccompagner car tu tiens moins bien l'alcool que moi, j'commençais sérieusement à douter de ton utilité. » Fidèle à lui-même, il lui répond d'un ton égal, sans raillerie supplémentaire, estimant que les paroles se suffisaient largement à elles-mêmes.
L'asphalte brûlant se déroule sous le pick-up sans qu'il n'ait à fournir le moindre effort – une situation qu'il n'apprécie qu'en de rares occasions, et uniquement en compagnie de personnes de confiance, lui qui veille à ne pas perdre trop souvent le contrôle d'une existence déjà bien chaotique dans son ensemble. Les compliments admiratifs du sorcier rouge ne lui échappent pas, et il ne peut s'empêcher de rétorquer avec orgueil, la poitrine légèrement bombée, un sourire faussement suffisant accroché aux lèvres. « Évidemment qu'ils me respectent, puisque j'suis le chef. » Une énième réaction défensive spontanée, qui confirme son naturel penchant pour l'humour en toute circonstance. Mais comme s'il semblait se souvenir soudainement de l'enjeu particulier de cette virée en tête à tête, il efface aussitôt cet air narquois de son visage et reprend avec davantage de sérieux. « En vérité, et sans fierté mal placée cette fois, j'crois que j'fais plutôt bien mon boulot. J'suis carré et organisé, et les équipes doivent bien ressentir ma rigueur d'ancien militaire. J'pense que ça les rassure. Et les gars savent qu'ils peuvent compter sur moi si y'a quoi que ce soit qui va pas. Le rythme est soutenu, voire carrément tendu parfois, mais on est soudés et on se fait confiance, alors ça se passe bien dans l'ensemble. » Il réalise que c'est bien la première fois qu'ils parlent de leur vie professionnelle sans se tacler ou sans se dissimuler derrière une anecdote croustillante. Et à la fois, avait-il réellement envie d'entendre des histoires tirées du lieu sordide où travaillait Eoghan Underwood ? Il ne souhaitait toutefois pas passer pour un trouillard aux yeux de celui qui connaissait sa phobie, et le questionne alors à son tour, pétri d'une curiosité sincère à son égard. « Et toi ? Ca t'manque pas d'avoir des collègues ? Car tu bosses tout seul dans ta boutique des horreurs, il m'semble ? Y'a pas de pin-up qui t'époussette le comptoir ou accueille les clients, on est d'accord ? Enfin j'dis pin-up, mais ça pourrait tout autant être un bel éphèbe à la peau halée, c'est peut-être plus ton genre. » Une remarque grivoise, glissée là en toute innocence, et le voilà à nouveau flanqué de son éternel sourire goguenard. Le célèbre adage qui stipulait que l'on châtiait davantage lorsque l'on aimait se vérifiait amplement avec Eoghan Underwood.
Ses prunelles arctiques avalent les paysages urbains qui se présentent à eux, d'immeuble en immeuble. S'il avait toujours apprécié la nature, Serguey Diatlov était indéniablement un citadin, avec un irrépressible besoin de contact humain permanent. Une caractéristique probablement commune aux sorciers rouges, songeait-il tout en glissant un regard vers le conducteur, on ne peut plus concentré sur le trajet qui les mènerait à la boutique de magie précédée par sa réputation. « J'connais le Juggler's. Ils font pas mal d'ombre aux culs-bénits, de ce que j'ai compris. » L'avantage d'avoir tissé des liens avec les sorciers noirs du motel s'illustrait dans les connaissances qu'il avait amassées quant au panorama des différents clans, dont il possédait encore une représentation vague, bien que tissée d'une certaine justesse. « T'y vas souvent ? Pour te fournir, je suppose ? » Il se remémore la nuit de leur première rencontre. La silhouette du sorcier poursuivie par les gaillards prêts à en découdre, souvenirs du passé. Est-ce que la Révélation avait changé quelque chose ? Tout dépendait du point de vue. « T'aurais préféré que ça reste plus calme ? C'est sûr que pour quelqu'un qui est né ici, t'as dû en voir, des changements. » Et l'Estonien trouvait cela aussi intéressant que terrifiant, lui qui n'était jamais parvenu à s'implanter nulle part, sans cesse habité par le désir de tout déconstruire – détruire – pour recommencer ailleurs, encore et encore, inlassablement. Pour un homme tel que Eoghan Underwood, il était plus difficile de se fuir lui-même. Il vivait ici parmi ses propres démons, entourés de ses cauchemars comme de ses aspirations. Un choix aussi délibéré que casse-gueule, qui ne pouvait donc que questionner le Colosse.
Désormais accoudé à la portière, le dos droit, il ne se prive pas de lorgner les silhouettes féminines comme masculines à portée de vue – ils circulent désormais dans le centre-ville à une allure ralentie, ce qui lui permet de promener les yeux sur autre chose que sur les façades historiques. Ce n'est que lorsque le natif l'interpelle qu'il décroche ses yeux du spectacle humain pour retrouver les siens, éternellement curieux à son encontre. Il prend le temps d'emmagasiner l'aveu, d'assimiler la requête, pour ensuite hocher la tête quelques secondes plus tard, juste avant que le feu ne passe à nouveau au vert et ne les sépare visuellement. « Okay, Eoghan. On s'fait confiance. » Comme il l'avait décidé précédemment : il était temps. Et il refusait d'effectuer machine arrière. S'il avait accepté de suivre Aliénor ici-même, ce n'était pas uniquement pour lui faire plaisir. Car au-delà des réponses qu'il cherchait encore ardemment, il était lui-même en quête de solutions, qu'il espérait non-temporaires. De plus en plus, il sentait pulser en lui ce besoin viscéral de se reconnecter à son essence primaire, et la béance de la magie fuyante devenait de moins en moins supportable. « J't'aurais pas envoyé chier. Et je sais que je le regretterai pas. J'ai bien conscience que j'fais souvent le fier, mais je ne supporte plus d'être… réduit à ce que je suis. J'en ai pas l'air comme ça, parce que tu m'as pas connu avant ce que je suis devenu, et que j'fais tout pour compenser ça, mais j'me sens vide. Trop souvent. Et putain, ça fait mal. »
Il profite de l'arrêt du véhicule sur une place en bataille d'une ruelle peu animée pour expirer longuement, peu habitué à se confier sur ce qui lui faisait tant défaut. Mais il estimait qu'Eoghan était digne de confiance, et qu'il pouvait déposer en lui ne serait-ce qu'une part infime de son fardeau. Puisque, il en possédait la conviction absolue, le sorcier se confesserait avec la même humilité. Ce qui l'encourage à ouvrir le bal, animé par cette volonté perpétuelle de le bousculer un peu, tout comme par cette honnêteté de lui avouer qu'il en savait déjà un peu trop. Lentement, il décroche sa ceinture et se tourne vers lui. Cette fois, il ne sourit plus. Il préfère abattre sa carte maîtresse en premier, histoire de donner le ton. « Et puisqu'on a décrété qu'il n'y aurait pas de tabou, tu vas pouvoir m'expliquer ce que tu fous dans une secte de sorciers noirs, depuis combien de temps t'y es fourré, et l'atrocité que t'as probablement commise pour y entrer. Parce que ouais, toi aussi, tu caches bien ton jeu. » Il croise les bras sur sa poitrine, sans jugement ni mépris, dans la posture de celui qui exige des réponses. Puisqu'ils avaient décidé de jouer cartes sur table, il voulait tout savoir. « Mais si tu préfères débuter les hostilités par un truc plus léger, tu peux aussi me dire comment tu t'y es pris pour te taper Jasmine, parce qu'Ali et moi on a fait des pronostics, et on est pas tout à fait d'accord sur le sujet. Ah et avant que t'ouvres la bouche, j'anticipe : j'te le dis parce que t'es mon pote maintenant, et qu'entre mecs on se soutient, mais sache que oui, ces deux-là jacassent à mort. Ma meuf connaît probablement la taille et le surnom de ton petit oiseau, je sais que c'est gênant mais je préfère que tu sois au courant. J't'écoute maintenant. »
(c) AMIANTE
Eoghan Underwood
ADMIN ۰ Se faire péter la vitrine : bien plus qu'un métier, une passion. Featuring : Dramaking
⛤ SMALLTOWN BOY ⛤
"This is not the right way."
En un mot : Sorcier venimeux ondulé de la toiture. Gosse du bayou.
Qui es-tu ? :
"Let it spread like a disease."
⛤ Maître des arcanes, sorcier à l'essence écarlate. 37 ans de vice (et râles) et de chair corrompue. Manipulateur d'hormones, télépathe patenté.
⛤ Second, bras droit de Circé van derr Ven dans la secte de l'Irae. S'y démarque pour sa loyauté ciselée par les griffes de Morgan Leroy (missing). Mais les failles perlent.
⛤ Incube de Louisiane ; fils de ces terres marécageuses, du bayou poisseux et des routes cahoteuses. Né à Bâton-Rouge, n'a connu que Shreveport et les frontières de son État.
⛤ Né seul homme dans la famille des sorcières irlandaises Mulligan. Privé de père (tué) par la harpie noire : élevé par Sylia Mulligan, descendant du Rouge de sa grand-mère Julianna.
⛤ Cauchemar des femmes ; nourrit sa magie (Rougeoyante) des hormones sexuelles de ses partenaires, ainsi que des émotions primaires.
⛤ Traître à ses passions, criminel et meurtrier de Johanna Andros (missing). Pourfendeur d'amitiés, éternel débiteur, clébard soumis à ses attaches.
⛤ Ne vit que pour les Mardi-Gras de New Orleans ; caresse le rêve de s'y installer un jour dans son propre "shotgun", malgré le fantôme de Katrina.
⛤ Mystique, déchiré entre deux hommes : partagé entre le sorcier et l'humain, entre la sagesse et une ire destructrice. Le latin s'efface sans mal sous l'accent du Sud, coriace sous sa langue.
⛤ Commerçant du Downtown (Crawling life), antre de ses serpents vénérés, lézards et autres reptiles, dont il cède les corps, les soins et les cages de verre.
⛤ Pratique à l'arrière de sa boutique, dans un laboratoire farouchement défendu et protégé par les runes. Recèle secrets et savoirs, expérimentations douteuses et dangereuses.
⛤ Mauvais mentor. L'une de ses apprenties en a subi les conséquences. Guide de Morgane Wuntherson et d'Halina Meyer. Meilleur ami indigne de Vinzent Henkermann et cousin de Shannon Mulligan.
⛤ Pacte tissé avec Scox : Prince démon s'étant dissimulé derrière les brumes de Baal. Immortalité odieusement acquise, âme vouée à obéir et marcher aux côtés des Antiques. 38 ans d'âge réel ; 36 ans d'apparence.
⛤ ENAE VOLARE MEZZO ⛤
"I put a spell on you."
Facultés : ⛤ La Rougeoyante s'infiltre dans les corps et y bouleverse les hormones ; flèche apollonide : distille poison, fléau, mort, mais aussi fièvre rouge saphique. Chaos total.
⛤ Télépathe raisonnable : ne s'infiltre de préférence que dans les esprits des humains misérables. Capable de communiquer en pensée avec quiconque lui ouvre les grilles de son esprit. Savant fou ; capable désormais de connecter sa psyché aux êtres muets, cobras et crotales comme cobayes, corbeaux et autres créatures rampantes.
⛤ Herboriste né, sa maîtrise des potions n'a d'égale que celle de son mentor maternel. Capable d'élaborer des philtres complexes ; créateur infatigable de breuvages en tous genres.
⛤ La Rougeoyante se défend et protège son hôte plus férocement qu'elle n'attaque : limitée par la nécessité d'un contact physique. Sorcier doué au corps-à-corps, secondé par son aisance au maniement d'athamés et autres lames rituelles.
⛤ Chercheur d'artefacts, quémandé des Longue-Vies : détisseur de leurs malédictions et autres mauvais sorts.
Thème : The Way ⛤ Zack Hemsey.
⛤ VENGEANCE ⛤
"Before I die alone."
Pseudo : Nero
Célébrité : Ian Somerhalder.
Double compte : Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque, Ian C. Calloway & Gautièr Montignac.
Bientôt, son sourire cessa d’aller et venir, pour rester figé sur ses lèvres. Il ne connaissait rien de plus agréable que de rouler à une vitesse à peine raisonnable, un ami à ses côtés, occupé à déblatérer, commenter ou poser des questions auxquelles, pour certaines, il se contentait de hausser les épaules en guise de réponse. Détendu, il devait bien reconnaître que l’aura de Serguey – et pas celle qu’il pouvait voir apparaître en se focalisant sur lui – avait ce il ne savait quoi de sécurisant. Il se doutait que ce ressenti provenait principalement de ses premiers souvenirs à ses côtés et de l’opération de sauvetage en ayant résulté, mais il était sûr que même sans cette expérience marquante, il n’aurait pas pensé différemment. Rares étaient ceux qui le faisaient rire aussi sincèrement. Plus le temps avançait, plus Shreveport s’enlisait dans cette atmosphère compliquée, tournée vers une politique à la cohérence aléatoire, et plus il lui semblait que ses moments d’insouciance se dissolvaient dans le temps. Avec le départ de Vinzent, cette impression s’était renforcée, et lui-même s’était éloigné de quelques vieilles connaissances avec lesquelles il cultivait, autrefois, ces instants faits d’alcool, de sorties nocturnes dépourvues de tout enjeux, et de tout ce qui pouvait l’aider à décrocher de la réalité pour longtemps. Passer une journée avec Serguey, c’était renouer avec cette part de lui adolescente, celle qui avait si souvent été frustrée, brimée et enfermée. C’était tendre la main au sale gosse en lui qui n’avait pas eu le loisir de commettre toutes les bêtises qui auraient été consommées sans son éducation castratrice. Il ne reniait rien, acceptait l’histoire comme elle s’était écrite, et cependant lorsque le regret le parasitait, il suffisait de quelques bières englouties aux côtés du géant estonien pour que tout passe, et qu’il se réjouisse, enfin, de la tournure des événements. Il ne le laisserait pas filer si vite, cette nuit. Il avait besoin, envie d’excès. Et il ne connaissait personne d’autre meilleur que lui, Serguey Diatlov, pour le guider sur cette voie. Il admirait surtout le courage de ce dernier. Il commençait à le cerner un peu mieux, et outre l’originalité de l’escapade pourtant acceptée, il remarquait de plus en plus cette façon dont il cessait de se braquer. La plaisanterie surgissait, oui, mais se voyait toujours atténuée par une authenticité révélant la vulnérabilité du colosse. Ainsi, il laissait passer le moment de flottement, patientant jusqu’à recueillir avec prudence les vraies motivations, la sincérité de ses confessions. Il espérait simplement ne jamais avoir à les trahir comme il l’avait fait avec celles d’Henkermann. Il serra un peu plus fort le volant, à cette pensée. Il n’en pouvait plus, de voir le fantôme de Vinzent surgir à chaque détour, au moindre recoin, au quotidien. C’était là sa peine, ou du moins une partie de celle qu’il aurait à payer pour expier ses crimes.
Ils débouchèrent en ville, et plutôt que de fournir spontanément pique ou informations aux interrogations insistantes de son ami, il préféra conduire le pick-up avec précautions : la circulation était plus intense qu’il ne l’aurait cru. Il frémit en croyant capter une référence à sa relation avec Yago, mais il fit la sourde oreille, se dissimulant derrière sa concentration, son silence ou ses sourires réservés. Il stoppa le véhicule sur une place laissée libre par chance, et entreprit aussitôt de se pencher pour fouiller la boîte à gants et en sortir le sésame lui permettant d’éviter une facture trop élevée – béni soit Norris Ridgewick. Pourquoi le cliquetis de la ceinture se décrochant le fit arrêter, il l’ignorait, mais lorsqu’il releva ses yeux dans les siens, ce qu’il y lut confirma son mouvement d’arrêt, l’incitant à se redresser et à ne plus se détacher de lui. Les lèvres entrouvertes, il accueillit la déferlante, tétanisé. Son sang s’était glacé malgré la chaleur, et il regretta presque de ne pas avoir éteint le moteur ni la climatisation. Déglutissant mal, une main toujours accrochée au cuir du volant, il sentit une pression lourde au niveau de son thorax, et ne finit par se détourner, fixant le mur devant eux, qu’au bout d’un silence nécessaire. Sa langue serpenta sous ses dents. On ne répondait pas en un clin d’œil, un haussement d’épaules ou un sourire, à tout ça. Il le savait. Jugulant son souffle, il dut fermer les yeux quelques instants pour reprendre courage, et finalement laisser aller son dos tendu contre le dossier.
« Damn, Serguey… On m’taxe souvent de bavard, mais toi quand tu causes tu l’fais pas à moitié non plus, hein… » De toute manière, il n’avait jamais vu Serguey faire quoi que ce soit à moitié. Pas de surprise. Il ricana, brièvement. Il se sentit pris au piège, sans que cela ne lui soit totalement désagréable. Il n’eut pas envie de s’exposer à l’air libre, tant que l’arcaniste ne serait pas satisfait de ce qu’il aurait à lui fournir en guise d’explications. Il n’eut pas envie de quitter leur bulle de fraîcheur, ayant laissé dans leur dos le flot de véhicules ne cessant d’aller et venir. Il songea à toutes les remarques, toutes les réflexions dont il avait ponctué leur bref périple. En un sens, elles étaient toutes liées.
« Par où j’commence… ? » Il n’attendit aucune réponse de sa part. Pure rhétorique. Il aurait voulu une cigarette, mais se retint d’empuantir l’habitacle.
On se fait confiance.
« T’as intérêt à t’installer comme il faut. C’est pas le plus facile à résumer. » Il fit lui aussi sauter sa ceinture, se sentant plus libre de ses mouvements, mais le bout de ses phalanges n’avait toujours pas décollé du volant, en caressant les lignes rugueuses, familières. Il poussa un long soupir, puis se jeta dans le vide, timidement d’abord.
« Moi j’t’ai pas connu avant, en effet. Avant que tu perdes l’usage de… enfin. Avant. Quand tu étais encore intact. Mais sache que j’prends vraiment au sérieux ce qui t’arrive. Finalement… On s’fait confiance okay, mais est-ce que t’as vraiment foi en moi pour t’aider ? J’ai pas envie qu’tu sois déçu par qui j’suis. Par tout ce que tu vas apprendre. Des autres ou de moi, directement. Même si j’me fais pas d’illusions. J’ai l’art de faire fuir les gens. Ils pensent toujours avoir le cran ou les couilles de supporter ce que j’suis, mais il s’barrent toujours. Y’a toujours le moment où ils comprennent que l’problème les dépasse et qu’il vaut mieux s’éloigner avant que ça aille encore plus loin. »
Et toi ? Toi, t’as les couilles ? Ou tu vas t’barrer comme les autres au moment venu ?
C’est ce qu’il aurait aimé lui demander, avec un brin de provocation qui n’aiderait personne. Il se retint, donc.
« J’aurais préféré que Shreveport change pas des fois, ouais. Ça m’allait, quand y’avait pas… tous ces putain de touristes ou d’nouveaux résidents, quand tout était plus simple. On était loin des autres grandes villes, mais c’était pas non plus le dernier trou du cul du monde comme y’en a en Alabama, tu vois l’genre ? Ou même… plus au sud et à l’ouest en Louisiane. Shreveport… avait trouvé son équilibre. Les choses étaient à leur place, la Révélation était pas encore là, et tout était voué à rester… presque tel quel. » D’ordinaire, il conservait son opinion à ce sujet pour lui. Surtout devant ceux qui venaient d'ailleurs, et à qui il n’avait pas envie de balancer sa rage et son aigreur sans raison valable. Mais Serguey avait demandé. Serguey exigeait une honnêteté qu’il se sentait enclin à lui fournir. « J’vais te dire un truc. Je déteste ce qu’est devenue cette putain de ville. Parfois, j’supporte plus de lire les chiffres qu’on balance à la télé, j’supporte plus d’entendre parler de la croissance, j’supporte plus de voir les immeubles pousser partout, même rien que de voir une grue ça me fait péter un câble, des fois. » Il secoua la tête, fixant un point dans le vide, absorbé par une colère rentrée, bien que cisaillant ses mots, les affûtant avec un soin tout particulier. « Alors, ouais. C’est clair que pour les commerçants comme moi, c’est bon pour les affaires. Le flic pleut, d’un côté. Tu commences à voir le bout du tunnel arriver. T’es encore jeune, t’as tout un paquet de dettes sur le dos, alors forcément, si le fric rentre… mais on t’le reprend d’un autre côté. L’inflation, tu vois. Les gens s’font virer de chez eux, ou leurs boutiques ferment. J’ai eu de la chance de faire les bons choix pour la mienne. J’ai réussi à saisir le coche au bon moment. D’autres ont pas eu cette chance. Ceux qui ont préféré louer que d’acheter quand les prix étaient encore raisonnables, surtout au niveau de l’immobilier. Alors ils raquent, ils raquent jusqu’à atteindre le seuil critique, et ils se barrent parce que la banque finit par les foutre dehors. Dans des villes voisines, ou… j’sais même pas où. Et puis qu’est-ce qui se passera, le jour où Shreveport ne sera plus the place to be ? Qu’est-ce qu’on fera d’cet endroit défiguré ? Les immeubles s’videront tu crois ? On aura… une foule d’appartements vides. Tout un tas d’infrastructures qui serviront plus à rien d’autre qu’à pourrir et rouiller ? »
« Sauve-toi. »
Lentement, il se rapprochait de l’épicentre. Il franchissait les étapes de la vérité réclamée. Le Juggler’s.
« Le Juggler’s fait de l’ombre à tout le monde. Ils ont viré tous les escrocs du coin, au départ. Ils ont assaini la zone quoi, pour empêcher les dérives. Puis, ils ont décidé de s’implanter durablement. Ils sont devenus une sorte de guilde commerciale, et petit à petit… ils se sont mis en tête de racheter les commerces des arcanistes de la région, pour créer une sorte d’empire. Ils veulent obliger tous les Éveillés à se fournir chez eux. Ils font pression, avec à la clef la menace éternelle : si vous nous emmerdez, on coupe les vivres. Plus de matos. Plus de transactions. Plus rien. » Son nez se plissa doucement, en une moue dégoûtée. « J’évite d’y aller souvent. En fait… j’me fournis juste en armes principalement chez un type que j’connais depuis longtemps, et… tout ce qui me sert pour les potions, quand j’arrive pas à m’en procurer autrement. Ça devient compliqué, mais j’supporte pas d’engraisser ces connards. »
Il tourna la tête vers Serguey, enfin. Il parvint, par miracle, à sourire de nouveau. « Oh, et sinon... sympa, pour l'info. Génial. Du coup j’espère quand même que ma vie sexuelle a pas fait le tour de tout le motel non plus, ça m’ferait chier… » Aliénor ne lui inspirait pas de haine. Simplement une crainte issue du peu que lui en avait raconté Serguey. Lui-même n’aurait jamais eu le cran de courtiser une créature comme elle. Et en parlant de vampires… « Jasmine. Putain, t’es con. Tu l’appelles comme ça devant lui ? T’oserais pas, quand même… » Coincé entre son envie de jouer carte sur table tout en préservant au moins un dernier bout d’intimité, il consentit à gronder : « Sinon, bah tu devras faire des pronostics encore longtemps. C’est… là encore une histoire pas simple, et on a un planning chargé à respecter aujourd’hui, hum ? Ou alors, mieux. J’te raconte si, et seulement si t’entres dans ma « boutique des horreurs » et que t’y restes pendant que j’te fais mon rapport. T’inquiètes pas, j’bosse effectivement tout seul, et y’aura personne d’autre que moi pour te voir te pisser dessus allégrement. »
Il laissa passer un silence, et dit adieu sans un mot à ce bref moment de légèreté, précédant une suite beaucoup moins plaisante. « J’ai toujours fait partie de l’Irae, de près ou de loin. » Désormais, il le dévisageait avec un certain détachement, prêt à détecter la moindre réaction écoeurée, dégoûtée ou pire. Comme un condamné attendant que le bourreau s’approche pour mettre en branle le dernier chapitre de la machine judiciaire ayant provoqué sa perte et annoncé la peine capitale. « Ma mère fait partie des membres fondateurs. C’était… en 1983 je crois. L’année de ma naissance. Elle a rencontré je ne sais comment celui qui en est à l’origine. Elle n’a jamais voulu… rentrer dans les détails. Mes parents habitaient à Bâton-Rouge, c’est là que j’suis né, mais ils ont déménagé pour Shreveport. » Il réalisa alors pour la première fois que c’était bien la seule et unique raison qui avait dû motiver Sylia Mulligan à migrer plus à l’ouest. Elle qui avait toujours été attachée à la côte, voilà que le simple fait de poser des mots sur cette genèse éclairait un bout du mystère enrobant cette femme qui était sa mère. Il parut lui-même presque surpris de les avoir prononcés à haute voix. « Elle l’a suivi, donc. A entraîné mon père avec elle. L’Irae s’est implantée là, et n’a jamais cessé de croître. C’était… il n’y a pas que des arcanistes maniant le noir. Certains usaient du rouge, comme moi. Mais nous avons toujours été en extrême minorité. » Il joua avec ses phalanges, moins nerveux que contemplatif, fixant ses doigts pâles, les cals de sa paume. « Morgan… Morgan a instauré un crédo strict. Les cercles de magie permettent à ses membres d’enrichir leurs connaissances, leur savoir, de consolider leur pratique et de disposer d’un clan se serrant les coudes en cas de problème. Discipline de mise, bien sûr. Obéissance totale à… lui et Circé. Sa Seconde, à l’époque. Ma mère est restée sous sa coupe. Elle a foutu mon père dehors quand j’avais… j’sais pas… six ans… Sept, à tout casser ? Je n’ai jamais perdu contact avec lui, mais on s’voyait peu. Il était retourné à Bâton-Rouge, lui. » Ses dents se serrèrent brutalement, l’obligeant à clore ses lèvres. « J’ai été élevé dans le but de rejoindre la secte à mon tour. J’ai rencontré Morgan gamin, et puis de plus en plus souvent à l’adolescence. Il m’a toujours détesté. Il… Il disait que j’avais échappé deux fois à la mort, et que la deuxième fois, c’était à lui que j’le devais. Que j’étais redevable, jusqu’à la fin de mes jours. Et que j’aurais intérêt à servir les nôtres convenablement, si j’voulais pas qu’il fasse de ma vie un enfer. » Son talon cogna à quelques reprises contre le sol. « J’ai poursuivi mon apprentissage. Entre une mère pas foutue de m’initier au rouge qui la dégoûtait, et une autre mentor, qui était dure avec moi. Mais au moins, elle m’a appris. C’était pas une partie de plaisir, mais j’suis devenu… enfin. J’ai réussi à contrôler mes dons. Il était prévu que mon intronisation se fasse pour mes dix-huit ans. Pour qu’elle soit complète, tu es obligé d’offrir un sacrifice. Un sacrifice humain, choisi parmi l’une des personnes qui te sont les plus proches. » Ses épaules tressaillirent. « J’ai dû… »
Ne m’oblige pas à le dire. S’il te plaît.
Les images de vieux films. Les courses dans le South. Le lycée de Shreveport.
« Johanna Andros. Elle s’appelait Johanna. Je l’avais demandé en mariage. On était qu’des gamins mais… ça faisait longtemps, elle et moi. Elle me suffisait. J’ai stupidement cru que ma mère m’obligerait pas à… à l’utiliser, elle. Mais Morgan s’est chargé de la convaincre. » Une montée de fièvre le prit, rendant l’atmosphère pourtant plus qu’agréable à l’intérieur de la Ford, plus difficile à supporter pour lui. Son front et sa lèvre supérieure luisaient d’une sueur restée froide, au fur et à mesure qu’il se sentait au bord du malaise. « J’aurais pu refuser. J’aurais pu dire non. M’enfuir avec elle, ou accepter de mourir à sa place. Mais j’ai pas pu… Jusqu’au bout j’ai cru qu’on aurait une chance d’échapper à ça. »
Et puis. Il ignora comment il trouva l’audace de regarder Serguey pour avouer : « J’voulais pas mourir. Alors je l’ai fait. » Il coupa rapidement leur lien visuel, pour replonger dans les lignes de vie de ses mains tâchées de sang. « Je suis resté là. J’ai… construit ma vie ici. J’ai appris à l’âge de vingt et un ans que mon père, qui avait arrêté de me donner des nouvelles quand j’avais à peine quatorze piges, avait essayé de me reprendre, pour m’emmener à Bâton-Rouge vivre avec lui. Ma mère lui en a pas laissé le temps. Depuis, j’essaye de ne pas la haïr pour tout ce qu’elle… » Sujet sensible. Trop sensible. Sans hargne mais avec une fermeté ne souffrant d’aucune contradiction, il s’empressa de rajouter : « J’veux pas un mot sur mon père, d’accord ? On n’en parle plus. Jamais. C’est pas un sujet de conversation. »
Torturé, il s’empêcha de remuer sur son siège, peinant à respirer convenablement, fronçant les sourcils pour se contenir et demeurer, sinon de marbre, du moins digne et persévérant dans son récit. « On s’est fait attaquer, il y a un peu plus de deux ans. Depuis, Morgan Leroy a disparu. Circé est devenue notre nouvelle prédicatrice. Et je suis son Second. »
Il pouvait dire plus. Il pouvait aller plus loin. Il s’était déjà avancé plus qu’il ne l’aurait jamais cru, avec lui. S’il ne se connaissait pas, il en aurait conclu à une forme de suicide le voyant avouer l’inavouable. Il s’apprêtait à trahir le secret entourant les siens, et pourtant… il décida d’en faire don à cet homme qui, il en était sûr, pouvait peut-être pardonner, comprendre et, si non, ne pas le trahir en le jetant en pâture aux autorités. Humaines comme arcanistes.
« Ce qu’il s’est passé, à la Samain… c’était nous. »
Le bleu fiché dans le bleu. Le cœur en pièces.
« En avril 2018, on a été réduits en cendres. Quasiment toute la secte. Et nous sommes persuadés que l’Eglise Wiccane en était la cause. » Pas d’élucubrations inutiles. Juste ce qu’il estimait être la dernière confidence nue. « Je regrette certaines des choses qui se sont produites, cette nuit-là. Mais pas de m’être vengé d’eux. J’aurais juste voulu… » Sa mâchoire lui fit mal, tant il sentait les mandibules contractées. « Je ne finirai jamais de payer mes dettes. Celles que j’dois à tous ceux que j’ai… heurté, trahi. Ou tué. J’suis foutu, hein.. ? On rachète pas des fautes pareilles. »
Il caressa le pare-brise de ses orbes fébriles. « Il s’passe pas un jour sans que j’y pense. Depuis deux ans, ma vie s’est cassé la gueule. Mais j’le mérite. Et ça restera comme ça. » Il comprit qu’il ne voulait pas gagner le Juggler’s. Cela ne l’intéressait plus. Maintenant que la bombe était larguée, il se mit à trembler, à claquer des dents en réalisant ce qu’il venait d’avouer. « Voilà… J’te demanderais bien de garder ça pour toi. De rien dire à personne, même à Aliénor. Parce que si tu parles… à qui que ce soit… alors c’qui m’attend s’ra sans doute bien pire que n’importe quel châtiment d’ma connaissance. » Pris en étau, de part et d’autre. « J’me fais pas d’illusions. J’paierai un jour au prix fort. Seulement, j’voudrais juste… j’voudrais juste revoir mon meilleur pote avant. Au moins une fois. Après, ça n’aura plus d’importance. »
Il se redressa lentement, reprit le volant dans l’intention de reculer, mais pas sans laisser une dernière porte de sortie à son ami. « T’es pas obligé de rester, si j’t’ai foutu la gerbe. Tu peux même me défoncer la gueule ici j’crois que j’te laisserais faire. Mais si t’es con au point de vouloir tenir encore dans cette bagnole, j’aimerais bien qu’on s’casse dans le South maintenant, je pense. »
Il se doutait qu'une telle audace de sa part ouvrirait la Boîte de Pandore. C'était un risque qu'il avait accepté, dès lors qu'Eoghan avait suggéré que la suite des événements se déroulerait sous le signe de la confiance. Un contrat dont il avait lu jusqu'aux caractères les plus infimes, en bas de page, et signé en son âme et conscience. Eoghan Underwood était le premier sorcier auquel il s'était réellement lié, depuis son arrivée à Shreveport. S'il avait noué des amitiés avec certains sbires ou alliés de Salâh ad-Dîn, nul n'était parvenu à lui faire ressentir ce qu'il vivait, lorsqu'il partageait une soirée en compagnie du natif. Au fur et à mesure du temps, les moments passés ensemble avaient tout d'abord tissé entre eux une franche camaraderie, puis les prémisses d'une amitié aussi sincère que durable, telle qu'il l'envisageait. Car il n'avait plus l'âge des relations éphémères, Serguey, dès lors qu'elles n'appartenaient pas au registre charnel. Entre un travail prenant, son couple de plus en plus solide et ses loisirs, il ne pouvait guère s'offrir le luxe de papillonner en amitié. S'il paraissait parfois s'en remettre au hasard pour sélectionner ses compagnons de route, en réalité, il n'en était rien. Il les choisissait avec soin, ce qui n'altérait en rien la spontanéité qui l'animait lors des premiers échanges. Mais il ne s'encombrait pas de ces relations qui n'avaient guère de sens, de ces êtres qui dissonaient trop avec le sien. Les amitiés qu'il avait bâties depuis son arrivée à Shreveport, rares mais précieuses, s'apparentaient désormais davantage à une réelle fraternité, voire à la cohésion d'une famille, aussi dysfonctionnelle soit-elle. Il ne prenait plus le risque de s'engluer dans une camaraderie stérile, de chercher la compagnie d'inconnus frivoles, avec lesquels il fallait se cantonner aux procédures d'usage, mais ne surtout pas trop en dévoiler. Il était désormais trop vieux pour ce genre de connerie. Et surtout, même s'il peinait encore à se l'avouer, il avait plus que tout besoin d'un ami véritable, dans cette ville qui n'était pas la sienne.
Un ami dont il testait dangereusement les limites, exigeant de l'homme qu'il expose ses tripes sur la table, ce qui établirait un tournant décisif dans leur relation. Le risque était nécessaire, afin de sublimer ce qui les lierait alors. Sous le silence de l'habitacle, et tandis qu'Eoghan encaissait les questionnements, il comprenait qu'ils étaient à l'aube d'une ère nouvelle. Vitale ou dévastatrice, il l'ignorait encore. Mais il savait une chose : il désirait ardemment assister à cette naissance, et plus encore. Il aspirait à appartenir à ce grand Tout qu'ils constitueraient bientôt, si les limites de la raison venaient à être repoussées. Et lorsque le sorcier rouge reprend la parole, après avoir longuement assimilé l'éclatement du cadre pulvérisé par son compère, l'Estonien comprend que les Révélations perceront l'horizon de leur amitié. Il entendait déjà les remous des secrets indicibles clapoter sous la surface de leur pudeur, menacer d'éclore, pour les souder à jamais l'un à l'autre. Et il attendait, calmement, le souffle légèrement impatient, de vivre cet instant avec lui.
Aucune parole n'interrompt le débit d'Eoghan, aucun son ne trouble la confession. Pourtant, il aurait pu rebondir à la plupart de ses propos, car s'il le fallait, il faisait partie de ces hommes qui avaient toujours quelque chose à dire. Répondre, étoffer, souligner, peu importe ; maintenir le lien verbal. Il aurait pu, mais il ne souhaitait nullement briser cet intime dévoilement, et se contente d'imaginer en silence le cimetière urbain évoqué par le natif, si les choses venaient à évoluer trop vite, si Shreveport venait à être désertée. Les rues souillées et les squelettes des immeubles à l'abandon se dessinaient sous ses paupières mi-closes. Contrairement au Louisianais, il n'en éprouvait nulle douleur, ce qui ne l'empêchait pas d'entrer en résonance empathique avec lui. Mais il n'était pas un sédentaire, attaché à une terre spécifique ; il avait toujours appris à se délocaliser, à partir pour le plus souvent ne jamais revenir, animé par ce désir de découvrir le monde, d'accumuler les expériences au creux de son existence. L'éternel voyage, sans pour autant éprouver ce sentiment de déracinement. Il s'adaptait partout, Serguey, paraissait être à sa place dans chaque environnement, comme s'il lui suffisait d'en connaître les règles pour s'intégrer pleinement au système, avec cette impression qu'il y avait appartenu depuis toujours.
Une jambe repliée, le torse tourné vers Eoghan, il écoute religieusement, le faciès déformé par un sérieux qu'il n'avait encore jamais arboré en sa présence. L'importance du moment est capitale : le moindre faux pas fragiliserait le socle précaire sur lequel la confiance se bâtit, si vite. Déjà, les briques tombent, et la vérité est assénée comme un coup de poing, peut-être pour vérifier qu'il soit solide, qu'il ne flanchera pas, qu'il aura les couilles d'encaisser ce que le sorcier choisit de déposer en lui. Qu'il en soit ainsi. Il ne bronche pas, le regard perçant, sans jugement ni compassion, attendant simplement de posséder l'entièreté des informations avant de décider de ce qu'il en ferait. Il entend la douleur du manque, le creux de l'absence, la désertion de ces figures masculines si essentielles, dans la construction jamais aboutie d'un homme tel qu'Eoghan Underwood. Il croit presque en comprendre l'une des raisons pour lesquelles le natif semble si lié à son amant oriental, aussi hermaphrodite puisse-t-il être. Peut-être que cette étrange relation constituait pour le sorcier un apport de ce masculin qui faisait tant défaut, dans cette existence passée entouré de femmes, entre une mère autoritaire, une mentor exigeante et des amantes jamais totalement satisfaisantes. Et peut-être recherchait-il lui-même, auprès d'Aliénor, ce qu'il ne trouverait jamais contre des anonymes dont il s'entichait le temps d'une nuit : ce mysticisme, qui ne semblait émerger que de l'union sacrée entre arcanistes et vampires. Cependant, il ignorait encore les fondements et entrelacs d'une telle communion, encore trop frileux, barricadé derrière des non-dits et une peur indicible de l'inconnu qui l'enfonceraient bientôt plus bas que terre.
Le sacrifice originel. Il ne marque aucune surprise aux aveux d'Eoghan, pas assez naïf du monde des arcanes sombres pour croire que son comparse s'en était tiré pour moins que cela, même s'il regrette qu'un tel dilemme ait dû peser sur d'aussi jeunes épaules. Il ne détourne le regard que par pudeur, pour éviter d’appesantir davantage les confessions déjà douloureuses. La vérité résonne en lui, dont il emprisonne chaque vibration dans un caveau inviolable, déjà conscient de la nécessité d'enterrer les cadavres sous la surface de la réalité tangible. Nul autre que lui ne devait savoir. Ni pour cette vie trop tôt arrachée, ni pour ce père dont il avait été privé, ni pour cet ami qu'il ne reverrait peut-être jamais. Pas plus pour les secrets indicibles d'une secte dont il comprenait peu à peu les rouages, sans pourtant en saisir encore l'entièreté de l'envergure. Une sensation vertigineuse, celle d'être face à une machine qui vous broie sans répit, dans laquelle Eoghan avait été entraîné malgré lui, tantôt consentant, tantôt animé par le fatalisme de sa lignée. Obéir pour survivre. Un crédo quasi militaire qu'il comprenait, malgré son caractère tranché et ses provocations ostentatoires. Même un homme tel que Serguey Diatlov était capable de se ranger dans le bataillon de la discipline, dès lors qu'il adhérait à sa légitimité. Nul respect sans compréhension, nulle soumission sans transparence. Et parmi les horreurs révélées, il ne peut empêcher un souvenir de revenir flotter à la surface de sa conscience. Celui de l'aveu déjà prononcé dès leur première rencontre, cette soirée où Eoghan lui avait déjà dévoilé, au détour d'un jeu idiot, qu'il avait failli brûler vif. L'Estonien saisissait désormais pleinement la portée de ses paroles, comme si l'amorce de ce qu'ils vivaient aujourd'hui avait été enclenchée dès le premier soir. Il comprenait, avec toute la puissance du symbole que cela nécessitait, que tout était écrit depuis le commencement, que leur route respective avait bifurqué dès les balbutiements pour se fondre l'une dans l'autre.
Le silence ne retombe pas tout à fait dans l'habitacle, lorsque le débit s'interrompt. Des étincelles de vérité crépitent encore, tressaillent sous le derme dépositaire de tant de secrets. Son souffle s'est légèrement accéléré, et lorsqu'il redresse enfin le regard, ce n'est que pour lui affirmer la seule vérité qui compte, en cet instant crucial. « Mes épaules sont larges et solides, Eoghan Underwood. » Avait-il besoin d'en énoncer davantage ? Il ne lui dirait pas qu'il était désolé pour quoi que ce soit : il ne l'était pas. Le sorcier avait effectué des choix, tout au long de cette trajectoire sinueuse qu'était son existence. Et il mesurait déjà les conséquences de ces actes, tout comme l'achèvement prématuré d'une ligne de vie colossale. Il taira la promesse silencieuse de n'en parler à personne, pas même à Aliénor. A quoi bon ? L'Immortelle demeurait hermétique au monde des arcanes. Et le léger hochement de tête qu'il adresse au sorcier suffit à lui faire comprendre son engagement. Il mourra avec ses secrets. Même s'ils devaient un jour se perdre de vue. « Et tu savais que j'étais capable d'endosser tout cela, sinon, tu n'aurais pas pris le risque de te confier à moi. Pas autant. » Le phrasé est lent, comme s'il mesurait l'importance de chaque mot avant de les prononcer. Pourtant, ils sont énoncés comme une évidence. L'impression tenace qu'ils devaient un jour tous deux atteindre ce moment essentiel. Et la volonté de croire qu'il avait peut-être un rôle décisif à jouer.
Une fois encore, il détourne le regard vers le mur face à eux, pour ne pas l'embarrasser de cette insistance, et la question est presque légère lorsqu'il la lui pose, anodine, alors qu'il sait qu'elle constitue le cœur de la tragédie actuelle. « Si je peux faire quelque chose, pour cet ami dont tu me parles, sache que tu peux me le demander. Quoi que ce soit. » Les derniers mots sont un ciment bâti sur les fondements d'une vérité désormais établie. Il a entendu. Il lui faudra du temps pour comprendre tous les enjeux, tous les mouvements qui ont amené Eoghan Underwood à effectuer certains choix, mais il ne le jugerait pas. Chaque arcaniste avait ses zones d'ombre, un équilibre nécessaire aux énergies qui régissaient leur monde. « Tu ne me dégoûtes pas. Tu es lucide. Nous ne sommes pas des hommes ordinaires, et je dis cela sans prétention. Nos existences sont parfois tourmentées par des forces dont même nous, arcanistes, peinons à cerner les limites, parfois même les desseins. Mais il y a toujours des choix à faire, pour prendre part à ce Grand Tout. Et toi et moi, nous avons choisi de ne pas respecter spectateurs. » Il était trop tôt pour amorcer sa propre descente vers le tombeau de ses secrets. Ses propres confessions attendraient que celles d'Eoghan aient cessé d'étourdir son être. Il devait se les approprier, avant de déverrouiller autre chose. Et le sorcier rouge avait besoin de temps pour se reconstituer, et vérifier la solidité de leur lien après ce qui aurait pu devenir un testament.
Alors, il lui offre tout le loisir de tester cette résistance, dans cet invisible nœud qui les accroche l'un à l'autre depuis le commencement. « Si t'es foutu, j'en sais rien. Mais j'sais une chose : tu devrais peut-être pas reprendre le volant tout de suite. J'peux conduire vers le South, si tu veux. Tu me guideras. » Un sourire sincère, d'homme à homme, les rapproche encore un peu plus. « J'pense pas que tu sois un pourri, Eoghan. Ceux-là, j'les repère à des kilomètres. Et c'est pas un type de ce genre que j'ai rencontré, ce soir-là dans le cimetière. C'est juste un type qui essaie de survivre. » Un type qui fait avec les cartes qu'il a en main, avec ce qu'on lui a autorisé à posséder au départ. L'Estonien croit en un certain déterminisme de l'existence humaine, sans pour autant s'abandonner à un pessimiste fatalisme. Mais il y avait des choses que l'on ne pouvait contrôler. Il y avait des choses que l'on se devait d'accepter, des règles à intégrer, si l'on désirait survivre. D'un geste sincère, il pose un court instant sa main sur le bras d'Eoghan. Un symbole qui fige l'instant, scelle les confidences sous le socle de leur nouvelle relation. L'arctique s'adosse au céruléen, dans la promesse silencieuse des destins entrelacés. « J'ai foi en toi. J'espère que c'est réciproque. » Au-delà de l'honnêteté de leur amitié, ils avaient mutuellement besoin l'un de l'autre. L'un pour se reconstruire, l'autre pour se retrouver. On s'fait confiance.
(c) AMIANTE
Eoghan Underwood
ADMIN ۰ Se faire péter la vitrine : bien plus qu'un métier, une passion. Featuring : Dramaking
⛤ SMALLTOWN BOY ⛤
"This is not the right way."
En un mot : Sorcier venimeux ondulé de la toiture. Gosse du bayou.
Qui es-tu ? :
"Let it spread like a disease."
⛤ Maître des arcanes, sorcier à l'essence écarlate. 37 ans de vice (et râles) et de chair corrompue. Manipulateur d'hormones, télépathe patenté.
⛤ Second, bras droit de Circé van derr Ven dans la secte de l'Irae. S'y démarque pour sa loyauté ciselée par les griffes de Morgan Leroy (missing). Mais les failles perlent.
⛤ Incube de Louisiane ; fils de ces terres marécageuses, du bayou poisseux et des routes cahoteuses. Né à Bâton-Rouge, n'a connu que Shreveport et les frontières de son État.
⛤ Né seul homme dans la famille des sorcières irlandaises Mulligan. Privé de père (tué) par la harpie noire : élevé par Sylia Mulligan, descendant du Rouge de sa grand-mère Julianna.
⛤ Cauchemar des femmes ; nourrit sa magie (Rougeoyante) des hormones sexuelles de ses partenaires, ainsi que des émotions primaires.
⛤ Traître à ses passions, criminel et meurtrier de Johanna Andros (missing). Pourfendeur d'amitiés, éternel débiteur, clébard soumis à ses attaches.
⛤ Ne vit que pour les Mardi-Gras de New Orleans ; caresse le rêve de s'y installer un jour dans son propre "shotgun", malgré le fantôme de Katrina.
⛤ Mystique, déchiré entre deux hommes : partagé entre le sorcier et l'humain, entre la sagesse et une ire destructrice. Le latin s'efface sans mal sous l'accent du Sud, coriace sous sa langue.
⛤ Commerçant du Downtown (Crawling life), antre de ses serpents vénérés, lézards et autres reptiles, dont il cède les corps, les soins et les cages de verre.
⛤ Pratique à l'arrière de sa boutique, dans un laboratoire farouchement défendu et protégé par les runes. Recèle secrets et savoirs, expérimentations douteuses et dangereuses.
⛤ Mauvais mentor. L'une de ses apprenties en a subi les conséquences. Guide de Morgane Wuntherson et d'Halina Meyer. Meilleur ami indigne de Vinzent Henkermann et cousin de Shannon Mulligan.
⛤ Pacte tissé avec Scox : Prince démon s'étant dissimulé derrière les brumes de Baal. Immortalité odieusement acquise, âme vouée à obéir et marcher aux côtés des Antiques. 38 ans d'âge réel ; 36 ans d'apparence.
⛤ ENAE VOLARE MEZZO ⛤
"I put a spell on you."
Facultés : ⛤ La Rougeoyante s'infiltre dans les corps et y bouleverse les hormones ; flèche apollonide : distille poison, fléau, mort, mais aussi fièvre rouge saphique. Chaos total.
⛤ Télépathe raisonnable : ne s'infiltre de préférence que dans les esprits des humains misérables. Capable de communiquer en pensée avec quiconque lui ouvre les grilles de son esprit. Savant fou ; capable désormais de connecter sa psyché aux êtres muets, cobras et crotales comme cobayes, corbeaux et autres créatures rampantes.
⛤ Herboriste né, sa maîtrise des potions n'a d'égale que celle de son mentor maternel. Capable d'élaborer des philtres complexes ; créateur infatigable de breuvages en tous genres.
⛤ La Rougeoyante se défend et protège son hôte plus férocement qu'elle n'attaque : limitée par la nécessité d'un contact physique. Sorcier doué au corps-à-corps, secondé par son aisance au maniement d'athamés et autres lames rituelles.
⛤ Chercheur d'artefacts, quémandé des Longue-Vies : détisseur de leurs malédictions et autres mauvais sorts.
Thème : The Way ⛤ Zack Hemsey.
⛤ VENGEANCE ⛤
"Before I die alone."
Pseudo : Nero
Célébrité : Ian Somerhalder.
Double compte : Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque, Ian C. Calloway & Gautièr Montignac.
Il n’enclencha pas la marche arrière. N’appuya pas sur la pédale de l’accélérateur pour les faire reculer. Bloqué, prêt à tout, mais évitant surtout de croiser le regard de son ami, une forme d’intensité terrible rendait son corps plus compact, son souffle plus contrarié, sans pour autant qu’il ne cesse de prendre de longues bouffées d’air froid et artificiel. Il fixait le mur de briques face à lui, comme il avait fixé son destin droit dans les yeux. Ce mur, c’était celui qui lui était apparu tant de fois. À chacune de ses rebuffades, à chaque revers d’espoir l’incitant à penser qu’il pouvait tourner le dos à ce futur tout tracé par ses pairs et aînés, le même mur lui était apparu. Parfois à distance, le dissuadant d’office. Parfois, l’obligeant à le percuter avec une violence indicible, le laissant perclus et haineux, bête sauvage acculée, à la volonté contrariée. Pourtant, jamais il ne s’était totalement résigné. Alan l’avait senti. Alan croyait encore en lui. Il ne pourrait jamais abandonner tant qu’au moins une seule figure tutélaire lui accorderait du crédit, le cran nécessaire pour couper les liens qui le retenaient à la secte, à sa ville d’adoption. Ce mur, il n’aurait pas besoin de s’écorcher à vif ou de se tuer à force de foncer dedans. Il trouverait le moyen de le contourner. De ne pas crever là où tous les autres l’avaient déjà fait, ou étaient en passe de le faire.
Quant à Serguey près de lui, il redoutait plus que jamais sa réaction. Tel un chien trop souvent battu, craignant le coup de plus, le coup de trop, il conservait cette crispation dans la ligne de ses épaules qui le voyait prêt à se ramasser sur lui-même pour parer, et ainsi, peut-être, mieux rendre l’attaque. Il était déjà surpris de ne pas avoir suscité de réaction immédiate et inévitable, aucun mouvement agressif, aucune exclamation marquant sa colère. Il guettait, pourtant. Il guettait chaque mouvement, s’accrochait à la moindre variation dans les mouvements réguliers secouant le torse du colosse. Rien ne vint. Rien d’autre que son éternelle voix chaude et réconfortante, ponctuée de cet accent slave qui le faisait régulièrement frémir – voix venue d’un autre âge, d’une autre partie du monde, comme Yago lui-même l’emportait de son exotisme. Lorsqu’il releva la tête pour l’affronter enfin, le sérieux inhabituel arboré par Serguey Diatlov le frappa de plein fouet, lui fit prendre conscience du moment presque historique qu’ils vivaient tous les deux. Les rires autour d’une bière dans un bar bondé lui semblaient loin. Il crut pouvoir humer, par-delà les vitres protectrices, la chaleur caniculaire, le temps passé depuis lors, les odeurs l’ayant accompagné dans cette autre vie. Cette vie qui le voyait encore côtoyer avec régularité Vinzent Henkermann, où il n’avait pas encore fait la connaissance de Lilas Hirsch, où Astaad Sayegh lui demeurait une parfaite inconnue, où il n’avait pas encore plongé Shreveport dans un cauchemar aux miasmes puants. Cette époque le voyant croiser un parfait inconnu, lui aboyant dessus en le prenant pour un profanateur de tombeaux, et dont la préoccupation au beau milieu d’un cimetière résidait en la sauvegarde d’un être vivant qu’il aurait dédaigné, sans lui. Cette preuve de générosité qu’il avait d’abord moqué, ce respect profond de la vie qu’il ne suspectait pas de la part d’un nécromancien le happaient aujourd’hui, et lui inspirèrent une honte tenace, qu’il aurait eu grand-peine à lui avouer. Il l’avait sauvé. De bien des façons. La leçon, gravée pour toujours dans son crâne.
Eoghan Underwood fixait Serguey Diatlov comme s’il le redécouvrait, alors que c’était bien de lui que venait le récit le plus terrible, le plus révélateur sur qui il était en réalité. Il comprit seulement comme la seule idée de perdre cet appui à son tour l’aurait dévasté, et une terreur ignoble rampa au sein de ses entrailles, lui inspirant une douleur réelle, difficile à encaisser.
Et puis.
« Mes épaules sont larges et solides, Eoghan Underwood. »
Ses yeux s’ouvrirent plus grands. Il cessa de respirer, suspendu aux lèvres de l’arcaniste. Le miracle qu’il n’attendait pas se produisait. Il sut qu’il recevrait une absolution précieuse, qui l’aiderait à ne pas se haïr complètement. Car Serguey était un homme bien, avant d’être un vaudouisant. La part humaine qu’il entretenait s’y était attachée. Il n’était pas comme Vinzent. Il pouvait rester lié à la communauté des mortels. Il pouvait vivre auprès d’eux. Il ne se sentait pas obligé de maintenir une distance perpétuelle entre eux et lui. L’injustice que vivait son comparse avec la perte de ses pouvoirs ne lui en parut que plus immense, et son estime comme son affection pour lui augmentèrent encore de quelques crans supplémentaires. Il n’était plus question de seulement l’aider, ou de tenter de le faire renouer avec ce qu’il était. Il devait réussir. Serguey le méritait. Pour la solidité de ses épaules, justement. Pour soulager cet Atlas du poids qu’il portait avec une confiance sereine, une force pas toujours tranquille qu’Eoghan lui enviait, sans la convoiter outre-mesure. Lui, n’aurait jamais eu les épaules.
Le sourire de son ami attira le sien, sans qu’il n’y réfléchisse. Il ne sentait plus la douleur. Au contraire, une sensation doucereuse calmait ses nerfs, lui permit de relâcher une tension dangereuse. Serguey savait. Et Serguey ne partirait pas pour autant. Sa paluche contre son bras suscita un hochement de tête, une approbation sans concession. D’accord.
« C’est réciproque. »
Il y avait peu à dire, après cela. Pourtant, il ne voulut pas que son comparse croie qu’il prenait à la légère ses propos, d’une importance capitale à ses yeux. « Je sais pas si j’suis lucide. Mais on n’est pas ordinaires, non. Et j’ai toujours voulu… faire ce qu’il me semblait juste, pour moi. J’ai souvent éludé la morale. On verra, pour l’avenir. En attendant… » Il se redressa, se réinstalla lentement, confortablement au fond de son siège. « J’vais conduire, t’inquiète. Le jour où j’laisserai quelqu’un conduire ma caisse, c’est que j’serai mort, Diatlov. » Un clin d’œil amical, et une manœuvre effectuée avec la souplesse conférée par l’habitude, le pick-up se dégageant de la place pour retourner plonger dans la circulation. « Allez, j'ai fini d'chialer, c'est bon. J’vais plutôt t’faire voir l’âme de la Louisiane, la vraie. Celle qu’aucun touriste ne pourra tuer. »
Ce besoin de s’éloigner de la ville lui fit rouler plus rapidement que de raison, mais ses réflexes lui permirent de se dégager sans mal des voies principales afin d’obliquer en direction du South. Il connaissait la route par cœur. Les roues aussi, à tel point qu’il aimait plaisanter sur le fait que sa bagnole aurait pu le conduire toute seule vers les bords de rivière. « Je pense souvent au cimetière. » Il ne lui en avait jamais reparlé. « À ce qu’il s’est passé, mais aussi à ce que tu m’as dit. J’ai jamais oublié. Ça m’a aidé, plusieurs fois. Bien après. Et ça m’aidera encore, j’en suis sûr. » Il roulait vite, profitant des voies quasiment désertes en ce début d’après-midi, le cagnard aidant. Une fois sortis de l’enceinte de la ville, les étendues de terre cultivées ou laissées en friche bordèrent le bitume de part et d’autre. Parfois, on pouvait voir des nuages de poussière s’élever dans le lointain, provoquées par les roues d’un autre pick-up, d’une camionnette voire d’un 4x4 longeant les coins encore habités, serpentant sur les sentiers terreux et asséchés par l’astre solaire. « Tu pourras rien faire pour mon ami. Il n’y a que lui… » Que lui, et son orgueil. Il releva légèrement le menton, comme pour parer à la boule restant nichée dans sa gorge, quoi qu’il fasse. « Il ne se laissera influencer par personne. »
Bientôt, la végétation se fit plus dense, les toits plus rares. Les eaux brillantes firent leur apparition, précédant l’embarcadère et la zone où plusieurs véhicules déjà stationnés là laissaient leur carlingue cuire au point de pouvoir faire cramer des œufs sur le plat en moins de cinq minutes sur leur capot. Avec adresse, il déclencha à son tour un nuage de poussière lorsque les roues crissèrent sur les graviers. Il éteignit le moteur et lui lança un dernier coup d’œil. « C’est vraiment cool qu’tu sois là. J’espère que t’apprécieras autant que moi. » Il sauta à terre, récupéra son sac habituel puis, s’assurant que son ami le suive, entreprit de s’approcher de la baraque des pêcheurs. Quelques-uns conversaient dans un des rares coins d’ombre, une clope à la main, une bouteille de bière dans l’autre. Il les salua, déclenchant un sourire et quelques éclats de voix braillards.
« Hey, p’tit ! Bob est déjà parti sur l’eau, tu viens d’le rater. » Le sorcier observa au-delà des têtes de braves types des deux natifs à la soixantaine déjà entamée et à l’accent plus rugueux encore que leur cadet. Il aperçut en effet le bateau de Flingerton s’éloignant à bonne vitesse et afficha une mine bonhomme. « C’est pas grave, j’le croiserai au retour ou plus tard, au pire. » L’un des deux gus au teint rougeaud et au visage fatigué s’attarda sur la stature du Slave, ne cachant pas son admiration. Il poussa un sifflement éloquent. « Tu nous ramènes qui ? » « J’vous présente Serguey. Eux, c’est Sam et Kenny. » Puis, se tournant vers les intéressés : « C’est un ami, un bon gars. J’l’emmène faire un tour dans l’coin. » « Allons bon ! Underwood fait dans l’tourisme maintenant ? » « Naaah. C’est pas un touriste. C’est un vrai, un bon. Un qu’on peut lui faire confiance. » « Aaah j’aime mieux ça. Bienv’nue alors Serguey. Si l’petit dit qu’on peut te faire confiance, alors ça m’va à moi aussi. Si ça vous dit, passez c’soir, on a toujours quelques Old style au frais pour les amis des amis. »
Kenny renchérit : « T’l’f’ras pas prendre la pirogue à c’gaillard là ti ! Prends l’canot ça vaut mieux. » « T’as raison. »
Il rit et chipa la bière de Sam pour lui en voler une gorgée sous son œil outré et faussement mécontent, la lui rendant en esquivant une taloche de justesse. « Salopiot ! T’y touches pas à ma bière ! Décarre d’là avant que j’demande à Bob d’te coller une rouste qui t’fera décoller si haut qu’tu pourras voir l’Texas d’ici ! »
Il ne se fit pas prier, poussant gentiment Serguey vers le ponton, rasséréné par l’échange aussi bref que spontané lui rappelant toujours à ce sentiment d’appartenance précieux en la compagnie des hommes des marais. Il attendit d’être suffisamment éloigné d’eux pour souffler à l’Éveillé. « Ils sont cools. J’les connais d’puis qu'j'vais sur l'eau, ils ont toujours vécu là. T’peux y aller les yeux fermés, ils tenteront toujours de t’donner un coup d’main. J’espère qu’on croisera Bob au retour, ça m’ferait grave plaisir qu’tu le rencontres. » Il rajouta, cette fois en fuyant son regard. « C’était l’meilleur ami d’mon père. Quand il est parti, j’ai passé pas mal de temps avec lui. C’est l’meilleur mec que j’connaisse, j’te jure. Le plus droit. »
Ils grimpèrent les marches de bois, là où l’amarre voyait le canot toquer doucement contre les pilotis à moitié engloutis. Il désigna la pirogue, attachée plus loin. « Comme ils disent on va éviter, hein. Ça va encore quand j’suis seul, mais on sera plus confos sur l’canot. » Il s’accroupit, saisit la corde et tira jusqu’à la rendre parfaitement rigide, et ainsi pouvoir immobiliser l’embarcation solide et dont le moteur leur serait un allié précieux. Il se tourna vers lui, un sourire de canaille aux lèvres.
« Allez, monte. Promis pas d’blague, j’tiens, j’m’en vais pas t’foutre à la flotte. » Par ailleurs, le temps était idéal. L’eau était presque d’huile. Pas un pet de vent. « T’es pas trop flippé, ça va ? J’sais même pas si ça t’arrive d’avoir peur à part des rampants, mais si t’as des appréhensions ou… quoi qu’ce soit dont j’devrais être au courant, c’est maintenant ou jamais. Une fois dans l’bayou, ce sera trop tard pour les réclamations. »
Un sourire de canaille verrouille définitivement le secret entre eux, lorsque le sorcier s'insurge presque à l'imaginer prendre le volant de son si précieux véhicule. Rassuré par ce rebond d'orgueil, l'Estonien se contente de hocher la tête face à cette affirmation, amusé par cette possessivité toute masculine. Tandis que le moteur redémarre, il ne peut s'empêcher de se demander combien d'autres âmes se sont installées sur le siège passager, à converser avec le natif, ou simplement à profiter d'un trajet en sa compagnie. Des amantes ? des amis ? l'étrange vampire qui rythmait certaines de ses nuits ? celui qu'il craignait de ne pas revoir avant sa mort ? Malgré la chaleur, il se surprend à apprécier le confort, non pas celui des matières et de la technologie, mais bien celui d'une amitié qui se façonne tout autour d'eux, aussi solidement que les montagnes ne deviennent avec le temps de véritables composantes géologiques de la Terre. Il savait que cet épisode marquerait à jamais leur histoire, et même si certaines paroles hanteraient encore sa mémoire, il ne douterait jamais de son acceptation. Il avait décidé de comprendre l'intolérable, car il savait pertinemment à quel point un arcaniste pouvait repousser les limites de l'entendable. Faire ce qui semblait juste. Il ferme les yeux, quelques instants nécessaires à effacer de sa rétine le souvenir des corps démembrés et empilés. Pardonnez-moi…
Lorsqu'il les ouvre de nouveau, il perçoit d'ores et déjà les changements de l'environnement qui les accueille peu à peu dans la partie la plus mystérieuse, et à la fois la plus emblématique de la Louisiane. Comme toujours dans ces cas-là, sa curiosité reprenait le dessus sur ses élans bavards, et il se lovait alors dans un silence surprenant pour un gaillard de sa trempe, happé par un décor encore peu familier pour lui. Malgré la moiteur, il choisit d'ouvrir la fenêtre sur la fin du trajet, pour s'imprégner des odeurs et des couleurs, des bruissements de la nature et des cris des animaux qu'il traquait déjà. S'il était d'une nature plutôt citadine, il avait toujours apprécié de côtoyer la nature et de l'explorer dès que l'occasion se présentait, avec respect et humilité car, comme tout arcaniste, il savait se faire petit face à la suprématie des énergies de la terre.
D'un entrain non-équivoque, il emboîte le pas au sorcier, pas mécontent de quitter sa position assise, de délier ses grandes jambes et de rendre active l'exploration tant attendue. Excité comme un gosse, il salue chaleureusement les pêcheurs pour lesquels il ressent une affection immédiate, touché par la modestie et la chaleur humaine qui dégoulinaient des quelques bonshommes installés l'un contre l'autre. Une image qui lui arrache un sourire sincère, suivi d'un grand éclat de rire qui éloignera probablement les poissons-chats des alentours, incapable de cadenasser sa bonhomie face à l'accent tranchant et aux remarques autour de sa carrure. « Merci les gars. J'dois avouer que j'ai hâte de bourlinguer avec c'lui-là. J'ai jamais visité le bayou. Enfin, une fois en fait quand j'suis arrivé dans l'coin, comme un péquenaud de touriste, mais les gars du coin comme vous savent que c'est du menu fretin. C'est pas ça, l'âme de la Louisiane. » Malgré une camaraderie évidente, il hoche singulièrement la tête à l'intention du groupe, et plus particulièrement en direction de Sam et Kenny, puis leur adresse une œillade éloquente suite à la promesse de se désaltérer le gosier au retour de leur escapade. « Noté, pour l'invitation. J'vais tâcher d'survivre, j'ai hâte d'entendre vos histoires. Et vos anecdotes sur l'gamin. » Il ne se sent pas forcé d'user d'un phrasé plus souple et d'un vocabulaire plus familier en leur compagnie, naturellement porté par leur simplicité, même si son accent slave contraste avec celui des natifs.
Après un dernier sourire amène, il suit de nouveau son compère jusqu'au ponton d'embarcation, recouvrant son calme au fur et à mesure qu'ils s'éloignent du baraquement des pêcheurs, les sens de nouveau perméables à cet environnement sauvage et étonnant. Longuement, tandis qu'ils s'avancent vers le canot qui les portera jusqu'au cœur du bayou, ses yeux étudient les formes surprenantes des cyprès, inspirant fortement l'odeur de la mousse espagnole, jusqu'à ce que l'envol d'un pélican ne lui décroche le regard de cette flore majestueuse. Subjugué par le spectacle, bien différent de ses terres natales ou de celles qu'il a pu parcourir pendant ses années militaires, il observe un instant le ciel, avec cette impression étonnamment rassurante de n'être qu'un grain insignifiant parmi cet univers qui ne cessera pas de tourner à leur mort. Puis, son attention converge de nouveau vers le sorcier, occupé à immobiliser le rafiot et il s'en approche, après un regard en biais vers la pirogue. Il pouffe discrètement en s'imaginant prendre place dans une embarcation aussi étroite, amusé par la remarque précédente du pêcheur. « C'est clair que j'aurais jamais tenu là-dedans. Ils sont sympas, tes amis. T'as dû passer de sacrés bons moments, ici. »
Il enjambe solidement le rebord de la barque, puis avance prudemment le temps d'assurer son équilibre précaire, désavantagé par son poids et sa haute silhouette. Les genoux pliés, il courbe l'échine pour rapprocher son centre de gravité du fond du canot, et s'installe calmement à la proue, guettant cette fois les eaux placides qui s'étirent sous eux. « Si ta question concerne les alligators, non, j'flippe pas. Par contre… » Une brise d'inquiétude le traverse et il tourne la tête vers Eoghan, les sourcils légèrement soucieux à l'idée que sa phobie puisse se concrétiser alors qu'ils se trouvent au milieu des marais. « Les serpents… et me mens pas, je sais qu'il y en a, j'me suis renseigné. Ils vont pas grimper sur le bateau, hein…? Ils vont rester sagement là où ils sont, pas vrai ? Parce que si ça arrive… j'crois que j'saute, Eoghan. Te fous pas de ma gueule, je supporte vraiment pas ces saloperies. » Il le regarde avec tout le sérieux du monde, réellement inquiet à l'idée que des rampants puissent prendre d'assaut leur embarcation. Si l'horreur se cristallisait, il savait qu'il serait incapable d'agir de façon raisonnée, et que ses réflexes de survie parleraient pour lui, même si cela devait le pousser à agir de façon absurde et inconsidérée.
Le bois gémit sous lui lorsqu'il remue légèrement, et une longue expiration chasse son angoisse de sa poitrine serrée d'appréhension. « On pourra… j'veux dire, tu m'montreras ? Les racines, les plantes, les ingrédients… ce que t'utilises. Ça m'intéresse. » Un nouveau regard pour l'étendue placide autour d'eux, pour les chênes et la vase, dont l'odeur le revigore plus que ne le contrarie. Sa curiosité nappe à nouveau sa crainte, et il oublie le danger des rampants lorsqu'il s'agit de questionner Eoghan sur ses habitudes, animé par le besoin et l'envie de se nourrir de ses récits, de son expérience. « Tu viens souvent ici ? La nuit, parfois ? » C'est ce que le projecteur installé à côté de lui semblait suggérer. « Et toi ? T'as peur de quelque chose, ici ? Ca doit tout d'même pas être rassurant de se retrouver seul au bord de ton rafiot, dans le noir, face à… » Un silence, tandis que ses sens d’Éveillé tâtonnent, à la recherche des énergies qui circulent dans ces lieux mystiques. Il y avait forcément quelque chose. « Y'a des gens qui vivent dans les marais ? J'veux dire… tout le temps ? » Il imaginait sans mal des arcanistes de tout horizon s'y recharger, mais la possibilité d'établir son fief et de se sédentariser définitivement dans le bayou l'intriguait plus que de raison.
(c) AMIANTE
Eoghan Underwood
ADMIN ۰ Se faire péter la vitrine : bien plus qu'un métier, une passion. Featuring : Dramaking
⛤ SMALLTOWN BOY ⛤
"This is not the right way."
En un mot : Sorcier venimeux ondulé de la toiture. Gosse du bayou.
Qui es-tu ? :
"Let it spread like a disease."
⛤ Maître des arcanes, sorcier à l'essence écarlate. 37 ans de vice (et râles) et de chair corrompue. Manipulateur d'hormones, télépathe patenté.
⛤ Second, bras droit de Circé van derr Ven dans la secte de l'Irae. S'y démarque pour sa loyauté ciselée par les griffes de Morgan Leroy (missing). Mais les failles perlent.
⛤ Incube de Louisiane ; fils de ces terres marécageuses, du bayou poisseux et des routes cahoteuses. Né à Bâton-Rouge, n'a connu que Shreveport et les frontières de son État.
⛤ Né seul homme dans la famille des sorcières irlandaises Mulligan. Privé de père (tué) par la harpie noire : élevé par Sylia Mulligan, descendant du Rouge de sa grand-mère Julianna.
⛤ Cauchemar des femmes ; nourrit sa magie (Rougeoyante) des hormones sexuelles de ses partenaires, ainsi que des émotions primaires.
⛤ Traître à ses passions, criminel et meurtrier de Johanna Andros (missing). Pourfendeur d'amitiés, éternel débiteur, clébard soumis à ses attaches.
⛤ Ne vit que pour les Mardi-Gras de New Orleans ; caresse le rêve de s'y installer un jour dans son propre "shotgun", malgré le fantôme de Katrina.
⛤ Mystique, déchiré entre deux hommes : partagé entre le sorcier et l'humain, entre la sagesse et une ire destructrice. Le latin s'efface sans mal sous l'accent du Sud, coriace sous sa langue.
⛤ Commerçant du Downtown (Crawling life), antre de ses serpents vénérés, lézards et autres reptiles, dont il cède les corps, les soins et les cages de verre.
⛤ Pratique à l'arrière de sa boutique, dans un laboratoire farouchement défendu et protégé par les runes. Recèle secrets et savoirs, expérimentations douteuses et dangereuses.
⛤ Mauvais mentor. L'une de ses apprenties en a subi les conséquences. Guide de Morgane Wuntherson et d'Halina Meyer. Meilleur ami indigne de Vinzent Henkermann et cousin de Shannon Mulligan.
⛤ Pacte tissé avec Scox : Prince démon s'étant dissimulé derrière les brumes de Baal. Immortalité odieusement acquise, âme vouée à obéir et marcher aux côtés des Antiques. 38 ans d'âge réel ; 36 ans d'apparence.
⛤ ENAE VOLARE MEZZO ⛤
"I put a spell on you."
Facultés : ⛤ La Rougeoyante s'infiltre dans les corps et y bouleverse les hormones ; flèche apollonide : distille poison, fléau, mort, mais aussi fièvre rouge saphique. Chaos total.
⛤ Télépathe raisonnable : ne s'infiltre de préférence que dans les esprits des humains misérables. Capable de communiquer en pensée avec quiconque lui ouvre les grilles de son esprit. Savant fou ; capable désormais de connecter sa psyché aux êtres muets, cobras et crotales comme cobayes, corbeaux et autres créatures rampantes.
⛤ Herboriste né, sa maîtrise des potions n'a d'égale que celle de son mentor maternel. Capable d'élaborer des philtres complexes ; créateur infatigable de breuvages en tous genres.
⛤ La Rougeoyante se défend et protège son hôte plus férocement qu'elle n'attaque : limitée par la nécessité d'un contact physique. Sorcier doué au corps-à-corps, secondé par son aisance au maniement d'athamés et autres lames rituelles.
⛤ Chercheur d'artefacts, quémandé des Longue-Vies : détisseur de leurs malédictions et autres mauvais sorts.
Thème : The Way ⛤ Zack Hemsey.
⛤ VENGEANCE ⛤
"Before I die alone."
Pseudo : Nero
Célébrité : Ian Somerhalder.
Double compte : Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque, Ian C. Calloway & Gautièr Montignac.
Avec une affection contenue, le sorcier regarda le colosse prendre place au milieu de la frêle embarcation, toutefois largement susceptible de soutenir son poids et sa carrure. Ce n’était pas la première fois qu’il assistait à l’aisance étonnante, malgré la corpulence de Serguey, de ce dernier aussi à l’aise pour grimper en éclaireur au sommet d’un arbre que pour se risquer à pénétrer dans les recoins les plus secrets du South. On sentait l’habileté de l’ancien militaire, entraîné pour progresser sur n’importe quel terrain, du plus familier au plus hostile. Ce détail curieux conférait un brin de charisme supplémentaire à son ami, et il eut du mal à retenir une pique à la fois taquine et révélatrice de son admiration pour cela. Les questions pleuvaient, de l’autre côté. Au point qu’Eoghan ne put cette fois s’empêcher de laisser un rire éclater. Un rire soulagé, compte tenu de la pression délestée, de ce sentiment délicieux : celui d’être redevenu léger, presque pareil au gamin que Bob Flingerton emportait avec lui, au fil de l'onde terreuse. Il se laissa choir à son tour au creux du canot, lui préférant la poupe, et fit démarrer le moteur d’un mouvement ample et sec. Son sourire éclata, révélant son impatience de l’emporter loin à son tour, lui aussi. Il éleva la voix pour se faire entendre.
« Relax, Serguey… On va s’éloigner un peu, okay ? »
La main sur la barre, l’embarcation s’ébranla pour prendre la direction du réseau tortueux constituant les bayous de Shreveport. Il balayait du regard les berges, comme l’on prenait l’habitude d’observer un paysage quotidien, cherchant moins à en découvrir les aspects nouveaux qu’à s’assurer au contraire de l’intangibilité des lieux, du bon déroulement des saisons, de la fréquentation de la faune : sauriens, volatiles, insectes, au même titre que les millions de créatures peuplant la nature des environs. Sous eux, les eaux calmes conservaient farouchement leurs secrets : un œil humain aurait cherché en vain à percer leurs mystères insondables. À tout moment, un esprit trop fantasque aurait pu s’attendre à en voir émerger le museau d’un alligator, la main d’une sirène réveillée, ou tout autre monstre marin ou issu du vaste folklore de la Louisiane. Le canot traçait une ligne droite, à équidistance des deux rives. Le bras de la rivière était large à cet endroit, mais pas encore autant qu’au confins des noeuds aqueux de la Nouvelle-Orléans. Afin de ne pas angoisser trop longtemps l’Estonien, le sorcier entreprit de frapper gentiment à la porte de son esprit.
« Ce n’est que moi. »
Les yeux dans le vague quelques instants, il se concentra sur la paroi du mental en face du sien, comme l’on ferait passer un fil dans une aiguille ; intrusion délicate, évitant soigneusement de toucher tout ce qui ne concernait pas leur échange de maintenant. C’était un travail exigeant une précision, une discrétion ainsi qu’un doigté tout particulier. Il adorait se fondre ainsi aux abords de l’intimité d’un ou d’une autre, obtenir les faveurs d’une place privilégiée, gardien et sentinelle de ces cerveaux amis et confidents. Ils n’auraient plus à ouvrir les lèvres, entièrement, en permanence tournés l’un vers l’autre, s’émouvant ou discutant ensemble avec infiniment plus de spontanéité. De son point de vue, et de cette façon, les mots venaient plus aisément. Plus honnêtement, aussi.
« J’ai passé certains des meilleurs moments de ma vie, en ces lieux. » Il projeta aussitôt les visages amis des sempiternels pêcheurs ou habitants de ces zones parfois maudites par les éléments, changées en masses tourbeuses, dangereuses pour qui n’avait pas le pied ou la patte sûrs. Bien évidemment, il lui montra le visage buriné et facilement rieur de Bob, émaillé de deux billes dont la couleur évoquait les cieux d’hiver russes. Kenny, Sam, Jon, Tony, Thomas, Ansel, Hans, Klaud et tous leurs gosses, pères, frères, femmes, amis, sœurs et mères dont les pas avaient été acceptés par les marais au fil des générations. Il prit le temps de lui faire partager le bonheur que lui conférait le savoir de leur seule existence. Sans qu'il n'ait pu s'en douter, il le rejoignait ainsi sur l’idée qu’ils étaient dérisoires, dans cet univers forgé trop vaste pour eux. Il trouvait rassurant le déroulement de vies sans accrocs autres que ceux dont on serait en droit de s'attendre, et dont il n’avait jamais craint la routine déprimante. Au contraire. La routine était une forme de luxe, un moment de pause autorisant les hommes à rêver, à réfléchir, à concevoir des projets autres que ceux qui les avaient tenus jusqu’alors. La routine, c’était l’assurance que l’argent rentrerait dans les caisses, que les petits iraient à l’école demain, gagneraient la chance de construire leur propre avenir, que la pluie ne tomberait pas si fort, que le soleil ne taperait pas si dur, que le poisson chat mordrait à l’hameçon, que la chaîne alimentaire régulerait la vie et la mort des animaux plus ou moins bienveillants rôdant autour des baraques. « Il existe encore quelques communautés oui, comme tu peux le voir. »
De son index comme d’une pichenette psychique, il incita Serguey à tourner la tête. Les herbes folles bordant la terre ferme, leurs pointes baignant sans cesse dans l’eau croupie, composaient les perrons de petits bungalows fragiles ou plus solides. Sur le bois usé près des portes d’entrée, des rocking-chairs ou d’antiques chevaux à bascule se mêlaient avec une harmonie émouvante dans ces tons de vert ou de bruns. Un groupe de gosses cavalaient autour de deux femmes profitant de la chaleur écrasante pour faire sécher de vieux draps sur la corde élimée d’un étendoir de fortune. Des chiens aboyaient à leur passage, faisant gueuler leurs propriétaires presque machinalement pour les faire taire. Ils croisèrent une embarcation de pêcheurs en sens inverse, dont les occupants leur adressèrent un signe amical, la peau brûlée par les rayons, mais la mine réjouie par une moisson satisfaisante en crustacés. « Certains disent que dans cinquante ans, la vie ne sera plus possible dans les bayous, pour les hommes. Je n’y crois pas. Je veux croire que ces gens resteront là. Depuis presque trois cent ans la Louisiane nous en fait baver. Pourtant, les gars des marais sont toujours restés là. Ils ont accepté leur sort, la fatalité. Chaque tempête, chaque ouragan, la moindre crue. Parfois, des enfants meurent. » Il ne put éviter l’image du gosse blafard, livide, retrouvé au terme de nombreuses heures de recherche et ramené aux siens le même jour que sa rencontre avec Hena. Hena qui l’attendait à l’embarcadère avec la même patience que toutes les épouses des gars du cru. « Parfois, les maisons sont détruites. Tout est perdu. Pourtant, jamais nous ne cessons de reconstruire. Nous survivons, parce que nous savons que rien ne sert de fuir ni de redouter ce qui, tôt ou tard, arrivera. »
Son cœur gonflait d’un amour profond pour eux, pour tous ces inconnus dont il avait déjà miré les traits au moins une fois, croisé par hasard, repéré de visu. Ses lèvres détendues esquissaient un sourire de joie pure, et il naviguait avec un bonheur irrépressible, abandonnant les traits d’une écume modeste derrière eux, au fur et à mesure que ces habitations de fortune diminuaient en nombre, de plus en plus disséminées dans l’écrin d’un émeraude presque criard. « Bien sûr que j’ai peur. J’ai peur des alligators. Quand j’étais gosse j’suis tombé à la flotte une fois. J’ai eu la peur de ma vie, je pense. » Son sourire s’accentuait, à cette pensée. Il se souvenait, se revoyait pleurer, recroquevillé dans les bras de sa mère, tétanisé en repassant à l'obsession dans sa tête le fantasme redouté : celui de sentir la pression terrifiante des mâchoires du reptile se refermer sur sa jambe ou son bras. « Pourtant, je les aime beaucoup, au fond. Ils sont indispensables, par ici. Ils régulent. Mais oui… J’en ai la trouille. C’est bien, quand même. La peur, ça t’permet de pas faire n’importe quoi quand tu t’aventures là-dedans. Ça t’oblige à rester humble, tu comprends ? »
Il les fit virer, choisissant un bras plus étroit. Il leva les yeux vers le ciel bleu, découpé par les centaines de feuillages qui, tous ensemble, concoctaient une sorte de toile bariolée d’ombre, les protégeant davantage de la chaleur implacable. « Autrement, bien sûr que le bayou pullule de serpents. L’une des espèces que tu rencontreras le plus, c’est les mocassins d’eau. Les cottonmouths. On les appelle comme ça parce que, quand ça te mord, leur venin te fout mal au point que t’as l’impression d’avoir une balle de coton dans la bouche. C’est assez mauvais, c’est clair. Pour autant, t’as aucune chance de les voir grimper là-dedans. Ils sont trop occupés à chercher comment copuler à cette époque de l’année, de toute façon. Aucun risque, tu vois ? » Le sourire toujours dans cette voix muette rassurant la montagne de muscles, il coupa le moteur. Alors, les stridulations des insectes leur sautèrent à la tête, et leur mélodie immémoriale emplit tout l’espace, débarrassé enfin des grondements du canot. Il dégaina l’une des pagaies, n’en proposant pas une deuxième à Diatlov. Les rares fois où il s’était fait guide ici, il n’avait jamais voulu imposer cette contrainte à ses passagers. « Je suis déjà venu la nuit, oui. Une fois avec Yago, pour chercher un artefact. Une autre fois pour chercher l’enfant qui avait disparu. Et puis la troisième… On peut dire que c’était un accident. » Il se mit à pagayer, les paumes et les bras solides, s’aidant du courant léger mais suffisant pour lui épargner d’avoir à forcer pour les faire progresser sans contrainte. « Je m’étais laissé dériver trop loin, il y a quelques mois. J’avais pas trop le moral à l’époque. C’était à peine trois mois après Halloween. J’ai atterri dans une portion du bayou où vaut mieux pas aller. J’me suis fait attaquer. Mon canot a été détruit, et j’ai passé la nuit ici, sans aucun moyen de communication ou de rejoindre le ponton. » Il poussa un soupir, frissonnant doucement d’appréhension au souvenir de ses déambulations, les vêtements humides frottant et distillant contre sa peau une fraîcheur désagréable menaçant de miner sa volonté de s’en sortir. « Bob a fini par me trouver, le lendemain. J’ai réussi à passer la nuit, tout en essayant de remonter vers le Nord, en me repérant comme je le pouvais. Il a ratissé le bayou Carouge et il a fini par me trouver. Il savait que ce n’était pas normal, si je n’étais pas rentré sans prévenir un tant soit peu. »
Deux ratons laveur se poursuivant l’un l’autre se firent voir entre deux broussailles, amusant le sorcier qui ne les portait pourtant pas spécialement dans son cœur. « Tout peut basculer tellement vite, ici. Il suffit que la méteo fasse des siennes, qu’une bestiole te prenne en chasse ou que tu fasses une mauvaise rencontre… Seul, c’est toujours un peu périlleux. C’est une question d’habitude. Mais la solidarité entre nous tous paye pas mal, tu vois ? » Optimiste, il donna un coup de pagaie un peu plus vigoureux et conclut enfin : « Dès que tu te le sens on pourra accoster si tu veux, oui. J’te montrerai un peu la flore. J’savais pas que ça te branchait. Toi aussi tu t’y connais en herboristerie et en potions ? »
C'était le moment qu'avait choisi sa pudeur pour resurgir. Sans crier gare, la vicieuse s'était interposée dès lors que l'esprit du natif avait gratté à la porte de celui de l'Estonien. Érigée comme une digue inébranlable, elle s'était aussitôt délogée des méandres de sa conscience pour s'interposer, ultime rempart avant que le colosse ne cède à l'intimité d'un tel échange. Zone interdite. Terrain miné. Demi-tour, sorcier. Il y avait des endroits où il valait mieux éviter de s'aventurer, même pour quelqu'un d'aussi chevronné qu'Eoghan Underwood. Ou était-ce seulement l'ultime soubresaut d'un mental éreinté et terrorisé ? La peur rendait-elle vraiment humble, comme le prétendait son acolyte ? Ou fragilisait-elle les êtres dans le creux des moments les plus cruciaux de leur existence ? Le slave s'était détourné de sa nature profonde depuis trop longtemps pour apporter une réponse à cette question. Il ne sait ce qui le retenait d'éprouver une envie rougissante à l'égard de l'arcaniste, face à cette facilité déconcertante avec laquelle il entrait ainsi en communication avec lui, d'une manière bien plus intime que par un échange charnel. Lui doutait d'être capable d'un tel rapprochement, et même s'il était conscient que son imperméabilité risquait de gâcher la sereine fusion de l'instant, c'était plus fort que lui : son esprit faisait de la résistance. Et cela lui faisait mal, un mal de chien, comme une blessure redécouverte et béante, une cicatrice ouverte qui bavait sous le soleil.
Putain… Il s'en voulait, Serguey, d'être aussi hermétique face au partage et à la communion proposée par le sorcier. Il s'en voulait, car il savait que l'obstruction brandie par sa conscience, empêchant l'ami d'accéder aux limbes, était si épaisse et si détestable qu'elle ne passerait certainement pas inaperçue, aux sens de celui qui tentait de communiquer avec silence et bienveillance. Respire. Fais un effort. Ce n'est que lui. Ses jointures en avaient blanchi, à force de se serrer autour du bord de la barque. Si un mocassin d'eau était apparu dans son champ de vision en cet instant, il ne l'aurait même pas remarqué. Aussi crispé qu'une jouvencelle sous les premières caresses amoureuses, sa respiration se saccade au creux de sa poitrine cadenassée. Il lui faut déployer toute une batterie d'efforts surnaturels pour se détendre, et se convaincre qu'il ne s'agissait nullement d'une intrusion, et que son intégrité ne serait pas menacée. Ça va pas faire plus mal que d'habitude. T'es déjà cassé, de toute façon. Alors, lentement, la psyché recroquevillée s'assouplit avec peine, se défait de sa rugosité initiale pour laisser approcher la main confiante qui se tend vers elle. Encore méfiante, elle roule du dos, et c'est avec une sensibilité particulièrement dissonante avec l'assurance qui se dégage de lui qu'il accueille finalement le sorcier.
Les vagues d'images et de visages inconnus se déversent par bribes, tressautent en passant par le tamis d'un esprit exigeant, qui s'efforce de contrôler comme il le peut le passage des informations délivrées. Unilatéral, l'échange se résume à lui comme réceptacle aux multiples couches protectrices, face au Louisianais qui évolue dans son élément, probablement habitué à ce genre d'exercice. Ce n'est que par respect pour lui qu'il ne l'éjecte pas brutalement hors de sa tête, et également par agacement de ne parvenir à se comporter normalement, comme deux frères d'arcanes devraient le faire. L'air s'échappe péniblement de sa poitrine tandis qu'il prend sur lui pour affronter les confessions silencieuses, le partage de souvenirs qu'il tâche d'apprécier à leur juste valeur, mobilisant toute son énergie pour éveiller de nouveau son insatiable curiosité.
C'est au creux de cette sensation inconfortable qu'il s'efforce de s'imaginer, parmi ces habitants excentrés, à vivre une existence qu'il se refusait depuis trop longtemps. A la lisière de la nature, aussi capricieuse et imprévisible soit-elle, tout semblait plus simple. Comme Eoghan, il se surprend à espérer que le bayou ne deviendra jamais complètement hostile à la présence humaine. Au fond de lui, il croyait pressentir que l'entité avait elle aussi besoin des Hommes, que l'une comme les autres pouvaient mêler leur essence, sans dissonance. Pourquoi Eoghan n'avait-il pas cédé à l'appel d'un tel quotidien ? Il voudrait le lui demander, mais les mâchoires de son mental demeurent d'acier, incapables de se desserrer pour répondre aux sollicitations. Encore farouche, il se contente de réceptionner passivement les histoires contées, confiées sans crainte, contrairement à la résistance menée sur son propre front. Une nuit livré à lui-même dans le bayou ? Était-il sorti plus fort, plus riche de cette expérience, passée la terreur initiale ? Encore une question qu'il ne lui poserait pas, se refusant de craqueler le silence, mais tout aussi incapable de s'ouvrir suffisamment pour initier la réciprocité réclamée. La peur, ça empêche de faire beaucoup de choses, Eoghan. Surtout quand ça étouffe tout le reste.
Ses yeux se perdent dans la contemplation des cabanes et des éclats de vie, dont il se sent misérablement éloigné, spectateur impuissant. Je suis de passage. De passage à l'horizon de l'existence des pêcheurs, de passage dans ce lieu chargé de puissance et saturé de magie. Le bayou ne veut pas de moi. Un haut-le-cœur le prend lorsqu'il cerne l'évidence. Putain, Eoghan, j'ai pas le droit d'être ici. Les marécages hurlent, lorsque le moteur se coupe. Comme si faune et flore s'alliaient pour chasser l'importun, pour que le bayou puisse dégueuler l'intrus et le repousser à l'extérieur. Je suis indigne de lui. Au creux de la tourmente, il réalise qu'il a passé trop de temps à se perdre parmi ces univers citadins, à se couper de sa nature profonde pour ne pas se confronter au silence intérieur. Un silence auquel la télépathie initiée le renvoyait fondamentalement, ainsi qu'à cette impuissance dont il ne parvenait à se dépêtrer. La solidarité des locaux évoquée ne peut que s'opposer à sa propre solitude, son isolement de toute communauté. Il n'était qu'un faux sociable, un homme qui passait son temps à se mentir à lui-même au creux de la foule. Un imposteur.
En cet instant, il ressentait cette mélancolie qui caractérisait parfois Anastasia Diatlova, une proximité qu'ils ne partageaient que rarement, en dépit de la distance géographique qui les séparait. Cette passivité face aux événements couplée à cette résignation, un murmure au fond de l'être, qu'ils n'appartiendront jamais plus véritablement au reste du monde. Une indicible douleur, sans rien pour la panser. Le silence lui devient insupportable. Il voudrait bien lui cracher qu'à une époque pas si lointaine, lui aussi confectionnait des potions et autres remèdes. Après tout, il était un arcaniste lui aussi, n'est-ce pas ? Mais sa colère n'aurait dupé personne. Cette fois, la barrière mentale s'érige et déferle contre l'esprit d'Eoghan, et d'une poussée herculéenne, l'éjecte loin, très loin du creux de sa conscience. Un souffle presque surnaturel qui le recroqueville, l'échine courbée, honteux de ne pas avoir été capable de supporter la communion. De ne pas avoir été à la hauteur, une fois encore. Dos à lui, il n'en mène pas large : le souffle court peine à être contenu, et il a l'impression d'encrasser la sagesse des lieux.
« J'y arrive pas, putain… j'peux pas faire ça… » S'ils n'avaient pas été entourés d'eau, il serait descendu sans hésiter, pour s'arracher à cet échec et se faire oublier. Il aurait marché, couru pour faire taire la douleur. Mais rien ne l'aurait calmé, en réalité, et inconsciemment, il s'était rapproché du sorcier et son poing de fer s'était refermé autour de son poignet. Il avait serré à lui en briser l'articulation, le faisant relâcher une des rames, les yeux tremblants de rage et d'émotion de ne pas se sentir le bienvenu en ce lieu qui avait accueilli parmi les plus beaux souvenirs d'Eoghan Underwood. « Le bayou, il veut que je parte. J'le sens. Ça me… déchire, dedans. J'suis une aberration, ici. J'peux pas… faire ce que tu voulais qu'on fasse. Être… si intime, si… moi-même. J'ai oublié comment faire. J'te demande pardon, j'suis… pas comme toi. J'ai passé trop de temps à me tenir à l'écart, loin de tout ça, j'crois que… » La douleur est vive lorsqu'il revient sur les propos qu'il lui avait pourtant tenus avec tant d'assurance, dans la voiture, après les confessions de son acolyte. « … j'crois que j'suis redevenu un homme, sans rien d'autre que mes os et ma sueur. Ce qu'il me reste de magie, ça me sert juste à me rappeler que j'ai rien à foutre dans ce genre d'endroits, parce que j'l'ai bafouée. J'suis pas humble, en tout cas j'l'ai pas été avec elle. J'ai été orgueilleux, et j'en paie le prix depuis des années. » Il s'en veut de briser le silence, mais il se persuade d'être incapable de communiquer autrement avec lui. Ou peut-être s'en empêche-t-il, réfugié dans des convictions enracinées depuis presque dix ans. Des convictions que même les confessions d'Eoghan n'avaient pu détruire. Il était détestablement revêche à la bienveillance du sorcier et aux sollicitations de son semblable à l'accueillir dans son univers. Enfin, son buste pivote pour offrir au natif le loisir d'observer ce visage fendu de douleur et de culpabilité, les prunelles striées de cette invincible rage envers lui-même, contre laquelle il luttait depuis bien trop longtemps. « J'me sens minable, ici, avec toi. Un corps étranger, une greffe qui ne prendrait pas. Tu comprends ? » Il le lui répète, la voix brisée par l'amère fatalité. « J'ai pas le droit d'être ici. »
(c) AMIANTE
Eoghan Underwood
ADMIN ۰ Se faire péter la vitrine : bien plus qu'un métier, une passion. Featuring : Dramaking
⛤ SMALLTOWN BOY ⛤
"This is not the right way."
En un mot : Sorcier venimeux ondulé de la toiture. Gosse du bayou.
Qui es-tu ? :
"Let it spread like a disease."
⛤ Maître des arcanes, sorcier à l'essence écarlate. 37 ans de vice (et râles) et de chair corrompue. Manipulateur d'hormones, télépathe patenté.
⛤ Second, bras droit de Circé van derr Ven dans la secte de l'Irae. S'y démarque pour sa loyauté ciselée par les griffes de Morgan Leroy (missing). Mais les failles perlent.
⛤ Incube de Louisiane ; fils de ces terres marécageuses, du bayou poisseux et des routes cahoteuses. Né à Bâton-Rouge, n'a connu que Shreveport et les frontières de son État.
⛤ Né seul homme dans la famille des sorcières irlandaises Mulligan. Privé de père (tué) par la harpie noire : élevé par Sylia Mulligan, descendant du Rouge de sa grand-mère Julianna.
⛤ Cauchemar des femmes ; nourrit sa magie (Rougeoyante) des hormones sexuelles de ses partenaires, ainsi que des émotions primaires.
⛤ Traître à ses passions, criminel et meurtrier de Johanna Andros (missing). Pourfendeur d'amitiés, éternel débiteur, clébard soumis à ses attaches.
⛤ Ne vit que pour les Mardi-Gras de New Orleans ; caresse le rêve de s'y installer un jour dans son propre "shotgun", malgré le fantôme de Katrina.
⛤ Mystique, déchiré entre deux hommes : partagé entre le sorcier et l'humain, entre la sagesse et une ire destructrice. Le latin s'efface sans mal sous l'accent du Sud, coriace sous sa langue.
⛤ Commerçant du Downtown (Crawling life), antre de ses serpents vénérés, lézards et autres reptiles, dont il cède les corps, les soins et les cages de verre.
⛤ Pratique à l'arrière de sa boutique, dans un laboratoire farouchement défendu et protégé par les runes. Recèle secrets et savoirs, expérimentations douteuses et dangereuses.
⛤ Mauvais mentor. L'une de ses apprenties en a subi les conséquences. Guide de Morgane Wuntherson et d'Halina Meyer. Meilleur ami indigne de Vinzent Henkermann et cousin de Shannon Mulligan.
⛤ Pacte tissé avec Scox : Prince démon s'étant dissimulé derrière les brumes de Baal. Immortalité odieusement acquise, âme vouée à obéir et marcher aux côtés des Antiques. 38 ans d'âge réel ; 36 ans d'apparence.
⛤ ENAE VOLARE MEZZO ⛤
"I put a spell on you."
Facultés : ⛤ La Rougeoyante s'infiltre dans les corps et y bouleverse les hormones ; flèche apollonide : distille poison, fléau, mort, mais aussi fièvre rouge saphique. Chaos total.
⛤ Télépathe raisonnable : ne s'infiltre de préférence que dans les esprits des humains misérables. Capable de communiquer en pensée avec quiconque lui ouvre les grilles de son esprit. Savant fou ; capable désormais de connecter sa psyché aux êtres muets, cobras et crotales comme cobayes, corbeaux et autres créatures rampantes.
⛤ Herboriste né, sa maîtrise des potions n'a d'égale que celle de son mentor maternel. Capable d'élaborer des philtres complexes ; créateur infatigable de breuvages en tous genres.
⛤ La Rougeoyante se défend et protège son hôte plus férocement qu'elle n'attaque : limitée par la nécessité d'un contact physique. Sorcier doué au corps-à-corps, secondé par son aisance au maniement d'athamés et autres lames rituelles.
⛤ Chercheur d'artefacts, quémandé des Longue-Vies : détisseur de leurs malédictions et autres mauvais sorts.
Thème : The Way ⛤ Zack Hemsey.
⛤ VENGEANCE ⛤
"Before I die alone."
Pseudo : Nero
Célébrité : Ian Somerhalder.
Double compte : Sanford R. De Castro, Aliénor Bellovaque, Ian C. Calloway & Gautièr Montignac.
Eoghan Underwood avait retrouvé un peu de ce bonheur qu’il ne pouvait cultiver en paix qu’une fois bercé par la rivière. Le cœur gonflé d’une reconnaissance sans faille procurée par la nature environnante, il ne s’était pas formalisé ni alarmé plus que cela de la légère résistance que lui opposait Serguey. La télépathie était un art complexe, et tous ne pouvaient y réagir de la même façon. De par sa personnalité rugueuse, son orgueil à l’image de sa carrure et ce besoin maniaque de contrôler les choses comme les interactions, le Slave n’était pas le candidat le plus aisément réceptif à ce qui pouvait être considéré comme une intrusion particulièrement désagréable. Le sorcier en avait conscience, malgré ses précautions. Toutefois, la bonne volonté dont son destinataire avait fait preuve l’avait incité à ne pas se retirer, à profiter de ce qu’il considérait en effet être un échange privilégié, une énième preuve de confiance et, surtout, de respect. Jamais il n’aurait pu soupçonner la violence ressentie par son ami. Jamais il n’aurait pensé que par cet acte effectué avec les meilleures intentions du monde, il se changerait en son bourreau personnel. Il fallut le silence à la question posée, le temps mort étonnant compte tenu de leur récent rapprochement, et surtout la puissance du rejet, pour que l’arcaniste comprenne. Là où il parvenait à transfuser ses pensées au travers de la mélasse défensive, la matière malléable s’était brutalement changée en mur d’un béton imprenable. Comme une porte qu’on venait de lui claquer au nez, il éprouva un mouvement de recul irrépressible, battit des paupières, et sentit le myocarde rater un battement.
« J'y arrive pas, putain… j'peux pas faire ça… »
Il resta en alerte, décontenancé. Il cessa de pagayer, laissant le courant travailler à sa place. D’un bref coup d’œil, il s’assura que personne ni aucun animal ne se trouvait à portée de voix dans l’écrin de verdure. Puis, ses épaules s’affaissèrent, et il se tint plus attentif que jamais, incapable de prédire à l’avance quel mal-être venait de frapper subitement le vaudouisant. Il siffla entre ses dents, et le bois de la rame cogna à ses pieds. Il fixa son poignet broyé par la poigne de titan de Serguey Diatlov, sans faire mine de vouloir s’en débarrasser. Il encaissa la douleur, déterminé à la supporter autant qu’il le faudrait, et surtout jusqu’à ce que le mystère d’une telle réaction se soit éclairci. Le visage séduisant du colosse fendit quelque chose en lui, lorsqu’il se retourna dans sa direction. Dévasté par sa peine comme par ses paroles, il ne put en premier lieu lui répondre que par une dénégation convaincue, secouant gentiment la tête sans grand espoir de l’apaiser, tout d’abord. Il faudrait bien plus que ça.
« Serguey. »
Maintenant, c’était à son tour. Serguey l’avait soutenu, dans l’habitacle. Il avait accepté ses confessions, le poids du secret. Il lui était redevable. Même sans cela, il se serait porté au secours de son comparse éveillé, tant il ne supportait pas cette conviction intolérable faisant trembler la pomme d’Adam d’une émotion douloureuse. « C’est peut-être le moment… le moment de commencer à parler de ce qui va pas. De ce qui fait qu’elle est coincée… » Il ne fit pas mine de retirer son bras. Malgré la pression pénible pour l’articulation, il le lui abandonna sans regret. Son timbre se fit solide. Aussi solide que les épaules de Diatlov l’étaient. « Tu n’es pas une aberration. Tu es… tu es un pratiquant blessé, c’est tout. Le bayou n’a rien à voir là-dedans. Et puis pourquoi est-ce qu’il voudrait que tu t’en ailles, hein ? » Il se pencha vers l’avant, posa un genou contre le fond du canot, se rapprochant encore de lui. Il voulait soutenir ses prunelles des siennes. Il voulait que Serguey s’y raccroche, de toute ses forces s’il le fallait. « C’est ça qui te fait peur ? L’intime ? C’est de creuser à l’intérieur pour voir ce qui ne va pas ? » De la part de ses paumes rougeoyantes, les sèmes auraient pu semer le doute, quant à leur potentielle malice. Il n’en fut rien. Serguey n’était pas un vulgaire cowan. Serguey était un frère thaumaturge. « Tu manies le rouge. Comme moi. Tu sais ce que nous sommes. Tu sais que nous fouillons au-delà même de l’intime. C’est ce que nous faisons. Ce pourquoi nous avons été disciples. Ce pourquoi nous sommes nés. » De sa dextre, il aurait aimé le toucher pour lui faire profiter de la murène ronronnant partout en lui, mais il craignait l’inquisition de trop. Il se tint sage, bien que pas moins déterminé. « Un homme… Un homme lambda juste fait d'os et de sueur, aurait été incapable de me repousser comme tu viens de le faire. Et ma télépathie est puissante. Tu es fort. J’en suis certain. Et ne crois pas que je vais te laisser renoncer aussi facilement. » Il en ferait une affaire personnelle. Il convoquerait tous les acteurs possibles, s’il le fallait. Il parviendrait, au moins un peu il l’espérait, à faire progresser le colosse sur la voie d’une guérison tangible.
« J’dis pas que ce sera facile. Ce sera sûrement l’une des épreuves les plus ignobles que tu auras jamais eu à affronter. Mais rappelle-toi de ce que tu viens de me dire, Serguey… Moi j’crois en toi. Et… je suis certain que tu mérites pas c’qui t’arrive. »
Il reprit son souffle, habité par ces encouragements dont aucune syllabe n’était factice. L’onde les maintenait prisonniers et le sorcier se prit à penser que ce n’était peut-être pas par hasard. Au beau milieu d’un bras encore large, pas question de fuir une remise en question sensible, mais primordiale pour l’évolution de l’Estonien. Ils resteraient là ensemble, aussi longtemps qu'il le faudrait. Ils avaient tout leur temps. Littéralement, toute la journée. « Alors creuse… Je comprends que tu sois effrayé, mais tu dois le faire. Tu dois m'expliquer. Aide-moi à comprendre ce que tu veux dire par… avoir bafoué ta magie. S’il te plaît. » Sans faire usage de ses dons, il ne put résister au besoin d’agripper son épaule, plantant gentiment le bout de ses doigts contre la musculature impressionnante de celui qu’il considérerait toujours être une véritable force de la nature. « Tu n'es certainement pas un minable, je ne te laisserai pas dire ni penser ça. Et puis de l’orgueil, on en revient toujours. L’orgueil fait partie intégrante de notre race. Nous sommes tombés et nous nous sommes relevés mille fois au cours de notre Passé, et quoi d’autre que l’orgueil pour nous permettre de redresser l’échine et de parvenir à préserver notre savoir ? Nous sommes les grands oubliés de l’Histoire. Y’a pas de commémorations, pour nous. Pas d’hommages nationaux. Y’a qu’notre putain de mental, nos ancêtres et nos grimoires pour nous rappeler de ce que nous sommes. D’où on vient. » Son visage était empreint d’une ardeur quasi-tellurique. C’était toute la résilience chtonienne d’Eoghan Underwood qui cherchait à rattraper les espoirs déchus de Serguey Diatlov. Cet héritage bousillé par les flammes de l’Église, tous les exodes forcés et connus de par le monde par les populations Éveillées depuis la nuit des temps, voilà qu’il paraissait vouloir les porter en son sein. Il ne prétendait pas vouloir devenir le moindre étendard, un porte-drapeau de pacotille. Mais il n’y avait qu’un seul adage pour rendre l’arcaniste solidaire de tous ses frères et sœurs de magie, et ce qu’importe leur couleur, leur clan, leurs crimes. Son souffle frémit, à quelques centimètres du sien, lorsqu’il articula le précepte éternel.