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A brush of kindness can paint a smile on a face (ft. Emily)

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Anonymous
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Mer 21 Sep - 23:01 (#)

A brush of kindness can paint a smile on a face





F
in de l’après-midi, les rues de Western Hill fourmillent de monde. Des étudiants ayant fini les cours, pour la plupart, et rentrant studieusement chez eux. Ou allant moins studieusement dans leur bar préféré pour se jeter une bière entre potes. Les hauts immeubles du quartier détonnent par rapport aux anciennes bâtisses cossues du centre de Downtown. Ici, tout semble plus grand, plus vaste, à l’image des grandes métropoles du pays. Le quartier des affaires, où les cols blancs fréquentent les universitaires sans que les deux mondes ne paraissent jamais se mêler. Ici, les gens sont moins humains : ils marchent vite, ne sourient pas, ne saluent pas les passants croisés. Je contraste pas mal avec l’ambiance grisâtre et élégante, avec ma démarche à la cool, mon sourire enjoué et ma chemise au col ouvert sur le haut de mon torse.

Mais je ne suis pas là pour du tourisme. Ni pour les affaires (enfin, pas que). Je suis là pour le plaisir, pour la découverte, pour l’art. J’ai été rencardé sur une galerie qui accueille une exposition de jeunes artistes débutants qui ne se sont pas encore fait de vrai nom dans la cité de Shreveport. Un petit rassemblement de génies et de ratés en recherche d’attention, méritée ou non. Et je sais que c’est dans ce genre d’endroit que l’on peut trouver la perle rare, l’avenir de la peinture louisianaise, des graines d’artistes en herbe qui ne demandent qu’à percer le dur sol rocailleux de la célébrité. La galerie en elle-même, je la connais pour m’y être rendu à plusieurs reprises pour des expositions plus prestigieuses, seul ou en bonne compagnie. J’ignorais jusqu’ici que l’endroit offrait sa chance aux néophytes : c’est pourtant une fort bonne chose.

L’Ice Ivy Galery se dévoile au détour d’un building. Sa façade entièrement vitrée, reconnaissable entre mille, laisse entrevoir les curiosités exposées à l’intérieur. Peintures, sculptures pour la plupart attestées par les patronnes de l’endroit. Des amoureuses des arts, elles aussi. Poussant un soupir d’aise, je fais une pause devant la galerie avant d’en pousser la porte, prêt à me laisser submerger par les émotions appliquées à une toile. Quelques regards ponctuent mon entrée : ma stature fait toujours cet effet-là, où que j’aille. Je n’y prête guère attention, et répond d’un salut de tête poli aux yeux curieux. Coupes de champagne à la main, les mécènes causent aux artistes, les clients potentiels repèrent leur prochain investissement, et les amoureux des couleurs errent et badaudent entre les tableaux. L’ambiance est paisible, respirant une modernité à la fois sobre et accueillante.

Je me laisse bercer par les murmures de la foule se pressant à côté de telle ou telle tête connue ou moins connue. Des parvenus opportunistes aux poussants politiques certains jusqu’aux artistes de rue ayant pu trouver un créneau dans l’œil d’un amateur. Les styles sont divers et variés : cubisme coloré, paysages réalistes aux couleurs sombres, abstractions osées et branlettes de pseudo-intellectuels dépravés.

Alors, mon regard est attiré par ses œuvres assez peu nombreuses, mais aux couleurs chatoyantes. Pas de noir, ici : des faces connues ou non sont posées sur des fonds colorés. L’on reconnait l’âme de certains habitants, affichée dans un sourire ou une expression plus noble et sérieuse. La patte de l’artiste est plaisante, et son geste précis. Pas mal du tout. Et c’est alors que parmi ces visages, je tombe sur un connu. Enfin, connu de mon humble personne en tout cas. Les traits plaisants et un peu provocateurs d’une autre artiste de ma connaissance, dont j’expose régulièrement les collections au Voodoo. Le monde est décidément petit. Les lèvres pulpeuses de la jeune femme soulignent un petit nez en trompette. Les yeux clairs où tous aiment s’abandonner, les mèches sombres quelques fois négligées, rendant à son apparence un aspect un peu sauvage, d’une distinction passionnelle. Il n’y a aucun doute, c’est bien elle : la provocatrice et esthète Lilas Hirsh. Si elle s’intéresse à la créatrice au point de lui accorder le temps d’une pose, c’est que cette dernière en vaut la peine, sans aucun doute. Aprés avoir observé mon amie sous les moindres coutures, fort satisfait de ce que je vois, je me mets à chercher du regard l’origine de l’œuvre. Non pas le modèle, mais bien la peintre.

Il est fort à parier que j’aurais quelque chose à lui proposer, qui saura l’intéresser. Je suppose.



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Anonymous
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Dim 25 Sep - 11:59 (#)

S’il y avait bien une chose qu’Emily n’imaginait pas en débarquant à Shreveport, c’était de voir ses travaux exposés dans une galerie et pourtant, elle fixait d’un air absent ses propres peintures, une coupe à la main, tandis que des inconnus débarquaient pour les juger sur rien de plus que la forme finale, sans prendre en compte ce que représentait chacune de ses œuvres. Bon, une seule représentait réellement quelque chose à ses yeux, les autres n’étant que des commandes jamais payées ou cédées pour l’exposition. La seule qui avait un quelconque intérêt, la représentation fidèle de celle-là même qui l’avait poussé à enfin exposer son talent au jugement des critiques qui ne manqueraient pas de donner leur avis sans qu’on leur demande quoi que ce soit. Une seule coupe n’allait décidément pas suffire…

Il lui avait fallu trois ans pour trouver son propre style en sortant de l’université. Pas le moindre aplat de noir, mais de nombreuses couches et mélanges pour obtenir la couleur désirée avec en prime la représentation discrète des auras de ses modèles, pour peu qu’ils en possèdent une suffisamment intéressante à peindre. Emily adirait les visages. C’était ce qui faisait tout le sel de son œuvre et c’était tout ce qui représentait l’humain à ses yeux. Elle qui voyait des morts sans visages ou déformés, se focaliser uniquement sur les portraits avait été une évidence et elle n’avait jamais regretté son choix. Elle travaillait particulièrement les yeux et la mâchoire, autant par appréciation personnelle que par esthétisme, et Lilas avait été un modèle particulièrement plaisant à peindre. Non seulement parce qu’elle avait attendu des années pour en avoir l’occasion, mais aussi parce qu’elle avait un visage qui ne ressemblait à aucun autre.

Elle sirota une gorgée de sa coupe, laissant les bulles exploser contre sa langue et ne put s’empêcher de sourire en repensant à cette journée où elles avaient commencé à travailler sur ce portrait. D’ordinaire, Emily faisait toujours un croquis préliminaire, histoire d’avoir une base et l’assentiment du client avant de se mettre à peindre. Avec Lilas, la peinture avait directement touché la toile et il n’avait pas été question d’essais ou d’échec. Cela avait semblé si naturel que le résultat n’en était que plus satisfaisant à ses yeux. C’était comme refaire le portrait de Heins, à ceci près que les larmes qui avaient coulé à l’époque avaient été remplacées par le rire cristallin de la jeune femme et de nombreux sourires de sa part. Et une sacrée dose d’alcool une fois le soir venu. Le genre de journée qui lui faisait un peu plus regretter d’avoir dû quitter Roswell si vite, ou de ne pas y être arrivée plus tôt.

Un type se mit à admirer ses peintures et elle s’apprêta à ouvrir la bouche avant qu’il ne se tourne vers elle, s’approche et ne commence à débiter tout un tas d’inepties concernant ses peintures. Lorsqu’il commença à mentionner un courant mineur de l’art européen de la fin du XVIIIème siècle, Emily comprit qu’elle devait très vite s’extirper de cette conversation qui commençait sincèrement à lui taper sur le système. Elle s’excusa et se réfugia aux toilettes quelques minutes, prenant soin de souffler un coup, de lisser sa robe avant de ressortir comme si de rien n’était, retournant auprès de ses peintures une fois certaine que l’énergumène était parti caqueter auprès d’un autre exposant, pour son plus grand bonheur.

Elle aperçut une autre personne observer ses peintures. Plutôt une montagne, carrée, et portant une chemise claire contrastant avec sa peau plus sombre. Elle l’examina des pieds à la tête, appréciant le style simple, mais chic, qu’il portait avec une certaine décontraction. A première vue pas un de ses peignes-culs qui se croyait au-dessus de tout le monde. Elle plissa les yeux, essayant de percevoir son aura, mais elle avait les mêmes caractéristiques que celles de tous les humains présents ici et cela ne la renseigna hélas nullement sur la personne. Il semblait étudier avec intérêt le portrait qu’elle avait fait de Lilas et elle le laissa faire, soudainement curieuse. Il semblait réellement s’intéresser à la peinture… ou au modèle. Elle grimaça intérieurement, espérant que ce n’était pas un de ces types qui cherchaient des modèles et n’étaient pas là pour les peintures.

Lorsqu’il se mit à chercher des yeux les alentours, elle prit une grande inspiration et s’avança pour faire ce qu’elle détestait : jouer les commerciales. C’était la seule partie de son boulot qu’elle haïssait vraiment et une des raisons principales qui lui faisait préférer le bouche à oreilles des clients satisfaits à la présentation de cartes de visite et les courbettes dans les galeries d’art. Mais le business, c’est le business et Lilas serait probablement déçue si elle ne mettait pas un minimum d’effort dans tout. C’est elle qui lui avait permis d’exposer ici, après tout, elle pouvait bien faire ça. Elle attrapa deux coupes sur un plateau qui passait par-là et s’arrêta près de l’inconnu qui lui disait pourtant quelque chose. Elle avait pourtant une bonne mémoire des visages et celui-ci était suffisamment particulier pour qu’elle le retienne d’ordinaire…

- Bonjour ! Je peux vous aider ?

Elle tendit le verre en se fendant d’un sourire qu’elle estimait poli sans être forcé. Qu’est-ce qu’elle détestait faire l’affiche promotionnelle… Elle désigna le portrait de Lilas qu’elle ne se lassait pas de revoir.

- Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer votre intérêt pour ce portrait. Puis-je avoir votre avis ?
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Anonymous
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Mer 28 Sep - 12:52 (#)



U
ne jeune femme ne tarde pas à m’accoster. Je la détaille rapidement du regard, sans m’attarder impoliment. Elle est vêtue d’une robe et porte deux coupes, m’en tendant une. Elle a les yeux clairs, entre le bleu et le vert, illuminés d’un espoir secret. La peau pâle et dotée de la douce souplesse de la jeunesse semble presque trop pâle, comme le témoin d’un trac de la situation présente. Trac que masque pourtant son sourire, élégant. Une élégance qui ressort d’ailleurs de toute sa personne, quoiqu’en toute simplicité. Je me saisis de la boisson en lui renvoyant son sourire, et en inclinant la tête pour la remercier. Un accueil que je conçois comme commercial : elle est l’artiste à l’origine de l’œuvre que j’ai sous les yeux. Une connaissance de Lilas, donc. Au moins lointaine, pour avoir percé sa personnalité aussi bien.

Alors qu’elle me questionne sur la toile, je me tourne vers celle-ci à nouveau, réfrénant difficilement un rire amusé. Mon avis ne saurait être que subjectif. Puis je suis loin d’être un critique d’art. Je détaille un instant la peinture, sa qualité, sa technique, avant de me tourner une nouvelle fois vers l’artiste.

« C’est surprenant de voir Lilas de ce côté-là de la toile. C’est bien elle, n’est-ce pas ? »

Question rhétorique : il n’y en a pas deux comme elle. Alors parier sur le hasard de l’imaginaire me semble maladroit. Je plonge mon regard dans l’huile à nouveau, commentant non sans une volonté d’humour censée détendre l’atmosphère.

« C’est presque curieux qu’elle n’ait pas cherché à l’acquérir elle-même : elle est fort réussie. »

Puis, regardant à nouveau mon hôte de ce coin de la galerie, je poursuis, plus technique.

« Les couleurs sont rayonnantes, autant que l’est le modèle. Comme si vous aviez perçu jusqu’à son essence la plus profonde. Vous devez la connaître, non ? »

Je ne peux empêcher un sourire taquin. Elle doit bien se demander qui je suis et ce que je lui veux avec mon insistance, sans m’être même présenté. Je bois à la coupe offerte, faisant durer le suspense quelques secondes de plus. Mais très vite, je mets fin à l’attente de la révélation, tendant une main ouverte vers la jeune artiste. De ma voix aussi chaleureuse que grave, je me présente.

« Wilson Cooper. Honoré de vous rencontrer. »

Puis, je me mets quand même en situation, histoire qu’elle sache à qui elle a à faire. Je ne suis pas homme de mystère.

« Je suis propriétaire d’un établissement dans le centre de la ville. Le Voodoo Cafe. Lilas y expose souvent ses œuvres. »

Voilà qui lui permettra de répondre à plusieurs questions qu’elle aurait pu se poser. Autant sur mon identité que sur la manière par laquelle j’ai connu son modèle. J’aime être transparent. Non, pas transparent, car je suis de ceux qui laissent une impression brute et bien présente. J’aime être franc, direct. Voilà qui me convient mieux. Et elle, cette petite, qui est-elle ? En dévoilera-t-elle si facilement sur elle que je n’ai pu le faire, dès les premiers mots de notre rencontre ?


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Anonymous
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Ven 7 Oct - 0:14 (#)

Si on lui avait dit un jour qu’elle exposerait dans une galerie d’art en faisant sa propre promotion auprès d’inconnus avec un sourire de commerciale aux lèvres… Elle y aurait cru, mais elle aurait certainement bu quelques verres en imaginant la scène. Qu’elle ait ou non l’âme d’une artiste – chacun était juge et elle s’en fichait pas mal - elle savait très bien que paraître différemment pour vendre quelque chose, ce n’était pas du tout son truc. Elle avait l’habitude de masquer ses émotions pour éviter de perturber le commun des vivants lorsqu’un spectre s’amusait à déambuler devant elle, ce n’était pas le problème. Mais le faire ainsi en allant volontairement chercher des critiques sur son travail, c’était un exercice qu’elle n’appréciait nullement.

Aussi fût -elle agréablement surprise lorsque l’inconnu à l’air affable lui sourit amicalement, mais elle le fut encore plus lorsqu’il mentionna aussitôt Lilas. Un ami de l’outre ? Possible. Lilas était du genre à connaître tout le monde. Le genre de personne qui ne pouvait pas faire les courses sans avoir au moins à discuter avec deux ou trois personnes. Lilas avait des contacts et elle faisait en sorte qu’Emily en ait aussi. Le sourire de la portraitiste se fit plus franc, plus naturel et elle hocha la tête en sirotant distraitement une gorgée de son verre, confirmant silencieusement les soupçons de son interlocuteur.

- Je vous remercie. La peinture est bien à elle, je lui en ai fait cadeau, mais elle a insisté pour que je l’expose.

Elle l’avait presque forcée à exposer ici. Emily n’avait jamais senti le besoin d’exposer la moindre de ses œuvres. Elle bossait seule, se faisait sa clientèle grâce à la satisfaction des clients qui enb parlait à d’autres et cela fonctionnait très bien. Ses services valaient leur pesant en dollar et elle vivait très bien, elle n’avait jamais eu l’envie d’aller plus loin. Mais Lilas ne l’entendait pas de cette oreille et elle en était là, à siroter une flûte comme une bourge à un gala. Elle se demandait encore comment elle en était arrivée là.

- Lilas et moi on se connaît depuis quelques années oui.

Intimement même, mais elle garda bien ça pour elle. Il était quelque peu intrusif, ce type. Elle l’observa du coin de l’œil alors qu’il buvait lentement sa coupe. Non pas que le type lui semble avoir une idée néfaste derrière la tête, mais elle a appris depuis longtemps à ne sous-estimer personne, pas même les humains les plus normaux.
Ses sourcils se haussèrent lorsqu’il se présenta enfin et toute potentielle méfiance disparaît au profit d’un hochement de tête. Un nom qui ne lui était pas inconnu. Elle avait plusieurs fois été au Voodoo, c’est d’ailleurs là qu’elle y avait retrouvé Lilas pour la première fois depuis des années ; l’endroit était plaisant et exposait des œuvres de toutes sortes, alors croiser Wilson Cooper c’était un peu une aubaine pour elle et un bon moyen de se faire connaître. Elle serra poliment la main du gérant du Voodoo, sa main disparaissant presque dans la paluche du gaillard.

- Emily Morrisson. Enchantée. Je connais bien le Voodoo. J’y vais de temps en temps. Avec Lilas, notamment.

Parfois pour prendre un verre, parfois pour profiter de l’exposition en cours. Et l’entendre lui dire et presque lui rabâcher d’exposer elle aussi. Elle avait eu raison, au final, de la pousser un peu. Emily aimait sa zone de confort, son atelier dans une des pièces de sa maison, le fait de rencontrer ses clients face à face et de travailler longuement avec eux sur les caractéristiques de ce qu’elle peindra pour eux.
De toutes les toiles qu’elle avait achevées, seulement deux étaient ce qu’elle pouvait considérer comme de vrais œuvres et pas de simples travaux. Le portrait de Heins, fièrement accroché dans le bar de son meilleur ami, à San Francisco. Et la peinture qu’elle et Wilson étaient en train d’observer. Elle en était fière et elle n’avait aucun problème à le montrer. C’était une peinture qui avait attendu des années avant de finalement être peinte et la journée qui avait lancé son travail avait été une des meilleures de sa vie, tout simplement.

-  Vous êtes là pour trouver de nouveaux exposants dans la galerie de votre café, j’imagine ?

La question est à la limite de la rhétorique. Pourquoi serait-il venu ici, sinon ? Il pourrait parfaitement apprécier l’art pour ce qu’il est, sans le côté mercantile qui est parfois une plaie dans ce milieu, mais elle en doutait dans ce cas précis.

- Pour être franche, c’est Lilas qui m’a poussée à exposer ici, ce n’est pas vraiment mon truc à l’origine. Je réalise des commandes, en grande majorité.

Elle a bien tenté quelques peintures qui n’ont absolument rien à voir avec les portraits et le résultat est pour le moment mitigé. Peindre des spectres lui a donné des frissons désagréables et lui a donné le sentiment de peindre des tableaux du style de Francis Bacon. Le genre de peinture qui vous fait froid dans le dos. Loin, très loin de son style chaleureux et vivant qu’elle aime tant.
Elle s’est bien essayée à l’autoportrait également, mais ne pas voir sa propre aura a semblé drastiquement réduire l’intérêt de sa peinture. Il y manquait quelque chose et elle était persuadé que c’était ça. Elle l’avait laissé de côté malgré les encouragements de Lilas et son aide pour avoir une idée de ce à quoi son aura ressemblait, mais ça ne l’avait pas suffisamment convaincu cette fois.

- Si vous êtes intéressé je peux toujours réaliser un portrait pour vous.
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Anonymous
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Mar 11 Oct - 15:51 (#)



L
a jeune artiste me confirme bien vite plusieurs choses : déjà que c’est bel et bien Lilas, même si sur ce fait j’avais peu de doute ; que la peinture lui appartient effectivement, cadeau de la peintre à son modèle ; et qu’elles se connaissent toutes deux depuis plusieurs années. Au vu des précédentes informations, cela va presque de soi. Et je décide même de conclure, sans que c’ait été précisé, qu’elles doivent être proches et bien s’aimer. Lilas laisse rarement indifférent, et elle est de celles à qui l’on s’attache. De ce que je connais d’elle, en tout cas. Nous ne sommes pas réellement intimes, elle et moi, même si j’apprécie les rares moments que nous passons ensemble, à parler de son art ou autour d’une commande au Voodoo.

Imitant l’artiste, je sirote une gorgée de champagne. Je n’ai guère l’habitude d’en boire, pour être tout à fait honnête, préférant les accents sucrés et épicés d’un bon rhum, la puissance fumée d’un whisky ou le goût corsé d’un cognac ancien. En toute modération, bien entendu. Mais j’apprécie la légèreté aérienne de la boisson française, ses petites bulles pétillant sur le bout de la langue et rafraichissant la gorge en éveillant les sens.

Elle agrippe ma main lorsque je lui tends, et se présente finalement. Emily Morrisson, un nom qui ne me dit pas grand-chose. On ne sait jamais, avec cette jeune génération : je pourrais avoir eu à faire à leurs parents, dans un passé générationnel. Mais non, là ça ne me dit rien, même si elle précise se rendre à l’occasion au Voodoo Cafe, notamment en compagnie de Lilas. Son visage ne me dit pourtant rien. Je ne connais pas tous mes clients, bien entendu, et ses horaires de visites ne correspondent peut-être pas à ma propre présence sur les lieux. À moins que ce ne soit simplement mes yeux qui dérivent par trop sur sa compagne, même si je préfère écarter là cette hypothèse. Elle est plaisante, certes. Plus que plaisante, même : adorable. Charmante. Mais je sais distiller mon attention à tout un chacun lorsque je suis en service.

Emily, donc, me questionne sur les raisons de ma présence en ces lieux, arguant que je viens sans doute afin de trouver de nouveaux visages de l’art à Shreveport à exposer dans le Centre-ville. Elle n’a pas entièrement tort, mais la réalité est bien plus complexe qu’un simple intérêt professionnel. J’étouffe un rire dans ma gorge et rétorque :

« Oh, pas que. Pas que. J’aime l’art, profondément, et je suis toujours curieux de nouvelles découvertes. Pour moi, avant de songer au Voodoo. J’aime ce genre de réunion, des endroits qui laissent la place aux jeunes artistes. J’apprécie l’idée de trouver, parmi ceux-ci, une perle rare qui se ferait témoin de l’art dans les années futures. »

Je reporte mon attention sur la toile de Lilas. Puis sur les autres, toutes aussi colorées.

« Et je crois bien l’avoir trouvée. »

Elle m’informe de la raison de sa présence ici : c’est ma chère L. Hirsh qui l’a poussée à poser ses œuvres à la vue de tous. Artiste timide, pas tellement en recherche de gloire, elle se range dans une modestie pleine d’humilité en précisant se satisfaire d’une clientèle privée intéressée par sa spécialité : les portraits. Par commandes, quasi exclusivement, s’il faut la croire. Je décide de blaguer un instant, sur un ton amusé :

« Des commandes ? Et tous ceux-ci sont des rustres insatisfaits ? » affirmai-je en désignant les peintures exposées.

Je la rassure tout de même, histoire de ne pas paraître goujat moi-même.

« Je plaisante, rassurez-vous. »

Elle se propose de réaliser un portrait pour moi. J’avoue être pris au dépourvu : de qui lui commanderais-je bien un portrait ? De moi ? Je ne crois pas être assez imbu de moi-même pour m’afficher en grand dans mon propre appartement. Et encore moins à la vue de tous, au Voodoo Cafe. Même si ça serait mettre à l’honneur l’artiste l’ayant réalisé. Une autre personne, peut-être… mais qui ? Je me rends compte n’avoir, finalement, que peu d’amis proches. Pas de conquête amoureuse, pas même en projet. Plus de famille. Ma vie se résume à mon emploi et mes loisirs. Si intéressants soient-ils, j’ai l’impression qu’ils ne me donnent pas pleine satisfaction dans le côté humain que je souhaite pourtant profondément mettre en avant. Alors qui ? Wynonna ? Une possibilité qui me serait venue bien plus vite si les choses n’étaient pas si tendues en ce moment. Serguey ? C’est un bon pote, c’est sûr, mais il trouverait sans doute ça bizarre. Pas trop son truc, je crois, l’art. À part les nus, peut-être… Il aurait bien les sires vampires, Nicola Alighieri et Salâh Ad-Dîn Amjad. Cela plairait sans doute à leur ego fort développé, mais comment songer à l’un sans attiser, peut-être la jalousie de l’autre ? Pour ne pas paraître trop réfléchir, je lance un peu innocemment :

« Heu… Vous faites les duos ? »

Pire idée au monde, sans aucun doute. Demander du temps aux deux immortels pour prendre la pause de concert me mettrait dans une drôle de situation, sans aucun doute. Je coupe court à mes dérives menales.

« À moins que… Un portrait de vous-même pourrait être une entrée délicieuse à une exposition de vos œuvres, au Voodoo. Et je la garderais comme toile permanente dans l’espace dédié à l’art, bien entendu. »

Sans poser de question plus directe que cette proposition sous-entendue, je la laisse réagir.
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Mer 26 Oct - 3:12 (#)

Son verre à la main, Emily se détendait peu à peu face à son interlocuteur. Il fallait avouer que ce fameux Wilson était sympathique. Il semblait avoir l’œil et son air affable incitait à la conversation. Pas étonnant, dans ces conditions, qu’il soit propriétaire d’un bar comme le Voodoo Cafe. Elle sirotait son champagne, laissant les bulles éclater sur son palais. Ce genre de lieu ne proposait bien évidemment pas de rhum, mais elle se contenta de ce qu’elle avait. C’était surtout histoire de s’occuper les mains dont elle ne savait pas quoi faire sans un pinceau ou un crayon dans la main. Elle haussa un sourcil au presque subtil compliment sur son travail et un sourire plus large s’étala sur ses lèvres. Lilas avait peut-être raison, finalement. Peut-être gagnerait-elle à se faire connaître…

Un rire léger secoua ses épaules face à la question, tout à fait légitime, de Wilson. Elle qui ne travaillait que sur commandes, il pouvait en effet paraître étrange qu’elle expose ainsi dans une galerie. La réalité était, heureusement, bien plus simple et sympathique.

- Non, rassurez-vous. J’ai généralement de bonne relation avec mes clients. Certains ont accepté de me confier leurs portraits le temps de l’exposition, moyennant une petite ristourne.

Elle ajoute, pince-sans-rire.

- Je ne suis pas donnée, mais tout travail mérite salaire et personne ne s’est jamais plains du mien.

Exceptée elle-même. Très critique envers son travail, elle est rarement pleinement satisfaite des portraits où elle doit apporter une touche particulière à la demande du client. Elle préfère laisser son art s’exprimer librement, mais sa façon de procéder et de travailler l’oblige souvent à faire des concessions. Raison pour laquelle le portrait de Lilas ressort bien plus que les autres. Elle a eu carte blanche tout au long du processus de création. Et elle ne se lasse pas de le regarder. Parfois, s’envoyer des fleurs a quand même du bon.

Elle allait pour terminer sa flûte de champagne lorsque la question de Wilson l’interpela. Elle aussi les sourcils, surprise. Des duos.. Elle devait bien admettre que l’idée ne lui avait jamais traversé l’esprit. Il était déjà bien difficile parfois de faire tenir une personne en place le temps d’obtenir assez de matière pour esquisser le portrait, alors deux personnes en même temps…

- Je dois bien admettre ne jamais avoir essayé. Généralement, je fais des portraits individuels parce que c’est plus facile pour tout le monde. Il faut tout de même que le sujet reste immobile pendant parfois plusieurs heures, voire revienne pour peaufiner des détails, alors l’idée de faire ça avec plusieurs personnes ne m’a tout bonnement jamais traversé l’esprit.

L’idée n’était en revanche pas dénuée d’intérêt et elle se dit que tenter l’expérience pourrait être enrichissante. A défaut d’être totalement productive si le résultat n’était pas concluant.

- Si jamais vous avez un contact intéressé, on peut toujours voir les détails.

Elle grimaça ouvertement lorsqu’il parla d’autoportrait et elle se tourna vers les toiles, terminant son verre d’une traite. Difficile d’expliquer à un humain la raison pour laquelle elle n’arrivait tout simplement jamais à un résultat convenable, peu importe le nombre de fois où elle s’y était essayée. Les auras qu’elle percevait aidaient énormément à rendre vivante les toiles qu’elle peignait, même lorsque les portraits représentaient des humains. Il y avait toujours un petit quelque chose qui rendait chaque aura unique malgré la ressemblance de certaines. C’était ce petit quelque chose qu’elle recherchait et qui faisait tout le sel e son art. Or, elle ne pouvait voir sa propre aura. Au final, les échecs s’entassaient dans le débarras de sa maison et elle commençait sincèrement à envisager d’arrêter d’essayer.

- Ça ne va pas être possible. Je n’arrive à rien de satisfaisant en faisant un autoportrait. Je ne pense pas que j’oserais exposer un travail de ce genre où que ce soit.

Elle tourna à nouveau son visage vers celui de Wilson, un sourire navré sur les lèvres.

- Navré, mais tant que je ne parviendrais pas à un résultat satisfaisant, un autoportrait va être impossible. Cependant…

Il y avait bien une autre chose qu’elle pouvait utiliser si jamais le propriétaire du bar en voyait l’intérêt. Fouillant dans son sac, elle en sortit son carnet de croquis. Son petit musée des horreurs personnel. Elle n’allait certainement pas lui exposer l’entièreté des choses affreuses qu’elle pouvait contempler quotidiennement, mais il y a avait un spécimen des plus intriguant sur lequel elle était tombé quelques mois plus tôt. Il lui avait fait forte impression et elle avait fixé son regard un peu trop longtemps dessus, manquant de justesse d’attirer son attention. Elle feuilleta son carnet et, sans lacher l’objet, présenta le croquis à Wilson.

- Si vous voulez, je peux essayer de vous peindre ceci. Un dessin qui... m’est venu en tête, il y a quelques temps. Je tente certaines choses, ces derniers temps.

Ce qui était très loin de la réalité. Elle faisait des croquis de spectres depuis qu’elle savait utiliser un crayon, mais elle n’allait certainement pas dévoiler à un humain qu’elle pouvait voir les morts et communiquer avec eux. Elle n’avait pas envie de provoquer des crises de foi ou une peur panique.
Le croquis qu’elle présenta était honnêtement l’esprit le plus beau qu’elle ait jamais vu. C’était une sorte de gigantesque papillon aux ailes formant de complexes arabesques dont elle ignorait la signification, mais qui avaient captivé son regard. Les couleurs étaient restées dans son esprit, chatoyantes et magnifiques et, si elle n’avait jamais pris le temps de le peindre, elle se disait que cela pouvait être une occasion.

- Je peux toujours le faire et vous me direz si cela vaut la peine que vous l’exposiez. Je pense toujours qu’un portrait serait plus … adapté, mais c’est votre bar.
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Dim 6 Nov - 12:55 (#)



M
ême si mon interrogation sur les œuvres exposées et leur rapport à des clients mécontents était une plaisanterie évidente, la jeune femme répond sérieusement en affirmant qu’il s’agit là de peintures prêtées par ses modèles satisfaits, avec lesquels elle annonce avoir une bonne relation. Leur ayant même accordé une ristourne sur ses travaux en échange de leur prêt d’un moment. Elle plaisante alors elle-même sur ses prix, apparemment élevés, et expliquant la qualité intrinsèque de son travail. Une artiste-peintre peu connue mais pratiquant des prix élevés ? Audacieux. Mais il faut bien dire que la qualité est de mise.

Elle répond de manière assez complète et précise sur la possibilité, apparemment délicate, de faire des peintures de duos. Elle précise qu’il est déjà complexe de faire tenir la pose à une personne pendant le temps de son travail, alors deux… Elle préfère ne pas imaginer. Et quand bien même je sais les éventuels modèles immortels, il ne fait aucun doute que les deux vampires sont actifs et ont autre chose à faire que de rester plantés là à attendre qu’on leur tire le portrait. Puis pour le côté surprise, c’est raté. Et en vérité, il en vaut peut-être mieux ainsi. Qui sait comment ils auraient réagi à une telle demande… Je lève une main pour lever tout malentendu.

« Oh, intéressés je ne sais pas. Ils ont un emploi du temps plutôt chargés, et j’ignore même si l’idée pourrait leur plaire. »

Je toussote, raclant ma gorge de l’intérieur, avant de préciser :

« Puis, ce n’est pas n’importe qui : je ne voudrais pas les offenser par une demande maladroite. Et je ne parle pas là de la qualité évidente de votre pratique… davantage de la possibilité de poser longuement. »

En revanche, elle est plus catégorique sur l’idée de l’autoportrait. Selon elle, c’est impossible. Inenvisageable, même. Elle s’y est déjà essayé, apparemment, sans que ça ne donne rien. Dommage, je trouvais l’idée plutôt plaisante et parlante, d’avoir un portrait de l’artiste dans son propre style pour en faire la publicité. Mais c’est certain que ça marcherait moins bien si elle n’est elle-même pas satisfaite du résultat. Et je peux sans souci comprendre qu’on ait plus de mal à se cerner soi-même que d’autres. J’opine du chef, marquant ma compréhension totale de ses propos et justifications. Inutile de s’appesantir davantage sur cette idée.

Elle prend d’ailleurs l’initiative d’en proposer une d’elle-même : elle sort un petit carnet et en tourne frénétiquement les pages, où je devine quelques esquisses que je ne parviens que trop peu à distinguer, et finit par s’arrêter sur le croquis intéressant d’un papillon majestueux. Une tentative de sa part de diversifier son art, visiblement. Je ne saurais que l’y encourager. D’autant que le dessin proposé semble vraiment prometteur. Elle a une sacrée imagination, onirique, pour avoir su capter une essence créatrice si belle. Le sujet, plus fantastique qu’insecte, déroule ses traits sous formes de courbes entrelacées. Je lève les sourcils, impressionné par cette simple ébauche. Comment, dès lors, ne pas la pousser à expérimenter cette voie.

« Oh, c’est magnifique ! Je n’ai aucun doute que votre peinture pourra le sublimer davantage qu’il ne l’est déjà crayonné. Écoutez, je vous passe une double commande, alors : le papillon et un portrait. Vous me direz vous-même celui qui vous représente le plus une fois le travail effectué. »

Il fallait toujours que je décide qui plaquer sur une toile. Une idée me passa par l’esprit, mais il fallait encore qu’elle puisse la réaliser. Tant parce que ça demanderait de passer par un autre biais qu’une pose active que parce que les personnes ciblées… sont décédées.

« Vous… vous peignez à partir de photos ? Je songe à proposer le défunt fondateur du Voodoo Cafe, en un ultime hommage à sa création aujourd’hui mienne. »

Ça, ou mes parents. Souvenir douloureux sur toile. Un devoir de souvenir que je pourrais accrocher chez moi, pour me rappeler, toujours, d’où je viens. Si elle ne penche pas pour cette idée, peut-être pourrai-je encore farfouiller mon esprit pour trouver autre chose. Il y a bien assez de gens en ville, après tout.
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Lun 28 Nov - 16:58 (#)

C’était amusant la manière dont cette rencontre évoluait. Elle n’avait pensé qu’à essayer de diversifier sa clientèle, mais c’était désormais sa palette de possibilités dont elle discutait à présent. Duo, autoportrait ou même utiliser son don inné et quelque peu étrange pour créer un art différent de celui dont elle a l’habitude. Ne dit-on pas qu’il faut explorer pour transcender son art ? ou quelque chose comme ça… La portraitiste était très attachée à son travail et l’idée d’évoluer lui avait traversé l’esprit plusieurs auparavant, avec toujours quelque chose pour l’en empêcher. Une certaine peur de l’échec jusqu’à la perte de Heins qui n’avait fait que renforcer son envie de se consolider dans ses acquis. Mais depuis quelques temps, les choses changeaient. Elle avait retrouvé Lilas. Elle avait usé de son don pour quelqu’un d’autre et avait même vécu une rencontre des plus désagréable avec un esprit plus puissant que la moyenne. Peut-être que ce n’était qu’un signe plus qu’il fallait se lancer.

Visiblement, le duo ne sera pas de la partie. Elle n’y croyait pas vraiment, pour être honnête, même si l’idée l’intriguait. Quant à savoir à qui Wilson faisait allusion… Des gens importants ? Qui seraient offenser à l’idée qu’on les immortalise sur toile ? En général les gens étaient plutôt ravis. Les rares réticents l’étaient surtout à l’idée d’être fixés par une inconnue qui semblait lire leurs âmes. Ce qui n’était pas si loin de la vérité, au final. Les auras étaient uniques à chacun et faisaient partie intégrante de sa peinture, même si le commun des mortels n’en avait pas conscience.

- Tout le monde n’aime pas rester immobile un long moment, je peux le concevoir. Ne vous inquiétez pas.

Puis s’ils pouvaient être offensés par une demande d’un simple portrait, ça sentait le snob à des kilomètres cette histoire. Emily avait une patience limitée avec trois types d’humain en particulier : les enfants, les hypocrites et les snobs. Elle avait eu de la chance de ne pas tomber sur un combo des trois de toute sa vie, elle n’avait guère envie de finir en prison.

A sa surprise, Wilson sembla en revanche très intéressée par le croquis fait au fusain de cet esprit à la forme si particulière. L’artiste hocha la tête, un fin sourire au coin des lèvres. Elle se souvenait plutôt bien de cette rencontre fortuite et heureusement sans conséquence. L’idée de peindre les esprits lui était déjà venue plusieurs fois, mais cela comportait quelques risques qu’elle n’était pas certaine de vouloir prendre. Elle pouvait faire passer cela pour une simple lubie créative, mais elle imaginait sans mal qu’un œil avisé remarquerait très vite qu’elle n’inventait rien du tout. Bon il fallait que la personne s’intéresse aux esprits ou soit capable de les voir, mais elle aimait son anonymat à cet égard. Nul ne pouvait vraiment savoir ce que des gens pourraient demander s’ils apprenaient que les esprits déambulaient parmi eux. Heins avait déjà eu affaire à un type cinglé qui voulait en faire un business, elle n’avait nulle envie de connaître ce genre de problème.

- Ravie que cela vous intéresse. Je vais m’y essayer. Je ne vais pas vous donner une date, c’est un exercice que je n’ai pas expérimenté souvent, mais je vous tiendrais au courant si vous souhaitez voir l’évolution avant le résultat final.

Une habitude qu’elle avait prise très tôt. Il était bien plus facile de contenter un client s’il pouvait voir le travail en cours plutôt que simplement le résultat final. Et cela lui permettait en plus d’éviter les mécontents ou ceux qui essayaient de gruger en arguant qu’ils n’étaient pas entièrement d’accord avec le portrait et souhaitait un prix plus bas. C’était généralement gagnant-gagnant, sauf quand el client était un emmerdeur qui voulait tout modifier pendant la création.

La question, en revanche, la prit un peu de court. Et une légère grimace se dessina brièvement sur son visage. Peindre un défunt à partir de photo allait poser quelques problèmes avec la façon dont elle utilisait ses dons pour capturer l’essence des vivants et faire vibrer les toiles. Les photos étaient inertes, sans vie, sans cette aura propre à chacun. Difficile alors de faire mieux que son autoportrait. Dans la théorie, du moins. Dans la pratique, elle n’avait jamais essayé.

- C’est… je n’ai jamais essayé avec une photo. Le seul défunt que j’ai peint, je l’ai fait de mémoire. Je ne peux pas vous dire un oui ou un non certain, mais je peux essayer. Il me faudra plus qu’une seule photo et de différents angles, si possible. De la même période et, le cas échéant, avec une pose similaire. Plus il y a d’expression différentes, mieux c’est, parce que, même si mes modèles sont immobiles lors de la peinture, j’observe leur visage bien avant qu’ils s’assoient et prennent la pose. Il y a plein de subtilité que je doute de retrouver sur une image fixe, mais avec suffisamment de photos, voire une vidéo, ça doit être possible. Je ne peux pas garantir le résultat, mais je peux essayer.

Elle ajouta, souriant à demi.

- Cela serait plus simple si vous acceptiez que je vous peigne, directement.
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Ven 6 Jan - 16:15 (#)

V

La jeune peintre semble ravie que je m’intéresse à son croquis, et veuille concrétiser celui-ci en peinture en tant que commande. Elle précise ne pas pouvoir me donner de date de remise, et je le comprends fort bien : les artistes fonctionnent par phases d’inspiration. Et si elle semble fendue à la forcer un peu pour ce qui est des portraits, ce n’est pas le cas pour une œuvre moins habituelle, voire carrément nouvelle dans son panel, comme elle l’explique. J’acquiesce d’un signe de tête à sa proposition de me donner régulièrement des nouvelles de son avancée.

« Avec plaisir ! Vous n’aurez qu’à m’envoyer des photos par téléphone ! Enfin, même si ça ne rendra pas hommage au vrai rendu. »

Mais ça serait sans doute plus simple que de se déplacer elle ou moi à chaque nouveau trait de pinceau. Ma proposition de peindre mon prédécesseur, par contre, ne semble pas lui plaire outre mesure. Elle s’est déjà essayée à l’exercice, mais pas via des photos : de souvenir uniquement. Et je comprends par là qu’elle devait être proche de son modèle. Ce n’était pas un client random croisé au détour d’une exposition. Et cela a pu être une expérience dure pour elle. Un moyen de poser un deuil ? Elle m’enjoint à lui donner des photographies en nombre, suivant des critères toujours plus nombreux et précis les uns que les autres. J’ignore si c’est une manière de me décourager, mais je préfère conclure qu’il s’agit d’une mauvaise idée, malgré sa bonne volonté. Et puis je n’ai pas tant de photographies de lui, obviously

« Non, laissez tomber les morts : c’était une mauvaise idée. Et puis, votre style est si ancré dans le vivant… ça serait presque insulter votre pratique. » la rassuré-je avec un sourire.

Quant à la proposition de me peindre, moi…

« Ecoutez, passons un marché : réalisez cette commande à partir de votre esquisse, et je vous passerai commande pour un portrait de moi. Même si je ne me suis jamais prêté à l’exercice. Ce doit être… particulier. »

Et pas que pour tenir la pose : posséder ma tronche en tableau, ça me semble si prétentieux qu’il faudra du temps avant de me faire à cette idée. Puis, me vient l’idée de la connaitre un peu plus, puisque la conversation est engagée. Oh, rien de plus que des politesses utiles à notre marché, bien sûr, dans un premier temps. De la saine curiosité.

« Tiens, d’ailleurs : je ne reconnais pas votre léger accent. Vous êtes de Shreveport ? De la région ? »

Si elle est du coin, ça sera d’autant plus facile d’organiser des expositions au café. Un partenariat pourrait même être envisageable, à terme. Mutuellement intéressant.

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Mar 24 Jan - 22:03 (#)

Il y avait longtemps qu’elle aurait dû suivre les conseils de Lilas. Même lorsqu’elles étaient à Roswell, jouissant du décalage totale avec le reste du monde dans le confort du cocon où elles passaient leurs nuits, lilas lui avait dit qu’elle pouvait faire plus que des portraits. Emily aimait l’inconnu et la découverte de manière générale, mais elle était la première à hésiter lorsqu’il fallait toucher à son art. Elle aimait le confort de l’habitude et n’avait pas choisi cette spécialité pour rien. Elle aimait les portraits. Chaque visage était unique, incomparable avec le précédent. Même des jumeaux parfaits n'étaient pas strictement identiques, elle en avait fait l’expérience.

- Par téléphone ? Si vous voulez. J’ai une boite mail pour ce genre de choses également, si ça vous convient. Vous n’imaginez pas le nombre de clients qui veulent avoir des photos avant même que la toile n’ait pris une forme correcte. Et ceux qui veulent que ça aille plus vite.

Comme si elle pouvait accélérer son art. Ce n’était pas un objet manufacturé à la chaîne. Ça demandait du temps, de la patience et beaucoup d’implications de sa part. Elle pouvait passer des heures sur le même endroit d’une toile ou à tester différentes palettes de couleurs pour finalement tomber sur la bonne, sur le pigment de de couleur qui changeait un résultat acceptable en un résultat satisfaisant. Elle répondait aussi cordialement que possible à ce genre de demandes, mais ce n’était pas l’envie de donner des claques qui lui manquait.

- N’exagérez rien, vous ne m’insultez nullement. ni mon art. Mais c’est en effet préférable, je préfère ne pas avancer un résultat que je ne suis pas certaine d’obtenir. Le portrait vivant est ma spécialité après tout.

Et elle côtoyait bien assez les morts comme ça au quotidien sans en plus l’ajouter dans son travail. Il y avait toujours quelque chose de personnel dans le fait de peindre quelqu’un, que l’on connaisse la personne ou non. On en venait à la découvrir un peu. À imaginer les raisons de ses plis au niveau des yeux, de cette cicatrice mal dissimulée derrière une mèche de cheveux ou de ce regard qui n’est pas aussi joyeux que l’on aimerait le faire croire. Elle a appris à se détacher de tout ça, tout comme elle s’est détachée du monde des morts. Mais faire de nouveau le portrait d’un défunt, cela lui rappellerait bien trop de choses qu’elle n’a pas envie de ressentir.

- Ah, je savais que vous cèderiez !

Elle sourit, taquinant gentiment du regard avant de poursuivre.

- C’est un travail de patience avant tout, pour moi comme pour celui ou celle que je peins. Vous, en l’occurrence. Ne vous inquiétez pas, vous ne resterez pas des heures assis à ne rien faire. C’est important que le modèle soit à l’aise, parle et interagisse pendant le processus. Et puis il y a des détails à voir ensemble également, comme le fond, la luminosité du tableau, la pose que vous voulez prendre, ce que vous voulez qu’il s’en dégage, ce genre de choses. C’est rare, mais certains demandent spécifiquement à ne pas sourire ou à poser d’une certaine façon.

Et certaines demandes allaient carrément dans le nu, ce qu’Emily n’avait jamais compris. Elle réalisait des portraits, qui s’arrêtait aux épaules, pour ceux s’arrêtant les plus bas. Au moins ce genre d’énergumène entendait vite raison et allait s’exposer devant d’autres plus adéquats. Cela ne lui était arrivé que quelques fois, mais elle se laissait toujours surprendre. Surtout que ce n’était pas forcément les plus jeunes qui faisaient ce genre de demande…

Elle cessa de siroter son verre à la question de Wilson. Elle n’avait jamais cherché à cacher sn accent, très connoté côté Ouest, à présent. Elle n’imaginait pas qu’il soit léger, mais plutôt que Wilson ne voulait pas la braquer. Les gens avaient tendance à détester qu’on leur dise qu’ils avaient un accent par ici. Elle s’en fichait comme de son premier esprit, pour être honnête.

- Oh, je viens de San Francisco. Enfin… je suis née dans le Maine, mais j’ai vécu à San Francisco et y ai fait mes études d’Art. Je suis arrivée il y a un peu moins d’un an. Je loge près de Mooringsport. Attendez…

Elle sortit une carte et nota son adresse après avoir farfouillé dans son sac étonnamment rempli pour trouver un stylo. Depuis quand se trimballait-elle avec tous ces trucs inutiles ? Lilas recommençait déjà à déteindre sur elle…

- Voilà mon adresse. J’y ai également mon atelier. Je sais que ce n’est pas l’idéal. Louer un endroit en ville pour en faire mon atelier est dans mes projets depuis quelques temps, mais j’ai emménagé il y a peu, donc il faut que ça se mette en route. Et rien ne vaut le café maison.

Et le silence pendant qu’elle laisser glisser son pinceau sur la toile. Les bruits de la ville étaient parfaits lorsqu’elle y était pour affaires. Il y avait un sentiment d’action, de mouvement qui la poussait devant. Mais rien qui aide à sa concentration lorsqu’elle était devant son chevalet, à chercher la meilleure coloration pour cette joue qui s’illuminait grâce à la fenêtre sur sa droite.

- Vous êtes un enfant de la Louisiane, vous, n’est-ce pas ?

Il y avait un quelque chose dans la façon dont les Louisianais s’exprimait. Elle ne savait pas pour les Cajuns, mais elle avait croisé assez de monde dans des bars pour remarquer les intonations du coin. Et Wilson n’échappait pas à la règle. Elle avait visité un paquet d’endroit dans ce pays et chaque région avait ses particularités. Et elle était ravie de découvrir celles de la Louisiane.
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Mar 7 Fév - 13:14 (#)

VI

Cette rencontre au gré du hasard se passe étonnamment bien. La jeune femme est charmante et prometteuse, à la fois polie et facile d’accès. C’est si rare de croiser une personne positive naturellement, de nos jours… Tant et si bien que le sourire à mes lèvres fixé ne décroit pas à mesure que nous devisons. Elle me propose d’utiliser les mails plutôt que le téléphone pour l’envoi de photographies de l’œuvre. Bonne idée : ça n’en donnera qu’une meilleure résolution. Je précise néanmoins :

« Oh, ne pensez pas que c’est pour vous presser que je parle de photos. C’est surtout pour éviter de trop nombreuses rencontres qui vous feraient perdre votre temps. Et puis… non, allez. Donnez-moi des nouvelles si vous en avez, mais gardez-moi la surprise du rendu : ça n’en sera que plus excitant ! »

C’est vrai, quoi. Se gâcher la surprise en ayant un droit de regard sur toutes les étapes, ce n’est pas drôle. Surtout pour une commission n’ayant comme thème que la libre inspiration de l’artiste en question. Elle semble contente, en tout cas, que je finisse par céder par sa proposition de me peindre, moi. Un travail que je devrai faire sur moi pour ne pas songer à un péché d’orgueil de ma part. Elle m’explique la tâche du poseur, pendant les séances. Elle semble inquiète de l’ennui que son modèle peur ressentir. L’idée m’amuse et me plonge dans un imaginaire du passé : les muses des grands artistes de la Renaissance s’inquiétaient-elles de devoir oser ainsi longuement pour leur maître artiste ? Sans doute pas. Certainement pas. Ce n’est qu’un indice supplémentaire de l’évolution de la société en un magma individualiste laissant hélas trop de côté les arts et les artistes. Je la rassure sommairement :

« Pas d’inquiétude : je ne crains pas le temps qui passe, s’il est pris pour quelque chose de qualité. C’est l’artiste qui décide, son pinceau qui parle, son rythme qui fait loi. »

Répondant de bonne grâce à ma question sur son accent, elle précise être originaire du Maine, puis un long passage à San Francisco, notamment pour ses études d’art. Elle vit désormais à Mooringsport, une petite bourgade bigote et rurale au nord-ouest de Shreveport. Pas tellement un endroit de villégiature, ni très attractif pour une jeune femme de son âge. Elle griffonne son adresse sur une de ses cartes de visite et me la tend. Je l’empoche sans même vérifier l’information, curieux :

« Mooringsport hein ? J’ignorais qu’ils accordaient la moindre importance à l’art dans ce bled. Enfin, qui ne soit pas liturgique, en tout cas. C’est un choix financier, d’habiter dans ce trou ? »

Je ne cache pas mon avis sur le village de pécores, même si je le fais sur un ton humoristique. Elle évoque, en plus, l’idée de déménager son atelier en ville. De quoi créer plus de contact que dans la banlieue paysanne. Elle fait un commentaire sur le goût du café maison, et je lève un sourcil à cette annonce. S’agit-il d’un défi, implicite, à mon encontre ? Pas un défi qu’elle me lance, non. Un défi que je me lance à moi-même de lui faire ravaler ces mots. Après tout, le café, c’est mon métier. Part of, en tout cas. Et je doute que sa cafetière puisse rivaliser avec mes grains fraichement moulus, torréfiés par une entreprise locale aux idéaux écologiques et respectueux des récoltants. Mais je ne lui en dis mot : elle le découvrira elle-même lors de sa prochaine visite au Voodoo. Parole de cafetier.

À son tour, elle est curieuse de mes origines, pariant sur mes origines très locales. Je laisse échapper un rire amusé.

« Oh oui, je suis tout ce qu’il y a de plus local. Ma famille vient de la Nouvelle-Orléans, à la base. Ce sont mes parents qui ont déménagé à Shreveport avant ma naissance. Mes plus anciens aïeux viennent, je crois, d’Haïti, mais ce n’est pas tellement le genre de choses qu’on aime évoquer. Ahah. »

Ça nuit à notre fierté régionale, après tout. Et même si l’on en tire une force caractérielle profonde, remonter trop loin dans un passé d’esclavagisme généralisé ne fait pas bonne figure.

« Je dois même vous avouer ne l’avoir jamais quittée, ma Louisiane. Ou à peine, jusqu’à Dallas ou Little Rock. Mais pas plus. Un jour, peut-être, je voyagerai. Mais d’ici là, j’ai trop de choses à faire ici ! »

Le boulot, le sport, gérer les affaires, les relations. J’ai une vie trop pleine pour partir loin de Shreveport. Et ça me va très bien comme ça.



 

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Sam 18 Fév - 14:18 (#)

Etudiante, Emily n’avait pas les aspirations que certains de ses camarades possédaient. Elle ne voulait pas travailler dans une grande entreprise de design ou révolutionner les codes de l’art, ni même voir son nom affiché fièrement quelque part. Tout ce qu’elle voulait, c’était mettre en lumière ce qu’elle aimait, de la plus belle et satisfaisante des façons. Le dessin, puis la peinture, ça avait toujours été quelque chose qui lui parlait, bien plus que la photographie, la sculpture ou toutes les autres formes d’art. Le bruissement de pinceau sur la toile, le mélange des couleurs qui se fondent, couche après couche, pour former une image que seul son esprit pouvait voir jusque-là, c’était un sentiment qu’elle n’aurait échangé pour rien au monde. Même avant d’en faire son activité, elle se plaisait à peindre au calme, dans la chambre qu’elle occupait dans la grande maison de Heinz. Lui l’avait encouragée, affirmant que c’était aussi le moyen de sortir du monde des morts qu’elle voyait sans cesse.

- J’en ai connu des plus coriaces que toi qui en ont perdu l’esprit, Mäuschen.

Plus qu’un simple travail, c’était une des façons qu’elle avait de se focaliser sur les vivants, elle qui croisait les morts comme on croisait un voisin antipathique. On l’évitait, espérant qu’il ne vienne pas faire la causette. Et ça marchait. Elle aimait se plonger dans sa peinture pendant des heures, juste pour le plaisir de ne pas observer un esprit pas une fenêtre ou au détour d’une rue. Elle espérait toujours un jour croiser quelqu’un qui pourrait partager ce fardeau avec elle. Lilas avait presque été cette personne, elle qui voyait le monde d’une façon si singulière, bien delà de ce qu’Emily percevait en caressant les auras du regard. Et celle qu’elle avait en face d’elle était tant enjouée qu’il était facile de sourire.

- Oh vous n’auriez eu le rendu final qu’à la livraison, de toute façon, ne vous en faites pas.

Elle ne bâclait pas son travail et laissait toujours un minimum d’inconnu, peu importe les demandes des clients. Elle s’était toujours dit que si elle ne prenait plus plaisir à peindre et à réaliser des portraits, elle arrêterait et ferait autre chose. Travailler sans plaisir, ça ne la tentait nullement et elle n'avait certainement pas faire des concessions pour un client un peu trop pressé d’avoir des nouvelles. Si elle appréciait l’intérêt pour ses peintures, elle appréciait encore plus qu’on respecte les limites fixées. Personne n’allait demander à un musicien de se dépêcher de finir sa chanson alors pourquoi on venait la presser pour finir un tableau ?

- Ce n’est pas tous les jours que quelqu’un comprend cela. C’est pour ça que je ne peins pas de portraits d’enfant, également.

Rien que l’idée lui faisait froid dans le dos. Elle n’avait aucune patience avec les mioches, alors forcer l’un d’eux à rester immobile et calme pendant qu’elle peignait… Elle n’y croyait pas et n’avait nullement envie d’essayer. Et sa maison n’était pas un terrain de jeu pour marmot criard. Et elle détestait les gamins.

- Mooringsport ? Je ne sais pas s’ils ont la fibre artistique, je n’y ai jamais mis les pieds. J’habite à quelques kilomètres, pas dans la ville même. Je suis tombée sur une affaire qui n’avait pas besoin de trop de rénovation, j’en ai profité. C’est une vieille maison mais qui a été remise à neuf il y a quelques années, donc c’était parfait. Et j’avais besoin de certaines fonctionnalités qu’elle pouvait parfaitement intégrer, je n’ai pas hésité longtemps.

Comme la possibilité de faire de belles protections pour éloigner les esprits un peu trop aventureux. Finis les réveils face à face avec un esprit ou le fait de prendre une douche ou d’aller aux toilettes avec un mort sur les talons. Elle aimait le calme et la solitude que l’endroit lui apportait. Il y avait assez de place pour accueillir ses modèles ou des amis et en plus elle pouvait se permettre d’avoir des pièces inutilisées dont elle hésitait encore sur l’utilisation qu’elle en ferait.

- Après avoir dormi à Stoner Hill, c’est une sacrée amélioration, croyez-moi.

Sans surprise, elle avait cru juste au sujet du patron du Voodoo. Un pur produit local. Le genre de personne qui avait toujours des histoires à raconter sur les lieux et dont la famille vivait-là depuis des éons. Le genre sédentaire qui se plaît, se complaît et s’illumine là où il a toujours vécu. Clairement pas comme Emily qui n’avait qu’une hâte, quitter sa région d’origine, puis faire son road trip à travers les immensités américaines.

- Si un jour vous décidez de vous aventurer au-delà des frontière de votre Louisiane natale, je peux vous donner quelques adresses dans divers états. Des lieux qui valent le coup d’œil.

Elle en avait vu. Ce bar perdu au milieu de la campagne de Floride, servant des cocktails qu’elle n’avait jamais pu retrouver nulle part et qui lui donnait envie d’y retourner dès qu’elle y pensait. Cette petite église en bois au sommet d’une colline entourée de champ de fleur et transformée en lieu dédié à l’art près de Saint Louis. Le puit près d’Albuquerque dont on ne puisait plus l’eau mais qui servait d’accès à des caves où se déroulaient concerts et soirées dans une ambiance étrange et unique. Elle aurait pu en raconter, des choses.

- Fixons-nous une date dès à présent, ou préférez-vous garder le temps de la réflexion ?

Après tout, se faire tier le portrait, ce n’était pas un exercice que l’on faisait tous les jours.

- J’ai eu quelques clients qui hésitaient, alors ne vous inquiétez pas si vous ressentez la même chose. Certains ont peur que ce soit un péché d’orgueil ou du narcissisme, mais ça ne l’est que si vous vous admirez sans cesse une fois le portrait achevé.

Un sourire amusé, une gorgée de bulle et une affaire qui semblait prometteuse. Emily n’avait pas perdu sa journée, finalement.
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Mar 7 Mar - 22:26 (#)

VII

Petit à petit, j’apprends à en connaître un peu plus sur la jeune artiste. Le courant passe plutôt bien, et la discussion est à la fois sympathique et posée. Orientée certes sur l’accord que nous projetons de passer, mais se permettant tout de même quelques écarts personnels qui ont le bon sens de n’être pas trop intrusifs. Appréciant à la fois ma franchise et ma patience innée, elle se confie un peu à moi concernant ses pratiques artistiques : elle ne prend jamais d’enfants, trop nerveux et remuants sans doute pour rester là à poser. Sans rire. Les gosses n’ont jamais été ma priorité, ni les miens ni ceux des autres. Je n’ai jamais eu l’occasion d’en avoir, ni ne l’avoir cherchée. Dans mon monde d’adultes, avec des horaires infernaux comme les miens, ça n’aurait pas pu aller. Et puis, ça voudrait dire me caser avec quelqu’un. Là non plus, c’est pas gagné. Sans compter mes accointances avec les sires de la nuit, qui pourraient mettre en danger toute descendance. Non, définitivement, je ne suis pas fait pour les mioches. Et vu la tête d’Emily, elle a l’air de partager mon avis.

Elle précise ne pas habiter précisément à Mooringsport, mais dans les alentours. Une affaire de loyer bas, une opportunité à saisir, loin de la ferveur de la ville. Bon, au moins elle n’est pas arrêtée dans son art avant-gardiste par les bigots du coin, ça ne peut être que positif. Quand elle annonce qu’elle a sommairement vécu à Stoner Hill, je ne peux empêcher une grimace. C’est sans doute le pire quartier de toute la ville : pauvreté, criminalité élevée, c’est la lie de Shreveport qui s’y complait. Il ne s’y passe pas un jour sans un racket, un meurtre, un vol ou une bagarre qui tourne mal. Je lève les yeux au ciel, compatissant.

« Sans rire… C’est un peu d’enfer à Shreveport, ce quartier. »

Elle poursuit sur le thème des voyages, me proposant de me filer des bonnes adresses si d’aventures je me glissais hors de la Louisiane. Je lui en saurais bien gré, si c’était dans mes projets, mais là…

« Oh, vous avez le temps de concocter un dossier complet, alors. Je ne sais plus quand j’ai pris mes derniers congés. Me connaissant, tout projet de voyage attendra ma retraite. Si je la prends un jour. »

Non pas que je sois un bourreau de travail – si – mais j’aime ce que je fais par-dessus tout. Une vie qui me rend heureux et me satisfait, suffisante pour mes modestes aspirations. Je ne suis pas un aventurier, un globetrotter avide de découvrir de nouvelles choses. J’aime ma région, mon pays, et je ne me vois pas le quitter. Même temporairement. Bien entendu, ça peut valoir le coup pour certaines choses : la terre de mes ancêtres, Haïti. Les grandes métropoles des States, comme la Grosse Pomme qui ne dort jamais, Miami ou San Francisco. Des places réputées pour leurs fêtes incessantes, et leurs plages séduisantes. Mais culturellement, je n’aspire pas vraiment à autre chose qu’à la richesse locale. Je suis loin de la savoir entièrement : les mystères de Louisiane sont éternels, et ne s’offrent qu’à ceux qui les vivent profondément. Emily souhaite fixer une date, et je lève les sourcils, surpris.

« N’avions-nous pas convenu que vous feriez d’abord le tableau de votre esquisse ? Après, si vous travaillez sur les deux en même temps, ça me va aussi. Mais je suis trop curieux de voir ce que ce papillon donnera, et j’aime le défi qu’il représente pour vous et votre art. »

Elle évoque l’hésitation de certains à concrétiser les projets. Je ne suis pas de ceux qui reviennent sur leur décision. Je comprends ce sentiment craintif d’un orgueil déplacé, d’un narcissisme coupable, mais j’ai déjà digéré cette information. Plus ou moins en tout cas. Un portrait serait certes une fierté, mais pas de quoi gonfler irrémédiablement mon ego ou me mettre en avant de manière malsaine. Elle sirote une gorgée de son champagne alors que je réponds. Mon verre à moi est vide, et je le pose sur le plateau d’une hôtesse qui passe par là.

« Je suis sûr de ne pas vous faire faux bond : j’ai même hâte de vous voir commencer. Vous avez des opportunités d’agenda ? Je suis assez libre, étant patron et pouvant compter sur une équipe compréhensive. »

Je fais bien plus que mes heures, au Voodoo. Ils me pressent assez pour que je prenne du temps pour moi au quotidien pour qu’une absence de quelques heures leur pose souci. Et puis je leur fais confiance pour tenir la baraque. Surtout en journée, quand les dents-longues ne sont pas de la partie.


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