Le sang goutte, perle après perle vermeille qui s’égare et se perd. Le souffle est court, saccadé. Une bête traquée. Une bête prédatrice qui se retrouve proie. Elle sait que si elle s’arrête, elle est perdue. Le cœur bat la chamade, la pousse, la tire vers la vie. L’instinct de survie la porte, malgré la douleur des plaies qui parsèment son corps meurtri. L’argent est un poison qui s’infiltre dans son sang, empêchant ses blessures de se refermer. La douleur irradie, se faufile, perverse et vicieuse. Sa volonté de fer flanche, trébuche sur l’obstacle de ce corps. Elle est une cible. Mais elle est plus que cela. Elle n’est pas n’importe quelle louve. Elle peut survivre. Elle doit survivre. Pas seulement pour elle-même mais aussi pour les autres, pour les siens. La Meute compte sur elle. Joaquin a besoin d’elle comme elle a besoin de lui. Elle ne peut les laisser tous et renoncer. Ce n’est juste pas envisageable. Ce n’est pas une option. Elle qui s’était arrêtée un bref instant pour reprendre son souffle se redresse, le regard déterminé malgré la souffrance qui s’y lit. Allez, Amélia, lève-toi. Lève-toi. Tu peux le faire. Elle sent ses côtes s’écarter en rythme de sa respiration. Serrant les dents, elle regarde autour d’elle. Ses sens lui permettent de détecter la présence ennemie non loin d’elle. Ils sont quinze à lui être tombée dessus, masqués. Comment, pourquoi, elle l’ignore. Comment l’ont-ils pris pour cible ? Elle mènera l’enquête le temps venu. Elle doit d’abord se tirer de ce guêpier. Le bruit l’alerte. Elle ne peut plus rester ici. La nuit est noire, la lune nouvelle. Sa Bête se secoue mais elle parvient encore à la tenir. La peur est là mais contrôlable. Elle a connu pire.
Ne pas se faire voir. Le quartier fourmille d’activités, malgré l’heure tardive. C’est le quartier étudiant, plein de bars et de boîtes que fréquentent les jeunes humains. Elle ne doit pas attirer l’attention. Les hommes à ses trousses ne s’embarrasseront pas de tant de délicatesse. Ils sont là pour la tuer, ni plus ni moins. Elle se sait plus forte, plus puissante mais l’argent l’affaiblit, sape sa force. Elle doit les semer au plus vite. Elle reprend sa marche, courant légèrement quand elle le peut, quand elle est seule. Elle choisit les ruelles les plus sombres et les moins fréquentées et évite les grands axes. Elle entend la meute à ses trousses. Dans une ruelle étroite, elle s’arrête net. L’odeur la frappe de plein fouet. Proche. Beaucoup trop proche. Deux formes sombres apparaissent devant elle, lui barrant l’accès. Les visages sont dissimulés par des masques, l’un arbore une batte de baseball, l’autre une arme blanche. Elle devine la lame badigeonnée d’argent. La même que celle qui lui a infligé ce genre de blessures. Elle entend le reste du groupe se presser derrière elle. Elle est piégée. La seule issue est devant. Elle se redresse, murmurant d’une voix grondante : Laissez-moi passer. Les deux hommes éclatent de rire et s’avancent. Elle se sent faible et pourtant, elle fait face. Elle laisse de la place à sa Bête qui gronde et, avide de sang, souhaite arracher la gorge des imprudents. Elle laisse sa colère l’envahir. Se campant sur ses pieds, elle écarte les mains et laisse voir sa forme glabro. Ses crocs s’allongent, ses griffes sortent de ses doigts, ses jambes se modifient légèrement, ressemblant davantage à des pattes de loup. Un grondement sort sortit de sa bouche tandis que les deux hommes se ruaient sur elle. Elle lança un violent coup de griffe dans le visage du premier qui hurla, sa peau lacérée par le coup. L’autre s’était glissée derrière elle et elle sentit le poignard s’enfoncer dans sa chair, sur son flanc droit. Elle pivota et se jeta sur l’homme, les crocs se plantant avec violence dans la gorge. Elle sentit le goût du sang, le goût de la chair et relâcha son étreinte quand elle reconnut le soubresaut de l’agonie chez sa victime. Elle ne s’attarda pas et, reprenant sa forme humaine, tâchée de sang, à la fois le sien et celui de ses agresseurs, elle reprit sa course, le souffle court.
Arrivant dans des rues qui lui semblaient familières, elle savait où elle était. Eperdue, elle continua de marcher, son pas ralentissant dangereusement de plus en plus. Elle entendait le haro derrière elle, le groupe ayant dû trouver les deux corps derrière elle. Ils ne tarderaient plus à la rattraper. Elle arriva devant une façade qu’elle connaissait bien. Le visage crispé sous la douleur, elle tendit la main et sonna. Je t’en prie… Je t’en prie, réponds…. Réponds, Archie… Elle sentait l’odeur des hommes de plus en plus près. Ils allaient la trouver. Ils n’étaient plus qu’à une rue d’elle. La tête lui tournait et elle se sentit basculer en avant quand la porte s’ouvrit sur elle et se referma ensuite. Elle sombra dans l’obscurité.
Quand elle rouvrit les yeux, elle était étendue dans un lit et une odeur de produits désinfectants lui attaqua l’odorat. Elle se sentait un peu mieux, ses plaies semblaient en voie de guérison, pour autant qu’elle put en juger. Elle referma les yeux et murmura : Archie ?