Naive Wandering - Tasya - Ethan

"Naive Wandering   Tasya - Ethan."

Ça fait quelques jours que la nouvelle du Voodoo Café est tombée et je ne m’en remets toujours pas. Evidement que je me suis rendu sur le site, là où j’allais boire ma petite mousse en étant toujours certain de croiser le sourire du géant noir. S’il n’y avait qu’un seul adjectif pour le qualifier, ça serait : gentillesse. Ce gars était juste gentil. Toujours un mot d’encouragement, une petite blague pour remonter le moral ou un bon petit plat pour remplir les estomacs. Je n’ai pas déposé de gerbe de fleur, pas allumé de bougie, pas accroché de mot, j’ai juste bu une bière, adossé à ma moto face aux décombres. Il va tellement me manquer, ce bougre.

Pourquoi son établissement a été incendié ? Les raisons ont été données dans le journal. Il aurait traficoté du sang humain pour nourrir des vampires. Il y aurait même du sang d’enfant. Je crois moyennement cette information, ça ne lui ressemblerait tellement pas. Après on ne connait jamais véritablement les gens. Et ce marché ne me concernait pas. S’il l’a fait, c’est que ça devait être lucratif. Nicola et Myrtle m’ont bien fait comprendre que le True Blood n’est qu’une pâle copie du vrai sang, cela trompe leur faim insatiable. Après, je ne suis pas vampire, je ne peux pas juger.

Par contre, si les accusations s’avèrent être des faits, ça ternira un peu l’image que j’ai de Wil. Bien que… Je nourris bien Nico de temps en temps. C’est un peu la même chose à une autre échelle.

Les décorations de Noël clignotent de partout, à mes yeux, elles sont fades et n’apportent pas autant de plaisir que les autres années. Par contre, je suis ravi de la déco que j’ai réussi à faire chez Emily et très fier de l’énorme sapin qui trône dans le salon. J’aime Noël, j’aime la chaleur qui s’en découle, les odeurs de pain d’épice et de cannelle. J’ai acheté quelques présents pour Em’ que je cache dans ma chambre. Des conneries mais le plaisir de faire plaisir.

J’entre dans le bar, le moral un tantinet en berne. J’ai retrouvé un nouveau sachet, accroché au guidon de ma moto et la sensation d’être observé ne me quitte plus. Je déteste devoir regarder par-dessus mon épaule sans cesse. J’suis qu’un humain moi.

Délaissant les tables, partiellement occupées, je prends place sur une chaise haute au bar et commande une bière. Je suis étonné de ne pas voir Tasya courir de toute part. Elle doit éventuellement faire une pause ou être au petit coin.

Depuis que j’ai rencontré la « femme-de-ménage-serveuse-infirmière » au garage de Sam, je viens régulièrement ici. C’est pas trop loin de mon lieu de travail, c’est pas un bauge, juste un bistrot sympa où je peux poser mon cerveau quelques heures. Je me suis installé tout au bout du zinc, me permettant de m’adosser au mur et de voir toute la salle. Ca retire un peu cette sensation déplaisante d’avoir perpétuellement un regard pesant sur les épaules.

J’ai appelé Sam tous les jours pour savoir comment évolue son épaule. Sa voix semble à nouveau normale et il m’assure, à chacun de mes coups de fil, que tout va pour le mieux. Je ne sais pas très bien quoi en penser même si je soupçonne Tasya d’avoir user de la magie. Une balle ne pop pas comme ça, juste en pressant une plaie, hors de la blessure. Y’a trop d’inconnues dans ce problème pour que je résolve seul. J’ai besoin de réponses, peut-être qu’elle pourra m’en donner.

Ma choppe trône sur le bois sombre, la buée dégringolant le long du verre pour s’échouer sur le petit carton. Je dépose le petit sac en tissu retrouvé sur la moto. C’est le second que je trouve et ça commence à me stresser.

La silhouette de Tasya fait irruption à l’autre bout du bar apportant un sourire sur mes lèvres. Elle est vraiment chouette, cette nénette, même si je ne la connais pas encore bien. Je lève la main, lui faisant signe, l’encourageant à venir me rejoindre.

- Salut Tasya. Tu vas bien ? Prête pour les Fêtes ? Des projets ? Ma bonne humeur revient au galop. Je suis heureux de te revoir.

Mes doigts jouent distraitement avec les ficelles du sac d’herbe sans lâcher la jeune femme des yeux.

"Naive Wandering   Tasya - Ethan."

Lorsqu’elle reconnaît mon visage, un sourire communicatif étire ses lèvres. Quel bonheur que de la voir ainsi, ses yeux pétillent, elle est radieuse. Une vague de bonne humeur me submerge même si je dois patienter quelques secondes avant de la voir s’installer à mes côtés. Un regard anxieux est jeté à la salle, mais l’absence de clientèle chasse mon inquiétude. Je ne voudrais pas qu’elle perde son travail sous prétexte d’avoir passé du temps en ma compagnie.

Son visage est solaire, encadré par ses longs cheveux sombres, quelques bouclettes rebelles partant dans tous les sens. Elle est loin de ces effigies de mode que je déteste. Elle n’est pas parfaite mais ce sont justement ces petites imperfections qui font tout son charme. Et j’avoue que je préfère la voir ici que dans le garage de Sam, les mains souillées, le nez pissant le sang. J’ai beaucoup réfléchi mais je refuse de croire ce que la logique crie à mon esprit. Je me suis un peu renseigné sur le net et je sais qu’il ne faut pas tout croire ce qui se dit sur la toile. Mais si j’assemble toutes les pièces du puzzle que j’ai en ma possession, je ne peux que me poser des questions qui sont, plus que légitimes. Mais il est hors de question de considérer Samuel comme autre chose que mon ami. Alors comme l’autruche, j’enfouis la tête dans le déni pour ne pas voir ce qui est évident. Mes pensées sordides sont balayées par sa voix joviale à laquelle je réponds en souriant.

- Nettement mieux que l’autre matin. T’as dû me prendre pour le dernier des imbéciles d’ailleurs. Je me sens tellement désemparé lorsqu’une personne que j’apprécie, souffre. Et tout ce sang… brrrr.

Je secoue la tête, en faisant la grimace. Sur le moment, je n’ai pas réfléchi à ce que je devais faire, j’ai juste agi, répondant aux besoins. Je voulais juste que Sam arrête de souffrir. Je prends une grande lampée de bière, repose mon verre sur son support en carton, étouffe un rot sorti des tréfonds de mon anatomie et effectue un geste de la main, voulant chasser ce mauvais souvenir.

Noël… pourquoi ai-je posé cette question stupide ? Parfois, je ferai mieux de me taire que de laisser mes mots s’écouler de ma bouche. Je fais une moue ne connaissant pas encore les projets d’Emily. Certes j’ai décoré la maison, acheté un sapin avec les boules et tout ce qui va avec pour l’installer dans le salon, même si ma colocataire a fait une drôle de tête en voyant l’immense arbre trôner à côté du canapé. Bon, c’est du faux, au moins il ne perdra pas ses épingles et je n’ai pas contribué à la déforestation.

- Heu… Tu sais, ma famille est au pays, en Roumanie. Aucune idée de ce que ma « house maite » va faire. Sinon on se fait une petite soirée à trois, un bon repas... JE ferai la cuisine.

J’hésite pour la suite. On vient de se rencontrer. Comment dire à une personne que l’on connaît à peine que ton meilleur pote est un vampire de 800 ans, bien que ça fait un sacré bail que je ne l’ai pas revu, que Tyler le détective ne répond plus à tes appels pour une raison que tu ignores, que ton pote Wil est mort et qu’au final, ben y’a pas tant de monde que ça qui gravite autour de toi. Oui, je connais Sam et Eliz, mais pas suffisamment pour imposer ma présence lors des Fêtes de Noël. Et si Em’ est occupée, bah, je ferai quand même rôtir ma dinde et irais la distribuer aux plus nécessiteux.

- On verra, la solitude est une amie, on se côtoie depuis longtemps.

De toute façon, je ne suis jamais seul, depuis que Em’ m’a dit que Garance est accrochée à moi. Sinon y’a toujours le dessin qui m’occupe bien. Je hausse les épaules et offre un sourire rassurant à Tasya. Peut-être pourrais-je même passer ici.

- Sinon, on envoie tout chier et on fait un truc totalement irraisonnable, toi et moi, se foutant de ce que les gens pourraient penser de nous. Ça aussi c’est une solution. Je peux t’offrir à boire ? Tu as le temps ?

J’éclate de rire, un peu bêtement, sachant que jamais cela se fera. Je me surprends à rougir et trifouille ma barbe pour occuper une main.

Quelque chose naît sans que je puisse mettre le doigt dessus mais est balayé par sa question concernant le sachet fait en tissu grossier dormant sur le bar. Un soupire est lâché, en signe de mécontentement et mon visage se froisse dû à un froncement de sourcils.

- C’est le second que je trouve accroché au guidon de ma moto. Ça me gave ! Le premier, c’était le matin où on a retrouvé Sam blessé dans son garage. Là, c’est le deuxième. Je sais pas ce que c’est, ni qui les a mis là. Sauf que ça me met extrêmement mal à l’aise. J’ai l’impression que c’est un truc vaudou… J’aime pas. J’ai même pas osé l’ouvrir… Tu sais ce que c’est ?

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- Non, je n’ai malheureusement pas eu le temps de le revoir depuis l’incident, mais nous avons eu quelques échanges téléphoniques et par sms pour le boulot. Il m’a dit aller nettement mieux. Qu’il se remettait gentiment. Je fronce les sourcils en repensant à ce matin-là. C’était vraiment horrible, tout ce sang. Tu vois, je n’aurai pas paniqué autant si ça avait été moi qui aurait pris une balle. Je me serais dit que les choses allaient rentrer dans l’ordre. Mais lorsqu’il s’agit de quelqu’un d’autre… Je perds mes moyens, car la peur de mal faire, d’aggraver la situation ou de ne pouvoir aider l’autre… Je n’ai vraiment pas beaucoup d’amis, mais ceux que j’ai, compte énormément pour moi.

A quel moment, je m’épanche comme ça à une presque inconnue ? Oui, je suis bavard mais habituellement, je débite plus de conneries que peut en contenir ma conscience. Là, je lui délivre mes sentiments à cœur ouvert. C’est bien loin de moi. Je préfère jouer les clowns ou les mecs un peu lunaires que d’être sincère. Je noie ma gêne dans ma choppe et relève mon visage vers elle lorsqu’elle aborde Noël.

- Je suis désolé pour les tiens. Petite phrase de soutien qui ne veut pas dire grand-chose. Je ne connais pas son histoire, elle ne sait rien de moi. On pourra dire qu’on est trois âmes solitaires qui, le temps de cette soirée, se rassemblent pour ne plus être aussi seules qu’habituellement. Après, faut que je vois avec Em’ mais la connaissant, elle est assez ouverte d’esprit à accueillir du monde pour un dîner. Et c'est moi qui cuisine. Je ris à l’évocation de destinations improbables, bien que la sienne soit facilement réalisable. Tu sais, tu montes à l’arrière de ma moto et on fonce voir la mer. C’est pas si loin que ça. Après tu veux voir l’Atlantique ou le Pacifique ? De mon côté, c’est plus problématique. Je rêverai de retourner en Roumanie, de sentir le vent glacé de l’hiver, de voir les flocons tomber sur mon visage pour y fondre, d’entendre mes pas crisser sur la glace du lac gelé. Les hivers froids me manquent.

Je ne m’étends pas sur les raisons qu’un retour au pays est impossible pour le moment. Ce n’est pas une question financière mais je viens d’acquérir officiellement ma Green Card. En plus, mon père n’a toujours pas digéré mon départ, il y a maintenant plus de 15 ans, même si j’ai tenté de discuter avec lui par tous les moyens que nous offrent la technologie actuelle.

Les regrets font place à la stupeur lorsqu’elle me parle du sachet qui repose entre nous. Je lui adresse un regard étonné et retire instantanément ma main du petit cordon de ficelle que je triture inconsciemment.

- Un mauvais sort ? Mais pourquoi ? Oui, je suis juste… humain, terriblement humain.

Je passe une main légèrement tremblante sur mon visage, cherchant à comprendre ce qu’elle est en train de me dire.

- Non… Enfin j’en sais rien. Il doit bien y avoir un ou deux clients mécontents de mon travail ou qui estiment que mes services sont trop chers. Après, j’ai pas d’ennemi à proprement parlé… A moins que…

Je réfléchis à sa question et il n’y a qu’un mot qui me vient à l’esprit. Yago…

- J’ai eu un… comment appeler ça ? Une mésentente ? Non c’était plus que ça. Attends, faut que je te raconte sinon ça ne fait pas de sens. En fait, l’année dernière, j’ai fait la connaissance d’un mec... heu dit comme ça... J'suis hétéro hein, 100% hétéro. On s’est croisé à plusieurs reprises avant qu’il prenne réellement contact avec moi. Je l’ai invité chez moi, tout bien, tout honneur, et… en fait c’était un vampire. Il m’a menacé, il m’a obligé à déménagé de Stoner Hill au nord de la ville dans un Motel qui s’appelle le Lucky Star. Il voulait que j’observe les allées et venues des gens, des clients, des habitués. Sauf que voilà, moi je bosse la journée, j’ai jamais pu voir quoi que ce soit. Il voulait que je garde un œil sur une gonzesse, il m’en a même fait une esquisse, nénette que je n’ai jamais vue, du reste. Il passait régulièrement au garage pour prendre ses renseignements sauf que j’avais pas grand-chose à lui donner. Puis, du jour au lendemain, je ne l’ai plus vu. Quelques temps, plus tard, j’ai rencontré une femme qui créchait à côté de ma piaule. C’était aussi une vampire et elle m’a raconté qu’en fait, que le motel était une sorte de… repaire à vampires. J’ai pris mes clics et mes clacs et je me suis tiré. Em’ m’a hébergé. Fin de l’histoire. Mais le gars-là, le Yago, il m’a clairement menacé de mort si je ne lui obéissais pas. Après, un vampire a d’autres moyens de pression qu’un petit sachet d’herbettes. Je peux te le garantir...

Je lui adresse un regard éloquent, me souvenant de la trouille que Yago m'avait foutue. Je n'avais jamais rien ressenti de tel. La terreur totale.

"Naive Wandering   Tasya - Ethan."

Le sujet de Sam se clos sur une réassurance mutuelle sur son état de santé et des hochements de tête. Je suis conscient que mon ami garagiste cache un secret, touchant presque du bout des doigts une vérité que je ne veux voir et encore moins connaître. Je me doute bien mais je refuse de mettre bout à bout les indices en ma possession. Sam est un ami et je ne veux pas le voir différemment que ce gros nounours, bourru, que j’adore, donc je ne cherche pas à creuser. Un jour peut-être, mais pas maintenant.

Passer Noël en compagnie de Emily et Tasya serait juste fantastique. Mon esprit s’évade le temps d’imaginer les filles assises sur le canapé à bavarder, moi derrière les fourneaux, ce qui me plairait énormément. Le temps d’une soirée, elles n’auraient rien à faire qu’à se laisser servir. Je ferai même l’effort de chercher la recette du lait de poule, que je trouve ignoble, mais si ça peut leur faire plaisir… Noël, c’est ça aussi.

- Je vais envoyer un message à Emily. Moi, non ! Au contraire, je serais ravi de faire la popote pour vous deux. J’ai déjà commandé la dinde et je t’assure qu’on ne sera pas trop de trois pour en venir à bout. Tu repartiras très certainement avec un dogy bag. Em’ ne s'est jamais plainte de ma cuisine, bien au contraire. J'adore cuisiner en vrai.

Je lui adresse un sourire complice et hoche la tête. Je ne suis pas du genre à me vanter, mais tous ceux qui ont testé mes talents culinaires, ont toujours trouvé mes plats goûteux. Les cacahuètes sont les bienvenues et je pioche allègrement dedans, la remerciant d’un sourire.

- Alors, tu sais ce que l’on va faire, dès qu’il fera un peu moins froid, on prend quelques jours et je t’emmène à la mer. Pointant mon index vers elle, je lui adresse un regard presque menaçant. Et va pas croire que je dis ça comme ça, juste en l’air pour te faire mousser. Je te donne les dates dès que j’ai organisé notre escapade. Non ! Tu n’as pas le droit de refuser, on va dire que c’est mon cadeau de Noël. Ça marche ?

Je lui tends ma main, paume vers le haut afin de concrétiser notre marché. Trouver un motel sera simple pendant l’entre-saison, les prix seront bas et les touristes rares. Et s’éloigner de Shreveport quelques jours, nous fera le plus grand bien.

Les traits de mon visage se froissent et je secoue la tête négativement. L’argent n’est pas un problème, sans rouler sur l’or, mon long séjour au Lucky Star payé par ce crétin de Yago, m’a permis de faire quelques économies. Je ne suis pas très dépensier, n’ayant pas d’énormes besoins. Emily ne me demande rien pour la collocation, je la paie en service et en bouffe.

- Non, ce n’est pas l’aspect financier, de ce côté-là, je ne peux me plaindre. Je suis parti de Roumanie en claquant la porte. Renouer contact avec mon daron reste compliqué. Mon frère me donne régulièrement des nouvelles, on s’appelle toutes les semaines. Mon père ne m’a jamais pardonné et il est maintenant à la solde d’un de ses buveurs de sang. C’est compliqué. Il m’en veut, je lui en veux… Enfin tu dois trouver ça bien futile, toi qui n’as plus personne… J’ose demander ce qui s’est passé ?

La question est délicate, j’en suis parfaitement conscient. Mais j’ai envie d’apprendre à connaître Tasya, c’est une belle rencontre et… et elle est sacrément mignonne, et gentille, et intelligente…. Je m’emballe et rougis de mes propres pensées. Mais elle a les mots qui me font redescendre rapidement à la dure réalité quotidienne.

- Ouais ! Yago a fait un truc, je sais pas comment il s’y est pris mais, sans raison, j’étais juste mort de trouille, pas juste une appréhension, vraiment la peur de ma vie, à la limite de tomber dans les pommes de terreur, mon cerveau, il suivait plus. Je transpirais à grosses gouttes, totalement terrifié sans que je puisse me raisonner. C’était horrible. A l’évocation de ce souvenir, je sens mes poils se hérisser et ma peau se couvrir de chair de poule. Tiens, regarde, rien que d’y penser, ça me fout les foies.

Une question insolite s’échoue entre nous. Je fronce les sourcils et réfléchis un peu avant de répondre, chose suffisamment rare pour le souligner.

- Heu… oui, je connais plein de gens qui ne sont pas des vampires. Toi, par exemple. Sam, Elizabeth, Tyler, Emily, Wil… et tous les clients qui viennent au garage de jour. Là, je n’ai cité que ceux qui me sont proches, vraiment proches. Bon Emily voit des fantômes, mais ça, c’est son secret que je tais. D’ailleurs, Tasya… heu… Je ne sais comment tourner ma question mais il faut que je sache. Tu sais faire de la magie ? Parce que l’autre jour, chez Sam, une balle… faut aller la chercher au fond de la plaie, elle sort pas juste comme ça en posant les mains dessus.

Ma voix s’est faite plus discrète, disparaissant presque dans un murmure. Mon regard fuit le sien, se concentrant sur un morceau de cacahuète que je triture nerveusement.

Elle farfouille dans son sac et en sort une petite médaille qu’elle dépose délicatement sur le comptoir. Sans comprendre, je regarde l’objet et lui tends une mine interrogative.

- C’est quoi ?

"The world and me."

Un sourire resplendissant accueille son consentement. Bon Em’ n’est pas encore au courant mais je suis certain qu’elle ne sera pas contre, bien au contraire. J’ai commencé à décorer la maison, même si ma colocataire estime que j’en fais beaucoup trop. Qu’importe. Lorsque j’étais encore à la maison, il n’y avait pas autant d’accessoires pour faire briller la maison. Le sapin en plastique était toujours le même, d’année en année, en fait, du plus loin que ma mémoire peut remonter, je n’ai connu que ce truc sacrément déplumé où pendouillaient trois misérables boules. Le sapin est déjà en place, les décorations et les petites lumières scintillent de mille feux, apportant inlassablement un sourire sur mes lèvres. Evidemment, il manque les odeurs, mais je vais faire quelques biscuits avec des épices, du lait de poule, des petites bougies et faut que je trouve un moyen de faire de la neige.

J’élève les deux bras dans les airs et un petit « yeees » s’échappe de mes lèvres avant de reprendre ma posture plus discrète.

- Considère que cette escapade sera mon cadeau de noël. Je m’occupe de tout, tu n’auras qu’à apprécier et dire merci. Et moi aussi, ça me fera du bien de quitter Shreveport quelques jours. Et pas de vampires, de zombies ou autres créatures qui devraient être mortes et enterrées. Je prendrai deux chambres.

Il me semblait important de mentionner ce dernier détail. Je ne voudrai pas qu’elle croie que je profite de la situation pour tenter une approche. Si quelque chose doit se passer, elle se passera, mais je ne veux rien précipiter, surtout sachant que Garance dort sur mon épaule.

Les morts hantent notre discussion et je sers les lèvres sans avoir de réponse précise concernant sa famille. Mais je n’insiste pas, ce n’est pas le lieu, ni le moment. On ne se connait pas suffisamment pour aller au fond des choses. Un jour, elle me dévoilera ce qui est arrivé et surtout qui ou quoi les a tués. Quant à mon père, si je ne fais pas le premier pas, la situation ne bougera pas. Et s’il meurt, je m’en voudrais pour le restant de mes jours. Mais je ne suis pas encore prêt, même après tout ce temps, le tenant responsable de la mort de ma mère. Je hoche de la tête et n’ajoute aucun mot. Le passé peut dormir en paix ce soir, je n’irai pas déterrer les secrets qu’il garde sous sa coupe.

Le chemin de nos mots reprend mon affaire avec Yago et je secoue vigoureusement la tête. Une longue gorgée de bière est prise suivie d’une éructation discrète.

- Non, tous les vampires ne font pas ça. Je… j’hésite, me demandant comment elle va réagir concernant mon amitié avec Nicola. J’ai un ami, un vrai, il est immortel et jamais il n’a fait ça. Mais il sait faire des choses bizarres, comme transformer son apparence.

J’en ai appris plus sur les fils de la nuit ces derniers temps. Bien plus que je ne voudrais le savoir. La femme du motel m’a donné tellement d’information en si peu de temps, alors que je ne lui avais rien demandé.

Mes sourcils s’élèvent alors qu’elle attrape ma main, m’entraînant à l’extérieur tout en me fournissant une réponse qui me fait ouvrir la bouche sans pour autant avoir le temps de protester. Si cette médaille vient de sa mère disparue, elle ne peut me la donner. Je me laisse entraîner dans une ruelle isolée, la pluie s’infiltrant dans mon col, roulant sur ma nuque dégagée, mes étant relevés dans un chignon. Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend, mais la sensation que des yeux invisibles suivent nos mouvements, ne me quitte pas. Avant de m’aventurer dans l’impasse, je scrute la nuit, élève mon regard sur les toits sans parvenir à détecter quoi que ce soit. Les voitures garées dans la grande rue sont vides, aucune buée trahissant une quelconque présence.

Il fait sombre, les murs noirs suintent et brillent légèrement à leurs sommets. Je suis tendu, ne sachant pas pourquoi ce sentiment me contracte tant les muscles des épaules. Je sais que nous sommes seuls mais, je ne peux m’empêcher de jeter des regards inquiets vers l’entrée de la ruelle.

- Oui, mais pourquoi…

Ma question reste en suspens lorsque je la regarde ouvrir les mains et se concentrer. L’eau cesse de tomber me faisant élever les yeux vers une sorte de parapluie invisible. Je souris devant le phénomène.

- C’est beau ! C’est… tellement… beau.

Mes yeux brillent d’émerveillement et si je ne me sentais pas si en danger, j’aurai volontiers applaudit comme un enfant devant le père noël.

- Je le savais ! J’en étais sûr ! Et franchement c’est fantastique. Tu pourras m’apprendre à faire quelques tours ?

Un bruit dans le fond de l’impasse me fait me retourner sans que je ne puisse percer les ténèbres. Un chat saute silencieusement à mes pieds me faisant sursauter et vient se frotter à mes jambes. Un rire un peu débile empli la rue et se répercute contre les parois, rompant le charme.

- Viens, rentrons… Merci pour ta confiance.

J’attrape sa taille après avoir offert une caresse au petit félin et la retourne rapidement dans le bar, sans cesser de jeter des coups d’œil par-dessus mon épaule.

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La chaleur du bar est la bienvenue, même si je trouve la température de l’hiver de la Louisiane plus qu’acceptable. Les habitants ronchonnent contre le froid, sans penser qu’au nord de leur propre pays, les températures peuvent atteindre les -40. Chicago est piégé dans une épaisse couche de neige, tout comme la plupart des Etats du nord. Je rêve de revoir la neige, de sentir le vent glacial fouetter mon visage, d’enfouir mon corps dans de grosses vestes, mais ça n’arrivera pas, pas si je reste ici. Près de la côte, peut-être que l’humidité et cette chaleur poisseuse sera balayées par l’air marin. On verra ça, je ne suis jamais aller sur la côte si l’on exclut, les quelques mois que j’ai vécu à New-York.

Ainsi, on nait avec des dons ou pas. Est-ce également un don de se fourrer dans des situations impossibles ? Je lui adresse une petite moue de déception lorsqu’elle m’apprend qu’elle ne peut m’enseigner quelques tours. J’avoue que cela m’aurait beaucoup amusé d’épater Emily avec un truc un peu bizarroïde. Tant pis, si veux divertir ma colocataire, je vais devoir chercher quelques vieux tours sur le net.

Une explication tardive tombe concernant Sam, je me doutais bien que des forces occultes étaient à l’œuvre lors de notre intervention au garage de mon ami.

- Je le savais, même si je n’avais aucune certitude. La manière dont la balle est sortie de la plaie et la mini explosion qui nous a pété à la gueule… C’était toi aussi ? Je réfléchis un instant, reprenant la parole après quelques secondes. C’était ta magie qui nous a projeté aux quatre coins de la pièce ? D’ailleurs, quand tu étais aux toilettes, j’ai demandé à Sam, mais il n’a rien voulu dire. Cet homme est une véritable tombe, tu peux lui confier, les yeux fermés, tes secrets les plus intimes, il ne dira rien. Franchement, plus j’apprends à le connaître, plus je l’apprécie. C’est vraiment un bon gars. Je hausse les épaules et lui adresse un sourire sincère. Magie ou pas, je t’emmènerai quand même à la côte !

J’effleure sa main dans un geste spontané, lui offrant une caresse légère. M’en rendant compte, je rougis terriblement et plonge le nez dans mon verre. Suis-je véritablement en train de la draguer ? J’ai honte mais en même temps, j’ai envie de passer du temps avec elle. Cette nénette me plaît, c’est indéniable, même si je ne la connais pas depuis longtemps. Toutefois, le fait que Garance soit là, accrochée à mon cou, freine nettement mes ardeurs. C’était quand même moins compliqué quand je ne savais pas qu’elle était toujours là. J’ai connu d’autres femmes depuis la mort de mon épouse, mais rien de durable. Tasya… c’est différent.

Bifurquant à 180°, je sors mon téléphone et reviens sur le sujet de notre escapade. J’affiche la carte des Etats-Unis et zoom sur notre localisation, visualisant le réseau routier. Je dépose l’Iphone entre nous et lui montre les différentes possibilités.

- Regarde, là, c’est Shreveport. C’est pas à côté mais c’est largement faisable en une petite semaine. Tu penses que c’est jouable ? Tu dois bosser à nouvel an ? Parce que… ça serait cool de passer le cap en se laissant porter par le hasard. C’est toi qui choisis, moi j’propose, tu disposes.

Relevant mon verre, je m’aperçois qu’il ne reste qu’une micro-goutte dormant au fond de mon verre. Damned ! Un grave dilemme se pose à moi. En reprendre une, me permettra d’attendre la fin de son service, mais avec l’éventualité qu’elle me prenne pour un soulon plane dans mon esprit. Je ne dis rien, peut-être que les paroles ne seront pas nécessaires, je croise les doigts.

- Et ne t’en fait pas pour le côté pécunier. Vraiment. Je suis resté presque un an sans payer de loyer. Seule chose positive à être logé par ce connard de Yago dans le motel, c’est lui qui payait le loyer. Tu sais, je n’ai pas beaucoup de besoins, je vis simplement, donc pour une fois que je peux en faire profiter quelqu’un, on va pas se priver.

Hochant la tête, je lève inutilement mon verre, le repose, me sentant un peu bête d’avoir déjà oublié qu’il était vide, répondant à un réflexe instinctif.

- Oui, Nico parvient à changer son apparence. C’est comme s’il devenait une sorte de serpent pour pouvoir se glisser dans des endroits exigus. Il m’a fait le coup un jour pour s’introduire dans le garage. Je t’assure que ça surprend. Et toi ? Que sais-tu faire de ta magie ? Tu sais, moi… je ne sais rien faire de tel… Je suis juste banalement humain. Ca ne te gêne pas trop ?

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- Ouais, vas-y, mais une petite, hein. Les choppes servies dans ce pays sont juste démentiellement démesurées. Surtout, je vais devoir m’arrêter, au minimum, trois fois avant d’arriver chez moi, pour me soulager. Je lève les yeux, émet un petit rire gêné et j’ajoute précipitamment, la bière… le meilleur diurétique au monde !

Pas qu’elle pense que j’ai des problèmes de vessie. J’ai pas 60 balais, je ne me lève pas trois fois par nuit pour aller pisser. Changeant radicalement de sujet, je reviens sur Samuel.

- Ouais Sam, il est vraiment top. Tu sais que c’est le numéro un, niveau mécanique, en ville ? Quand on a un soucis que l'on ne sait régler, on appelle Sam. Il a toujours une solution. Comment vous vous êtes connus ?

Mes questions restent plus ou moins sans réponse concernant ce fameux matin, mais nous échangeons sur pas mal de sujets, en laissant certains de côté, ce qui ne m’étonne absolument pas, mon interrogation concernant l’explosion me sort de la tête, n’y pensant plus. Sam et sa balle sont certes un sujet de discussion préoccupant mais je dois avouer, que là, tout de suite, notre petit projet d’évasion m’intéresse beaucoup plus.

- Si ça pose un problème, on décale. Mais c’est vrai, que maintenant, j’ai vraiment envie de faire cette petite excursion. Ah d’ailleurs, j’ai tout ce qu’il faut. Casque, veste en cuir, gants. Niveau pantalon, j’ai un ciré mais ça sera un peu grand pour toi. Et faudrait une paire de bottes, en cuir de préférence. Tu retournes quand à l’hôpital ?

Ca y est, je suis trop impatient. J’ai hâte que nous partions. Elle est là, proche de moi. Une douce chaleur envahit mon corps alors que mon cœur se gonfle de bonheur. Ce n’est pas seulement un rancard que j’ai décroché, mais une semaine entière avec cette fille que je trouve super canon. Après, son physique, ce n’est pas ce qui m’attire le plus en elle. C’est sa manière d’être, sa gentillesse, son franc parlé, son sourire… Tout me plaît en elle.

Je souris, me penchant un peu vers elle, accentuant le contact contre son épaule que j’apprécie bien plus que je ne voudrais l’admettre. Tournant la tête légèrement vers elle, une mèche de mes cheveux échappée de mon chignon, caresse son épaule.

- Tu paieras tout ce que tu veux… Si tu y arrives, va falloir que tu sois plus rapide que moi.

Un clin d’œil lui est offert. Mon dieu ! Il y a tellement longtemps que je n’ai pas dragué et là, je le fais ouvertement et de manière tellement naturelle. Coupable de monopoliser le personnel, je jette un rapide coup d’œil autour de nous mais il ne reste vraiment plus beaucoup de monde. Un couple qui se bécote dans un coin, un homme qui est totalement absorbé par l’écran qui diffuse un match de foot américain et un autre qui finit sa boisson, laisse quelques billets sur le comptoir et sort de l’établissement. Chuchotant presque à son oreille, je trouve une excuse pour qu’elle reste encore un peu contre moi.

- Laisse tomber la bière, je préfère mourir de soif mais te garder près de moi. Bon voilà, ça c’est dit. Au moins, elle sait maintenant que j’apprécie son contact. Je reprends en plaisantant. J’espère que cette promiscuité ne te dérange pas… Parce que sur la moto, va falloir t’accrocher à moi. Promis, je prendrai régulièrement des douches. Puis plus sérieusement. Je vais installer un micro et des écouteurs dans chaque casque, comme ça, on pourra parler tranquillement durant qu’on roule.

Des explications me sont données concernant ses pouvoirs. C’est la première fois qu’une personne s’ouvre de cette manière à moi. Je l’écoute attentivement, fasciné par cette magie qui se dévoile doucement à moi. Les incidents de 2019 me sont connus, mais je n’étais pas en ville lorsque l’apocalypse s’est abattue sur Shreveport. Lentement, je hoche de la tête, mes doigts jouant distraitement avec un carton destiné à éponger le surplus de bière, s’écoulant des verres.

- Merci Tasya. Merci de t’ouvrir ainsi à moi. J’apprécie vraiment. Ton don est vraiment fabuleux. Nous irons jusqu’à la mer, je te le promets. J’ajoute en la taquinant : et je te ramènerai ici. Je ne suis pas un vilain tueur en série qui attire les jeunes femmes sur sa moto pour les enterrer dans les bois. Une légère pause est marquée, le temps que les rires se tarissent. Ta confiance me touche, vraiment.

La magie peut faire de gros dégâts, preuve en est, octobre 2019. Certaines personnes ne se sont toujours pas remises et la ville en porte encore les stigmates. Lentement ma main glisse vers la sienne et j’entrelace quelques doigts, attendant sagement sa réaction avant d’oser m’aventurer plus loin. Je lève mes orbes pour accrocher les siens, cherchant son consentement muet.

"Naive Wandering   Tasya - Ethan."

Je reconnais bien le caractère de Sam, venir en aide à une jeune femme, la dépanner et en plus, lui offrir du travail en dédommagement. Si je n’avais pas mon propre garage, je pense que je tenterai ma chance pour être embauché chez lui, mais être son pote, c’est tout aussi bien et certainement mieux, en fin de compte. J’ai tellement pris l’habitude de bosser seul, de n’avoir personne pour me chaperonner que j’éprouverai très certainement du mal à supporter quelqu’un qui vérifie chaque geste que je fais. De plus, on a pas du tout la même clientèle. Je donne dans le « Monsieur tout le monde » alors que lui, c’est quand même très spécifique. Hochant la tête, je souris, les yeux perdus dans le vague, l’atelier de Sam dansant dans ma mémoire.

- Ouais, c’est vrai que c’est toujours nickel chez lui. Je sais pas comment il fait. Y’a jamais une goutte d’huile par terre. Pas que je travaille comme un cochon hein, mais bon, les éclaboussures, ça arrive. Après, j’avoue que j’aime avoir un atelier propre et ordré. Etant seul, j’arrive à avoir un hall pas si mal. Mais effectivement, ça n’a rien à voir avec le garage de Sam. Les locaux où je suis, sont à The Haven, dans le nord. Le quartier tombe lentement, mais surement, en ruine. L’avantage, c’est que l’on circule plus librement, qu’il y a de la place et que je connais bien les autres commerçant. Si t’as deux minutes un jour, passe, je te ferai le tour du propriétaire.

Je piaffe d’impatience, j’aimerai pouvoir partir demain à l’aube. Mais je sais que ce n’est pas possible. Après, le départ va venir vite. Ce n’est qu’une question de jours et y’a quand même quelques préparatifs à faire. Déjà, regarder les hôtels qui sont potentiellement sur la route. Si y’en a un ou deux qui peuvent être sympas, je vais poser une réservation dessus. Et surtout trouver un établissement pour le 31, enfin me renseigner qu’est-ce qui reste de libre ou non. Elle mérite mieux qu’un simple motel tout pouilleux. Après, on ne va pas sortir le grand jeu non plus, mais juste un endroit, un peu cosy où on va pouvoir se poser et admirer la mer, même s’il pleut des cordes.

- J’ai vraiment hâte. Ma voix n’est qu’un murmure avant de reprendre sur le ton de la conversation. A visiter… comment te dire. Malheureusement, nous ne sommes pas sur le vieux continent où, il y a tellement de choses à voir. Ou même chez toi. Je rêverai un jour, de voir les pyramides mayas, c’est bien Maya et pas Aztèques ? J’avoue que j’ai un peu tendance à mélanger, par méconnaissance. Me pardonneras-tu ? Je lui tends une mine faussement larmoyante. Ou alors, endosse une nouvelle casquette et deviens prof’ d’histoire. Faut déjà voir le temps qu’il va faire. On peut juste s’asseoir sur la plage et regarder les vagues, profiter du vent, tu pourras te gorger de l’eau qui traîne dans l’air, je pourrai dessiner, on peut faire des balades à pied, juste profiter, recharger les batteries, oublier tous les tracas, ne pas penser au lendemain, se laisser porter par nos inspirations. Qu’en penses-tu ?

J’imagine les plages désertes, elle, moi. J’idéalise peut-être mais qu’importe, ça fait partie de l’avant, de l’anticipation. Je soupire d’aise, lui adressant un sourire empli de tendresse.

- On va faire en sorte que cette escapade soit parfaite, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’importe, on va en profiter à fond. Tu vas pouvoir te ressourcer auprès de l’océan, je te foutrai la paix, je resterai spectateur.

Un silence, de courte durée s’insinue entre nous, le temps que nos doigts fassent connaissance. Mon cœur explose dans ma cage thoracique lorsqu’elle accepte le toucher, lorsque nos regards se croisent. Les joues en feu, je pourrai me lever et crier ma joie à tue-tête. Je lui rends son sourire, l’admire. Je pourrais, briser cette toute petite distance qui réside entre nous, prendre ses lèvres pour y déposer un baiser léger, je pourrais mais je n’en fais rien. J’inspire profondément et ris doucement avant de lui répondre.

- C’est réciproque, tu as toute ma confiance.

Sans lâcher ses doigts, je regarde une nouvelle fois autour de nous. Le match est fini, les pubs scandent les méritent d’un rasoir rendant les hommes plus virils. Quelques billets trainent sur le comptoir. Un élan de sympathie s’envole vers cet inconnu qui ne nous a pas dérangé. Par contre le couple, seuls consommateurs encore présents, sont passés aux choses plus sérieuses. La main du type est passée sous la jupe de la miss alors la paume de la nénette n’a pas de pudeur à lui masser le paquet.

- Je pense qu’il est l’heure de les inviter à trouver un autre lieu que la banquette du restaurant. Tu veux que je m’en occupe pendant que tu boucles la boutique ?

A regret, je brise notre entrelacement et me lève du tabouret, déposant une main chaste sur le haut de sa hanche.

- Tu veux que je te ramène ? Ca serait avec grand plaisir. Promis, je n'insisterai pas pour un dernier verre chez toi.  

"Naive Wandering Tasya - Ethan."

Après quelques protestations, le couple prend le large, manifestement dérangé dans leur prémisse à ce qui sera certainement une nuit mouvementée. Loin de rester inactif, j’attrape un torchon et aide Tasya en la suivant, imitant ses gestes. Rapidement, le bar est fin prêt pour le lendemain. Les lumières s’éteignent une à une, la musique est coupée, les néons cessent de clignoter. Un sentiment étrange me traverse me forçant à me retourner vers les ténèbres où, évidemment, je ne distingue rien. Je ne suis pas un pleutre, mais les évènements des derniers jours me rendent nerveux dès que les ambiances créées artificiellement retombent. Je ne suis qu’un simple humain, et c’est très bien ainsi, je n’ai rien à me reprocher. J’ai coupé les ponts avec les vampires depuis que Nico est reparti vers l’Europe, nous gardons contact régulièrement, vu qu’officiellement, c’est lui mon patron. Yago a disparu de la surface du globe et ça me convient à merveille, j’espère juste qu’il ne va pas ressortir à un moment ou à un autre des tréfonds de l’enfer. Depuis que j’ai quitté le Motel pour m’installer chez Emily, je suis nettement plus serein, je pourrai même dire que je suis heureux. Et là, comble du bonheur, ma rencontre avec Tasya. Cette femme est un rêve. L’attirance que j’éprouve pour elle, est extrêmement profonde.

Je soupire en la regardant, des étoiles dans les yeux, un feu d’artifice naissant dans ma caboche. J’ai écouté attentivement les paroles qu’elle m’a offertes concernant les différents peuples et site archéologiques de son pays. Je sens que dès que je serais rentré, je vais aller faire un tour sur internet afin de lire et voir ces fameuses pyramides dont elle me parle avec tant de ferveur.

La clef tourne enfin dans le verrou, mettant un terme à sa journée de travail. Je ne pensai pas que j’allais passer une bonne partie de la soirée en sa compagnie et surtout, faire la fermeture. Je souris à cette pensée, même s’il n’est pas très tard. J’attends qu’elle glisse son trousseau dans son sac et, délicatement, lui prends la main et l’entraine du côté de ma moto, tout en lui donnant quelques détails sur ma petite personne.

- Oui, je griffonne à mes heures perdues. Mais j’avoue que je suis assez pudique, ne me voyant pas du tout comme un artiste. Cela m’apaise, j’aime voir les détails, reproduire ce que la nature offre à mon regard. Si tu es sage, je te laisserai y jeter un coup d’œil.

Je lui adresse un sourire espiègle et m’arrête devant ma bécane et écarte les bras.

- Tadaaaaaaa ! J’éclate de rire et enfonce ma tête entre les épaules. Alors oui, c’est loin d’être une Rolls, mais c’est… « Lady ». Prête à faire une course d’essai ? Je te ramène chez toi, même si c’est juste à côté, histoire que tu puisses te faire une idée. Franchement, tu pourrais habiter à l’autre bout de la ville ou à l’opposé de chez moi, que je ferai le détour… juste pour t’avoir un peu plus longtemps contre de moi.

Lui offrant clin d’œil appuyé, ne cherchant aucunement la subtilité, je n’attends pas les réminiscences, j’ouvre le coffre et dégaine un casque. Avant de le lui enfoncer sur le crâne, je m’approche d’elle et dépose un baiser léger sur le bout de son nez. Ma veste est déposée sur ses épaules et ses mains sont emballées dans mes gants. Reculant de quelques pas, j’admire la petite silhouette disparaissant dans les vêtements trop larges.

- Magnifique, tu es une vraie motarde maintenant. Tu me guides ?

D’un signe de la main, je l’invite à prendre place sur le siège et l’aide à s’installer. A mon tour, j’enfile mon propre casque. D’après ses dires, le trajet va être plutôt court, je ne vais pas mourir de froid, j’ai déjà connu pire. Du moment où j’ai un passager, je reste extrêmement prudent. Je m’assieds et démarre tout en douceur, attentif à ses indications.