La pénombre de la clairière offre un semblant de répit à la chaleur étouffante du début de soirée. Les ombres des pins et des cyprès dessinent une atmosphère inquiétante, elles prennent vie sous la lumière artificielle d'un large projecteur sur pied, braqué sur le visage moite et blafard de l'unique conteur. A en juger par son accoutrement, le quadragénaire paraît être un habitué des lieux : chaussures montantes, short et veste de treillis, casquette parfaitement ajustée, c'est à se demander s'il n'en fait pas un peu trop. Mais le ranger aux sourcils broussailleux et à la silhouette voûtée prend son rôle très à cœur, lorsqu'il déclame avec entrain les consignes de sécurité, garantes du bon déroulement de la soirée.
« Bienvenue, bienvenue à toutes et tous à cette course d'orientation nocturne, et merci d'être si nombreux à avoir souhaité y participer. Les règles sont simples : des balises ont été dispersées et dissimulées un peu partout dans la forêt, à vous de suivre les pistes pour remonter jusqu'au trésor. Le ou les gagnants se verront offrir un an d'abonnement au magazine Ensemble, préservons la biodiversité du bayou louisianais, un pack débutant du parfait randonneur, ainsi qu'un dîner-spectacle pour deux personnes au restaurant Au du bayou ! »
Son regard sombre balaie l'assemblée d'une vingtaine de personnes lorsqu'il marque une pause, décortique chaque visage avec une attention particulière. L'événement porté sur les réseaux sociaux ayant clairement spécifié que les mineurs n'étaient pas autorisés, aucun enfant n'est présent ce soir. Un couple hétérosexuel d'une trentaine d'années, à l'accent hésitant, la blancheur originelle entachée de coups de soleil, se tient la main avec ferveur. Paupières mi-closes, les lèvres remuant à peine, ils paraissent prier dans une langue autre que l'anglais. Un vieil homme, la peau basanée, une longue barbe blanche et broussailleuse, trépigne déjà : sa tenue vestimentaire comme son attirail sont parfaitement adaptés à l'événement, et prouvent qu'il est rôdé à ce type d'exercice malgré son âge avancé. Au fond du groupe, deux jeunes hommes, dont l'accent comme la carnation trahissent des origines sud-américaines, pouffent parfois discrètement en se murmurant à l'oreille des blagues vaseuses. Une férue d'escape game en tout genre arbore fièrement ses badges de scoot comme ses multiples récompenses, et effectue ses étirements tout en réinitialisant son podomètre via son smartphone, un peu à l'écart de la foule. Si certains paraissent se connaître, d'autres, au contraire, semblent être venus seuls, peut-être afin de se prouver à eux-mêmes leur bravoure. Quelques murmures bruissent dans le groupe, sans pour autant déranger l'orateur qui poursuit sa présentation.
« Mon collègue s'apprête à passer parmi vous pour vous distribuer le matériel nécessaire au bon déroulé de cette chasse au trésor : boussole, lampe torche, carte de la zone. Les balises sont de couleur orange, et ressemblent à de grosses agrafeuses : elles serviront à poinçonner votre carnet d'aventure, et à nous prouver que vous les avez bien localisées. Ne vous éloignez pas des sentiers balisés, nous n'avons pas poussé le vice jusqu'à dissimuler les balises au cœur de la forêt ! Et si vous rencontrez le moindre problème ou si vous souhaitez abandonner l'expérience, je suis joignable au numéro de téléphone au bas de la carte. Ne vous inquiétez pas, la partie de la forêt où vous évoluerez est couverte par le réseau 4G. »
A nouveau, ses billes noires parcourent les visages des participants rassemblés à l'orée du bois. Tout autour de la foule, les dernières lueurs du crépuscule confèrent à la forêt une beauté effrayante, majestueuse, presque sacrée. Derrière l'orateur se déroule un large chemin de terre bordé par une végétation dense, sans dénivelé particulier. C'est par là que les participants entameront le jeu de piste auquel ils prendront part, ce soir, en équipe ou en solitaire, pour le meilleur ou pour le pire.
Spoiler:
Précisions MJ :
• Medea, tu reconnais un voire deux visages parmi l'attroupement.
• Tyler, ton odorat hypersensible peut te permettre de déceler une trace olfactive, discrète mais tenace, d'hémoglobine, quelque part autour de toi.
• Pour tous : s'il est indiqué dans la description de la Kisatchie National Forest qu'elle abrite le Cairn de la Meute, c'est un secret bien gardé et cette information n'a jamais été officialisée irp (tout comme la présence d'une Meute à Shreveport d'ailleurs). De plus, la forêt est vaste et le territoire des lupins est magiquement dissimulé du commun des mortels. Pour ce rp, et comme aucun de vos personnages ne possède d'affiliation avec la Meute, considérez donc simplement que vous évoluez dans une forêt "normale".
• Pour toute question, remarque, besoin de clarification, idée saugrenue, n'hésitez pas à envoyer un mp sous le compte de @Yago Mustafaï !
• Bonne chance
[Ce pitch vous est proposé en direct des limbes du zbeul par Zach, Anaïs, Dillon, Yago et animé par ce dernier très humble serviteur]
Got the evil eye. You watch every move, every step, every fantasy. I turn away but still I see that evil stare. Trapped inside my dreams I know you're there. First inside my head, then inside my soul.
L’atmosphère moite et pesante fait déjà coller le t-shirt noir à ma peau. Tandis que je m’approche – conservant un périmètre de sécurité rassurant face à ces inconnus – j’observe la petite assemblée en grimaçant. L’idée de devoir supporter la compagnie – subir l’existence – de ces vieux transpirants, des amoureux british cramés ou encore de ce binôme mexicain au sourire absurde qui leur donne à tous les deux un air particulièrement niais me dépite.
Rassurez-vous je suis là pour une bonne raison. Un Shepherd est sûr de l’information. Son voisin participe à cette ridicule course d’orientation. Il est probablement vampire. Mais l'extrémiste n’a pas pu – pas voulu ? – être de la partie et m’a supplié de venir récolter ici les renseignements nécessaires pour confirmer ses hypothèses. Éteindre ses doutes. Préparer son assassinat ; Le service n’est pas gratuit. J’ai pu avoir plusieurs pistes de chasse en amont, et le camarade doit m’en fournir davantage une fois cet effort social effectué ;
Alors je suis là, mains dans les poches, orbes noires rivées sur crocodile dundee et son collègue qui tentent de rendre l’animation un brin intéressante. On sent l’âme aventurière et audacieuse de ces deux… scouts ratés ? Je tâche de repousser mon cynisme et ma sauvagerie pour récupérer le matériel distribué : quitte à me promener dans ces forêts maléfiques, autant mettre toutes les armes de mon côtés. A ce propos, je veille à ce que le holster et le flingue à l’intérieur soient dissimulés sous mon vêtement, au bas de mon dos.
Comment s’organiser désormais ? Les connaissances restes collées les unes aux autres et vont faire équipe pour espérer gagner la course tandis que les touristes veulent surtout, je suppose, vivre la soirée comme une attraction à sensations fortes. Ils pourraient ne pas être déçus. Je déteste l’idée de m’enfoncer dans ces terres menaçantes…
A peine le temps de vérifier que la lampe fournie est opérationnelle que déjà les plus motivés se précipitent sur le sentier poussiéreux, chacun proposant avec confiance son interprétation de la carte. Je profite de leur détermination pour les laisser s'éloigner. Je n’ai pas repéré le fameux voisin et s’il est la cible de mon contact chez les Shepherd, il n’est pas ma priorité. Après tout, les joueurs comptent peut être d’autres monstres dans leurs rangs à moins qu’une créature diabolique me fasse l’honneur de croiser ma route en ces bois ?
Un rictus carnassier au coin des lèvres, je m’apprête à entamer cette nouvelle chasse. Puis mon regard croit reconnaître le détective, Tyler. Ici ? D'autres contrats en commun ou une étrange passion pour l'orientation ?
J'hésite à le héler, quand je devine sa silhouette. Figé, subitement arraché à la réalité, je peine à le croire. Et pourtant. Mes yeux remontent à son visage, détaillent ses cheveux, devinent les courbes familières de ses lèvres. Bordel.
« … Lucy ? »
Quel sortilège me frappe encore ?!
Medea Comucci
Sugar Mommy, la randonnée c'est ma vie (et mes collines ne demandent qu'à être explorées)
I will stop at Nothing
En un mot : Humaine. Profiler pour le FBI et consultante pour la NRD
Qui es-tu ? : A cinquante ans, je rassemble les bris de ma carrière explosée dix ans plus tot. Travailleuse acharnée, animée par un désir de vengeance qui me couple le souffle. Je ne m'arrêterais que lorsque ma Némésis sera morte ou sous les verrous. En parallèle, à la tête d'une cellule spéciale, je suis chargée d'incarcérer les CESS qui s'imaginent au dessus des Lois.
Facultés : J'attire les ennuis. Très facilement. Et souvent, je vais à leur rencontre.
Des jours, des semaines que ses collègues la taquinent sans relâche avec cette course d’orientation. A priori, c’est un rite de passage plus ou moins obligatoire que de se retrouver coincé au minimum une fois dans une activité pittoresque et locale” de la Louisiane. Au moins, elle a échappé, de peu, si elle a bien compris les négociations dans l’ombre, à la retraite “Comment le Yoga et la Méditation sont un remède pour l’âme moderne, stage pratique et théorique, partages des expériences encouragées”. Là, elle est certaine qu’il y aurait eu des morts. Par sa faute.
Ca ne peut pas être si terrible, une balade en forêt, non? Medea lache un soupire. Elle a conscience qu’elle n’est pas la plus sociable des collègues, qu’elle a une tendance à fuir comme la peste les team building dîner et autres conneries du genre. Ses journées se passent à déceler les failles, à creuser les pensées et les manières de réfléchir des hors la loi les plus visqueux de la Louisiane.. Elle a du mal à ne pas picorer les propres non dit de ceux avec qui elle travaille. Cela lui demande un réel effort de se “débrancher”. Alors pourquoi pas? Elle n’est pas si susceptible qu’elle prenne mal que ses collaborateurs s’accordent un peu d’amusement sur son dos. L’ambiance dans laquelle ils évoluent y est si peu propice. Tant qu’elle gagne la course, bien sûr. Wayne, sous le manteau, n’a pas manqué de capitalisé sur sa place finale. Est ce qu’elle a parié sur elle? sì, naturalmente Pour en sortir la tête haute, être dans le trio de tête est indispensable.
Après tout, une soirée de relâche, prendre un peu de temps pour respirer, prendre un peu le soleil? Couchant le soleil. Détail. Qu’est ce qui pourrait mal se passer? Medea, en faisant son sac, ne laisse pas de côté ses cigarettes, pas plus que son téléphone portable. Il y a des limites à devenir Vert. Deux gourdes d’eau, des barres de céréales, une flasque de tequila, du chocolat noir, un kit de premier secours, un kit anti-venin et anaphylactique, une petite lampe torche et un pull. Entre autres choses. Elle n’a encore jamais mis les pieds dans la Kisatchie et ignore exactement à quoi s’attendre. Ses seules informations sont celles inscrites sur le petit flyer gentiment épinglé sur la porte de son bureau. Et à coté de son ordi. Et près de la machine à café. Un jean noir, une paire de chaussures montantes - un crève coeur de se séparer de ses talons- et une chemise en flanelle à carreaux rouge et noir dont elle peut relever les manches si besoin. Pour le moment, celle-ci dissimule de facto sa croix en argent et les liens d’argent qui s’entrecroisent autour de son poignet gauche. Un dernier regard sur un visage à peine maquillé, s’estimant parée, l’italienne passe une lanière de son sac à dos sur une épaule et rejoint la forêt.
Douche froide. Ou plutôt, douche humide, poisseuse et trop chaude. Un pas dans la clairière, un regard sur les autres participants, le son de la voix de l’animateur et déjà, Medea a envie de faire demi-tour. Non, cela s’annonce beaucoup moins passionnant maintenant qu’elle a un aperçu concret de l’entreprise qu’elle vient d’accepter. Bastardo. Sa fierté et son arrogance la clouent sur place. Depuis quand elle tourne le dos à un défi ou une difficulté? Machinalement, ses yeux balaient l'assistance, notant deux silhouettes familières sans qu’elle ne ressente l’envie d’aller les rejoindre pour le moment. Une grimace alors qu’elle étudie davantage les autres participants. Ce ne sont certainement pas ce couple d’amoureux transis et paumés que les rangers vont devoir aller secourir parce qu’ils seront perdus, ces post-ado attardés qui vont en profiter pour fumer de l’herbe derrière un cyprès qui seront des adversaires sérieux. Par contre, la femme hyper connectée a l’air plutôt motivée et elle affiche clairement d’autres succès, le vieux à l’attirail usé qui qui semble déjà concentré sur la carte et rapidement rejoint par une petite vieille dame replète avec un bâton de marche dans chaque main et une espèce de montagne de muscle dans un tee-shirt noir seront peut être des concurrents plus difficile à occulter. Quoique Monsieur Muscle a l’air d’être venue avec sa compagne, vu comme il dévore du regard une jeune femme qui reste à la lisière du groupe. Et celle-ci ressemble à une petite chose toute mignonne et toute fragile.
Quand elle s’avance pour récupérer boussole, carte IGN et son carnet de pointage des balises, Medea capte la silhouette svelte de… Sa présence est si inattendue dans ce contexte qu’un rire de surprise lui échappe. Qu’est ce que Tyler fait ici? Tout en lui est Urbain! Il doit salement maudire l’affaire qui l’oblige à être là. Et ce n'est même pas de sa faute ! S’adossant à un tronc, elle prend une bouffée profonde de l’air chargé des sous-bois et de l’humus encore humide de la dernière pluie. Le sol est légèrement spongieux, lourd de débris boisés. Les rayons du soleil qui balaient en rasant l’horizon annoncent la couleur. Si l’atmosphère est teinté d’or vieillis, cela ne durera pas, ils feront bientôt la course en pleine nuit. Medea n’a pas en tête le calendrier lunaire, il faudra qu’elle prenne cinq minutes pour vérifier sur son appli. Ce n’est jamais un détail dans ce microcosme louisianais. Si elle en avait douté, maintenant la Serpentine le sait. Ce n’est pas son milieu naturel. Qu’importe, elle ne se dégonflera pas pour autant. La Forêt autour d’eux bruisse et frémis d’oiseaux, d’une faune à peine perceptible par ses sens. Un sentiment trouble qui monte en elle. La forêt les attend. Non l’inverse. Elle patiente le temps que le détective ait récupéré son propre matériel, avant de l’interpeller. Sans parvenir, -ni le vouloir-, à dissimuler l’amusement qui danse dans sa voix - Hey Tyler, tu avais envie d’une petite ballade romantique nocturne en pleine forêt? Ou je te manquais trop?
Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ? C’est quoi tous ces gens étranges qui ont l’air de sincèrement s’intéresser à un truc pareil ? Ça me dépasse.
Les bras croisés à écouter l’animateur faire son petit discours j’essaie de ma rappeler ce que je fous ici pour ne pas tout simplement me barrer. Un peu plus loin parmi l’attroupement j’aperçois Dani, un étudiant qui s’est fait infecter et a rejoint la Horde il n’y a pas si longtemps et que je vois se marrer pour la première fois depuis. Il est avec son groupe de potes – aucun n'est au courant qu'il n'est plus tout à fait humain à présent – et ils semblent tous beaucoup trop enthousiastes face à cette fichue course. C’est pour lui que je traine mes baskets dans la boue ce soir et que j’ai enfilé une parka miteuse qui ne craint rien, pour surveiller que tout se passe bien pour lui et qu’il ne pète pas un câble et se transforme. Eparpillés dans la foule deux autres de mes congénères sont là pour les mêmes raisons. On ne sera pas trop de trois en cas problème. Bobby – qu’il ne faut surtout pas appeler Bobby parce que ça l’énerve – se fond étonnamment bien dans la foule de bouseux fan de forêt. L’ancien militaire planqué sous sa casquette et son blouson large qui dissimule probablement une arme a l’air beaucoup trop sérieux comme à son habitude, mais ça donne juste l’impression qu’il est là pour gagner les prix proposés par le présentateur. Plus loin on repère tout juste Eva parmi l’assemblée, un peu trop petite pour être facilement repérable. Avec son look de baroudeuse habituel, la trentenaire ne dénote pas dans cet environnement. Elle écoute les explications d’un air distrait en scrutant les alentours, jouant machinalement avec sa tresse lâche. C’est probablement notre meilleur atout ce soir, une rate-garou de naissance qui est vraiment d’un grand secours pour éviter aux nouveaux de perdre le contrôle. Mais il n’y a pas de raison pour qu’il y ait un problème. Je finis même par repérer Faolan, étrangement je le vois bien se promener dans les bois mais je ne l’aurais pas imaginé fan de course d’orientation. Je me demande ce qu’il fait là.
Le présentateur donne ses consignes de sécurité tandis que son collègue circule dans la foule pour distribuer du matériel. Un souffle de vent m’apporte une odeur bien reconnaissable semblable à de la ferraille mais que l’on sait bien plus organique. Je fronce les sourcils et jette un rapide coup d’œil aux alentours pour voir si l’odeur de sang peut provenir d’une des personnes présentes qui se serait blessée mais je ne vois rien de particulier, si ce n’est que j’aperçois Medea non loin. Je n’ai pas vraiment le temps de me demander ce qu’elle fout là, un peu trop préoccupé par l’odeur d’hémoglobine. Un animal blessé quelque part dans les bois peut être ? Je déteste la forêt. Mon regard croise celui de Bobby qui semble aussi avoir remarqué l’odeur. Je récupère mon téléphone et ouvre la discussion qu’on s’est créé sur WhatsApp pour rester plus facilement en contact ce soir. Je leur envoie un message. ‘On fait quoi du coup ? On se barre ?’ Allez dis oui, je n’ai pas envie d’être ici. C’est Bobby qui répond en premier. ‘T’as juste pas envie d’être là.’ Il me connait drôlement bien mais je renchéris. ‘ Ça change rien, tu le sens aussi, non ?’ C’est finalement Eva qui tranche d’un ‘ Ça devrait aller.’ Je relève la tête de mon téléphone et nos regards se croisent. Elle a l’air sure d’elle et très peu inquiète. Soit. Je range mon téléphone dans ma poche en soupirant.
On nous remet enfin le matériel promis et je jette un coup d’œil dubitatif à la carte avant de m’en désintéresser. Je finis par recroiser le regard de ma cliente la plus tenace et invasive qui m’alpague sur un ton moqueur qui m’arrache un sourire. Je lui réponds de la même manière.
« Une nuit entière sans avoir besoin de te rendre des comptes, j’aurais pas tenu. »
Légère blague relative au fait que depuis des mois elle réclame fréquemment des informations sur l’avancée de l’enquête. Bon, c'est vrai qu'elle ne demande pas tous les jours, mais c’est à peine exagéré. Je jette un coup d’œil pour repérer les trois autres rats-garous et voit que Dani est déjà parti sur le sentier avec ses amis étudiants, suivi par Eva et plus loin par le militaire. Tant qu’au moins un de nous trois l’a à l’œil ça devrait être bon. Je commence à avancer à mon tour et interroge l’italienne, jetant un œil à sa tenue pour le moins inhabituelle.
« Qu’est-ce que tu fais là ? Une passion cachée pour le fait de patauger dans la boue de nuit ? Qu’est-ce qui t’a fait troquer tes fringues de riche pour ça ? L’envie terrible de gagner le diner-spectacle ?»
Absolument aucun lot présent ne justifie que qui que ce soit s’inflige volontairement cette soirée. Peut-être qu’elle a simplement des passe-temps étranges. Derrière nous j’entends la voix de l’autre détective privé et jetant un coup d’œil derrière je le vois tirer une drôle de tête face à une inconnue. Qu’est-ce qu’il se passe encore ?
Lorsque Lucy avait expliqué très sérieusement à son fils et à son amant que ce soir elle partait pour une course d’orientation en pleine forêt, elle avait lu le même doute se peindre sur leurs visages. Oui, elle savait : ça ne lui ressemblait pas du tout. Elle n’était pas manuelle, pas trop séance sportive en dehors d’un peu de yoga de temps en temps histoire de se donner bonne conscience… Les insectes c’était proche de la phobie et vu l’air ultra humide ce soir, ça devait pas mal grouiller dans le coin. De quoi presque la dissuader d’allumer la lampe de poche qu’on était sensé lui remettre, histoire de ne pas appeler la colonie de moustiques tigres du secteur.
Au départ, elle était là parce qu’au boulot, une collègue lui avait parlé de cette course en long, en large et en travers. Visiblement elle en avait fait une du même genre l’année précédente et elle en gardait un super souvenir. Lucy aurait bien voulu dire non… Mais elle venait d’arriver en ville, tout ça… Elle avait le désire de s’intégrer. Comme quoi ça va pas toujours de paire avec l’instinct de survie. En tout cas elle était là du coup. Jane en revanche était la grande absente du soir. Un sms il y avait moins de 10 minutes l’avait averti qu’elle lui posait un lapin si l’on peut dire. Elle devait prendre une garde à la volée… Et lui demandait de bien tout lui raconter au lendemain. Super. Lucy n’avait même pas répondu : ça aurait pué l’ironie.
Bref… Lucy écoute le petit discours, presque studieuse, notant les différentes informations dans un coin de sa tête, vérifiant machinalement qu’elle captait bien un signal sur son cellulaire… Elle jette de petits regards furtifs à droite et à gauche sur les différents participants… Au moins on peut dire que la population est éclectique. Elle aimerait se greffer à quelqu’un. A un groupe. Parce qu’elle a l’impression que sans ça, demain matin elle sera encore en train de chercher ces fichues balises !
Pas loin il y a ce couple de petits vieux. Ils ont l’air de s’y connaître. La seule raison pour laquelle Lucy s’en tient loin c’est qu’elle a déjà essayé de nouer la conversation un peu plus tôt. Ils l’ont gentiment évincée lorsqu’ils ont compris qu’elle serait plus un boulet qu’une aide précieuse. Faut dire que son seul talent valable tiens dans les affaires de premiers secours qu’elle a fourré dans son sac. Et elle aimerait autant ne pas avoir à faire valoir ce talent-là.
Il y a un groupe de jeunes… Mais bon, il fait déjà presque nuit, Lucy préfère éviter les jeunes en bande. C’est cliché, tant pis.
Lorsqu’on lui remet la lampe torche, la boussole, tout ça, Lucy aperçoit une femme. Une belle femme. Elégante malgré la situation, elle semblait très sûre d’elle et puis visiblement elle était venue en solitaire elle aussi. Ca lui semble bon plan de s’en approcher et même qu’elle pense essayer jusqu’à ce qu’on l’appelle par son prénom… ! Lucy n’a pas vraiment besoin de tourner la tête pour comprendre de qui il s’agit. Putain. Elle était rarement vulgaire, même dans sa tête, mais là quand même le destin l’avait salement pigeonné. C’était quand ? La semaine dernière ? Qu’elle disait à Ashley qu’il n’y avait aucune raison qu’elle croise Faolan avant lui ? Putain. Y avait de quoi le penser encore.
« Faolan ? Qu’est-ce que tu fais là ? »
Comme si sa présence à lui était plus étrange que la sienne. Elle s’approche de lui, par instinct, jetant quand même un regard à la femme d’un peu plus tôt qui avait entamé le dialogue avec un autre type qu’elle n’avait pas remarqué jusque-là. La silhouette longue, un peu maigrichonne mais souple, un profil atypique, tout comme celui de la femme.
Lucy vient tester sa lampe torche… Elle ne s’allume pas. Pas tout de suite. En tapotant un peu le dessus, elle parvient à faire disparaître ce qui doit être un faux contact, faisant jaillir le faisceau lumineux qu'elle l’éteint à nouveau pour le moment.
Y a comme un malaise, elle ne sait pas trop par où commencer. Faolan savait-il seulement qu’Ashley, Rory et elle devaient déménager ? Elle espérait qu’Ashley ait eu l’occasion de le lui dire. Par téléphone, dans un mail et à ce stade même les signaux de fumée lui auraient semblés acceptables.
« On devrait avancer. »
C’était plus facile que de commencer à réellement bavarder, surtout qu’elle ne savait pas du tout par où commencer. Et puis ça les fait emboîter le pas du couple qu’elle avait regardé juste une minute plus tôt. Ils semblaient se taquiner, même si elle n’avait pas entendu toute leur conversation. A sa hauteur, ne restait que l’odeur propre à Faolan. Un truc à mi-chemin entre le tabac, l’alcool et un d’after-shave ou quelque chose comme ça, elle l’aurait reconnu entre mille, encore aujourd’hui. Une madeleine de Proust un peu démoniaque sans doute.
« Ça t’ennui… Si on reste ensemble pour le moment ? »
Ok, c’était un peu horrible de sa part de le demander. Mais elle se voyait pas avancer toute seule, surtout si finalement, le couple devant eux jouait en amoureux ou quelque chose du genre. Elle n’ajoute rien, ne soutenant qu’un bref instant son regard déboussolé, un peu honteuse. A tous les coups il allait la planter là et elle resterait comme une conne, à se dire qu'elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle même tout en le maudissant en vieux cantonnais, quand même.
Je préfère ne pas y croire. C'est tellement plus facile. Je ne veux pas qu'elle soit ici, dans ce coin du monde sordide, si loin de notre pays, si loin de mon frère. Normalement elle est à des milliers de kilomètres de mon quotidien, loin des yeux loin du coeur. À une distance si énorme que je peux les oublier elle et son bonheur avec Ashley.
Non elle n'est pas là, c'est impossible, sa présence impliquerait tant d'angoisses et de conflits ; Et puis merde, c'est dangereux ici !
« … Lucy ? »
Je me répète puis réduis la distance entre nous pour m'assurer que la nuit tombante m'a fait l'effet d'un mirage. Lorsqu'elle se met à parler malheureusement, les doutes se dissipent. Il s'agit bien de mon infirmière. Toutes ces années, elle n'a pourtant pas changée. Ce pourrait être un fantôme revenu du passé juste pour narguer. Si mon frère était sorcier, ce serait bien son genre de tour ;
« Faolan ? Qu’est-ce que tu fais là ? »
Un sourire mauvais barre mon visage et je lève les yeux au ciel.
« Je vis ici figure-toi ! »
Enfin, pas exactement ici. Certainement pas si près de la zone infestée de monstres - la ville est déjà suffisamment envahie.
Cette pensée me ramène brutalement à la réalité. Les participants se sont éloignés et se séparent en petit groupe, la traque a démarrée, je ne suis pas du tout opérationnel. Mes perspectives de chasse s'accrochent alors à deux retardataires : Tyler et son élégante compagnie.
« Ça t’ennuie… Si on reste ensemble pour le moment ? »
J'entends Lucy sans l'écouter. Les bruissements de la forêt nous sont portés par la brise légère et je serre les dents. Comment évoluer sous les yeux d'un confrère ? Aux côtés de O'Hara ?!
Allez savoir si c'est pour fuir l'éventualité d'une équipe composée de Lucy et moi seulement ou par habitude d'emmerdeur, mais je m'incruste près de l'autre duo.
« ... 'soir Tyler. Me dis pas qu'on a un nouveau contrat en commun ? Je vous propose qu'on aille jusqu'à la balise la plus au nord, puis on redescendra. »
Pas une once d'embarras lorsque je brise leur conversation. J'ai un hochement de tête pour la jolie inconnue puis replace ma concentration forcée sur le jeu.
Je décide de considérer la présence du détective comme un bon signe : il pourrait être un allié non négligeable. Une aide primordiale en cas de mauvaise rencontre, j'ai l'impression qu'il a de la ressource ;
« Go ? »
Approbation ou pas de la part de ma brigade bancale, je m'engage sur le chemin qu'ils ont tous emprunté et fais semblant de m'intéresser à la carte. Ma première piste sera celle des balises : le voisin-peut-être-CESS du Shepherd joue la course d'orientation, je le retrouverai bientôt.
« Lucy ! Reste pas loin. »
De moi. Évidemment. Je repousse les interrogations. Les explications. Les frustrations. Elle est là, mais je peux faire plus ou moins abstraction. Elle relève le niveau de difficulté de ma chasse. Elle est une complication, un poids. Je dois m'assurer de tuer au moins un monstre tout en veillant à ce qu'il ne lui arrive rien. Colère, jalousie, incompréhension. Beaucoup de sentiments négatifs me rongent depuis que je l'ai reconnue ; pour autant je ne laisserai personne la blesser.
Medea Comucci
Sugar Mommy, la randonnée c'est ma vie (et mes collines ne demandent qu'à être explorées)
I will stop at Nothing
En un mot : Humaine. Profiler pour le FBI et consultante pour la NRD
Qui es-tu ? : A cinquante ans, je rassemble les bris de ma carrière explosée dix ans plus tot. Travailleuse acharnée, animée par un désir de vengeance qui me couple le souffle. Je ne m'arrêterais que lorsque ma Némésis sera morte ou sous les verrous. En parallèle, à la tête d'une cellule spéciale, je suis chargée d'incarcérer les CESS qui s'imaginent au dessus des Lois.
Facultés : J'attire les ennuis. Très facilement. Et souvent, je vais à leur rencontre.
La plupart des concurrents ont déjà commencé leur périple dans la fôret mais cela n’inquiète pas Medea, au contraire, cela lui a permis d’avoir une vision d’ensemble des autres amateurs de balade nocturne. Et puis, c’est le genre de compétition où tenir du lapin est moins fructueux que d’être dans le camp de la tortue. Néanmoins, la brune ne souhaite pas qu’il ya ait trop de distance entre elle et le groupe principal. Histoire de garder un oeil sur un peu tous les participants. Derrière Tyler qui s’avance à ses côtés, répondant dans le même ton que ses plaisanteries, il ne reste plus que le couple qui se retrouve. Pour répondre correctement au détective, elle s’en détourne quelques secondes, ne prêtant pas attention au début de leur échange.
-Je sais bien que je te manque quand je t’appelle pas au moins une fois toutes les deux semaines. Depuis le temps que j’attends que tu me l’avoues!
Elle ne craint pas que le jeune homme prenne mal la tournure de ses réponses, ni qu'il les interprète pour des avances à caractère romantique. Il doit commencer à avoir l’habitude de sa langue parfois un peu acerbe, souvent piquante. Elle agit moins par volonté d’être vexante que le plaisir d’une volée retournée. Attitude qui s’éloigne un peu de la rigidité formelle de leur première rencontre. Son regard accroche celui de la jeune femme et quelque chose dans sa posture interpelle un peu l’Italienne. Est ce que tout va bien entre son compagnon et elle? Il y a quelque chose d’un peu inquiet, de manque d’assurance qui se lit sur son visage avant que cette dernière ne se détourne pour face pleinement à l’homme en tee-shirt noir.
Ils se mettent en marche, sans hâte excessive. De toute manière, la première balise sera évidente à trouver. Ce n’est qu’une mise en bouche et pour le moment, il n’y a qu’un seul sentier. -Tu m’as démasqué! Si j’attends que tu m’invites à dîner, je vais mourir de faim. Ce qui, crois moi, pour une italienne est la pire des injures. Alors je prends les devants! -Un sourire amusé qui éclaire ses traits.- En fait, il y a des collègues au bureau qui se sont fait un malin plaisir de sous-entendre que je ne mettrais jamais les pieds en forêt. Que la nature et moi, on est pas très copain. Du coup, je suis là. -Une petite grimace mise subitement en avant par un faisceau de lumière qui s'éteint pour se rallumer. Avant de disparaître pour le moment- Je crois bien que j’aurais mieux fait de ne pas relever le défi, en fait. Et toi? Comment ca se fait que…
Pas le temps de finir sa phrase. Avec la délicatesse et l’amabilité d’un grizzli en manque de miel, le grand brun déboule. C’est tout juste si il ne se place pas entre eux pour bien marquer sa présence. La seule raison pour laquelle Medea tient sa langue, c’est qu’il semble connaître Tyler. Un autre contrat en commun? Au moins il semble motivé pour se lancer dans la course. Ce qui n’est pas le cas, mais alors pas le cas du tout de son détective privé. Un coup d’oeil vague à la carte. La balise nord semble assez logique par rapport aux autres. Très probable que le gros des participants raisonnent comme Monsieur “prince de la politesse”. -Ça va? Je ne vous dérange pas trop? Laisser derrière votre amie non plus, on dirait?! -Sa voix est volontairement acerbe. Si cela ne lui plait pas, aucun problème. Mais il lui est impossible de laisser passer ce manque de courtoisie basique. Elle ne sait pas faire. Ne veut pas faire. Quoique sa répartie n’a pas l'air d'avoir le moindre impact, puisqu’il s’avance seul à grandes enjambées sur le sentier, abandonnant sa compagne derrière, malgré son apostrophe un peu trop autoritaire à son goût.
Il n’empeche qu’elle ne cherche pas à le rattraper, préférant attendre que Lucy les rejoigne. Son sourire est nettement plus chaleureux à son égard qu’elle ne l’était quelques secondes avant. -Ciao Lucy, je suis Medea. -Elle allait présenter Tyler avant de décider que ce n’est pas son rôle. Ils sont en queue de peloton et il est hors de question pour elle que Lucy reste seule derrière. -Ca vous dirait que l’on rejoigne Cro-Magnon? Je pense que c’est mieux si on reste groupé et pas trop loin des autres équipes?
Elle attendra leur réponse avant d’allonger le pas, ne désirant pas prendre trop de retard. Attentive aux bruits de la foret, aux craquements des branches et des sous-bois. Se portant sans mal non loin de Grizzli Premier, juste devant lui, un groupe de jeunes qui marchent en se chahutant généreusement. Ils sont suivis par une jeune femme athlétique légèrement plus âgée qu’eux, mais qui ne semble pas désireuse de faire connaissance. Le petit vieux sautillant et sa mamie dodue sont hors de vue, mais elle aperçoit les deux suds américains qui se rapprochent des étudiants. Ça ne semble pas étonnant au vu de la proximité des âges. En train de marquer le passage de la première balise, la femme aux badges et smartmontre. Le couple d’amoureux déjà brulé par le soleil est invisible pour le moment. Ce n’est pas source d’inquiétude en début de course. D’ici deux cent mètres, ils pourront valider le premier marqueur. Et ensuite commencera la première difficulté puisqu’ils sont face à une fourche. Medea n’a pas eu le temps d’ouvrir sa carte pour voir lequel des deux chemins mène le plus facilement à la prochaine balise.
Finalement Faolan et l’inconnue discutent et semblent se connaitre. Il n’a pas vraiment l’air ravi de la voir à vrai dire et elle a l’air un peu perdue. Je reporte mon attention sur l’italienne qui plaisante joyeusement. La raison de sa présence souligne encore une fois son esprit de compétition, étrangement ça ne m’étonne pas tant que ça venant de sa part. Elle n’a pas même le temps de finir sa phrase que Faolan nous interrompt en me donnant une parfaite explication de pourquoi je pourrais être là. Avec un sourire cynique je lui réponds :
« Non, je suis là parce que j’adore les balades en forêt. »
Le ton et le sourire extrêmement ironiques et ne laissent aucun doute sur mon vrai avis quant aux promenades nocturnes dans la boue. Néanmoins, s’ils pensent que je suis là pour surveiller quelqu’un ça me permettrait d’avoir une raison plausible de vouloir garder un œil sur le gamin. Oui c’est plutôt bien comme excuse. Je me fiche pas mal de par quelle balise ils veulent commencer, tant qu’on suit la trace des autres rats-garous. Je ne peux pas m’empêcher de me marrer discrètement quand Medea perd son amusement pour commencer à engueuler le détective privé qui la surplombe avant de rejoindre la femme qui est restée à l’arrière. J’emboite le pas de Faolan et en profite pour essayer d’en savoir un peu plus. Au vu de la tournure de sa phrase lui est réellement là pour suivre quelqu’un. Ça m’embêterait que ce soit un de mes congénères.
« Alors ? C’est lequel que tu suis ? »
Je n’ai aucune idée de s’il va me répondre ou pas. Après tout on ne s’est croisé qu’une seule fois et il n’avait pas l’air du genre loquace, mais ça vaut le coup d’essayer. Medea finit par repasser devant nous, prenant la tête de notre petit groupe improvisé et on rejoint le reste du troupeau sans mal. Même si la première balise n’est pas si loin – sans doute plus pour montrer le fonctionnement du jeu qu’autre chose – on commence tout de même à s’enfoncer dans les bois. Les lumières électriques des lampes-torches éclairent les arbres mais leurs faisceaux disparaissent au bout de tout juste quelques mètres, faute de puissance suffisante. Qui est le débile qui a eu la bonne idée de faire ce type de course de nuit ? La cohorte s’est un peu amaigri, les participants les plus motivés ne sont déjà plus en vue et le petit groupe restant se bouscule devant le poinçon pour valider la balise. Dani rigole avec ses potes, Bobby tire la gueule à l’écart en surveillant tout le monde d’un regard peu avenant tout en pianotant sur son téléphone et Eva a l’air plus intéressée par les arbres que par la course. Tout est normal. Une bourrasque de vent siffle dans les branches dénudées par l’hiver et me rapporte encore cette odeur si singulière qui ne présage rien de bon. C’est donc ça qu’Eva fait ? Elle essaie de repérer où se trouve le truc qui saigne ? J’avise une seconde le groupe turbulant qui poinçonne leurs carnets mais Dani ne semble pas vraiment perturbé par l’odeur du sang, ou en tout cas ça ne se voit pas. J’avise une seconde la masse de gens devant la balise puis jette un œil à l’italienne et lui demande avec un sourire en coin :
« Tu comptes bousculer tout le monde pour passer en première et poinçonner ton petit carnet ? » C’est probablement ce qu’ont fait les plus compétiteurs des participants. Mon attention passe sur l'autre femme présente qui s'appelle Lucy pour ce que j'en ai entendu de leur conversation. « Et toi aussi tu es là pour essayer de gagner ? »
Chaque membre du petit groupe de jeune poinçonne son carnet pendant que les suivants s’impatientent. Mon téléphone vibre et je vois un message de l'ancien militaire qui me demande qui sont les gens que je traine avec moi. Je ne prends même pas la peine de lui répondre, me contentant de hausser vaguement les épaules quand nos regards finissent par se croiser. Quand le groupe de jeune en a enfin terminé avec la balise ils continuent sur le sentier et Bobby leur emboite le pas discrètement sans même prendre la peine d’utiliser la balise. Eva quant à elle prend le temps de poinçonner son carnet avant de poursuivre son chemin. J'attends que mes compagnons les plus investis dans la course aient validé la balise. Etant donné qu'ils pensent que je suis là pour un boulot je n'ai même pas besoin de faire semblant de m’intéresser à tout ça ou de chercher à poinçonner quoi que ce soit.
« Ca y est, on peut avancer ? » Je remarque plus loin l’embranchement et voit que le groupe de coureurs s’est séparé en deux. J’essaie de repérer vers où vont mes congénères et trouve rapidement la haute stature de l’ancien militaire sur la gauche. Je ne prends même pas la peine de jeter un coup d’œil à la carte pour donner le change. « Je pense qu'il faut qu’on aille à gauche. »
S’ils décident d’aller à droite ce sera sans moi de toute façon. Une course d’orientation, sérieusement. Est-ce que ce gamin n’aurait pas pu aimer les jeux-vidéos comme tous ceux de son âge ? Ça aurait quand même été sacrément plus pratique.
Le malaise est immense et ne fait que prendre un peu d’ampleur lorsque Faolan prononce à nouveau son prénom, comme si depuis le début il attendait qu’elle lui confirme son identité. Ceci dit, si comme elle commençait à l’entrevoir il la pensait toujours en Irlande, elle pouvait comprendre cet air déboussolé et ahuris… Alors elle passe l’éponge sans rien dire. Lui par contre ne la rate pas lorsqu’il répond à sa question sur sa présence et Lucy claque légèrement sa langue contre son palais.
« Tu vis dans cette forêt et les courses d’orientation c’est ton rituel du coucher ? »
Oui bon… Elle vient se passer une main sur le visage en soupirant.
« Désolée. »
Elle était vraiment très nerveuse et quelque part, c’était mieux qu’il le soit aussi, ça les mettait sur un pied d’égalité. Mais Faolan est un homme qui a toujours eu besoin de temps pour digérer les choses sans les vomir. Du coup, ça ne la surprend pas tellement de le voir se détourner d’elle, cherchant à occulter sa présence sans la repousser non plus. Il ne veut pas la laisser toute seule au milieu de la forêt. Ça fait longtemps qu’ils se sont vus mais elle sait qu’il a ce genre de bon fond, caché sous son attitude un peu rustre ou brusque. Ça lui fait d’ailleurs lever les yeux au ciel lorsqu’il lui ordonne de rester à proximité et elle grommelle un « wouaf » discret qui en dit long sur ce qu’elle en pense. Mais honnêtement, elle survivra au tempérament volcanique de son ex si ce dernier lui permet d’en finir rapidement avec cette course. Et il a soudainement l’air motivé pour 12 !
En face d’eux, le couple semblait être un plein badinage beaucoup plus agréable ! Ils étaient mignons ensemble, complices… Mais c’est sûr que si le seul point de comparaison qu’elle avait là tout de suite c’était Faolan et elle, un gouffre les séparait. Faolan qui s’élance d’ailleurs entre les deux amoureux et Lucy écarquille un peu les yeux ! Ça c’est fait… Prise de contact en mode t-rex dans un magasin de porcelaine : check.
« Tyler ». Lucy note dans un coin de sa tête. Faolan semble surtout le connaître lui. Le blond semble avoir son petit humour caustique bien à lui et Lucy a un sourire. Ils s’étaient bien trouvés ces deux-là ! De son côté, la superbe femme qui accompagnait Tyler semble prête à voler dans les plumes de son beau-frère et si ça n’avait pas été du malaise de cette situation, Lucy en aurait éclaté de rire ! En tout cas elle avait tout un tempérament et devant l’accent qui perce, Lucy pouvait presque deviner la femme de charisme et de poigne. Une forte personnalité. En d’autres circonstances, elle était sûre que Faolan l’aimerait bien, en vrai. A moins qu’il ait beaucoup changé ces dix dernières années. En fait il AVAIT beaucoup changé. Bref…
« Bonsoir Medea. »
Sa voix caressante lui faisait du bien, la détendait un peu de sa nervosité présente.
« Lui c’est Faolan. Désolée… Il est un peu vif mais se sera sans doute un allié précieux dans le jeu. »
Elle espérait qu’il ne la ferait pas mentir. Elle se sentait obligée de défendre un peu son comportement à cause d’une vieille culpabilité entre eux. En tout cas Lucy acquiesce pour ce qui était de rester grouper. Et puis s’ils ne formaient pas rien qu’un duo avec Faolan, se serait plus facile de s’ignorer disons…
Tandis qu’ils rejoignent Faolan, qui avait pris la tête du groupe, Tyler sur les talons, la première balise est à leur portée. Aucun d’eux ne semble vouloir jouer des coudes pour passer avant tous les autres ceci dit. Mieux valait économiser leur énergie de toute façon.
Elle s’amuse des taquineries de Tyler à l’encontre de Medea mais à son propre sujet :
« Je devais surtout venir avec une collègue mais elle m’a lâché. C’était plus pour l’intégration que pour la compétition. »
Ceci dit, elle avait bien cru comprendre que Medea était davantage là pour une victoire, un peu comme Faolan, même si au final il semblait moins là pour le jeu que pour le travail. C’était curieux en soit mais mieux valait qu’elle ne pose pas trop de questions.
Leur tour de poinçonner et Lucy remarque :
« Vous avez vu ? Ce type a oublié de poinçonner son carnet. »
Elle pointe vaguement dans la direction d’un type à l’air peu avenant, tout seul… Le type militaire, il avait une bonne allure générale, c’était étonnant de le voir traîner en arrière. A la limite, ça lui file même le bourdon de se demander soudainement pour quoi il était là, si ce n’était pas pour jouer. Mais Lucy rebranche au moment de faire son propre poinçon, posant une main sur le bras de Tyler.
« Toi aussi tu as oublié. »
Tête en l’air. Il pouvait bien taquiner sa copine ! Quant à poursuivre dans la même direction que le plus gros des autres participants, et surtout de l’autre type un peu louche, Lucy est mi-figue mi-raisin, préférant s’en remettre à Medea à ce niveau :
« Qu’est-ce que tu veux faire ? Peut-être qu’on devrait prendre les balises que les autres concurrents ne vont pas encore chercher. »
Elle allait suivre le groupe. Ou Medea. Ou Faolan qu’elle interroge du regard après sa question à la jeune femme. En espérant qu’ils ne partiraient pas chacun de leur côté évidemment.
La conversation avec une si ancienne ex ne rime à rien, pour l'heure. Je coupe court à nos retrouvailles et débarque près du binôme étrange pour pêcher - à ma façon - quelques informations sur l'inconnue ; Port de tête altier et regard de braise, pas bien grande mais une aura chargée de domination, des traits plissés qui font transparaître une intelligence intéressée : j'apprécie ce que je crois cerner de ladite Medea.
-Ça va? Je ne vous dérange pas trop? Laisser derrière votre amie non plus, on dirait?!
Je l'ignore proprement sans me laisser trahir par un sourire amusé et prends la direction choisie. Je n'ai pas le temps de m'intéresser à la nature de leur relation - le blondinet ébouriffé & la pulpeuse de quinze ans son aînée. Quant à Lucy... Je m'assure qu'elle suive le mouvement sans pour autant me détourner du chemin emprunté. Difficile de savoir si la moindre intervention utile à la cause des anti-CESS sera possible ce soir. Étape par étape, j'aviserai.
Le trinôme improbable dans mon dos est bientôt sur mes talons et je suis étrangement rassuré d'avoir entendu l'infirmière échanger avec Tyler et l'autre femme. Elle est toujours aussi sociable, agréable, et j'estime qu'elle n'est pas en danger avec eux.
« Alors ? C’est lequel que tu suis ? »
Me demande le jeune homme en revenant à ma hauteur tandis que l'ombre des arbres nous enrobe sournoisement. Les autres joueurs s'affairent sur le premier repère à marquer. Je me tourne vers lui en haussant les épaules :
" Je ne suis personne. Je me renseigne, à distance. "
Non je ne vais pas risquer de partager des informations avec ce collègue que je croise pour la seconde fois seulement. Je lui souris néanmoins puis replace mon attention sur les jeunes qui s’extasient devant la première balise. On n'est pas arrivé. Aucun d'eux n'est le monstre suspect qui m'intéresse, je cache ma déception et plonge une main dans ma veste tandis que l'autre oriente le faisceau lumineux sur les deux options offertes. Gauche, droite, je m'en moque. La droite pour m'éloigner des joueurs les plus chiants ; la gauche pour surveiller ces joueurs tous un peu suspect à leur façon.
Le choix de Tyler me surprend pas sa spontanéité mais je ne la trouve pas particulièrement louche. En revanche, quand Lucy lui fait remarquer qu'il allait partir sans marquer son carnet de participant, je tique. Quelques pas me rapprochent vite de la balise et je valide ce passage comme le concurrent assidu que je ne suis pas ; Il faut que je feigne mon implication dans la course, un minimum. Précaution que mon compère n'a pas l'air de trouver nécessaire. Il n'éveille pour le moment que ma curiosité discrète.
« Qu’est-ce que tu veux faire ? Peut-être qu’on devrait prendre les balises que les autres concurrents ne vont pas encore chercher. »
Rejoignant les deux filles, mon regard fixe un instant l'action-man qui ferme la marche à l'embranchement gauche avant de leur revenir.
" ... Je suis d'accord Lucy, prenons à droite on évitera le prochain embouteillage à la balise numéro deux. J'interroge du regard Medea avant de lever la voix pour le quatrième Mousquetaire : Ça te va, Tyler ? "
Ouais, sa réaction m'intéresse. S'il persiste sur sa première décision je capitulerais sans lutter mais j'aurai au moins une certitude : sa potentielle cible fait partie de ces gens, là devant.
Vestige d'une complicité que je pensais désagrégée, je me surprends à donner un léger coup de coude à Lucy pour qu'elle me suive jusqu'au devant de l'intersection en attendant que notre équipe se décide.
" Désolé de gâcher ta soirée intégration dans le bayou. "
Medea Comucci
Sugar Mommy, la randonnée c'est ma vie (et mes collines ne demandent qu'à être explorées)
I will stop at Nothing
En un mot : Humaine. Profiler pour le FBI et consultante pour la NRD
Qui es-tu ? : A cinquante ans, je rassemble les bris de ma carrière explosée dix ans plus tot. Travailleuse acharnée, animée par un désir de vengeance qui me couple le souffle. Je ne m'arrêterais que lorsque ma Némésis sera morte ou sous les verrous. En parallèle, à la tête d'une cellule spéciale, je suis chargée d'incarcérer les CESS qui s'imaginent au dessus des Lois.
Facultés : J'attire les ennuis. Très facilement. Et souvent, je vais à leur rencontre.
La réponse ironique, sardonique de Tyler l’amuse sincèrement et elle lui décoche un sourire -il doit surement être là pour une affaire quelconque mais ca reste bien trop flou à son goût- avant de le laisser s’avancer près du malotru qui n’a pas daigné se présenter avant de prendre le large. Tyler adore les balades en foret autant qu’un coyote adore les bains dans l’océan glacial arctique. Un regard agacé en direction du dos musclé qui s’éloigne sans pour autant se lancer dans des hostilités ouvertes avec lui. Medea ne voit pas l’intérêt de débuter un conflit stérile avec un parfait inconnu. Après tout, elle a une course à gagner!
Gagner certes, mais pas dans les manières des Fous du Volant, avec Satanas et Diablo prêt à tous les coups foireux. Aussi laisse t’elle le détective devant avec Mr Ranger Bob pour faire connaissance avec la jolie brune un peu en retrait. Qui commence par s’excuser pour le comportement de son compagnon. -Faolan - répete t’elle un peu pensive, -c’est la première fois que j’entends ce prénom. Oui, il a l’air de savoir ce qu’il veut ce soir. Vous vous connaissez bien?
Elle n’a aucunement l’intention de faire peser sur la jeune femme les mauvaises manières de l’homme devant elles. Sans trop forcer, c’est facilement qu’elles rejoignent Tyler au moment où Lucy explique qu’elle a été plantée par sa collègue. -Oh, c’est rude de sa part ca! Elle s’est défilée ou tu penses qu’il y avait vraiment une urgence? -Clairement le ton de Medea indique qu’elle penche plutôt vers la première solution, mais c’est sa nature peu généreuse envers le caractère humain -et non humain- qui a tendance à colorer sa vision des choses- Tu travailles dans quel domaine? - L’attroupement devant la balise n’est guère engageant et Medea ne cherche pas à s’avancer sur le champ, et Tyler ne la loupe pas.. -Comment tu as deviné? Je cherche juste un minotaure pour renverser toutes ces quilles! Tu te portes volontaire? -Non, elle n’est pas pressée, la moitié des concurrents va louper des balises sur ce genre de chemin. La pénombre devient un peu plus dense maintenant qu’ils sont plus en avant dans la foret, ayant quitté la clairière.
Medea se met légèrement à l'écart du groupe, laissant Tyler et Lucy faire connaissance tandis que Faolan poinconne la balise. Elle ouvre son sac à dos, gardant l’ouverture du sac face à elle, la hauteur de toile ne permettant pas de distinguer ce qui s’y trouve. De sa main gauche, la torche qu’elle allume, faisceau lumineux éclairant le sol couvert d’épines de pin devant elle, plongeant dans l’ombre les trois quart de son corps. Assez pour qu’elle glisse sa main gauche dans son dos et se relève, son sac à dos de nouveau à sa place. Elle revient juste à temps pour entendre la remarque plus que pertinente de Lucy sur l’homme à la carrure d’autobus qui ne joue pas le jeu. Mais alors pas du tout. Et décide d’en rajouter une couche devant les paroles suivantes de la jeune femme. Décidément, elle lui plait! -C’est vrai ca, comment tu va faire pour gagner le kit du petit randonneur? -Juste le temps d’écouter sa réponse avant d’aller mettre le précieux sésame sur son carnet maintenant qu’il y a moins de monde.
Le détective préfère aller à gauche. En direction de celui qui n’a pas pris la peine de suivre la règle de base. Un regard vers la droite qui semble avoir les faveurs de Faolan. Lucy est plus indécise, les observant tour à tour. Sans doute qu’elle choisira selon la majorité. Sa lampe poche balaie les dos des randonneurs qui commencent à s’éloigner. Il lui semble bien que la silhouette qu’elle avait remarqué plutôt dans la foule part bien sur la droite. Haussement d’épaules nonchalants -Je crois que c’est un peu égal en fait. J’aurais tendance à partir à gauche aussi, on peut ensuite couper sur un petit chemin de travers pour récupérer la balise de droite sans faire un grand détour. -Suivant une petite moitié des concurrents qu’ils devraient pouvoir rattraper sans mal.
Faolan, en plaisantant légèrement avec Lucy, achève de dénouer les brins de tensions et de mauvaises humeurs de Medea. Elle n’a pas envie de passer la course à chercher des poux à un des membres de leur petit groupe, surtout s' ils sont dans une mauvaise passe de couple avec sa compagne. De quoi excuser son manque de courtoisie première. Suffisamment en tout cas pour qu’elle décide de s’engager sur le chemin de gauche sans plus attendre des débats communs. Elle ne peut pas se permettre de laisser trop d’espace entre les différentes équipes. Ceux du chemin de droite ne devraient pas trop se perdre non plus. Les ombres sont plus profondes à mesure que les lampes torches s’allument et n’éclairent plus qu’une portion choisie de la forêt. L’italienne n’aime pas cela. Mais alors vraiment pas. La foret n’est pas son milieu naturel et encore moins de nuit. Elle aurait dû prendre le temps de venir se balader sur les sentiers de jour, avant la course pour se familiariser avec les différents embranchements mais n’en a pas eu l’occasion. Qu’elle le veuille ou non, la Serpentine est attentive aux bruissements extérieurs à leurs groupes. Les éventuels craquements de branches, les feuilles froissées. Les éclats de voix qui ne proviendraient pas des groupes devant eux. Le problème est que l’acoustique en forêt n’est pas la même que dans un espace sans obstacles. Déterminer avec précision l’origine des sons divers demande un entraînement spécifique qu’elle n’a pas.
La profiler a gagné quelques cinquantaines de mètres sur le trio, et tourne légèrement la tête pour savoir qui s’est décidé sur le chemin de gauche. Si elle préfère qu’ils restent tous ensemble, il s’agit aussi d’adultes responsables. Régulièrement, au lieu de balayer seulement devant elle, c’est sur les bas-côtés, dans les fourrés des sous-bois qu’elle éclaire. Elle manque de sursauter quand une bestiole s’approchant d’un faisan s’éloigne dans un bruissement indigné de plumes et caquètements. Il sort aussi vite de la lumière qu’il y est entré. Le chemin sinue et devient plus étroit à une centaine de pas devant eux. Bientot, ils ne pourront plus cheminer tous les quatre de front, au mieux deux deux. Sans aucune certitude qu’ils ne pas se retrouvent obligés de rester en fil indienne ou en dehors du sentier tracé. Risquant de compliquer leur marche avec diverses racines et petites broussailles et ronces qui n’ont pas été déblayées par les services forestiers. Néanmoins, pour le moment, tout va encore bien. Le petit groupe d’adolescent et Pat Hibulaire ne sont pas si loin que ca, tout comme la jeune femme qui fait la course en solitaire. Elle attend que Tyler soit à portée d’oreilles, sans s’inquiéter si Faolan et Lucy peuvent les entendre. Il est resté bien trop vague pour que cela lui convienne, se contentant de jouer sur les suppositions sans rien préciser. Du tout. C’est assez pour qu’elle se pose quelques questions-Tu n’as pas vraiment précisé pourquoi tu étais là en fait? -A bien y réfléchir, Faolan non plus d’ailleurs. Mais elle n’arrive pas à voir si il est vraiment derrière elle avec Lucy, les lampes torches ne sont vraiment pas une source de lumière efficace. Nul doute qu’elle va l’interroger aussi clairement à la première occasion. Ce n’est pas une question de manque de confiance dans les deux détectives. Il s’agit davantage d’une déformation professionnelle qui la conduit à avoir besoin de toutes les données pour correctement analyser et réagir à une situation particulière.
L’explication de l’autre détective privé sur sa présence me fait hausser un sourcil. Oui, c’est sûr, suivre quelqu’un et se renseigner de loin en le suivant en forêt sont deux choses totalement différentes. Toujours est-il qu’il est bien là pour quelqu’un qui participe à la course et il ne semble pas enclin à me dire qui l’intéresse. Ça n’a rien d’étonnant en soi qu’il garde sa cible pour lui, mais il faudra quand même y faire attention.
Alors que les autres participants de la course s’éloignent, Lucy fait remarquer que ni Bobby ni moi n’avons utilisé la balise. Donc en plus d’un détective privé et d’une maniaque du contrôle je me retrouve avec quelqu’un qui s’intéresse à ce que font les autres. Formidable. Où sont les gens égoïstes qui se fichent pas mal de ce qui se passent autour quand on en a besoin ? Les choses auraient été plus simple s'il n'y avait eu que des inconnus, je n’aurais pas eu à faire semblant de m’intéresser à cette fichue course. Medea en remet une couche avec une plaisanterie. Je leur sors un sourire sympa de bonne volonté qui me permet d’obtenir la paix la plupart du temps et répond en haussant les épaules.
« Y a qu’une seule personne qui peut gagner de toute façon, inutile qu’on perde du temps à tous poinçonner. » Et j’ajoute à l’attention de l’italienne avec un ton ironique : « Et j’espère bien que tu vas me l’offrir une fois que tu auras gagné, je ne pense pas pouvoir vivre sans le kit du petit randonneur. »
Les autres discutent du chemin à prendre tandis que j’essaye de savoir où en est le groupe qui m’intéresse en tendant l’oreille. J’entends toujours les petits jeunes brailler joyeusement mais leurs voix s’éloignent peu à peu. Lucy demande son avis à Medea tandis que Faolan propose d’aller vers la droite pour esquiver les autres participants. C’est plutôt une bonne nouvelle, ça veut dire que la personne qu’il suit ne fait pas partie du groupe qui vient de s’engouffrer sur le chemin de gauche, ce qui exclue tous mes congénères. Je m’étonne un peu qu’il me demande mon avis sur la route à prendre, mais je n’ai même pas le temps de lui répondre que Medea intervient et réaffirme l’idée d’aller à gauche, ce qui m’arrange bien. J’acquiesce à sa remarque et lui emboite finalement le pas sur le chemin cahoteux. Elle avance assez rapidement, laissant croire qu’elle a vraiment l’intention d’essayer de gagner. Les lueurs mouvantes et vacillantes des lampes torches des autres participants nous indiquent où se trouve le groupe qui nous précède. Leurs échanges nous parviennent encore mais de manière inintelligible, ils ont mis à profit le temps qu’on a perdu à discuter pour savoir vers où aller. J’éclaire par intermittence le sol pour voir où je mets les pieds et essaie de retrouver l’odeur de sang qui trainait dans le coin plus tôt, mais le vent nous souffle dans le dos et ça ne donne rien. Deux autres messages font vibrer mon téléphone, le premier est d'Eva qui demande à Bobby de partir devant, arguant que les gamins commencent à s’inquiéter de sa présence et le second un laconique ok de la part de l’intéressé. Tandis que je range mon portable, je parviens au niveau de la compétitrice déterminée qui m’interroge de nouveau pour savoir pourquoi je suis là. Elle ne va probablement pas me lâcher avant d’avoir obtenu une réponse qu’elle juge satisfaisante mais peu importe. Je lui réponds avec un grand sourire railleur.
« Peut-être bien que j’ai vraiment une passion honteuse pour les forêts et le fait de suivre des gens qui participent à des courses débiles. »
Autant la laisser cogiter, ce n’est pas comme si elle pouvait deviner la vraie raison de ma présence ici. Enfin, tant que le gamin ne pète pas un câble. Et puis ça va la rendre dingue de ne pas savoir, elle qui apprécie tant le contrôle. Les lumières des lampes torches du groupe qui nous précède semblent se rapprocher, ils ont sans doute été ralentis par un chemin un peu plus difficile. Les gamins parlent moins, probablement concentrés pour ne pas se vautrer. On devrait les rattraper sans trop de mal. A notre niveau le chemin commence déjà à se rétrécir et devient un peu moins praticable. Je garde le faisceau de ma lampe sur le sol et ralentis le pas pour rejoindre Lucy, laissant Medea en tête de notre équipe improbable. De nous tous c’est probablement Lucy qui parlera le plus facilement. Je lui demande sur le ton du bavardage :
« Alors ? Il se passe quoi entre vous en fait ? » Je lui désigne rapidement l’autre détective. « D’où vous vous connaissez ? »
C’est une occasion beaucoup trop belle d'en apprendre plus sur Faolan pour la laisser passer, ils ont l’air de vraiment bien se connaitre pour ce que j’en ai compris. Je pense que j’obtiendrais beaucoup plus d’informations de sa part que de celle du détective.
La pauvre Medea venait de se faire ignorer par un Faolan visiblement bien décidé à ne pas aborder le sujet brûlant qui portait son prénom. Notez que c’était probablement le mieux pour tout le monde qu’ils ne lavent pas leur linge sale en public. Elle observe un moment le dos de l’homme qu’elle avait aimé à une époque, un peu curieuse de ce qu’ils pouvaient se dire avec Tyler mais sans plus. De fait, elle se reconcentre plutôt sur Medea qui lui inspirait davantage de confiance et de sympathie, là tout de suite.
« C’est irlandais. »
Tout comme elle, ils avaient ce petit accent venu d’ailleurs probablement. Faolan l’avait peut-être un peu perdu néanmoins durant toutes ces années passées ici.
« En fait c’est drôle... »
Enfin non, pas tellement mais bref…
« On ne s’était pas vu depuis un long moment. C’est mon beau-frère. »
Ca lui semblait moins glissant comme terrain que de dire que c’était son ex. Et ça éviterait de faire voler en éclat toute sa pudeur ! Pas sûre que de son côté Faolan apprécie beaucoup l’appellation ceci dit. Il était contrarié et on le serait à moins. Mais puisqu’elles parlaient des relations entre les membres de leur petit groupe :
« Vous formez un joli petit couple avec Tyler. »
A s’envoyer des vannes et tout ça. C’était révélateur d’une forme de complicité non ? En tout cas elle elle trouvait ça super mignon ! Quant à son métier, jouant moins de mystère que le reste du groupe sur les informations à son propre sujet :
« Véritable urgence. Enfin un remplacement. On est infirmières. »
Milieu médicale donc. Mais de fait, curieuse :
« Et toi ? Je veux pas dire mais tu as l’air prête à botter toutes les fesses qui se trouveront sur ton chemin ! »
Tyler et Faolan compris ! En tout cas, ce premier poinçonnage apporte son lot de blagues, de petites piques et autres provocations. Un instant, Faolan semble plus détendu aussi et Lucy a un sourire pour lui plus sincère et moins crispé. Il s’était rangé de son côté, plus ou moins… Même si au final, ils semblaient tous se diriger vers le chemin de gauche. Elle a un petit soupire à l’adresse de Faolan, histoire de lui faire comprendre qu’elle, elle aurait vraiment préférée partir à droite pour le coup !
« Dommage. »
Mais à propos de son intégration :
« En fait ça va, je fais équipe avec du monde nouveau alors quelque part, ça fait sûrement partit du jeu. »
Et des gens moins nouveaux quoi.
« On reparlera de tout ça après, si tu veux ? »
Histoire qu’ils se mettent un minimum d’accord. Quoi qu’il en soit, l’obscurité semblait être tombée d’un seul coup et comme ses compagnons, Lucy vient allumer sa lampe torche. Elle pensait que ça la rassurerait mais les bruits de la forêt franchement c’était pas son truc !
Le groupe joue un peu les chaises musicales et après avoir bavardé avec Medea, plaisanté avec Faolan (contre toute attente!) voilà que c’est le dénommé Tyler qui vient à sa hauteur. L’infirmière à un sourire pour lui aussi avant de taquiner :
« Avec ce kit tu seras imbattable l’année prochaine… ! »
Par contre elle grimace alors qu’à nouveau sa relation avec Faolan revient sur le tapis. Zut ! Et même réponse du coup :
« C’est mon beau-frère. »
Ouais, l’ambiance en famille avait l’air super fraîche vu comme ça.
« Mais ça fait longtemps qu’on s’est pas... »
Lucy s’interrompt en sentant un truc remonter le long de sa nuque… Elle passe sa main, la ramène devant le faisceau de sa lampe… Et un cri strident franchit ses lèvres avec un bel écho dans ce coin de forêt ! Niveau discrétion, c’était le zéro absolu ! La voilà qui secoue sa main pour chasser l’espèce de chenille qui avait dû tomber d’un arbre sur elle, criant à Tyler :
« Enlève-là ! Enlève-là ! »
Franchement, le concept de la petite bête qui n’avait pas peur de la grosse c’était pas pour Lucy ! Son sac chute à ses pieds, sa lampe torche roule plus loin, dévalant un léger dénivelé... Elle enlève sa veste, secoue son t-shirt… Franchement un peu plus et elle fondait en larmes en se déshabillant, heureusement qu’elle avait plus encore de pudeur que de peur, demandant toujours dans les gammes de la panique à Tyler en s’agitant :
« Il y en a d’autres ?! Regarde s’il y en a d’autres ! »
Pas de bol, c’était tombé sur lui. Il fallait un boulet dans leur groupe et le leur était tout à fait désigné. En même temps, vu les airs ultra badass du reste du groupe... Lucy n'avait aucune chance. Et sa petite mise sous pression hystérique laissait le groupe d'aventuriers devant eux reprendre encore un peu plus de distance, les isolants davantage dans l’obscurité des bois.
Dire que je pensais pouvoir me fondre dans l'obscurité de ces forêts pour suivre la trace, discrètement, des joueurs. Pister l'un, puis l'autre. Chacun son tour. Porter une attention particulière au voisin du Shepherd, me méfier des plus suspects, veiller à ne pas me laisser endormir par les apparences naïves de certains et collecter des données importantes... Au final je suis condamné à passer la soirée avec trois coéquipiers improbables. Pas gênants, pas forcément bienvenus non plus, je les subis plus que je n'apprécie leur compagnie mais je ne vois pas vraiment comment m'échapper désormais.
Je n'ai pas envie de laisser Lucy sans surveillance. Les CESS qui rôdent forcément alentours en feraient une cible facile.
Nous prenons donc à gauche malgré l'avis de l'infirmière. Medea paraît prête à céder à tous les caprices du blondin - je peux me faire des idées - et je suis pour ma part bien curieux de savoir ce qu'il cherche vraiment. La progression est lente pour une "course" mais il semblerait que l'heure soit aux bavardages.
Quelques mots échangés avec Lucy me rassurent : nous ne devrions pas nous battre ce soir, restons en là. On parlera après dit-elle, et j'acquiesce avant de me replonger dans la carte pour feindre l'intérêt du jeu. Plaçant la lampe entre mes lippes pour déplier le plan bras ouverts, je cherche les coins les plus sombres de ces lieux. Les endroits où les monstres sont susceptibles de se planquer. Forcément, les balises ont été placées suffisamment loin des lieux qui m'intéressent, mais la numéro cinq est assez isolée, encerclée de broussailles denses - d'après la légende sur le côté du document.
Je peine à calculer le meilleur itinéraire, mes pensées naviguant aléatoirement. Ashley, l'Irlande, ma chasse, le détective et sa camarade sexy, l'adrénaline qui pulse dans mes veines, Lucy... Lucy ?! Suite à ses cris je me retourne dans sa direction et la vois se débattre... Seule ?
« Il y en a d’autres ?! Regarde s’il y en a d’autres ! »
Dit-elle à Tyler tandis que ma main vient se positionner sur la poignée de l'arme à feu dissimulée dans mon dos. Mon regard fait scrupuleusement le tour des environs pour deviner une silhouette menaçante ou ennemie. Ce pourrait être des esprits, un enchantement lancé depuis une cachette, un des joueurs en fait assassin ou même un anti-humain muni de fléchettes ! Je ne vois rien. Rien de plus que cette nature malveillante en guise de geôle. Sans baisser ma garde, j'attrape Medea par l'épaule et l'entraîne vers les deux autres acolytes - resserrons les rangs - avant de comprendre que ma "belle-sœur" a déconné ;
" ... Tout va bien ? "
Je récupère le vêtement au sol et le lui fourgue dans les bras comme si sa tenue m'était pénible. Bien entendu, j'ai relâché l'arme et m'assure qu'elle est de nouveau cachée sous mes fringues avant d'essayer un sourire à l'attention de l'équipe :
" C'est un complot : les insectes ont permis aux autres de nous semer ! "
Au loin, on ne devine plus que la lueur des lampes du premier groupe. Puis elle disparaît. Pas la peine de réprimander l'irlandaise pour sa frousse des petites bêtes, du moment que les grosses lui foutent la paix.
" Allons chercher la balise 5. Elle est éloignée, les autres perdront du temps en fin de parcours pour la valider. "
Le tourbillon de mes émotions se dissipe. Je reste néanmoins contre mon ex, sans tenir compte de son avis sur la proximité soudaine et ne peux m'empêcher de vérifier que sa peau ne porte aucune écorchure, en l'examinant tel un médecin.
Le mauvais oeil
Forgive me, Father, for I am sin
SHUFFLE THE CARDS
இ
En un mot : An eye for an eye leaves the whole world blind
Au rythme de progression des participants hétéroclites, la forêt s'anime. Les faisceaux des lampes-torches tranchent l'obscurité et dessinent des ombres tantôt inquiétantes, tantôt oniriques, sur cette immense toile verdoyante. L'odeur des pins semble plus forte à présent, tout comme les bruits des animaux nocturnes. Ou peut-être est-ce l'altération de la vision, le rétrécissement du champ visuel, qui amplifie les perceptions des autres sens ? Le chemin jusqu'à l'arrivée est encore long. Si la première balise était facile à dénicher, débusquer la seconde avait déjà conduit les participants à effectuer un premier choix. La clairière se situait loin derrière eux, désormais. Les arbres, tous plus hauts les uns que les autres, enferment peu à peu les différents groupes dans une partie plus sombre, moins praticable de la forêt. Ceux qui n'ont pas pris la peine de s'équiper en conséquence commencent déjà à s'en mordre les doigts, comme ces adolescents si bruyants au commencement, habillés comme pour n'importe quelle sortie entre pairs, visiblement peu au fait des dangers et des particularités du terrain sur lequel ils progressent, beaucoup plus silencieux désormais.
Le cri de Lucy troue le silence relatif, premier ricochet d'une réaction en chaîne, dans cet environnement si propice à la naissance de l'imprévisible. Les perturbations vocales agitent le feuillage d'un arbre adjacent, et derrière la végétation, une ombre s'agite, arrachée à son sommeil. Ce n'est pas une armée de chenilles mais un anhinga d'Amérique, au plumage sombre et dense, qui s'extirpe des feuilles en caquetant, l'air revêche. Véloce, il quitte son perchoir situé quelques mètres au-dessus du groupe et plonge en piqué vers la source sonore, celle qui l'a extirpé de son repos entre deux séances de pêche. Sa masse obscure frôle les cheveux de l'infirmière avant qu'il ne s'élève à nouveau, pour d'un puissant battement d'ailes s'ériger par-dessus la cime des arbres, et disparaître dans un cri inquiétant. Comme un écho sinistre à l'exclamation qui l'avait tiré de son sommeil.
Le silence, définitivement perturbé, ne reviendra pas protéger nos quatre compagnons d'infortune. Cette fois, ce sont des pas précipités qui s'approchent à grandes enjambées, talonnés par une autre forme de vie, plus lente, vacillante de fatigue. Les brindilles craquent sous le poids de la course effrénée, les branchages s'agitent et la forêt murmure. De l'obscurité émerge finalement la silhouette solide du vieillard, celui qui semblait si déterminé à remporter la course pendant les explications des règles. Sa longue barbe blanche est souillée de terre et de minuscules débris végétaux, maculée d'un liquide rougeâtre déjà presque sec par endroits, dont ne se dégage pourtant aucune odeur d'hémoglobine.
Ses pupilles se dilatent lorsque, braquant sa lampe torche sous son propre menton pour éclairer son visage, il s'adresse particulièrement aux deux femmes, sans parvenir à déterminer laquelle avait perturbé l'équilibre de la forêt. « Ouh, ouh ! Prenez garde, mesdames ! Il ne faut pas réveiller le monstre des bois ! Ouh, ouh ! C'est bien imprudent de votre part… » Son visage d'illuminé se détourne lorsque jaillit une deuxième silhouette de derrière les feuillages. La silhouette cassée en deux, les mains sur les genoux, la vieille femme peine à retrouver son souffle, visiblement moins sportive que son compagnon, malgré une silhouette relativement athlétique pour son âge avancé. « Arnold ! Cesse d'effrayer ces gens ! Tu as déjà flanqué une sacrée frousse à la petite jeune ! J'ai cru qu'elle allait tourner de l’œil ! » « Mais elle n'a même pas crié, ma mie… » « ARNOLD !! Il suffit ! Je te demande d'arrêt… »
Le hurlement glaçant qui déchire la voûte verdoyante coupe court aux prémisses de la dispute surnaturelle. Comme une provocation en réponse au dialogue. Ou une réponse tardive aux agissements du vieil homme. Décalage dérangeant. Le cri semble proche, mais dans cet environnement, difficile d'en définir la provenance exacte. Porté jusqu'à leurs oreilles par une voix féminine, l'écho se meurt déjà peu à peu, réduisant presque à néant les chances d'en retrouver la source, si le groupe ne s'arrache pas immédiatement à l'immobilisme. Les iris perçants du vieillard, d'un bleu délavé, décortiquent chaque faciès avant d'interroger du regard celle qui avait tenté de le calmer, l'instant précédent. Puis, sans la moindre explication, le septuagénaire pivote et s'élance à corps perdu dans la direction du cri, enjambant sans difficulté apparente une souche morte avant de disparaître à nouveau.
Encore essoufflée, sa compère le talonne en trottinant, une main appuyée contre ses côtes pour endiguer un point de côté. Elle tourne néanmoins le visage, et sa voix siffle, comme un avertissement. « Ne nous suivez pas. » Elle escalade la souche tant bien que mal et disparaît à son tour à la suite du vieillard, son souffle rauque mourant peu à peu dans l'obscurité. Autour du quatuor, les mailles des ombres et des feuillages paraissent se resserrer, une fois l'écho du cri et des pas définitivement éteint.
Got the evil eye. You watch every move, every step, every fantasy. I turn away but still I see that evil stare. Trapped inside my dreams I know you're there. First inside my head, then inside my soul.
Medea Comucci
Sugar Mommy, la randonnée c'est ma vie (et mes collines ne demandent qu'à être explorées)
I will stop at Nothing
En un mot : Humaine. Profiler pour le FBI et consultante pour la NRD
Qui es-tu ? : A cinquante ans, je rassemble les bris de ma carrière explosée dix ans plus tot. Travailleuse acharnée, animée par un désir de vengeance qui me couple le souffle. Je ne m'arrêterais que lorsque ma Némésis sera morte ou sous les verrous. En parallèle, à la tête d'une cellule spéciale, je suis chargée d'incarcérer les CESS qui s'imaginent au dessus des Lois.
Facultés : J'attire les ennuis. Très facilement. Et souvent, je vais à leur rencontre.
Leur quatuor n’est pas encore un ensemble solide et compact. La pâte n’est pas encore devenue une crêpe onctueuse et craquante. Lucy est l’onctueux, évidemment. Faolan serait le croquant des bords quand à Tyler les grains de sucre qui ne sont pas encore dissous pas la chaleur? Medea ne peut être que le trait de citron qui assaille les papilles. Un vague sourire flotte sur ses lèvres à cette métaphore plus que tirée par les cheveux de leur petit groupe. Petit sourire qui s’élargit à la remarque du détective privé. Il a clairement démontré que la course ne l'intéressait pas. -Parce que tu penses que je vais gagner Tous les lots? -Elle le dévisage gravement. Comme si l’Italienne considérait sa requête. -D’accord. Si je remporte le kit du Petit Randonneur, je te le donne. Mais -Et là elle lève un index dans le plus grand sérieux - Tu dois me promettre de ne pas le sacrifier sur l’autel vaudou du Parfait Citadin qui se cache chez toi.
Bien que Medea n’ait jamais mis les pieds chez le blond, elle ne serait pas tout à fait étonnée d’y trouver un tel sanctuaire. La petite pause à la première balise touche à sa fin mais pas le besoin de la profileuse d’avoir une vision d’ensemble sur les motifs de ses compagnons. Inconvénient de sa cervelle qui ne sait pas se mettre en pause. Cela devra attendre alors qu’elle se retrouve aux cotés de Lucy, prolongeant un peu leur discussion. Irlandais pour Faolan, expliquant qu’elle ait été intriguée. Totalement absorbée par sa carrière pendant trop longtemps, elle n’a jamais pris le temps de voyager. Et ce n’est pas une erreur qu’elle va corriger tout de suite. -Tu es Irlandaise aussi? Tu n’as aucun accent en tout cas. Je suis depuis peu à Shreveport, donc pas vraiment une locale, mais si jamais tu as besoin de quelque chose plus tard, n’hésite pas. -Ce n’est pas, vraiment pas dans les habitudes de la Serpentine de s’engager dans de telles ouvertures et elle n’est pas certaine de savoir ce qui l’y a poussé. Pourtant, malgré cette bousculade dans ses habitudes, elle ne le regrette absolument pas. Une grimace franche sur son visage lorsque Lucy précise la nature du lien qui l’unit à Faolan, ne pouvant manquer la tension dans sa voix et leurs échanges précédents. -Outch. La belle famille, pas toujours facile de concilier avec.
C’est au moins une corvée qu’elle n’a plus à supporter depuis son divorce avec Adam. Le soulagement a été mutuel des deux côtés. Heureusement qu’elle n’a pas commencé à boire dans son thermos de café, Medea se serait étouffée. -En couple? Avec Tyler? -La remarque est si inattendue qu’elle n’a pas réussi à masquer la surprise dans sa voix. Elle se tourne légèrement pour poser le regard sur les deux hommes qui discutent entre eux, s’attardant sur le profil blond. -Non du tout, nous sommes…. on s’entend bien. Je l’ai engagé pour une affaire il y a quelques mois, c’est tout. -Sur sa langue une pointe d’amusement teintée, peut être, de mélancolie. Non que Tyler ne soit pas à la hauteur, c’est plutôt elle qui est un nid à emmerdes. Il mérite bien davantage qu’une nana de vingt ans de plus que lui et beaucoup trop cabossée. -Mais je suis flattée que tu le penses, ajoute-t-elle avec un clin d’oeil léger, dissimulant les fissures. -D’ailleurs je ne sais pas si il est célibataire ou non. Si elle a pu remarquer qu’il ne portait pas d’alliance -elle non plus, elle ne l’a plus remise depuis leur premier entretien- elle ne l’a jamais interrogé sur sa vie privée.
-Infirmière? Je comprends mieux pourquoi elle n’a pas eu le choix que d’aller bosser. Prends des photos pour lui montrer ce qu’elle manque! -Un vague mouvement de poignet quand Lucy la questionne à son tour. -Je suis fonctionnaire, je travaille dans une montagne de paperasses. -Non. Cela ne la dérange aucunement d’enfouir la réalité de son métier dans ses aspects les moins passionnants et pourtant indispensables. Sourire qui s’agrandit. -Ho, c’est juste une petite compétition amicale entre collègues, un rite de passage pour la nouvelle, en gros! -Un bref de temps de silence. - Et j’aime bien botter des fesses!
Lorsqu’ils reviennent vers elles, ils mettent fin à ce petit aparté si typiquement féminin. Faolan propose le chemin de droite, Tyler davantage le gauche. Le coeur de Medea penche aussi pour le gauche au vu du nombre de participants engagés dans cette voie et elle ne tarde pas à s’y engager, en profitant pour le questionner plus librement sur les vraies raisons de sa présence. Pour la première fois depuis le début de la soirée, le regard qu’elle lui lance n’a plus rien d'amuser à sa réponse. Sa langue claque contre sa langue, exprimant sa frustration devant son évasion verbale. Non que la brune ne le soupçonne réellement d’un motif illégal. MAIS. Et c’est ce Mais qui la rend dingue. Néanmoins, l’italienne n’ira pas pousser son questionnement plus loin. Le chemin devient moins praticable et peu propice à une conversation plus poussée. L’écart se creuse un peu entre elles et le trio derrière. La cinquantenaire se retrouve attentive aux-bas cotés, balayant devant elle pour tenter de percer l’obscurité et repérer le groupe qui s’est engagé devant eux. Les sons sont étouffés et portent assez mal. Sans compter les formes peu engageantes que le faisceau lumineux découpe dans la nuit tombée. Ses épaules commençaient à se détendre lorsqu’un hurlement suraiguë brise le calme relatif qui les entouraient. Son coeur se met à battre follement alors qu’elle fait volte face vers Lucy et Tyler, revenant vers eux rapidement, Faolan ayant exactement la même attitude, lui attrapant rudement l’épaule. Son pic d’adrénaline est tel qu’elle ne se dégage pas et lui permet de les rapprocher des deux autres. Sa main s’éloigne du creux de son dos, retombant le long de son corps alors qu’elle comprend la raison du cri. Un long soupir qu’elle exhale. -Je crois que ca va. Ce ne sont pas des processionnaires. -Qui elles sont urticantes à mort, si elle en croit un documentaire regardé distraitement une nuit d’insomnie. C’est volontiers qu’elle laisse Tyler s’occuper du reste des rampants, observant la brusquerie de Faolan à ramasser le chandail de Lucy. Ho ca va hein, elle est juste en tee-shirt.
La suggestion de Faolan fait sens. Une balise éloignée peut être intéressante pour une stratégie gagnante. Pendant que Lucy se remet, Medea en profite pour étudier la carte. Sauf que cette balise est vraiment à l’écart du circuit classique. Creusant encore la distance entre eux et l’ensemble des participants qui ont pris le chemin de gauche. Ce qui ne lui convient pas. La brune réfléchit avant de sursauter et d’agripper le bras de Lucy en voyant l’énorme oiseau qui s’abat sur eux. Il est possible qu’un cri lui ait tout aussi échappé. Deux fois en cinq minutes. Relachant la jeune femme avec un temps de retard. Elle essuie machinalement son front du revers de sa main, peu étonnée de chasser un peu de sueur tant l’atmosphère devient moite et stressante. Interloquée, certaine qu’ils étaient les derniers, elle fait face aux bruits humains qui tranchent avec les fourmillements de la faune.
Froncement de sourcil. Lui, il était devant, alors que la profiler note l’état désastreux de l'apparition qui se tient devant eux. Et qui se conduit comme le pire animateur scout de la Louisiane. La barbe blanche n’est plus qu’un lointain souvenir, et elle se tourne vers ses trois acolytes, profitant de l’arrivée de la compagne du viel homme en soufflant à l’oreille de celui qui est le plus proche d’elle - Bibine? Papy boit pas que de l’eau. -Impossible de savoir quoi penser des paroles et du comportement du couple. Des monstres dans les bois. Elle aimerait pouvoir le balayer d’un geste du poignet. Cependant ils sont à Shreveport. Ne pas en tenir compte serait idiot. Sauf que l’homme agit comme l’idiot du village, justement. A l’inverse de sa femme qui parait bien plus rationnelle.
Si le cri de Lucy avait semblé inquiétant, ce n’est rien, mais strictement rien face à celui qui vient de retentir pour une seconde fois. La terreur qui le teint, la remarque de l’homme sur une femme qu’il aurait terrifié, rien ne plait à Medea. Pourquoi cette jeune femme aurait crié Après le départ du couple, si c’était la même? Rien ne fait sens. Sauf les menaces latentes. Avant de pouvoir poser la moindre question, Arnold s’enfonce dans la foret. Hors chemin. Cazzo di merda. Ne nous suivez pas. Sauf que Medea ne peut pas ignorer un civil potentiellement en danger. C’est la base de son boulot. Tant au Fbi qu’au sein de sa cellule de la NRD. Pas pour la première fois, elle regrette l’absence de Duncan et Wayne, ses deux binômes habituels.
Laissant Lucy, Faolan et Tyler discuter entre eux, elle consulte rapidement son téléphone pour vérifier si elle a eu de nouveaux messages. Dès que c’est fait, elle relève la tête. - Je vais les suivre. Faolan, tu restes avec Lucy, vous restez sur les chemins. Soyez prudents. Tyler, tu m’envoies le numéro de Faloan par texto, que je puisse vous recontacter. -Elle en oublie d’adoucir son ton de voix et en devient peut être un peu trop directives. -Ty’, je te paie pas assez pour me suivre, mais si tu te sentais téméraire… sinon je vous rejoins à la prochaine balise. -Si elle ne se dépêche pas, elle va perdre de vue la silhouette de la compère replète. Sans attendre les réactions, elle se détourne pour enjamber à son tour la grosse souche qui lui barre le passage. Elle s’oriente sur la respiration ahanante et les branches brisées. Quelques secondes de panique quand elle s'aperçoit qu’elle ne trouve plus personne. Un coup d'œil dans son dos et elle se mord les lèvres. Le chemin semble à des kilomètres en arrière. Elle se raisonne. A peine quelques mètres.
Soulagement intense et brutal quand sa lampe accroche le dos de celle qu’elle suit. Forçant son allure pour ne pas le perdre, elle braque sa lumière sur elle. De sa main libre, Medea remonte la manche de sa chemise gauche pour dévoiler le filigrane d’argent qui ne la quitte pas. Dès qu’elle arrive à sa hauteur, elle agrippe le poignet de la femme, en s’assurant que le metal entre très brièvement en contact avec la peau de cette dernière. Avant de la relâcher aussi vite. Si humaine, le geste est innocent. Si elle ne l’est pas, le touché a été volontairement à peine plus qu’un effleurement. La piqûre d’une guêpe, tout au plus. De quoi s’assurer d’une réaction mais pas d’une blessure mortelle. Le ton de Medea est sans réplique quand elle assène à la vielle femme -Je vous accompagne. C’est dangereux de rester seuls. Même pour vous. Qu’est ce que vous savez de cette femme qui vient de hurler? Ou de ce qui a provoqué son cri?
L’obscurité qui nous entoure donne une atmosphère particulière même aux conversations les plus anodines. Tandis que le vent fait bruisser les feuillages en étouffant le bruit de nos pas et que les faisceaux lumineux tranchent la nuit, la voix de Lucy s’élève pour répondre à ma question. Son beau-frère donc, sans doute un lien un peu trop éloigné pour obtenir des informations intéressantes au sujet de l’autre détective, ou alors bien peu. La fin de sa phrase se perd et elle commence à gesticuler frénétiquement. Je m’arrête un instant à ses côtés, l’air surpris et soupçonneux. Qu’est-ce qu’il se passe encore ? Un cri aigu lui échappe et je finis par comprendre que tout ce tapage c’est juste pour une petite bestiole qui l’a prise pour un mur d’escalade. En l’espace d’une demi-seconde je suis passé de la surprise, à l’inquiétude, à la fatigue. Quelle idée de venir en forêt quand on a peur des insectes ? J’éclaire la chenille et arrive à l’enlever, l’envoyant négligemment par terre tandis que Lucy se débat avec ses affaires en vociférant. La petite bête responsable de tout ce vacarme se traine paisiblement et disparait dans les fourrés sous les cris. Je jette un œil pour voir s’il n’y en pas d’autre, en repère une qui s’accroche et l’envoie rejoindre sa camarade.
« Non c’est bon, il n’y en a plus. »
Les deux autres nous rejoignent, sans doute alertés par les hurlements. Faolan lui redonne ses affaires un peu vivement en la collant d’une manière curieuse pour quelqu’un qui est censé être son beau-frère. Il se fend même d’une plaisanterie avant de nous proposer de changer d’itinéraire. Je n’ai même pas le temps de sortir ma carte pour voir où se trouve cette fameuse balise qu’une ombre massive vient frôler la tête de la hurleuse et me fait faire un pas en arrière sous la surprise. Des bruits de battements d’ailes, sans doute un putain de gros piaf. Je crois que la forêt a compris qu’on ne l’aimait pas trop et qu’elle nous le rend bien. Des bruits de pas étouffés par la terre martèlent le sol et je me retourne dans leur direction. Le vieux compétiteur émerge rapidement des bosquets et commence à faire un genre de petit spectacle digne de colonie de vacance qui n’obtient de ma part qu’un air stupéfait puis blasé. Est-ce que tous les tarés du coin se sont passé le mot pour participer à cette foutue course ? Sa compagne s’extrait des bois à son tour et le vieux couple commence à s’engueuler. Je me désintéresse vite de leur petit manège et récupère ma carte pour voir où se situe la balise que l’autre détective veut aller chercher. Un nouveau cri déchire la nuit et fait taire le binôme agité, nous glaçant le sang. Il ne vient pas de quelqu’un d’ici cette fois, mais ce n’est pas loin. La carte à moitié dépliée dans les mains, le geste suspendu, le regard rivé dans la direction du hurlement, ne trouvant qu’une obscurité opaque. Les pensées défilent à toute vitesse, passant en revue les causes possibles d’un tel cri tout en froissant la carte pour la ranger dans ma poche sans même prendre le temps de la replier correctement aux vues de la situation. C’est peut-être encore un de leur jeu pour essayer d’effrayer les gens ou une méthode pour faire fuir certains participants pour avoir plus de chances de gagner. Ou alors un vrai danger, mais ça me semble improbable. Si le danger était réel, elle serait encore en train de crier, à moins qu’on l’ait forcé à se taire de manière plus ou moins définitive. Les deux petits vieux disparaissent en suivant la direction du hurlement et nous enjoigne de ne pas les suivre. Pas de problème. Dans le cas où c’est anodin c’est juste une perte de temps, et si c’est un vrai danger il vaut mieux l’éviter. Malheureusement l’italienne ne semble pas de cet avis. Non mais je rêve. Elle ne peut pas rester tranquille et ignorer le possible malheur des autres comme les gens normaux ? Et puis c’est quoi cette histoire ? Ce n’est pas parce qu’elle m’a engagé sur une affaire en particulier que je suis censé la suivre dans toutes ses croisades altruistes et idiotes.
« Non mais déconne pas, tu vas pas partir toute seule dans les bois… » Inutile, elle est déjà plus là. Quelle tête de mule. Je réfléchis un instant, soupire et me retourne vers les deux autres membres de notre étrange groupe. « Bon, vous voulez rester là ou vous venez voir quelle autre meuf s’est prise des chenilles dans la gueule au point d’en hurler ? »
En parlant je pianote sur mon téléphone, à la fois pour envoyer le numéro de Faolan à Medea mais aussi pour demander à mes autres comparses rat-garous si tout va bien de leur côté. Je ne crois pas vraiment à l’hypothèse d’un vrai danger, autrement je me serais clairement barré. Et puis de toute façon s’il y a vraiment un risque je ne peux pas laisser l’italienne crapahuter toute seule dans les bois. C’est quand même ma source de revenue principale en ce moment, et même sans ça, ça m’ennuierait qu’il lui arrive quelque chose. Je range mon téléphone et me dirige à mon tour dans la direction où elle est partie en râlant intérieurement contre son impulsivité, en plus le chemin est clairement moins praticable que celui qu’on suivait jusqu’à maintenant. J’essaie de repérer les quelques traces qu’elle a laissé ou de retrouver quelques odeurs humaines au milieu de celles boisées. Déjà que je ne suis pas très doué en forêt de jour alors de nuit c’est pire, malgré tout je finis par entendre des voix qui m’indiquent le chemin à suivre. Le faisceau de ma lampe torche retrouve enfin mon inconsciente employeuse qui a rattrapé les petits vieux. Elle est déjà entrain de les interroger d’un air extrêmement sérieux. J’arrive à leur hauteur.
« Mais faut se calmer un peu. C’est sans doute encore quelqu’un qui s’est fait peur tout seul à cause de la forêt. » Et dans le pire des cas, elle compte faire quoi de toute façon ? S’il y a un vrai danger, elle va se battre avec ? Quelle blague. « Ou alors c’est juste une animation de la course. Quand on en est au point d’organiser un truc pareil dans une forêt de nuit en plein hiver, je vois mal pourquoi ils ne s’amuseraient pas à en rajouter une couche. »
Je ne crois qu’à moitié à mes propres explications même si j’arrive à ne rien en laisser paraitre pour le moment. En théorie, une attaque est moins probable qu’une petite frayeur, mais l’ambiance des lieux rend tout plus menaçant. Un instinct plus primal qui n’apprécie pas qu’on ne puisse pas voir à plus de quelques mètres de distance alors qu’il y a peut-être un danger aux alentours. Je me rends compte que je ne sais pas vraiment où on est. J’ai sous-estimé à quel point on pouvait vite perdre ses repères en forêt. Une erreur stupide, mais chaque problème en son temps. Il faudrait que j’arrive à la convaincre de retourner sur les sentiers habituels de la course. Après ça il faudra que je retrouve les autres rats-garous, juste au cas où. Je hausse les épaules en conservant un air décontracté pour appuyer mes propos et désigne d’un geste les deux petits vieux.
« Et puis si ça se trouve c’est juste c’est deux là qui s’amusent à essayer de faire peur. Et si c’est pas le cas les organisateurs ont forcément entendu la meuf crier et ils sont déjà en route. Clairement ils seront plus efficaces que nous pour retrouver quelqu’un en forêt et l’aider. »
Je n’ai pas l’impression que ça sonne très convaincant. En général je n’ai pas besoin de convaincre les gens de fuir les problèmes, s’ils sont assez cons pour ne pas le faire je les laisse à leur pauvre sort. Mais ça m’emmerderait vraiment qu’il lui arrive quelque chose à elle.
A propos de son accent, Lucy avait été passablement surprise d’apprendre qu’elle n’en avait aucune. Peut-être que c’était simplement Medea qui ne l’entendait pas… Ou qu’il était moins prononcé que celui de Faolan ou des autres irlandais qu’elle avait eu l’occasion de croiser. Et de fait, Lucy n’aurait pas su déterminer si elle était satisfaite parce que son intégration en serait facilitée ou un peu grognonne par pur chauvinisme. En tout cas elle avait confirmé ses origines à l’autre femme de leur petit groupe : irlandaise pure souche, quoi qu’en dise ses yeux bridés. Enfin… Pas pure souche du coup mais on se comprenait.
Quant à la belle-famille, Lucy acquiesce de manière embarrassée. Faolan aurait probablement grincer un truc à propos du fait qu’elle n’avait eu aucun mal à « concilier » avec Ashley à une période hein… Il aurait eu raison et elle serait morte de honte. Mais il était en conversation avec Tyler et ça sauvait un peu son honneur. Pour ce qui était du couple Medea-Tyler, voilà qu’elle lui explique qu’ils n’étaient qu’amis… ? Voir dans une relation professionnelle. Elle aurait aimé demander ce que Tyler faisait comme boulot pour être « engagé » mais une déduction simple basée sur le lien entre Faolan et lui et cette histoire d’affaire « commune » lui permettait de deviner un peu. Et Medea la trouverait probablement indiscrète de poser des questions à ce sujet. Si ça se trouvait elle l’avait embauché pour un mari volage ou un truc un peu cringe quoi.
« D’accord, excuse-moi. Je vous trouvais juste très complices. »
Et c’était encore le cas, sans offense ! De toute façon Medea ne semblait pas contrariée, plus amusée qu’autre chose même. Et Lucy de la taquiner, à propos du célibat de Tyler :
« Il n’y a pas qu’un kit à gagner ! Il y a aussi un dîner pour deux ! »
En tout cas, bosser sous une montagne de paperasse ne semblait pas du tout retirer à Medea une sorte de charme naturel et attractif ainsi qu’un humour subtil mais percutant ! En tout cas Lucy y était réceptive et ce qu’elle avait convenu à propos du bottage de fesses l’avait sincèrement fait rire.
C’était un peu là-dessus que les choses s’étaient gâtées. Tyler avait pris place à ses côtés comme s’ils avaient tous participé à une sorte de jeu des chaises musicales. Et puis il y avait eu les chenilles au milieu de leur conversation, la panique de Lucy et le quasi-flegme d’un Tyler visiblement plus décidé à l’aider par dépit que par esprit samaritain !
Faolan était arrivé en grandes pompes lui aussi et Lucy avait été soulagée de le voir pour tout dire, récupérant sa veste en évitant de croiser le regard de qui que se soit, malgré tout gênée d’avoir à ce point stressé un grand coup tout le monde ! Et comme si les choses ne voulaient pas s’améliorer voilà qu’un énorme… PIAF… ! était sortit de nulle part dans ce qu’elle retiendrait comme était un croassement lugubre avant de lui fondre dessus ! Au moins elle n’est pas seule à flipper et pendant une seconde Lucy prend presque Medea dans ses bras pour crier avec elle ! Quelle histoire !
Leurs deux cœurs ne se sont probablement pas encore remis qu’un couple très étrange surgis, chacun à son tour. Lucy les reconnait : elle avait essayé de s’incruster auprès d’eux. Soudainement elle trouvait que le karma lui avait fait une fleur en ne lui permettant pas d’y parvenir…
Mais si son stress à elle continue de grimper, l’obligeant instinctivement à attraper le bras de son ex-compagnon pour s’y agripper comme à une bouée géante, le reste du groupe semble étrangement moins tendue qu’elle devant l’apparition pour le moins lugubre du couple.
« Papy doit pas faire grand-chose comme tout le monde… »
A l’adresse de Medea qui commentait la boisson. Sa barbe est teintée d’un liquide à demi séché et Lucy souffle, près de l’oreille de Faolan :
« Tu crois que c’est du sang ? »
C’est vrai que l’infirmière en elle avait envie de demander si « tout allait bien » mais il lui semblait que depuis quelques minutes déjà tout allait de travers. Mais on atteint des sommets lorsqu’un hurlement perce la nuit et Lucy sent ses doigts et ses ongles s’enfoncer dans le bras de l’irlandais tandis qu’elle se recroqueville contre lui.
Medea, elle, semble réagir avec un instinct que Lucy ne lui aurait jamais soupçonné. Et tandis que les deux petits vieux bizarres partent à la course dans la direction du cri, Medea semble prête à les suivre. D’ailleurs elle ne fait pas que « sembler ». Elle le fait réellement, prenant les choses très en mains… Et Lucy se dit que les préposés aux photocopies sont visiblement très différents là où Medea travaille que là où elle-même le fait hein…
Mais voilà, le nom de code de Medea ça devait être un truc comme « 007 » et après avoir distribué ses ordres à la ronde elle s’élance déjà.
Ne reste plus qu’eux trois.
Pas pour longtemps il semblerait toutefois. Lucy aimerait foudroyer du regard Tyler qui se moque indirectement d’elle avec ses chenilles mais elle est trop occupée à chercher un moyen de s’enraciner et de garder Faolan avec elle. Et en même temps… Laisser Medea seule livrée à un potentiel danger… ça ne l’emballe pas. C’est sans parler de la personne qui avait crié et qui avait peut-être besoin d’aide. Ceci dit, Lucy tente de bredouiller :
« Elle a dit de ne pas les suivre… »
Ça sonnait comme une menace qu’elle avait peine à ignorer. Question de contexte ! Lucy s’était souvent faite menacer à l’hôpital mais là c’était une forêt inconnue au milieu de la nuit. Être devant un film d’horreur elle se serait agacée de voir le groupe se séparer en petits morceaux comme s’il n’y avait aucun danger…
Tyler s’en va. Ne reste plus qu’eux deux.
Lucy a un regard pour Faolan, comme si elle avait espéré qu’il dise un truc sur son ton un peu bourru habituel du style « on les laisse se débrouiller ». Pourtant, dans un soupire, elle reconnait :
« C’est peut-être mieux de ne pas se séparer… »
Elle a un regard en arrière, là où sa lampe torche avait disparue… mais elle n’en apercevait même plus le faisceau. Glissant sa main dans celle de son beau-frère, elle l’encourage à passer devant avec sa lampe torche. Elle allait le suivre comme ça sans le perdre. Et de reconnaître :
« Je suis contente d’être tombé sur toi. »
Pour maintenant hein ! Ça ne le prend pas tellement de temps avant de retrouver Tyler, même s’il manque de le perdre. Et avec soulagement, Lucy réalise qu’ils ont retrouvé Medea aussi. Elle est moins soulagée en voyant les deux vieux ceci dit. Quant à Tyler, après qu’il l’ait agacé un peu plus tôt il avait tout son amour tandis qu’il essayait de rationaliser la situation. Même qu’elle appuie :
« C’est plein de bon sens. Et c’est sûrement dangereux de faire du hors-piste pour des novices, surtout au milieu de la nuit. »
Plus ça allait, plus elle trouvait que l’organisation de cette course faisait broche à foin ou attrape pigeons.
« Je ne dis pas que ce n’était pas plein de courage de s’élancer comme ça… »
Mais très imprudent oui. Et de répéter, maintenant que tout le monde était là :
« On ne devrait pas se séparer. »
Enfin les p’tits vieux pouvaient, elle ne s’en sentirait que mieux.
« Est-ce qu’on sait qui a crié et pourquoi ? »
Lucy attrape le poignet de Faolan qui tient la lampe pour l’obliger à éclairer un peu les environs pour elle, une boule au ventre. Et à l’attention des vieux :
Alors que l'obscurité totale sur la chasse aux balises nous fait passer pour de vaillants touristes en recherche d'exotisme, je n'arrive pas à faire redescendre le rythme exagéré de mon pouls. Quelques chenilles ayant judicieusement choisi le perchoir le plus confortable - à savoir Lucy - et ça y est je panique ? Pourtant pas mon genre. Parano oui, mais il faut plus qu'un cri strident pour m'inquiéter. Je me concentre difficilement sur le cas du vieux gars.
« Tu crois que c’est du sang ? »
M'interroge l'infirmière. Je hausse les épaules, peu motivé à entamer la conversation avec lui, encore moins à vérifier de plus près les tâches douteuses de ses vêtements et sa barbe emmêlée.
Le nouveau cri est impeccablement réalisé. La encore ça fout le doute. À force de courir après les monstres, d'entailler les chairs inhumaines et provoquer des hurlements quasi habituels, on ne supporte plus les échos de terreur. Ou plutôt : on s'y habitue. Et parvenir à identifier avec objectivité devient impossible...
La scène du couple âgé n'arrange rien. C'est trop. Trop pathétique, apparemment insignifiant, trop abstrait, ça ressemble à un canular ou bien à des animations liées à la course, comme le souligne judicieusement Tyler. Ils repartent, chacun leur tour, on se croirait dans une mauvaise pièce de théâtre.
Medea s'est lancée après la vieille et ses instructions m'officialisant garde du corps de Lucy ne m'ont pas convaincu. Mais bien sûr, je vais veiller sur elle. Pas question de la laisser. Néanmoins l'arme dans mon fut sera sans doute utile si elle se trouve face à un tueur ! J'avoue, au fond, j'espère qu'un Garou ou une autre abomination s'en soit pris à l'un des participants de la course. La traque serait ouverte officiellement, je pourrais chasser le mal et passer pour un héros. Notez que je me fiche de la notoriété, je souhaite juste qu'on me laisse faire et l'arrestation d'un agresseur légitimerait la balle logée par mes soins entre les yeux.
« Bon, vous voulez rester là ou vous venez voir quelle autre meuf s’est prise des chenilles dans la gueule au point d’en hurler ? »
« C’est peut-être mieux de ne pas se séparer… »
Je me demande à quel point Tyler se sent crédible. Croit-il vraiment à un bête incident chenilles ou veut-il se faire passer pour l'incrédule ? J'ai l'étrange impression qu'il est inquiet. Ou nerveux. Je ne saurai dire précisément... Sa détermination ajoutée à la remarque de la brune me servent :
Ça sonne élan solidaire d'équipier fidèle. J'en suis fier. J'attrape la main de Lucy et nous entraine dans les bois en suivant la lampe mouvante du jeune détective. Un peu d'exercice, j'ai soudain l'espoir bizarre de vouloir courir comme ça pendant plusieurs minutes. Juste le silence, la nuit, sa main dans la mienne et nos ennuis si incapables de nous rattraper. Les propos de l'ex me reviennent. Elle se dit contente. Je ne suis pas sûr de pouvoir en dire autant... Mais je sens mes doigts se resserrer sur les siens alors que nous atteignons déjà le petit groupe.
Medea, postée en chef enquêtrice près des suspects, Tyler qui reprend son souffle et nos deux p'tits vieux sous les projecteurs de l'interrogatoire. Pendant que Lucy utilise mon bras comme une lampe amovible pour éclairer les alentours directs, je scrute moi aussi ces arbres massifs qui nous encerclent et se penchent sur nous, menaçants.
" Pas sûr que Ash soit content, lui, d'apprendre qu'on a joué dans les bois. "
Dis-je avec un sourire cynique en travers du visage sans replacer mon attention sur la brune. Lucy n'est sans doute pas contente. Je lui suis juste utile, alors qu'elle est paumée et se sent en danger. Quant à Ashley, il ne lui fera pas d'autres reproches que l'imprudence et prendra enfin la peine de m'appeler. Parce qu'à ses yeux ce sera évident : j'aurai mis sa chérie en danger.
Blasé d'avance, je lâche la belle et me place devant papi-coureur-des-bois :
" On vous parle : vous êtes qui ?? Des participants à la course ou deux mauvais comédiens ? Y a des complices planqués par là qui s'amusent à crier ?! Ou est-ce qu'il y a une blessée qui agonise et vous nous faites perdre notre temps !!! "
Franchement, mettons les choses au clair. Soit il est juste vieux-con, et il veut sauver la demoiselle en détresse tout seul. Soit il révèle sa nature diabolique et on règle nos comptes. Le flingue dans le bas de mon dos frémit d'impatience.
Le mauvais oeil
Forgive me, Father, for I am sin
SHUFFLE THE CARDS
இ
En un mot : An eye for an eye leaves the whole world blind
La respiration saccadée perturbe l'écosystème forestier. Dans les ombres, des bruissements, presque des murmures, prennent vie. La faune nocturne s'agite, la flore écoute et surveille l'humanité qui la piétine, s'insinue dans le dédale vert avec la confiance propre à cette race qui se croit supérieure. Un orgueil qui s'égraine à chaque pas de la vieillarde, de plus en plus lourds. Son rythme cardiaque pulse tel un sonar, la veine de son cou palpite dangereusement ; elle est contrainte de ralentir l'allure et lorsque Medea la rejoint, la participante est trop fatiguée pour esquisser un geste de surprise. La froideur de l'argent contre sa peau ne l'agite pas outre mesure, c'est tout juste si elle remarque ce contact infime qui ne la dérange nullement, trop occupée à se tenir les côtes en reprenant son souffle. Sa silhouette chétive, telle une branche noueuse et d'un âge certain, paraît menacer de se craqueler à tout instant.
Alerté par l'absence de sa compagne à ses côtés, ou peut-être inquiété par la perspective que le quatuor d'inconnus ne cuisine sa bonne femme un peu trop agressivement, Arnold paraît avoir rebroussé chemin. Ou peut-être que son esprit égaré l'a fait tourner en rond et revenir au point de départ, contre l'unique lambeau de raison qui le fait encore tenir debout après toutes ces années : son épouse. Sous le ton vindicatif de Faolan, et après un regard pour sa moitié, il s'avance vers lui à son tour, peu intimidé par la différence d'âge. Sa silhouette solide, malgré ses soixante-dix ans passés, s'enracine face à l'Irlandais et son visage s'immobilise à quelques centimètres du sien, offrant au détective tout le loisir de respirer les relents d'humus et de feuillages qui se mêlent à sa longue barbe broussailleuse. « Ne vous méprenez pas sur les véritables dangers de cette forêt. » Malgré la lueur démente qui perturbe le bleu de ses iris, le ton est presque prophétique. Avec les ombres qui zigzaguent sur son visage ridé, difficile de déterminer s'il s'agit d'un sage ou d'un véritable illuminé.
L'index d'Arnold jaillit et s'érige vers la cime des arbres qui recouvre le ciel. « La lune est presque pleine. » Un détail peut-être anodin, mais qui agite grandement le randonneur aguerri et appuie ses propos qu'il délivre au policier, la voix caverneuse. « Je chasse… Avant, je chassais les proies faciles, comme vous… Car je suis un v… » « ARNOLD !! » Le vieillard paraît ne pas l'entendre et poursuit son discours, sans interrompre la confrontation visuelle avec Faolan. « Cette nuit, la vie des uns nourrira et prolongera l'existence des autres. » Un nouveau cri, plus proche que le précédent, déchire l'atmosphère. Même voix féminine, même détresse. L'odeur d'hémoglobine, bien plus prononcée qu'aux prémisses de la course, se répand peu et à peu et émane de la source sonore, alerte les sens surnaturels, se dilue désagréablement dans les odeurs végétales de la forêt menaçante. « Je suis vieux, désormais. Je préfère attendre que les corps tombent, je me contente des restes. Ne m'empêchez… pas… de me… » Et, porté par une hargne soudaine, comme si une mouche l'avait piqué, ses pupilles se fendent de folie et Arnold, d'un coup d'épaule robuste, bouscule la silhouette de Faolan qui entrave sa route et s'élance, pour la seconde fois, vers le cri dont la localisation semble désormais à portée de voix.
« Arrête ça, Arnold ! ATTENDS-M… Aaaah ! » Le craquement sinistre qui retentit lorsque la septuagénaire s'élance à la poursuite de son mari est éloquent. Comme si elle avait été percutée par un véhicule invisible, sa hanche droite vacille et la silhouette flanche sous le déséquilibre et la douleur. La forme anormale que prend son bassin alerte aussitôt l'infirmière à laquelle la vieillarde s'est accroché pour éviter la chute, les doigts tremblants, des larmes d'émotion et de nervosité perlant au coin de ses yeux. « Mon mari, il est… schizophrène… il se prend pour un vampire, il croit que la forêt… lui parle… je vous en prie, ne lui faites pas de mal… il est dérangé, il aime effrayer les gens, mais il n'attaquerait jamais qui que ce soit… aïe, ma hanche… je n'ai plus vingt ans… » Guidé par les mouvements précautionneux de l'infirmière, elle s'assied lentement contre un tronc d'arbre, une grimace de douleur déformant son visage strié de vieillesse. Son regard récupère celui de Medea et lui offre toute son impuissance, les yeux irrigués de désespoir. « Je suis désolée, je ne sais rien, je pensais que venir ici nous changerait les idées, ferait revenir mon mari à la raison… Arnold a voulu s'amuser à terroriser une jeune fille, mais deux gaillards du groupe l'ont dissuadé, le genre un peu basané et avec l'accent des cartels, de la mauvaise graine… Je ne sais rien d'autre… Aïe… S'il vous plaît, appelez les secours… je crois que je vais… »
Il n'y a que la poigne douce mais ferme de Lucy qui l'empêche de défaillir totalement, et la maintient encore éveillée, mais éreintée par les événements. L'infirmière, de son bras libre, fouille dans son sac de randonnée et extirpe son téléphone portable. La mine concernée, elle s'adresse au reste du groupe, le regard insistant malgré la crainte qui assombrit ses yeux sombres. « Je reste avec elle, je vais appeler les secours. Partez… ne vous inquiétez pas pour moi. » Les dernières paroles s'adressent particulièrement à son ex-amant, qu'elle couve d'un regard d'adieu et d'un hochement de tête déterminé, avant de reporter son attention vers la blessée, qu'elle berce de mots rassurants.
Une image en parfaite dissonance avec la photographie que reçoit Tyler sur son téléphone portable, en provenance d'Eva, ainsi que quelques mots décousus déversés à toute allure au travers d'un message audio. Les syllabes hachées témoignent de l'état de panique dans laquelle se trouve sa semblable. « Putain Tyler c'est un carnage ici, on a suivi le cri et y'a… une des ados qu'on suivait qui a… bordel j'y crois pas… j'crois qu'elle a été attaquée, on lui a arraché un bras putain de merde, c'est pas humain… Viens vite s'te plaît… Bobby essaie de contenir Dani mais j'crois qu'il va faire une connerie… » La photo est floue, prise difficilement entre deux tremblements de la jeune femme, mais malgré le manque de stabilisation de l'appareil, on distingue malgré tout à travers les pixels la forme du membre qui git parmi la terre et les herbes folles, déchiqueté et entouré de taches sombres et épaisses, impossibles à identifier. Les différences de couleurs indiquent que la peau a été par endroits arrachée jusqu'à l'os, là où elle n'est pas simplement maculée de sang. Entre deux hurlements féminins, le téléphone de Tyler vibre à nouveau, dans un message révélant cette fois la position d'Eva, à quelques centaines de mètres du quatuor.
Rédigé par notre petit randonneur pédestre national : Yago.
Got the evil eye. You watch every move, every step, every fantasy. I turn away but still I see that evil stare. Trapped inside my dreams I know you're there. First inside my head, then inside my soul.
Un groupe de débiles en train de s’engueuler au milieu des ombres étirées par les faisceaux jaunâtres des lampes torches au milieu d’une forêt froide et rendue silencieuse. Je commence à me dire que les feux de forêt ne sont pas des accidents mais résultent de nuits comme celle-ci et de gens excédés. L’autre détective engueule le vieil homme qui commence à répliquer avec un ton délirant et des mots qui laisseraient sous-entendre qu’il est un vampire. Je considère un instant cette éventualité, mais le timing ne colle pas vraiment, le soleil n’était pas encore tout à fait couché au début de la course. Un nouveau cri jaillit d’entre les arbres, cette fois accompagné de l’odeur capiteuse du sang porté par le vent. Merde, là on a vraiment un problème. Le vieux se met à courir vers le hurlement, tant pis pour lui, maintenant il faut que j’arrive à convaincre les autres de ne surtout pas le suivre cette fois. Et un très bon argument s’offre à moi dans un craquement humide et particulièrement répugnant. Bénies soient les personnes âgées qui se blessent pile au bon moment. Malgré la douleur qui transparait dans sa voix la vieille donne des explications sur le comportement incongru de son mari tandis que Lucy s’occupe d’elle.
« Ah bah c’est super ça. C’est vraiment ce qu’il manquait dans cette foutue ville. Et vous avez pas un traitement à lui filer pour ça ? Des cachets ou un truc du genre ? »
Des humains qui se prennent pour des vampires. Sérieusement. J’en ai marre de cet endroit. L’infirmière s’occupe de la vieille tandis que mon téléphone vibre dans ma poche. Avec tout ça j’en avais presque oublié pourquoi j’étais là en premier lieu. Dans la conversation de groupe apparait une photo et curieusement un message vocal de la part d’Eva. Pourquoi elle m’aurait envoyé un message de ce genre ? Je m’écarte des autres tandis qu’ils s’occupent de la blessée qui est en train de leur donner les anti-psychotiques de son mari et j’ouvre l’application pour écouter discrètement le message avec le son au minimum pour être sûr que les autres ne puissent rien entendre. Putain de merde. La photo et le message sont sans équivoque. C’est pire que tout ce que j’aurais pu imaginer. Il y a un truc qui traine dans le coin et le gamin va peut-être se transformer. Il faut que je les rejoigne, mais je fais quoi pour les autres ? Je ne veux pas les emmener avec moi, mais les abandonner ici sans qu’ils sachent ce qui se terre dans les bois n’est pas une meilleure idée. De toute façon il n’y a aucun endroit dans cette forêt où ils seront en sécurité, mais au moins en restant ici ils n’auront pas à craindre de se prendre un coup de dent de la part d’un jeune rat-garou qui aurait pété un câble. C’est sans doute le moindre mal. Je range d’un geste nerveux mon téléphone, cherchant une excuse bidon pour aller retrouver les autres rats-garous.
« Restez avec Lucy jusqu’à l’arrivée des secours, on sait jamais. Et partez avec eux. Je vais aller chercher le papi. »
Espérons qu’ils ne se feront pas attaquer. Espérons qu’ils ne vont pas me suivre, mais au vu de leur propension à se ruer vers les cris je n’y crois pas trop. Au moins j’aurais essayé. Je n’ai pas plus de temps à accorder à ce problème, je tourne les talons pour m’enfoncer de nouveau dans la forêt, mais cette fois je sais où je vais. J’arrive à me repérer grâces aux nouvelles informations et retrouve facilement les autres face à une situation critique. Des hurlements, l’odeur du sang qui englobe tout à en devenir suffoquant. Un coup d’œil pour remarquer Dani, la tête entre ses mains, les jointures blanchies par la crispation. Eva lui parle doucement comme on le ferait avec quelqu’un qui menace de se jeter d’un immeuble, mais elle jette des coups d’œil nerveux vers le presque cadavre qui gigote encore. Bobby utilise sa haute stature pour cacher la scène au gamin à la limite de l’hystérie. J’ai l’impression qu’il surveille les alentours, la mâchoire crispée à cause de la situation ou de l’odeur d’hémoglobine. Quelques jeunes sont agglutinés autour de la blessée et le papi s’est joint à eux et leur parle en faisant de grands mouvements, les autres semblent complétement paumés et errent entre panique et tétanie. Le chaos est total, mais dans tout ce bordel Dani ne ressemble qu’à un gamin de plus qui serait pris de panique face à la scène d’horreur, même si je reconnais dans sa posture et sa tension les signes de quelqu'un qui lutte pour garder le contrôle sans être sûr de pouvoir gagner la bataille. Ok. Bon. La priorité absolue c’est d’empêcher le gamin de se transformer, ou au moins faire en sorte qu’il le fasse loin des autres et que personne ne le remarque. Je rejoins les autres rats-garous et choppe le petit jeune par le bras sans même m’arrêter, murmurant entre mes dents à leur intention :
« Venez, on se casse. - Non, attends… » Le gamin résiste pour ne pas se faire entrainer, enraciné comme un putain d’arbre, le souffle court comme s’il faisait un énorme effort pour ne pas céder à la bête. « On peut pas la laisser. - Quoi ? Qui ? - La fille, c’est son amie. » Souffle Eva à mon attention. Je jette un coup d’œil vers la fille en pièces détachées. Un carnage. J’étais tellement focalisé sur l’idée d’éloigner le gamin des autres que j’ai presque oublié qu’un truc a attaqué le groupe. La jeune femme recommence à parler au gamin avec un ton beaucoup trop calme pour la situation. « Pour l’instant il faut qu’on t’éloigne d’ici Daniel. Ça n’aidera personne si tu… perds pieds ici. - Non, non. Ça va aller. » Tout dans sa posture et sa voix nous crie que non, mais il a de l’espoir. Pourtant la deuxième fois il a l’air bien moins convaincu. « Ça va aller… - On peut pas prendre le risque gamin. - Mais la… le… le monstre. Il va nous… Si on s’éloigne… - Ouai enfin, on est pas beaucoup plus en sécurité ici tu sais. »
C’était probablement pas ce qu’il fallait dire si j’espérais le rassurer, sa panique semble redoubler mais au moins maintenant il se laisse entrainer par l’ancien militaire un peu plus loin et j'appercois que bobby a déjà à la main un flingue qu'il dissimule aux autres grâce à sa posture et à la nuit. Si je n'avais pas été si près de lui je ne l'aurais même pas remarqué, au moins si on se fait attaquer il a de quoi répliquer. D’un coup d’œil en arrière j’entrevois la scène que j’avais réussi à ignorer jusque-là pour me concentrer sur le plus important. Les bouts de chaires qui trônent dans l’herbe sombre, rendus presque irréels par la faible luminosité et les quelques faisceaux de lampes torches qui leur passent dessus de temps à autre. La nuit dévore tout et limite l’horreur. En un sens elle nous rend plus vulnérable face au monstre qui se terre quelque part, mais elle nous protège de la boucherie qui nous vomit des relents de sang dans les narines. Il faut qu’on se tire d’ici en vitesse.
Medea Comucci
Sugar Mommy, la randonnée c'est ma vie (et mes collines ne demandent qu'à être explorées)
I will stop at Nothing
En un mot : Humaine. Profiler pour le FBI et consultante pour la NRD
Qui es-tu ? : A cinquante ans, je rassemble les bris de ma carrière explosée dix ans plus tot. Travailleuse acharnée, animée par un désir de vengeance qui me couple le souffle. Je ne m'arrêterais que lorsque ma Némésis sera morte ou sous les verrous. En parallèle, à la tête d'une cellule spéciale, je suis chargée d'incarcérer les CESS qui s'imaginent au dessus des Lois.
Facultés : J'attire les ennuis. Très facilement. Et souvent, je vais à leur rencontre.
Les hurlements qui fracassent le calme relatif de la nuit, dans le calme retrouvé après que l’infirmière se soit remise de son premier choc cingle à nouveau le sang de Medea. Le couple étrange est responsable ou n’est peut être pas responsable de ces effrois nocturnes. Il lui faut en avoir le cœur net. Sa discussion en cours avec la jeune infirmière, ses précédents échanges avec Tyler et son léger heurt avec Faolan ne sont que secondaires. La voix du jeune détective s’envole dans son dos, sans doute pour la retenir. C’est impossible. Bien trop de facteurs lui interdisent de rester bras croisés alors que la forêt semble devenir le terrain d’un jeu bien plus sordide que celui d’une simple course d’orientation.
Rattraper la veille femme n’est l’affaire que de quelques longues secondes à naviguer dans une obscurité de plus en plus pesante. Bien qu’il ait commencé à s’éloigner, un reste de raison doit le conduire à rejoindre son épouse. Le conjoint est clairement la pomme véreuse du panier. Il y a un truc chez lui qui alerte la psychologue, qui aiguise ses intuitions. La posture est fuyante, la voix trop perçante. Sans compter sa barbe maculée d’un rouge séché. Pas certaine que ce soit de l'hémoglobine, pas certaine que cela n’en soit pas. Furtivement elle se pince l’arrête du nez entre deux doigts. Elle doit garder son calme et le contrôle. C’est un absolu.
Bruissement dans les fourrées, branches cassées, légers jurons. Derrière son épaule, la voix familière de Tyler. Un regard par-dessus son épaule qui lui confirme qu’il l’a rejointe malgré ses réticences. Lucy et Faolan ont pris la même décision. C’est à la fois rassurant et inquiétant. Ils se mettent en danger, sans avoir conscience de la nature de celui-ci. Un sourire tendu qu’elle adresse à ses compères avant de se concentrer à nouveau sur le couple suspect. Le détective tente une rationalisation. Bien joué. Ca tombe à l’eau, plouf, mais c'était bien tenté. Une animation de la course. Aucune chance, non. Il met la main sur un point crucial, qui ne sera certainement pas mis en lumière. L’organisation d’une telle course, dans un tel milieu, à un tel moment. Cependant, elle peut comprendre pourquoi il s’accroche à de telles suppositions. Rien en lui n’est attiré par le danger. Il sait y faire face, elle n’en doute pas. Le rechercher n’est pas dans son adn.
Lucy s'intéresse à son tour au couple. deux questions. Simple et efficace. Non. Medea ignore qui a crié et elle espère vraiment que ces énergumènes vont pouvoir l'éclairer. La présence imposante de Faolan n’est pas à prendre à légère, alors que toute son attitude devient intimidante. Medea s’écarte. Laisse faire. Il plairait à Wayne, le troisième angle de son équipe, avec Duncan. Ils ont besoin du facteur peur que l’irlandais peut inspirer, surtout cette nuit. Et il y a quelque chose chez lui qui hurle que c’est un mec habitué aux situations FUBAR. Sans lui accorder la confiance quasi implicite qu’elle a pour Tyler, elle espère qu’il est aussi solide qu’il le paraît.
Quand le vieux coucou finit par répondre, ils ne sont pas déçus du voyage. Des paroles dignes d’un mauvais film de série B, une attitude de prêcheur de la fin des temps. Elle se demande si elle n’a pas en face d’elle la caricature du Prophète de Tintin et l’Etoile mystérieuse. Faolan résume parfaitement : ils perdent du temps. Néanmoins, l’italienne le laisse parler. Sa femme essaie bien de placer une phrase ou deux, mais il n’y prête aucune attention. Entraînée par la roue de son délire. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ils sont face à un homme complètement enfermé dans les ronces de son esprit. Quantité négligeable. Qui les retient d’une menace bien plus sérieuse.
Un nouveau cri à l’urgence déchirante, à la terreur inhumaine, dont la douleur atteint un palier de crucifixion. Qui semble aiguiller le psychotique qui en trouve la force de bousculer Faolan, de s’enfuir à nouveau. La mâchoire de Medea se crispe brutalement alors qu’elle se tourne vers l’épouse désemparée. Une grimace qui lui échappe en entendant le son sinistre d’un os qui se froisse en dehors de sa cavité naturelle. De ceux qui s’impriment dans la mémoire et ressortent dans les cauchemars de fin de nuit. Lucy s’est élancée dès qu’elle prend la mesure de la situation, venant soutenir la dame âgée. Confirmation du déséquilibre mental de son époux.
La brune revient à la blessée qui s’adresse directement à elle. Elle s’agenouille à demi dans l’humus qui tapisse le sol. Une main rassurante sur le genou. Si elle ne peut chasser les échos du nouvel hurlement, il lui est impossible d’abandonner totalement cette femme dans un état aussi vulnérable. Pas dans ces conditions. -Je comprends, je vais essayer de le rattraper et de le confier aux organisateurs, qu’il soit en sécurité. -un regard noir à Tyler devant ses paroles sarcastique. Ce n’est pas tout à fait le moment. Qu’il ait besoin d’un traitement est évident. S' ils parviennent à l'empêcher de courir dans tous les coins de la forêt. Deux gars basanés. Froncement de sourcil jusqu’à ce que Medea retrouve mentalement les participants. Les deux jeunes d'origine sud-américaine. Du coin de l'œil, elle remarque que Tyler s’est éloigné du groupe, son attention rivée à son téléphone, sans qu’elle ne puisse distinguer ce qui le passionne à ce point. De nouveaux cris. Elle ne peut pas rester là. Surprise inconditionnelle quand Tyler -TYLER! - veut aller chercher seul Arnold. Tyler. Seul. En leur proposant de rester là? Il se fout de sa gueule ou quoi? Si Medea ignore ce qui se trame sous le crâne du détective, ce qui est sûr, c’est que ce comportement est à des lieues de son attitude naturelle. Et ce, juste après avoir été happé par son portable. -Attends! Tu ne sais pas.. -Peine perdue. Il a déjà tourné les talons. Un regard dépité qu’elle adresse à Faolan. Mais au moins Lucy s’est déjà portée au chevet de l’épouse alitée. Leur proposant de rester avec elle jusqu’à l’arrivée des secours. Une nouvelle hésitation. Tout en elle la pousse à suivre Tyler, mais pas si c’est pour les laisser en danger. Elle jauge la motivation de Faolan. A priori, il semble avoir confiance dans l’aptitude de sa belle-soeur pour gérer la situation. -Tu continues avec moi?
Néanmoins, ils viennent de donner quelques minutes d’avance à Tyler, le temps pour Medea de s’assurer que Lucy a bien du réseau. Ce n’est que lorsqu’elle est en communication téléphonique avec l’équipe de soin de la course que l’italienne peut enfin quitter ce coin de forêt. Sans un mot, elle attrape le bras de l’irlandais, se retenant d’apprécier le jeu des muscles sous sa chemise, elle se dirige vers l’endroit d’une commotion facilement repérable. Les lampes percent la nuit, les éclats de voix sont diffus. Des gémissements de plus en plus faibles. Des branches basses lui giflent le visage et elle écarte tant bien que mal pour éviter de se blesser inutilement. De justesse, elle évite les racines d’un résineux qui n’attendaient qu’un faux pas pour la faire trébucher la tête la première. Ils arrivent dans une clairière avec trois personnes, plus Tyler. Et au milieu.. au milieu… Medea se sent pâlir. Une envolée d’italien qui filtre de ses lèvres, si doucement que c’en est incompréhensible. La première chose qu’elle remarque, en braquant sa torche tour à tour sur chacun des présents, est l’absence de sang sur leurs vêtements ou sur leurs mains.
Un pas. Puis un autre, qu’elle force vers la victime étendue au centre d’un carnage. Sans s’arrêter sur le sang qui s’étale en une flaque presque immédiatement absorbée par le sol, elle se contraint à s’agenouiller. La pauvre est encore vivante. Pas de nausées. Pas de haut le cœur. Ce n’est clairement pas la première scène de ce genre pour elle. Elle est parfaitement composée et ses gestes sont économes. Un doigt qui prend la mesure de son pouls, en arythmie totale et de plus en plus faible. Un filet de sang qui s’éparpille de sa bouche. Elle est consciente, les yeux grands ouverts. Tentant d’articuler quelques paroles sans parvenir à former les mots. -Chut, bébé, ça va aller. -Si jeune. Si stupidement jeune. Former un tourniquet à l’endroit de l’articulation quasiment déchiquetée est presque inutile. Sauf qu’elle va mourir, et dans les prochaines secondes si elle ne fait pas quelque chose. Pourquoi ont- ils ont laissé Lucy derrière eux, déjà? Elle ne peut s’inquiéter de la réaction autour d'elle. Pas maintenant. Elle appuie sur le bouton de l’oreillette. Quelques mots austères. -Comucci. J’ai une blessée grave, en perte de conscience. Un bras arraché. -Avec ce qui lui tombe sous les mains, c'est-à-dire sa ceinture, elle tente un garrot de fortune. Qui ne suffira pas. A la suite, elle s'intéresse au membre séparé de son corps. Essayant de le manipuler le moins possible sans gants, Mededa le retourne et l’examine à la lueur de sa lampe de poche. Au moins deux sets de morsures différentes. Des plaies plus profondes à certains endroits. Des bouts de chair visiblement machonnées. C’est absolument laid. Et rien qu’elle n'ait déjà contemplé des centaines de fois.
Elle se redresse. Son visage est un masque absolument fermé. Siméon Barois va être furieux de la tournure des événements. Plus tard. Cette fois, sa main droite récupère son arme, et si elle n’enlève pas la sûreté, il n’est plus l’heure d’avancer à pas de velours. La situation est trop grave. A nouveau elle articule dans son micro -Sortez les civils de la course. Verrouillez le périmètre. Soyez prudents, je ne sais pas où ils sont. Non. Je n’ai pas vu l’attaque.
Elle se tourne d’abord vers Faolan. -Est-ce que ton arme a des balles en argent? -Ce qu’elle a vu de la blessure, ce qu’elle savait du danger ne fait que confirmer ce que la Nrd craignait. Sans attendre la réponse, elle ouvre son sac à dos de sa main gauche et lui lance un paquet de munitions au calibre le plus standard, comptant sur ses réflexes pour l’attraper au vol. Evidemment qu’elle a compris qu’il était armé. Tout dans sa posture, dans la manière dont il a failli la sortir quand il a entendu Lucy hurler était lisible.
Enfin, elle se tourne vers Tyler et les trois qui se tiennent non loin les un des autres. Elle n’a pas le temps de lui donner des explications ni des justifications. Son regard prend la mesure des deux plus âgés. Ils ont gardé leur calme et semblent en contrôle. Bien. Le plus jeune, lui, est en plein choc traumatique. En s’approchant, Medea confirme sa première impression. Ils ne sont pas responsables de l’agression. Ils n’ont pas eu le temps de se changer ou de se laver. Et une absence. Où est Arnold?! Plus tard. Un regard qui englobe les trois rats-garous. Pas d’accusation dans son ton, mais une autorité sans conteste. -J’ai besoin de savoir ce que vous avez vu. Elle faisait partie de votre groupe, si je ne me trompe pas. A quel moment vous êtes-vous séparés? -Si ils étaient restés ensemble, il n'y aurait pas qu’un corps sur le sol. Sa lampe torche balaie le sol devant eux. Cherchant… un peu tout au final. Dans le sang pas encore coagulé sur une grosse dalle de pierre plate, une empreinte de patte qui n’a rien d’une taille animale. La forme des coussinets, la disposition de la marque des griffes. Confirmation.
-Est-ce que vous avez vu deux jeunes hommes avec elle? Ils ont été aperçus en train d'éloigner -elle étouffe un soupir. Quel bordel- un monsieur plus âgé qui l’importunait, les deux ont à peu près du même âge que votre amie et lui - Désignant vaguement dani de la main. Elle sent approcher le moment à grand pas où elle devra prendre les choses en main de manière officielle. Pas encore cependant. Elle accroche le regard de Tyler dont le langage corporel indique qu’il est confortable avec les trois étrangers. -Tyler? Je peux te parler s’il te plait? Faolan? Toi aussi. -Indiquant d’un geste du menton l’endroit opposé de la clairière, à quelques distances du trio.
Une obscurité dense. Les binoculaires sur mon front, fixés à l’aide d’un harnais mêlé à mes cheveux, maculaient les ombres de la nuit d’un enduit verdâtre. Entre les silhouettes des arbres aux mains noueuses, filtrait faiblement la lumière lunaire, malingre, que la vision nocturne avalait avec avidité pour peindre ce tableau de nuances forestières. Des tâches d’un noir insondable émergeaient du sol par endroit, comme les roches nues crevaient l’épais tapis de lichens, de feuilles mortes détrempées et d’aiguilles de pins qui jonchaient le sol pierreux. À dix mètres de moi, les os de la terre étaient à nu et s’érigeaient en un monticule d’aiguilles brisées, acérées et cassantes ; la mauvaise visibilité de ce labyrinthe naturel les faisait alors ressembler aux crocs d’une créature assoupie. Des lambeaux de froid traversaient les buissons filandreux coincés dans les rares dents du paysage, et une humidité mordante montait en fumerolles sinueuses de la terre inégale. Comme mon souffle s’élançait en volutes verdâtres sous mes yeux, une brise a brièvement agité les branches au-dessus de moi. Des craquements sinistres ont suivi, aussitôt accompagnés d’une envolée de feuilles mortes et de fragments de mousses séchées, qui ont criblé ma vision de mouvements erratiques, sombres et volatiles, comme des bouts de peau morte. J’ai resserré les pans de ma veste. Le poids rassurant et familier de mon pistolet a caressé mes hanches ; j’ai alors terminé d’avaler rapidement la barre de céréale entamée un instant auparavant, et j’ai balayé le panorama sinistre d’un regard circulaire.
Lunettes à vision nocturne et thermique. Pratique. J’ai froissé le papier aluminium et l’ai fourré dans une poche avant de vérifier une seconde fois le décor autour de moi. Indispensable dans cet endroit. Les feuilles des taillis surgissaient en ombres crochues en contrebas de l’arbre effondré sur lequel je me tenais et, à perte de vue, les troncs longilignes hachaient une visibilité déjà maigre. La canopée imposait une obscurité totale et, sans binoculaires ou une bonne lampe, je n’aurais même pas été capable de discerner les phalènes voletant sous mon nez. Aucun autre mouvement à déceler. Je me suis levée en repoussant le buisson à côté de moi, lequel exhalait une forte odeur masquant sans doute partiellement la mienne, et j’ai consulté mon téléphone où évoluaient les positions des autres. L’italienne tournait toujours en rond. Qu’est-ce qu’elle peut bien foutre ?
Le silence d’abord. Le hurlement ensuite, qui a crevé le calme glacé comme une lame chauffée à blanc. Puis mon oreillette s’est réveillée avec les mots funestes de Comucci ; ceux que je redoutais en venant cette nuit-là. Et voilà, ça devait arriver, ai-je aussitôt pensé avec amertume. J’ai embrassé le paysage du regard une troisième fois, au cas où le bruit m’aurait révélé aux yeux d’un monstre à l’affût. Aucun mouvement, encore une fois. J’ai appuyé sur le bouton de l’oreillette.
« Ici, Weiss. J’arrive dans moins d’une minute. »
Je suis descendue du tronc d’arbre, accompagnée du tintement du kit de secours calé dans mon sac à dos et du craquement de l’écorce sous mes rangers, puis j’ai saisi la lampe torche accrochée à celui-ci. L’obscurité moussue de cet endroit ne me dérangeait pas ; les forces spéciales vous apprenaient à éteindre la peur instinctive des ténèbres, des créatures rampantes et des forêts. Mais je ne voulais pas débarquer au milieu du groupe de Comucci dans le noir total, l’attirail sur ma tête, en risquant de me faire tirer dessus par une collègue nerveuse. Les italiennes ont le sang chaud, parait-il. Je me suis mise en route à longues foulées souples, en coupant au travers des fourrés sans chercher à repérer le chemin balisé de cette course idiote, la lampe encore éteinte dans la main gauche, la droite sur l’étui du pistolet. Les sens en éveil. Laisser les instincts quadriller l’environnement. Trente secondes. J’ai ralenti la cadence pour décrocher les binoculaires de mon front, et les fourrer dans mon sac, par-dessus le reste de matériel qui commençait à être à l’étroit, consulté rapidement mon téléphone, et j’ai allumé la puissante lampe devant moi. Mes yeux ont protesté. Dans la trainée du faisceau, les couleurs ternes de la forêt enveloppée de nuit, le marron grisâtre des troncs et les feuilles aux textures dévalées comme des vieux ceinturons de cuir ; au-delà du halo, des ténèbres opaques, un voile d’encre qui absorbait l’écho de mes mouvements. Ma respiration a dessiné des cercles vaporeux autour de moi. Je me suis remise en route d’un pas vif, mes longs cheveux fouettant ma nuque, tout en refoulant le début d’inquiétude qui s’était formé dans un creux de mes tripes.
« Weiss, je vous vois. J’arrive. » ai-je précisé à l’oreillette pour signaler mon arrivée.
Dix secondes. J’ai vu les lumières des autres avant de les entendre. Murmures stridents et hoquets de panique. J’ai repéré ma collègue italienne en conversation avec deux autres types, une armoire à glace et un stylo Bic, qui semblaient aussi agités et stressés l’un que l’autre. J’ai fait signe à Medea d’une main libre, et je me suis avancée vers eux sans davantage de cérémonie.
« Messieurs, m’dame, » les ai-je salués avec un signe de tête, avant de tourner mon attention plus loin, vers l’attroupement. « Je vais m’occuper de ça. »
Pas le temps de faire les présentations. J’ai laissé ma collègue se débrouiller avec la communication aux civils, et je me suis avancée au travers du groupe agglutiné, au milieu des faisceaux des lampes, dont les tremblements trahissaient la peur et le choc de leurs propriétaires. La fille était au centre de la clairière. Etendue dans une flaque de sang rendue noirâtre par la pénombre, une jeune silhouette brisée qui hoquetait et gémissait parmi les amas de brindilles souillées et les fluides corporels, les membres déjà raidies et les traits livides. Elle était seule. Abandonnée. Probablement morte de peur à l’idée de mourir ici, à se vider de son sang dans l’obscurité froide. J’ai jeté un coup d’œil circulaire sur les autres visages hagards et paniqués qui erraient ici et là, dont les yeux vitreux se dérobaient à la vue de la victime, comme des somnambules cherchant à s’éveiller. Personne ne l’aidait. Elle crevait lentement, seule, comme un chien errant dans un fond de caniveau, et face à cette vision, je me suis retenue d’engueuler violemment tous les autres pour leur apathie. Puis un éclat de culpabilité s’est insinué dans mes pensées, et j’ai serré les dents inconsciemment. J’ai verrouillé mes sentiments.
On a noté vos réserves, tu parles, ai-je marmonné dans ma tête, avant de repousser sans douceur les badauds qui pianotaient sans entrain sur leur téléphone.
« Écartez-vous. Laissez-lui de l’air. »
La fille a encore hoqueté de douleur. Une bulle de sang s’est formée et a éclaté sur ses lèvres, tandis que je me penchais près d’elle afin d’examiner son état. Bras arraché, hémorragie. Probablement en état de choc, ai-je conclu en jetant un coup d’œil vers le membre qui trainait non loin de là, dans la poussière. Irrécupérable dans ces circonstances. Non seulement il était déchiqueté jusqu’à l’os, mais je n’avais rien pour le transporter et le nettoyer complètement.
« Il me faut quinze minutes environ pour arrêter l’hémorragie, et après on pourra peut-être la déplacer, » ai-je glissé dans l’oreillette avant de m’agenouiller près d’elle.
Ses yeux ont suivi mon mouvement. Des larmes s’écoulaient par-dessus d’autres, déjà sèches, et une violente détresse perçait au travers de ce regard jeune, voilé par la souffrance, et suppliant.
Verrouille. Reste opérationnelle. Identification des priorités.
J’ai retiré ma veste et l’ai couverte avec. La fraicheur a mordu mes bras nus, mais à cet instant, j’avais d’autres priorités qu’un rhume. Les halos des lampes ont brillé sur le pistolet à ma ceinture, mais là aussi, la discrétion était désormais le cadet de mes soucis. J’ai récupéré un sac qui trainait là, sans doute celui de la fille, et je l’ai calé sous ses jambes pour les relever un minimum. Autour de nous, les murmures horrifiés se sont multipliés, tandis qu’un gémissement a franchi les lèvres de la blessée, et que l’os de son articulation s’est révélé, luisant quelque peu à la lueur des torches.
« Hé, n’essaye pas de parler, je vais le faire pour deux. Moi c’est Selma. » ai-je commencé à dire en attrapant mon sac. « Tu es à l’université ? »
La fille a hoché faiblement la tête. Je lui ai souri en retour. Encore consciente, tant mieux, me suis-je forcée à positiver. L’état de choc m’inquiétait davantage que les saignements, lesquels pouvaient être résolu relativement vite avec la bonne méthode, si bien que j’ai continué à lui parler de choses inutiles, des anecdotes banales qui semblaient déplacées à ce moment-là.
« Je n’ai jamais fini mes études moi. Tu sais, ma première nuit en forêt ça a été la merde aussi. Il s’est mis à pleuvoir et un équipier est tombé malade parce qu’il avait bu directement dans la rivière. Ça et aussi les fourmis sous la tente… »
J’ai ouvert mon sac en toute hâte, récupéré le kit de secours et j’ai déroulé les bandes de tissu propre dans la clarté brutale de la lampe. Celle-ci conférait au visage de l’étudiante une teinte blanchâtre, cadavérique, qui déclencha un sanglot parmi l’attroupement hébété. Je les ai ignorés. Je me suis nettoyée abondamment les mains avec du désinfectant puis, avec délicatesse, j’ai commencé à retirer les éclats de bois, de graviers et d’autres saletés agglomérées dans l’articulation béante.
Je n’ai pas cessé de lui parler. « Le truc c’est que tu ne sais pas vraiment ce qui mijote en amont de la rivière, et les bactéries que le courant emporte… »
La fille hochait encore la tête de temps à autre. Faiblement. Parfois, ses yeux roulaient dans leurs orbites, comme elle devait lutter contre la souffrance, et le besoin brûlant de s’endormir. J’ai haussé la voix pour couvrir la suite. D’une main vive, j’ai défait le garrot de fortune autour du reste de son bras, de l’autre, j’ai appliqué rapidement les linges désinfectés sur la blessure, en levant à la verticale le reste du membre déchiré, et j’ai appuyé sur l’ensemble avec fermeté. Le tissu s’est aussitôt coloré de rouge. Mes mains et mes genoux aussi. Elle a retrouvé la force de hurler. J’ai essayé de couvrir son cri en racontant une idiotie, mais de nombreux regards se sont détournés du spectacle insoutenable.
Quelqu’un a éclaté en sanglots. Un autre a vomi. J’ai écarté ces bruits parasites de ma perception, et j’ai gardé une main libre près de mon arme, en maintenant son flanc contre mes genoux, tandis que l’autre appliquait une pression constante sur sa blessure pour arrêter le flot de sang. Elle a récupéré suffisamment de lucidité pour essayer d’articuler quelques mots inaudibles. Aller, tiens le coup.
« T’inquiète, ça va aller. Les femmes sont les plus solides, hein ? » Elle a mollement remué sa tête en un oui approximatif. « Tu sais que physiquement, on est plus résistantes à la douleur ? En fait, je trouve que tu te débrouilles très bien là. »
L’éclat de culpabilité est revenu se lover au fond de mon ventre, douloureux comme un morceau de verre coupant. Je me suis forcée à lui sourire, quand ses yeux ne quittaient plus les miens. La réalité de la situation harcelait ma conscience, à la manière d’un diablotin narquois ; quand bien même elle survivrait à cette nuit de torture, sa vie était définitivement foutue.
Dana Campbell
4B53NC3 - Have you ever considered piracy ? PS : J'ai les mollets concaves. CONCAVES !
Always code as if the guy who ends up maintaining your code will be a violent psychopath who knows where you live
En un mot : Mésadaptée
Qui es-tu ? : -
Propriétaire du ArtSpace
Electro-aimant à CESS
Geek
Codeuse émérite
Hackeuse
Socialement inapte
Presbyte
Vieille fille impulsive mais ultra riche sans que personne ne le sache.
Facultés : -
Craquer des codes.
Hacker des programmes.
Dénicher des choses.
Être étrange.
Ne pas se faire chier.
Être une bonne patronne.
Courageuse au mauvais moment.
- Merci d’être si nombreux à avoir souhaité y participer.
Souhaité, c’était un bien grand mot dans la situation présente.
Dana qualifierait ça de guet-apens et encore, c’était un euphémisme sur comment elle se sentait, en plein milieu de la forêt, la nuit commençant à les draper avec une carte entre ses mains qu’elle porta sur son cœur comme un vieux réflexe.
Elle avait forcé un sourire quand Trung, le cousin de la fiancée de Jimmy son précieux collègue de travail, avait à peine retenu un frétillement de joie en attrapant la lampe torche et la boussole entre ses doigts minces d’ingénieur en efficacité énergétique.
- Ça va être génial! lança-t-il, quand il était revenu avec le matos prêté par l’organisation. - Oh oui. Génial. répond-elle en rabattant son capuchon sur sa tête. - Je savais que tu allais apprécier. Si tu as peur, ne te gêne pas pour me… propose-t-il en faisant un geste équivoque à se blottir dans ses bras. - Je ne me gênerais pas. Promis. lui mentit-elle sans regret.
Ce blind date était un fiasco total. Jimmy devait paniquer depuis qu’elle lui avait répondu par texto à l’enthousiasme de son collègue, qu’il lui en devait une et qu’elle réfléchissait à comment lui pourrir la vie pour les dix prochaines années. Trung restait quelques jours chez son employé et sa bourreau du foyer pour le boulot. Poussé par celle qui maitrisait son cœur et ses couilles, Jimmy avait fortement encouragé Dana à accepter ce rancard organisé et de profiter des qualités exagérément lustrées du dit cousin. Intelligent, travaillant, drôle, geek, avec un bon salaire et le même âge qu’elle, cela lui avait semblé suffisant pour lui donner une chance. L’on avait omis de lui dire qu’il faisait une tête de moins qu’elle qu’il était passionné de compétition de cube rubik et qu’il vouait un culte à Elvis.
Quand il entra dans l’ArtSpace, pour l’amener dans une large berline de location, Dana avait fixé son regard pendant quelques secondes de trop sur les rouflaquettes de Trung. Favoris qui dégringolaient sur les tempes de l’américo-vietnamien, sur un maxillaire qui n’avait rien d’Elvis. Jimmy l’avait poussé du coude pour qu’elle sorte de son mutisme et de se montrer avenante, histoire d’échanger quelques mots courtois et teintés de nervosité.
Elle avait été tentée de se jeter en bas de la voiture en marche quand il lui annonça le plan de cette soirée.
Au moins, il y avait la 4G.
En retrait, aucune envie de se mélanger aux weirdo qui appréciaient cette activité avec exaltation, la geekette s’accrochait aux courroies de son sac à dos, se félicitant d’avoir trainé avec elle le nécessaire de survie; de l’eau, un bonnet et des gants chauds, un chargeur pour son téléphone et un pistolet Glock 17. Arme à feu qu’elle gardait toujours pas très loin, au cas où.
Sous son capuchon, elle regarda avec un semblant d’intérêt le carnet d’aventure, puis remonta ses lunettes du bout de son nez quand le départ fut annoncé. Trung vint pour lui prendre la main et la tirer dans la forêt qui se baignait de faisceau de lampes de poche, mais elle la retira habilement, avec une suggestion :
- Je me sens un peu fatiguée, mais tu as l’air fait pour ça. Va, je vais te rejoindre, je vais juste y aller à mon rythme. Elle agita le carnet d’aventure devant lui et ajouta Puis, tu n’as pas le choix de me retrouver pour gagner! Avec son entrain de chien de chasse, Trung lui sourit, le regard lumineux puis s’éloigna à la course, au-devant du groupe.
Par chance, elle allait le perdre dans la forêt.
Un long soupir, Dana observe l’écran de son téléphone pour se convaincre que ça allait passer rapidement avec son Elvis traceur fougueux et compétitif comme rendez-vous galant merdique. Elle le range dans la poche arrière de son jean et son attention se porte sur le couple devant elle qui semble aussi peu pressé d’elle. Dans la noirceur, cette voix et le profil qui flirt avec cette femme aux traits élégants lui fait ouvrir la bouche une seconde, puis refermer lentement (question de ne pas avaler de bestioles). Tyler, ici? Qu’est-ce qu’il ne faisait pas devant un ordi de l’ArtSpace? C’était l’unique client qui avait une carte pour le café gratuit, le plus habitué de la place… Tyler n’existait pas hors du café internet.
Encore moins a une course d’orientation nocturne.
Est-ce qu’il était du type à donner des rendez-vous galants dans ce genre de soirée merdique lui aussi?
Erk.
Alors, au lieu de le déranger dans… son activité du soir (erk) Dana résista à l’envie de texter Rhys pour lui raconter qu’elle participait à une étrange soirée avec son client préféré à tous deux, puis feint la bonne humeur quand Puppy-Trung vint lui arracher le carnet des mains pour le poinçonner puis repartir à la course, comme s’il était sur un surplus de caféine, en évitant les plus lents.
Et ce fut un manège qui se répéta quelquefois, jusqu’à ce qu’Arnold la bouscule une première fois pour passer au travers du sentier, poursuivi par une petite vieille, sa femme, qui peinait à contenir les excès étranges de son petit mari.
Et un cri perce la nuit. Puis un deuxième.
La forêt semble s’agiter autour d’eux. Arnold babille au loin des trucs qu’elle n’entend pas. On le supplie de ne pas s’éloigner, mais les cris féminins retentissent encore.
À gauche, un groupe se forme, d’autres cris paniqués se font entendre, on vomit, on s’enfuit. Aucune trace de Trung. Elle espérait seulement qu’il n’était pas celui qui gueulait à s’en fendre l’âme. Jimmy ne lui pardonnerait pas.
Doucement, elle s’approche en quittant le sentier. L’odeur désagréable de l’acide gastrique flirta avec ses narines. Des membres de la course se détournaient de la scène, pâles et nauséeux. Les cris n’avaient pas cessé, mais la situation semblait sous contrôle, la tension stabilisée. Pourtant, le poil de ses bras se hérissa en un long frisson pendant qu’elle serrait durement la carte de la course contre elle.
Il y a certaines choses que l’on n’oublie pas et certains traumatismes qui aiment refaire surface au mauvais moment.
Quand soudainement deux mains frissonnantes, mais fermes se posent sur les épaules de Dana qui était sagement restée à l’écart. La poigne la force à se retourner et lui serre les muscles douloureusement. Arnold, le regard presque révulsé l’agite dans tous les sens comme un fou furieux. Il postillonna dans tous les sens, son visage écorché par la nature. Il ne la voit pas vraiment, mais il hurle :
- LA LUNE! La lune est presque pleine! De la nourriture! Une existence sans fin! - Lâchez-moi vieux débile! Hurle Dana à son tour, n’arrivant pas à se défaire de la poigne du timbré qui l’attaquait.
Moment inopportun pour Trung de sortir de la pénombre, venir à sa rescousse et tomber inconscient sur le sol dur de la forêt sous une droite puissante et surprise reçue de la part d’Arnold en crise.
Jimmy allait la tuer.
—Half Life So if this is the last night, and you're feelin' hollow. I'll give you my half life, so you'll see tomorrow.
A peine le temps pour le groupe de faire quelques pas pour extirper le gamin de cet endroit que la voix de Medea retentit non loin, cherchant des informations. Dani la regarde avec des yeux écarquillés qui cillent à peine tandis que les deux autres échangent un regard, ils ont l’air de comprendre qu’ils ont mis trop de temps à se barrer. S’ils ne répondent pas aux questions de l’italienne, elle serait capable de les suivre en répétant inlassablement les mêmes demandes, têtue comme elle est. Mes pensées s’enchainent à un rythme effréné pour trouver comment nous sortir de cette situation. On doit emmener le gamin plus loin sans qu’elle nous suive. Je ne peux pas les couvrir, je n’étais pas avec eux, et Medea n’est pas du genre à se détourner facilement de son objectif. Idéalement il faudrait qu’Eva réponde à ses questions, pendant que Bobby entraine le gamin plus loin, mais Eva est la plus expérimentée d’entre nous pour empêcher les jeunes de péter les plombs. Bobby a tendance à répondre aux questions comme une brute qui pense ne rien te devoir : il n’y répond pas. On est vraiment dans une très mauvaise configuration. Contre toute attente c’est Dani qui nous sauve la mise en se mettant à bafouiller d’un air hagard.
« Je sais pas… J’en sais rien. On était… pas loin. Je crois. Je sais plus… » Le gosse prend son visage entre ses mains en tremblant, secouant la tête négativement aux questions de Medea, incapable de parler davantage. Ça ne s’annonce pas très bien. « Oh Louisa… - On va l’emmener un peu plus loin pour qu’il puisse respirer. »
Explique Eva en saisissant doucement le petit par les épaules pour l’entrainer loin du presque cadavre – Louisa, donc, visiblement, non pas que ça change grand-chose – avec l’ancien militaire et son look de bouseux qui leur emboite le pas. Je n’ai pas le temps d’en faire autant que mon employeuse nous apostrophe Faolan et moi. Au prix d’un gros effort j’arrive à ne pas jeter un regard aux rat-garous s’éloignant, ce qui n’aurait pas manqué de paraitre hautement suspect à cette femme qui ne laisse passer aucun détail. Il faut à tout prix que je les maintienne tous éloignés de Dani qui va potentiellement se transformer dans pas longtemps. J’espère que mes nombreuses années à mentir à des gens pour obtenir des infos me permettent maintenant de masquer efficacement à quel point je suis paniqué par la situation actuelle. Si Dani se transforme ça pourrait être une catastrophe, même si on arrive à l’empêcher de blesser qui que ce soit. On le prendrait forcément pour le responsable de ce carnage, les gens ne cherchent jamais très loin, s'il y a des blessés et un garou dans le coin ils ne cherchent pas à savoir ce qu'il s'est passé. Sans compter que ça jetterait un doute proche de la certitude sur Eva, Bobby et moi. Et ne parlons même pas du bordel que ça serait pour la Horde. Malgré tout j’essaie d’avoir l’air normal face à mes deux coequipiers pour cette stupide course en forêt. Enfin, aussi normal que le serait une personne qui se retrouve au milieu des bois avec une chose non-identifiée qui vient de démembrer quelqu’un. Une fois à hauteur des autres, je demande à Medea :
« Rassure-moi, tu vas pas nous dire que maintenant qu’il y a moins de participants on a plus de chance de gagner la course quand même ? »
Je sais pertinemment que ce n’est pas le cas mais dans les situations de stress je ne brille que par mon sarcasme, néanmoins j’écoute ce qu’elle a à dire. Une odeur âcre portée par le vent nous parvient et m’arrache une grimace, me faisant jeter un regard à la ronde pour trouver l’origine. Certains étudiants sont partis vomir dans les buissons et les effluves acides de leur dernier repas modérément digérés remplissent l’humidité hivernale. Je remarque aussi que pendant qu’on discutait à l’écart une femme s’est mise au chevet de la blessée pour lui apporter les premiers soins. Je suis pas sûr que ça serve à grand-chose cela dit. Je n’ai pas l’impression de l’avoir vue au début de la course, mais entre l’obscurité et la foule j’ai pu la manquer. Peu importe. Des éclats de voix qui me font soupirer rien qu’en reconnaissant les mots et le timbre se font entendre un peu plus loin. Comment attendu, c’est bien Arnold qui a quitté le chevet du cadavre pour aller emmerder quelqu’un d’autre. Et, curieusement, c’est une voix familière qui lui répond et me pousse à m’intéresser à la scène, pile au moment où le vieux débris colle une énorme tarte à un gars qui s’effondre instantanément.
« Oh putain. Y a le vieux qui vient d’allonger quelqu’un. »
L’air ébahi se transforme rapidement en hochement de tête plutôt impressionné. On peut dire ce qu’on veut, il est quand même du genre efficace. Avec le faisceau des torches j’arrive à distinguer le visage de l’autre personne encore debout à côté du boxeur octogénaire. Une silhouette familière pour une voix familière. Je suis encore plus interloqué de découvrir de qu’il s’agit. « Dana ? » S’il y a bien un endroit où je ne pensais pas trouver la propriétaire de cybercafé, c’est bien en plein milieu de la forêt. Le vieux continue de gesticuler de manière énergique en criant toujours les mêmes conneries. Je jette un œil autour de nous et trouve de quoi distraire le vieux pour que Dana puisse s’échapper. Je m’éloigne de Medea et Faolan, pour me diriger vers les deux autres, au passage j’attrape un des étudiants qui s’était éloigné pour rendre son diner dans les buissons et qui se trouve toujours un peu verdâtre pour l’emmener avec moi vers le vieillard tonitruant. Le gamin est un peu trop perdu et fatigué par son vomit post-traumatique pour protester.
« Tiens Arnold, lui il veut bien écouter ton histoire. »
Je pousse l’étudiant ramolli par la situation sur le papi qui l’attrape par le bras en recommençant à déblatérer les mêmes débilités que celles qu'il nous avait raconté plus tôt tandis que le jeune lâche un vague ‘Hein ? Quoi ?’ en ayant l’air totalement dépassé par tout ça. Je m’approche de Dana, prenant garde à ne pas lui mettre le faisceau lumineux en pleine gueule.
« Hey, ça va ? » Un coup d’œil au gars au sol. Je ne saurais dire s’il est juste sonné au réellement KO. « Et lui, il va bien ? » Il a quand même l’air un peu immobile. Je lui fais un geste vers l’autre blessée et la personne à son chevet : « Elle a l’air de savoir donner les premiers secours, si y’a besoin. » Même si j’imagine que la priorité c’est plus la fille en train de mourir que le gars qui s’est fait étaler par un papi. Même quelque chose d’aussi ridicule que ça prend un air sinistre, avec ce corps immobile allongé dans le noir, entouré dans cette atmosphère suintante des odeurs riches et écœurantes du sang et du suc gastrique. Je me demande si le truc qui a attaqué l’a fait pour se nourrir. Je n’ai pas vraiment regardé les restes de l’étudiantes pour voir s’il y avait des morceaux en moins. Si c’est le cas, peut être que ça s’est barré une fois repu. Dans le cas contraire, on est vraiment salement dans la merde.